Croissance de la dette publique
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la croissance de la dette publique de la France, à la demande des groupes Les Républicains et UC.
M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pendant longtemps, le Sénat et, en particulier, sa commission des finances ont été un peu seuls à s'inquiéter de la dette. Après des années d'aveuglement, la gravité de la situation fait consensus : c'est une prise de conscience salutaire.
M. André Reichardt. - Il était temps !
M. Albéric de Montgolfier. - En effet... Il y a peu encore, Bruno Le Maire se félicitait d'avoir sauvé l'économie française ! (On ironise à droite.) Le « quoi qu'il en coûte », qu'il a inventé, nous a coûté très cher.
M. François Patriat. - Il fut un bon ministre.
M. Albéric de Montgolfier. - Je me félicite que le gouvernement de Michel Barnier ait renoué avec un discours de vérité.
Ce qui est en jeu, ce sont nos marges de manoeuvre pour faire face aux défis économiques, sociaux, démographiques, environnementaux et géopolitiques de notre temps. C'est aussi notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens qui, dans leur immense majorité, ont consenti d'importants efforts de redressement ; placés en procédure de déficit excessif, nous sommes devenus le mauvais élève.
Rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », j'ai pu mesurer les conséquences concrètes de notre endettement. À la veille de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, je vous en présenterai certaines, à la lumière de mon rapport d'information de juillet dernier sur la charge de la dette.
Revenons d'abord sur l'évolution de la dette publique. En 2008, elle se montait à 1 290 milliards d'euros, soit 67 % du PIB. Nous étions alors à un niveau assez proche de l'Allemagne et du seuil de 60 % fixé par les traités européens. À la suite de la crise financière, notre dette a explosé, comme dans la plupart des pays qui ont dû sauver leurs banques. En 2012, elle s'élevait ainsi à 1 890 milliards d'euros, soit 92 % du PIB. Importante, cette augmentation était imputable au contexte international de crise.
M. François Patriat. - Et pas aujourd'hui ?
M. Albéric de Montgolfier. - En 2017, notre endettement était de 2 250 milliards d'euros, quasiment 100 % du PIB. Deux ans plus tard, à la veille de la pandémie, ce ratio était peu ou prou inchangé.
En d'autres termes, malgré l'absence de crise majeure depuis 2008, notre endettement a continué de croître, de 360 milliards d'euros sous François Hollande, puis de 120 milliards d'euros au début de la présidence d'Emmanuel Macron. Au même moment, de nombreux pays européens, à commencer par l'Allemagne, ont, eux, réduit leur endettement.
La pandémie a entraîné une nouvelle envolée de la dette. De 2 821 milliards d'euros fin 2021, elle atteignait 113 % du PIB. Certes, tous les pays ont pris des mesures pour soutenir l'économie. Mais, contrairement à nous, les autres ont eu une stratégie de sortie de « quoi qu'il en coûte ». Notre dette a ainsi continué sa progression, pour atteindre 3 230 milliards d'euros au printemps, soit 112 % du PIB. À 64 %, le ratio de l'Allemagne est presque deux fois inférieur...
Notre endettement résulte de cinquante ans de déficits, mais, depuis 2017, il a crû de plus de 1 000 milliards d'euros, et un tiers de cette augmentation est lié à la politique budgétaire menée depuis sept ans. (M. André Reichardt renchérit.)
Même en légère baisse par rapport à 2021, notre ratio d'endettement stable à un niveau élevé nous singularise fortement dans la zone euro, dont les autres membres ont emprunté des trajectoires de désendettement rigoureuses. En particulier, certains pays d'Europe du Sud, naguère dans une situation difficile, ont fait les efforts nécessaires.
Cette dette relève, pour 2 630 milliards d'euros, de l'État et, pour 70 milliards d'euros, des organismes divers d'administration centrale ; 250 milliards d'euros relèvent des administrations publiques locales et 280 milliards d'euros de la sécurité sociale. La dette de l'État représente donc 80 % de l'ensemble. Depuis 2017, elle a contribué pour 95 % à l'augmentation de l'endettement total.
Cette spirale a des conséquences concrètes. La charge des intérêts annuels dépasse déjà 50 milliards d'euros et pourrait dépasser 70 milliards en 2027. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un amortissement, mais des seuls intérêts versés à nos créanciers. Ainsi, le contribuable français paie pour la retraite du fonctionnaire néerlandais, américain ou singapourien ! Si rien n'est fait, les intérêts de la dette absorberont bientôt le rendement de l'impôt sur le revenu.
De fait, nous sommes clairement sortis de la période des taux bas, voire négatifs - nous empruntons aujourd'hui autour de 3,5 %. Les gouvernements ont commis l'erreur d'être anesthésiés par ces taux bas, croyant que les arbres continueraient de monter au ciel...
L'aveuglement du précédent gouvernement a affecté la confiance des investisseurs, la divergence de notre taux avec ceux de nos voisins en témoigne. Nous devons emprunter une trajectoire crédible de retour à l'équilibre. C'est tout l'enjeu du PLF 2025.
Autre signe inquiétant, la maturité de la dette augmente. Traditionnellement de sept ans, elle est passée à huit ans et demi. Nous nous endettons donc plus cher et plus longtemps. C'est, hélas, une hypothèque sur les générations futures.
Stabiliser notre dette est un enjeu de soutenabilité et de souveraineté. Il est urgent d'avoir une stratégie claire et résolue ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics . - (M. François Patriat applaudit.) Je vous remercie pour l'organisation de ce débat important. Je remercie également M. de Montgolfier pour son rapport sur la charge de la dette.
Le Sénat a davantage l'habitude que l'Assemblée nationale d'organiser ce débat. Député, j'avais souhaité qu'un débat sur la dette publique se tienne de façon obligatoire chaque année. La loi organique que nous avons préparée, avec Claude Raynal et Jean-François Husson, l'a instauré. Particulièrement actuelle, cette question est cruciale en tout temps ; c'est un enjeu de soutenabilité et surtout de souveraineté, comme vous l'avez dit.
Dans deux jours, le Gouvernement présentera au Parlement le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. La gravité de la situation de nos finances publiques est connue - gravité n'étant pas anxiété. Le risque est réel que le déficit dépasse 6 % cette année et, si nous ne faisions rien, il pourrait dépasser 7 % l'année prochaine. Nous devons tout mettre en oeuvre pour l'éviter.
Sur l'origine de l'endettement, ma lecture différera peut-être quelque peu de la vôtre.
M. François Patriat. - Heureusement !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Notre objectif est de contenir le déficit à 5 % en 2025. L'effort à fournir représente 60 milliards d'euros, deux points de PIB. C'est historique, mais à la mesure de la situation.
Notre méthode est de réaliser 40 milliards d'euros de baisses de dépenses et d'instaurer des contributions temporaires et ciblées pour 20 milliards d'euros.
Oui, nous avons accumulé une dette de 3 200 milliards d'euros, soit 112 % du PIB, et la charge de la dette atteindrait 54 milliards d'euros l'an prochain, plus que le budget des armées. C'est autant d'argent qui ne va pas aux services publics.
M. Michel Savin. - Évidemment !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - La hausse de la charge de la dette s'explique d'abord par la forte hausse des taux d'intérêt. De ce point de vue, la donne a complètement changé. En 2020, nous empruntions en étant payés pour cela... C'était une autre époque.
Cette évolution résulte des mesures prises par la BCE pour lutter contre l'inflation et des diverses crises, dont la crise inflationniste. Mais ne nous trompons pas : elle résulte aussi d'une dégradation de la signature de la France, dont témoigne le creusement de notre écart de taux avec l'Allemagne, passé de 0,5 en début d'année à 0,8 aujourd'hui.
Si nous ne redressons pas la barre rapidement, nous risquons de financer notre dette à des coûts de plus en plus élevés. S'il se produisait demain un choc de taux de 1 %, la charge de notre dette croîtrait de 33 milliards d'euros à horizon neuf ans. Nous ne pouvons nous le permettre.
Je me suis engagé à tenir un discours de vérité. Pour ma part, je considère que la dette actuelle est la conséquence de choix politiques forts, ...
M. Pascal Savoldelli. - C'est bien vrai !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - ... qui étaient nécessaires et utiles. (Murmures désapprobateurs à droite) Le Gouvernement doit assumer des choix tout aussi forts de redressement des comptes.
Malgré des efforts de maîtrise réels, une hausse structurelle des dépenses s'est produite ces dernières années. Comme rapporteur général à l'Assemblée nationale, j'ai eu l'impression de contenir la volonté collective de hausse plutôt que l'inverse...
Nous pouvons être fiers d'avoir protégé les entreprises, les salariés, les collectivités territoriales, face à la crise sanitaire puis la crise inflationniste. (M. André Reichardt s'exclame.) De façon transpartisane, nous avons choisi de déployer un filet de sécurité parmi les plus efficaces, mais aussi les plus généreux, en Europe. Nous avons assumé un creusement temporaire du déficit, et peu l'ont contesté.
Nous avons ainsi préservé la croissance, qui est supérieure à la moyenne de la zone euro. À cet égard, si notre dette a progressé de 1 000 milliards d'euros depuis 2017, notre PIB a, lui, crû de 569 milliards d'euros. Notre taux d'endettement a progressé de 34 points entre 2007 et 2017 et de 12 points seulement entre 2017 et 2022. Factuel, ce constat n'enlève rien à la gravité de la situation.
Le redressement passera prioritairement par la réduction de la dépense. Mais nous devrons éviter de casser le moteur de la croissance, car on ne redressera pas les comptes sans activité. Il n'y aura donc pas de cure d'austérité.
Nous agirons en ce sens pour préserver notre capacité à préparer l'avenir et à faire face aux crises futures. Le redressement sera ardu, mais il y a un chemin. Avant la pandémie, nous avions ramené le déficit sous les 3 %. Puisque nous avons su redresser les comptes à ce moment-là, nous saurons le faire à nouveau. (MM. François Patriat et Didier Rambaud applaudissent.)
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La France se retrouvera-t-elle au bord du gouffre ? Nous pouvons légitimement nous le demander.
De dérapage en dérapage, l'illusion d'une bonne tenue des comptes s'est dissipée. La gestion calamiteuse de nos finances est avérée, doublée d'un mensonge : il y a un mois encore, Bruno Le Maire affirmait pouvoir respecter cette année un objectif de déficit de 5,1 %...
Supérieur à 6 %, notre déficit est l'un des plus élevés de la zone euro. Notre dette dépasse 112 % du PIB et son service, 50 milliards d'euros annuels. Ces 1 000 milliards d'euros de dette supplémentaire depuis 2018 pèsent lourd, et notre taux d'emprunt à cinq ans dépasse aujourd'hui celui de la Grèce.
Le précédent gouvernement a tenté de se défausser sur les collectivités locales, mais les chiffres sont têtus. Les collectivités territoriales ne sont comptables que de 10 milliards d'euros par an sur les 880 milliards de dette cumulés entre 2018 et 2023. Par ailleurs, elles assurent plus de la moitié de l'investissement public.
Pour justifier ces échecs, on invoque aussi la covid, la guerre en Ukraine... Mais nos voisins européens, qui ont aussi connu une augmentation de leur endettement de quinze points, ont su ensuite le réduire ou le stabiliser. D'autre part, selon l'OFCE, seule la moitié de la dette nouvelle est imputable aux crises.
L'autre révèle l'échec de la politique de l'offre menée, tambour battant, pendant sept ans. Baisses d'impôts et aides massives aux entreprises devaient favoriser l'emploi et la croissance ? Les 450 milliards d'euros de baisses d'impôt consenties depuis 2018 sont un pari perdu : création d'emplois surtout peu qualifiés et décrochage de la productivité, lequel a entraîné, selon le Conseil d'analyse économique, la perte de 65 milliards d'euros de recettes fiscales.
Les conséquences de cette gestion calamiteuse n'ont pas tardé : la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif contre la France et notre signature est affectée. C'est notre capacité à investir pour répondre aux urgences climatiques et sociales qui est en jeu. Chaque euro affecté au service de la dette est un euro en moins pour nos services publics.
Les solutions que vous proposez sont celles qui ont échoué par le passé. Votre remède, l'austérité, serait pire que le mal. Vous voulez économiser 40 milliards d'euros dans les dépenses, alors qu'Olivier Blanchard et Patrick Arthus recommandent 20 milliards. Comment trouver 40 milliards d'euros de dépenses inefficaces dans un État aux services publics déjà exsangues ? Selon le Trésor, une baisse de 15 milliards d'euros des dépenses équivaut en réalité à 27 milliards d'euros, du fait de l'effet multiplicateur. Nous espérons que vous supprimerez les aides les moins efficientes aux entreprises. Nous formulerons des propositions pour rompre avec votre dogme des baisses d'impôts et renouer avec la justice fiscale.
Après avoir accumulé les milliards de dettes, sacrifié nos services publics et compromis l'investissement, comment pouvez-vous affirmer encore que votre politique trace la bonne voie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Aymeric Durox . - Pour avoir un débat constructif sur un sujet de cette importance, encore faudrait-il s'accorder sur les chiffres.
Il y a un an, le Gouvernement promettait un déficit à 4,5 % et une maîtrise des dépenses « à l'euro près » ... Puis, malgré 10 milliards d'euros d'annulations de crédits, des rumeurs de dérapage ont commencé à circuler. Mais Bercy a refusé de donner au Parlement les documents nécessaires à son contrôle. En juillet dernier, l'Union européenne a lancé une procédure pour déficit excessif contre notre pays.
Le déficit dépasse en réalité 6 % du PIB, alors que la dette bat un record, à 3 228 milliards d'euros - pour l'instant. Le bilan du Mozart de la finance, ce sont des taux d'emprunt supérieurs à ceux de la Grèce, 400 milliards d'euros de prestations sociales supplémentaires et un endettement alourdi de 1 000 milliards d'euros malgré des services publics malmenés.
L'État représente 80 % de la dette : c'est à lui de fournir l'effort et non aux collectivités territoriales, injustement montrées du doigt par Bruno Le Maire.
Ce n'est ni aux retraités ni aux ménages français de payer votre incompétence. Faites des économies sur ceux qui profitent des largesses du système ! Je pense à l'immigration et à la fraude fiscale et sociale. Le Rassemblement national demande de longue date la mise en place de la carte Vitale biométrique. Par ailleurs, l'État dépense 750 millions d'euros par an pour subventionner des associations immigrationnistes. (M. Claude Raynal ironise.) Cessez d'engraisser des associations dont l'objectif avoué est d'empêcher la reconduite à la frontière des clandestins !
Quand j'entends le ministre affirmer que les 1 000 milliards d'euros de dette résultent de choix pertinents, les bras m'en tombent. Quand je l'entends parler de souveraineté alors que notre dette est largement détenue par des fonds souverains étrangers, je m'étouffe.
Décidément, le nouveau monde n'a toujours pas entendu le cri de colère du peuple français, malgré trois désaveux successifs il y a quelques mois. L'alternance, vite !
M. Emmanuel Capus . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Je veux vous parler d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître...
La dette de la France avoisinait 60 % du PIB et le déficit, 3 %. Notre situation était à peu près la même qu'outre-Rhin. La France et l'Allemagne respectaient les critères de Maastricht, montrant l'exemple aux autres pays européens. C'était au début du siècle.
Aujourd'hui, notre dette dépasse les 100 % de PIB et le déficit s'est installé durablement au-dessus des 5 %.
L'effort pour 2025 est annoncé entre 45 et 60 milliards d'euros, en fonction de la référence choisie. Nous considérons qu'il doit reposer bien davantage sur les dépenses que sur les recettes. Au reste, malgré cet effort difficile, la dette continuera d'augmenter.
Si nous en sommes là, c'est que, pendant plus d'un demi-siècle, la France a voté des budgets en déficit. Cette incurie est une faute collective, qu'il faut à présent corriger. La solution la plus évidente serait de voter un budget en excédent, au moins à l'équilibre. Mais ce remède, certes un brin radical, pourrait être pire que le mal.
Le mal profond, c'est notre addiction chronique à la dépense publique. Après 50 ans d'accoutumance, on ne peut se soigner que de façon progressive... Comme disent les médecins, il faut surtout ne pas nuire.
Le chemin sera long et douloureux. Nous sommes nombreux ici à tenir ce discours depuis plusieurs années. Je pense en particulier à notre rapporteur général, Jean-François Husson, et à son prédécesseur.
Nous devons dire et répéter cette vérité : la croissance de la dette menace notre souveraineté. Car rien ne garantit que les acteurs étrangers qui détiennent plus de la moitié de notre dette soient alignés avec l'intérêt général de la nation. Ne cédons pas à la paranoïa, car un créancier tient d'abord à être payé. Et c'est notre devoir de payer nos dettes.
La charge de la dette sera bientôt le premier budget de l'État : ce n'est pas la meilleure façon d'employer les deniers publics... Pour éviter des solutions plus radicales et moins souhaitables, nous devons de toute urgence bifurquer vers la décroissance. La décroissance de la dette, bien sûr ! (Marques d'amusement au centre et à droite)
Ce chemin est à notre portée. La preuve : de 2017 à 2019, sous le gouvernement d'Édouard Philippe, la France a ramené son déficit sous les 3 % ; la dette était stabilisée et la croissance au rendez-vous.
L'Allemagne, qui a connu les mêmes crises que nous, respecte les critères de Maastricht. Nous devons nous remettre à ce niveau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Entre juin 2017 et juin 2024, le stock de la dette publique a augmenté de 1 000 milliards d'euros et le taux d'endettement est passé de 99,2 à 112 %. Seule une partie de cette hausse résulte des crises que le pays a traversées. En 2017, la France était le sixième pays le plus endetté d'Europe ; désormais, seules la Grèce et l'Italie sont devant nous.
La dette n'est pas mauvaise en soi : une politique contracyclique est recommandable en cas de récession et s'endetter pour investir renforce le potentiel de l'économie. Mais il faut la maîtriser et, dans certains cas, la réduire. La dette écologique aussi doit être prise en compte - Christine Lavarde en parlera.
Un endettement maîtrisé est bénéfique. L'État, réputé éternel, fait rouler sa dette. Mais il faut s'acquitter d'une charge d'intérêts : si la croissance est inférieure à l'évolution des taux d'intérêt, c'est l'effet boule de neige. Or, depuis 2020, cette charge est à la hausse du fait de l'augmentation du stock de dette, de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt. La trajectoire est dangereuse, et l'effet boule de neige n'est pas loin.
Les économistes ayant travaillé sur les seuils critiques de dette s'accordent à considérer que c'est surtout la trajectoire qui compte. Se fixer une trajectoire et ne pas la respecter, c'est un grave signal d'alarme pour les marchés. Or c'est ce que nous avons fait : du fait d'une mauvaise gestion budgétaire, la dette est devenue un sérieux problème.
Notre déficit est trop élevé et nous ne respectons pas la trajectoire que nous nous sommes fixée. Le mélange est possiblement explosif. Depuis juin dernier, l'instabilité politique et la succession de mauvaises nouvelles sur notre capacité à tenir la trajectoire dégradent nos conditions d'emprunt. Bref, nous empruntons plus dans de moins bonnes conditions - notre spread de taux avec l'Allemagne oscille entre 60 et 80 points.
Dans une note du 17 juillet dernier, la direction générale du Trésor avertissait le ministre : il faut « éviter des hausses de programmes de financement trop importantes pour pouvoir être absorbées par la base d'investisseurs sans dégradation des conditions de financement » ; cette dernière contrainte, concluait-elle, risque d'être plus forte que la contrainte européenne.
Cette gestion calamiteuse des finances publiques lie le nouveau Gouvernement comme elle liera les suivants. On est très loin de la souveraineté prônée depuis 2017 par le Président de la République, d'autant que plus de la moitié de notre dette est détenue par des investisseurs non résidents. Il faut absolument éviter le cercle vicieux qui nous entraînerait dans la situation de la Grèce en 2010.
En cas de crise, pourrions-nous recourir à une part de financement hors marché ? La France a déjà eu recours à ces instruments : grand emprunt, circuit du Trésor... La réflexion sur leur utilisation sous une forme adaptée est assurément de longue haleine. Mais gérer le présent ne doit pas interdire de penser à l'avenir, pour le préserver au mieux. C'est notre devoir commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Didier Rambaud . - (Mme Patricia Schillinger applaudit.) Dire la vérité, c'est reconnaître les faits. Notre dette publique s'établit à plus de 3 228 milliards d'euros et notre taux d'endettement atteint 112 % du PIB, contre 98,1 % en 2017. Oui, l'état de nos comptes publics doit nous préoccuper.
Mais dire la vérité, c'est aussi contextualiser. Le point de départ de la situation actuelle est bien antérieur à 2017. En réalité, notre taux d'endettement ne cesse d'augmenter depuis 2007. Et, s'il y a eu de rares moments de stabilisation, il n'y a pas eu de diminution importante de ce taux depuis les années 1980.
La dette de la France a dépassé les 100 % du PIB pour la troisième année consécutive. Mais, dans la période récente, trois crises majeures sont survenues : covid, guerre en Ukraine, inflation. Des difficultés considérables en sont résultées pour notre économie.
Sous l'impulsion du Président de la République, les gouvernements successifs ont privilégié la sauvegarde de milliers d'entreprises, de millions d'emplois et le maintien des salaires.
M. François Patriat. - Très bien !
M. Didier Rambaud. - Dans quel état serait notre économie si nous avions fait autrement ? Fallait-il s'endetter moins au risque de voir le chômage augmenter, les faillites s'accumuler et les factures d'énergie flamber davantage ? Tout n'a pas été parfait, car il fallait agir vite. Mais je suis fier d'avoir soutenu des gouvernements qui ont pris des décisions difficiles, mais responsables.
Cet hémicycle a bien souvent soutenu les décisions liées au « quoi qu'il en coûte ». Qui parmi vous a dit que nous dépensions trop ? Plusieurs nous ont même reproché de ne pas en faire assez...
Il nous faut à présent relever collectivement le défi immense de la réduction de la dette. Traduisons nos intentions dans nos actes et nos votes, notamment dans le cadre du PLF pour 2025.
J'entends souvent des critiques sur la gestion de nos finances par les derniers gouvernements. Mais n'est-il pas curieux d'exiger plus de rigueur alors que l'on dépose et vote des amendements aux PLF qui représentent plusieurs milliards d'euros de dépenses supplémentaires, sans nouvelles recettes ?
M. François Patriat. - Bravo !
M. Didier Rambaud. - Nous n'avons pas à rougir de notre bilan. Nous avons notamment baissé le chômage, grâce à la politique de l'offre. Nous avons amorcé la réindustrialisation et fait revenir les investisseurs.
En commission des finances, le rapporteur général a présenté un état des lieux des finances publiques objectif et sans esprit de polémique. Des questions ont porté sur l'augmentation de la masse salariale. Mais regrettons-nous la création de 50 000 emplois publics depuis 2017 ?
M. Albéric de Montgolfier. - Oui !
M. Didier Rambaud. - Lesquels ?
M. Albéric de Montgolfier. - Les agences ! Les ARS et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ! (M. Jean-François Husson renchérit.)
M. Didier Rambaud. - J'ose espérer ne plus entendre que le compte n'y est pas et qu'on ne crée pas assez d'emplois dans la santé, la sécurité ou la justice...
Le groupe La Poste a annoncé des coupes budgétaires, ce qui menaçait certains bureaux communaux. Le Gouvernement vient de revenir sur cette décision, mais cette affaire illustre la difficulté des arbitrages pour réduire la dépense publique.
Comment dépenser moins et surtout mieux ? Nos concitoyens sont exigeants : ils s'inquiètent, à juste titre, de savoir où vont leurs impôts.
Les Français attendent de nous de la responsabilité. Abordons donc l'examen du budget avec un esprit constructif et d'ouverture, pour voter les mesures d'économie et de justice indispensables à la réduction de notre dette. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Christian Bilhac . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La dette et le déficit : voilà de vieux marronniers parlementaires ! Depuis cinquante ans, nous n'équilibrons pas nos comptes, collectionnant les médailles d'or aux jeux Olympiques de la finance...
L'intérêt d'avoir un nouveau ministre, c'est qu'on peut se répéter. (Sourires)
Mme Nathalie Goulet. - Le tout, c'est de ne pas se contredire ! (Nouveaux sourires)
M. Christian Bilhac. - Pierre Mendès France disait avec sagesse : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent ». En 2007, le Premier ministre d'alors, M. Fillon, parlait d'un État en faillite, alors qu'il y avait seulement - si l'on peut dire - 1 150 milliards d'euros de dette, soit 63 % du PIB. Nous en sommes à 3 228 milliards, soit 112 % du PIB. Quel qualificatif faut-il donc employer pour caractériser cette dette abyssale ?
Il y a bien longtemps, mon professeur de droit financier disait : les dettes d'aujourd'hui sont les impôts de demain. Les réveils seront douloureux, alors ne nous endormons pas !
Monsieur le ministre, vous voulez agir à la fois sur les dépenses et les recettes. Je m'en réjouis, mais vous visez un retour sous les 3 % en 2029. Or les lois de programmation et autres prévisions pluriannuelles sont rarement, voire jamais, respectées, notamment parce que le courage et l'imagination manquent. Comme le savent les marins, à mesure qu'on se rapproche de l'horizon, il s'éloigne...
Reste que, pour la France et nos enfants, nous devons y croire. Comme le chantait le poète sétois Georges Brassens dans Le Mécréant, « mettez-vous à genou, priez et implorez, faites semblant de croire et bientôt vous croirez ! » Mais, avec mon esprit laïc, j'ai du mal à y croire... (Sourires) Le retour aux 3 % n'est pas gagné.
Monsieur le ministre, je vous souhaite de réussir à faire enfin baisser la dette. Voici quelques suggestions pour prendre le taureau par les cornes. Supprimez des opérateurs ! Au hasard, l'ARS (« Oui ! » sur plusieurs travées à droite et au centre), l'Office français de la biodiversité (OFB) (« Très bien ! » sur plusieurs travées à droite et au centre), l'Ademe et les agences de l'eau ! (Mêmes mouvements) On en a 493, vous pouvez y aller... Supprimez carrément des ministères ! (On s'en amuse à droite et au centre.) Donnez des responsabilités aux collectivités territoriales, qui, elles, votent des budgets à l'équilibre.
Comment diantre font les 30 000 maires ruraux, qui n'ont pas fait de grande école et sont assistés par une secrétaire de mairie qui parfois n'a pas le bac, pour voter des budgets à l'équilibre, quand tous nos ministres, compétents et entourés des hauts fonctionnaires les plus diplômés, n'y arrivent pas ? (Assentiment sur de nombreuses travées) Faut-il nommer un maire auvergnat pour y parvenir ? (Nombreuses marques d'amusement)
Comme Pierre Mendès France le disait aussi, il ne faut jamais sacrifier l'avenir au présent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Guillaume Chevrollier. - Bravo !
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce débat annuel est une bonne idée. Comme le dit l'inoxydable Jean Artuis, « le déficit annihile la liberté ». Le réveil est difficile, mais prévisible après des années de taux négatifs, et leur effet totalement anesthésiant.
Avec Vincent Delahaye, je ne cessais d'alerter sur la situation, mais, telle soeur Anne, je ne voyais rien venir, et il a fallu attendre que les taux remontent : nous voilà menottés pour un certain temps désormais !
Qui sont les propriétaires de notre dette, monsieur le ministre ? Comment comptez-vous gérer les engagements hors bilan, qui représentent 3 756 milliards d'euros ?
Nous étions opposés à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la taxe d'habitation, ou encore de la redevance qui finançait l'audiovisuel public.
Nous étions favorables à des taxes sur les superprofits et sur les rachats d'actions.
Nous avons formulé des propositions pour lutter contre les fraudes sociale et fiscale. Cette année, le déficit de la sécurité sociale s'élèverait à 18 milliards d'euros, prenons ce problème à bras-le-corps !
Je l'ai dit à maintes reprises : il n'y a pas de lien entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale ; un titre de séjour arrivant à échéance n'entraîne pas automatiquement la fin des prestations. C'est la porte ouverte à toutes les fraudes ; les prestations liées à un domicile régulier doivent être versées aux gens disposant d'un domicile régulier !
Il me reste un peu de temps pour vous dire tout le mal que je pense du versement social unique, qui, certes, règle le problème du non-recours, mais qui est un aimant à fraudeur. La base des bénéficiaires est truffée de fraudeurs et les données de 33 millions de Français ont été piratées : n'ouvrons pas une banque de fraudeurs tant que la base n'est pas apurée ! Un fraudeur content est un fraudeur qui revient.
Nous serons attentifs à vos propositions ; soyez attentif aux nôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Bocquet . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.) Il était une fois le grand méchant loup de la dette publique... La préparation du budget 2025 est très tendue : les gouvernements veulent non pas faire réfléchir la population, mais lui faire peur.
Cette année, l'État empruntera 285 milliards d'euros aux marchés financiers, c'est un record historique ; 150 milliards serviront à équilibrer le budget et 135 milliards à rembourser des emprunts. La République française me semble parfois être cliente de Sofinco ou de Cofidis.
Or nous paierons à nos créanciers la jolie somme de 55 milliards d'euros d'intérêts : ce monde marche sur la tête ou plutôt sur la dette.
On nous explique que l'on vit au-dessus de nos moyens. Pourtant, avec d'autres, nous avons regardé du côté des recettes : on ne compte plus que cinq tranches d'impôt sur le revenu avec un taux maximum de 45 %, l'impôt sur les sociétés a été ramené à 25 % aujourd'hui, contre 50 % en 1986, l'ISF a été supprimé, l'imposition des dividendes a été plafonnée à 30 %... Et la TVA compensera les pertes, dites-vous ? Mais elle ne représente plus que 27 % des recettes de l'État, contre 47,3 % en 2017.
Le problème du déficit, c'est celui des recettes. Or le discours anxiogène s'accompagne aussi de propos culpabilisateurs. Nous serions une horrible génération de profiteurs.
M. Vincent Delahaye. - C'est vrai !
M. Éric Bocquet. - La maturité de la dette est de huit ans et 173 jours : c'est bien nous qui la remboursons ! Depuis 1979, nous avons versé 1 350 milliards d'euros aux marchés financiers pour payer les intérêts. Combien cette somme représente-t-elle d'enseignants, d'aides-soignants, de médecins ? Combien de places de crèches ? Faites le compte !
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dette représentait 160 % du PIB. Quelque trente ans plus tard, ce taux était tombé à 20 %, grâce à une politique de croissance. La Banque de France collectait alors l'épargne des Français et faisait des avances à l'État. Mais ce système vertueux fut démantelé au tournant des années 1970 et 1980.
Les placements financiers de la nation s'élèvent à 6 111 milliards d'euros. Ne serait-ce pas une piste pour imaginer un autre mode de financement de l'État ?
La BCE n'a pas le droit de financer la dette des États membres aux termes de l'article 127 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Or elle détient aujourd'hui 25 % de la dette française : autrement dit, elle s'est affranchie de ses propres règles ! N'est-ce pas le moment de repenser ses missions ?
Le débat sur la dette publique est une question non pas technique et financière, mais politique. Libérons-nous de la tutelle des marchés financiers sur les États. En 1797, la dernière année où la France a fait défaut, le deuxième président des États-Unis, John Adams, s'exprimait ainsi : « Il y a deux manières de conquérir et d'asservir une nation, l'une est par les armes, l'autre est par la dette. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées des groupes SER et UC)
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a affirmé son objectif principal : la réduction de la dette budgétaire et écologique. La première s?élève à 3 228 milliards d'euros, avec un déficit qui devrait dépasser les 6 % selon les dernières prévisions.
En quittant Bercy, le précédent ministre de l'économie a laissé un bilan incomparable : plus de 1 000 milliards d'euros de dette, la crise sanitaire et énergétique ne comptant que pour 458 milliards selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La gabegie vient donc d'ailleurs : de nombreux cadeaux fiscaux non financés aux entreprises et aux plus aisés ! Ces mesures ont été efficaces pour certains : le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises est passé de 600 à 1 200 milliards d'euros entre 2017 et 2023. Tous ces cadeaux représentent moins de rentrées fiscales et moins d'argent pour les services publics, qui se déprécient. Nous connaissons la justification de cette idéologie : affamer la bête, pour la livrer en pâture au secteur privé.
Nous ne sommes pas dupes. Si le Gouvernement a évoqué de timides hausses d'impôt, nous verrons ce qu'il prévoit vraiment lors de la présentation du projet de loi de finances. Ce sont les ministères qui préparent l'avenir qui devront assumer la plupart des efforts. En définitive, on change d'équipe, on change un peu de méthode, mais on ne touche pas au fond du programme.
Le deuxième pilier évoqué par le Premier ministre est le plus important : la dette écologique, c'est-à-dire un bilan de l'activité humaine qui peut être quantifié à 1 700 milliards de tonnes de CO2 émises par l'humanité depuis le début de l'ère industrielle, dont 1 032 milliards de tonnes émises par l'Europe et l'Amérique du Nord.
Pourtant, les populations les plus violemment impactées sont les moins responsables de la situation. Combien d'espèces vivantes disparues ? Combien d'habitats dégradés ? Combien de limites planétaires dépassées chaque jour de plus en plus tôt ? Cette dette écologique se paiera cash.
Face à l'urgence, nous devons investir dans la transition écologique. France Stratégie a réévalué hier les besoins décrits par le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz passant de 65 à 85 milliards euros d'investissements. L'état dégradé des finances publiques ne doit pas nous détourner de cet objectif. Nous devons accepter de nous endetter pour un avenir viable. Dettes budgétaire et écologique sont liées. Ce sont les deux faces d'un même problème, telle est la conviction profonde des écologistes. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Claude Raynal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Étant le dixième orateur, que puis-je dire de nouveau ? Aussi, je commencerai par une série de questions : pourquoi ce débat sur la dette aujourd'hui ? Est-ce à cause de son montant ? Pas moins de 3 228 milliards d'euros, nous dit la presse, qui s'inquiète d'une banqueroute. Si telle est la véritable raison du débat, les Français n'ont pas fini d'en entendre parler : la dette ne va pas cesser d'augmenter. Aussi, il est inutile de les inquiéter exagérément, sauf à vouloir faire passer des mesures impopulaires.
La dette est-elle un gros mot ? Les Français savent bien que les seules familles qui s'enrichissent sont celles qui s'endettent. (Murmures sur les travées des groupes UC et Les Républicains) C'est la même chose pour l'État, qui finance des infrastructures ou la transition écologique, ou renfloue des banques. Aujourd'hui, tous les pays sont endettés.
Nos enfants doivent-ils bénéficier d'une croissance économique forte dans un pays viable ou être en difficulté et faiblement endettés ? Faut-il mourir sans dette ? (M. Jean-François Husson ironise.)
Cela dit, la qualité de la dette est un préalable. Malheureusement, le ratio dette sur PIB a augmenté de plus de 12 points entre 2017 et 2023 et cette progression n'est due que pour moitié aux crises - les baisses d'impôts de 60 milliards d'euros ont beaucoup joué.
En définitive, nous sommes enfin entrés dans le vrai débat : la dette n'est qu'un clignotant, seule compte la trajectoire du solde de nos comptes publics. Je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour en parler ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Même en onzième position, on peut être original, je vais vous le montrer !
M. Claude Raynal. - J'en suis sûr ! C'est le talent !
Mme Christine Lavarde. - Le Premier ministre a parlé de la réduction d'une double dette : écologique et financière. Nous avons beaucoup parlé de la dette financière, évoquons donc la dette écologique.
La dette climatique a une valeur économique calculée comme le coût des dommages engendrés par le rejet d'une tonne supplémentaire de CO2 dans l'atmosphère. Le prix social du carbone suit une évolution exponentielle. Tout retard dans la décarbonation aujourd'hui aura des répercussions demain. Selon l'Insee, le prix social du carbone représentera 2 050 euros en 2050, contre 500 euros en 2030. La trajectoire de notre dette écologique n'est pas soutenable. Plusieurs textes sont attendus : programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), stratégie nationale bas-carbone (SNBC), plan d'adaptation, notamment. Malheureusement, la dissolution ne porte pas la responsabilité de tous ces retards. (M. Jean-François Husson renchérit.)
Depuis le mouvement des gilets jaunes, la fiscalité carbone est devenue un sujet tabou. Dans un rapport de 2024, la Cour des comptes invite le législateur à une réflexion structurante tant pour garantir l'atteinte de nos objectifs environnementaux que pour préserver les grands équilibres budgétaires de l'État.
Réduire notre dette climatique repose sur l'électrification des usages. Or les investissements sont colossaux. Je renvoie aux travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur la tarification de l'électricité.
L'affaiblissement du puits de carbone forestier est également un signe ; la capacité d'absorption des forêts a été divisée par trois entre 2005 et 2023. Nous ne pourrons pas infléchir la trajectoire de notre dette climatique sans des politiques volontaristes permettant d'accroître la résilience de nos systèmes forestiers.
Nous sommes tous responsables de la réduction de la dette : selon un rapport de l'inspection générale des finances (IGF), les ménages doivent réduire leur consommation d'énergie et les collectivités territoriales devront investir 21 milliards d'euros par an pour réussir la transition d'ici 2030.
Selon le Giec, 75 % des leviers d'une transition écologique réussie sont territoriaux. Or leur modèle de financement est mis à rude épreuve actuellement !
Du reste, selon Christophe Béchu, alors ministre de la transition écologique, l'emprunt est justifié pour de tels investissements. Par exemple, seules 15 % des communes utilisent des ampoules à LED.
L'accroissement de la dette est perçu comme un signe de mauvaise gestion des deniers publics. Pourtant, la dette économique nous oblige à changer de paradigme : le coût de l'inaction est bien supérieur à celui de l'action.
La loi de finances pour 2024 permet aux collectivités d'isoler leurs dettes vertes. Au-delà du symbole, cet outil doit permettre d'exercer un effet de levier sur l'investissement.
La fiscalité environnementale ne doit pas être un tabou. Sinon, nous n'arriverons jamais à faire coïncider transition écologique et justice sociale. Pensons comme Churchill : la responsabilité est le prix du succès ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Non seulement la dette augmente, mais en plus elle accélère : il a fallu vingt-trois ans pour parvenir à 1 000 milliards d'euros, onze ans pour 2 000 milliards, et seulement sept à huit ans pour les derniers 1 000 milliards. Et si encore c'était de la bonne dette, c'est-à-dire celle qui finance des dépenses d'avenir... Mais non, c'est de la mauvaise dette, car elle finance des dépenses courantes.
En préambule, nous devons nous mettre d'accord sur le diagnostic : je regrette à cet égard que les travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la formation de la dette aient été clôturés par la dissolution.
D'où viennent les 1 000 milliards d'euros supplémentaires de dette depuis sept ans ? Les dépenses liées « quoi qu'il en coûte » représentent un quart de cette somme - il aurait fallu des aides courtes et ciblées, elles ont été longues et larges ; un autre quart, des baisses d'impôt non financées ; le reste, soit la moitié, est lié - et aucun des précédents orateurs n'a prononcé le mot - aux retraites. Cette année, nous paierons 75 milliards d'euros de déficit lié à notre système de retraites.
Faute d'aborder cette question autrement que de façon démagogique, nous ne réglerons jamais les problèmes. Les retraités votent, chacun y fait attention, je le sais, mais disons la vérité : il faut aborder ce sujet si l'on veut résoudre le déficit. J'ai écrit un ouvrage, Les vertus de l'équilibre ou l'anti « quoi qu'il en coûte ». Personne parmi vous ne l'a lu, j'imagine... (Sourires ; M. Michel Canévet fait signe que si.)
Nous devons nous diriger vers un endettement raisonnable, je crois aux vertus de l'équilibre. Nous serons attentifs à vos propositions de réduction de la dépense. Nous souhaitons mettre un terme aux baisses d'impôts qui ne seraient pas financées par une réduction équivalente d'autres dépenses. L'ensemble de la population doit être mis à contribution, tout le monde doit s'y mettre ! Ne faisons pas des retraites un totem.
Je serai constructif, mais également vigilant pendant ces débats. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics . - Le débat sur la dette publique - d'hier, d'aujourd'hui et de demain - est éminemment politique. D'où vient l'endettement actuel ? Qu'en faisons-nous ?
Vous me demandez si nous allons changer de politique. Si j'ai bien compris, Vincent Delahaye n'était pas pour le « quoi qu'il en coûte ». Pourtant, la baisse de fiscalité instaurée depuis 2017 a renforcé l'attractivité de notre pays et contribué à la création d'emplois industriels. D'aucuns peuvent considérer que cette politique coûte cher au vu de ses résultats, mais nous avons rendu notre pays plus compétitif ; investir y est plus rentable.
Faut-il être pour autant inflexible sur la politique fiscale de notre pays ? Non. Nous formulerons des propositions dans les jours à venir sans casser cette politique de l'offre qui a fait ses preuves.
Il serait erroné de croire que la seule baisse de la fiscalité est à l'origine de la dette actuelle.
Des mesures - consensuelles - ont été prises pendant la crise et la relance, par exemple lors du Ségur de la santé. Mais nous avons financé ces programmes avec des taux négatifs, ce qui signifie qu'ils n'ont pas été réellement financés.
N'oublions pas l'éléphant au milieu de la pièce : notre dette sociale. Le rôle de la BCE a été essentiel à cet égard, avec le quantitative easing, mais celui-ci n'est plus d'actualité.
Faut-il cantonner la dette ? Nous le faisons pour la dette sociale, qui est remboursée par la Cades. Les fruits de la croissance contribuent à hauteur de 250 milliards d'euros au remboursement de la dette, via un programme budgétaire spécifique.
Quelle trajectoire doit-on donner à la dette de demain ? Quel avenir pour la dette écologique ? Cette dernière n'a jamais été sacrifiée sur l'autel de la dette financière ; les crédits en la matière ont toujours augmenté et ce sera encore le cas en 2025.
Nous devrons faire des choix forts pour redresser nos comptes ; je suis sûr que le Sénat formulera des propositions.
À la suite de M. Bilhac, je citerai Pierre Mendès France : « un pays qui ne sait pas redresser ses comptes publics est un pays qui s'abandonne ». (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Michel Canévet, pour le groupe UC . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Jean-François Husson et Emmanuel Capus applaudissent également.) Pour Emmanuel Capus, la croissance de la dette menace notre société. Florence Blatrix Contat a demandé si nous étions au bord du gouffre. Pour Éric Bocquet, on marche sur la dette, et sur la tête.
À cette dette financière, il faut ajouter la dette écologique - Thomas Dossus et Christine Lavarde l'ont évoquée.
Nous voyons qu'il nous faut dégager des marges de manoeuvre pour répondre aux enjeux du monde de demain.
En 2017, nous étions le sixième plus mauvais élève de l'Union européenne. Nous sommes devenus le troisième plus mauvais. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.
Certes, les crises sont passées par là, mais elles expliquent seulement un quart de la dette. Le Sénat formulera des propositions ; Jean-François Husson l'a déjà fait. Il serait bon que le Sénat soit entendu ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Jean-François Husson. - En effet !
M. Michel Canévet. - Ce niveau d'endettement est problématique. Il faut veiller à ce que la dette soit productive. Les collectivités territoriales doivent présenter des comptes à l'équilibre, pourquoi ne pas imposer cette règle aussi à l'État ? Nous devons nous préoccuper de la question des prêteurs. La dette japonaise, bien plus élevée que la nôtre, est détenue par la banque centrale du Japon et les taux d'intérêt sont nuls, ce qui signifie qu'elle ne pèse pas sur le budget de l'État.
Un grand emprunt est peut-être une réponse appropriée, comme l'a suggéré le rapporteur général.
La charge de la dette risque de grever notre capacité à agir. Deux tiers d'économies et un tiers en ressources supplémentaires : voilà les efforts que l'on nous annonce. Nous devrons trouver ces économies, le Sénat sera au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président