Nécessité de former davantage de médecins et soignants
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants, à la demande du groupe CRCE-K.
Mme Céline Brulin, pour le groupe CRCE-K . - Trouver un rendez-vous chez un généraliste, spécialiste, psy ou kiné est une galère quotidienne face à laquelle nos concitoyens et les élus locaux sont démunis. La mission d'information du Sénat sur l'avenir de la santé périnatale a montré le défaut de sages-femmes et de gynéco-obstétriciens, alors que 40 % des maternités ont fermé en trente ans.
De plus en plus de services d'urgences ferment temporairement, comme à Lillebonne ou Fécamp. Au Havre, les agents sont mobilisés depuis onze semaines pour alerter sur cette situation. Les gouvernements successifs ont réduit le numerus clausus, faisant passer le nombre d'étudiants en médecine de 8 500 en 1971 à 3 500 en 1990.
Cette solution austéritaire est une bombe à retardement. La population a vieilli et le nombre de médecins a diminué à mesure que les besoins augmentaient. Le numerus clausus a été supprimé en 2021 mais la réforme des études de médecine a laissé sur le carreau nombre d'étudiants. Ils sont trois fois plus nombreux à redoubler leur deuxième année ; le taux d'abandon des étudiants en soins infirmiers a doublé en dix ans. Parcoursup et ses choix par défaut y sont pour quelque chose.
En 2022, les ministres de la santé et de l'enseignement supérieur avaient pour objectif d'augmenter de 20 % le nombre d'étudiants en médecine d'ici à 2027, 14 % en odontologie, 8 % en pharmacie... Nous n'y sommes pas : 1 100 places étaient vacantes en pharmacie en 2022, 500 en 2023.
La faculté de médecine de Rouen a augmenté ses capacités d'accueil de 200 % en vingt ans. Mais comment faire plus sans bâtiments ni services universitaires supplémentaires ?
Nous ne pouvons accepter que les internes compensent la pénurie de médecins pour seulement 6 euros de l'heure.
Comme le disait le Premier ministre, le temps est révolu où nous avions peur de former trop de médecins. Il faut partir des besoins des territoires et non des capacités universitaires. Le nombre de médecins repart légèrement à la hausse, de 0,8 %.
Mais les inégalités territoriales se creusent, comme dans l'Eure, où l'on compte 80 médecins pour 100 000 habitants, soit la moitié de ce que l'on trouve dans les départements incluant une métropole. Les praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue) sont en première ligne des hôpitaux désertés et connaissent une grande précarité administrative. À quelques jours des épreuves de vérification des connaissances, améliorez leurs conditions de travail et de vie. Le programme Hippocrate, annoncé par le Premier ministre, pour inciter internes français et étrangers à exercer dans les territoires déficitaires, ne doit pas être hypocrite.
Les collectivités territoriales n'ont pas attendu pour financer les logements d'étudiants venus sur leur territoire, accompagner les professionnels qui viennent s'installer, voire financer des postes de chefs de clinique. Mais elles ne peuvent continuer à le faire seules. Selon une étude de la Drees de juin, les médecins en zone rurale ont fait au moins un stage ou fait des remplacements d'au moins trois mois en zone rurale, ou bien y ont vécu pendant leur enfance. Plusieurs facultés proposent de décentraliser la première année des études de santé vers des villes plus petites, comme Pontivy, rattachée à la faculté de Rennes, et Périgueux pour Bordeaux.
Les stages de médecine dans les territoires ruraux doivent être déployés ; c'est une condition pour l'installation future en zone rurale. Il faut démocratiser les études de santé. En effet, plus il y aura de jeunes médecins issus de quartiers populaires ou de zones rurales, moins ils verront d'obstacles à s'y installer.
Des mesures pour orienter les jeunes vers les études de santé sont nécessaires, comme le contrat d'engagement de service public, ou une école normale préparatoire aux études de santé.
L'accès aux soins est une des premières préoccupations de nos concitoyens, qui ne peuvent admettre qu'on ne puisse accéder à un médecin en cas de besoin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub et M. Olivier Bitz applaudissent également.)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins. - Je remercie Mme Brulin d'avoir suscité ce débat.
Nous devons tout mettre en oeuvre pour favoriser l'accès à tous les types de soins. Nous avons encore beaucoup de travail en dépit des réalisations déjà opérées.
La situation actuelle est issue des impensés des d'années précédentes. Nous devons travailler dans une perspective de moyen et long terme, afin d'éviter de nous retrouver dans des situations d'entonnoir à l'avenir. Je suis sûre que ce débat sera d'un grand intérêt.
Mme Corinne Bourcier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Dans de nombreux territoires, il suffit de tenter de prendre un rendez-vous avec un médecin ou d'aller aux urgences pour se rendre compte que nous manquons de médecins.
En 2024, le nombre de médecins est d'environ 237 000, contre 215 000 il y a quinze ans, soit une légère augmentation. Comment ne peut-on pas faire mieux avec plus ?
Tout d'abord, les jeunes médecins recherchent un équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Ils ne sont plus prêts à travailler 12 heures par jour, six ou sept jours sur sept.
Le vieillissement de la population, la dépendance, l'explosion des maladies chroniques et des maladies mentales expliquent aussi l'augmentation des besoins.
Les difficultés sont bien connues, parmi lesquelles la surcharge administrative lors d'un arrêt de travail et les nombreux certificats médicaux inutiles demandés.
L'informatique est aussi une source ahurissante de perte de temps : comment expliquer qu'un logiciel unique n'existe pas pour accéder aux différents examens au sein d'un hôpital ? Un urgentiste me disait récemment que pour cinq minutes devant un patient, il devait ensuite passer quinze minutes devant l'ordinateur.
La répartition des médecins sur le territoire est aussi en question : la pédopsychiatrie est par exemple en souffrance. Je salue la décision du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025. Il y a quelques mois, le Sénat adoptait une résolution similaire en faveur de la santé mentale des jeunes.
Nous manquons de médecins généralistes et de nombreux spécialistes - urgentistes, chirurgiens pédiatriques, gastro-entérologues...
Optimiser le temps médical relève aussi de la responsabilité des patients. Il est inacceptable que ces derniers se rendent aux urgences pour un nez qui coule, et y retournent le lendemain pour les mêmes symptômes, alors qu'on leur a donné un traitement pour cinq jours. C'est une réalité, heureusement rare. Il faut responsabiliser les patients, et donc sanctionner les abus.
Il faut revoir les capacités d'accueil des universités, revoir les logiciels, tout comme le dossier médical partagé (DMP), et alléger la charge administrative.
À l'heure de choix budgétaires contraints, parmi toutes les orientations possibles, laquelle est prioritaire pour aider les médecins ? (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Votre question est importante : comment faire en sorte que les médecins fassent de la médecine et soignent leurs patients ? Les assistants médicaux, qui leur apportent une aide, existent depuis fin 2019 : nous en comptons 6 700. Plus de 500 000 patients ont trouvé un médecin traitant grâce à ce dispositif.
Les infirmiers en pratique avancée (IPA) peuvent soulager les médecins de certains actes ou d'un temps passé à des actions de prévention. Autant de temps médical libéré !
En effet, chacun a son outil informatique, pas forcément compatible avec celui des autres, des laboratoires par exemple. Tout cela doit être fluidifié.
Mme Corinne Bourcier. - Des choix importants doivent être faits. Les assistants médicaux sont une solution. Mais il faut s'interroger sur les études de médecine : beaucoup d'étudiants ne peuvent suivre ce parcours et partent à l'étranger.
Mme Corinne Imbert . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie nos collègues du groupe CRCE-K de ce débat. Ce sujet de santé relève aussi de l'aménagement du territoire. Nous avons perdu dix ans, soit le temps de formation d'un médecin.
L'accès aux soins est un enjeu politique majeur. Je me réjouis de l'élan donné par le Gouvernement, notamment grâce au programme Hippocrate. Comme le Premier ministre l'a souligné dans sa déclaration de politique générale, le temps est révolu où nous craignions de former trop de médecins.
J'espère, madame la ministre, que vous vous saisirez des travaux du groupe Les Républicains pour une loi santé. Nous manquons aussi de soignants et de techniciens médicaux tels que des manipulateurs radio.
Je parlerai surtout de médecine générale. Former davantage de médecins, c'est territorialiser les études de médecine, créer des antennes universitaires locales pour renforcer l'accessibilité géographique et financière. C'est aussi revoir la réforme du parcours accès santé spécifique (Pass) et de la licence accès santé (LAS) qui n'est pas appliquée de la même façon partout. Certaines universités ont inventé la LAS 50-50... C'est faire en sorte que la quatrième année d'étude de médecine générale ne soit pas détournée de la volonté du législateur. Il faut veiller à la réalisation de stages en ambulatoire en zone sous-dense en priorité, et non à l'hôpital par dérogation. La qualité d'accueil des futurs médecins doit être au rendez-vous.
Selon la Drees, la médecine générale est à la 42e place des spécialités choisies à l'internat sur un total de 44. Même si le nombre de médecins a légèrement augmenté - 1 672 médecins en plus en 2024 - cela ne répond pas à l'augmentation des besoins avec le vieillissement de la population et les maladies chroniques. Si l'âge moyen des médecins continue de baisser, passant de 48,5 à 48,1 ans, le temps médical diminue.
Depuis la réforme, la filière pharmacie ne fait plus le plein d'étudiants. Après les déserts médicaux, on parle de déserts pharmaceutiques.
Que reprendrez-vous des propositions des Républicains en matière de santé ? Comment allez-vous corriger la réforme des études de santé ? Qu'en est-il des décrets d'application de la loi Valletoux, et de l'élargissement du contrat d'engagement de service public (CESP) ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Corinne Bourcier et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Avant d'ajuster, nous attendons l'évaluation de la Cour des comptes sur la réforme des études de médecine. Mais je serai très attentive à ce que les principes fondamentaux de la loi - favoriser la réussite des étudiants et diversifier leur profil - soient conservés.
Oui, il faut développer les stages en zone sous-dense. Les CHU y envoient déjà leurs étudiants de quatrième année. C'est un enjeu d'irrigation des territoires les plus ruraux.
Pas moins de 34 textes d'application de la loi Valletoux étaient attendus, dont 14 pour le seul article 36 sur les Padhue. À date, 10 décrets ont été publiés, 8 sont prêts, 2 sont soumis à la concertation et 14 ne sont pas encore prêts.
Mme Corinne Imbert. - Qu'un étudiant en LAS, qui a la moyenne en santé, mais pas dans l'autre matière, ne puisse pas passer en deuxième année est incompréhensible.
Le stage de quatrième année doit se faire dans les territoires sous-dotés. Attention à ne pas dévoyer la volonté du législateur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Solanges Nadille . - Merci au groupe CRCE-K d'avoir proposé ce débat : cette préoccupation nous rassemble tous. La France fait face à une pénurie croissante de soignants et près d'un Français sur trois vit dans un désert médical.
Le vieillissement des médecins et de la population exige une augmentation de l'offre de soins. Tous les lieux de soins sont sous tension : postes vacants, services saturés, listes d'attente...
La solution la plus évidente est d'augmenter le nombre de praticiens, en formant davantage. Le numerus clausus a été supprimé en 2020 sous l'impulsion du Président de la République. Quatre ans plus tard, on constate une nette augmentation du nombre d'étudiants admis en deuxième année, passant à 10 000 en 2023, à 12 000 en 2025 et à 16 000 en 2027, soit deux fois leur nombre d'avant 2017. Mais cela pose des difficultés logistiques aux facultés, qui doivent s'adapter rapidement.
Tout dépend également de la mise en place d'une politique incitative, voire coercitive, pour que les jeunes médecins s'installent davantage dans les zones sous-dotées.
L'exercice de la pratique médicale a beaucoup évolué depuis les années 1970, avec un temps de travail plus faible. Il faut désormais trois jeunes médecins pour remplacer un médecin qui part à la retraite. La suppression du numerus clausus est un premier pas majeur, mais ses effets se feront sentir surtout dans quelques années.
Une autre solution serait d'aller chercher des praticiens à l'étranger et de faire revenir des Français installés ailleurs. En 2022, on dénombrait 52 000 médecins étrangers en Allemagne, contre 20 000 en France. Je me réjouis que le statut des Padhue ait été amélioré par la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels.
Une plus grande collaboration entre les différents professionnels de santé est également encouragée. Dans la ligne de la démarche du Gouvernement visant à retrouver 15 à 20 millions de rendez-vous chez le médecin dès 2024, seize procédures ont été simplifiées en juin 2024 : les pharmaciens peuvent prescrire des antibiotiques en cas d'angine ou de cystite, les opticiens peuvent renouveler certaines ordonnances de lunettes, une expérimentation permet l'accès direct à un kinésithérapeute ou à un médecin spécialiste. Le nombre d'assistants médicaux passera de 6 000 à 10 000 en fin d'année et les services d'accès aux soins (SAS) ont été généralisés en juin dernier.
Continuer de former davantage de médecins et de soignants, aller chercher les médecins à l'étranger et libérer du temps médical sont autant de solutions complémentaires. Mais il faut aussi une stratégie globale de gestion des ressources humaines. Déterminer le nombre de professionnels à former n'a que peu d'intérêt si l'on ne s'assure pas qu'ils accomplissent les missions attendues. Auditionné en mai dernier, le président de l'Observatoire national de la démographie des professionnels de santé avait souligné la nécessité d'une évaluation des besoins territoriaux.
Nous devons construire ensemble une feuille de route. Le groupe RDPI soutiendra le Gouvernement, avec exigence. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Notre système de santé se restructure progressivement, grâce aux acteurs de terrain.
En médecine, nous sommes passés de 8 700 places avant 2017, à 11 000 aujourd'hui ; en pharmacie, de 3 200 à 3 600 ; en odontologie, de 1 250 à 1 450 ; en maïeutique, de 1 020 à 1 100. La réalité des admissions est bonne en médecine et en odontologie, plus difficile en maïeutique et en pharmacie.
On ne peut décréter arbitrairement qu'il faut 20 000 étudiants, il faut d'abord évaluer les besoins de la population, l'évolution de la consommation des soins, le progrès médical et technologique.
Il faut former assez de médecins, mais pas trop non plus. (Protestations sur diverses travées)
M. Michel Savin. - On ne sait jamais !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Trop de médecins, maintenant !
Mme Solanges Nadille. - On n'en est pas là ! Le groupe CRCE-K a mis le doigt sur un sujet d'actualité.
M. Raphaël Daubet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Quand on connaît le nombre de villages qui cherchent un généraliste...
M. Michel Savin. - Et de villes !
M. Raphaël Daubet. - ... - j'ai moi-même fermé mon cabinet, sans successeur - , le thème de ce débat peut sembler presque provocant. Merci au groupe CRCE-K qui nous permet de poser des questions essentielles : les projections démographiques sont-elles suffisantes ? Comment résorber les inégalités territoriales ?
Le manque de professionnels de soins alimente le sentiment de déliquescence et l'angoisse de nos concitoyens. Le numerus apertus n'est pas à la hauteur des enjeux.
On nous annonce que la densité en médecins généralistes augmentera de 23 % d'ici à 2050, soit 172 généralistes pour 100 000 habitants, la densité qui prévalait dans le Limousin en 2012 !
Pour les dentistes, ce sera plus 40 % d'ici à 2050 - 78 praticiens pour 100 000 habitants - , soit 8 de moins qu'aujourd'hui en Paca...
Or ces prévisions ne tiennent pas compte des facteurs sociétaux et de la baisse du temps médical.
C'est particulièrement inquiétant pour les chirurgiens-dentistes : la moitié des inscrits au tableau de l'Ordre ont des diplômes étrangers.
Plutôt que d'ouvrir le robinet du numerus clausus, on a laissé nos jeunes se former à 10 000 ou 12 000 euros l'année à l'étranger, ce qui exclut les plus modestes...
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
M. Raphaël Daubet. - ... et remet en cause notre souveraineté, car sans les diplômés étrangers, nous sommes incapables de soigner.
Il faut augmenter le nombre de places au concours pour atteindre des seuils de densité suffisants bien avant 2050. La massification est nécessaire, mais insuffisante ; il faut aussi de la régulation, avec une stratégie d'aménagement du territoire - des options de santé dans les lycées, des stages dans les territoires, des internes dans nos hôpitaux périphériques.
Sage-femmes, kinésithérapeutes, aides-soignants ... Tant de professions de soignants sont en difficulté.
Former des soignants, c'est investir dans l'humain et l'avenir. Madame la ministre, recalibrez vos ambitions ! Nous nous tenons à votre disposition pour vous proposer des solutions concrètes.
Comment comptez-vous vous y prendre ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes SER et UC)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Mon analyse est la même : on a vraiment manqué d'anticipation. Depuis 2017, il y a tout de même eu un rebond avec la suppression du numerus clausus et l'accueil de plus d'étudiants dans les universités. (M. Pascal Savoldelli proteste.)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Pour cela, il faut des locaux, des professeurs, des stages à la hauteur. Cela se met en place avec un temps de latence.
Je suis très favorable à une politique déconcentrée pour les formations, afin de faire connaître les territoires à nos jeunes étudiants.
La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé de 2019, dite OTSS, a mis en place une planification pluriannuelle du nombre de professionnels à former. Des objectifs nationaux ont été arrêtés à la suite d'une conférence nationale de mars 2021. Il revient ensuite aux universités et aux écoles de maïeutique de déterminer le nombre d'étudiants à accueillir. Avec le numerus clausus on donnait directement un nombre d'étudiants à former. Désormais, l'approche est territoriale, en fonction des besoins de santé. Cela offre plus de latitude aux acteurs locaux. Nous allons travailler sur la feuille de route 2026-2030.
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bruno Rojouan applaudit également.) Vaste débat ! Dans cette situation de pénurie, il serait dangereux d'amalgamer différents problèmes : l'accès aux soins des territoires ruraux, qui pose aussi la question du transport vers les lieux de soins, les généralistes et les spécialistes, les soins de ville et l'hôpital, les soins urgents et les soins programmés, le public et le privé...
Pas moins de 12 000 médecins formés actuellement ne produisent pas autant de temps médical que leurs prédécesseurs des années 1980. En réalité, ils n'en produisent que la moitié. Les infirmiers n'ont jamais été formés en si grand nombre, mais ils n'ont jamais eu une durée d'exercice aussi courte, sans doute usés très vite.
Le report de tâches vers d'autres professionnels de santé est une solution à développer. La réforme des études médicales est une piste. Nous nous réjouissons de l'arrivée, en octobre 2026, des docteurs juniors en zone rurale. Mais tout sera-t-il prêt pour les accueillir dans les meilleures conditions ?
Des passerelles sont-elles à l'étude, pour les jeunes qui sont en Roumanie ou en Espagne, pour un retour en troisième ou quatrième année ? Peut-on redonner la possibilité de réussir le classement de troisième année à ceux qui ont commencé leurs études de médecine à l'étranger ? Pourquoi ne pas favoriser le retour en France des internes, par exemple en contrepartie d'un exercice en zone sous-dense ?
Une exonération totale des cotisations sociales avait été promise aux médecins en cumul travail-retraite. Quand cette disposition sera-t-elle effective ?
Tous ces leviers peuvent être actionnés simultanément afin que plus aucun patient ne se sente abandonné. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Comment faire en sorte que les jeunes médecins soient utiles sur tous les territoires, en particulier les plus en difficulté ? Jusqu'à maintenant, la médecine générale était la seule spécialité à n'avoir que trois années d'internat. La nouvelle maquette des études de médecine prévoit une année supplémentaire.
Nous avons aussi besoin de médecins qui accompagnent les 3 600 docteurs juniors qui pourront ainsi consulter en 2026. Ils pourront aussi aller dans les déserts médicaux, grâce à des incitations. C'est un tournant majeur pour les territoires en déprise.
Les Français qui étudient ailleurs en Europe peuvent bénéficier d'équivalences pour postuler au sein des universités françaises, notamment pour accéder au 3e cycle des études médicales. Ils peuvent aussi signer des contrats d'engagement de service public, mais prendre ainsi la place d'étudiants français : c'est donc à étudier avec finesse.
Mme Nadia Sollogoub. - Élue de la Nièvre, j'entends dire par les potentiels tuteurs de ces étudiants que leur formation n'est pas opérationnelle, d'où mon alerte.
Quant aux jeunes qui sont en Roumanie, ils toquent à la porte. C'est peut-être l'année idéale pour les faire revenir, dans des territoires sous-dotés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Avoir un médecin traitant, obtenir un rendez-vous médical, c'est un parcours du combattant. Les maires ne savent plus à quel saint se vouer.
Dans le Pas-de-Calais, le président de la communauté de communes du Ternois, Marc Bridoux, a rédigé une motion, signée par plus de 90 maires, avec des propositions pleines de bon sens. Je vous invite à y répondre, madame la ministre.
Nous payons la politique de non-formation des quarante dernières années. Il y a urgence à former des professionnels de santé et des paramédicaux.
Le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus a augmenté le nombre d'internes en médecine, mais cela reste insuffisant. Il faut revaloriser les carrières, la rémunération et améliorer les conditions de travail.
Le dogme de la réduction des dépenses de santé a fait fuir des milliers de soignants, écoeurés et lessivés.
Le budget que vous déciderez d'octroyer aux universités et au système de santé sera crucial. Mais résistez aux injonctions de Bruxelles, qui vous invite à réduire les dépenses publiques, en abaissant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Madame la ministre, les services publics et la sécurité sociale doivent être sanctuarisés, alors qu'Emmanuel Macron a réduit de 5 % les capacités d'accueil de nos hôpitaux !
La répartition territoriale des médecins est également essentielle. L'instauration d'un service médical citoyen d'un an dans les zones sous-denses pour les médecins nouvellement diplômés a été récemment suggérée. Nous y sommes favorables, ainsi qu'à la régulation de l'installation et à la réquisition des médecins spécialistes des cliniques privées pour assurer la permanence des soins.
L'opérateur de télémédecine H4D vient de cesser ses activités, privant les habitants de Seine-et-Marne d'une solution qui avait le mérite d'exister. L'entreprise a empoché 100 000 euros par machine et près de 1,5 million d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR). Les élus ont été mis devant le fait accompli et cet argent public a été perdu, pour rien.
Madame la ministre, allez-vous réguler l'installation ? Instaurerez-vous une obligation de participation à la permanence des soins, quel que soit le mode d'exercice ? Comptez-vous augmenter le nombre de professionnels de santé, leurs salaires et améliorer leurs conditions de travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Les moyens en santé n'ont jamais diminué : l'Ondam augmente tous les ans. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)
Plutôt que la coercition, nous avons choisi l'incitation et la construction avec les médecins. D'ailleurs, la contrainte ne fonctionne pas en situation de pénurie.
Il existe des voies de contournement, bien sûr : départ à l'étranger, choix d'une autre voie professionnelle, déconventionnement...
Depuis le PLFSS 2022, chaque profession peut inclure des mesures démographiques dans ses négociations conventionnelles avec l'assurance maladie. Ainsi, les chirurgiens-dentistes ont signé un accord le 21 juillet 2023 : à partir de 2025, dans certaines zones du territoire, l'installation ne sera possible qu'à la condition du départ d'un autre chirurgien-dentiste. C'est une première. Je fais confiance au dialogue social.
De nombreux dispositifs ont été mis en oeuvre pour la permanence des soins, y compris avec les médecins du secteur privé.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Votre réponse est éclairante : vous ne voulez aucune solution !
Vous dites que les chirurgiens-dentistes vont instaurer une régulation à l'installation.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Ce sont eux qui le disent !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Idem pour les pharmaciens. Mais vous ne voulez pas essayer de le faire pour les médecins ! Parce que vous êtes sous le joug de l'Ordre des médecins, qui s'y oppose.
Mais quoi que vous disiez, il faudra le faire. De nombreuses personnes n'ont plus de médecin généraliste depuis un ou deux ans. Sans régulation de l'installation, le problème ne se réglera pas. C'est le serpent qui se mord la queue ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST) En ce moment même, plus de 8 000 étudiants de médecine révisent les épreuves dématérialisées nationales qui débuteront dans six jours, pour 7 974 places d'internat, soit 1 510 postes d'internes en moins que l'an dernier. Votre réforme, sous-financée, peu transparente et approximative, met les étudiants en difficulté.
Une enveloppe de 17 millions d'euros avait été prévue pour la financer. C'est sur cette faible somme que reposait l'annonce illusoire de voir s'ouvrir des places supplémentaires, dans des facultés déjà largement saturées. Et l'augmentation du nombre d'étudiants doit aussi s'articuler avec la capacité d'accueil des stages.
Entre 2020 et 2024, seules 1 600 places supplémentaires en deuxième année de médecine ont été recensées, un chiffre comparable à celui de la période 2016-2020.
Changer la sémantique de numerus clausus à numerus apertus ne suffira pas à faire venir les 6 000 médecins généralistes demandés par les maires ruraux, ni à remplir les 30 % de postes de psychiatres hospitaliers vacants, ni à remplacer les 700 médecins généralistes partis à la retraite à Paris en 2023...
Oui, face à la pénurie de soignants, il faudra donner les moyens de former davantage au travers du PLF 2025 et flécher les financements avec transparence.
Des réformes similaires pour les infirmiers, aides-soignants, sage-femmes, pharmaciens, kinésithérapeutes sont nécessaires, car nous manquons de toutes ces professions.
Il faudra de nouvelles écoles normales des métiers de la santé, avec une formation gratuite et rémunérée, accompagnée d'un engagement à exercer dans les zones sous-dotées. Ces écoles augmenteraient le nombre de soignants, éradiqueraient les déserts médicaux, garantiraient l'égalité des chances et revaloriseraient des professions délaissées.
Une formation d'aide-soignant coûte entre 6 000 et 10 000 euros à l'étudiant, pour un salaire inférieur à 2 000 euros en début de carrière. Comment attirer les professionnels du care quand ils doivent payer si cher leurs études ?
Investissons pour la formation des professionnels de santé et pour l'accès aux soins ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Je vous l'assure, quelque 11 000 places sont désormais disponibles chaque année, contre 8 700 en 2017.
Certains étudiants, en raison de choix personnels, souhaitent redoubler leur internat pour repasser le concours, d'où la diminution constatée cette année. Mais nous espérons que les chiffres repartiront à la hausse dès l'année prochaine.
Je vois bien ce que représenteraient des écoles normales de la santé, mais je suis plus favorable à des campus santé, où des formations seraient dispensées dans tous les métiers de la santé, de l'aide-soignant au médecin. Les étudiants de l'environnement du care pourraient ainsi mieux se connaître. Nous allons y travailler avec le ministre de l'enseignement supérieur et les organismes de formation, et sortir des silos que nous connaissons aujourd'hui.
Les instituts de formation d'aide-soignant sont majoritairement publics et sont éligibles aux financements prévus pour les organismes de formation. Les régions aident aussi les personnes à financer leur formation.
Mme Anne Souyris. - Oui, il est possible de se faire financer sa formation par la région, mais cela implique des démarches administratives. C'est un obstacle supplémentaire.
Encore faut-il pouvoir accéder à ces campus ! Les années de médecine sont longues et les internes sont payés à peine deux euros par heure. Si on n'a pas les moyens, on ne devient pas médecin.
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci au groupe CRCE-K d'avoir organisé ce débat.
Je relève que vous êtes ministre de la santé, mais aussi de l'accès aux soins : c'est une lueur d'espoir.
Plus de 6 millions de personnes, dont 800 000 patients en affection de longue durée (ALD), n'ont pas de médecin traitant : la promesse d'égalité dans l'accès à la santé est brisée pour de nombreux Français.
Les maires tirent la sonnette d'alarme, partout sur le territoire. Dans les Côtes-d'Armor, des dizaines de maires ont pris des arrêtés mettant l'État en demeure d'établir un plan d'urgence pour l'accès à la santé, au nom du respect de la dignité de la personne humaine.
La mise en place du numerus clausus en 1970 est la cause principale de la pénurie actuelle. Le numerus apertus tient certes compte des besoins des territoires, mais aussi des capacités d'accueil des universités. En 2019, 9 571 étudiants ont été inscrits en deuxième année, en 2022, 11 300, en légère progression.
Mais la demande de soins est croissante, du fait de l'augmentation de la population, de son vieillissement et des lacunes de la prévention.
En 2015, une étude de la Cnam a montré que chaque année, 25 % des médecins diplômés décidaient de ne pas s'inscrire à l'Ordre des médecins.
Entre 2017 et 2022, on compte 11 % de médecins généralistes en moins. Ce chiffre est de 17 % pour les gynécologues, 19 % pour les dermatologues, et 6 % pour les psychiatres. La santé mentale a été érigée en priorité de l'action gouvernementale : avec quels moyens ?
Il faut tenir compte de l'évolution des pratiques médicales, des mutations de la société, et des besoins des territoires, et mettre en oeuvre une politique budgétaire appropriée. Décréter un chiffre serait trop simple, il faut aussi des moyens.
Or les capacités des universités sont contraintes : elles manquent de moyens matériels et d'enseignants. On compte un enseignant pour 86 étudiants en médecine générale, contre un pour 10 dans les autres spécialités. Il faut donc augmenter les moyens des universités.
Il faut aussi augmenter et diversifier les lieux de stage de médecine, notamment en zone sous-dense, former plus de maîtres de stage universitaires, voire obliger tout nouvel installé à devenir maître de stage universitaire.
Selon la Drees, l'origine sociale des médecins est un facteur déterminant de leur lieu d'installation : s'il est originaire d'un milieu rural ou qu'il y a été scolarisé, le médecin a deux fois plus de chance de s'y installer.
La région Occitanie a créé dès le lycée une spécialité santé : cette initiative mériterait d'être généralisée. Des antennes universitaires délocalisées peuvent aussi être déployées. À Nevers, une trentaine d'étudiants suivent à distance leurs études de médecine.
La France souffre aussi d'une pénurie d'infirmiers et d'aides-soignants, liée à la dureté des conditions de travail. Quelque 200 000 infirmiers diplômés n'exercent plus et 25 % des élèves infirmiers abandonnent leurs études. On compte seulement 630 000 infirmiers en exercice...
La Dares prévoit que le métier d'aide-soignant est celui qui verra ses besoins en recrutement augmenter le plus fortement d'ici à 2030, or le nombre de jeunes diplômés couvrira moins des deux tiers des besoins.
Nous devons former plus de soignants, mais travailler aussi sur l'organisation de l'exercice médical, notamment en équipes de soins pluriprofessionnelles de premier recours, pour mettre fin aux inégalités.
Face à cette situation, que les Français vivent comme un déclassement, faire appel aux médecins retraités ne suffira pas. Ils sont déjà 15 000 à exercer au-delà de l'âge légal de la retraite.
Investissons dans l'avenir et dans l'humain !
Comptez-vous mettre en place ces équipes pluridisciplinaires de premier recours ?
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Un plan a été lancé en 2023 pour trouver des médecins traitants pour 240 000 patients en ALD. Il reste du travail - 472 000 patients sont encore sans médecin traitant - , mais les choses avancent.
L'exercice pluridisciplinaire permet d'attirer des confrères. Travailler ensemble, ce n'est pas la même chose que de travailler en solitaire.
Nous faisons du soin, mais pas assez de prévention : primaire, sur les modes de vie, comme secondaire, pour les malades. Cela peut être développé dans les maisons pluridisciplinaires, notamment grâce aux infirmiers en pratique avancée. C'est un objectif pour les années à venir.
Mme Émilienne Poumirol. - Seulement 3 % du budget de la sécurité sociale est consacré à la prévention ; cela montre que nous sommes restés axés depuis trop longtemps sur le seul curatif.
Le travail conjoint entre les professionnels de santé - aides-soignants, kinés, dentistes, pharmaciens - est très important. C'est attractif pour le jeune médecin qui souhaite s'installer.
Y a-t-il une solution simple à un problème si complexe ? Je ne le crois pas...
M. Bruno Rojouan . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Former davantage de médecins ? C'est nécessaire. Davantage de soignants ? Plus encore. Mais comment faire en sorte qu'ils s'installent dans les territoires qui en ont le plus besoin ? Comment utiliser leur formation comme un levier de résorption des inégalités territoriales d'accès aux soins ?
Rapporteur d'une mission d'information sur les disparités territoriales de l'accès aux soins, j'ai entendu récemment nombre de propositions : faire évoluer la sélection des médecins pour favoriser les étudiants issus de zones sous-dotées, comme la ruralité ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Or ces étudiants sont les plus enclins à s'y installer. Pourquoi ne pas définir des taux minimaux d'étudiants issus de ces territoires, comme c'est déjà le cas pour les boursiers ? Ce serait plus efficace que le très cher CESP, dont les résultats sont insuffisants.
Par ailleurs, il faut mener un choc de territorialisation de la formation. Les professionnels de santé s'installent souvent à proximité du lieu de leurs études. Lançons donc un plan d'urgence pour ouvrir de nouvelles antennes de faculté de médecine, sur le modèle de ce qui a été déployé en odontologie en 2021, qui a déjà porté ses fruits. Ce même modèle doit s'appliquer aux stages, trop CHU-centrés. Ceux-ci doivent s'exercer en médecine de ville, notamment au sein des maisons de santé. Faire venir les jeunes dans les territoires sous-dotés est l'une des clefs. Un tel changement de logiciel suppose d'instaurer des indemnités de logement et de déplacement suffisantes.
Enfin, il faut lever le tabou de la régulation des installations. La situation actuelle est le résultat de décennies d'incitations financières. Or le bilan est sans appel, avec un accroissement des inégalités et 6 millions de Français sans médecin traitant. Cessons de gaspiller l'argent public !
Une régulation pourrait être instaurée pour les étudiants à l'issue de leur formation. Je suis favorable à de telles évolutions. La profession pourrait prendre des décisions de régulation ; le législateur n'interviendrait qu'en dernier ressort.
Madame la ministre, comptez-vous soumettre les études de santé à un véritable choc ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Oui, nous devons évoluer. Certaines universités prônent déjà des évolutions : je suis profondément convaincue de l'importance des stages dans les territoires. Il faut amplifier ce dispositif ; travaillons sur ce sujet avec le ministre de l'enseignement supérieur.
L'important est de sortir des CHU, au profit de stages en maison de santé, dans des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), continuons à former des maîtres de stage - 25 % en plus ont été formés récemment. Ne soyons pas « empêchants », si je puis dire, mais des « facilitants » ! Je ne puis qu'être d'accord avec ce que vous avez proposé.
Les chirurgiens-dentistes ont fait des propositions en matière d'installation. Incitons les professionnels à se les approprier.
M. Bruno Rojouan. - J'apprécie vos propos, madame la ministre. Mais vos réponses relèvent du moyen voire du long terme. Or les Français attendent une réponse immédiate. Dans les territoires, deux professions sont encore très présentes : les infirmiers et les pharmaciens. Déléguez-leur donc plus de compétences, en attendant d'avoir plus de médecins.
Mme Brigitte Devésa . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.) Nul doute, notre pays est confronté à une crise aiguë : le manque de médecins. Dans les territoires ruraux ou les quartiers populaires, l'accès à un médecin relève du parcours du combattant : il faut attendre plusieurs semaines pour voir un généraliste, plusieurs mois pour un spécialiste.
Le législateur a pris conscience de l'ampleur de cette crise, et a supprimé en 2019 le numerus clausus, qui étouffait l'offre médicale en France. Nous avons donc mis en place un numerus apertus, réforme dont les effets ne seront constatés que dans plusieurs années - former un médecin prend du temps.
À court terme, le Gouvernement a délégué de plus en plus de tâches aux autres professionnels de santé, comme l'administration de vaccins par les infirmiers ou le renouvellement d'ordonnances par les pharmaciens pour les maladies chroniques, notamment. Attention, tout de même : on peut déléguer, mais cela ne doit pas mordre sur le temps médical. Poser un diagnostic est une compétence qui ne se délègue pas. (Mme Marie Mercier renchérit.)
De plus, les infirmiers et les aides-soignants sont eux-mêmes en sous-effectif et épuisés ; leur charge de travail s'alourdit considérablement. Cela pourrait nuire à la qualité des soins qu'ils prodiguent. Nous ne pouvons faire peser tout le poids de la crise sur les épaules des soignants. Certes, cette solution permet de tenir dans l'immédiat, mais il faut trouver d'autres solutions.
Nous devons ainsi former davantage de médecins. Se pose néanmoins la question du nombre de places disponibles dans les facultés de médecine : le numerus apertus vise à ce que le nombre d'étudiants admis soit cohérent avec la capacité d'accueil de chaque faculté. Pour accueillir plus d'étudiants, il faudrait plus de moyens ; or la situation de nos finances publiques ne semble pas nous le permettre.
La médecine est un art qui se transmet. Or, sous l'effet des départs à la retraite, le nombre de médecins expérimentés diminue. Comment réussir à former en nombre suffisant une nouvelle génération de médecins compétents ?
Madame la ministre, ce Gouvernement aura une double responsabilité : à long terme, trouver les moyens humains et financiers pour former une nouvelle génération de soignants, et, à court terme, imaginer des solutions innovantes pour répondre dès maintenant au manque de médecins. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - Oui, nous manquons de médecins et aussi d'infirmiers, même si beaucoup ont été formés ces dernières années ; ce métier redevient attractif dans les hôpitaux (Mme Anne-Sophie Romagny en doute.)
L'autre problème, c'est l'organisation territoriale. Il faut des médecins pour poser les diagnostics, mais la complémentarité entre médecins, infirmiers et aides-soignants est nécessaire. Pouvoir évoluer en tant qu'aide-soignant vers le métier d'infirmier, d'infirmier vers des pratiques avancées - et pourquoi pas reprendre des études de médecine - voilà ce qui garantit également l'attractivité de ces professions !
Certains territoires connaissent des difficultés, mais les organisations locales construites avec les élus sont remarquables, notamment pour régler la question des soins non programmés. En Creuse, l'association Médecins solidaires réalise un travail formidable : chaque semaine, un médecin différent s'y déplace.
Restons toutefois modestes, les ressources humaines manquent.
Mme Brigitte Devésa. - Le problème des soignants ne date pas d'hier. Cessons d'en parler et passons aux actes ! Je compte sur vous, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Anne Ventalon . (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La formation des soignants est une préoccupation phare de notre société ; les maux dont souffre le corps médical sont bien connus. C'est une ALD qui perdure au sein de notre société. Pourtant, les prémisses d'une rémission se dessinent : 1 672 médecins supplémentaires sont entrés en fonction en 2024, soit une augmentation de 0,8 % par rapport à 2023. Pourtant, les déserts médicaux progressent. Dans mon département, l'Ardèche, 35 000 personnes n'ont pas accès à un médecin traitant.
La catastrophe quotidienne aurait pu être évitée, si tout d'abord le numerus clausus avait été supprimé plus tôt ! Nous savons que les effets de la réforme du numerus apertus ne se feront pas sentir avant 2030, date de la fin des études de la première promotion. Elle aurait pu être évitée, ensuite, si notre offre de soins n'était pas centrée sur l'hôpital : cela accroît une répartition inégale de l'offre sur le territoire. Face à ce fléau qui gangrène nos communes, les élus locaux ont été inventifs, avec la création de maisons de santé pluriprofessionnelles ou le recrutement de personnel déchargeant les médecins de tâches administratives, notamment.
Malheureusement, ces dispositifs ne suffisent pas à régler le problème. Écouter les propositions de la Haute Assemblée aurait permis un gain de temps considérable. Le 18 octobre 2022, nous avons adopté la proposition de loi de Bruno Retailleau visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale.
Ce texte visait à créer une quatrième année d'internat, pour inciter les jeunes médecins à effectuer leur dernière année de formation dans des zones sous-dotées, en cabinet médical, en maisons de santé, avec une rémunération à l'acte. Quoique dénaturée, la mesure a été retenue dans le PLFSS 2022, et la première promotion a fait sa rentrée en 2023. Quel bilan en tirer, madame la ministre ? Comment assurer le déploiement rapide des assistants médicaux, des 2 000 nouvelles maisons de santé et des bus santé promis par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. - La création de cette quatrième année a pour objectif d'inciter les jeunes médecins à exercer dans des territoires en difficulté - c'est l'une des solutions. Il faut des maîtres de stage pour former les internes - on en compte 25 % de plus, je l'ai déjà dit -, mais il faut faire encore davantage, pour développer les possibilités d'accueil de jeunes dans tous les territoires.
D'autres solutions ont été avancées : des infirmiers en pratique avancée, la télémédecine... Aussi longtemps que nous n'aurons pas davantage de médecins sur le terrain, au moins jusqu'en 2030, nous rencontrerons des difficultés.
Aidons les élus locaux, qui sont très inventifs : accompagnons les maisons de santé et augmentons le nombre de professionnels de santé qui y exercent.
M. le président. - Je vous invite à conclure le débat, madame la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins . - Notre débat, très intéressant, traduit l'inquiétude qui émane de nos territoires : quand vous parlez des déserts médicaux, je sais de quoi vous parlez, je viens d'un territoire rural, mais il en existe aussi dans les zones urbaines. Le sujet est vaste et varié.
La France est confrontée à la raréfaction des ressources humaines médicales et non médicales. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il manquera 10 millions de professionnels de santé à l'horizon 2030, car les besoins de santé seront supérieurs à l'offre ; en outre, la répartition des professionnels entre les différents offreurs de soins n'est pas équitable.
Toutefois, nous constatons des signes encourageants ces derniers temps en France. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), l'attractivité des métiers hospitaliers a augmenté en 2023, ce qui signifie que l'amélioration des conditions de travail a porté ses fruits. Ainsi, le taux d'absentéisme s'élève à 9,5 %, contre 11,1 % en 2022.
Les métiers de la santé ont été les plus demandés sur Parcoursup en 2024. Afin de répondre aux besoins de nos concitoyens, le Gouvernement a augmenté les places disponibles en formation. La suppression du numerus clausus en 2021, remplacé par le numerus apertus, a conduit à l'augmentation considérable du nombre d'étudiants en médecine, au nombre de 11 000 chaque année. Pour l'odontologie, la progression est de 15 %, pour les infirmiers et les aides-soignants, le nombre de places offertes a augmenté de 20 % depuis 2019.
L'effet de ces mesures prend du temps à se faire sentir, car la durée des formations médicales est longue.
Nous devons repenser notre système de santé à partir des métiers ; la refondation du métier d'infirmier est à cet égard une priorité, un projet de loi sera prochainement examiné par le Parlement.
Les métiers et les organisations sont en pleine évolution. Je sais pouvoir compter sur vous pour accompagner ces changements. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Céline Brulin, pour le groupe CRCE-K . - Des pistes et chantiers méritent d'être ouverts à l'issue de ce débat. Nous sommes quasiment unanimes sur l'ensemble des travées : il faut fournir un effort important en matière de formation des médecins.
Madame la ministre, pour le Gouvernement actuel, en recherche permanente de majorité, voilà une majorité toute trouvée !
Certains disaient que si le système de santé était mieux organisé, nous y arriverions mieux. Certes, mais nous devons lancer un chantier de formation. Nous ne sommes pas encore au niveau de l'effort nécessaire, en dépit de la suppression du numerus clausus.
Les professionnels de santé doivent venir de toute la société et de tous les territoires - c'est ce que j'appelle la démocratisation. Or les étudiants sont toujours issus des mêmes catégories sociales. Là encore, nous ne sommes pas au niveau de l'effort nécessaire. Pourtant, les jeunes sont intéressés par ces formations - sur ce point, je vous rejoins, madame la ministre.
En revanche, la situation n'est pas le fruit d'un impensé, comme vous l'avez dit, mais de la théorie selon laquelle la baisse du nombre de médecins diminuerait les dépenses de santé ! (Mme Émilienne Poumirol applaudit ; Mme Anne-Sophie Romagny renchérit.) Aujourd'hui, nous devons dire avec force que non, il n'en est rien.
Nous ne pouvons pas pousser les murs de nos universités, nous disent nos rapporteurs généraux. Pourtant, c'est ce que nous devons faire. La politique de santé du pays ne saurait être guidée par le nombre d'offres de stages et par la superficie des universités. Nous le rappellerons à votre homologue de l'enseignement supérieur, car c'est une responsabilité partagée.
Nous n'avons pas évoqué la médecine scolaire, les soins palliatifs, la médecine du travail, autant de domaines sinistrés. Toutes les propositions méritent d'être creusées.
Sur les docteurs juniors, j'émets un bémol : on ne peut demander uniquement aux jeunes d'aller dans les territoires difficiles. C'est la même chose dans l'éducation nationale ; pourtant, les plus expérimentés devraient parfois être sollicités. Il faut aller vers une régulation de l'installation. Il ne faut pas seulement plus de médecins, mais aussi en avoir là où nous en avons besoin ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
La séance est suspendue à 20 h 05.
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
La séance reprend à 21 h 35.