Éloge funèbre de Jean-Pierre Bansard
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.) C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 16 août dernier, la disparition de notre collègue Jean-Pierre Bansard, sénateur représentant les Français établis hors de France, à l'âge de 84 ans, après plusieurs semaines de lutte contre la maladie. Il siégeait en haut de notre hémicycle, et a tenu à y siéger jusqu'au bout.
Ses obsèques se sont déroulées le 18 août au cimetière parisien de Bagneux, en présence de son épouse, de ses filles, de son fils et de ses proches. Plusieurs de nos collègues sont allés lui rendre hommage, dont le premier questeur Antoine Lefèvre, qui représentait le Sénat, et notre collègue Roger Karoutchi pour son groupe.
Entrepreneur infatigable, enchaînant les succès, Jean-Pierre Bansard s'est investi avec la même énergie au service de l'intérêt général et de ses concitoyens au long d'une vie riche et active.
Né le 15 mai 1940 à Oran, Jean-Pierre Bansard grandit dans une famille juive installée en métropole en 1962, au lendemain de l'indépendance de l'Algérie. Marqué par cette expérience du déracinement, les contours de son engagement politique se dessinent dès son plus jeune âge, en particulier son engagement pour la communauté juive et pour les Français établis hors de France.
À son arrivée en France, Jean-Pierre Bansard, qui avait quitté les bancs de l'école à tout juste 16 ans, entreprend une ascension sociale fulgurante, fondée sur le travail et une énergie à toute épreuve. Il se forme en autodidacte et se fait connaître en exerçant le métier de transitaire sur le Vieux Port de Marseille.
Doté d'une détermination et d'un sens des affaires hors du commun, il quitte la Méditerranée pour la région parisienne dès 1963.
Passionné et curieux de tout, il étend ses activités dans de nombreux domaines : de la logistique internationale à l'immobilier, en passant par la reprise des Puces de Saint-Ouen, il fut un touche-à-tout talentueux. En 1985, il fonde le groupe Cible dont les succès dans de nombreux secteurs - construction, rénovation et hôtellerie de luxe -, reflètent ses multiples talents d'entrepreneur.
Il rachète le célèbre groupe Solex auquel il donne un second souffle, jusqu'à en faire la première marque de vélomoteur électrique fabriqué en France. Il se forge, à cette époque, la conviction que le savoir-faire français doit être protégé et valorisé, ce qu'il continuera de défendre, des années plus tard, au Sénat. Son amour de la culture française le guide dans ses choix stratégiques : il le pousse, par exemple, à racheter en 1986 le célèbre restaurant Drouant où se réunissent les membres de l'Académie Goncourt.
Il fait bientôt appel, pour l'épauler dans la gestion de ses affaires, à ses trois filles et à notre collègue Évelyne Renaud-Garabedian, qui restera son associée pendant plus de trente ans et le suivra tout au long de sa vie personnelle et politique, jusqu'à leur entrée au Sénat en 2017.
Jean-Pierre Bansard fait partie de ceux qui incarnent cette France des Trente Glorieuses inventive, moderne et ambitieuse.
En parallèle de ses activités de chef d'entreprise, il a su montrer, dans sa vie personnelle, l'étendue de son esprit d'initiative, de son engagement républicain et de sa générosité.
Profondément attaché à la communauté juive, il devient président du consistoire régional de Champagne-Ardenne de l'Union des communautés juives de France en 1991, avant de prendre la tête du consistoire central l'année suivante. Il n'aura de cesse, tout au long de sa vie, de dénoncer le fléau de l'antisémitisme. Au lendemain des attaques du 7 octobre 2023 en Israël, face à la prolifération des actes antisémites, il exhorte ainsi publiquement l'État à « faire reculer l'intolérance et la haine pour que triomphent l'universalisme et la laïcité ». Le Sénat, qui a toujours défendu ces valeurs, ne peut que rester fidèle à son message.
En tant que président du consistoire central, Jean-Pierre Bansard cultiva sa réputation de patriote et de fervent défenseur des valeurs de la République. Il résumera ses convictions républicaines en 2004 dans son ouvrage Un judaïsme aux couleurs de la République, qu'il présente comme un « antidote aux communautarismes » et dans lequel il prône la conciliation entre les convictions religieuses et le respect absolu du principe de laïcité. Il y écrit qu'en tant que « Français juif engagé », il se sent « en adéquation avec son appartenance pleine et entière à la citoyenneté française ».
Jean-Pierre Bansard fit de ce sentiment d'appartenance à la nation française le moteur de son engagement public.
Il entre une première fois en politique en étant élu adjoint au maire du 17e arrondissement de Paris en 1983.
Ses activités professionnelles à l'international l'amènent parallèlement à rencontrer bon nombre de nos concitoyens établis hors de France. De ses observations de terrain, il acquiert la conviction que la communauté française expatriée est trop laissée à elle-même, insuffisamment représentée et sans réseau de solidarité suffisamment structuré. Il fonde donc, en 2009, l'Alliance solidaire des Français de l'étranger, où il est rejoint par nos collègues Evelyne Renaud-Garabedian, Jean-Luc Ruelle et celle qui lui succède aujourd'hui, Sophie Briante Guillemont. Il est également nommé, la même année, membre de l'Assemblée des Français de l'étranger par Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères et européennes. Il y siègera pendant cinq ans.
Jean-Pierre Bansard a vu dans le mandat parlementaire un moyen de prolonger son engagement au service des Français établis hors de France. Il fait son entrée au palais du Luxembourg une première fois en 2017, avant de voir son élection invalidée par le Conseil constitutionnel. Déterminé à représenter les Français établis hors de France, il est réélu en septembre 2021 et se rattache au groupe Les Républicains. Son expertise professionnelle l'amène naturellement à siéger au sein de la commission des affaires économiques. Se remémorant avec émotion ses premiers pas au Sénat, il déclare alors : « La première fois que j'ai fait mon entrée dans l'Hémicycle, j'avais des frissons et des larmes aux yeux. »
Avec Évelyne Renaud-Garabedian, il n'eut de cesse de défendre les intérêts des Français établis hors de France et la promotion du savoir-faire français à l'international. Ensemble, ils furent à l'origine de la proposition de loi visant à reconnaître et à soutenir les entrepreneurs français à l'étranger, adoptée en première lecture par le Sénat le 30 mai 2023, et qui prévoit la création d'un label « Made by French ». Cette proposition a été récemment redéposée sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Nous garderons de notre collègue le souvenir d'un homme au parcours exceptionnel, qui se targuait d'être « le moins diplômé » des sénateurs et qui voyait, dans l'exercice de son mandat parlementaire, la consécration d'une vie d'engagements personnels et politiques.
Ses activités lui ont d'ailleurs valu la reconnaissance de la nation.
J'exprime notre sympathie à ses collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France et aux membres de la commission des affaires économiques, mais aussi à son épouse, ses filles, son fils et ses petits-enfants qui sont présents dans cet hémicycle, et à tous ses proches qui l'ont accompagné dans ce parcours de vie hors du commun.
Son épouse nous a conviés la semaine passée à un moment émouvant devant ses proches, ses amis et sa famille, le grand-rabbin de France et le président du consistoire central.
Jean-Pierre Bansard restera dans nos mémoires.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. - Le Gouvernement adresse ses condoléances à la famille de Jean-Pierre Bansard, dont le Président du Sénat a rappelé le parcours. J'étais l'un de ses collègues au sein du groupe Les Républicains.
Le Gouvernement salue le parcours de cet homme qui a entrepris, qui a pris des risques et a réussi, notamment dans l'industrie avec Solex. Il a été accompagné par Evelyne Renaud-Garabedian.
Défenseur des Français établis hors de France, sa passion de la France a fait de lui un interlocuteur privilégié et lui a valu d'entrer au Sénat.
Le Gouvernement salue son engagement personnel, lui qui fut un grand défenseur des valeurs du judaïsme, reconnu par ses pairs.
Au nom du Gouvernement, j'adresse à ses collègues du Sénat, et particulièrement de la commission des affaires économiques, ainsi qu'à sa famille et à son épouse, nos condoléances les plus sincères. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent un instant de recueillement.)
M. le président. - Conformément à notre tradition, en signe d'hommage à Jean-Pierre Bansard, nous allons suspendre nos travaux pour quelques instants.
La séance, suspendue à 14 h 45, reprend à 15 h 15.