Situation des urgences pendant l'été 2024

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation des urgences pendant l'été 2024, à la demande du groupe SER.

Mme Annie Le Houerou, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) Au travers de ce débat, le groupe SER souhaite prendre la mesure des difficultés structurelles affectant notre système de santé et interroger le Gouvernement sur les solutions pour que chacun ait accès partout aux urgences. Malgré les réformes amorcées à la suite de la mission flash de François Braun en 2022, l'été 2024 a confirmé une aggravation des difficultés, chaque année.

Des patients passent de longues heures sur des brancards, les soignants épuisés ne peuvent prendre de congés. Cette situation, illustrée tristement par le « mur de la honte » du CHU de Brest -  qui recense 130 patients de plus de 75 ans ayant passé plus de douze heures sur un brancard  - est indigne de notre système de santé, de notre service public, de notre République.

L'arrêté du 2 juillet 2024 apporte une solution transitoire et partielle. Il désengorge les services en priorisant les urgences vitales, mais quid des autres urgences ? L'offre de soins en ville à cette fin n'existe souvent pas. Les professionnels de santé nous alertent sur des prises en charge trop tardives, mettant en danger les patients.

Selon le Samu, la tension sur les lits d'aval a augmenté encore cet été. Pas moins de 84 départements ont été affectés par des fermetures d'urgences, ponctuelles ou continues, augmentant l'activité dans d'autres établissements, déjà sous pression.

Qu'avez-vous fait ? Réguler, filtrer, mutualiser, dégradant au passage la prise en charge, notamment pour les plus vulnérables, qui n'ont pas d'autres recours que les urgences.

Cette situation des urgences reflète une crise plus large, celle de notre système de santé publique, qui souffre d'un manque de soignants et de moyens structurels.

La mission Braun avait pourtant esquissé des pistes : régulation médicale, création des services d'accès aux soins (SAS), renforcement des assistants de régulation, télémédecine, meilleure rémunération des gardes, entre autres. Mais ce sont des pansements sur une plaie béante.

En juillet dernier, la Cour des comptes a publié des données accablantes, notamment sur le recours à l'intérim médical, en hausse de 25 %. Les dépenses liées au temps de travail additionnel ont doublé, et atteignent 402 millions d'euros. Les emplois des praticiens contractuels ont augmenté, pour un coût total de plus d'un milliard d'euros.

Qu'en est-il du bilan de l'application de la loi Rist sur les dérives financières de l'intérim ?

Le déficit des hôpitaux publics pourrait atteindre 2 milliards d'euros en 2024 ; quelles mesures comptez-vous prendre ?

En janvier dernier, le Président de la République voulait « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent à bout de bras nos services de soins ». Les Padhue exercent sous un statut d'interne très peu rémunéré. Alors que de nombreux services d'urgence ne pourraient fonctionner sans eux. Ces médecins vivent dans une précarité financière ou administrative et doivent renouveler chaque année -  voire tous les six mois  - leur autorisation de séjour ; parfois, ils bénéficient de récépissés valables trois mois. Quand comptez-vous les régulariser pour leur donner, ainsi qu'aux équipes d'urgentistes, de la visibilité ?

La même urgence s'impose pour les étudiants français ayant fait leurs études à l'étranger. Nous ne pouvons pas nous priver de ces compétences. Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour les rapatrier ou éviter leur départ ?

Cet été, le système d'urgence était à deux vitesses : des moyens exceptionnels ont été déployés pendant les jeux Olympiques, alors que les fermetures d'urgences se sont multipliées ailleurs en France.

L'AP-HP s'est félicitée de la robustesse du dispositif de prise en charge des athlètes et du public, avec 370 lits supplémentaires. Nous nous réjouissons de ce succès, qui démontre qu'avec une organisation adéquate et des moyens appropriés, le système fonctionne, et fonctionne même très bien !

Notre système est en sursis. Cessons de le rafistoler avec des solutions de court terme !

Depuis la prévention et la médecine de ville jusqu'à l'hôpital, il faut recréer un maillage cohérent, et redonner aux soignants les moyens de travailler correctement, en lien avec les collectivités territoriales, en première ligne pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

La situation n'est plus tenable. Remettons la santé publique au coeur de nos priorités.

Selon Virginie, infirmière dans mon département, « l'accès aux services des urgences oblige les pompiers et les ambulanciers privés à des trajets bien trop importants. Ces prises en charge sont indignes. Les médecins intérimaires doivent être réaffectés sur des postes vacants. Nos maternités ferment, la mortalité infantile augmente, nos anciens ont des fins de vie inacceptables ». Tout est dit. Que lui répondez-vous ?

Quelle organisation des soins pour une fluidité d'accès entre la ville, les urgences et l'hôpital ? Quelles mesures pour anticiper l'été 2025 et limiter les fermetures temporaires ou durables dues, entre autres, à un manque de personnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins .  - Je vous remercie de me donner l'opportunité de débattre de la situation des urgences. J'ai pris mes fonctions le 21 septembre, dernier jour de l'été. Mais je tâcherai de répondre à vos questions le plus précisément possible, et suis, bien sûr, à votre écoute.

Quelques chiffres, d'abord : la fréquentation des urgences a été relativement stable entre l'été 2023 et l'été 2024, avec une augmentation des passages de 1 %. Le système de santé s'est organisé par rapport à 2022, grâce à une plus grande anticipation, à la coordination des ARS, aux mesures de soutien du Gouvernement, et à la mobilisation des professionnels de la ville, de l'hôpital et des élus locaux.

L'impact des jeux Olympiques et Paralympiques sur les hôpitaux à proximité des sites de compétition a été restreint.

Cependant, cela masque des situations très diverses. Les représentants des urgentistes nous ont alertés : une cinquantaine d'hôpitaux ont été confrontés à des tensions importantes à partir d'août, et une dizaine ont déclenché le plan blanc. Notre pays compte 620 services d'urgence et certains sont sursollicités durant l'été par les touristes, d'autant que les périodes de congé annuel engendrent des manques d'effectifs. Mais, partout, des solutions ont été trouvées.

Des initiatives locales ont stabilisé les organisations, en s'appuyant sur tous les acteurs du système de santé, dont je salue le professionnalisme.

La communauté hospitalière s'est organisée. Les médecins des urgences, les personnels d'accueil et d'orientation, les personnels administratifs se sont engagés et ont reporté voire annulé leurs congés.

Les difficultés rencontrées s'expliquent par des problèmes structurels, notamment l'augmentation du nombre de passages aux urgences. L'activité de ces services a augmenté de 3 % par an depuis 1996. Depuis 2019, le nombre de passages aux urgences est resté stable en dehors de la période du covid, autour de 21 millions de passages par an, contre 10 millions en 1996. Cette augmentation s'explique par le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques, l'augmentation des soins non programmés.

Au-delà de la gestion estivale, nous devons ajuster nos organisations pour anticiper les périodes de tension.

De nombreuses réformes ont été engagées, notamment par le ministre Braun. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont augmenté tous les ans l'Ondam.

Le sous-objectif des établissements de santé a dépassé les 100 milliards d'euros, contre 80 milliards d'euros en 2017. Cette année encore, l'Ondam augmentera de 2,8 % - soit 9 milliards d'euros de plus qu'en 2024.

M. Mickaël Vallet.  - C'est l'inflation !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Une politique d'attractivité des métiers sans précédent a été menée. Le Ségur de la santé a lancé des mesures historiques. La revalorisation du travail de nuit et durant le week-end a été pérennisée.

L'entrée en vigueur progressive de la réforme des autorisations de la médecine d'urgence du 29 décembre 2023 permettra de lutter contre l'engorgement des urgences ; elle offrira plus de souplesse aux services. Je pense notamment à la création d'antennes de médecine d'urgence à la main des établissements, à l'intégration de la paramédicalisation des SMUR dans la réponse à l'urgence, mais aussi à la possibilité de régulation à l'entrée des urgences ou à la réorientation vers les médecins de ville des patients qui ne relèvent pas de la médecine d'urgence. Ces mesures, très attendues des acteurs de terrain, sont accompagnées de guides pour leur mise en place.

Le déploiement des services d'accès aux soins (SAS) est aussi important. À toute heure, les citoyens doivent pouvoir trouver une réponse pour des soins non programmés, par un simple appel téléphonique. Une meilleure organisation du système de soins soulage les services d'urgences. Près de 94 % de la population est désormais couverte par un SAS, le reste le sera d'ici à la fin de l'année. En moyenne, 1,2 million d'appels par mois sont traités. Cela témoigne de la nouvelle relation de confiance, indispensable, qui se noue entre la ville et l'hôpital.

Ne nions pas pour autant les difficultés persistantes. Il faut continuer de réorganiser, notamment les urgences, en y instaurant des filières actives. Des initiatives ont été prises pour la pédiatrie ou la santé mentale. Nous poursuivrons ces efforts, en lien avec les acteurs des services et des territoires. N'imposons pas en bas un système inventé en haut, mais faisons de l'accès aux soins une réalité concrète partout dans notre pays.

M. Jean Sol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2018, déjà, j'alertais le Gouvernement sur la situation de notre hôpital public, et en avril dernier, sur la situation des Pyrénées-Orientales où le service des urgences de Perpignan baissait le rideau durant la nuit. L'été dernier, des personnes ont attendu 24 heures pour être prises en charge, résultat d'une moyenne de 188 passages par jour. La réouverture annoncée des urgences de la clinique Saint-Pierre sera un soulagement, mais ne suffira pas. Les usagers sont angoissés à l'idée de se rendre aux urgences, et les élus sont impuissants. Je pousse un cri d'alarme.

Des familles attendent des informations pendant des heures, des personnes âgées restent parfois 24, 48 voire 72 heures sur un brancard avant d'être renvoyées chez elles faute de place. Des décès surviennent, comme des exemples récents en attestent. Le personnel croule sous une charge administrative chronophage, tout en devant faire face à des incivilités.

Madame la ministre, envisagez-vous d'améliorer le partenariat entre hôpital public, hôpital privé et médecine de ville ? Que comptez-vous faire pour améliorer la régulation des passages aux urgences ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Dans les Pyrénées-Orientales, on compte cinq services d'urgences, dont quatre cliniques, un Smur et une antenne transférée sur l'hôpital transfrontalier de Cerdagne. Deux cliniques de Perpignan ont fermé la nuit. L'une d'elles a rouvert récemment. C'est une région touristique, donc en grande difficulté l'été.

L'ARS Occitanie a annoncé la mise en oeuvre d'une mission d'appui sur les urgences pour produire un état des lieux des manquements et instaurer un cadre de fonctionnement départemental assurant la coopération entre secteur public et secteur privé.

Ce partenariat va donc se construire, également avec les praticiens libéraux, pour décharger les urgences de nombreux patients qui n'ont rien à y faire et relèvent en réalité de la médecine générale. J'espère qu'il produira des effets rapidement.

Mme Solanges Nadille .  - Je remercie le groupe SER d'avoir été à l'initiative de ce débat.

L'été 2024 a révélé, une nouvelle fois, la crise aux urgences. Des urgences ont fermé le soir, la nuit, le week-end. Des patients ont été laissés sur des brancards pendant de longues heures, rappelant de sombres épisodes de la crise sanitaire.

Outre-mer, c'est encore plus difficile. En Nouvelle-Calédonie, plusieurs hôpitaux ont fermé leurs services d'urgences la nuit et le week-end. En Guadeloupe, le centre hospitalier de l'île de Marie-Galante n'a parfois plus de médecin pour les urgences. En juillet et août, on a craint une fermeture du service.

Les insuffisances du transport maritime et le peu de rotations compliquent la vie personnelle des médecins, ce sont des contraintes fortes. Les médecins qui pourraient venir à Marie-Galante sont découragés. Une collaboration avec les entreprises privées de transport pourrait y remédier. J'espère que l'État soutiendra cette solution.

Quel regard portez-vous sur la situation des urgences en outre-mer ?

Êtes-vous prête à travailler à un plan d'action pour ces territoires ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis consciente des difficultés particulières dans les outre-mer, notamment en matière de continuité territoriale des soins. Mes prédécesseurs ont lancé des travaux spécifiques pour réorganiser la santé dans ces territoires. La mesure 23 du Comité interministériel des outre-mer (Ciom) vise à fluidifier les prises en charge, notamment pour les pathologies lourdes comme les cancers. Ces initiatives s'inscrivent dans la démarche plus large de réorganisation des soins.

Le Premier ministre a annoncé un nouveau Ciom, début 2025, qui offrira l'occasion de réévaluer les priorités, notamment des urgences dans le champ sanitaire.

Je serai aux côtés des élus locaux et je travaillerai avec tous les partenaires concernés. En effet, les solutions valables en outre-mer ne sont pas les mêmes que pour le reste du territoire.

Mme Guylène Pantel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Je tiens à remercier le groupe SER d'avoir proposé ce débat.

Professionnels de santé, élus locaux et services déconcentrés de l'État sont unanimes : les services d'urgences sont en danger. Cas atypique, l'hôpital de Lozère n'a pas fermé un seul jour ni régulé l'accès au service depuis la crise sanitaire. Je remercie les équipes pour leur engagement quotidien.

Néanmoins, les chiffres sont édifiants : selon une enquête d'une association professionnelle, 202 services d'urgences ont dû fermer au moins une ligne médicale cet été, un risque réel pour la sécurité sanitaire des patients.

À Saint-Affrique, en Aveyron, l'accès aux urgences de l'hôpital est régulé depuis début juin ; un seul médecin est en poste pendant 24 heures pour assurer notamment les sorties du Smur. Ce fonctionnement en mode dégradé décourage les usagers de s'y rendre. C'est un cercle vicieux. Dans les zones rurales, on constate le report de la patientèle sans médecin sur les services d'urgence pour des problèmes de santé qui relèvent de la bobologie. Enfin, les Padhue sont toujours confrontés à des difficultés administratives freinant leur intégration dans nos hôpitaux.

Madame la ministre, existe-t-il une évaluation régulière et qualitative des usagers qui se rendent aux urgences par manque de médecin traitant ? Les Padhue pourraient-ils être une solution ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis contente que la Lozère, pourtant département touristique, ne soit pas trop affectée, mais des départements plus en difficulté l'entourent.

Le médecin traitant reste l'interlocuteur privilégié des patients pour les interventions non programmées.

Selon une étude réalisée par le site Doctolib, 41 % des consultations de médecine générale sont réalisées dans les 48 heures qui suivent la prise de rendez-vous. Pour 20 % des patients devant être hospitalisés, souvent le passage aux urgences est allongé faute de lit disponible en aval dans les services. Il n'y a pas suffisamment de fluidité.

De nombreux patients en affection de longue durée (ALD) n'avaient pas de médecin traitant. Grâce aux actions menées depuis le début de l'année, près de 240 000 d'entre eux en ont désormais un. Mais il en reste 472 000 qui n'en ont pas, sur un total de 13 millions de patients.

Beaucoup a été fait pour les Padhue, mais nous devons analyser toutes les situations tout en préservant la qualité et la sécurité des soins. Ces médecins rendent des services inestimables à notre système de santé.

M. Olivier Henno .  - Je salue l'organisation de ce débat et la décision du Gouvernement et du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale en 2025.

En tant que maire, j'ai présidé un hôpital psychiatrique pendant vingt ans. La psychiatrie a connu une sorte de massacre à la tronçonneuse en matière budgétaire. La maladie mentale n'est pas honteuse, il est possible d'en guérir. Les soins de ville sont défaillants, le métier de psychiatre est de moins en moins attractif. En cas de crise, les patients se dirigent là où il y a de la lumière, donc aux urgences.

Comment comptez-vous articuler la grande cause nationale et la réorganisation des urgences ?

Que pensez-vous de l'expérimentation Samu psy et envisagez-vous sa généralisation ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - La psychiatrie est un sujet à part entière et le Premier ministre a fait de la santé mentale, qui dépasse la psychiatrie, une grande cause pour l'année 2025.

Les financements de l'assurance maladie pour les activités de psychiatrie ont augmenté de 32 % entre 2020 et 2023 et atteignent 12 milliards d'euros. Je ne sais si on peut parler de tronçonneuse, il reste des branches... (Sourires) Un plan en matière de psychiatrie est en oeuvre depuis quatre ans. Des délégations de crédits pérennes ont été prévues à la suite des assises nationales de la psychiatrie en septembre 2021.

Une réforme des autorisations a été engagée pour intégrer davantage le secteur privé dans la prise en charge des urgences. Les établissements doivent proposer trois formes de prise en charge : séjour à temps complet, séjour à temps partiel, ambulatoire. Un fonctionnement en réseau a également été instauré. Il faut réfléchir à la prise en charge des patients en amont et en aval de l'hospitalisation. Un fonds d'innovation de 226 millions d'euros a été alloué. Les SAS peuvent inclure une prise en charge psychiatrique. La prévention peut aussi éviter les crises aiguës des patients.

Mme Silvana Silvani .  - Les étés se suivent et se ressemblent aux urgences. Les gouvernements sont satisfaits quand seulement 46 % des services ferment pendant l'été, alors que pour les élus locaux, juillet et août sont des mois d'angoisse. Aux urgences, dans les services de soins et en psychiatrie, les tensions sont généralisées. En Meurthe-et-Moselle, les urgences du centre hospitalier de Briey ont été fermées temporairement et la prise en charge des accouchements a été suspendue. Faut-il que les maires prennent des arrêtés pour mettre en demeure l'État afin qu'il assure l'égalité des soins, comme cela a été le cas dans au moins un département ?

Madame la ministre, les femmes enceintes ne peuvent attendre le mois de septembre pour accoucher. Allez-vous déployer les moyens nécessaires dans le prochain PLFSS ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Oui, le centre hospitalier de Briey rencontre des difficultés de recrutement depuis plusieurs années, tout particulièrement pour les urgentistes.

Nous travaillons avec le centre hospitalier de Metz-Thionville pour apporter des solutions. Une organisation adaptée a été conçue en lien avec le Samu 57, le Samu 54 et avec l'appui du Sdis 57. Des mesures d'exception -  fermeture et réorientation  - ont été prises cet été, mais avec toujours la présence d'un infirmier et l'appui d'un médecin anesthésiste-réanimateur en cas d'urgence vitale.

S'agissant de la maternité, l'appui du centre hospitalier de Metz-Thionville a été important. Une seule garde en juillet a posé problème.

Cet établissement bénéficie d'un suivi resserré des équipes de l'ARS. Un groupe de travail sur l'urgence a été mis en place. Le centre hospitalier de Metz-Thionville et celui de Briey s'engagent sur le renforcement des collaborations entre eux. Tout le territoire est, sinon au chevet, à tout le moins en soutien à l'hôpital de Briey.

En revanche, même si vous me demandez beaucoup de médecins, je ne peux les inventer : ils sont en formation. Nous devons trouver des solutions sécurisées, pour la bonne prise en charge de nos patients.

Cet hôpital aura toute mon attention.

Mme Silvana Silvani.  - Je vous en remercie. La position stratégique de l'hôpital de Briey a été reconnue par l'ARS. Ses difficultés datent d'il y a plus de quinze ans. Les établissements désignés pour agir en soutien sont dans des villes éloignées. En 2018, un audit a été lancé par l'ARS, mais nous attendons toujours sa mise en oeuvre. Chaque été, nous sommes très inquiets.

Avec un Ondam à 2,8 % nous n'y arriverons pas. La Fédération hospitalière de France (FHF) demande une revalorisation à 6 %. Les dépenses de santé augmentent, c'est vrai, mais elles ne sont toujours pas à la hauteur des besoins.

M. le président.  - Votre réplique a duré plus du double du temps prévu. Merci d'y veiller à l'avenir, c'est une question d'équité entre collègues.

Mme Anne Souyris .  - Je souhaite vous interroger sur la répartition des obligations de garde entre l'hôpital, les cliniques privées et les professionnels de ville, car l'injuste répartition actuelle explique en partie la saturation des urgences.

En 2023, selon l'Igas, la permanence des soins était assumée à 82 % par les hôpitaux publics, quand les établissements privés n'en prenaient en charge que 13 %. Seuls 39,34 % des médecins libéraux participaient à la permanence des soins ambulatoires.

Comptez-vous rendre obligatoire la participation des médecins libéraux à la permanence des soins ? Quelles mesures comptez-vous mettre en place pour que les établissements privés prennent leur juste part dans cette permanence ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - L'engagement des médecins de ville est indispensable. Même si la permanence des soins s'organise sur la base du volontariat, le code de déontologie médicale précise qu'il est du devoir du médecin d'y participer.

En cas de carence, les préfets peuvent réquisitionner des médecins, sur proposition des ARS. Près de 1 019 médecins ont ainsi été réquisitionnés en 2023. Quelque 39 % des médecins généralistes ont participé à la permanence des soins en 2023, pour une moyenne de 28 gardes par an. Il s'agit d'éviter l'engorgement des structures d'urgence, mais aussi de faciliter le parcours des patients les soirs, week-ends et jours fériés.

Je préconise une campagne d'information des patients ainsi qu'une meilleure collaboration, sous la forme de partenariats, avec les établissements médico-sociaux, afin d'éviter que des personnes âgées restent des heures sur des brancards aux urgences.

Mme Anne Souyris.  - Vous parlez incitation et non pas obligation, alors que 60 % des médecins de ville ne participent pas à la permanence des soins, c'est beaucoup ! La loi du 27 décembre 2023 prévoyait que l'ARS devait, au moment de l'autorisation d'installation des médecins, s'assurer qu'ils participent à la permanence des soins. Cela a-t-il été appliqué et évalué ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - C'est l'Ordre des médecins qui autorise l'installation. Praticien moi-même et membre du Conseil de l'Ordre, j'ai constaté le désengagement des médecins de cette permanence des soins, parce que les urgences promettaient d'accueillir tout le monde.

Je ne sais pas si la coercition est la solution, mais nouer des partenariats de confiance et modifier l'organisation de notre système de santé en sera une à moyen et long terme.

Notre politique devra bien entendu être évaluée, pour être réorientée le cas échéant.

M. Jean-Luc Fichet .  - Les urgences sont le recours de l'immédiat, l'endroit où l'on sauve des vies. D'après l'AP-HP, une nuit passée aux urgences sur un brancard augmente de plus de 40 % la mortalité des patients de 75 ans et plus.

Cet été, sur un « mur de la honte » à l'hôpital de Brest, on pouvait lire les prénoms et l'âge des patients concernés, et le nombre d'heures passées sur un brancard. C'est ainsi que M. S, 89 ans, a passé près de trente heures sur un brancard. À Carhaix, les urgences sont toujours régulées par le 15, depuis octobre 2023. Cet été, à Morlaix, les urgences ont été en très grande difficulté face à l'afflux de population estivale.

Nous n'attendons pas de miracles, seulement ce qui est dû.

Comment comprendre que les cliniques privées refusent de prendre en charge des actes jugés non lucratifs ? Comment comprendre que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) doivent gérer la pénurie en concentrant les moyens dans les métropoles, alors qu'ils devaient contribuer à la bonne répartition des moyens sur les territoires ?

À la désertification de la médecine de ville s'ajoute celle des urgences hospitalières.

Madame la ministre, allez-vous rogner sur le budget des hôpitaux publics ou le défendre fermement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Bien sûr que nous défendrons l'hôpital public ! Sur nos 620 services d'urgence, une soixantaine ont rencontré des problèmes : les autres fonctionnent...

Donnons aussi une image positive de l'hôpital de France, qui est un bel hôpital, avec des services spécialisés qui prennent en charge les pathologies de façon incroyable. Ne ternissons pas l'image de l'hôpital ! (Protestations sur les travées du groupe SER)

Oui, les établissements privés doivent participer à la permanence des soins. Des mesures conventionnelles ont été prises -  elles doivent s'appliquer  - et des budgets ont été alloués aux établissements en contrepartie de leur participation à cette permanence. Je ferai tout pour créer des ponts entre hospitalisation privée et publique. C'est indispensable.

Je ne me réjouis pas de l'existence de ce mur de la honte. Cela me navre et me donne encore plus envie d'agir.

M. Daniel Chasseing .  - À l'été 2024, la situation des urgences a été difficile dans de nombreux territoires. En Corrèze, les services ont tenu : je salue l'action du personnel.

Ces fermetures sont dues à des tensions sur les ressources humaines, notamment un manque de médecins urgentistes, et à une hausse de la fréquentation.

La mise en place des SAS est certes une solution, mais elle est limitée par le manque de médecins de ville. Et malheureusement, beaucoup ne font pas le 15 et vont directement aux urgences...

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) doivent néanmoins être développées, en complément des SAS.

Il faut aussi former davantage de médecins généralistes. En novembre 2026, ils devraient être renforcés par l'arrivée de médecins juniors.

Il faudrait généraliser le triage à l'entrée afin que les urgences mineures soient identifiées et prises en charge par un médecin généraliste, dans une salle différente.

Il faudrait aussi davantage de lits d'aval pour les personnes qui doivent rester à l'hôpital pour un bilan plus approfondi, mais qui souvent encombrent les urgences et attendent sur un brancard.

Ne faudrait-il pas mettre en oeuvre rapidement ces deux dispositifs ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Ce sont des problèmes d'organisation. Certains hôpitaux ont un fonctionnement proche de celui que vous décrivez. Travaillons avec les ARS et les groupements hospitaliers de territoires, à une organisation plus logique et plus fluide.

L'enjeu, ce sont les lits d'aval. Il nous faut davantage de soins de suite, pour libérer des places pour ceux qui arrivent aux urgences avec un besoin aigu. Nous allons y travailler.

M. Daniel Chasseing.  - Les lits d'aval sont très importants. Aux urgences, une infirmière à plein temps est souvent désignée pour chercher des lits. Il faudrait des lits de médecine polyvalente en aval.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis d'accord !

Mme Florence Lassarade .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dès 2014, la Cour des comptes nous alertait sur l'augmentation continue du recours aux urgences, souvent pour des cas ne nécessitant pas l'hospitalisation, en raison de l'insuffisance de la médecine de ville. Cette pénurie se traduit par un engorgement des services d'urgence, des conditions de travail difficiles et une fatigue accrue.

La situation demeure critique. Le manque de ressources, humaines et matérielles, maintient les services dans une crise permanente.

Le triage est devenu une pratique courante. C'est un outil essentiel pour assurer une prise en charge rapide et efficace. Mais cela suppose que le personnel concerné soit correctement formé et soutenu. Qu'en est-il ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Ce sont les assistants de régulation médicale qui sont au bout du fil quand on appelle le 15. C'est le premier maillon de la chaîne des secours médicaux français.

Depuis 2019, leur formation est certifiée. Cette formation obligatoire, d'une durée d'un an, est assurée par 21 centres agréés.

Aux urgences, l'accueil et l'orientation des patients sont assurés par un infirmier organisateur de l'accueil, parfois en binôme avec un médecin. Il s'agit d'accueillir, d'évaluer rapidement le degré d'urgence et d'organiser le début du parcours. Les outils existent ; à chaque établissement de s'en emparer et de les adapter aux réalités de son territoire.

Mme Brigitte Devésa .  - Ce n'est un secret pour personne, notre système d'urgences est à bout de souffle. Cet été, comme chaque été, il a malheureusement connu de graves difficultés.

Le service d'urgence de l'hôpital d'Aix-en-Provence en est un exemple : il a très souvent fonctionné avec seulement quatre urgentistes la nuit -  au lieu de six  - et la fermeture régulière d'autres services d'urgence comme ceux de Digne-les-Bains ou de Manosque a conduit au report de patients. Ceux-ci attendent de plus en plus longtemps, avec d'inévitables pertes de chances.

Cette situation est également néfaste pour les soignants, soumis à une charge de travail grandissante. On peine d'ailleurs à recruter dans certaines professions.

Certes, il s'agit d'un problème de long terme, mais il faut trouver des solutions intermédiaires. Quelles solutions envisagez-vous ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - La clé réside dans les ressources humaines, qu'il s'agisse de former de nouveaux professionnels ou de convaincre ceux qui ont quitté le système d'y revenir. Nous devons travailler sur l'attractivité des métiers.

Le Ségur de la santé a permis de reconnaître l'engagement des agents. Cela a constitué un effort historique. À l'été 2022, les sujétions pour le travail de nuit, de dimanche et de jour férié, ont été reconnues, pérennisées à l'été 2023.

Les études en santé comptent parmi les plus demandées par les lycéens sur Parcoursup. Mais nous devons améliorer l'attractivité du métier, en travaillant aussi sur les conditions de travail et le déroulement des carrières.

Mme Brigitte Devésa.  - Sans une réforme en profondeur, la situation actuelle risque de mettre en danger la santé de nos concitoyens et de provoquer une rupture dans l'accès aux soins. Il y a urgence !

Mme Audrey Bélim .  - Avant tout, j'envoie un message de solidarité aux Calédoniens. La crise politique a de graves conséquences sanitaires. Il a été difficile, voire impossible, d'accéder au centre hospitalier territorial en raison des barrages. Depuis le 2 septembre, les lits d'hospitalisation sont fermés et les services d'urgence ne sont plus ouverts la nuit. Le nombre de décès a presque doublé.

La Réunion connaît également de graves problèmes. Le 3 octobre dernier, un patient de 90 ans arrivé aux urgences pour une détresse respiratoire a dû attendre 17 heures avant d'être pris en charge. Il s'agissait de l'ancien maire de Salazie, Jean-Claude Welmant. Une si longue attente est inacceptable, que l'on soit ancien maire ou pas !

Notre CHU accueille de nombreux Mahorais par évacuation sanitaire : 400 en 2012, 1 600 en 2023. Nous comptons 40 % de patients non affiliés, pour lesquels le CHU doit se battre pour ouvrir les droits à l'aide médicale de l'État (AME). C'est l'honneur de notre CHU, de La Réunion et de la France, mais cela nécessite un soutien de l'État. Une revalorisation du coefficient géographique de trois points a été annoncée par le précédent gouvernement : la confirmez-vous ? Irez-vous plus loin au nom de la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - J'ai une pensée pour tous ceux qui oeuvrent pour l'apaisement en Nouvelle-Calédonie, et notamment les forces de l'ordre, tous les fonctionnaires de l'État, les responsables politiques, syndicaux, de la société civile, du monde économique, religieux et coutumier.

Je partage votre préoccupation relative à la situation financière des hôpitaux ultramarins, et notamment celle du CHU de La Réunion, qui est soumis à des contraintes spécifiques, du fait de son éloignement géographique et de la forte demande de soins.

Face à la dégradation de la situation financière du CHU de La Réunion, l'État a mobilisé plusieurs dizaines de millions d'euros, dont près de 42 millions en 2023. La revalorisation du coefficient géographique de 31 % à 34 % s'appliquera aux tarifs et aux dotations pour 2024 et 2025.

Le territoire mahorais a connu une succession de crises, sociales, hydriques, et épidémiques avec le choléra. Il connaît aussi des difficultés structurelles. Comme mes prédécesseurs, je souhaite aider le territoire mahorais à améliorer son attractivité pour les professionnels de santé. La Réunion s'est mobilisée pour lui venir en aide. Je souhaite lui dire toute ma reconnaissance, ainsi qu'à la centaine de réservistes sanitaires engagés en permanence à Mayotte.

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.) Le fonctionnement des urgences reste un sujet de préoccupation pour nos concitoyens, les élus locaux, et le Gouvernement. Les urgences doivent être recentrées sur leur mission première.

Les services modifient parfois leur organisation sans toutefois se coordonner. Or les GHT apportent souvent de la complémentarité et de la lisibilité. Pourquoi ces derniers ne proposeraient-ils pas à l'ARS une organisation ayant fait l'objet d'une concertation préalable, avec la création d'une structure juridique de type pôle interétablissements ou fédération médicale interhospitalière (FMIH) ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Oui, je suis d'accord. Les GHT, souvent départementaux, sont le bon niveau pour organiser l'accès aux soins.

C'est un sujet sur lequel je vais travailler, en tenant compte des disparités existantes, qui sont souvent liées à des personnes.

M. Alain Milon.  - Nous sommes d'accord. Mais les GHT ne disposent pas de la personnalité morale et juridique. Travaillons-y.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis d'accord.

M. Franck Montaugé .  - Cet été, dans la belle ruralité gersoise, une personne âgée a été orientée par son généraliste aux urgences de Condom. Arrivée à 17 h 30, faute de personnel médical, elle n'a pas été prise en charge. Premier manquement grave. À 22 heures, elle rentre chez elle. Le lendemain, samedi, un proche la trouve à 17 h 30, inanimée dans les toilettes de son appartement. Nouvelle hospitalisation à 18 heures, nouveau retour à domicile à 23 heures. Le dimanche, elle s'avère incapable de se déplacer, de s'alimenter et de satisfaire à ses besoins naturels. Le lundi, à Auch, une grave infection est diagnostiquée. À l'heure où je vous parle, la personne est encore hospitalisée et nous dit : « que c'est long, l'agonie ».

Que comptez-vous faire pour que les services d'urgence en ruralité soient systématiquement dotés d'un médecin ?

Mme Émilienne Poumirol.  - Très bien !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Dans le cas que vous décrivez, il y a certainement eu des manquements, à commencer par le renvoi à domicile d'une personne manifestement malade, sans aucun accompagnement. Les structures sanitaires et médico-sociales doivent se coordonner pour éviter ce genre de situation.

Dans le Gers, la coopération entre les acteurs est plutôt bonne. Les urgences du centre hospitalier d'Auch ont un service mutualisé d'urgences avec le CHU de Toulouse sous la forme d'un pôle interétablissement. Je salue ce type de coopération.

Le Smur de Condom, aujourd'hui antenne d'Auch, a vocation à être rattaché au centre hospitalier de Condom. L'ARS va accompagner les travaux de modernisation des services des urgences d'Auch et de Condom.

Et des Gersois sont souvent accueillis dans les Landes, à Aire-sur-l'Adour ou à Mont-de-Marsan, du fait de la proximité de nos départements.

M. Franck Montaugé.  - Les soignants se dévouent corps et âme pour la santé de nos concitoyens. La santé est le premier des services publics, il faut la préserver.

M. Khalifé Khalifé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Durant quarante ans d'urgences cardiologiques, j'ai côtoyé les urgentistes. J'ai vu arriver beaucoup de choses à l'hôpital...

J'ai vu se créer les urgences. Je disais alors que l'on ne pourrait pas tout faire aux urgences, sinon à quoi serviraient les spécialistes ? Malgré cela, les urgences récupéraient tous les patients - même un malade sortant de chimiothérapie qui devait être transfusé...

Résultat : nombre de médecins urgentistes épuisés sont partis ailleurs. Pis, cette centralisation a éloigné les médecins des urgences, qui, auparavant, étaient appelés pour donner leur avis : les situations étaient réglées très rapidement, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Les malades restent dix à douze heures aux urgences. On les oublie, on les récupère, puis on les renvoie...

Je souhaite un service de médecine cogéré par les urgences avec les médecins généralistes, mais dans les locaux de l'hôpital -  sinon, on n'y envoie pas les patients. Il faut que ce soit un service de préférence universitaire.

Qu'en pensez-vous ? Que sont devenus les 250 postes de praticiens universitaires créés récemment ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je ne retracerai pas l'histoire des urgences que vous connaissez bien mieux que moi. Nous sommes aujourd'hui dans une situation bien différente, celle d'une hyperspécialisation, marquée par l'apparition d'une spécialité dédiée aux urgences. Résultat : les médecins des autres spécialités interviennent moins. Les filières pédiatrie et psychiatrie bénéficient parfois d'accueils spécifiques. Mais le parcours de soins des patients est souvent complexe.

Pas moins de 495 places ont été proposées pour le diplôme d'études spécialisées (DES) en médecine d'urgence en 2023, et 100 % des postes sont pourvus - ce qui est loin d'être le cas dans d'autres spécialités, notamment la psychiatrie. Ce DES bénéficie en outre du droit au remords pour les étudiants ayant choisi initialement une autre spécialité. Cette voie doit être privilégiée.

Toutefois, il s'agit d'une question organisationnelle à l'échelle de chaque établissement. Dans certains cas, les médecins généralistes ne souhaitent pas intervenir dans ces structures, cela n'a donc pas d'intérêt de les développer. Construisons la solution avec les médecins, territoire par territoire.

Aujourd'hui, les SAS sont un bon moyen d'éviter les passages aux urgences.

On ne peut appliquer les mêmes solutions partout. En tout état de cause, il faut éviter que ceux qui n'ont rien à faire aux urgences s'y rendent.

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je souhaite faire entendre la voix du sud de l'Alsace où trois frontières s'entremêlent. Une frange importante du territoire y est vieillissante et les maladies chroniques augmentent ; la médecine de ville est carencée, les listes d'attente chez les spécialistes s'allongent et les patients renoncent aux soins, notamment les personnes âgées et les plus isolées.

Chaque jour, 250 soignants vont travailler en Allemagne et 1 850 rejoignent la Suisse. Une infirmière gagne jusqu'à 8 000 francs suisses par mois, et les conditions de travail et de formation y sont plus attractives. La collectivité européenne d'Alsace a certes pris des mesures pour rendre le secteur plus attractif, mais la concurrence entre les territoires est forte.

Comment le Gouvernement compte-t-il rendre effectives les conventions de coopération sanitaire, notamment celle de 2016, pour répondre aux besoins particuliers de ce territoire ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - L'attractivité des métiers est un réel problème, notamment pour les frontaliers du fait des écarts de rémunération pratiqués entre l'un et l'autre côté de la frontière. L'Ain et la Haute-Savoie sont également concernés.

Jean Castex, alors Premier ministre, avait demandé au préfet de la Haute-Savoie d'élaborer un plan d'action spécifique. Deux axes de réflexion avaient été retenus : l'identification de leviers nationaux d'action afin d'accroître l'attractivité des métiers de santé, et la recherche de coopérations entre la France et les collectivités locales concernées, d'une part, et la Confédération helvétique et les cantons voisins de notre pays, d'autre part.

Nous devons développer une véritable politique transfrontalière, même si ce n'est pas facile. Ce serait pourtant dans l'intérêt de tous. Il existe un important déséquilibre entre le lieu de résidence et de travail des professionnels exerçant en Suisse.

Compte tenu des tensions sur les ressources humaines dans ces zones transfrontalières, le Gouvernement a instauré une indemnité de résidence spécifique et les ARS ont déployé des contrats d'allocation d'études.

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) Dans le Bas-Rhin, un nouveau stade a été récemment franchi dans l'inacceptable, notamment à Strasbourg et dans les hôpitaux de Sélestat, de Haguenau et de Wissembourg. En reportant toujours plus le risque sur les malades, nous atteignons les limites de la maltraitance institutionnelle. Cette vision court-termiste des services hospitaliers nous conduit à un échec certain et mortifère.

Pourtant, des solutions existent, à l'instar des propositions de la commission d'enquête sénatoriale formulées en mars 2022 sur la situation de l'hôpital. Je pense notamment aux 43 structures de soins non programmés prenant en charge 820 000 patients chaque année.

Mais des freins demeurent. Pour les lever, il faudrait décloisonner les statuts et les missions et faciliter la coexistence de différents types d'interventions sur le terrain.

Madame la ministre, allez-vous développer cette voie ? Quelles mesures d'organisation proposerez-vous aux professionnels de santé et aux patients sur le long terme ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis d'accord : plusieurs établissements de votre département ont connu des difficultés. Des mesures législatives ou réglementaires compliquent parfois la situation ; certaines, qui proviennent de l'Ordre des médecins, empêchent les professionnels de se regrouper pour travailler ensemble.

Il n'est plus l'heure d'empêcher mais de faciliter. Le temps de la simplification est venu.

Bien sûr, notre objectif prioritaire vise à assurer la sécurité des patients et la bonne formation des médecins. Mais simplifions pour que les médecins, qu'ils viennent du public ou du privé, puissent travailler ensemble.

M. Serge Mérillou, pour le groupe SER .  - C'est la catastrophe, mais, en dehors des personnels de santé, je pense que personne ne s'en rend compte : tels sont les mots d'un professionnel de santé, recueillis au cours de l'enquête de Samu - Urgences de France publiée le 17 septembre dernier.

Cette situation se répète chaque année ; l'hôpital brûle et, malgré les promesses, rien ne change.

Deux services d'urgences sur trois ont fermé au moins une fois cet été et 86 départements ont été touchés par la fermeture d'au moins une ligne médicale.

Certes, le bilan est meilleur qu'en 2023, mais uniquement grâce aux heures supplémentaires. Le personnel tient au prix d'un sacrifice peu reconnu. En 2024, 1 500 lits ont été fermés et près de 100 postes d'internes sont supprimés : quelle aberration ! En outre-mer et en métropole, les hôpitaux ne peuvent plus mener leur mission à bien.

Dans mon département, la Dordogne, les urgences de l'hôpital de Sarlat ont déjà été fermées durant 23 jours depuis le début de l'année.

La maternité a fermé ses portes pendant 180 jours, contraignant les femmes à plus d'une heure de route pour accoucher. Souvent ce sont les pompiers du Sdis qui assurent les transports, notamment les sapeurs-pompiers volontaires. Mais les employeurs ne les libèrent pas de leurs obligations professionnelles pour pallier les carences du système de santé !

Nos concitoyens paient un lourd tribut, conséquence d'un manque d'investissement et d'une gouvernance instable -  en sept ans, huit ministres se sont succédé. La désorganisation et les dysfonctionnements du système de santé sont trop profonds pour que les mesures de la mission flash de 2022 suffisent à y remédier.

Face à l'effondrement, des structures privées émergent, notamment pour les petites urgences. Mais ces solutions ne peuvent se substituer à l'hôpital public.

Nous ne pouvons laisser s'imposer une médecine à deux vitesses. « Des lits et des bras », voilà ce que les professionnels demandent !

Nous relayons les demandes de Samu - Urgences de France.

Les services d'urgence ne peuvent plus répondre aux besoins croissants de la population. Il faut plus de centres de soins primaires et mettre en place un ratio patients-soignés aux urgences. Cette mesure figurait d'ailleurs dans la proposition de loi de Bernard Jomier adoptée au Sénat.

Plus globalement, il faut plus de moyens : le secteur de la santé mentale manque cruellement de psychiatres et de psychologues.

La problématique des urgences est corrélée à la désertification médicale. Certains élus ont pris des arrêtés appelant à un plan d'urgence d'accès à la santé. Soyons vigilants pour que les moyens nécessaires soient déployés dans le PLFSS.

Je remercie en notre nom à tous les communautés médicales pour leur engagement admirable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Prochaine séance demain, mercredi 9 octobre 2024, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 20.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 9 octobre 2024

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Alain Marc, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Catherine Conconne

1. Questions d'actualité

2. Proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°664, 2023-2024)

3. Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°672, 2023-2024)

4. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024