Disponible au format PDF Acrobat
Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Salut à une délégation étrangère
M. Gabriel Attal, Premier ministre
Sécurisation des jeux Olympiques
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer
M. Gabriel Attal, Premier ministre
M. Gabriel Attal, Premier ministre
M. Gabriel Attal, Premier ministre
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe
Liberté d'expression et audiovisuel public
Lutte contre le narcotrafic (I)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer
Lutte contre le narcotrafic (II)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer
Difficultés de recrutement des enseignants
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Quatrième année d'études en médecine générale
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention
Participation de Taïwan à l'assemblée de l'OMS
Investiture de Vladimir Poutine
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
Salut à une délégation des académies scientifiques
Responsabilité élargie des producteurs dans le secteur du bâtiment
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Frais bancaires sur succession
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission des finances
Saisie et confiscation des avoirs criminels (Conclusions de la CMP)
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la CMP
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
Discussion du texte élaboré par la CMP
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Dispositions législatives relatives à la santé (Deuxième lecture - Procédure accélérée)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales
Accompagnement humain des élèves en situation de handicap (Deuxième lecture)
Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement
Ordre du jour du mardi 21 mai 2024
SÉANCE
du mercredi 15 mai 2024
86e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage à Gérard César
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.) C'est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition de Gérard César, ancien sénateur de la Gironde. Nous honorons la mémoire du sénateur et de l'élu de terrain - le maire, le conseiller général - mais aussi, et avant tout, le viticulteur, ardent défenseur du vin, patrimoine de la culture française.
Ce viticulteur dans l'âme milite au sein du syndicalisme agricole et devient, au milieu des années 1960, président des jeunes agriculteurs girondins. Il dirigea la belle cave coopérative de Rauzan.
Élu conseiller général du canton de Pujols en 1973, il devient suppléant de Robert Boulin. L'année suivante, il est élu maire de Rauzan, et le restera jusqu'en 2022.
Gérard César devient député en 1976, lorsque Robert Boulin entre au Gouvernement, puis sénateur en juin 1990, succédant à Jean-François Pintat, tragiquement décédé. Il siège alors au groupe RPR ; il est membre de la commission des affaires sociales jusqu'en 1992, puis de la commission des affaires économiques, dont il deviendra vice-président en 2001. Il sera aussi membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne puis de la commission des affaires européennes.
Il fut toujours en première ligne pour défendre l'agriculture française et l'activité viticole au Parlement. Il crée et préside avec brio le groupe d'études Vigne et vin du Sénat de 2004 à 2017. Pour lui, le vin n'était pas de l'alcool ! Il est rapporteur de la loi d'orientation agricole et de la loi de modernisation agricole en 2005 et 2010.
En octobre 2017, il quitte le Sénat pour se consacrer à ses mandats locaux. Il présidera avec passion, jusqu'en 2022, l'association des maires de la Gironde. Il est toujours resté attaché à cette terre qu'il arpentait entre les rangs de ses vignes - cette terre qui produit le Haut-Mazières.
Il fut aussi le secrétaire général de l'Amicale gaulliste du Sénat. Je serai demain aux côtés de son épouse et de sa fille. (Mmes et MM. les sénateurs et Mmes et MM. les ministres observent un instant de silence.)
Salut à une délégation étrangère
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.) Je salue la présence dans la tribune d'honneur d'une délégation de parlementaires de la Chambre des Conseillers du Royaume du Maroc, conduite par le Dr Mohammed Zidouh, président du groupe d'amitié Maroc-France. Elle est accompagnée par Christian Cambon, président du groupe d'amitié France-Maroc.
À l'invitation du groupe d'amitié, la délégation effectue une visite d'étude en France, qui l'aura conduite de Marseille et Toulon à Paris. Elle s'est focalisée sur les questions de sécurité et de défense, en particulier en Méditerranée.
Cette visite intervient alors que nous célébrons le 80e anniversaire du débarquement en Provence, auquel les troupes marocaines ont éminemment contribué : dix mille morts pour la libération de notre pays. Notre mémoire partagée rappelle la profondeur des liens tissés au fil de l'histoire entre la France et le Maroc.
Ce matin, j'ai reçu la délégation pour un entretien qui nous a permis d'identifier les prochaines étapes du rapprochement entre nos deux assemblées.
Le dynamisme de notre coopération interparlementaire, qui doit tant au président Cambon, contribue à la relance de la relation bilatérale franco-marocaine que nous n'avons eu de cesse d'appeler de nos voeux.
Elle a également trouvé une expression forte dans le jumelage européen, achevé en mars 2023, dont notre Sénat a été le chef de file.
En votre nom à tous, je souhaite à nos amis de la Chambre des Conseillers du Maroc la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements nourris)
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Avant d'aborder une série de questions sur la Nouvelle-Calédonie, je souhaite appeler solennellement l'ensemble de la population calédonienne au calme et à la raison, comme viennent de le faire, dans un communiqué commun, les forces politiques calédoniennes, indépendantistes et non-indépendantistes. Tout embrasement supplémentaire mettrait à mal le vivre-ensemble et la construction du destin commun cher aux signataires de l'accord de Nouméa. Il y a déjà eu trop de morts, ce n'est pas acceptable.
Je rends hommage aux forces de l'ordre, à leur courage et à leur engagement face au déchaînement de violence auquel ils font face depuis plusieurs jours. Le nombre de blessés en témoigne.
J'exprime également ma solidarité aux victimes de ces débordements et exactions.
Enfin, mes pensées vont aussi aux agents pénitentiaires qui, dans l'exercice de leur mission pour l'État de droit, ont été assassinés pour deux d'entre eux et grièvement blessés pour trois autres.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Avant de répondre à plusieurs questions sur la Nouvelle-Calédonie, je veux avoir un mot pour les deux agents pénitentiaires froidement assassinés hier dans l'Eure. C'est un drame absolu, un bouleversement pour l'administration pénitentiaire, dont je salue l'engagement au service de la République, un bouleversement pour nos concitoyens, empreints de reconnaissance pour ceux qui les défendent au quotidien.
Car c'est bien la République qui a été attaquée hier. On a tiré sur nos lois, sur nos règles, sur des femmes et des hommes qui se battent contre l'impunité.
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale, notre détermination pour retrouver les auteurs est totale. Le ministre de l'intérieur a déployé des moyens exceptionnels. L'enquête progresse : ils sont traqués, ils seront trouvés et ils paieront !
Plus largement, nous travaillons avec l'administration pénitentiaire. Le garde des sceaux était hier à Caen et a reçu l'intersyndicale afin d'identifier les moyens de renforcer la protection que nous devons à nos agents pénitentiaires. (Applaudissements)
Nouvelle-Calédonie (I)
M. François Patriat . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Président de la République a convoqué ce matin un conseil de défense et souhaité l'instauration de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie. La situation est exceptionnelle. Trois de nos compatriotes sont décédés après une deuxième nuit de violences. Des gendarmeries ont été prises d'assaut, des policiers et gendarmes blessés. Nous rendons hommage aux forces de l'ordre et pensons à nos concitoyens qui vivent dans l'angoisse.
La violence doit cesser. Les premières victimes en sont les Calédoniens eux-mêmes. Je salue le courage des responsables politiques, loyalistes comme indépendantistes, qui ont appelé au calme.
Les accords de Nouméa ont affirmé le destin commun des Calédoniens. Par trois fois, ceux-ci ont choisi la République. Le projet de loi constitutionnelle adopté au Sénat et hier à l'Assemblée nationale est une étape nécessaire d'un processus qui suit depuis trente ans la voie démocratique.
Le Président de la République a tendu la main aux représentants calédoniens. La solution passera par le dialogue. Les violences ne panseront pas les blessures du passé, mais compromettent l'avenir.
Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour ramener l'ordre ? Quelles sont les voies pour rétablir le dialogue et bâtir l'avenir ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe INDEP ; Mme Annick Jacquemet applaudit également.)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - La Nouvelle-Calédonie est frappée par des violences graves qui ont provoqué des dégâts majeurs et blessé des centaines de personnes, des dizaines de policiers et gendarmes. Plusieurs sont décédées. J'ai une pensée pour les victimes et pour les Calédoniens qui veulent le retour au calme. Aucune violence n'est justifiable, aucune violence ne sera tolérée.
Je rends hommage aux forces de l'ordre qui gardent leur sang-froid malgré les tirs et protègent des vies.
L'urgence est le rétablissement de l'ordre et le retour au calme et à la sérénité.
Ce matin, le Président de la République a convoqué un conseil de défense, des décisions fortes ont été prises. Cet après-midi, un conseil des ministres exceptionnel actera la déclaration de l'état d'urgence, ce qui permettra le déploiement de moyens supplémentaires massifs. Le ministre de l'intérieur a annoncé quatre escadrons de gendarmerie mobile, des renforts du Raid et du GIGN ; le haut-commissaire a instauré un couvre-feu.
En Nouvelle-Calédonie, on ne sait que trop jusqu'où peuvent mener les violences. Le retour de l'ordre et du calme est la priorité absolue.
Je salue les responsables calédoniens, indépendantistes et non-indépendantistes, qui ont unanimement appelé à cesser les violences.
Après le Sénat en mars dernier, l'Assemblée nationale a adopté à son tour le projet de loi constitutionnelle hier. Celui-ci s'inscrit dans le processus engagé depuis la décision des Calédoniens, lors de trois référendums, de demeurer dans la République.
Le dégel du corps électoral est un enjeu démocratique : le Conseil d'État nous y a enjoint. Il s'agit de permettre à des milliers de personnes, nées en Nouvelle-Calédonie ou y vivant depuis des années, de participer aux élections provinciales.
Nous n'avons jamais cessé d'appeler au dialogue en tendant la main à tous, indépendantistes et non-indépendantistes. Nous gardons le cap du dialogue et cherchons à créer les conditions d'un accord politique global. C'est pourquoi le Président de la République a annoncé qu'il ne convoquerait pas immédiatement le Congrès et a proposé aux responsables calédoniens de se réunir à Paris pour tenter de trouver un consensus. Quoi qu'il en soit, nous devrons continuer à avancer. Mais avec toutes les bonnes volontés autour de la table, je ne doute pas que nous réussirons. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe INDEP)
Sécurisation des jeux Olympiques
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je veux dire mon soutien aux familles des agents décédés et à ceux qui ont été blessés lors de l'assaut barbare contre un fourgon pénitentiaire. Une telle violence n'est pas tolérable, justice doit être faite.
Cette attaque survient à quelques semaines des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), qui sont une chance pour la France, mais dont la sécurisation représente un défi majeur.
Nos forces de sécurité sont déjà fortement mobilisées pour maintenir l'ordre face à des émeutes violentes et récurrentes, pour lutter contre la drogue à travers les opérations « place nette », pour nous protéger contre une menace terroriste au plus haut. Nous saluons leur travail.
Dans un tel contexte, certains s'inquiètent de notre capacité à assurer la sécurité durant les JOP sans fragiliser celle des territoires, notamment lors de manifestations sportives, culturelles ou touristiques prévues cet été - sans oublier la lutte contre l'immigration clandestine sur les côtes du Nord-Pas-de-Calais.
Les moyens mis en oeuvre sont-ils à la hauteur des défis ? N'allons-nous pas déshabiller Pierre pour habiller Paul ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Permettez-moi de présenter mes condoléances aux familles des agents pénitentiaires tués hier et d'adresser une pensée aux forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, dont le gendarme qui lutte en ce moment pour la vie.
Les Jeux s'étendent sur une période assez longue : de l'arrivée de la flamme, le 8 mai, jusqu'aux jeux Paralympiques, mi-septembre. D'où l'augmentation des effectifs de police et de gendarmerie, la création de onze escadrons de gendarmerie et de CRS, le refus des congés pour tous les policiers, gendarmes et agents de préfecture. L'intégralité du personnel du ministère de l'intérieur, 100 % des policiers et gendarmes, seront présents partout sur le territoire national pendant les JOP, contre 50 % pour un été ordinaire.
Nous pourrons ainsi aligner les 45 000 policiers et gendarmes nécessaires en Île-de-France, mais aussi garantir le même niveau de sécurité sur tout le territoire, accueillir le Tour de France à Nice, les festivités du 14 juillet, les manifestations culturelles, faire face à d'éventuels mégafeux et tenir la frontière. Dans le Nord, il y aura plus de policiers et de gendarmes que l'été dernier.
La flamme est arrivée à Marseille et a déjà franchi huit étapes sans incident. Soyons fiers de nos forces de l'ordre ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
M. Dany Wattebled. - Merci pour votre réponse, et vive les Jeux ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Financement des Ehpad
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Au nom du RDSE, je partage les inquiétudes exprimées sur la situation en Nouvelle-Calédonie et adresse mes condoléances aux familles des agents pénitentiaires tués dans l'Eure.
Selon la Fédération hospitalière de France, 80 % des Ehpad publics ont enregistré un déficit l'année dernière, presque deux fois plus qu'en 2019.
Une réforme structurelle de leur financement s'impose. Les fonds d'urgence répétés - 100 millions d'euros l'an dernier, 695 millions cette année - n'ont pas stoppé l'hémorragie. Confrontés à l'inflation, à la compensation incomplète des revalorisations salariales et à la stagnation des tarifs d'hébergement, les directeurs d'établissement sont conduits à chercher des économies sur tout et sur tous.
Le système de dotation soins et dépendance mis en place par la loi de 2015 ne permet plus aux Ehpad d'assurer une prise en charge adéquate. Ce n'est pas une question de volonté de la part des personnels, dont nous saluons le dévouement.
La question du financement de la cinquième branche de la sécurité sociale est centrale. Nous ne pouvons faire peser sur les résidents et leurs familles cette situation budgétaire intenable.
Quelle réforme envisagez-vous pour le financement des Ehpad ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - Ces derniers mois ont été émaillés de témoignages révoltants sur les conditions de vie dans certains Ehpad. Ils ont fait douter les familles et jeté l'opprobre, injustement, sur des personnels qui, dans leur écrasante majorité, se donnent sans compter - je leur rends hommage.
Nous devons répondre au défi des Ehpad, car le grand âge est un enjeu d'avenir majeur. L'ensemble du secteur souffre de l'inflation et d'un manque d'attractivité des métiers. Avec Fadila Khattabi, nous répondons présent : vaste plan de contrôle, fonds d'urgence de 100 millions d'euros, augmentation inédite des dotations dans le cadre du Ségur - soit 4 milliards d'euros de plus pour nos aînés.
Malgré tout, les établissements connaissent des difficultés structurelles. Nous prenons le problème à bras-le-corps. Nous augmentons la dotation aux Ehpad publics de 5 % cette année, et les situations difficiles sont suivies par les ARS.
Pour préserver les plus modestes, la loi Bien vieillir a instauré deux tarifs d'hébergement, différenciés selon les revenus.
Mais il faut aller plus loin, notamment sur la gouvernance. Nous avons donc proposé aux départements une expérimentation qui verrait l'État financer la dépendance : un quart d'entre eux ont candidaté. Le rapport Woerth, attendu prochainement, abordera la question.
Nous continuerons à agir avec force pour le bien vieillir dans notre société. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Nouvelle-Calédonie (II)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il est minuit à Nouméa et, à 17 000 km de Paris, la République vacille. La Nouvelle-Calédonie s'embrase : trois personnes ont été tuées lors de cette dernière nuit d'affrontements. Mes pensées vont aux familles endeuillées, aux pompiers et aux forces de l'ordre déployées sur le terrain.
L'ordre républicain doit être rétabli en Nouvelle-Calédonie, dans les rues et dans les esprits. Cela suppose une réponse sécuritaire, mais aussi la construction de justes équilibres pour sortir de la crise.
Nous vous avons alerté en vain à maintes reprises - le 7 mai dernier encore, avec Boris Vallaud. Il faut renouer avec la lucidité, l'humilité et l'impartialité qui prévalaient depuis 1988. Il faut créer une mission de dialogue, annoncer que le Congrès ne sera pas convoqué et aboutir, sans ultimatum, à un accord global tripartite, dont vous devez être le garant, monsieur le Premier ministre. Car ce dossier n'aurait pas dû quitter le bureau du Premier ministre.
Allez-vous interrompre le processus constitutionnel ? Vous engager personnellement ? Vous rendre sur place ? (Applaudissements à gauche)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - La volonté commune, la priorité absolue, c'est le retour à l'ordre, au calme et à la sérénité. Aucune violence n'est justifiable ni acceptable. Je réitère mon soutien à nos forces de sécurité, qui seront renforcées dans les prochaines heures pour continuer à protéger les Calédoniens.
Pour le reste, je le redis : il y a eu un processus démocratique, qui a conduit les Calédoniens à se prononcer par trois fois par référendum. (M. Yannick Jadot proteste.) Un projet de loi constitutionnelle a été adopté dans les mêmes termes par les deux chambres du Parlement.
M. Yannick Jadot. - Et alors ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - La procédure institutionnelle, démocratique, c'est de convoquer le Congrès. (M. Yannick Jadot proteste.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il y a l'actualité !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Si nous n'étions pas ouverts au dialogue, si nous ne recherchions pas un accord politique global, nous l'aurions convoqué immédiatement. (Protestations sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Yannick Jadot. - Prenez le temps !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Le Président de la République a proposé de mettre auparavant l'ensemble des responsables calédoniens autour de la table, pour laisser du temps au dialogue.
Je vais proposer aux forces politiques calédoniennes de fixer une date pour nous rencontrer et avancer ensemble, au service des Calédoniens et de la République. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe INDEP)
M. Patrick Kanner. - Sur fond de crise économique, sociale et institutionnelle et d'influence étrangère, vous avez délibérément tourné le dos à la méthode éprouvée par Michel Rocard et Lionel Jospin. (M. Gabriel Attal le réfute.) C'est la première fois depuis 1988 que l'on engage un processus constitutionnel avant d'avoir trouvé un accord local. (M. Rachid Temal renchérit.) Votre rôle est de prévenir les crises, pas d'éteindre les incendies ! (Applaudissements à gauche)
Nouvelle-Calédonie (III)
Mme Cécile Cukierman . - J'associe à cette question notre collègue Robert Xowie, retenu en Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le Premier ministre, votre jusqu'au-boutisme a plongé la Nouvelle-Calédonie dans une crise profonde. On dénombre des centaines de blessés, dont un gendarme grièvement ; trois manifestants ont déjà été tués. C'est terrible. Il faut que cela cesse. Au nom de mon groupe, je présente mes condoléances aux familles des victimes.
En faisant adopter à marche forcée le projet de loi actant le dégel du corps électoral, vous remettez en cause le processus de décolonisation issu des accords Nouméa et faites vaciller la paix civile. En poussant l'Assemblée nationale au vote du texte - victoire à la Pyrrhus - vous saviez que vous fermiez la porte au dialogue !
Ce n'est pas un conseil de sécurité qu'il faut, mais le retrait du projet de loi, comme le demandent la quasi-totalité des groupes politiques au Congrès de Nouvelle-Calédonie.
L'état d'urgence, annoncé il y a une heure, signe la faillite de votre politique. C'est une faute d'y recourir pour imposer un projet de loi, de surcroît constitutionnelle.
Stoppez cet engrenage ! Allez-vous retirer le projet de loi constitutionnelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - J'étais en accord avec le début de votre question, moins avec la fin.
L'état d'urgence n'est pas instauré pour un projet de loi, mais pour protéger les Calédoniens des violences. Les mesures décidées en conseil de défense visent le retour à l'ordre, préalable à tout. La violence n'est jamais justifiable ni acceptable.
Pour le reste, j'ai déjà répondu à MM. Patriat et Kanner. Le processus conduit ces dernières années, avec Sébastien Lecornu puis Gérald Darmanin, a permis la tenue des référendums et l'élaboration de ce texte, adopté largement par le Sénat et l'Assemblée nationale.
Face aux tensions, je salue la responsabilité des forces politiques calédoniennes qui ont appelé au calme et à la fin des violences. Nous devons nous hisser à cette hauteur.
Notre main est toujours tendue, nous sommes ouverts au dialogue. Je souhaite que la rencontre avec les forces politiques calédoniennes se tienne très rapidement. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. - Le dialogue ne se décrète ni ne s'impose : il se construit, dans le respect. Vous avez attisé le feu, il est temps de l'éteindre et de poser les bases d'un avenir meilleur, pour le peuple kanak comme pour la République française. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Géorgie
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP) La République de Géorgie poursuivait son chemin vers l'Union européenne, confirmé par l'obtention du statut de candidat à la fin de l'année dernière. Mais cette dynamique est désormais menacée.
Sur l'initiative du parti au pouvoir, dirigé par l'oligarque Bidzina Ivanichvili, des lois qui tournent le dos aux valeurs européennes sont adoptées. Le projet de loi sur la transparence - qui rappelle la loi russe sur les agents étrangers - suscite une vaste opposition et de nombreuses manifestations à Tbilissi. Dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et la présence militaire russe dans le Caucase, la Géorgie risque l'isolement.
La France a une relation historique avec la Géorgie, marquée par l'accueil du gouvernement géorgien en exil entre 1918 et 1921 et le rôle de la France dans la stabilisation post-guerre russo-géorgienne de 2008. La présidente Salomé Zourabichvili, franco-géorgienne, s'oppose avec beaucoup de courage aux caciques en place.
Comment la France compte-t-elle défendre nos intérêts stratégiques communs et soutenir les Géorgiens dans leur aspiration européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe . - Depuis plusieurs semaines, le peuple géorgien se lève pour défendre la liberté et la démocratie en bravant les milices, en brandissant le drapeau européen, en chantant l'Ode à la joie. Nous ne pouvons y rester sourds. À l'heure où l'Europe est si décriée par les nationalistes et populistes de tous bords, ce chant qui s'élève dans la nuit nous rappelle que l'Europe, c'est la liberté, la démocratie et l'espérance pour tant de peuples du monde.
Je veux dire au peuple géorgien que la France et l'Europe l'entendent. Une délégation sénatoriale menée par le président Rapin a relayé ce message en Géorgie. La France déplore l'adoption de ce projet de loi, condamne les violences contre les manifestants et appelle les autorités géorgiennes à respecter les libertés, notamment celle des médias.
La France se tient aux côtés de la Géorgie dans son chemin vers l'Union européenne, le seul auquel son peuple aspire. Rien n'est plus puissant qu'une idée dont le temps est venu. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Liberté d'expression et audiovisuel public
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dimanche dernier, les organisations syndicales de Radio France ont appelé à la grève pour défendre la liberté d'expression, à la suite d'évènements troublants, notamment dans nos universités. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
D'abord, l'humoriste Guillaume Meurice a été suspendu pour des propos tenus à l'antenne, qui n'ont pourtant pas été condamnés par la justice - au contraire, puisque la plainte a été classée sans suite.
Ensuite, Rachida Dati a présenté un projet de fusion-acquisition des médias publics. Lundi, un député de votre majorité a proposé de remplacer France 24 par France Info. Dans le même temps, des émissions majeures sur l'environnement vont être déprogrammées : Vert de rage, Le pourquoi du comment, La terre au carré, entre autres. Après tout, qui aurait pu, n'est-ce pas, prédire la crise démocratique et climatique ?
La démocratie est vivante quand elle est plurielle, et les médias publics sont puissants quand ils sont libres de s'exprimer. (Marques d'impatience sur les travées du groupe Les Républicains) Comment comptez-vous garantir la libre expression de ces médias ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement . - Je vous prie d'excuser la ministre de la culture.
M. Laurent Burgoa. - Elle est au Festival de Cannes !
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée. - Afin de renforcer l'audiovisuel public, qui fait face à une concurrence exacerbée et à une défiance croissante à l'égard de l'information, un projet de loi est en cours d'examen à l'Assemblée nationale.
Ce texte ne sort pas de nulle part : il s'inspire de rapports parlementaires en faveur d'un audiovisuel fort et indépendant - Gattolin-Leleux, Karoutchi-Hugonet, Gaultier-Bataillon. Nous devons continuer à travailler ensemble sur ces enjeux.
Je m'étonne de vos propos sur la liberté d'expression, alors que vos amis de l'Assemblée nationale ont appelé, pas plus tard qu'hier, à supprimer les éditorialistes. (Exclamations sur les travées du GEST et du groupe SER ; applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Charité bien ordonnée commence par soi-même ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Lutte contre le narcotrafic (I)
M. Étienne Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les sénateurs Les Républicains expriment leur effroi et leur compassion à la suite du drame intervenu dans l'Eure.
Avec le président Durain, nous avons mené une enquête sur le narcotrafic en France. Notre rapport montre une dissonance entre le chiffre d'affaires du narcotrafic, de 3,5 milliards à 6 milliards d'euros, et le montant des saisies réalisées par la justice, 117 millions d'euros...
Dans une République qui connaît des difficultés à faire fonctionner sa justice et sa police, les confiscations et les saisies constituent pourtant un gisement de ressources très important !
Pourquoi un taux aussi faible ? Quelles en sont les causes ? Quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en place pour saisir ce qui doit l'être et qui doit contribuer à la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Nous rejoignons vos propos : notre pays est en deuil, car deux agents de l'administration pénitentiaire ont été lâchement abattus par un commando barbare. Le garde des sceaux s'est immédiatement rendu à Caen. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. François Bonhomme. - Ce n'est pas le sujet.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Comme l'a dit le Premier ministre, c'est bien la République qui est attaquée. En ce moment même, le garde des sceaux échange avec les syndicats pénitentiaires. (Les protestations redoublent.)
La violence de ces crimes inouïs a conduit le garde des sceaux à prendre des mesures radicales contre le crime organisé (vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains) : création d'un parquet national anticriminalité, cour d'assises spécialement composée pour les règlements de comptes, statut du repenti, nouveau crime d'association de malfaiteurs. À l'automne, le Gouvernement présentera un projet de loi, qui pourra s'inspirer de votre rapport, dont le garde des sceaux salue la qualité.
M. François Bonhomme. - Merci !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Nous tirerons les conclusions qui s'imposent, notre main ne tremblera pas, ni sur les confiscations ni sur les sanctions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Étienne Blanc. - Votre absence de réponse montre bien l'ampleur du désastre. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)
Nouvelle-Calédonie (IV)
M. Georges Naturel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, depuis trois jours, nos compatriotes calédoniens sont confrontés à l'insurrection et au chaos urbain. Déjà quatre morts, et l'on vient d'en apprendre un cinquième - un gendarme qui voulait défendre la République et protéger les Calédoniens ; plus de 100 entreprises pillées ou détruites ; des milices civiles dans les quartiers.
Je rends hommage aux forces de l'ordre, qui affrontent avec courage et ténacité ce chaos, et à tous les Calédoniens, qui ont perdu leurs biens et qui ne cèdent pas aux provocations.
Le Président de la République va déclarer l'état d'urgence ; je salue cette initiative, car il faut, à tout prix, rétablir l'ordre en Nouvelle-Calédonie.
Comment renouerez-vous les fils du dialogue, monsieur le Premier ministre ? Avec quels acteurs calédoniens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Nous venons d'apprendre la mort d'un gendarme de 24 ans, de l'escadron de Melun. J'ai une pensée pour lui, sa famille et ses camarades. Les vieux - comme l'on dit en Nouvelle-Calédonie - sont venus parler aux gendarmes, il a retiré son casque, et s'est fait tirer dessus, en plein front.
Nous rétablissons la démocratie en Nouvelle-Calédonie, car la volonté du peuple calédonien s'est exprimée, par trois fois. Des centaines de policiers et gendarmes sont blessés et leurs familles sont terrorisées. Des femmes parturientes ont traversé, escortées par les gendarmes, la Nouvelle-Calédonie pour aller accoucher en toute sécurité, mais elles se sont fait tirer dessus ! Cette violence n'a rien à voir avec la politique.
La cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), qui est loin du FLNKS, est un groupe mafieux, qui veut instaurer la violence, comme il l'a fait l'an dernier dans la province Sud.
Il y a un dialogue avec le FLNKS et les loyalistes. Je salue, à l'instar du Président du Sénat et du Président de la République, le communiqué commun de toutes les forces politiques.
Ne confondons pas les manifestations politiques avec les violences de ceux qui pillent et tuent. Jamais la République ne tremblera devant les kalachnikovs. (Applaudissements nourris sur les travées du RDPI et sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains).
M. Georges Naturel. - Il faut rétablir l'ordre et reconstruire ce qui a été détruit, mais ce sera long. Il faut aussi renouer les fils du dialogue. Confierez-vous ce chantier à de nouveaux interlocuteurs ? Monsieur le Premier ministre, ne nous abandonnez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Lutte contre le narcotrafic (II)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le drame d'hier dans l'Eure a profondément ému la représentation nationale ; nous exprimons nos condoléances aux proches des agents sauvagement assassinés.
Avec toute la prudence qui convient, il est difficile de ne pas lier ces faits aux constats formulés par notre commission d'enquête sur le trafic de stupéfiants. Notre assemblée appelle à un sursaut pour sortir du piège du narcotrafic.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous persistez à vouloir attaquer ce fléau par le bas ; nous pensons, nous, qu'il faut frapper les réseaux au portefeuille et à la tête. Répondrez-vous à l'appel unanime du Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Vous parlez de prudence, mais il a un lien - c'est l'évidence - entre l'attaque ignoble d'hier et le narcotrafic.
C'est un narcotrafiquant qui était en cours de transfert, après être passé deux fois devant les assises pour voir commandité des meurtres à Marseille - où police et justice font un travail formidable, dans des conditions très difficiles. Et sans doute l'équipe de tueurs est-elle similaire à celles impliquées dans les règlements de comptes qui se produisent dans le sud de la France.
Je l'ai dit devant votre commission d'enquête : le plus grand danger pour l'unité nationale est le narcotrafic.
Oui, il faut, par le bas, attaquer les points de deal, interpeller les « choufs », opérer des saisies et arrêter les consommateurs. Mais nul ne doute qu'Étienne Blanc et vous-même ayez raison : l'argent du crime doit être confisqué. Nous devons, collectivement, faire cent fois plus qu'aujourd'hui ; nous suivrons les recommandations du Sénat.
Mais, plus largement, c'est le monde entier qui doit agir davantage. La première cause de mortalité aux États-Unis est le fentanyl. Aux Pays-Bas et en Belgique, on assassine des journalistes, des avocats, peut-être des femmes et des hommes politiques. En Amérique du Sud, la production de stupéfiants a été multipliée par 100. En Afghanistan aussi, la production d'héroïne et de cocaïne bondit, réduisant leur coût chez nous.
Nous devons tous nous réveiller. La drogue n'est jamais festive et toujours mortelle : plus un seul discours ne doit en accepter la consommation ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur certaines travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Jérôme Durain. - L'écart est grand entre votre discours et les actes du Gouvernement. Nous pensons, nous aussi, que la drogue est la plus grande menace sécuritaire, mais votre réponse n'est pas au niveau.
Contre le terrorisme, nous sommes en ordre de bataille ; contre le narcotrafic, nous sommes en ordre dispersé. Corruption, outre-mer, blanchiment, ports, prisons, coopérations internationales, moyens pour la police et la justice : tous les chantiers sont ouverts.
Le Sénat avance des pistes : parquet national antistupéfiants, « Drug Enforcement Administration (DEA) à la française ». Nous vous proposons une stratégie globale, des moyens suffisants, un pilotage spécifique favorisant la coordination entre services. Il est temps que le Gouvernement se saisisse de nos travaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du RDSE ; MM. Franck Dhersin et Rémy Pointereau ainsi que Mme Nadine Bellurot applaudissent également.)
Difficultés de recrutement des enseignants
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains) Madame la ministre de l'éducation nationale, vous avez reconnu les difficultés de recrutement d'enseignants dans certaines académies. De fait, pour le concours de professeur des écoles, le nombre de candidats par poste n'a jamais été aussi faible.
Chaque année, le Gouvernement répond par le recrutement de contractuels, dont la formation est loin d'être adaptée. Passer le concours à bac+3 sera très insuffisant, car les problèmes sont systémiques : rémunération, déroulement des carrières, mobilité, manque de reconnaissance. Qui souhaiterait gagner 1,1 Smic en début de carrière après cinq ans d'études ?
La gestion des ressources humaines ne fonctionne qu'à l'ancienneté : en envoyant les jeunes professeurs loin de chez eux, dans les territoires les plus difficiles, on leur demande souvent de sacrifier leur projet de vie.
Quand le Gouvernement instaurera-t-il enfin un pacte d'attractivité pour la profession ? Il y va de l'avenir de notre jeunesse ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Oui, nous rencontrons des difficultés de recrutement, mais c'est le cas pour tous les pays de l'Union européenne (on ironise à droite et sur certaines travées à gauche), quels que soient les rémunérations et les systèmes.
Pour assurer la rentrée prochaine, nous recruterons, en effet, des contractuels ; nous le ferons suffisamment tôt, parfois dès le 1er juin, pour qu'ils bénéficient d'une formation - c'est un progrès.
Nous avons augmenté la rémunération des enseignants, notamment en début de carrière : un enseignant du premier degré commence par gagner plus de 2 100 euros nets par mois, contre moins de 1 800 euros en 2017.
Enfin, nous avons lancé une réforme, structurante et enthousiasmante, de la formation initiale. La préparation au concours, à bac+3, sera suivie jusqu'au master d'une formation professionnalisante, rémunérée.
Ces différentes mesures sont de nature à renforcer l'attractivité du métier d'enseignant, le plus beau du monde selon Péguy.
M. Rachid Temal. - Il faut le payer !
Mme Catherine Belrhiti. - Pour avoir enseigné pendant quarante ans, je sais ce qu'est ce métier.
Vous traitez le problème de l'attractivité par de petites réformes, mais il faut repenser la profession et l'insertion des jeunes enseignants. La régionalisation des concours, notamment, est une nécessité. Sans un nouveau pacte fondateur, la contractualisation de l'éducation nationale sera inexorable.
Seuls des professeurs épanouis pourront former les têtes bien faites de demain ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)
Quatrième année d'études en médecine générale
M. Guislain Cambier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Depuis décembre 2022, il est prévu que les internes en quatrième année de médecine générale accomplissent un stage en cabinet. Il s'agit de faciliter leur future installation et de répondre aux besoins croissants de la population en matière de santé. De beaux objectifs, mais rien n'est prêt. Élus, médecins et étudiants nous alertent : il est urgent de publier les textes réglementaires !
Votre prédécesseur a engagé la parole de l'État, mais les actes se font attendre. Dans le Nord, la place manque dans les cabinets pour recevoir 250 docteurs juniors par an. Les élus locaux sont prêts à accompagner la mesure pour attirer les jeunes médecins vers nos territoires, mais, pour mettre à disposition, voire construire des locaux et des logements, il faut un calendrier précis.
Où et sous quelle autorité les docteurs juniors exerceront-ils ? Comment leurs maîtres de stage seront-ils formés ? Quid de leur rémunération et de leur logement ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention . - La médecine générale est essentielle pour l'avenir de notre système de santé. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité lui envoyer un signal fort d'attractivité et de reconnaissance : nous voulons que les jeunes médecins soient de plus en plus nombreux à choisir cette spécialité et à s'installer dans nos territoires.
Mes prédécesseurs, en liaison avec Sylvie Retailleau, ont prévu une quatrième année pour le diplôme d'études spécialisées de médecine générale, afin de favoriser l'installation en sortie de cursus. La nouvelle maquette de formation a suscité des questionnements. J'ai donc demandé à des personnalités qualifiées de poursuivre la concertation pour assurer le succès de cette réforme. Je veillerai à ce que les textes d'application soient publiés avant la fin de l'été.
Dès 2026, 3 600 docteurs juniors pourront consulter, sous la supervision de médecins généralistes, dans tous nos territoires, notamment les moins dotés. Nous devons travailler sans attendre à leurs conditions d'accueil et de logement : j'ai reçu à cette fin les associations d'élus locaux.
Combinée à la fin du numerus clausus, cette réforme marque un tournant majeur pour la structuration des soins primaires dans notre pays. En agissant dès maintenant, nous serons au rendez-vous. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)
M. Guislain Cambier. - Nombre d'internes lillois qui ont découvert Maubeuge ou Gouzeaucourt veulent s'y installer. Nous voulons la réussite de cette réforme ! C'est pourquoi nous attendons les textes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Participation de Taïwan à l'assemblée de l'OMS
Mme Else Joseph . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Lors de la pandémie de covid 19, nous avons mesuré combien la coopération de tous les pays et leur inclusion dans les dispositifs de l'OMS sont vitales. Lors de la 77e assemblée mondiale de la santé, dans quelques jours, un accord sur la réponse aux pandémies pourrait être conclu. L'efficacité de cette réponse suppose que tous les pays, sans exclusive, soient intégrés au dispositif.
Par la voix de M. Le Drian puis de Mme Colonna, la France s'est déclarée favorable à la participation de Taïwan aux instances de l'OMS, reconnaissant ainsi son expertise médicale. Mais, en pratique, Taïwan n'est pas autorisée à participer à des dispositifs comme le système mondial de surveillance de la grippe ou le réseau mondial de vérifications sanitaires numériques. En cas de nouvelle pandémie, l'impossibilité d'émettre et de contrôler des documents numérisés conformes aux normes internationales entraînerait des difficultés pour les Taïwanais qui travaillent à l'étranger et les étrangers qui vivent dans le pays, dont plusieurs milliers de Français.
Cette exclusion va à l'encontre des objectifs de l'OMS ; elle pénalise la santé publique mondiale, donc la santé des Français. La lutte contre les pandémies ne doit pas être sacrifiée à des pressions mesquines ! Pourquoi cette lenteur pour intégrer pleinement Taïwan aux activités de l'organisation, alors qu'on déroule le tapis rouge à d'autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger . - Je connais l'intérêt que vous portez à ce sujet en tant que vice-présidente du groupe d'échanges et d'études Sénat-Taïwan, présidé par Jean-Baptiste Lemoyne.
Comme chaque année, la question de la participation de Taïwan à l'assemblée mondiale de la santé se pose. La position de la France est constante : il y a une seule Chine. Toutefois, dans le respect de ce principe, nous soutenons la participation de Taïwan aux travaux des organisations internationales, lorsque leur statut le permet et que cela va dans l'intérêt collectif.
Depuis 1964, la France s'en tient à la politique d'une seule Chine et n'entretient pas de relations diplomatiques avec Taïwan, sans que cela n'empêche le développement entre nous de coopérations riches dans de nombreux domaines.
Nous appelons l'OMS, dans le respect de ses statuts, à inclure davantage Taïwan dans ses travaux, notamment lors de la prochaine assemblée mondiale de la santé. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Else Joseph. - Merci pour votre réponse, mais il est temps de passer de la parole aux actes ! Les décisions de l'OMS doivent échapper aux pressions politiques ou économiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Investiture de Vladimir Poutine
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quel message le Président de la République et le Gouvernement souhaitaient-ils adresser aux Français et au monde en envoyant l'ambassadeur de France à l'investiture de Vladimir Poutine ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe . - (On ironise sur les travées du groupe SER ; M. Rachid Temal reste debout pendant la réponse du ministre.) Merci beaucoup pour votre question. (Rires à gauche)
Nul ne peut accuser le Président de la République de manquer de fermeté à l'égard de Vladimir Poutine. Dès les premiers jours de l'invasion russe en Ukraine, la France a initié le premier paquet de sanctions. C'est encore la France qui a signé un accord de sécurité avec l'Ukraine, à hauteur de 3 milliards d'euros - le Sénat a voté cet accord.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La question ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - C'est enfin la France qui a condamné le contexte de répression dans lequel se sont tenues les élections russes, notamment dans les territoires occupés. (Protestations sur les travées du groupe SER)
Monsieur le sénateur, vous utilisez votre question pour pointer du doigt la diplomatie française. J'utiliserai ma réponse pour lui rendre hommage, et en particulier à Pierre Levy, notre ambassadeur en Russie. (Exclamations sur les travées du groupe SER)
M. Hervé Gillé. - Que faisait-il là-bas ?
M. Hussein Bourgi. - Ce n'est pas le sujet !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Il accomplit sa mission depuis quatre ans dans des conditions difficiles. En se joignant au rassemblement du peuple russe en mémoire d'Alexeï Navalny, victime d'un assassinat politique, il a montré le meilleur visage de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Rachid Temal. - Nous défendons nos diplomates : c'est vous qui avez mené la réforme du corps diplomatique ! Ma question ne remet pas en cause leur travail remarquable.
C'est vous qui n'avez pas protégé notre ambassadeur, convoqué à trois reprises par le pouvoir russe en 2024 ; le lendemain même d'une convocation, vous l'envoyez à la cérémonie d'investiture ! Aucun pays européen, sauf la Hongrie et la Slovaquie, n'était présent le 9 mai ; aucun pays du G7 n'y était.
Le Président de la République avait condamné les résultats de l'élection ; moins d'un mois plus tard, il envoie son ambassadeur à la cérémonie : c'est une faute ! La position de la France n'est pas claire : c'est un double discours. Vous abaissez la parole de la France.
C'est une faute diplomatique, politique et morale ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes CRCE-K et Les Républicains)
Sommet Choisissez la France
Mme Anne-Marie Nédélec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Près de 15 milliards d'euros d'investissements ont été annoncés à la suite du sommet Choisissez la France. Mais notre attractivité repose avant tout sur le crédit impôt recherche (CIR), qui fait de la France une terre de recherche plus qu'une terre de production. Quelle part de ces investissements seront consacrés à des emplois et combien à des rachats d'actions ? Les subventions à la relocalisation attirent les projets, mais ne les ancrent pas dans la durée dans nos territoires.
Les projets d'investissement auront-ils un impact durable en matière de valeur ajoutée ? Quand et comment renforcerez-vous l'attractivité réelle de la France en améliorant les conditions de la production ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics . - Ce septième sommet Choose France est un magnifique succès...
M. Mickaël Vallet. - Et en français, cela donne quoi ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Pas moins de 15 milliards d'euros d'investissements, 56 projets dans nos territoires, avec 10 000 emplois à la clef et des centaines d'entrepreneurs réunis à Versailles.
Il couronne la politique menée depuis 2017 par Bruno Le Maire sur un cap fixé par le Président de la République.
Nous sommes le pays le plus attractif d'Europe. Mais cela ne tombe pas du ciel ! Cela résulte de notre politique fiscale, d'investissement - avec l'action de France 2030 en faveur de l'innovation de rupture -, de notre politique de formation et de la loi Industrie verte.
Quand il y a des bonnes nouvelles, il faut savoir s'en féliciter ! (MM. François Patriat et Ludovic Haye applaudissent.)
Mme Anne-Marie Nédélec. - Je m'en réjouis, mais les chiffres sont têtus : d'après le baromètre Ernst & Young, la rentabilité moyenne en termes d'emploi de chaque projet est de 33 en France, contre 59 en Allemagne ou au Royaume-Uni ; d'après l'Insee, le niveau des investissements directs étrangers revient à leur niveau d'il y a dix ans ; selon Usine nouvelle, sur 52 projets des sommets Choisissez la France depuis dix ans, seuls une trentaine ont réellement abouti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Salut à une délégation des académies scientifiques
M. le président. - Je voudrais saluer la présence en tribune du président de l'Académie des sciences, Alain Fischer, et de la présidente de l'Académie nationale de médecine, Catherine Barthélémy. Ils sont accompagnés d'une trentaine d'académiciens et de chercheurs ainsi que des députés et sénateurs membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), présidé par le sénateur Stéphane Piednoir.
Cette présence s'inscrit dans le cadre d'un partenariat initié par l'Office avec les Académies pour favoriser une meilleure compréhension entre science et politique. En votre nom à tous, je leur souhaite la bienvenue et des échanges fructueux. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)
Questions d'actualité (Suite)
Responsabilité élargie des producteurs dans le secteur du bâtiment
Mme Anne-Catherine Loisier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Pas moins de 1 500 entreprises de la transformation du bois sont aujourd'hui frappées par la mise en place de la responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits du bâtiment issus de la loi Agec. Des risques de blocage et de fraude existent, mais aussi un recours accru aux importations, car les tarifs de prise en charge en fin de vie peuvent être jusqu'à vingt fois plus élevés que pour le béton et l'acier.
Leur écocontribution peut représenter jusqu'à 3 % de leur chiffre d'affaires - jusqu'à 6 ou 9 % d'ici 2027 !
Imposer de tels surcoûts au bois est un non-sens : le barème ne tient pas compte du cycle de vie vertueux du bois et ignore que le bois de déconstruction est déjà aujourd'hui largement trié et réutilisé pour la production de panneaux, de palettes et de biomasse énergie. Cette économie circulaire existante n'est pas prise en compte par la REP.
Pour le parquet de bois massif, le surcoût est de 400 %.
Que ferez-vous pour protéger la compétitivité des entreprises françaises ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Cette filière n'est pas la plus simple : quatre éco-organismes y interviennent, dont trois manquent de transparence - une mission conduite du ministre des finances vise à y remédier.
Une concertation spécifique avec les acteurs du bois, comme la Fédération nationale du bois (FNB) ou l'Union des industriels et constructeurs bois (UICB), est aussi en cours pour éviter les zones blanches de reprise : si vous pointez le coût, d'autres regrettent le manque de services.
J'ai signé un arrêté le 20 février dernier et un décret, actuellement en consultation, devrait être pris d'ici à fin juin.
Nos produits, qui sont frais, sont confrontés à la concurrence de produits préfabriqués étrangers. Le 20 février, nous avons mis en place un abattement pour que les produits avec un taux d'humidité de plus de 20 % puissent faire l'objet d'un coût moindre au moment de leur mise sur le marché. Avec le décret, nous modulerons les niveaux de financement des matériaux en fonction de la réalité de la collecte et du recyclage, pour plus d'équité. (MM. François Patriat et Yves Bleunven applaudissent.)
La séance est suspendue à 16 h 25.
Présidence de M. Mathieu Darnaud, vice-président
La séance reprend à 16 h 40.
CMP (Nominations)
M. le président. - Des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Frais bancaires sur succession
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.
Discussion générale
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics . - Ce texte, qui encadre les frais bancaires à la succession en cas de décès, est de justice et d'humanité.
D'humanité, tout d'abord : il ne faut pas ajouter la fragilité à la fragilité. De justice, ensuite : sans encadrement, la perte subie par les personnes concernées s'ajoute à des frais parfois excessifs.
Je salue le travail de la députée Christine Pires Beaune et du sénateur Hervé Maurey. Le Gouvernement et la majorité ont été à vos côtés pour le faire aboutir. Comme Olivia Grégoire l'a rappelé à l'Assemblée nationale, nous agissons contre les frais bancaires depuis 2017. En 2019, l'élargissement des critères de fragilité a concerné 700 000 Français de plus, pour 4,1 millions de personnes en tout.
Au-delà de la lutte inlassable que nous menons contre les fraudeurs...
Mme Nathalie Goulet. - Bravo !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Ce texte est l'aboutissement de l'engagement de Bruno Le Maire, qui avait permis la réduction de certains frais bancaires dès 2021.
Le rapporteur a enrichi le texte pour garantir l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi. Sont définis trois cas de gratuité, qui permettront de couvrir entre 30 % et 40 % de la population : lorsque l'héritier justifie de sa qualité ; lorsque le total des sommes est inférieur à 5 000 euros ; lorsque le titulaire du compte était mineur à la date du décès. Il est insupportable en effet d'avoir à acquitter des frais bancaires lorsqu'on vient de perdre son enfant.
Cependant, il y a bien un coût pour les banques : gel des avoirs, déclarations à l'administration fiscale, ou encore du transfert des fonds aux héritiers selon les ordres du notaire. C'est pourquoi la gratuité est ciblée. La commission des finances du Sénat a ainsi prévu un barème pour le plafonnement des frais, déterminé par décret ; il ne pourra pas dépasser 1 % de l'ensemble des sommes concernées.
Les agents de l'ACPR et de la DGCCRF sont expressément habilités à contrôler le respect de ces nouvelles règles.
Le Gouvernement soutient ce texte complet, équilibré et transpartisan. Réduire et encadrer les frais bancaires liés au décès d'un être cher rassemble autour d'un objectif d'humanité face au deuil. Si ce texte n'efface ni la peine ni la tristesse de la perte d'un proche, au moins ne l'alourdit-il pas.
M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission des finances . - Les frais appliqués dans le cadre des opérations de succession se caractérisent par leur disparité, leur coût et leur manque de transparence. Ils sont compris entre 125 millions et 200 millions d'euros par an, soit 1 % de l'ensemble des frais bancaires prélevés en France.
Ils sont parfois significatifs pour les plus modestes et varient, selon l'UFC-Que Choisir, de 80 euros à 527,50 euros. Ils s'élèvent à 291 euros par an en moyenne, trois fois plus qu'en Belgique et en Italie, quatre fois plus qu'en Espagne. Le cas de parents qui ont dû débourser 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé a choqué.
Dès novembre 2021, j'ai interpellé par question écrite Bruno Le Maire, lequel m'a assuré de la détermination du Gouvernement à dégager rapidement une solution. Ne voyant pas d'évolution, j'ai déposé un texte. Saisi à nouveau en septembre 2022, Bruno Le Maire répondait par un engagement à faire évoluer les pratiques à l'automne.
En janvier 2023, faute d'avancée, Vanina Paoli-Gagin et moi-même déposions deux amendements identiques à la proposition de loi visant à sécuriser les épargnants prévoyant une gratuité des frais de successions sous certaines conditions. En séance, pour justifier l'avis défavorable du Gouvernement, Jean-Noël Barrot promettait la conclusion d'un accord de place sous un mois. Selon les acteurs bancaires, un tel accord n'a jamais été envisagé, car il serait contraire au droit de la concurrence au titre de l'entente sur les prix. La position du Gouvernement me laisse donc, je dois l'avouer, perplexe.
Aussi, je me réjouis de la proposition de loi déposée par Christine Pires Beaune, laquelle s'est référée aux travaux du Sénat. Enfin, elle aura convaincu le Gouvernement.
Initialement, mon objectif était de voter conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Elle prévoit trois cas de gratuité : les successions les plus simples, lorsque l'héritier justifie de sa qualité ; lorsque le montant est inférieur à 5 000 euros ; lorsque le détenteur des comptes était mineur à la date du décès.
Cependant, monsieur le ministre, à la suite de mes auditions avec vos services - je les remercie - il m'est apparu nécessaire d'encadrer le dispositif. Ainsi, la commission des finances a substitué au plafond de 5 000 euros un renvoi à l'arrêté du 7 mai 2015, qui fixe un montant revalorisé selon l'inflation - 5 909,95 euros en avril 2024.
S'agissant de la gratuité relative aux successions les plus simples, un critère d'absence de complexité manifeste, nouveau dans le code monétaire et financier, a été introduit, qui devra être détaillé par le décret d'application. Un amendement viendra le préciser.
Enfin, j'ai déposé un amendement tendant à inclure les établissements de paiement tels que Nickel et Revolut.
Afin d'assurer le contrôle des nouvelles règles, la commission a prévu l'habilitation expresse de l'ACPR et de la DGCCRF.
Nous avons aussi repris le plafonnement des frais à 1 % du total des comptes du défunt, voté par le Sénat en 2023, taux qui ne doit pas s'appliquer à l'ensemble des successions. Il sera complété par un second plafond en valeur, déterminé par le pouvoir réglementaire. Ce double plafonnement ne saurait conduire à des frais supérieurs aux frais actuels. Il faudra un barème dégressif, quelles que soient les pressions des établissements bancaires.
Pour une succession de 20 000 euros, le montant moyen des frais prélevés est de 291 euros. Le patrimoine financier liquide moyen est de 10 000 euros. Dans le cadre du dispositif proposé, 50 % de nos concitoyens acquitteraient un maximum de 100 euros de frais, et 80 % pas plus de 200 euros.
L'article 1er bis prévoit l'application du dispositif à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
L'article 2 a pour objet de remettre un rapport un an après la publication du décret d'application.
Je vous invite à voter cette proposition de loi, à l'unanimité, comme à l'Assemblée nationale. (MM. Marc Laménie et Olivier Paccaud applaudissent.)
M. Pascal Savoldelli . - (M. Thierry Cozic applaudit.) Les lois s'accumulent, mais la domination des banques demeure. Leurs frais font des citoyens des sujets bancaires. À défaut d'une véritable loi-cadre, il faut encadrer la pratique.
Ainsi, cette proposition de loi est une énième pierre consolidant la relation client-banque, à l'initiative de la députée socialiste Christine Pires Beaune. L'encadrement des frais de succession est une vieille idée. Cet impôt sur la mort est inique, de surcroît sur des mineurs.
Bruno Le Maire a joué la montre ; il a amadoué le législateur en indiquant en réponse à une question écrite qu'il affirmait avec force agir pour qu'une solution soit « rapidement dégagée ». Jean-Noël Barrot a réitéré cet engagement lors de l'examen de la proposition de loi sur la protection des épargnants.
Mais la Fédération bancaire française (FBF) a confirmé qu'il n'y a jamais eu d'accord de place envisagé. Reste donc la loi pour répondre à une demande sociale forte, alors que les frais bancaires à la succession, 1 % du total des frais, suivent une courbe exponentielle, trois fois supérieure à l'inflation. Selon UFC-Que Choisir, ils s'établissent en moyenne à 291 euros, soit une hausse de 25 % en deux ans.
Nous aurions pu les interdire totalement, mais certains collègues de droite avancent le coût de gestion. Étonnant ! Certaines banques pratiquent déjà la gratuité, comme le Crédit Mutuel, sous 10 000 euros.
Les frais n'étant pas liés aux encours des comptes, le plafonnement à 1 % est artificiel.
La commission des finances a certes modifié le texte à la marge, mais nous n'étions pas convaincus que cela justifiât de renoncer au vote conforme.
Je renouvelle notre demande d'une loi-cadre, plutôt que des propositions de loi à la découpe. Les frais pour incidents de paiement rapportent 6,5 milliards d'euros aux banques chaque année, pour un bénéfice de 4,9 milliards d'euros, soit 75 % de marge ! C'est injuste et injustifié quand des agences ferment et qu'il y a de moins en moins de distributeurs.
Le marché bancaire n'est pas un marché comme les autres : chacun et chacune doit détenir un compte. Clients captifs, concurrence faussée, voilà la réalité sombre, presque anarchique, des comptes de dépôt.
Cette proposition de loi de nos collègues socialistes est un pas en avant. C'est pourquoi le groupe CRCE-K votera pour. (M. Patrick Kanner marque sa satisfaction.)
Nous vous proposerons d'aller plus loin, afin de redonner du pouvoir d'achat aux Français, et du pouvoir tout court face à la finance et aux banques. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
M. Christian Bilhac . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les frais appliqués par les banques à la suite des décès constituent une double peine pour les ayants droit endeuillés. En plus du blocage des comptes, ils subissent des frais bancaires qui ne font l'objet d'aucun encadrement.
Dès 2021, l'UFC-Que Choisir a dénoncé des pratiques abusives pénalisant davantage les petites successions. Contrôle des successions, déclarations à l'administration centrale, échanges avec le notaire, désolidarisation des comptes joints... Pour toutes ces démarches, les tarifs sont très disparates d'une banque à l'autre et leur caractère immoral est, à juste titre, dénoncé. Comment justifier qu'un virement, gratuit du vivant de l'intéressé, coûte 80 euros après son décès ? Les héritiers sont pieds et poings liés face à ces dispositions opaques.
Les frais sont deux à trois fois plus élevés en France que chez nos voisins. La flambée des tarifs atteint 28 % depuis 2012, trois fois plus que l'inflation. Le Gouvernement a demandé au secteur bancaire de s'autoréguler, sans résultat. Il est urgent d'agir.
Le texte que nous examinons a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale.
Le texte définit trois cas de figure justifiant la gratuité des frais de succession : montants inférieurs à 5 000 euros, notoriété d'héritier, mineurs. Le RDSE proposera d'étendre ce dernier dispositif aux enfants âgés de moins de 30 ans, dont la disparition est un drame pour leurs familles, souvent à l'occasion d'accidents ou de suicides. La douleur est la même, que l'enfant ait 17 ou 22 ans. Cela étant, le RDSE votera le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte est le fruit d'une volonté transpartisane de remédier à une injustice financière. Je salue le travail et la pugnacité de la députée Christine Pires Beaune, dont le texte sera, je l'espère, également adopté à l'unanimité ici. Je salue également l'engament du rapporteur Hervé Maurey.
Les frais bancaires sur la succession sont un sujet complexe ; ils surviennent lors d'un deuil, un moment difficile pour chacun d'entre nous. Certains prélèvements manquent d'empathie et d'humanité. Je pense au cas particulièrement médiatisé de Léo, enfant originaire de Gironde, décédé d'un cancer en 2021, dont les parents se sont vu réclamer 138 euros de frais pour la clôture de son livret A.
Selon l'UFC-Que Choisir, les frais bancaires sur succession sont en moyenne de 303 euros en 2024, en hausse de 25 % depuis 2021.
Outre-mer, on constate les mêmes dérives que dans l'Hexagone. Dans une banque de Nouvelle-Calédonie, les frais sont de 191 euros pour l'ouverture d'un dossier de succession, auxquels s'ajoutent 115 euros par an et par compte. Or ces frais sont acquittés par les successibles, qui sont donc captifs. Certaines prestations non facturées du vivant du client deviennent onéreuses après son décès.
Si la clôture est gratuite au titre de l'article L. 312-1-7 du code monétaire et financier, d'autres opérations font l'objet de frais dès lors que la somme des encours est supérieure à 5 000 euros.
Il faut poursuivre le travail d'encadrement des frais bancaires des plus fragiles. Le Gouvernement s'est déjà engagé dans ce domaine, via le décret de 2019 qui a étendu le plafonnement au titre du public fragile à plus de 4 millions de Français, rendu plus protecteur par un arrêté de Bruno Le Maire de 2020. En 2022, la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a prévu des dispositions pour les victimes de fraudes. La même année, Bruno Le Maire s'était engagé en faveur d'un bouclier tarifaire des frais bancaires - engagement tenu.
Concernant les frais de clôture des comptes bancaires de défunts, de premiers engagements ont été pris par certaines banques pour les réduire. Cela deviendra la règle grâce à ce texte.
La proposition de loi encadre les frais, sans les supprimer. La rémunération des services rendus n'est pas un gros mot, mais il faut réglementer les pratiques abusives.
Prélever des frais sur les comptes d'un enfant décédé est inacceptable. La gratuité prévue par le texte est à ce titre bienvenue. La facturation des frais bancaires ne sera donc effective et justifiée que pour des opérations complexes et sera assortie d'un plafonnement.
Ce texte est digne et nécessaire. Le RDPI le soutiendra donc, bien qu'il préférerait préserver l'équilibre du texte adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, les parlementaires de l'ensemble des groupes devront être associés à la rédaction de son décret d'application. (M. Thomas Cazenave hoche la tête.) Les parlementaires ont répondu présents : nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST)
M. Rémi Féraud . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La question des frais bancaires anime le groupe SER depuis plusieurs années. En mai 2020, nous avions proposé un dispositif visant à renforcer leur plafonnement. Au vu de l'explosion de la pauvreté, nous en avions souligné la nécessité.
Il y a un an, le Sénat votait la proposition de loi Accessibilité et inclusion bancaires que je présentais avec Jean-Claude Tissot.
Le texte de notre collègue socialiste Christine Pires Beaune cible les frais bancaires en cas de décès et de succession. Cette question n'est pas nouvelle, ce que montre l'étude de 2021 de l'UFC-Que Choisir et la proposition de loi d'Hervé Maurey déposée en janvier 2022, jamais examinée en séance. Cette question revient souvent dans l'actualité, des injustices émouvant régulièrement l'opinion.
Bruno Le Maire s'est engagé il y a trois ans à porter rapidement une solution. Quand Bruno Le Maire demande quelque chose, ce n'est pas toujours suivi d'effet (M. Patrick Kanner apprécie), mais lorsqu'il se le demande à lui-même, on aurait pu espérer que ce soit le cas ! (Sourires)
Nous nous réjouissons de l'examen de ce texte voté unanimement par l'Assemblée nationale. Le dispositif transmis au Sénat interdit l'application de frais bancaires dans les cas précisés précédemment.
Je rejoins Christine Pires Beaune, qui souhaite voir les parlementaires associés à la rédaction du décret d'application afin de veiller au respect de l'esprit de la proposition de loi. Les frais bancaires ne s'appliqueront donc qu'en cas de succession complexe.
Les établissements bancaires sont souvent accusés de pratiques antisociales. Nous devons donc légiférer plus largement sur la question des frais bancaires.
L'établissement d'un rapport, un an après la promulgation de la loi, sera bienvenu pour en mesurer l'impact.
Le groupe SER s'attendait à une adoption conforme par le Sénat. Ce n'est pas le choix du rapporteur et de la majorité sénatoriale, qui ont modifié le dispositif en commission. Cela nous a surpris, au vu de l'adoption unanime du texte à l'Assemblée nationale.
Les modifications principales concernent deux points : la suppression de la mention du montant de 5 000 euros au profit d'un seuil fixé par décret et l'instauration d'un plafond de 1 % du montant total des soldes des comptes. Mais est-il opportun de faire disparaître le montant de 5 000 euros, au vu de la lenteur du Gouvernement à faire paraître certains décrets ? Paradoxalement, on supprime la référence dans la loi au montant en deçà duquel s'applique la gratuité, tout en faisant le contraire pour le plafonnement en cas de non-gratuité. La logique nous échappe.
Malgré ces réserves, notre groupe votera la proposition de loi, qui comprend une mesure essentielle de gratuité des frais bancaires sur succession. Nous avions en outre voté pour le plafonnement des frais à 1 % proposé par Hervé Maurey l'an dernier. Enfin, la poursuite de la discussion parlementaire nous éclairera sur la position précise du Gouvernement et aboutira, nous l'espérons, à la meilleure rédaction possible.
Je souhaite moi aussi un vote unanime de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Nathalie Goulet et Évelyne Perrot applaudissent également.) Ce texte visant à réduire et encadrer les frais bancaires sur succession est très attendu. Je remercie le rapporteur pour son travail et ses auditions, notamment de la direction générale du Trésor, la Banque de France, la Fédération bancaire française (FBF) ou l'UFC-Que Choisir.
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, il s'agit d'un texte de justice et d'humanité. Alors que tout est financier, le volet humain est malheureusement trop souvent mis de côté. Les chiffres qui ont été rappelés nous interpellent. Le décès d'un enfant de 8 ans en 2021 a suscité beaucoup d'émotion.
L'article premier modifie le code monétaire et financier et définit trois cas de gratuité des frais de succession, à la suite de nombreuses initiatives parlementaires.
Les frais bancaires à la succession sont évalués au total à un montant annuel de 125 millions d'euros, soit 1 % du montant total des frais bancaires en France - jusqu'à 527,50 euros dans certains cas, avec des différences importantes d'une banque à l'autre. Ils s'établissent en moyenne à 291 euros, en important décalage par rapport à certains pays voisins.
Ce texte est donc très attendu et va dans le sens de la justice et de l'humain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC)
M. Emmanuel Capus . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Benjamin Franklin disait : « en ce monde, rien n'est certain à part la mort et les impôts ». (Sourires) C'est un invariant de nos sociétés, peut-être même une constante anthropologique.
Au pays de Descartes, nous combinons ces deux certitudes : on paie un impôt sur la mort. Je ne parle pas des droits de succession, mais des frais bancaires sur succession. C'est l'UFC-Que Choisir qui a lancé l'alerte quelques jours avant la Toussaint 2021, une date choisie. Ces frais atteignent 200 millions d'euros par an, soit 300 euros par défunt. C'est beaucoup, et même beaucoup trop en comparaison avec nos voisins européens : en Espagne, ils sont quatre fois moins importants ; en Allemagne, ils sont purement et simplement interdits.
Les banques doivent certes procéder à certaines opérations coûteuses. Mais pourquoi le seraient-elles plus en France qu'ailleurs ? Par ailleurs, si certains frais comme les agios ont une visée comportementale, on voit mal ce qui est attendu d'un client décédé...
La question de l'interdiction pure et simple de ces frais se pose donc, mais cela reviendrait à reporter les coûts sur d'autres clients. Il est donc plus juste de les encadrer de façon raisonnable, pour ne pas matraquer les petits patrimoines : 300 euros de frais bancaires pour moins de 5 000 euros d'encours, c'est une forme de taxe sur le deuil.
Le Sénat avait adopté la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, présentée par Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, mais elle n'avait pas prospéré. Par la suite, deux amendements identiques, de Vanina Paoli-Gagin et Hervé Maurey, allaient dans le sens du présent texte. C'est dire si nous étions prêts à légiférer sur cette question ! Je salue donc la détermination du Gouvernement qui, après avoir temporisé, a inscrit ce texte dans une semaine qui lui est réservée.
En janvier 2023, le ministre au banc avait indiqué vouloir éviter une solution législative au profit d'une solution directement trouvée par les banques. Celle-ci n'est pas venue. Notre groupe se réjouit de voir la loi évoluer bientôt en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le législateur, les morts et les héritiers : voilà un chapitre supplémentaire alors qu'à ce stade de la discussion, tout a déjà été dit : notre groupe votera ce texte avec enthousiasme.
Nul besoin de revenir sur les détails, sauf à saluer le travail d'Hervé Maurey.
Je souhaiterais évoquer un problème connexe : nous avons eu des difficultés à obtenir un fichier sur les comptes en déshérence, sur les assurances vie - Hervé Maurey a d'ailleurs contribué à faire évoluer la législation.
Mais reste le problème des contrats d'obsèques conclus avec des maisons funéraires. Alors que les héritiers n'ont pas toujours la connaissance de ce contrat, certains établissements réclament un deuxième paiement des frais. Dès lors, pourquoi ne pas envisager un fichier ou prévoir un dispositif portant connaissance de l'existence du contrat, pour éviter cette double peine ?
Je viens de vivre ce cas de figure : si les documents ne sont pas connus, la famille n'est pas informée du contrat, et des personnes, oublieuses ou mal intentionnées, en profitent.
Ce sujet relève de la protection des consommateurs, à l'instar de cette proposition de loi. Le deuil ne doit pas être entaché de pénalités et les familles ne doivent pas subir de double peine.
C'est un très bon texte, dont je remercie les auteurs et le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme Ghislaine Senée . - Notre groupe salue cette proposition de loi de Christine Pires Beaune, qui encadre enfin les frais bancaires sur successions.
En 2021, l'UFC-Que Choisir a lancé une étude sur ce thème : pour une succession de 20 000 euros, les frais bancaires s'échelonnent entre 80 et 527 euros, en croissance de 50 % depuis 2012, et 25 % depuis 2021, bien plus que l'inflation. Ces tarifs opaques sont décorrélés des coûts réels.
Il aura fallu une proposition de loi de nos collègues députés socialistes pour que le Gouvernement sorte enfin du déni. (M. Thomas Cazenave le réfute.)
Pour l'heure, les frais sont librement déterminés par les établissements bancaires.
Cette proposition de loi sera une première pierre dans la régulation des frais bancaires sur succession, et, plus généralement, sur l'ensemble des frais bancaires. Avec 20 à 25 milliards d'euros de frais bancaires, dont 125 à 200 millions pour les successions, le secteur bancaire est encore trop dérégulé. Ces frais disproportionnés enrichissent une minorité aux dépens des plus précaires - 18 % de la population.
Notre groupe était plus favorable à la version de l'Assemblée nationale. Le seuil de 1 % risquant de conduire les banques à augmenter certains tarifs, nous voterons l'amendement de Rémi Féraud.
Malgré ces réserves, nous voterons la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sujet est un serpent de mer, que le Sénat aborde depuis des années. Le Gouvernement promet d'agir, mais il ne se passe rien.
Alors que Bruno Le Maire a promis plusieurs fois des solutions rapides et que, en janvier 2023, le Gouvernement promettait un accord de place sous un mois, rien n'a émergé. Cette proposition de loi, qui s'inspire d'une proposition de loi d'Hervé Maurey - dont je salue l'opiniâtreté - est bienvenue.
Elle a été adoptée à l'unanimité par les députés et a été utilement complétée par la commission.
Les frais ne pourront excéder 1 % du montant total des sommes figurant sur le compte du défunt. Ainsi, la gratuité de la clôture du compte est prévue par l'article L. 312-1-7 du code monétaire et financier, au sein de la section « Droit au compte et relations avec le client ». Or l'héritier n'est pas le client de la banque. Devant l'Assemblée nationale, Olivia Grégoire a indiqué que cet encadrement tarifaire concernait les opérations précédant la clôture, la gratuité de cette dernière étant garantie. Il y a donc une légère différence d'interprétation entre le Gouvernement et le rapporteur : pouvez-vous m'éclairer, monsieur le ministre ?
Le point d'équilibre trouvé par ce texte est bienvenu. Prélever des centaines d'euros sur 1 000 ou 2 000 euros de succession d'un enfant décédé est déplacé. Certes, les successions entraînent des opérations, mais les établissements bancaires peuvent accompagner gratuitement les cas les plus simples, les héritiers les plus modestes ou les parents d'un enfant décédé. Dans les cas complexes, avec des démarches lourdes durant parfois plusieurs mois, les coûts justifient certains frais.
Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Maurey, au nom de la commission.
I. - Alinéas 3 et 7
Après les mots :
desdits comptes et
insérer les mots :
auprès duquel sont ouverts lesdits
II. - Alinéa 8
Après les mots :
alinéa et
insérer les mots :
dans la limite
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Amendement rédactionnel.
Monsieur Féraud, vous avez commis une erreur de fond : le texte de la commission ne supprime pas le plafond de 5 000 euros, mais renvoie au montant fixé par l'arrêté du 7 mai 2015, réévalué chaque année et qui s'élève à 5 909,95 euros.
Moi aussi, je souhaitais voter un texte conforme, mais certains points méritaient d'être sécurisés. Une fois n'est pas coutume, j'ai été rassuré par le Gouvernement, dont les engagements n'aboutiront pas à un enterrement de première classe du texte...
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Féraud et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 8
Supprimer les mots :
, dans la limite de 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne du défunt mentionnés au premier alinéa et d'un montant fixé par le même décret
M. Rémi Féraud. - Merci au rapporteur pour ces précisions. Certes, l'arrêté existe déjà, mais le montant ne figurera plus dans la loi. Nous avons déposé un amendement sur le taux de 1 % du montant total. Dans certains cas particuliers, notamment à la suite de la vente d'un bien immobilier, un tel taux peut générer des frais importants.
Pourquoi le rapporteur a-t-il retenu ce taux de 1 % ?
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Avis défavorable, car contraire à la position de la commission. C'est notre seul point de divergence avec Mme Pires Beaune - avec laquelle nous avons travaillé en parfaite collaboration.
Pourquoi 1 % ? Ce n'est pas un plafond qui s'imposera aux banques ; il vise davantage à aider le Gouvernement, lorsqu'il établira le barème, à ne pas céder aux pressions de certains acteurs. Je suis certain que le ministre nous en sera reconnaissant. (Sourires) Et outre, nous ajoutons un plafond en valeur absolue, fixé par décret.
Vous citez le cas d'une personne ayant vendu sa maison, avec 200 000 euros sur son compte. Les frais ne seront pas de 2 000 euros, grâce au plafonnement. Dès lors, nulle inquiétude : le plafond fixé par décret est sécurisant pour les héritiers.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Avis favorable à l'amendement n°5.
Monsieur Somon, cette proposition de loi clarifie bien le champ juridique concerné : il s'agit des héritiers.
Monsieur Féraud, le texte prévoit un décret encadrant les tarifs au-delà de 5 000 euros d'avoirs. Laissons de la souplesse au pouvoir réglementaire et n'encombrons pas la loi. Toutefois, je note les échanges constructifs entre le Sénat et l'Assemblée nationale : d'où mon avis de sagesse à l'amendement n°1.
L'amendement n°5 est adopté.
L'amendement n°1 n'a plus d'objet.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Maurey, au nom de la commission.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
tenant à l'absence d'héritiers mentionnés au 1° de l'article 734 du code civil, au nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer, à la constitution de sûretés sur lesdits comptes et produits ou à l'existence d'éléments d'extranéité, et empêchant la réalisation de ces opérations dans un délai raisonnable
M. Hervé Maurey, rapporteur. - La notion de complexité manifeste prête à interprétation et ne figure pas dans le code monétaire et financier. D'où notre proposition : elle n'interviendrait qu'en cas d'absence d'héritier direct, lorsque le nombre de comptes est trop important, en cas de constitution de sûretés, ou en cas d'éléments extérieurs, et si cela empêche les opérations de se dérouler dans un délai raisonnable.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Avis défavorable. Le législateur a prévu qu'un décret précise ces conditions. Nous allons construire une liste précise avec les banques, alors qu'une liste établie dans la loi risquerait de manquer sa cible.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Une fois encore, c'est pour vous aider ! Vous ne me remerciez pas assez, monsieur le ministre ! (Sourires) Vous serez ainsi protégé de l'influence de professionnels qui ont une vision extensive des opérations complexes.
Nous n'aurons pas de vote conforme ce soir. La deuxième lecture et la CMP seront l'occasion d'affiner les critères.
Si, au cours de la navette, certains critères ne paraissent pas pertinents, nous ajusterons. Mais précisons déjà les choses !
M. Rémi Féraud. - Merci pour votre amendement, monsieur le rapporteur, car la notion de complexité est beaucoup trop large.
L'amendement n°6 est adopté.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Bilhac, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, MM. Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et MM. Cabanel et Fialaire.
Alinéa 6
Remplacer le mot :
mineur
par les mots :
âgé de moins de trente ans
M. Christian Bilhac. - La gratuité des frais bancaires pour les comptes des enfants décédés est une bonne chose. Maire pendant plus de quarante ans, j'ai côtoyé des parents qui avaient perdu des enfants : je peux vous assurer que la douleur est identique, quel que soit l'âge de l'enfant.
Je propose donc la gratuité jusqu'à 30 ans - cela ruinera le secteur bancaire...
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Retrait, sinon avis défavorable. Le dispositif est déjà suffisamment large. Quitte à élargir, pourquoi ne pas généraliser alors ?
M. Christian Bilhac. - Pourquoi pas 30 ans ?
M. Hervé Maurey, rapporteur. - À 30 ans, on n'est plus un enfant...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Même avis, même si je comprends l'intention de M. Bilhac. Nous sommes parvenus à un équilibre, notamment pour traiter les cas les plus douloureux. Je rejoins le rapporteur : si nous sortons de ce cadre, où fixer la limite ?
Retrait, sinon avis défavorable.
M. Christian Bilhac. - Je maintiens mon amendement. La minorité a été retenue sur la proposition du secteur bancaire, car les mineurs ont moins d'argent sur leurs comptes bancaires que les jeunes majeurs...
L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Maurey, au nom de la commission.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
II. - Le I entre en vigueur trois mois après la promulgation de la présente loi.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Sécurisons la date d'entrée en vigueur du dispositif, au plus tard trois mois après la publication de la loi.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Avis favorable.
L'amendement n°7 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Après l'article 1er
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mme Florennes.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 312-1-4-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 312-1-4-... ainsi rédigé :
« Art. L. 312-1-4-.... - Dans le cas d'une succession comportant plusieurs héritiers, en cas de désaccord entre eux, il revient à l'établissement de crédit teneur des comptes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-1-4-1 de répartir les fonds sans perception d'aucuns frais. »
Mme Isabelle Florennes. - C'est un amendement de cohérence, car deux choix sont possibles aujourd'hui en cas d'héritiers multiples.
Certains établissements versent les fonds à un seul héritier ; charge à lui de les répartir. En cas de mésentente, la répartition des fonds est renvoyée à un notaire.
Autre possibilité : des banques répartissent elles-mêmes les fonds.
L'amendement vise à éviter tout renvoi vers un notaire.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Cet amendement pose des difficultés et pourrait déboucher sur des contentieux. J'en demande donc le retrait, sous réserve de l'avis du ministre.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je comprends la question, mais cela revient à demander à une banque de faire le travail du notaire. Cela fragiliserait le texte. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Isabelle Florennes. - La rédaction de l'amendement ne vous semble pas opportune, je l'entends. Mais deux établissements bancaires peuvent fonctionner de façon différente, comme je l'ai expliqué. Ce sujet mérite d'être travaillé.
L'amendement n°4 est retiré.
L'article 1er bis est adopté.
Après l'article 1er bis
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme N. Goulet.
Après l'article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux successions en cours non encore clôturées.
Mme Nathalie Goulet. - Je propose que ce dispositif soit applicable aux successions ouvertes et non encore liquidées.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Il n'est pas opportun de changer les tarifs dans une succession en cours, avec des risques de demandes de remboursement. Retrait ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Quand on touche au droit des contrats, le juge constitutionnel vérifie qu'il n'existe pas d'atteinte disproportionnée. Retrait, sinon avis défavorable, afin de ne pas fragiliser le dispositif.
Mme Nathalie Goulet. - Certaines successions sont particulièrement longues et on aurait pu imaginer les faire bénéficier de ce dispositif. Je retire néanmoins mon amendement.
L'amendement n°2 est retiré.
L'article 2 est adopté.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Saisie et confiscation des avoirs criminels (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - L'intitulé de cette proposition de loi indique clairement son objet : appréhender les avoirs des délinquants. C'est une ressource pour le budget de l'État, mais surtout un important moyen de lutte contre la criminalité et la délinquance, comme les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic l'illustrent. Souvent, l'appât du gain est la première motivation de la délinquance, alors que le risque carcéral est désormais plus admis.
Le député Jean-Luc Warsmann est l'auteur de la loi qui a créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). Dans un rapport d'évaluation de 2019, Jean-Luc Warsmann a fait des préconisations dont certaines se retrouvent dans la présente proposition de loi.
En CMP, nous avons trouvé un accord qui permet d'améliorer tant les saisies que les confiscations.
La saisie est le moment de l'enquête où les avoirs criminels sont bloqués. L'Agrasc sera l'organisme de formation des policiers, des gendarmes et des magistrats. Les comptes d'actifs numériques pourront désormais être saisis. Enfin, nous avons rendu les recours plus simples et moins longs.
Après la saisie, vient le temps de la gestion. Or les biens saisis ne pouvaient plus être gérés dès lors qu'une juridiction était saisie. Nous y avons remédié. En outre, l'Agrasc sera désormais systématiquement informée des saisies ayant eu lieu.
Seuls 30 % des biens saisis sont confisqués. Désormais, la confiscation sera obligatoire, donc automatique, s'agissant de certains biens, ce qui améliorera le pourcentage de transformation des saisies en confiscations.
Voilà l'accord que nous avons trouvé en CMP : j'espère que vous le voterez, afin de faire avancer la lutte contre la délinquance.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics . - Cette proposition de loi marque une nouvelle avancée importante dans la saisie et la confiscation des avoirs criminels. Je me réjouis que la CMP ait abouti à un texte consensuel. Je salue le travail de Muriel Jourda.
Nous devons adopter des mesures fortes pour lutter contre la délinquance. C'est le sens des récentes annonces du garde des sceaux : parquet national anticriminalité organisée ; cours d'assises spécialement composées pour les règlements de comptes ; statut du repenti ; crime d'association de malfaiteurs. Cette proposition de loi est à replacer dans le cadre d'une action globale, forte et volontariste.
Il s'agit ici d'investir pour mieux saisir et de confisquer pour mieux sanctionner, afin de donner corps à l'adage selon lequel le crime ne paie pas.
Notre arsenal législatif a évolué pour favoriser le travail des enquêteurs et des magistrats qui saisissent et confisquent toujours plus : 1,44 milliard d'euros de saisies - fois dix depuis 2011 - et 175,5 millions d'euros de confiscations - en hausse de 105 % sur trois ans. L'Agrasc, avec ses huit antennes régionales, a vu ses effectifs doubler entre 2020 et 2023.
Frapper les délinquants au portefeuille est triplement gagnant : pour réprimer, pour indemniser les victimes et pour envoyer un message de fermeté. Le texte donne un nouvel élan à cette dynamique vertueuse.
Je salue le travail de la CMP, qui a tenu compte des nombreux enrichissements de l'Assemblée nationale et du Sénat, des exigences constitutionnelles et des contraintes pratiques des magistrats.
En effet, pour donner leur plein effet aux procédures, elles doivent être suffisamment simples pour que les magistrats s'en emparent. Objectif rempli, notamment avec la simplification de la procédure de recours contre les saisies.
Faire de la confiscation une peine complémentaire obligatoire est l'un des principaux apports de ce texte. Désormais, sauf décision motivée, la juridiction doit confisquer, afin que bien mal acquis ne profite jamais.
L'affectation des biens saisis est élargie au profit des services judiciaires, de l'administration pénitentiaire et des établissements publics sous tutelle du ministère de la justice, dont l'Agrasc.
À l'initiative du Sénat, le texte vient combler une lacune : l'absence d'acteur judiciaire chargé de statuer sur le sort des biens saisis. D'où la désignation d'un magistrat compétent.
La CMP a aussi consacré une demande du Gouvernement : que l'Agrasc soit informée de toutes les saisies et confiscations, afin de jouer son rôle de tour de contrôle. Ce texte bénéficiera ainsi à tous les Français qui pourront récupérer leurs dommages et intérêts.
Enfin, la confiscation d'un immeuble constituera un titre d'expulsion à l'encontre du propriétaire condamné et de sa famille. Seul le locataire de bonne foi sera protégé. En revanche, les proches du délinquant ou du criminel ne pourront plus profiter de l'immeuble et en seront chassés.
Ce texte donne des outils concrets aux enquêteurs et aux magistrats et améliore l'indemnisation des victimes. Il incarne cette justice vertueuse, qui rassemble et qui protège.
Je salue les rapporteurs Jourda et Warsmann et tous les parlementaires qui se sont investis.
L'engagement du Gouvernement dans la lutte contre la délinquance et la criminalité est total. Ce texte est un pas supplémentaire dans la bonne direction : je vous invite à l'adopter largement.
M. le président. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la CMP, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement. En conséquence, le vote sur les amendements et sur les articles est réservé.
Discussion du texte élaboré par la CMP
Article 1er bis C
M. le président. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I. - A. - Au 4° du II de l'article L. 172-13 du code de l'environnement, les mots : « à l'avant-dernier » sont remplacés par les mots : « au cinquième ».
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Rédactionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'émets, en mon nom, un avis favorable, faute de réunion de la commission.
Article 3
M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 12
Après les mots :
article 56
insérer les mots :
et à la première phrase du premier alinéa de l'article 706-148
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Rédactionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis favorable.
Article 5
M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Rédactionnel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis favorable.
Explications de vote
Mme Nathalie Delattre . - Je me réjouis de l'accord trouvé en CMP. Quoique technique, ce texte est d'intérêt majeur.
Voilà quinze ans, la loi Warsmann avait marqué un tournant, offrant de larges dispositifs opérationnels. Les évolutions législatives ont conduit à la création de plusieurs institutions, notamment l'Agrasc, dont je salue le travail.
Dans leur rapport de 2019, Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont souligné que les mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels étaient encore trop peu utilisés, concentrés sur les affaires économiques et financières et sur la criminalité organisée, au détriment des affaires de moyenne et faible intensité.
Au nom du RDSE, je soutiens les différents dispositifs de cette proposition de loi, qui garantissent l'efficacité du pacte républicain. Je salue aussi les apports du Sénat à l'article 1er quater sur la gestion des biens saisis, ainsi qu'à l'article 2 bis A sur la peine complémentaire de confiscation. Je regrette toutefois qu'aucun de nos amendements ne figure dans le texte adopté en CMP.
Le crime ne doit pas payer, il va donc de soi que le groupe RDSE votera unanimement cette proposition de loi.
Mme Patricia Schillinger . - Ce texte vise à améliorer l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, donnant ainsi corps à l'adage selon lequel nul ne doit tirer profit de son crime.
Les acteurs du crime organisé craignent plus pour leur portefeuille que pour leur liberté. Il faut donc frapper au portefeuille, et fort, en réaffirmant que le crime ne paie pas.
Les mécanismes actuels de saisie et de confiscation ont fait la preuve de leur efficacité.
Depuis la création de l'Agrasc, le montant des saisies est passé de 109 millions d'euros en 2011 à 1,44 milliard d'euros en 2023, tandis que le montant des avoirs confisqués s'élève à 175 millions d'euros. Mais ces chiffres peuvent encore s'améliorer : seuls 30 % des biens saisis sont effectivement confisqués. Il faut aller plus loin, comme le propose l'auteur de ce texte, Jean Luc Warsmann, dont je salue le travail.
Je salue aussi l'esprit constructif des membres de la CMP ainsi que le travail de Mme la rapporteure, dont les apports ont été nombreux. Je pense ainsi à l'extension aux conventions judiciaires d'intérêt public environnementales de l'obligation faite aux personnes morales de se dessaisir des biens confisqués.
Le RDPI se réjouit que plusieurs de ses amendements aient été retenus : la possibilité d'affecter des biens saisis à l'administration pénitentiaire, l'extension des possibilités de non-restitution des biens saisis, l'accès de l'Agrasc aux informations du fichier informatisé des données juridiques immobilières (Fidji), entre autres.
Le travail mené par les deux chambres aboutit à un texte équilibré et efficace, qui permettra aux mécanismes de saisie et de confiscation d'atteindre leur plein potentiel.
Le RDPI votera donc ce texte avec enthousiasme. (M. Bernard Buis et Mme Muriel Jourda applaudissent.)
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France a rendu ses conclusions hier. Son président, Jérôme Durain, a été édifié par les témoignages de celles et ceux qui luttent contre ce phénomène.
La prison n'est plus une menace suffisante pour bon nombre de narcotrafiquants. Comme cela a été rapporté en audition, le seul moment où on voit pleurer les narcotrafiquants, c'est lorsqu'on saisit leur appartement, leur compte bancaire ou leur voiture.
Il faut donc suivre l'argent et frapper au portefeuille. Pour certains, la détention est une période de formation, pendant laquelle les affaires continuent de prospérer, alors que les saisies et les confiscations remettent en cause le modèle du narcotrafic.
Selon l'écrivain italien Roberto Saviano, 5 000 euros investis dans le trafic de cocaïne peuvent rapporter jusqu'à 1 million d'euros...
Mettons fin, grâce à ce texte, au sentiment d'impunité !
En 2023, l'Agrasc a saisi pour plus de 1,4 milliard d'euros de biens, en hausse de 87 % par rapport à l'année précédente. Le montant des confiscations a atteint 175 millions d'euros en 2023.
La souris a toutefois toujours un temps d'avance sur le chat : selon l'Office antistupéfiants (Ofast), le chiffre d'affaires du trafic de drogue en France serait de l'ordre de 3 milliards d'euros.
Nous regrettons que nos amendements, inspirés par Transparency International et Crim'Halt, n'aient pas été retenus.
Les recommandations de la commission d'enquête n'appellent pas toutes une traduction législative, mais il me semble important de les évoquer : mener une guerre financière contre le narcotrafic avec des enquêtes patrimoniales systématiques sur les narcotrafiquants et leurs proches, en mobilisant tous les services de l'État - DGFiP, Tracfin, Urssaf ; permettre la fermeture administrative des commerces de façade, qui pullulent dans certains quartiers et constituent de véritables lessiveuses ; créer une injonction pour richesses inexpliquées, en forçant la personne à justifier au fisc de l'origine de ses biens.
Monsieur le ministre, nous comptons sur votre détermination à avancer sur ces points. (M. Thomas Cazenave hoche la tête.) Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La CMP du 30 avril dernier a été conclusive et nous nous en réjouissons.
Nous saluons les dispositions introduites par nos collègues députés qui font de la confiscation une peine complémentaire obligatoire.
Un apport de notre rapporteur est la possibilité de gérer les biens saisis avant que le tribunal ait statué sur le sort de ces derniers. Le dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels passera par la désignation d'un acteur judiciaire qui statuera sur les biens.
Le compromis trouvé sur l'article 3 facilitera l'expulsion des occupants de mauvaise foi d'un logement confisqué par la justice.
L'allongement du délai permettant aux victimes de demander l'obtention des biens confisqués est une bonne chose.
Grâce à Jean-Luc Warsmann, notre législation s'est améliorée.
Nous rendons hommage à l'action déterminante des policiers, gendarmes, magistrats et agents de l'Agrasc.
Non, le crime ne doit plus enrichir impunément !
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Louis Vogel . - Les dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels sont des outils essentiels de préservation de l'ordre public, de la sécurité et de la justice.
Cette proposition de loi vise à priver les criminels de leur patrimoine mal acquis. Il s'agit aussi de dissuader ceux qui seraient prêts à s'engager dans des infractions illégales et de réparer les dommages subis par les victimes.
C'est un changement d'approche. Issue de la loi Warsmann du 9 juillet 2010, l'Agrasc est un pilier de cette nouvelle politique.
Le montant des confiscations réalisées par l'Agrasc s'établit à 172 millions d'euros en 2022, le double du montant de 2020 ; c'est considérable, mais pas encore suffisant !
Les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont souligné dans leur rapport de 2019 que « le crime ne doit pas payer » (M. le ministre renchérit) ; tel est l'esprit des auteurs de ce texte.
Les peines d'emprisonnement ne suffisent plus. Il faut aller beaucoup plus loin, notamment dans la lutte contre le narcotrafic, et cela passe par la saisie du patrimoine des malfaiteurs.
Initialement composé de trois articles, le texte a été enrichi au fur et à mesure de la navette. L'accord en CMP a permis de simplifier les procédures. Des mesures concrètes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sont également prévues, ainsi que des mesures visant à fluidifier la chaîne pénale jusqu'à la confiscation.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Louis Vogel. - Aussi notre groupe est favorable à l'adoption du texte équilibré présenté par Muriel Jourda, dont je salue le travail.
Ce texte novateur envoie un message de fermeté. Il doit servir de modèle à l'échelle de l'Union européenne ; monsieur le ministre, je compte sur vous ! (M. Thomas Cazenave en prend note ; applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Philippe Bonnecarrère . - Cette proposition de loi visant à améliorer, par des mesures techniques, le fonctionnement de l'Agrasc, fait écho à des réflexions récentes du Sénat, notamment aux recommandations, rendues publiques hier, de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Comme Nathalie Goulet et Louis Vogel l'ont souligné, les besoins en matière de coopération judiciaire dans le domaine des avoirs criminels sont considérables, notamment à l'échelle européenne. Un article paru aujourd'hui dans Le Monde au sujet de la situation à Dubaï le confirme.
L'Agrasc a beaucoup évolué depuis sa création, en 2010 ; elle nous paraît bien fonctionner.
Le travail de la rapporteure, Muriel Jourda, est allé dans le bon sens : je pense en particulier à l'évolution vers des confiscations de plein droit et à la simplification de la procédure d'appel et des modalités des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP).
L'esprit du texte rejoint les propositions du rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic. L'argent du crime doit être confisqué - c'est l'objet notamment des propositions 31, 32 et 33 du rapport. La question de l'accès aux fichiers numériques me paraissait réglée, mais il semble, d'après le rapport, que ce ne soit pas si évident que cela. J'insiste aussi sur la proposition audacieuse consistant à créer une présomption de blanchiment.
Je ne puis conclure sans une pensée pour les victimes des événements dramatiques survenus hier dans l'Eure, qui illustrent une rupture de notre contrat social - pour reprendre les mots du Président de la République, un ensauvagement de la société. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Guy Benarroche . - Hier, la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic a présenté ses propositions pour rendre plus efficace notre dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Je salue la qualité de ses travaux, menés sous l'égide de Jérôme Durain et d'Étienne Blanc, et regrette que nous n'ayons pas attendu ses conclusions pour légiférer. Je signale notamment les propositions visant à autoriser les confiscations en l'absence de sanction pénale et à faciliter la saisie des fonds de commerce.
Les délinquants détestent être frappés au portefeuille. « Pour être véritablement dissuasive, toute sanction pénale doit pouvoir s'accompagner de la privation des délinquants des profits qu'ils ont pu tirer de l'infraction », selon l'exposé des motifs de la loi, dont M. Warsmann est à l'origine, créant l'Agrasc.
Comme l'a expliqué la rapporteure, les avoirs criminels ne sont pas systématiquement identifiés. En outre, seuls 30 % des biens saisis sont effectivement confisqués. Toutefois, les saisies sont en forte progression dans notre pays : 109 millions d'euros en 2011, 771 millions d'euros en 2022 - sept fois plus -, dont 27 millions à Marseille. L'Agrasc est donc un succès ; félicitons ses agents, qui par leur travail redonnent du sens à la sanction.
Mais des marges de progression existent. L'Ofast estime à plus de 3 milliards d'euros, au minimum, les retombées du trafic de stupéfiants en France. L'Agrasc pourrait donc saisir davantage encore, ce que confirme la commission d'enquête sénatoriale, qui insiste notamment sur l'importance de former les personnels des juridictions.
Nous saluons les apports du texte, notamment l'ajout des collectivités territoriales parmi les personnes morales pouvant bénéficier des biens saisis. Le Sénat a inclus dans cette liste d'autres personnes morales, dont l'Office français de la biodiversité (OFB) et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
Par le passé, je me suis opposé à certaines mesures privant les justiciables de leur droit de contestation, pour des raisons prétendument pragmatiques. J'adhère à la solution proposée par l'article 1er du texte, qui prévoit une contestation auprès du Premier président de la Cour d'appel, ce qui allégera le contentieux.
Nous regrettons qu'aucune de nos propositions n'ait été retenue, notamment sur l'extension du dispositif à l'entourage familial des agents publics étrangers pour mieux lutter contre les biens mal acquis. Reste que ce texte est une avancée, qui consolide au-delà du tout-prison les autres moyens efficaces de sanction. Le GEST le votera. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La saisie et la confiscation ont le double intérêt de dissuader les criminels et délinquants et de mettre au service de la société des biens acquis contre ses intérêts.
Il faut frapper les délinquants au portefeuille. L'Italie a montré la voie en mettant en place, en 1982, un premier dispositif de confiscation sur l'initiative de Pio La Torre, député communiste sicilien qui paya de sa vie son combat contre la mafia.
En France, c'est en 2010, sur l'initiative du député Warsmann, qu'un mécanisme similaire fut mis en place. En 2018, un amendement à la loi Elan défendu par le député communiste Stéphane Peu a autorisé la confiscation des biens des marchands de sommeil. En 2020, deux textes ont amélioré encore le dispositif, permettant notamment la restitution des biens mal acquis à travers l'aide au développement.
En 2021, le montant des biens saisis s'élevait à 484 millions d'euros, contre 109 millions dix ans plus tôt. Les confiscations d'actifs sont passées, elles, de 700 000 euros en 2011 à 150 millions d'euros dix ans plus tard. Malgré cette progression fulgurante, nous sommes encore loin des résultats de l'Italie, qui a confisqué plus de 11 milliards d'euros de biens à la mafia au cours des vingt dernières années.
Grâce à cette proposition de loi, les saisies seront plus rapides et plus efficaces. Nous nous réjouissons que la commission ait étendu la confiscation aux biens ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre ainsi qu'à tous ceux qui en constituent un produit direct ou indirect. On ne peut pas s'enrichir par le crime !
Le texte comporte un volet de réaffectation des biens concernés. L'Italie est une source d'inspiration en la matière : en 2019, 947 biens ont été mis au service de l'économie sociale et solidaire, à travers des fondations, des associations, des écoles ou des organismes de formation professionnelle. Cela permet de montrer que les systèmes mafieux ne l'emportent pas sur le bien commun.
Nous saluons cette proposition de loi, car nous croyons que l'efficacité dissuasive de la peine tient moins à sa sévérité qu'à sa certitude. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Vote sur le texte élaboré par la CMP
La proposition de loi, modifiée, est définitivement adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Dispositions législatives relatives à la santé (Deuxième lecture - Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n°2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.
Discussion générale
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention . - D'apparence technique, ce texte aura, dès sa promulgation, des effets concrets pour nombre de nos concitoyens. Son adoption est essentielle pour assurer la pérennité de plusieurs évolutions récentes de notre droit de la santé dans les trois collectivités du Pacifique.
Le 19 avril dernier, par une ordonnance prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement a étendu, en les adaptant, plusieurs mesures du code de la santé publique à la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna, en tenant compte de l'organisation particulière de ces territoires. Le présent projet de loi procède à la ratification sans laquelle, dix-huit mois après sa publication, l'ordonnance deviendrait caduque. Il ne change donc rien au droit en vigueur, mais pérennise l'application des mesures concernées pour nos concitoyens du Pacifique.
L'ordonnance a d'abord permis de rattraper le retard d'application des lois de bioéthique dans les trois collectivités du Pacifique s'agissant des recherches impliquant la personne humaine (RIPH). Elle instaure un cadre sécurisant qui favorisera le développement de ces recherches dans ces territoires.
Par ailleurs, l'ordonnance étend et adapte diverses dispositions relatives à la santé dans le respect des partages de compétences entre l'État et chaque collectivité. C'est notamment le cas pour des dispositions de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement : allongement du délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines et suppression du délai minimal de réflexion à l'issue d'un entretien psychosocial. Il s'agit ainsi de sécuriser l'effectivité du droit des femmes à pleinement disposer de leur corps dans tous les territoires de la République.
Pour les îles Wallis et Futuna, l'ordonnance y étend également les dispositions de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification élargissant les compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles (IST).
En Polynésie française, l'ordonnance étend les dispositions de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé relatives à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures. Il s'agit, là encore, d'assurer le bénéfice de mesures importantes pour l'accès à la santé et à la prévention à l'ensemble de nos concitoyens.
Enfin, pour une application uniforme du droit sur tout le territoire, un amendement du Gouvernement a été adopté par l'Assemblée nationale qui étend à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française l'article L. 1243-6 du code de la santé publique, définissant les lieux dans lesquels peuvent être réalisées des greffes de tissus et des administrations de préparations de thérapie cellulaire.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Nous voici à nouveau saisis du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.
Le premier objet de l'ordonnance est de rendre applicables à ces territoires certaines mesures des dernières lois de bioéthique, notamment en matière de RIPH. En outre, elle y étend, en les adaptant, les dispositions allongeant le délai de recours à l'IVG et supprimant le délai minimal de réflexion.
Le Sénat a été la première assemblée saisie de ce texte, en mars dernier. Un article unique se bornait alors à ratifier l'ordonnance. J'avais exposé mes réserves, sur la méthode comme sur le fond. Pour ce qui est de l'avortement, j'avais regretté des extensions trop peu ou mal concertées et une anticipation insuffisante de leur mise en oeuvre en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. J'avais proposé à la commission des affaires sociales une validation juridique, à défaut de souscrire politiquement à certaines dispositions étendues. Le Sénat avait adopté le texte sans modification.
L'Assemblée nationale a adopté conforme l'article unique et introduit dans le texte deux articles nouveaux, qui font l'objet de la deuxième lecture.
Le nouvel article 2 est issu d'amendements de la rapporteure, Mme Parmentier-Lecocq, du Gouvernement et de la députée polynésienne Mereana Reid Arbelot. Il vise à répondre à des demandes d'adaptations complémentaires ou de corrections de malfaçons législatives émanant de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, en matière notamment d'organisation des soins et d'assistance médicale à la procréation.
Quant au nouvel article 3, introduit sur l'initiative de Mme Reid Arbelot, il prévoit un rapport du Gouvernement évaluant le coût de l'allongement de douze à quatorze semaines du délai de recours à l'IVG.
En première lecture, j'avais regretté que les adaptations complémentaires demandées par les territoires ne puissent être prises en compte à ce stade au Sénat. J'avais relayé les demandes des collectivités et sollicité l'avis du Gouvernement - sans réponse de votre prédécesseur, monsieur le ministre. Les modifications intervenues quelques semaines plus tard à l'Assemblée nationale confirment le caractère discutable de la méthode du Gouvernement. À se presser sans être prêt, il nous contraint à une deuxième lecture, alors qu'une seule aurait dû permettre de répondre convenablement aux besoins.
Ces réserves de méthode mises à part, la commission a approuvé les modifications apportées au code de la santé publique. Si ces aménagements ne répondent pas à l'ensemble des demandes des territoires, ils correspondent à une interprétation efficace du partage de compétences entre l'État et le pays.
La commission est par principe défavorable aux rapports, et la demande inscrite à l'article 3 est mal définie dans son champ territorial et inopportunément focalisée sur le seul aspect financier, alors que les enjeux tiennent aussi à la compétence des professionnels ou aux règles de prise en charge. Toutefois, nous n'avons pas estimé opportun de poursuivre la navette parlementaire sur cette seule question.
Les territoires du Pacifique souffrent de problèmes d'accès aux soins, du fait notamment d'une démographie médicale insuffisante, et même lacunaire à Wallis et Futuna. L'insularité et l'éloignement rendent l'accès aux soins encore plus difficile. C'est l'un des enjeux majeurs sur lesquels nous devons porter notre attention.
La commission des affaires sociales a adopté ce texte sans modification et recommande au Sénat son adoption définitive. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) L'objet de ce texte est simple : ratifier l'ordonnance rendant applicables à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française de récentes dispositions du code de la santé publique relatives aux RIPH, à l'allongement du délai de recours à l'IVG ou encore à l'organisation des soins.
J'insiste sur l'extension des compétences des sage-femmes en matière de dépistage et de traitement des IST à Wallis-et-Futuna et la protection par le secret de la prescription de la contraception pour les personnes mineures en Polynésie française. Les débats politiques autour de ces questions ont eu lieu ; notre rôle est aujourd'hui purement légistique.
La ratification de cette ordonnance doit intervenir avant le 20 octobre prochain pour assurer la pérennité de ces évolutions dans les collectivités du Pacifique et ainsi permettre à toutes les Françaises et à tous les Français d'avoir les mêmes droits dans le domaine de la santé.
En première lecture, nombre d'entre nous avaient demandé des informations sur la mise en oeuvre de ces mesures. Les réponses apportées à l'Assemblée nationale ont été satisfaisantes ; elles ont permis un enrichissement bienvenu du texte.
Le groupe RDPI le votera, en restant vigilant sur l'application effective des mesures de l'ordonnance dans des territoires où l'offre de soins est souvent indigente. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À l'issue de la première lecture au Sénat, ce texte comportait un article unique. L'Assemblée nationale en a introduit deux, l'un prévoyant l'évaluation du coût de l'allongement de douze à quatorze semaines du délai de recours à l'IVG, l'autre opérant des corrections dans les mesures d'extension et d'adaptation prévues par l'ordonnance, notamment pour préciser la répartition des compétences entre l'État et les autorités locales.
L'ordonnance rend notamment applicable à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française des dispositions relatives aux RIPH issues des lois de bioéthique et de règlements européens. On ne peut que regretter que les territoires Français du Pacifique aient dû attendre plus de dix ans pour bénéficier eux aussi de ce cadre juridique...
L'ordonnance rend aussi applicables à ces territoires des évolutions législatives récentes relatives aux droits des malades, à la santé sexuelle et à l'IVG. Il s'agit notamment de l'allongement du délai de recours à l'IVG de 12 à 14 semaines, de la suppression du délai minimal de réflexion de deux jours, de la possibilité de recourir à une téléconsultation pour l'avortement et de l'autorisation accordée aux sages-femmes de réaliser des IVG par voie instrumentale.
Je me réjouis tout particulièrement de ces extensions quelques semaines après la constitutionnalisation de l'IVG. Monsieur le ministre, disposez-vous d'informations sur l'accès effectif des femmes à l'IVG dans les trois territoires du Pacifique ? Je pense que oui.
L'ordonnance étend aussi à ces trois territoires des dispositions permettant l'accès précoce et compassionnel à certains traitements pour des patients en impasse thérapeutique. En Polynésie française, elle permet à un plus grand nombre de professionnels de santé de déroger à l'obligation de recueillir le consentement de l'autorité parentale pour des actions relatives à la santé sexuelle et reproductive des mineurs et étend les garanties prévues en matière de données des personnes malades.
Le groupe SER votera ce texte qui pérennise des évolutions positives pour ces trois territoires, nonobstant nos inquiétudes plus générales sur l'accès aux soins dans le Pacifique comme dans l'ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Georges Naturel . - Ce texte vise à ratifier l'ordonnance du 19 avril 2023.
L'article 1er - à l'origine, article unique - a été adopté conforme à l'Assemblée nationale. La majeure partie de ses mesures vont dans le bon sens et étaient attendues outre-mer. Il s'agit notamment de mesures de rattrapage en matière de RIPH en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Comme sénateur ultramarin, je salue cette évolution.
Je remercie la rapporteure, Marie-Do Aeschlimann, qui avait sollicité du ministère des expertises sur les demandes de modifications formulées par les gouvernements de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. Faute de temps, ces expertises n'avaient pas pu être menées en vue d'amender le texte au Sénat. Les mesures adoptées à l'Assemblée nationale permettent de parfaire le dispositif de l'ordonnance. La répartition des compétences entre l'État et les autorités locales s'en trouvera précisée.
En particulier, les autorités locales pourront définir l'équipe de soins intervenant auprès d'un patient et décider de l'organisation des professionnels concourant à la prévention ou aux soins. Par ailleurs, les dispositions définissant les lieux dans lesquels peuvent être réalisées les greffes de tissus et les administrations de préparations de thérapie cellulaire seront applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Toutes ces mesures permettront de rattraper un retard accumulé depuis plus de dix ans en matière de santé et de recherche dans les outre-mer. Si une deuxième lecture aurait pu être évitée, nous parvenons à un point d'équilibre et le droit gagne en intelligibilité. S'agissant de la demande de rapport inscrite à l'article 3, je rejoins l'avis de la rapporteure : nous l'acceptons pour permettre une adoption conforme, en dépit de nos réserves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le projet de loi de ratification qui nous est soumis va dans le bon sens.
L'ordonnance rend applicables à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française les dispositions du code de la santé publique se rapportant aux RIPH et les mesures des règlements européens portant sur les essais cliniques de médicaments, les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.
Elle comporte des avancées particulières pour Wallis-et-Futuna, notamment en matière de droit à l'avortement. Les femmes wallisiennes bénéficieront ainsi de l'allongement du délai de recours à l'IVG à quatorze semaines et ne seront plus tenues de respecter un délai minimal de réflexion.
En Polynésie française, l'ordonnance prévoit en outre une meilleure protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures, ainsi que de nouvelles garanties en matière de données médicales.
Nous approuvons ces avancées pour la protection et la liberté des femmes, mais encore faut-il que les moyens suivent... Or nous connaissons parfaitement les difficultés des structures médicales en Polynésie française, comme du reste en métropole.
Sur la forme, nous aurions pu effectivement nous épargner une deuxième lecture si le Gouvernement avait écouté notre rapporteure, Marie-Do Aeschlimann, qui proposait dès mars dernier d'intégrer au texte des adaptations complémentaires demandées par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Même s'il est regrettable d'avoir perdu du temps, nous sommes, in fine, satisfaits.
Le groupe UC votera naturellement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Laure Darcos . - Avant tout, notre groupe condamne les violences commises en Nouvelle-Calédonie. Nous soutenons pleinement les habitants de l'archipel et appelons au retour au calme.
Je salue le travail de la rapporteure sur ce texte étendant définitivement des dispositions législatives récentes relatives à la santé à la Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et à la Polynésie française, en matière d'essais thérapeutiques et d'allongement du délai de recours à l'IVG et de suppression du délai minimal de réflexion. Nous renforçons ainsi le droit des femmes d'outre-mer à disposer de leur corps. Par ailleurs, les compétences des sage-femmes sont étendues en matière de contraception.
Une seule lecture aurait pu suffire. Les modifications apportées au texte adopté au mois de mars témoignent de la difficulté du droit des outre-mer et de la nécessité de faire preuve de la plus grande rigueur pour leur application de notre législation. Mais rigueur ne devrait pas forcément être synonyme de lenteur. Or certaines dispositions étendues par l'ordonnance sont applicables en métropole depuis 2012... Calédoniens, Polynésiens, Wallisiens et Futuniens doivent avoir les mêmes droits que les autres Français en matière de santé.
La question est de savoir si ces règles pourront y être appliquées, compte tenu des moyens humains et financiers sur place. Le cas de Mayotte, en proie à une épidémie de choléra en plus des difficultés structurelles, est édifiant. Il est impératif de renforcer l'accès aux soins dans toutes les collectivités ultramarines.
En tout état de cause, notre groupe votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Anne Souyris . - Nous voilà une seconde fois réunis pour examiner la ratification de cette ordonnance : mépris des outre-mer ou impréparation du Gouvernement ? Peut-être les deux...
Il y a deux mois, nous demandions au Gouvernement de revoir le texte pour l'adapter aux spécificités locales, s'agissant notamment des recherches sur la personne humaine. Nous aurions pu éviter cette deuxième lecture si le Gouvernement n'avait pas bâclé cette ordonnance.
Je rembobine : les représentants des collectivités territoriales ont regretté les conditions de leur saisine, qui ne leur ont pas permis de donner un avis approfondi. Seul l'avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie a été reçu. La délibération de Wallis-et-Futuna n'a pas été reçue, et celle de l'assemblée de la Polynésie française n'a pu être formalisée avant la publication de l'ordonnance.
Nous voterons une nouvelle fois la ratification de cette ordonnance, mais le Gouvernement n'avait pas anticipé sa mise en oeuvre concrète dans les territoires ultramarins. Quel mépris pour nos collectivités territoriales d'outre-mer ! Est-il normal qu'elles aient dû attendre douze ans pour bénéficier des mêmes avancées que la métropole en matière d'accès aux traitements innovants ?
Nous avions alerté le Gouvernement sur les dangers de la modification du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Vous êtes les seuls responsables de la situation actuelle. Je pense aujourd'hui aux cinq morts et aux centaines de blessés. La négociation sous la contrainte a mis le feu aux poudres. Si nous soutenons le choix de l'autonomie du peuple kanak, c'est aussi pour lui permettre de reprendre en main son système de santé. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Nous oeuvrons à ce que le droit applicable soit le même pour tous les Français. Il est plus que temps d'étendre aux territoires du Pacifique le cadre en matière de RIPH, de données des personnes malades et d'IVG.
Ce qui se joue, c'est bien de permettre à chaque Française de disposer des mêmes droits sur son corps. En Nouvelle-Calédonie, nombre de professionnels de santé ont appelé de leurs voeux l'extension du délai légal de recours à l'IVG et la suppression du délai minimal de réflexion.
Nous saluons aussi l'application aux territoires du Pacifique du secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures, ainsi que la suppression de la notion de détresse pour délivrer la contraception d'urgence. Ce sont autant de leviers pour permettre aux femmes de disposer librement de leur corps.
Nous saluons aussi les modifications bienvenues apportées par l'Assemblée nationale en réponse aux demandes formulées par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, notamment pour des adaptations complémentaires du code de la santé publique et la correction de malfaçons législatives.
Nous saluons l'ajout, sur l'initiative de la députée communiste Mereana Reid Arbelot, d'une demande de rapport sur le coût de l'allongement du délai de recours à l'IVG. Pour mieux organiser et rendre effectif ce droit, il faut bien en connaître le coût.
Je regrette que les bonnes conditions d'examen de ce texte n'aient pas été réunies en mars dernier. Les collectivités territoriales n'ont pas pu émettre un avis. Nous dénonçons aussi le recours aux ordonnances : ce texte reflète la relégation des outre-mer dans l'ordre de construction de la loi. Trop souvent, la loi s'y résume à des ordonnances d'application qui créent des inégalités entre citoyens.
Nous voterons ce texte sans modification, mais regrettons que le Gouvernement ait fait preuve de plus de volonté pour imposer le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie que pour élargir les droits des femmes outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Mireille Jouve . - Comment ne pas évoquer avant tout la tragique actualité de la Nouvelle-Calédonie, qui a entraîné la convocation par le Président de la République d'un conseil de défense ce matin même ? Au nom du RDSE, j'adresse mes sincères condoléances aux victimes et appelle au retour au calme.
Conformément à l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement peut étendre des dispositions de nature législative en vigueur dans l'Hexagone aux collectivités visées par cet article ; c'est ce que fait cette ordonnance et nous ne pouvons que saluer ce que nous considérons comme un rattrapage. Oui à la transposition des lois bioéthiques, notamment en matière d'encadrement de la recherche ; oui à l'extension de l'application des règlements européens sur les essais cliniques ; oui à l'allongement du délai de recours à quatorze semaines et à la suppression du délai minimum de réflexion.
Nous déplorons cependant qu'à l'exception de celui du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, les avis des collectivités territoriales n'aient pu être reçus dans les délais impartis. Sur des questions complexes comme ceux-là, c'est regrettable.
L'Assemblée nationale a introduit deux nouveaux articles. Ce texte méritait-il une deuxième lecture ? Je n'en suis pas certaine au regard de l'urgence.
Nous partageons l'avis de la rapporteure sur la demande de rapport. La question est moins celle du délai de recours à l'IVG que de son effectivité partout et pour toutes.
Le RDSE, dans sa caractéristique bienveillance (sourires), votera ce texte pour une application rapide. (« Très bien ! » sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
Les articles 2 et 3 sont successivement adoptés.
Le projet de loi est définitivement adopté.
(Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Michel Savin applaudissent.)
La séance est suspendue quelques instants.
Accompagnement humain des élèves en situation de handicap (Deuxième lecture)
M. le président. - Nous pourrions achever l'examen du texte en prolongeant la séance au-delà de 20 heures, s'il n'y a pas d'opposition.
Il en est ainsi décidé.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne.
Discussion générale
Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement . - Je vous prie d'excuser Nicole Belloubet.
Ce texte est très attendu par les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), dont je salue l'engagement : elles - car ce sont en très grande majorité des femmes - sont indispensables pour rendre tangible l'école pour tous. Celle-ci doit faire face au défi de la prise en compte des besoins éducatifs de tous les élèves ; c'est en effet le premier lieu de la solidarité nationale et il faut y faire évoluer le quotidien des enfants en situation de handicap - le Gouvernement y met toute son énergie.
Il est nécessaire de changer le regard que nous portons sur le handicap, et l'intégrer, y compris sur le temps de la pause méridienne. Le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire est en constante augmentation : les enseignants ont besoin d'appui.
Il reste beaucoup à faire, mais, depuis plusieurs années, nous détectons mieux, nous accompagnons mieux. Aux côtés de 470 000 élèves, soit 46 % de plus qu'en 2017, les AESH représentent 86 500 ETP, soit 66 % de plus. Nous avons revalorisé leur salaire de 26 % entre 2021 et 2024, soit 200 euros nets de plus par mois. Les AESH sont devenus le deuxième métier de l'éducation nationale en termes d'effectifs.
La proposition de loi prévoit la prise en charge à 100 % par l'État de l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur tout le temps de la journée à partir de la rentrée 2024.
Ce texte simplifiera aussi la gestion du personnel. L'amélioration de la continuité est une avancée importante. Nous avons le devoir collectif de garantir à tous les jeunes une société accueillante qui sache s'adapter. Aussi l'éducation nationale travaille-t-elle sur la formation des enseignants et de tous les personnels. Il y va de leur bien-être au travail de celui des élèves.
Le soutien aux personnes en situation de handicap est au coeur de l'action du Gouvernement, notamment au sein de l'école. Je me réjouis que nous puissions nous rassembler sur ce sujet. Le chemin vers l'école pour tous est encore long, mais nous allons dans la bonne direction. Je salue l'engagement de Cédric Vial et vous invite à voter ce texte pour permettre sa mise en oeuvre dès la rentrée prochaine.
Mme Anne Ventalon, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'aboutissement d'une proposition de loi sénatoriale est toujours un moment particulier, surtout si elle nous rassemble au-delà de nos clivages politiques. Ce texte apporte de surcroît une réponse à des milliers d'enfants en situation de handicap, de familles et d'AESH.
Voilà vingt ans que les gouvernements successifs ont mis en place une politique volontariste pour inclure les enfants en situation de handicap dans les écoles. Leur nombre est ainsi passé de 118 000 en 2006 à 478 000 en 2023. Mais l'accompagnement sur le temps méridien pose question, en particulier depuis que le Conseil d'État a dégagé l'éducation nationale de toute responsabilité à cet égard, à rebours de la pratique établie - provoquant un séisme.
Depuis plus de trois ans, les familles et les AESH sont ainsi confrontés à des incertitudes et à des inégalités. À l'Assemblée nationale, Nicole Belloubet a indiqué que le ministère de l'éducation nationale continuait d'assurer la prise en charge de 60 % des élèves sur la pause méridienne. Qu'en est-il des 40 % restants ? Lors des auditions, j'ai rencontré des mères m'ayant indiqué avoir dû se mettre à temps partiel, voire changer de travail. L'inclusion et les apprentissages des élèves en pâtissent.
Le cas des établissements privés sous contrat est aussi préoccupant : les sommes perçues au titre du forfait scolaire ne peuvent être utilisées au titre de la pause méridienne. Ils doivent faire jouer la solidarité en mobilisant des parents volontaires ou des professeurs retraités - ce bricolage s'enraye dès qu'il y a un problème. Des parents m'ont confirmé avoir dû déscolariser leurs enfants pour cette raison.
Madame la ministre, je me félicite de l'évolution du Gouvernement sur ce sujet, alors qu'il était encore réticent voilà quelques mois. Lors de l'examen du texte en première lecture, Mme Vautrin émettait un avis de sagesse, indiquant un infléchissement de position. Quelques jours plus tard, dans sa déclaration de politique générale, Gabriel Attal annonçait le transfert à l'État de cette charge - une annonce unanimement saluée.
Le texte issu de l'Assemblée nationale comporte des modifications mineures ; aussi la commission de la culture l'a-t-elle adopté conforme.
Les députés ont ajouté deux articles. L'article 3 précise que le texte entre en vigueur à la rentrée 2024 - il semble effectivement opportun de différer l'entrée en vigueur afin de procéder aux ajustements nécessaires dans les contrats des AESH. L'article 4 demande un rapport - vous connaissez, madame la ministre, la position traditionnellement réservée du Sénat à ce sujet. Mais lors de mes travaux, j'ai été frappée par le manque de données disponibles sur cette question et par les différences de pratiques entre maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Vos services ont extrapolé à partir d'un sondage et aboutissent à une évaluation basse à 20 000 élèves... Des informations plus précises sont donc les bienvenues ; j'ai confiance dans les services statistiques du ministère de l'éducation nationale !
La proposition de loi constitue une avancée notable. Il faudra former les AESH à ces nouvelles tâches. Ce texte ne constitue qu'un jalon dans un long parcours.
C'est la traduction législative de l'une des vingt recommandations du rapport de Cédric Vial sur les modalités de gestion des AESH. Les dix-neuf autres ne relevant pas de la loi, j'espère, madame la ministre, qu'elles connaîtront un sort aussi positif.
Madame la ministre, l'école inclusive est en souffrance. Les travaux de notre rapporteur pour avis sur les crédits de l'enseignement scolaire, Jacques Grosperrin et du président Lafon, ont montré qu'elle était en train de craquer. En 2023, trois quarts des enseignants du premier degré ont déclaré avoir des problèmes très fréquents avec des élèves perturbateurs. Entendez ce malaise, qui remet en cause l'école pour tous. L'ensemble des élèves, l'enseignant et les élèves concernés en souffrent.
Je souhaite que ce texte améliore dès la rentrée prochaine le quotidien des enfants et des enseignants.
Pierre après pierre, nous devons bâtir l'école pour tous, cette promesse républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Marie-Pierre Monier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE) Cette avancée, qui se concrétisera dès la rentrée prochaine, clarifiera l'accompagnement des élèves en situation de handicap dans les écoles, tout en revenant aux principes fondateurs de l'école inclusive.
Le revirement occasionné par la décision du Conseil d'État du 20 novembre 2020 a entraîné plusieurs difficultés et incertitudes : pour les collectivités territoriales notamment, car elles ne sont pas toutes en mesure de financer l'accompagnement des temps méridiens ; pour les AESH, qui voyaient l'organisation de leurs journées de travail complexifiée par cette dualité d'employeurs ; pour les élèves en situation de handicap ayant des besoins d'accompagnement sur les temps méridiens, au nombre estimé entre 20 000 et 25 000, et dont les parents sont parfois obligés de recourir à des AESH privés, voire de déscolariser leurs enfants.
Dans son rapport, Cédric Vial nous avait alerté sur la nécessité d'une évolution législative rétablissant un égal accès aux services de restauration. Je salue le travail de Mme Ventalon, grâce à qui nous avons été unanimes à voter ce texte en janvier dernier. À l'Assemblée nationale, le consensus fut large pour l'adopter.
L'article 4 demande un rapport sur le nombre d'élèves concernés et sur la pratique des MDPH : cela confirme que le Gouvernement continue de progresser à tâtons alors que nous insistons depuis des années sur la nécessité d'une organisation globale, sachant que le nombre des enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a quadruplé entre 2006 et 2023, pour atteindre la proportion de neuf sur dix.
Nous avions dénoncé la création de pôles d'appui à la scolarité (PAS) en remplacement des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) au travers d'une disposition du projet de loi de finances pour 2024, censurée par le Conseil constitutionnel. Quelle surprise d'apprendre, au détour d'une audition de la ministre de l'éducation nationale, qu'en dépit de cette censure, les PAS étaient en cours d'expérimentation dans quatre départements ! Le Parlement doit être associé à cette démarche.
L'école inclusive ne doit pas être envisagée dans une logique de rationalisation budgétaire. Il faut passer d'une logique quantitative à une logique qualitative, ce qui implique de progresser sur la formation des AESH, alors même que ces derniers, pourtant les chevilles ouvrières de l'école inclusives, sont rémunérés à 994 euros en moyenne en janvier 2024 : indigne précarité pour le deuxième métier de l'éducation nationale.
Notre groupe votera cette proposition de loi, petit pas en faveur de l'école inclusive, et vous invite à accélérer la foulée ! (Sourires ; Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE)
M. Cédric Vial . - On y est ! La fierté - c'est le sentiment qui m'envahit au moment où je vous parle : la fierté d'avoir fait d'un constat un projet, un combat et finalement une loi. Pas de l'orgueil, mais le sentiment d'avoir servi à quelque chose, ce sentiment qui donne du sens à notre engagement politique, malgré un contexte parfois difficile.
Ce texte est un aboutissement - celui du travail de plus d'un an. Après avoir soulevé le problème à l'automne 2022, avoir rendu un rapport d'information le 3 mai 2023, j'ai déposé cette proposition de loi en juillet 2023, qui deviendra une loi, après votre vote que j'espère conforme pour qu'elle s'applique dès la rentrée prochaine.
Je remercie le président Lafon qui m'a suggéré la mission d'information, Max Brisson et Philippe Mouiller qui m'ont soutenu, Bruno Retailleau et Gérard Larcher qui m'ont permis d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée. Je remercie également Anne Ventalon, ma complice ! (Sourires)
Je remercie le Premier ministre qui, malgré la position défavorable de ses services et prédécesseurs, a su écouter, comprendre et enfin décider, une fois devenu Premier ministre - sa position a permis d'inscrire le texte à l'Assemblée nationale. Je remercie la députée Virginie Lanlo, rapporteure. Je remercie l'ensemble de mes collèges de leur bienveillance, les associations d'élus, les familles d'enfants en situation de handicap de leur soutien et de leur ténacité - je pense à Claire Lambert, véritable lanceur d'alerte.
Je remercie mes collègues qui siègent sur l'ensemble des travées ayant voté pour. Un regret : les députés LFI, qui n'ont pas osé voter contre, mais n'ont pas su voter pour...
M. Stéphane Piednoir. - Quelle tristesse !
M. Cédric Vial. - Ce texte sera un aboutissement, mais pas une fin. Ce sera une loi simple qui réglera des problèmes complexes, mais elle sera loin d'être suffisante. Mon rapport comprend 19 autres recommandations, et il faudra travailler sur le statut, les rémunérations et les conditions de travail des AESH.
Je pense aux 480 000 élèves en situation de handicap, aux 140 000 AESH - 97% de femmes - , aux familles, aux enseignants, aux élus locaux, aux chefs d'établissements publics et privés.
Il reste tant à faire pour que l'école inclusive ne soit pas un slogan ni même un objectif, mais un projet pour lequel nous devons tous nous mobiliser. Ce soir, tout ne fait que commencer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDSE et du GEST)
M. Joshua Hochart . - Ce soir, plus de 130 000 AESH attendent un geste fort. Accompagner les plus fragiles, c'est le signe d'une société qui va bien. Offrir un soutien humaniste est un impératif moral et éducatif ; la prise en compte du Gouvernement, quoique tardive, des élèves en situation de handicap est une bonne chose. Intégrer ces enfants favorise la sensibilisation, la tolérance et le respect.
Cette proposition de loi, pragmatique, permet à l'État de financer les AESH sur le temps méridien, mettant ainsi fin à une inégalité majeure, selon la volonté, mais surtout selon les moyens que vous voulez bien laisser aux collectivités...
L'État prend enfin ses responsabilités : un enfant en situation de handicap a besoin d'un accompagnement total. Mais la route est encore longue. Nous attendons un projet de loi global portant un réel statut pour les AESH, assorti d'une formation et d'une certification, où les missions des AESH seraient étendues à l'enseignement supérieur, où leur formation serait enfin uniformisée.
Ce sujet est transpartisan. Nous voterons en faveur de ce texte.
Mme Laure Darcos . - Je rends hommage à Cédric Vial, auteur de cette proposition de loi qui permet de tenir compte des réalités de vie et du budget des collectivités. Je souligne également le travail de fond d'Anne Ventalon.
Ce sujet est partagé par les élus locaux, je l'ai vu lors de la dernière campagne sénatoriale. En Essonne, certaines communes ont pris volontairement en charge le financement des AESH sur les pauses méridiennes. Malgré ces solutions, nombre d'enfants handicapés n'ont pas d'AESH durant ces moments. Les familles ont dû faire des sacrifices pour y remédier...
Cette proposition de loi met un terme aux difficultés engendrées par une décision du Conseil d'État, certes fondée en droit, mais humainement inacceptable.
Les députés ont modifié le texte, en prévoyant une demande de rapport. Nous ne soutenons traditionnellement pas cette demande, mais il ne faut pas prolonger la navette parlementaire. Nous voulons que ce texte s'applique dès la rentrée prochaine. Les familles ont déjà trop attendu. Aussi notre commission a adopté sans modification la proposition de loi. Nous devons mettre en oeuvre l'école inclusive partout et pour tous. Il faut travailler à des avancées concrètes pour les AESH dont les conditions de travail sont parfois éprouvantes.
Il faudra accélérer par ailleurs la prise en charge des élèves ne pouvant être scolarisés en milieu ordinaire.
Mon groupe votera ce texte avec conviction et enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE ; Mme Anne Ventalon applaudit également.)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie Cédric Vial et Anne Ventalon : ce texte répond concrètement à un problème bien identifié. L'accompagnement des enfants en situation dans les temps périscolaire et méridien n'a jamais été traité. En novembre 2020, le Conseil d'État a dispensé l'État de la prise en charge des AESH sur les temps méridiens. Faute de moyens, des dizaines d'enfants ont été déscolarisées. Les parents ont dû débourser près de 400 euros en moyenne par mois !
La présente proposition de loi a été adoptée en première lecture au Sénat le 23 janvier 2024. Le 8 avril 2024, l'Assemblée nationale a précisé le texte en instaurant une date d'entrée en vigueur du dispositif à la rentrée scolaire prochaine, en prenant en compte le calendrier des outre-mer. L'auteur n'avait pas imaginé une adoption aussi rapide de sa proposition de loi ! (M. Cédric Vial le confirme.) Ce texte fait consensus, mais permettez-moi de m'interroger sur sa mise en oeuvre, qui nécessitera le recrutement de 2 000 à 3 000 AESH ; or les difficultés de recrutement persistent et persisteront.
Le 29 janvier 2024, des parents d'élèves ont ainsi posté une annonce sur LeBonCoin pour recruter deux AESH... Ce métier, exercé à 96 % par des femmes, souffre d'un manque d'attractivité. La loi du 16 décembre 2022 ayant ouvert à la CDIsation des AESH constitue une première réponse, mais elle est encore insuffisante.
Manque de formation et rémunération trop faible sont autant de freins. D'un côté le nombre d'élèves en situation de handicap explose ; d'un autre côté on a du mal à recruter du personnel.
La mise en oeuvre de la loi Vial signifiera un accompagnement sur le temps scolaire et méridien. Mais quid du temps périscolaire, des voyages scolaires ? Priver un enfant en situation de handicap de ces moments, c'est le priver de temps privilégiés collectifs.
Cette proposition de loi est un pas de plus sur le chemin de l'école inclusive : nous la voterons ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDSE)
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.) Depuis la loi du 8 juillet 2013, le Gouvernement s'est donné un cap clair : l'école inclusive. Cette politique invite les citoyens à accepter les différences dès le plus jeune âge - c'est pourquoi les écologistes l'ont toujours défendue.
Le texte que nous examinons révèle toutefois les difficultés de sa mise en oeuvre, en raison notamment des moyens d'encadrement dans les classes, insuffisants. Nous avons proposé des voies d'amélioration de la formation et de la rémunération très insuffisantes des AESH et des assistants d'éducation (AED). Face à cela, les collectivités territoriales ont cherché à compenser les limites imposées par le cadre fixé par l'État.
Dans nombre d'écoles, les AESH n'étaient pas rémunérés au moment du déjeuner. Je suis fière que les collectivités territoriales, notamment écologistes aient pris le problème à bras le corps, sans attendre de modifications législatives.
Le texte de Cédric Vial permettra des améliorations concrètes sur le terrain. C'est pourquoi nous le voterons sans avoir déposé d'amendement. Puissions-nous faire preuve d'autant de pragmatisme lorsque nous aborderons la question des financements dans les écoles privées et publiques !
Je souhaite vous mettre en garde contre les politiques choisies sans concertation - je pense au « choc des savoirs » : hors cadre légal, sans anticipation des besoins nécessaires, des complications risquent de survenir. Madame la ministre, il est toujours temps d'y renoncer !
Mais, pour l'heure, le temps est à la satisfaction. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Gérard Lahellec . - (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.) Depuis plusieurs années, le système scolaire tend à se transformer pour permettre à tous les élèves d'accéder aux apprentissages. L'école française a accepté de s'adapter aux besoins de tous les élèves, y compris ceux qui étaient exclus jusqu'alors de la scolarisation ordinaire. Cet objectif est louable : nous pouvons tous nous en féliciter.
Tout cela demande un engagement fort. L'école inclusive est encore devant nous. Je considère, comme Cédric Vial, que tout commence aujourd'hui.
Pour une bonne pratique de l'inclusion, il faut une école de qualité et de réussite pour tous. Or il y a loin de la coupe aux lèvres... Si l'inclusion d'élèves à mobilité réduite ne semble plus soulever de questions, il n'en va pas de même pour les élèves aux handicaps invisibles. Portons un regard critique sur l'organisation de notre système éducatif, ballotté entre l'affirmation de l'inclusion et la tendance à la sélection des élèves.
Le système éducatif français devrait offrir à tous les élèves les mêmes possibilités pour développer leurs potentiels.
Le texte ne résoudra certes pas tout, mais ses dispositions lèvent une partie du problème de l'accompagnement des élèves en situation de handicap. L'entrée en vigueur dès la rentrée 2024 est une précision utile.
Si l'article 4, et sa demande de rapport, n'est pas une démarche habituelle au Sénat, cela ne doit pas être un frein à l'adoption de ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ainsi qu'au banc des commissions)
Mme Mireille Jouve . - Nous voilà réunis une seconde fois pour évoquer l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps méridien. J'ai sciemment utilisé le mot de « seconde » plutôt que « deuxième », car j'espère que cette nouvelle lecture sera la dernière, grâce à un vote conforme de notre assemblée.
Nous mesurons l'urgence de rappeler ce que doit la solidarité nationale aux 478 000 élèves porteurs de handicap, à leurs familles et aux 132 000 personnels qui les accompagnent courageusement.
Depuis l'arrêt du Conseil d'État de novembre 2020, nous mesurons à quel point cet accompagnement est d'application inégale sur le territoire national. Trois éléments fondamentaux changeront désormais : exit la charge financière supplémentaire imposée aux collectivités territoriales ; exit la dégradation des conditions de travail liée aux multiples contrats ; exit, enfin, la situation honteuse privant des élèves d'accompagnement sur le temps méridien.
Certaines questions demeurent en suspens cependant, comme le décalage entre la hausse des moyens et le nombre grandissant d'enfants demandant un accompagnement, ou encore la faible rémunération et le manque d'attractivité du métier d'AESH. Y répondre est notre devoir d'élus de la République, pour faire de l'inclusion une réalité et non plus seulement un voeu pieux.
Chiche ! Déposons une seconde proposition de loi créant un véritable statut pour les AESH, pour permettre à des personnes formées de vivre décemment.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Cette proposition de loi est la traduction législative des recommandations du rapport de Cédric Vial. Sa démarche s'inscrit dans la volonté commune du Président de la République et du Premier ministre de voir l'État financer l'accompagnement des enfants en situation de handicap sur leur pause déjeuner. Elle est importante pour les élèves en situation de handicap, leurs accompagnants et pour les collectivités territoriales. En effet, la rupture dans la continuité de l'accompagnement force les parents à prendre le relais, pour des conséquences parfois désastreuses.
Certaines familles embauchent ainsi des AESH, ce qui entraîne des coûts pour elles et se fait hors des contrôles de l'éducation nationale.
Ce texte simplifiera le statut des AESH, avec l'État comme unique employeur et le lissage de leur emploi du temps. Si le problème de leur précarité n'est pas pleinement réglé, cela reste une avancée.
Le Conseil d'État avait décidé en novembre 2020 que la compétence de l'État en matière d'accompagnement des élèves en situation de handicap ne porterait que sur le temps scolaire, entraînant une rupture d'égalité selon les communes, qui ont du mal à assumer cette charge. Les ajouts de l'Assemblée nationale sont bienvenus et témoignent de l'excellent travail du Parlement à ce sujet.
Je salue l'excellent travail de Cédric Vial et Anne Ventalon. Une forme de solidarité nationale sera ainsi rétablie, pour accompagner au mieux les élèves en situation de handicap au sein de l'école. Le RDPI votera ce texte. (« Très bien » sur plusieurs travées)
Mme Marie-Do Aeschlimann . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me réjouis de ce texte qui améliorera, je l'espère, l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps méridien. Vingt ans adjointe en charge de l'éducation à Asnières-sur-Seine, je mesure la complexité kafkaïenne d'un système octroyant aux AESH deux employeurs différents.
Pourtant, leur rôle conditionne la scolarisation en milieu ordinaire, alors que notre pays accuse un grand retard en matière de structures spécialisées. Face à cela, combien d'élus désemparés face à la détresse des familles, combien d'enseignants en difficulté avec leur groupe classe ?
Je dis donc « bravo ! » à l'excellent travail de Cédric Vial et Anne Ventalon. Il était d'urgent d'agir, alors que le nombre d'AESH stagne. Dans mon département des Hauts-de-Seine, 9 146 élèves auront un projet personnalisé de scolarisation.
La rémunération statutaire des AESH doit par ailleurs être encore améliorée. L'accès à un CDI après un CDD de trois ans et la revalorisation de la grille n'ont pas mis fin aux recrutements à temps incomplet.
L'adoption de ce texte réglera aussi les difficultés des établissements privés sous contrat.
Espérons que cela mettra un terme à la mutualisation des AESH par les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial).
Cette loi ne va toutefois pas au bout de la logique d'inclusion, en prenant en compte tous les temps extra et périscolaires comme l'étude surveillée ou les activités culturelles et sportives. Il faudra y remédier.
Beaucoup reste à faire pour une école vraiment inclusive. Je continuerai à y prendre part, ici, au Sénat, où ce projet a toujours été une priorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Laure Darcos applaudit également.)
Discussion des articles
Les articles 1er, 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
M. le président. - À l'unanimité ! (Applaudissements)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je remercie Anne Ventalon pour son travail et sa maîtrise du processus législatif, qui nous conduit aujourd'hui à ce vote unanime. Je remercie également Cédric Vial, dont nous sommes heureux de partager la fierté. Il fait un peu carton plein ce soir : vote unanime, vote conforme, vote de sa première proposition de loi, et - fait unique dans l'histoire législative -, citation dans un discours de politique générale du Premier ministre. On ne pouvait rêver mieux !
Cette proposition de loi est issue d'un travail plus large, comme cela a été rappelé. Le chantier de l'école inclusive est immense, notamment pour la revalorisation du métier d'AESH. Cette première pierre était attendue, et nécessaire. (Applaudissements)
Conférence des présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie ce jour sont consultables sur le site du Sénat.
En l'absence d'observations, je considère ces conclusions comme adoptées.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Prochaine séance, mardi 21 mai 2024, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 50.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 21 mai 2024
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
1. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif (texte de la commission, n°587, 2023-2024)
2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements (texte de la commission, n°598, 2023-2024)