Crise agricole
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la crise agricole, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce n'est un secret pour personne, l'année 2023 a été plutôt favorable pour les agriculteurs : les cours des céréales, du lait et, dans une moindre mesure, de la viande, ont été élevés. Pourtant, c'est à ce moment-là que les agriculteurs se sont révoltés, qu'ils ont retourné les panneaux d'entrée de ville pour nous dire qu'on marchait sur la tête. Pourquoi une telle révolte ? L'épidémie de maladie hémorragique épizootique (MHE), les retards des versements des aides de la PAC peuvent l'expliquer, entre autres.
Tocqueville l'a écrit dans L'Ancien Régime et la Révolution, le mécontentement éclate dans les périodes prospères : « Ce n'est pas toujours en allant de mal en pis que l'on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu'un peuple qui avait supporté sans se plaindre, et comme s'il ne les sentait pas, les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s'en allège. »
Les économistes savent que la crise n'est pas le point bas, mais le point haut ; c'est le retournement, le point de bascule.
L'année agricole qui s'achève a été calamiteuse, et même l'une des plus mauvaises depuis plusieurs décennies : par exemple, le rendement moyen du blé tendre a été inférieur à 17 %. Sans la PAC, nos céréaliers auraient enregistré des pertes de 550 euros par hectare. La pression sur la viticulture s'est encore accentuée.
La multiplication des crises sanitaires, comme la MHE, la fièvre catarrhale ovine (FCO) ou l'influenza aviaire, entraîne des pertes indirectes et directes. Sans oublier l'abandon de certains producteurs de lait par Lactalis.
Si l'on suit l'adage de Tocqueville, il n'y aura peut-être pas de révolte agricole cet hiver. Peut-être... Mais est-ce une raison pour oublier les revendications des agriculteurs et les engagements pris l'hiver dernier ? Résolument, non !
La Commission européenne et les États membres ont temporisé à juste titre sur le Pacte vert ; le groupe de suivi sur la réforme de la PAC a salué cette décision dans une résolution adoptée le 9 avril dernier.
Mais, selon un principe bien connu, c'est à la fin de la foire que l'on fait le décompte. Or il reste beaucoup à faire.
Je citerai quatre chantiers. Le premier concerne les prêts garantis. Alors que les taux d'intérêt sont désormais élevés, cette mesure est prioritaire pour l'agriculture.
Le deuxième chantier a trait à la réflexion lancée par le Gouvernement sur la mise à jour des lois Egalim. Il est nécessaire d'apporter une réponse ; avec Anne-Catherine Loisier, nous travaillons à des propositions en la matière.
Le troisième chantier est celui de la pause sur les normes, comme l'a annoncé Michel Barnier. En février dernier, nous avions organisé un débat sur l'avenir de notre modèle agricole. Avec tous ces carcans administratifs, une vache n'y retrouverait pas son veau ! Le Premier ministre n'est pas le premier à promettre une pause, salutaire au demeurant. Ce ne sont pas les normes qui font pousser les choux ou les céréales, nourrissent les vaches ou remplissent les assiettes des Français !
M. Vincent Louault. - Bravo !
M. Daniel Gremillet. - Je regrette que la proposition de règlement sur les nouvelles techniques génomiques n'ait pu aboutir avant le début de la présidence hongroise de l'Union européenne ; nous plaidions pourtant d'agir en ce sens dans une résolution adoptée par la commission des affaires européennes le 20 mars dernier. C'est la dernière chance pour préserver l'indépendance des semenciers dans notre pays !
Lors du débat de février, je soulignais l'importance d'octroyer des perspectives à l'agriculture française. Il faut redonner confiance en l'avenir aux jeunes, leur redonner l'esprit d'entreprendre. Ainsi, nous garantirons la souveraineté alimentaire de la France et l'assurance de bien vivre dans nos territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. - Bienvenue au Sénat, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.) Ce n'est pas sans émotion que je monte pour la première fois à la tribune du Sénat. Je remercie Daniel Gremillet de ses propos, ainsi que l'ensemble des sénateurs de cette invitation à débattre de la crise agricole et de la ferme France. Le Sénat a envoyé un signal fort au monde agricole. Votre assemblée joue encore une fois son rôle de lanceur d'alerte !
La chambre haute a toujours visé juste sur le sort des territoires et sur la condition des hommes et des femmes qui les façonnent. Élue de terrain moi-même, je souhaite travailler - si j'ose dire, selon une méthode sénatoriale - avec les élus locaux, les députés et vous-mêmes. C'est un véritable pacte de travail que je vous propose aujourd'hui.
J'ai été frappée à mon arrivée par la crise que connaissent toutes les filières agricoles : grandes cultures, élevage, viticulture, industries agroalimentaires, tous souffrent. En outre, les agriculteurs ont le sentiment que les promesses de l'hiver dernier n'ont pas encore été tenues.
Avec le Premier ministre, nous avons souhaité agir immédiatement. Nous avons apporté des garanties pour accélérer l'indemnisation des éleveurs. Pour la viticulture, j'ai obtenu que l'Union européenne valide un dispositif d'arrachage, à hauteur de 120 millions d'euros.
Je travaille sans relâche pour trouver des réponses aux problèmes de trésorerie des agriculteurs et veillerai à ce que les engagements pris l'hiver dernier soient tenus dans le cadre du projet de loi de finances.
Sortir l'agriculture de la crise, c'est aussi lui donner un cap pour attirer les jeunes vers ces métiers.
Nous connaissons les grands défis de l'agriculture, notamment grâce aux travaux parlementaires. Le renouvellement des générations, tout d'abord. Près d'un agriculteur sur deux a plus de 55 ans, le nombre d'exploitations continue de décroître. En cause : le revenu, la surcharge administrative, le manque de considération.
S'agissant du revenu, nous reprendrons les réflexions sur l'évolution du cadre d'Egalim. Avec Laurence Garnier, nous étudions la meilleure façon d'y travailler avec vous, en lien avec votre groupe de suivi.
Ma mission est que l'exploitant agricole, chef d'entreprise, passe plus de temps dans les champs que devant un ordinateur. L'heure est à la pause sur les normes, comme l'a annoncé le Premier ministre. Il faut aussi remettre du bon sens dans la réglementation. Comment expliquer à un agriculteur qu'il ne peut entreprendre de travaux d'épandage au-delà d'une date fixée à Paris, alors qu'il pleut depuis des semaines ?
Ce Gouvernement a pour philosophie d'apporter des solutions rapides aux problèmes concrets.
Il est primordial de rappeler que l'agriculture est d'intérêt général majeur et que la souveraineté alimentaire de la nation contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux - comme le Sénat avait souhaité l'inscrire dans la loi dès 2023. L'Assemblée nationale a enrichi et adopté cette proposition dans le projet de loi d'orientation agricole (LOA) qui, sans résoudre tous les problèmes, comporte des avancées essentielles. Aussi, je propose qu'il soit examiné très rapidement par le Sénat, dont les travaux sont ancrés dans la réalité du terrain. Ce texte pourra être complété, le cas échéant sur votre proposition. Je suis prête à y travailler avec vous.
Nous devons aussi répondre aux défis du temps long, penser l'agriculture de demain à l'heure du changement climatique, avec nos voisins européens.
En matière de souveraineté alimentaire, l'année 2025 sera très mauvaise pour les exports, notamment pour le lait et le cognac (M. Daniel Laurent le confirme), tandis que les Français consomment des produits importés sans même le savoir. Nous devrons lutter contre les distorsions de concurrence subies par nos producteurs. Je défendrai le projet européen de clauses miroirs, qui suppose une action internationale résolue. M. Gremillet a évoqué les nouvelles techniques génomiques ; il faudra y revenir. Michel Barnier est un parfait connaisseur des arcanes européens, ce qui sera précieux.
Ma porte sera toujours ouverte à quiconque souhaite faire progresser notre agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)
M. Vincent Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nos paysans, qui ont manifesté en début d'année, vont aujourd'hui encore plus mal. Nous avons un besoin urgent de trésorerie. J'espère à tout le moins que le paiement des acomptes de la PAC sera au rendez-vous le 15 octobre.
Mais la crise est structurelle, comme l'a montré le rapport Duplomb sur la compétitivité de la ferme France. Fiscalité, main-d'oeuvre et surréglementation doivent être adaptées, sinon il faudra augmenter les aides directes européennes.
L'Union européenne est bien naïve : elle troque la préférence communautaire contre des importations à prix bas et aux OGM. Elle a signé un accord de quasi libre-échange avec l'Ukraine, sans droits de douane ni clauses miroirs. Et il est question de signer le Mercosur avant la fin de l'année ! La France aurait-elle changé de position depuis les propos du Président de la République et du Premier ministre en début d'année ? Allez-vous enfin renverser la table et sauver la souveraineté agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Daniel Gremillet applaudit également.)
Mme Annie Genevard, ministre. - Le paiement des avances de la PAC est attendu au 16 octobre. Mon directeur de cabinet fait un point précis chaque semaine, nous n'avons aucune alerte à cette heure. Je mets un point d'honneur à ce que l'échéance soit respectée. Les derniers arrêtés ont été publiés ce matin. Les montants unitaires sont supérieurs ou égaux à ceux versés à la même date en 2023, avec un léger effet de vases communicants entre aides découplées. Le taux d'avance sera porté à 70 % pour le premier pilier et à 85 % pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), soit le maximum permis par la réglementation européenne.
L'ouverture du marché européen à l'Ukraine a affecté les filières du blé, de la volaille et du sucre, avec l'importation de produits ne respectant pas les standards européens. L'accord a été reconduit jusqu'à juin 2025. Un accord de libre-échange est en cours de négociation, intégrant les exigences sanitaires. Il n'y aura pas de réouverture du marché européen sans respect de standards européens. Il s'agit de faire de l'origine un facteur de différenciation visible de nos produits.
L'Union européenne et le Mercosur ont conclu un accord de principe en 2019 mais il n'a jamais été ratifié, et la France n'y est pas pour rien. Mon groupe politique a toujours dénoncé cet accord, et je n'ai pas changé d'avis. Nous continuerons à défendre les clauses miroirs.
M. Vincent Louault. - La souveraineté agricole n'est pas la souveraineté alimentaire, qui tient compte des importations. J'insisterai sur cette notion cruciale lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
Mme Annie Genevard, ministre. - J'entends. Une ancienne présidente de formation syndicale me disait qu'on la regardait avec des yeux éberlués à Bruxelles lorsqu'elle évoquait la souveraineté alimentaire, perçue comme un repli nationaliste. Aujourd'hui, la France n'est plus autosuffisante, or l'alimentation est devenue une arme, on l'a vu avec le conflit russo-ukrainien. Cette souveraineté est nécessaire pour nos producteurs. Et nous n'avons d'ailleurs jamais cessé de défendre la notion de production dans la LOA.
M. Vincent Louault. - Le projet de LOA, élaboré par les conseillers de l'Élysée plus que par Marc Fesneau, ne promouvait pas la production. Nous ne lâcherons pas, car les agriculteurs sont écoeurés de voir les vendeurs de tracteurs ou de phytosanitaires s'enrichir, et d'être les seuls couillons de l'histoire. Moi-même agriculteur, je comprends leur résignation. Ils n'ont même plus envie de manifester, tant ils sont dégoûtés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La rentrée agricole se fait sous haute tension. Situation sanitaire, système assurantiel, prix du fermage, attractivité du métier... Les annonces du précédent Gouvernement à l'issue des mobilisations du monde agricole n'ont pas eu l'effet escompté et la situation pourrait empirer. Au sommet de Cournon, la semaine dernière, nous avons constaté les difficultés de l'élevage, confronté à la FCO et MHE. Vous avez pris le dossier en main.
Le retard pris par l'Agence de services et de paiement (ASP) se répercute sur le paiement des acomptes des aides de la PAC. En Aveyron, entre 300 et 400 exploitations sont concernées. Allez-vous faire en sorte que les délais soient tenus ?
Nous devons avoir de l'ambition pour l'agriculture française. Notre souveraineté alimentaire, notre compétitivité sont en jeu. Il y a urgence à reprendre le projet de loi d'orientation agricole et à fixer un cap et une stratégie de production. Quelles en seront les lignes directrices ?
Enfin, je plaide pour que les bâtiments agricoles soient sortis de la nomenclature des surfaces artificialisées, dans le cadre du ZAN.
M. Vincent Louault. - Bravo !
Mme Annie Genevard, ministre. - Je mets un point d'honneur à ce que les aides de la PAC soient versées dans les temps. S'il y a une difficulté en Aveyron, nous nous y pencherons et reviendrons vers vous.
Je mesure les contraintes qui pèsent sur l'activité agricole. L'exercice du métier d'agriculteur est devenu très compliqué, au point que certains en viennent à douter de son sens même.
Il est évident que l'alourdissement des contraintes et la surtransposition attentent à la compétitivité des entreprises agricoles.
Vous demandez une dérogation au ZAN pour les bâtiments agricoles. J'y suis ouverte, ayant souvent entendu cette demande de la part d'agriculteurs empêchés dans leurs projets de construction. Nous avons un peu de temps pour traiter de cette question complexe mais légitime.
M. Bernard Buis . - Depuis la fin de l'été, la FCO gagne du terrain. Dans la Drôme, plus de 300 exploitations sont touchées, et la mortalité des ovins atteint 25 à 30 %. Il faudra deux à trois ans pour reconstituer les cheptels.
À Cournon, le Premier ministre a annoncé 75 millions d'euros pour faire face à la FCO de sérotype 3, et vous avez annoncé la commande de 11,7 millions de doses de vaccins, pour vacciner 40 % des bovins et 100 % des ovins, ainsi que la prise en charge financière par l'État de la vaccination, ouverte à toute la France. Selon quel calendrier ? Quid du remboursement des vaccins contre la FCO de sérotype 8 ? D'autres mesures collectives européennes sont-elles prévues ?
Il faudrait également garantir le maintien des aides PAC, de l'ICHN et des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), souvent liés au nombre d'agneaux vendus.
Des prêts garantis de l'État seront-ils accordés aux éleveurs pour les aider à reconstituer les cheptels ?
Enfin, il faudra tirer les enseignements de cette crise pour éviter que certains dysfonctionnements ne se reproduisent.
Mme Annie Genevard, ministre. - La FCO est une maladie vectorielle émergente, si elle est de sérotype 3, et endémique, si elle est de sérotype 8. Si le virus est émergent, l'État finance ; s'il est endémique, c'est à la charge des éleveurs - sachant que le sérotype 8 est mutant...
La filière ovine subit un cataclysme, avec un taux de mortalité considérable. Les éleveurs sont au désespoir. La décapitalisation est brutale et pose des problèmes d'équarrissage. Si l'on y ajoute la prédation du loup, c'est l'apocalypse.
Nous disposons de vaccins suffisants pour couvrir la totalité des ovins et une partie des bovins, et j'ai demandé au Premier ministre un fonds d'urgence, car les revenus s'effondrent. Il n'y aura pas de réfaction des aides européennes.
S'agissant de la FCO 8, nous n'avons pas de vaccins disponibles. Le laboratoire français susceptible d'en fournir ne sera pas prêt avant juin 2025 et les laboratoires espagnols n'arrivent déjà pas à répondre à la demande en Espagne... Cette question doit être traitée au niveau européen. Les maladies vectorielles se rient des frontières.
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Quelle agriculture voulons-nous pour demain ? Cette question recouvre des enjeux environnementaux, économiques, fonciers, sanitaires, de renouvellement des générations et d'attractivité du métier.
La profession est en danger, tant la lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et affaiblit notre compétitivité. Alors que les charges sociales et les normes environnementales sont plus lourdes qu'ailleurs, les crises, sanitaires, climatiques ou politiques, se succèdent.
Les agriculteurs sont à bout de souffle, à bout de forces. Prédations et épidémies affaiblissent les éleveurs, les rendements des céréaliers sont très faibles cette année, les vendanges catastrophiques.
Le RDSE place l'agriculture au coeur de la ruralité et ne veut pas baisser les bras. Des solutions existent, à commencer par les paiements pour services environnementaux, qui encouragent les agriculteurs à adopter des pratiques vertueuses. Avez-vous prévu des mesures en ce sens dans la future loi d'orientation, qui manque encore de vision stratégique ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Annie Genevard, ministre. - Je veux d'abord vous féliciter pour votre rapport sur les suicides dans l'agriculture.
Je suis très favorable à ce qu'on valorise mieux les externalités positives de l'agriculture : stockage du carbone dans les sols, préservation de la biodiversité, aménagement du territoire, entre autres. Attention toutefois à ne pas réduire les aides au revenu de la PAC.
Le projet de loi d'orientation agricole reconnaît, dans son article 1er, ces externalités positives. Je veillerai à ce que cela demeure.
Il n'y a pas forcément besoin de la loi : des paiements pour services environnementaux peuvent être déployés par des collectivités ou les agences de l'eau. Il faut faciliter ce déploiement. Mon ministère pourra y travailler, y compris avec le sénateur Montaugé.
J'ai beaucoup travaillé sur le sujet de la prédation dans le cadre de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). La semaine dernière, les États membres de l'Union se sont accordés pour un affaiblissement du niveau de protection du loup - ce qui ne signifie nullement son éradication.
Nous travaillons avec la filière viti-vinicole. La ruralité qui ne baisse pas les bras, c'est celle que je connais, que j'aime et que je défends.
M. Henri Cabanel. - Il faut coconstruire la stratégie avec les filières, car les agriculteurs ont besoin de vision de long terme, non d'une nouvelle loi à chaque nouveau gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Le projet de loi est pendant : ce n'est pas une nouvelle loi. J'espère qu'elle prospérera au Sénat.
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Après la météo catastrophique, la propagation de la FCO est un nouveau coup dur pour les agriculteurs. Vingt-deux territoires sont concernés. Le 4 octobre, dans la Meuse, on comptait 507 foyers, contre 188 quinze jours avant. Les conséquences sont dramatiques : pertes directes d'animaux, pertes indirectes de production, frais vétérinaires mettent en péril les exploitations.
Les éleveurs se sont sentis démunis face au manque d'anticipation, tant européen que national. Les réponses apportées par le Gouvernement lors du sommet de l'élevage vont dans le bon sens. Nos agriculteurs doivent être soutenus pour faire face aux surcoûts et reconstituer leurs cheptels. Quelles mesures prendrez-vous et dans quelle temporalité ? Quelles leçons tirer du manque de coordination européenne ? Comment expliquer le retard de la réponse vaccinale française face à une maladie connue et à la propagation fulgurante ?
Mme Annie Genevard, ministre. - À Cournon, le Gouvernement a annoncé la vaccination contre la FCO 3 pour les ovins et bovins, dans la France entière. Pour la MHE, nous avons retenu la stratégie du cordon sanitaire - qui peut bouger en fonction de l'évolution de l'infection.
Le Premier ministre a annoncé un fonds d'urgence de 75 millions d'euros pour indemniser les éleveurs touchés par la FCO 3. Pour la FCO 8, nous ouvrons le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) jusqu'à la fin de l'année.
J'ai souhaité l'instauration d'un comité de suivi des besoins, auquel participent la direction générale de l'alimentation (DGAL), celle de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), les directions régionales et interdépartementales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Driaaf) et mon cabinet. Pour bien calibrer la réponse, nous devons savoir sur quoi fonder nos calculs, a fortiori dans la situation budgétaire actuelle. Nous verrons s'il faut aller au-delà.
Oui, une stratégie européenne est indispensable. J'ai demandé que le sujet soit mis à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de l'agriculture de l'Union européenne.
M. Franck Menonville. - C'est en effet indispensable. Des moyens importants, y compris satellitaires, sont mobilisés pour contrôler nos agriculteurs : il en faut aussi pour anticiper les crises sanitaires et y réagir rapidement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Oui, il faut bien identifier l'apparition de la maladie. Les vaccins contre la FCO 3 ont été commandés début juillet, dès les premiers foyers. Un mois plus tard, on en comptait déjà 3 700. La croissance est exponentielle, d'où l'importance de capteurs de terrain efficaces.
Cette crise sanitaire ne date pas d'hier ! La FCO existait déjà en 2008, quand Michel Barnier était ministre de l'agriculture. On a connu la FCO 3, le sérotype 8 mutant, la MHE, on parle aujourd'hui du sérotype 1... Sans stratégie européenne d'anticipation et de prévention, nous sommes condamnés à courir après le virus !
Mme Marie-Claude Varaillas . - Les promesses du précédent gouvernement au monde agricole ont fait les frais de la dissolution. Durant l'été, nos agriculteurs ont subi de nombreux aléas : chute des récoltes de céréales de 23 %, réduction de la collecte de lait unilatérale décidée par Lactalis, baisse de la production viticole de 10 à 16 % par rapport à 2023, et jusqu'à 30 % dans le Gard... Confronté à trois épizooties, l'élevage traverse une crise profonde : la Dordogne a ainsi perdu 24 % de ses éleveurs en dix ans.
Si les récentes annonces sur la vaccination sont salutaires, il est urgent de repenser la gestion des risques et des aléas en agriculture.
Pour garantir la souveraineté alimentaire, il faut donner la priorité à l'approvisionnement des populations locales par des productions locales.
L'échec des lois Egalim impose de changer de logique. Seul un prix minimum d'entrée garantira un revenu digne pour nos paysans.
Les braises de la colère ne sont pas éteintes. Confirmez-vous que le budget de l'agriculture baissera de 9,5 % en autorisations d'engagement, soit 6,8 milliards d'euros, et de 4,5 % en crédits de paiement, soit 6,6 milliards ? Ce serait ouvrir la voie à l'extrême droite qui instrumentalise le désespoir du monde paysan. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Sebastien Pla applaudit également.)
Mme Annie Genevard, ministre. - Quand je vois les volumes d'eau qui tombent en ce moment, je pense aux producteurs de maïs, notamment. La baisse de rendement est réelle.
La perte de collecte de 450 millions de litres, soit 8 % du lait collecté par Lactalis, est une terrible nouvelle pour plus de 700 éleveurs. Cela va porter préjudice à la vie rurale. Je recevrai le dirigeant de Lactalis très prochainement.
La filière viticole a fait un gros travail d'analyse. Il y a les aléas climatiques, mais aussi les changements de consommation, le vieillissement de la profession... Le programme d'arrachage, demandé par la filière, a été validé au niveau européen pour 120 millions d'euros.
Les productions locales sont très importantes - l'élue de la terre du Comté ne dira pas le contraire ! - mais ne sauraient assurer seules l'autonomie alimentaire.
Sur le prix minimum, nous ne serons pas d'accord : le prix plancher peut être un plafond. Si c'est ce que vous entendez par prix minimum, nous avons là une différence d'approche stratégique. Il faut un prix juste.
Sur le budget, nous vous en dirons davantage jeudi prochain.
M. Daniel Salmon . - Le 25 septembre, Lactalis a annoncé réduire ses volumes de collecte de 450 millions de litres d'ici à 2030. Avec 300 exploitations concernées, c'est un plan social sans précédent pour la filière, un choc terrible pour les producteurs. L'opacité est totale. Quid des marges et valorisations de Lactalis ? De ses importations ? Quel message, alors que les agriculteurs se battent pour redynamiser le secteur et renouveler les générations !
En Bretagne, Lactalis abandonne les éleveurs bio, à moins qu'ils ne passent en conventionnel ; c'est un chantage difficile à avaler pour eux, qui sont engagés dans des pratiques vertueuses, qui ont adapté leurs prairies, leurs haies, pour, finalement, se faire jeter ! Où est l'humain ?
Il faut régulation publique des marchés, avec des prix rémunérateurs et une répartition des volumes. La stratégie mortifère de Lactalis, dictée par la soif du profit, est celle du marché mondialisé, cher à certains ici : moins-disant social et environnemental, mieux-disant fiscal ! Y apporterez-vous une réponse politique, pour instaurer enfin des règles justes et équitables ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Annie Genevard, ministre. - Le 27 septembre, coup de tonnerre : Lactalis annonce 450 millions de litres de collecte de lait en moins, soit 8 % de sa collecte totale, invoquant son exposition accrue à la volatilité des marchés extérieurs et une meilleure rémunération des producteurs : les prix, au détriment du volume. Cela signifie l'interruption ou le non-renouvellement du contrat et une perte sèche de production, alors même que le marché est porteur, qu'on a besoin de lait en France !
Je suis sensible à la dimension humaine. Pour les éleveurs, c'est une déflagration dans leur vie professionnelle, personnelle, familiale. Le soir même, j'appelais le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Un député m'a dit chercher des débouchés pour ses éleveurs lâchés par Lactalis. C'est l'état d'esprit de la FNPL : apporter un soutien individualisé. Nous serons à ses côtés.
M. Sebastien Pla . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Deux minutes, c'est peu pour dire la souffrance de la filière viticole. Dans l'Aude, j'entends tous les jours : « Dites-leur à Paris ce qui se passe ici ! Aidez-nous ! » Alors, écoutons-les.
Ludovic, qui qualifie l'arrachage de « plus grand plan social de l'histoire du Languedoc ». Frédéric, qui ne veut pas mettre fin à l'histoire de générations de vignerons. Maxime et Émilie, qui veulent « faire évoluer leur exploitation pour la rendre compétitive » - mais comment investir en période de crise ? Amandine, qui demande comment payer ses charges et ses emprunts quand « tout augmente, sauf le prix du vin ». Lilian, qui souligne que l'outil de production n'est utilisé qu'à moitié, mais amorti à taux plein.
Le destin climatique se joue chez nous, dans l'Aude et les Pyrénées Orientales. C'est pourquoi il faut une exception méditerranéenne. Il pleut moins à Leucate qu'au Sahara ! « Sans eau, pas de vigne, ni de vie », disent Roland et Annie. « La vigne est plus efficace que les canadairs contre les incendies », rappelle Philippe. La loi Evin, inadaptée, empêche Gérard de promouvoir ses vins sur les réseaux sociaux, comme le font ses concurrents américains.
La viticulture ne doit pas subir le sort de la sidérurgie. Ce que nous ne produirons plus en France le sera ailleurs. Sebastien, vigneron et sénateur, vous invite à venir dans l'Aude constater l'ampleur de la crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Annie Genevard, ministre. - Ce week-end, à Dijon, la France accueille le sommet mondial du vin. En même temps, la viticulture vit un drame, notamment dans votre département, qui manque cruellement d'eau. Je viendrai en Occitanie.
M. Sebastien Pla. - Dans l'Aude !
Mme Annie Genevard, ministre. - J'ai réuni les acteurs autour d'une table ronde. Arracher des vignes, c'est arracher quelque chose à notre terroir, à notre identité. Mais ce plan était demandé par la filière. Il y a surproduction et déconsommation. Les Français consomment le vin différemment : moins de rouge, plus de blanc, de rosé, de boissons alternatives. Or la France est peu présente sur l'entrée de gamme. Ces réalités s'imposent, tout comme le changement climatique.
Il faut aussi se battre pour l'arrachage temporaire, car on peut y revenir. Ce sera notre deuxième combat.
Des prêts bonifiés ont été mis en place pour les entreprises viticoles qui peinent à rembourser les prêts garantis par l'État (PGE) durant la crise sanitaire.
M. Daniel Laurent . - La filière viticole est en crise. La Chine menace nos exportations de cognac et d'armagnac, comme naguère la taxe Trump, dont le moratoire s'achève en 2026. Or nous apprenons que la Chine imposera dès le 11 octobre des droits additionnels de 35 % sur les spiritueux européens, notamment ceux que je viens de citer, en rétorsion aux surtaxes européennes sur ses véhicules électriques. Il est urgent de trouver une solution négociée pour sortir par le haut de ce blocage. Après la manifestation du 17 septembre, attendez-vous à d'autres mobilisations si rien n'est fait.
La filière viticole sollicite l'allègement des démarches administratives, l'alignement de la transmission sur le modèle du pacte Dutreil, l'application du principe « pas d'interdiction sans solution » pour les produits phytosanitaires...
M. Vincent Louault. - Bravo !
M. Daniel Laurent. - ... la révision de la moyenne olympique pour l'assurance climatique, une fiscalité permettant une consommation modérée mais accessible, la pérennisation du dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi) et une meilleure gestion des vignes en friche. Elle souhaite enfin que la France pèse dans la préparation de la prochaine PAC. Il y va de l'avenir et de la survie de notre viticulture ! (Applaudissements sur les travées sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Annie Genevard, ministre. - Je salue le président du groupe d'études Vigne et vin du Sénat !
Les mesures de rétorsion chinoises contre le cognac sont préoccupantes. J'espère comme vous l'ouverture de négociations, mais la France est devant un choix difficile, entre la préservation de sa filière automobile électrique et celle d'un des fleurons de son agriculture. On me dit en revanche que l'armagnac est moins exposé, car moins consommé en Chine.
Je recevrai les responsables de la filière lundi. L'interprofession réfléchit à des mesures pour anticiper l'impact d'éventuelles décisions chinoises, sachant que le marché chinois représente 40 % du chiffre d'affaires du cognac. Nous l'accompagnerons dans ces réflexions.
L'Union européenne a annoncé qu'elle contesterait la décision chinoise devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Mme Anne-Catherine Loisier . - Merci de votre engagement pour nos agriculteurs, madame la ministre.
Les défis intérieurs sont nombreux, les défis extérieurs aussi, à commencer par le Mercosur. Les négociateurs européens sont réunis en ce moment même à Brasilia pour tenter de finaliser l'accord avant le 18 novembre, date du G20 à Rio. La Commission a annoncé le report du règlement visant à lutter contre la déforestation importée, qui était l'un des principaux points de blocage. L'Allemagne a redit sa détermination à conclure l'accord, quelle que soit la position de la France.
Comment faire pour que cet accord ne soit pas conclu sans les fameuses clauses miroirs ? La France dispose en théorie d'un droit de veto, s'agissant d'un accord mixte. Or la Commission envisage de modifier ses règles, et a déjà soumis à majorité qualifiée l'approbation de l'accord Union européenne - Chili. Que comptez-vous répondre ?
Enfin, serez-vous prête à sanctionner les grosses centrales d'achat à l'étranger, comme Everest, qui ne respecteraient pas les lois Egalim ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
Mme Annie Genevard, ministre. - La France est hostile à la stratégie promue par le Green Deal, notamment la décapitalisation. L'agriculture doit être préservée de toute concurrence déloyale. Nous ne pouvons pas ignorer l'accord de Paris, ni accepter que nos agriculteurs se voient imposer des normes environnementales et sanitaires dont leurs concurrents seraient exemptés.
Il faut donc des clauses de sauvegarde pour protéger les filières qui risquent de pâtir de l'accord avec le Mercosur.
Nous travaillons avec l'Union européenne sur l'approbation des clauses miroirs, pour protéger consommateurs et producteurs. Nous avons recueilli l'accord de l'Allemagne, des Pays Bas, de l'Autriche et de l'Irlande. La France n'est pas isolée. Nous avons fait adopter un protocole annexe à l'accord qui, de fait, le bloque. Impossible de laisser entrer 90 000 tonnes de boeuf, 100 000 tonnes de volaille, 180 000 tonnes de sucre, qui ne respecteraient pas nos exigences.
M. Denis Bouad . - Mon département du Gard connaîtra en 2050 le climat de l'Andalousie. Si nous n'intégrons pas cette donnée dans la façon dont nous pensons notre agriculture, nous courons à la catastrophe !
Le Premier ministre a annoncé une grande conférence sur l'eau. Sans eau, pas d'agriculture, pas d'agriculteurs. Tous les acteurs doivent être associés à la définition d'une stratégie globale pour un usage raisonné et un juste partage de la ressource.
Le Gard connaît aussi bien les sécheresses que les inondations. Il faut pouvoir stocker l'eau quand elle est excédentaire.
Les aléas se multiplient, les pertes de récolte sont désormais la règle. Dès lors, le principe de la moyenne olympique fait perdre toute attractivité à l'assurance récolte. Il est urgent de réviser le référentiel.
Enfin, il faut reconnaître les spécificités de l'agriculture méditerranéenne - qui est axée vers la qualité mais qui demeure fragile - dans nos politiques publiques, via une révision de l'ICHN.
Quelles seront vos orientations sur ces trois sujets ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Sans eau, pas d'agriculture ni d'agriculteurs. Le changement climatique entraîne davantage de sécheresses et d'inondations.
Ma philosophie est simple : quand l'eau coule en abondance, il faut la capter pour la libérer quand elle manquera. C'est du bon sens. Avec les progrès technologiques, il sera possible demain d'irriguer avec moins d'eau, et de développer des plantes moins gourmandes en eau.
En 2022, 93 départements étaient concernés par des restrictions d'eau ; cette année, moins d'une trentaine. Les années ne se ressemblent pas, avec trop d'eau ou pas assez : ce n'est satisfaisant dans aucun des cas.
Voilà pourquoi l'État cherche à anticiper avec l'assurance récolte ; il veut plus de résilience et d'adaptation des filières et favoriser enfin l'accès raisonné à la ressource.
Explorons la piste de la réutilisation des eaux usées, technique que j'ai vue en Israël, et investissons dans l'hydraulique. Un fonds de 20 millions d'euros permet déjà de moderniser les équipements d'irrigation et de stockage.
Le Premier ministre a annoncé la tenue d'une conférence sur l'eau. Je serai à Avignon au salon Med'Agri, où il sera question de l'agriculture méditerranéenne, monsieur le sénateur !
M. Pierre Cuypers . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) La récolte céréalière désastreuse de 2024 a durement frappé les filières végétales. Les rendements sont historiquement bas, alors que nos agriculteurs sont fragilisés par l'inflation et pressurisés par la surtransposition. Ils ont perdu 25 à 50 % de leur production en cinq ans et subissent des pertes de 1 200 euros de l'hectare. La qualité des récoltes est aussi affectée, avec une baisse du taux de protéines et du poids spécifique des céréales.
Cela a des conséquences sur les organismes stockeurs, avec 300 millions d'euros de pertes pour les coopératives et le négoce ; pour les transformateurs, avec 100 millions de pertes pour les meuniers et 10 millions de pertes pour les semouliers, mais aussi des pertes pour les malteurs et les amidonniers ; pour les exportateurs et les transporteurs avec une baisse d'activité portuaire et routière de 60 %.
La baisse des volumes fragilise tout l'écosystème, notamment le financement des instituts comme Arvalis, et ralentit les actions collectives de recherche et développement. Enfin, cela a des conséquences directes pour les agriculteurs qui doivent faire face aux échéances de la Mutualité sociale agricole (MSA) et des impôts.
Le Gouvernement doit soutenir et protéger les agriculteurs, conserver notre compétitivité à l'export et renforcer la résilience de la filière face aux aléas climatiques, sous peine d'une crise frumentaire mettant en péril notre souveraineté alimentaire ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme Annie Genevard, ministre. - Vous connaissez parfaitement le sujet. Nous déclencherons l'assurance-récolte pour les grandes cultures, afin que tous les exploitants soient bien indemnisés. Avant la réforme de 2023, les grandes cultures ne bénéficiaient pas du régime des calamités agricoles.
Nous mettrons en oeuvre un dégrèvement d'office des taxes sur le foncier non bâti en cas de perte ; cela représente 4,8 millions d'euros pour la Seine-et-Marne.
Les caisses locales de la MSA pourront octroyer des reports de paiement de cotisations sociales et prendre en charge ces cotisations. Le taux d'avance des aides de la PAC sera rehaussé à 70 % au 16 octobre, soit le maximum autorisé par l'Union européenne ; cela représente un apport de trésorerie important.
Les organisations professionnelles agricoles ont imaginé un mécanisme de soutien intéressant : des prêts bancaires adossés à une garantie d'État. Nous en débattons avec les banques et Bercy, pour que le dispositif soit le plus simple possible. Le Premier ministre l'a évoqué au Sommet de l'élevage et il sera rapidement mis en oeuvre. Nous travaillons aussi à l'anticipation et à l'adaptation au changement climatique.
M. Lucien Stanzione . - L'agriculture du sud de la France est au bord du gouffre. Nos éleveurs en sont les premières victimes : leur horizon se rétrécit de jour en jour ; avec plus de 4 600 foyers touchés, la FCO et la MHE ne cessent de s'étendre et touchent non seulement les ovins, mais aussi les bovins et les caprins. Face à cette menace, les mesures gouvernementales sont insuffisantes. Le fonds de 75 millions d'euros contre la FCO 3 est loin de couvrir les pertes subies, et notamment les conséquences indirectes comme la stérilité, les avortements et la baisse de production laitière ; quant à la FCO 8, la situation frôle l'abandon ! Les vaccins, pas disponibles avant fin juin prochain, ne sont pas pris en charge...
Il faut indemniser au juste prix chaque bête perdue, chaque bête qui ne verra pas le jour sur la base des indemnisations pour les pertes dues au loup, au minimum 250 euros par bête. Nos éleveurs, déjà fragilisés par les prédateurs, subissent une pression constante qui les conduit droit vers une détresse psychologique alarmante. Un soutien psychologique est indispensable, sans quoi ils seront épuisés mentalement, ou pire. Il ne faut pas de rustines, mais des réponses concrètes et durables.
Le moment est venu de réviser le plan Loup pour répondre aux attentes des éleveurs et aux enjeux environnementaux. Êtes-vous prête pour un plan ambitieux ? Des promesses, oui ; mais surtout, des actes ! À bientôt au salon Med'Agri !
Mme Annie Genevard, ministre. - La FCO 3 se propage de façon exponentielle. En revanche, je puis vous dire combien la filière ovine se satisfait des mesures prises par l'État sur la vaccination et le fonds de soutien d'urgence de 75 millions d'euros.
M. Laurent Duplomb. - Sur la moitié de la France !
Mme Annie Genevard, ministre. - Vous ne pouvez pas parler d'abandon pour les victimes de la FCO 8. Nous allons évaluer les besoins d'indemnisation. (M. Laurent Duplomb proteste.) Nous calibrerons les aides en fonction. Le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) sera mobilisé. Des régions s'engagent également. La gestion de la crise est régionalisée en Espagne - certes, l'organisation territoriale est différente de la nôtre.
Vous avez raison de parler d'épuisement mental lorsque des bovins sont attaqués par le loup. Les plus solides de nos éleveurs craquent lorsqu'ils découvrent l'état de leurs animaux. C'est un sujet majeur. Le déclassement du statut du loup est prometteur, je l'espère, en matière de prélèvements.
Mme Martine Berthet . - Voilà plusieurs années que les éleveurs nous alertent sur l'augmentation de la population lupine, fléau pour le pastoralisme. Nous avons accueilli avec satisfaction la récente décision de l'Union européenne d'abaisser le statut de protection du loup. Le comité permanent de la convention de Berne doit adopter cette mesure et la directive Habitats-Faune-Flore doit être amendée en conséquence. Êtes-vous confiante à ce sujet ?
Que pensez-vous du statut de chien de troupeau ? Pouvons-nous espérer une reprise de l'article 16 du dernier projet de loi d'orientation agricole dans le futur projet de loi ?
L'expérimentation de tirs de défense simple pour protéger les troupeaux de bovins, très efficace, pourra-t-elle être généralisée ? Le nombre de bovins prédatés a augmenté de 30 % en Savoie en un an, soit 110 bêtes tuées par le loup.
Vous avez mentionné les compensations pour les pertes directes, mais quid des pertes indirectes ? Elles ne sont pas assez valorisées : 2 millions d'euros, contre 10 millions en réalité ! Et le retard de traitement des dossiers oblige les éleveurs à avancer près d'un an de trésorerie : ce n'est pas soutenable.
Mme Annie Genevard, ministre. - Le résultat obtenu à Bruxelles est inespéré, et nous nous en réjouissons. Il va être inscrit à la prochaine réunion du comité permanent de la convention de Berne, où l'Union européenne dispose de la majorité qualifiée. J'ai donc bon espoir, mais il faut aussi modifier, à l'unanimité, la directive Habitats qui protège également le loup. Trois pays y sont opposés à ce jour : l'Espagne, le Portugal et l'Irlande ; le travail doit continuer.
Il faut limiter les risques juridiques associés aux chiens de troupeau et réformer leur statut : si le chien cause des problèmes aux promeneurs, c'est l'éleveur qui en est responsable. L'article du projet de loi, amélioré à l'Assemblée nationale, sera maintenu dans le texte.
Le préfet coordonnateur du Plan national loup avait acté le principe d'une expérimentation de la non-protégeabilité des bovins, notamment dans ma région ; nous attendons les résultats et la généralisation du statut.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - L'agriculteur, acteur économique majeur du Lot-et-Garonne, est très inquiet ; un nouveau mouvement d'ampleur est à redouter. Six mois après les vives préoccupations exprimées, un regain de tension est à constater, comme en témoignent les débats de vendredi dernier à la chambre d'agriculture. M. Masset peut en témoigner.
Les revendications sont connues : gestion de l'eau, revenu des agriculteurs, normes et réglementations, problèmes climatiques affectant les productions de blé, soja, maïs, sorgho, pruneau d'Agen et la vigne. La FCO se propage dangereusement. La profession agricole a l'impression d'être délaissée et se demande si son activité a encore du sens. Sans jouer les Cassandre, le feu couve sous la braise.
Mme Annie Genevard, ministre. - Je sais combien vous êtes vigilante sur ces sujets. Les parlementaires sont attentifs aux territoires, aux agriculteurs, aux filières, et cela vous donne un statut particulier d'observateurs.
La dissolution, le retard dans la mise en oeuvre des annonces de mon prédécesseur, l'aggravation de la crise climatique - sécheresses, inondations -, la baisse de la production, les inquiétudes sur l'avenir, le devenir du monde agricole en Lot-et-Garonne, le sentiment d'être incompris, nourrissent cette colère, parfois de façon excessive. Mais ces excès sont à la mesure de l'inquiétude : ils ne veulent pas disparaître, je le comprends. Je suis attentive à ce qui se joue sur votre territoire, d'où est partie l'expression d'une profonde colère, à la mesure du désespoir.
Tous les dispositifs évoqués ce soir seront ouverts aux agriculteurs de votre département.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Il est temps de rendre son rang à l'agriculture française.
M. Hervé Reynaud . - Nos agriculteurs sont confrontés à de nombreuses crises, auxquelles il faut ajouter la FCO, qui touche désormais les bovins dans mon département et en Haute-Loire. Les pertes sont énormes : 80 à 90 % des élevages sont touchés, avec la perte d'animaux, des avortements, des problèmes de fertilité, des difficultés d'exportation - l'Espagne, l'Italie ont fermé leurs portes, même avec un test PCR négatif.
La vaccination est le seul remède. Je salue votre annonce de la gratuité des vaccins contre la FCO 3, mais c'est le sérotype 8 qui fait des ravages dans la Loire : 798 foyers sont recensés. Les éleveurs réclament la gratuité des vaccins pour toutes les maladies vectorielles. À l'échelle nationale, 3 800 foyers de contamination sont recensés. L'enveloppe de 75 millions d'euros annoncée par le Premier ministre ne suffira pas ; il faut entre 100 et 150 millions, selon la profession. Je vous invite à venir dans mon département pour le constater.
Le Gouvernement s'engage-t-il à une prise en charge globale de ces dépenses pour stopper la contagion ?
Mme Annie Genevard, ministre. - La fièvre catarrhale est le sujet du moment. Nous voulons lever les blocages à l'exportation - notre filière d'élevage est exportatrice -, comme nous l'avons fait avec l'Italie, grâce à des tests PCR négatifs et au vaccin. Le ministre espagnol a confirmé la reprise des échanges à ces conditions. Les maladies vectorielles se jouant des frontières, il faut réfléchir à l'échelle européenne : la FCO 3 est venue du Nord, la MHE et la FCO 8 du Sud. Nous sommes toujours en retard d'un vaccin. Il faut travailler à une banque d'antigènes pour des vaccins multicibles, comme l'évoquait mon prédécesseur. Le ministre espagnol souhaite présenter une résolution conjointe lors du prochain conseil des ministres de l'Union européenne. Chacun ne peut se débrouiller seul. En juillet, le problème majeur était la FCO 3, en septembre, c'est la FCO 8... En plus de l'urgence, il faut anticiper et prévenir, c'est indispensable, sans quoi nos budgets nationaux n'y suffiront pas.
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un spectre hante la France agricole : la décapitalisation de notre cheptel bovin et ovin, durement touché par les crises sanitaires, qui s'amplifient aujourd'hui.
Ce spectre, c'est le déclin de notre compétitivité et la perte de marchés au sein de l'Union européenne. En 2019, je prédisais que la balance commerciale serait déficitaire : nous y sommes. Ce spectre, c'est aussi celui de la menace sur notre souveraineté alimentaire. Celui, selon les mots d'Éric Thirouin, président de l'AGPB, d'une « véritable liquidation planifiée de l'agriculture française », fruit de la sainte alliance d'une technocratie abrutissante et des dogmes environnementaux.
Madame la ministre, votre programme est-il à la hauteur des périls ?
Je suis favorable à mener à terme le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, enrichi de volets sur la souveraineté et la simplification des normes environnementales. Il suffira juste d'enlever les contraintes de l'article 14 sur les haies, fruit du « en même temps » dévastateur de vos prédécesseurs.
Nous ne pouvons pas ne pas traiter les problèmes récurrents qui entravent notre agriculture. La LOA ne répond pas suffisamment aux problèmes rencontrés par les agriculteurs sur le terrain, qui veulent qu'on desserre l'étau normatif et qu'on les sorte des impasses dans lesquels on les a mis, année après année. (M. Pierre Cuypers applaudit.)
J'ai proposé une méthode - saucissonner et conditionner - , en quatre temps, pour sortir plus efficacement de cette crise. Premièrement, l'examen du PLF et du PLFSS avec la traduction législative des engagements du précédent Gouvernement : pérennisation des TO-DE, abandon de la suppression de l'exonération sur le gazole non routier (GNR), budget de crise, réouverture de la possibilité de mise en place des prêts bonifiés.
Deuxièmement, il faut adopter un texte législatif de format réduit, concentré sur les principales entraves aux activités agricoles, et apporter plus de souplesse pour l'usage de l'eau et des produits phytosanitaires autorisés en Europe mais interdits, par surtransposition, en France. Il faut mieux encadrer les contrôles, notamment ceux de l'Office français de la biodiversité (OFB).
Troisièmement, et seulement si nous obtenons des avancées tangibles, nous ouvrirons la possibilité de réétudier la LOA.
Quatrièmement, je vous propose d'avancer sur des mesures de simplification par voie réglementaire. Je vous soumettrai une liste de propositions.
Êtes-vous prête à nous suivre dans cette direction ? Les agriculteurs vous attendent pour les sortir du mauvais pas dans lequel vos prédécesseurs les ont mis. Je mettrai un point d'honneur à ne pas les décevoir. Sinon, ce sera sans moi et je ne rapporterai pas la LOA.
Comme le disait Tocqueville, et tous ceux qui sont assis sur les bancs du Gouvernement devraient s'en inspirer, « cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu'il entend se substituer à eux dans l'organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu'à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d'eux-mêmes ? Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »
Les agriculteurs méditent Tocqueville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.