Disponible au format PDF Acrobat
Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Interdiction de la benfluraline
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Piratage des numéros de sécurité sociale
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Pêche dans le golfe de Gascogne
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Diagnostic de performance énergétique
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Moratoire sur les jurys rectoraux
Transfert de compétences sociales aux départements
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité
Garantir la confidentialité des consultations juridiques
M. Louis Vogel, auteur de la proposition de loi
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales
Mme Marie-Claude Lermytte, auteure de la proposition de loi
M. Hussein Bourgi, rapporteur de la commission des lois
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité
Discussion de l'article unique
Mise au point au sujet d'un vote
Filière cinématographique en France
Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure de la commission de la culture
M. Jérémy Bacchi, rapporteur de la commission de la culture
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Ordre du jour du jeudi 15 février 2024
SÉANCE
du mercredi 14 février 2024
63e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je souhaite la bienvenue aux nouveaux ministres, qui apprendront qu'on est heureux au Sénat, où les débats sont parfois passionnés, mais toujours intéressants.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.
Prévisions de croissance
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.) Le commerce extérieur est la mère des batailles, dites-vous ? Mais c'est la Bérézina ! Nous avons la deuxième plus mauvaise performance de l'histoire : 100 milliards d'euros de déficit, quand l'Allemagne a un excédent de 200 milliards, quand l'Italie aussi est en excédent. Nous sommes seuls à figurer sur tous les podiums : déficit extérieur, déficit public, chômage élevé.
Quelle dégringolade depuis votre arrivée au pouvoir ! Nous étions le deuxième exportateur agricole mondial, nous sommes aujourd'hui sixièmes. Nous importons désormais la plupart des molécules pharmaceutiques innovantes. Les véhicules électriques, aussi, plombent le déficit, qui a doublé.
Au nom d'une « mondialisation heureuse » illusoire, nous avons abîmé tous nos fleurons ; délibérément sacrifié le grand avantage compétitif du nucléaire. Seuls les avions et le luxe s'en sortent. Comment comptez-vous remettre debout l'économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot et M. Franck Menonville applaudissent également.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - (« Ah ! » à droite) Depuis 2017, pour la première fois en trois décennies, les performances françaises de croissance sont supérieures à celles de l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie. (Marques d'ironie à droite)
M. Jean-François Husson. - Tout va bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. - La France a été la première à retrouver son niveau de croissance d'avant crise. (M. Olivier Paccaud s'exclame.)
En 2019, nous avons fait 1 % de croissance, comme prévu, alors que l'Allemagne était en récession. Pour la première fois en trente ans, nous créons de nouvelles filières industrielles. Existait-il des filières de batteries électriques en France il y a cinq ans ?
M. Jean-François Husson. - Répondez à la question !
M. Philippe Bas. - Et le commerce extérieur ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Aujourd'hui, nous avons quatre gigafactories. Nous avons décidé de réaliser six EPR. (M. Mickaël Vallet s'exclame ; M. Yannick Jadot ironise.) Aucune majorité ne s'était engagée dans cette voie. (Vives protestations à droite)
Certes, il y a des difficultés liées au ralentissement en Chine et à la remontée des taux d'intérêt. Mais face aux deux millions d'emplois créés, dont 100 000 emplois industriels, aux 628 usines ouvertes - une première depuis trente ans...
M. Philippe Bas. - Et le commerce extérieur ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - ... je préférerais vous entendre saluer les performances des salariés, des entrepreneurs, des PME, des TPE et de tous ceux qui travaillent en France, plutôt que de les accabler. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - C'est une très bonne réponse, mais ce n'était pas ma question. (Rires à droite) Le commerce extérieur est l'épreuve de vérité. Le déclassement est en marche, les marges de manoeuvre ont été mises à mal par le « quoi qu'il en coûte ». Il est temps d'agir pour retrouver notre croissance et notre souveraineté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville, Alain Duffourg et Philippe Folliot applaudissent également.)
M. Jean-François Husson. - Bravo !
Secrétaires de mairie
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Monsieur le ministre de la fonction publique, l'attachement des Français aux communes n'est plus à démontrer.
Une voix à droite. - Allô !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Ces petites patries font notre grande nation. Nous savons combien les élus y oeuvrent d'arrache-pied, épaulés par les indispensables secrétaires de mairie. Pourtant, ces femmes et ces hommes sont isolés, malgré leur engagement, peu reconnus alors qu'ils sont connus de tous dans la commune.
Grâce au Sénat... (marques d'ironie à droite) justice leur a été rendue : grâce au rapport de Cédric Vial (acclamations à droite), à la proposition de loi de Céline Brulin, à la proposition de loi de François Patriat qui leur offre une meilleure progression indiciaire et une formation qualifiante. Mais ce n'est qu'un point de départ ! Il faut faire vivre ce texte sur le terrain par des mesures réglementaires.
Vous vous étiez engagé à associer le Parlement. Comment, et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques . - Vous connaissez ma détermination à revaloriser le métier de secrétaire général de mairie - elle est partagée par tous ici. Leur rôle est vital, les difficultés de recrutement sont réelles.
La loi que vous avez votée acte qu'il s'agit d'un métier de catégorie B au moins et améliore le déroulement des carrières. Mais elle ne suffit pas. Je m'engage donc à faire paraître rapidement les décrets, notamment sur les plans de requalification ou l'accélération des carrières. Je réunirai un groupe de suivi parlementaire, où tous les groupes seront représentés. Nous présenterons les décrets au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale en avril.
Je m'engage à poursuivre le travail avec les employeurs territoriaux, les centres de gestion, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pour adopter une charte d'engagement, notamment sur la mutualisation et la formation. Le combat continue ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Interdiction de la benfluraline
Mme Marie-Claude Lermytte . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La filière de la chicorée, comme celle de l'endive, fait partie du patrimoine du Nord : nos deux cents planteurs et torréfacteurs possèdent une technologie performante garantissant des produits sains et de qualité. Ces filières assurent la quasi-totalité de la production nationale et un quart de la production mondiale.
Or le règlement d'exécution 2023/149 de la Commission européenne du 20 janvier 2023 ne renouvelle pas l'autorisation des produits à base de benfluraline, dont le Bonalan, utilisé notamment pour lutter contre l'invasion des chénopodes. L'autorisation de mise sur le marché a été retirée et les stocks pourront être utilisés jusqu'au 12 mai 2024 - demain. Il n'y a pourtant aucune alternative, sinon l'arrachage manuel, très coûteux en main-d'oeuvre. La survie de la filière est menacée.
La ministre déléguée de l'agriculture nous a promis hier qu'il n'y aurait pas d'interdiction sans solution. Ne peut-on prendre une dérogation pour surseoir à la décision en attendant une alternative ? Ne laissons pas la chicorée indienne, à mille lieues de nos exigences environnementales, prendre la place de notre chicorée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Isabelle Florennes, Évelyne Perrot et Sophie Primas applaudissent également.)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Les filières endive et chicorée ont une valeur patrimoniale, mais aussi économique. L'inquiétude est légitime.
Cette situation ne vient pas d'une surtransposition française mais d'une décision européenne, qui ne peut être annulée que par une autre décision européenne. Or je n'ai jamais vu de retour en arrière sur ce type de sujet. (Mme Sophie Primas s'exclame.)
Nous avons toutefois fait en sorte que l'utilisation de cet herbicide soit possible pour la saison 2024.
Pour 2025, nous avons engagé des travaux avec la Direction générale de l'Alimentation (DGAL) afin de trouver des alternatives et lançons un programme de recherche avec l'interprofession. Nous savions qu'il y avait un risque d'interdiction, nous devons trouver des solutions comme le désherbage mécanique.
Il faut retrouver des perspectives pour 2025 et après. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; Mme Audrey Linkenheld s'exclame.)
Droit du sol à Mayotte (I)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Vous avez promis la fin du droit du sol à Mayotte - une mesure « radicale », selon Gérald Darmanin. Pour un radical comme moi, comme pour tous les républicains radicaux, la question se pose : pourquoi une telle exception ? Certes la situation est difficile dans ce département dont la population exprime une colère légitime, et nous avons un devoir de solidarité envers ce territoire qui a choisi la France.
Il faudrait renforcer le partenariat avec les Comores et inscrire l'île dans son contexte régional, pour un développement concerté. Annick Girardin a ainsi proposé la création d'un hôpital extraterritorial avec un double registre de nationalité. Y ajouter la suppression du droit du sol, ce serait fracturer la République et créer un dangereux précédent.
Pour l'auteure comorienne Touhfat Mouhtare, « les petites îles de l'océan Indien ont pris des chemins séparés, mais restent des soeurs de sang ». Le droit du sol est-il vraiment le facteur d'attractivité des migrants ? S'il le faut, réinterrogeons un statut particulier pour Mayotte, avec Mayotte, sans compromettre les fondements de la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE-K ; plusieurs « Très bien » à gauche)
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer . - Mayotte sort d'une crise de l'eau et connaît une crise majeure liée à une immigration provenant tant des Comores, à 70 km, que de l'Afrique des Grands Lacs. Avec Gérald Darmanin, nous avons annoncé sur place des mesures exceptionnelles - une réponse unique à une situation unique.
En effet, ces mesures devront être complétées. C'est pourquoi nous avons déposé un projet de loi d'urgence pour Mayotte, qui portera sur l'immigration et la sécurité, mais aussi sur l'économie, l'équipement, l'éducation et la santé - nous pourrons donc examiner les propositions d'Annick Girardin.
Nous avons adressé un courrier aux élus et collectifs mahorais rencontrés dimanche.
M. Mickaël Vallet. - Aux milices, oui !
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée. - Nous devons lever les barrages et faire revenir le calme à Mayotte. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
Une voix à droite. - Pas qu'à Mayotte !
Droit du sol à Mayotte (II)
Mme Corinne Narassiguin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Mayotte, département le plus pauvre de France, connaît un nouveau pic de tension : barrages routiers, violence quotidienne. De nombreux jeunes, exclus du système scolaire, sans parents et sans repères, sont livrés à la délinquance.
En 2018, au mépris du principe d'indivisibilité de la République, votre Gouvernement a durci le droit du sol à Mayotte, sans que cela n'ait le moindre impact sur le nombre d'arrivées...
Une voix à droite. - Ah bon ?
Mme Corinne Narassiguin. - Cela n'a fait qu'augmenter la précarité, comme les visas territorialisés. À rebours du choix des Mahorais pour la départementalisation, vous leur promettez de différencier encore le droit de la nationalité, comme à l'époque coloniale. (Marques d'indignation à droite)
En quoi la suppression du droit du sol à Mayotte améliorera-t-elle la situation sociale, sanitaire, économique et sécuritaire du département ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et sur quelques travées du GEST)
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer . - La Constitution permet d'adapter nos lois et nos règlements à nos spécificités territoriales, notamment outre-mer, y compris sur des questions d'immigration.
À Mayotte, 90 % des titres de séjour sont liés à la vie familiale. Ce message dissuadera les femmes qui quittent les Comores, parfois au péril de leur vie, pour accoucher à Mayotte et obtenir un titre de séjour. (Protestations à gauche ; Mme Cécile Cukierman s'exclame.) C'est difficile, mais à situation unique, réponse unique.
Nous avons pris d'autres engagements : opération Wuambushu II avec un décasage qui a libéré 700 habitations et l'arrestation de soixante chefs de bande ; 100 millions d'euros pour lutter contre la crise de l'eau ; 190 millions d'euros pour les établissements scolaires d'ici à 2027 ; le doublement des crédits pour les routes.
Notre réponse est plus complexe que votre caricature. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. - Marine Le Pen vous dit merci !
Mme Corinne Narassiguin. - Ces femmes ne vont pas à Mayotte seulement pour accoucher, mais pour fuir la misère et parfois la répression. (Marques d'ironie à droite ; M. Stéphane Ravier s'exclame.) Lutter contre l'immigration, c'est lutter contre ses causes politiques, économiques, sociales et bientôt climatiques par la coopération et le co-développement.
Au lieu de cela, vous fracturez les principes républicains, faisant triompher les opinions xénophobes et racistes de Marine Le Pen et Jordan Bardella. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST et du groupe CRCE-K ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christophe Béchu, ministre. - Scandaleux !
École publique
Mme Marie-Claude Varaillas . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Après deux journées de grève et deux votes unanimes du Conseil supérieur de l'éducation contre la réforme du « choc des savoirs » et des lycées professionnels, vous persistez, madame la ministre, à vouloir remettre en cause le collège unique. Il en résultera une école à deux vitesses : celle du tri social derrière les groupes de niveau.
Ne pensez-vous pas que l'urgence est ailleurs ? Après des années de moyens insuffisants et de réformes contradictoires, l'école publique est au bord de l'effondrement. Partout, les enseignants sont en colère et les personnels de direction, fatigués. Plus de 3 000 postes n'étaient pas pourvus à la rentrée dernière et les démissions atteignent un niveau inédit. Selon le Conseil supérieur des programmes, 328 000 postes seront à pourvoir d'ici à 2030.
Je vous alerte avec gravité : c'est le maintien de la continuité du service public de l'éducation qui est en jeu. Comment comptez-vous, au vu de la situation actuelle, faire face à votre intenable promesse des groupes de niveau au collège ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER et du GEST)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. . - Toutes les enquêtes internationales le montrent : l'efficacité de notre collège n'est pas optimale. Certes, les mesures prises depuis 2017 dans le primaire n'ont pas encore produit leurs effets, mais nous voyons bien que les résultats scolaires sont insuffisants ; pis, ils restent corrélés à l'indice socioéconomique des élèves.
C'est la raison pour laquelle mon anté-prédécesseur a décidé un choc des savoirs : je m'inscris pleinement dans cet objectif.
L'inspection générale de l'éducation nationale a rendu un rapport sur le sujet, et 230 000 enseignants ont répondu aux questions qui leur ont été adressées. Le constat est clair : les professeurs ne peuvent pas continuer à gérer une si grande hétérogénéité.
Pour traiter cette hétérogénéité, je mettrai en place au collège des groupes permettant de prendre en charge la différenciation des élèves. (M. Pierre Ouzoulias en doute.) De petits groupes seront constitués pour les élèves les plus en difficulté.
En outre, nous modifierons la formation initiale et continue des enseignants, pour recruter plus aisément. Tous nos corps d'inspection accompagneront les professeurs et les chefs d'établissement dans cette démarche. Moi-même, je serai pleinement engagée pour faire évoluer notre système éducatif dans ce sens. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; Mme Silvana Silvani s'exclame.)
Mme Marie-Claude Varaillas. - Notre école a besoin de moyens substantiels : pour que nos élèves réussissent, il faut plus d'enseignants, mieux rémunérés et devant des classes moins chargées.
Or, depuis 2017, 8 000 postes ont été supprimés. À l'heure où la mixité sociale fait cruellement défaut, votre choc des savoirs séparera les élèves et creusera davantage encore les inégalités.
Cinq ministres en moins de deux ans : la communauté éducative attend enfin une boussole pour notre école publique ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
Piratage des numéros de sécurité sociale
Mme Nathalie Goulet . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Olivier Bitz applaudit également.) J'interroge le ministre de la santé, mais ma question concerne aussi celui des comptes publics.
Notre base de données des assurés sociaux est déjà - comment dire ? - peu fiable. D'après le dernier rapport de l'inspection générale des finances (IGF), le nombre de bénéficiaires dépasse les 73 millions, pour 60 millions de Français. Et l'IGF de préciser : « l'exploration de l'écart entre les deux dénombrements semble aporétique... »
Mais, en plus de cela, les organismes de protection sociale font l'objet d'un piratage en règle : 33 millions de données piratées sur la gestion du tiers payant, 10 millions de personnes piratées à France Travail. Arnaqueurs, fraudeurs et usurpateurs d'identité ont ainsi accès à de multiples données personnelles, dont le numéro d'inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), le « sésame, paie-moi » de toute prestation.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour protéger les assurés et le contribuable de ce pillage ? Compte tenu de cette situation apocalyptique, allez-vous suspendre votre projet de versement automatique des prestations en attendant que la base des bénéficiaires soit sécurisée ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention . - Je vous remercie de soulever cette question sensible, remise en lumière par les cyberattaques ayant visé Viamedis et Almerys.
Pas moins de 33 millions d'assurés ayant contractualisé avec ces opérateurs ont vu leur compte piraté : les données liées à la carte Vitale n'ont pas été touchées, mais les dates de naissance, numéros de sécurité sociale et contrats souscris l'ont été. Ces deux opérateurs ont déposé plainte et encouragé leurs adhérents à faire de même.
La Cnil et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) mènent une enquête ; nous en examinerons les résultats avec la plus grande attention.
Le Gouvernement ne détourne pas le regard de ce problème : un programme a été lancé en décembre dernier, commun aux ministères de la santé et des affaires numériques, pour auditer la sécurité des comptes.
Le Gouvernement n'abandonnera pas le projet de transfert de charges sur les cotisations sociales. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. - J'avais des raisons de ne pas être tellement rassurée... (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)
Vous allez donc procéder à des paiements directs sans aucune vérification de la base de données. Pourtant, Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics, avait lancé un plan ambitieux de lutte contre la fraude. (M. Gabriel Attal renchérit.) Il faut y revenir, d'autant que notre situation budgétaire n'est pas si florissante. Commençons par expertiser le service administratif national d'identification des assurés (Sandia) et le NIR.
La cerise sur le gâteau, c'est l'hébergement des données chez Microsoft, avec l'extraterritorialité américaine : difficile de faire pire ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées des groupes INDEP, SER et CRCE-K et du GEST)
M. Mickaël Vallet. - En effet, c'est une honte !
Crise humanitaire à Gaza
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST) À Gaza, on ne soigne plus : on ampute.
C'est la réalité insoutenable dont m'a fait part le médecin humanitaire Raphaël Pitti, à Rafah, il y a quelques jours. Lui qui est intervenu en Syrie, en Ukraine et sur bien d'autres fronts n'a jamais vu une telle horreur.
Dix mille orphelins, vingt-sept mille Palestiniennes et Palestiniens tués : ces chiffres interpellent notre humanité. Notre pays fait preuve d'une prudence complice devant le plus grand massacre de ce siècle. (Exclamations sur certaines travées à droite) Un peu d'humanisme, ça vous fera du bien ! (Protestations indignées à droite et sur certaines travées au centre)
Le parti pris et le double standard flagrants de notre pays lui font perdre toute légitimité à diffuser un message de portée universelle.
Alors qu'une offensive terrestre se prépare sur Rafah, comment le Gouvernement compte-t-il oeuvrer pour un cessez-le-feu et prévenir ce que la Cour internationale de justice qualifie de risque génocidaire ? Allez-vous, par exemple, décréter un embargo sur les armes ? Et alors que l'aide humanitaire est bloquée, que fera la France pour éviter la « catastrophe humanitaire indescriptible » que prévoit Josep Borrell ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE-K)
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État chargée du développement et des partenariats internationaux . - Stéphane Séjourné, ne pouvant être présent, m'a chargée de vous répondre.
Nous réitérons notre grande inquiétude face aux frappes israéliennes à Rafah. La catastrophe humanitaire à Gaza doit cesser : le ministre l'a clairement dit au Premier ministre israélien début février.
Rafah est le refuge de plus de 1,3 million de personnes. Une offensive israélienne créerait une situation intenable et aggraverait la crise humanitaire de façon injustifiable.
Nous appelons de nouveau à l'arrêt des combats. Israël doit prendre des mesures concrètes pour protéger les civils.
De notre côté, nous nous mobilisons pour faciliter l'évacuation de nos ressortissants et de ceux qui ont travaillé pour la France - quarante-deux personnes supplémentaires ont pu quitter Gaza il y a quelques jours.
L'avenir des Gazaouis ne peut s'inscrire que dans un État palestinien vivant en paix et en sécurité à côté d'Israël. La détermination de la France est totale, comme le montrent les décisions que nous avons prises hier contre vingt-huit colons violents. Un cessez-le-feu est indispensable pour la libération des otages, parmi lesquels trois de nos compatriotes.
Nous ne pouvons plus attendre. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
M. Akli Mellouli. - Commençons par reconnaître l'État de Palestine. Nous ne cessons, avec les ONG, les journalistes et les médecins, de vous alerter sur la tragédie en cours. Après le temps médiatique viendra le jugement implacable de l'histoire : vous ne pourrez pas dire, alors, que vous ne saviez pas. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe CRCE-K)
Fermeture de classes (I)
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'interroge le Premier ministre, qui a « emmené la cause de l'école à Matignon »...
Si la question pédagogique est essentielle, la réussite scolaire et l'égalité des chances sont aussi des enjeux d'aménagement du territoire. Or la crise agricole en est un symptôme de plus : nos provinces, notre ruralité se sentent ignorées et abandonnées - bien souvent, hélas, à raison.
France Ruralités devait instaurer un réel dialogue avant toute suppression de classe. Dans nos petites écoles, supprimer une classe, c'est fragiliser l'école, premier des services publics.
En pratique, on en est loin : la méthode reste brutale, l'approche exclusivement quantitative et le résultat traumatisant pour tous les acteurs locaux.
Les cartes scolaires prévues pour le Cantal et l'Allier l'année prochaine dans le premier degré sont pires que jamais. Les engagements ne sont pas tenus. Pourtant, la parole publique a encore de la valeur dans un département comme le Cantal, où le sens civique reste développé - pour combien de temps ?
Monsieur le Premier ministre, entendez l'appel de notre ruralité, avant que le lien ne soit rompu.
M. Bruno Belin. - Très bien !
M. Stéphane Sautarel. - Allez-vous tenir les engagements de France Ruralités et surseoir à toute fermeture de classe rurale ? Êtes-vous prêt à un moratoire de trois ans pour construire un cadre de confiance pluriannuel avec les maires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Pour avoir été rectrice de l'académie de Limoges, je connais la sensibilité de la carte scolaire dans les départements ruraux.
Une voix à gauche. - On ne dirait pas !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je tiens à ce que nous travaillions en amont avec les élus pour prendre en compte les réalités des territoires.
Depuis décembre dernier, une instance de concertation existe dans les territoires ruraux, pour donner de la visibilité à trois ans sur la carte scolaire. (On le conteste sur plusieurs travées à droite.) Je veillerai personnellement à ce que l'efficacité de ce dispositif soit évaluée.
La carte scolaire est le résultat d'un travail visant à répondre à l'évolution des effectifs et à la réalité des territoires. Dans le Cantal, nous devons constater une baisse démographique ; mais le taux d'encadrement, déjà l'un des meilleurs du pays, continuera de progresser, passant de 7,88 à 7,89. (Nombreuses marques d'ironie à droite)
M. Mathieu Darnaud. - C'est Byzance !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - C'est l'indication d'une tendance.
Nous devons élaborer des réponses mieux adaptées aux territoires. En particulier, il faut une allocation progressive des moyens, qui intègre l'indice d'éloignement et le dispositif des territoires éducatifs ruraux.
M. Laurent Burgoa. - Gabriel, reviens !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je crois savoir que, dans le Cantal, ces dispositifs fonctionnent parfaitement.
Enfin, nous labelliserons aussi de nouvelles places d'internats d'excellence.
Comptez sur moi pour être très attentive à la prise en compte de la ruralité. (Ironie à droite ; applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Stéphane Sautarel. - Nous attendons des actes ! Or la concertation promise n'a pas eu lieu. Pour tous les territoires ruraux, nous demandons un moratoire pour la rentrée prochaine. On ne peut pas classer des communes comme « villages d'avenir » et, en même temps, y fermer des classes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)
Fermeture de classes (II)
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Madame la ministre de l'éducation nationale, dès votre prise de fonction, vous êtes allée sur le terrain. Mais vous n'avez rien dit des fermetures de classes : 45 dans les Côtes-d'Armor, pour 125 élèves de moins ! Nos classes sont plus chargées qu'ailleurs, souvent à plusieurs niveaux.
Le réarmement de nos services publics est celui de nos écoles, clamait ici même Gabriel Attal, le 30 janvier dernier.
La vie sociale se crée autour de l'école : médecin, emplois, entreprises, agriculteurs moins isolés. L'autorité ne se décrète pas, elle se construit dans cette cohésion sociale.
Pour la réussite de nos enfants et répondre aux enseignants, allez-vous revenir sur ces suppressions de postes ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du GEST)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Vous êtes dans un département rural...
Mme Silvana Silvani. - Il n'y a pas que le rural !
M. Lucien Stanzione. - C'est comme ça partout !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Les problématiques sont différentes dans les départements urbains. Dans les Côtes-d'Armor, la baisse du nombre d'élèves est limitée, et le taux d'encadrement des élèves est maintenu à 5,85.
Seules 19 classes ont été fermées, et non pas 45. (Mme Annie Le Houerou en doute.) Pour répondre à vos préoccupations, nous avons renoncé à des suppressions de classes et certaines ont été ouvertes au sein de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI).
Je souhaite qu'en amont et de façon pluriannuelle, nous puissions prévoir l'évolution des classes. C'est ce qu'attendent les élus et les citoyens. Je m'y attacherai.
La qualité pédagogique doit être maintenue. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Annie Le Houerou. - Les fermetures concernent aussi les zones urbaines. Votre rôle n'est pas d'organiser le déclin, mais de promouvoir l'attractivité des espaces ruraux et urbains.
L'école est la mère des batailles ; or nos effectifs par classe sont les plus élevés d'Europe. (M. Michel Savin renchérit.) Les remplacements ne sont pas assurés, provoquant la fuite vers le privé. L'état de violence se reflète dans les fiches d'incidents transmises au ministère.
L'inclusion suppose des classes moins chargées. Nous refusons l'école du tri social. Ne diminuez pas les moyens déjà insuffisants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; M. Yannick Jadot applaudit également.)
Pêche dans le golfe de Gascogne
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le secrétaire d'État chargé de la mer vient d'arriver : est-ce lui ou le ministre de la biodiversité qui répondra ?
Ma question porte sur la fermeture spatiotemporelle de la pêche pendant un mois dans le golfe de Gascogne, théoriquement reconductible. Elle a été obtenue par les ONG devant le Conseil d'État, alors que vous vouliez renoncer à cet oukase. On veut protéger une espèce, mais ce sont les pêcheurs qui sont en voie de disparition ! (On ironise sur les travées du GEST.)
Certes, l'État indemnisera 80 % des pertes - 80 millions d'euros, mais avec quel argent ? On creuse le déficit public avec le « quoi qu'il en coûte » !
Le domaine maritime européen est le plus réglementé au monde ; nous importons 70 % de notre consommation de produits de la mer. Ce sont 450 navires et 1 500 marins qui sont touchés. Où est la souveraineté alimentaire, alors que les études montrent que la population de cétacés est stable, voire en hausse ?
Nos pêcheurs ne demandent pas l'aumône, ils demandent à vivre de leur métier. Drôle de démocratie où le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État décident à la place du Gouvernement et du Parlement ! (« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Alors, monsieur le ministre, prenez vos responsabilités ! Qu'allez-vous faire pour que cette fermeture arbitraire ne soit pas reconduite en 2025 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - (« Ah ! » sur de nombreuses travées) Si le règlement du Sénat le permettait, nous répondrions en duo au sénateur des Côtes d'Armor, qui est aussi l'ancien président de la commission Pêche du Parlement européen, et qui connaît donc parfaitement ces sujets.
Mme Audrey Linkenheld. - Quel flatteur !
M. Christophe Béchu, ministre. - Le point de départ, c'est une décision du Conseil d'État du 22 décembre, qui prend fin le 20 février.
Nous nous sommes d'abord assurés que les navires étrangers seraient aussi concernés, marine nationale à l'appui. Aucun manquement n'a été constaté.
Ensuite, je n'imagine pas que vous opposiez pêcheurs et dauphins et que vous ne soyez pas favorables à un accompagnement à la hauteur du préjudice. En effet, avec l'accord de l'Union européenne, l'accompagnement atteindra 80 à 85 %, et concernera aussi les mareyeurs et les criées.
Dès la semaine prochaine, avec Hervé Berville, nous rencontrerons les pêcheurs pour faire un bilan et voir comment éviter que cette situation se reproduise l'an prochain.
Avec 2 500 échouages, et la capture accidentelle de 5 000 à 10 000 dauphins communs, la question de la survie de l'espèce se pose. Nous croyons à la pêche, la surpêche diminue et nous devons aller encore plus loin pour accompagner la reconstitution des stocks. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe INDEP)
Sauvetage d'Atos
M. Daniel Fargeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La semaine dernière, Atos renonçait à son projet d'augmentation de capital et le titre dévissait de 25 %, soit un repli de 95 % de sa valeur en trois ans. C'est la traduction boursière d'une perte de confiance dans la capacité de l'entreprise à se transformer. Le projet de scission entre ses activités d'infogérance et de cybersécurité a du mal à convaincre. Atos est bel et bien au bord de la faillite.
Le recours à un mandataire ad hoc facilitera sans doute les discussions pour refinancer ses 3,6 milliards de dettes d'ici à 2025. Cela pourrait être l'histoire ordinaire d'une entreprise, mais ce n'est pas si ordinaire : le Sénat s'apprête à lancer une mission d'information sur les raisons de cette déconfiture.
Il y a urgence, car la France est très liée à Atos, notamment en matière de défense et de nucléaire. C'est aussi un partenaire de premier plan pour les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), notamment la gestion des 63 sites.
La semaine dernière, Bruno Le Maire indiquait que l'État utiliserait tous les moyens à sa disposition pour préserver les activités stratégiques du groupe. Mais quels sont-ils ? Comment garantir la continuité de nos activités sensibles, garantir notre souveraineté et pérenniser dix mille emplois en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Rachid Temal applaudit également.)
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur ce dossier crucial pour notre pays. Atos est l'un de nos fleurons informatiques et ses technologies jouent un rôle clé dans notre défense et notre autonomie stratégique. Il joue également un rôle dans la gestion de services publics et parapublics quotidiens.
En novembre dernier, Bruno Le Maire indiquait que l'État veillerait à ce que les activités les plus sensibles - défense et supercalculateurs notamment - restent sous le contrôle de l'État français.
M. Rachid Temal. - Mais comment ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Nous sommes déterminés à défendre les intérêts de la France dans ce dossier, via les mécanismes de contrôle des investissements étrangers en France.
M. Rachid Temal. - Et les moyens ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Nous disposons aussi d'autres outils. Le comité interministériel de restructuration industrielle accompagne d'ores et déjà le groupe.
Atos est le principal intégrateur des JOP : les infrastructures développées à cette occasion ont été auditées par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) qui n'a constaté aucune dégradation. Les équipes continuent de travailler en bonne intelligence.
Nous serons très attentifs aux conclusions de la mission que vous conduirez. (MM. Rachid Temal et Pierre Barros ironisent ; applaudissements sur les travées du RDPI.)
Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales
M. Jean Sol . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les Pyrénées-Orientales connaissent une sécheresse historique - pas de pluie, pas de neige, barrages et nappes phréatiques au plus bas -, avec des conséquences sur l'agriculture et le tourisme, nos deux piliers économiques. Des maires doivent alimenter leurs administrés par des bouteilles ou des citernes.
Malgré un plan d'économies de 30 % de l'eau, nous n'y arrivons pas. Fini les comités Théodule ! Il faut agir, et vite.
La sonnette d'alarme avait été tirée par deux rapports de notre délégation à la prospective : L'eau : urgence déclarée, de Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet, en 2016, puis Éviter la panne sèche, dont j'étais co-rapporteur, en 2022.
Un plan d'action doit être mis en oeuvre - fuites, canaux d'irrigation, retenues collinaires, eaux usées, désalinisation, débits réservés...
Certes, cela a un coût, mais il y a urgence à ouvrir les vannes : chaque jour une commune n'a pas d'eau, une entreprise ferme, un incendie se déclenche, un projet s'éteint.
À quand un plan Marshall pour les Pyrénées-Orientales ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Cas unique en France, depuis juin 2022 - vingt mois ! - , le département des Pyrénées-Orientales n'est pas sorti des mesures restrictives. En Espagne, la région de Barcelone connaît aussi une sécheresse historique.
Le temps de l'adaptation est venu. Je salue l'ensemble des collectivités territoriales qui ont pris leurs responsabilités en appliquant le plan préfectoral de 30 % de baisse de leur consommation.
Il y a un an, nous ne comptions qu'un projet de réutilisation des eaux usées : aujourd'hui, il y en a sept. Ensuite, il y a les retenues collinaires, mais pour cela, il faut qu'il pleuve...
M. Yannick Jadot. - Et pourquoi pas une mégabassine ? (Mme Cécile Cukierman proteste.)
M. Christophe Béchu, ministre. - Nous devons poursuivre les efforts de sobriété. Le plan Eau apporte des moyens pour lutter contre les fuites et réutiliser les eaux usées.
D'ici la fin février, le préfet me fera des propositions et je me rendrai en mars dans ce département. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et du groupe INDEP)
M. Jean Sol. - Pour régler nos maux, ce ne sont pas des mots que nous attendons...
M. Christophe Béchu, ministre. - Je le sais bien !
M. Jean Sol. - ... mais un plan Marshall pour éviter une guerre de l'eau et garantir la survie de notre département. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Diagnostic de performance énergétique
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Gouvernement prône un « choc d'offre » pour permettre à chacun d'accéder au logement - mais à quel logement ? La loi Climat et résilience interdit à la location les passoires énergétiques classées G dès 2025. Or lundi, vous avec annoncé sortir 140 000 logements de moins de 40 m2, soit 15 % des logements classés F et G, de cette catégorie.
Vous remettez donc sur le marché des passoires thermiques et financières - sachant que 37 % de ces logements sont occupés par des ménages sous le seuil de pauvreté, dont de nombreux étudiants. Modifier l'algorithme du diagnostic de performance énergétique (DPE) ne modifie pas la qualité énergétique du logement !
Quel signal envoyez-vous ? Comment respecter nos engagements climatiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Ne pas connaître un sujet est un avantage dont il ne faut pas abuser. Les trois fédérations de diagnostiqueurs, la Fédération nationale de l'immobilier, la Fédération française du bâtiment (FFB) ou encore la Fondation Abbé Pierre saluent une réforme limitée qui vient corriger un biais mathématique concernant les petites surfaces.
M. Jean-Michel Arnaud. - Très bien !
M. Christophe Béchu, ministre. - En y voyant une remise en cause de la loi Climat, vous faites le jeu de ceux qui critiquent tout le dispositif.
Si 68 % des logements de moins de 10 m2 sont classés comme passoires, contre 12 % des plus de 100 m2, c'est que le calcul repose sur la consommation d'eau chaude, divisée par la surface. Or on ne prend pas dix fois plus de douches dans un 100 m2 que dans un 10 m2 !
Mme Audrey Linkenheld. - Qui peut habiter dans 10 m2 ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Assumer une franchise sur les premiers mètres carrés, comme nous le demandent tous les professionnels, c'est le bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI)
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Christophe Béchu, ministre. - Avec Guillaume Kasbarian, nous recevons demain la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la FFB. C'est une chose de dire qu'il faut lutter contre les passoires, c'en est une autre de se complaire dans une complexité administrative qui dégoûte les artisans et les Français. (MM. Emmanuel Capus et Jean-Baptiste Lemoyne approuvent.)
Cela fait un an que des sénateurs m'écrivent pour demander qu'on simplifie, qu'on bouge tel ou tel curseur.
Mme Cécile Cukierman. - Vous n'écoutez pas les Français !
M. Christophe Béchu, ministre. - Nous gardons un cap ambitieux pour le climat, avec un objectif de baisse des émissions de 4,5 % sur le logement. Dans le même temps, nous écoutons les professionnels et les Français : inflexibles sur les objectifs, souples sur les moyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
Mme Cécile Cukierman. - Ce sont les plus pauvres qui vont payer !
M. Pierre-Alain Roiron. - Résorber la précarité énergétique est une nécessité sociale et environnementale. Mais vous préférez remettre en cause votre loi et précariser le logement social plutôt que d'accompagner la rénovation énergétique. Quand il s'agit des plus modestes, vous n'appliquez pas la politique que vous annoncez ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Moratoire sur les jurys rectoraux
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En France, l'enseignement supérieur est libre, aux termes de la loi du 12 juillet 1875. Cette liberté s'exerce dans le cadre du monopole de collation des grades et des diplômes, qui appartient à l'État depuis la loi du 18 mars 1880.
Le législateur a prévu deux voies d'accès aux diplômes d'État pour les étudiants des établissements privés d'intérêt général : le conventionnement avec une université publique ou le jury rectoral, composé de professeurs d'université désignés par le recteur.
Or le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a récemment annoncé un moratoire sur les jurys rectoraux, qui pénalise les établissements souhaitant ouvrir de nouvelles formations.
Confirmez-vous cette décision ? Allez-vous faire de l'avis de l'université publique un préalable à la création de toute nouvelle formation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement . - Veuillez excuser Sylvie Retailleau, actuellement à Bruxelles.
Oui, il faut encourager la diversité d'un enseignement supérieur de qualité, public ou privé, et le ministère se réjouit du développement des établissements privés d'intérêt général.
La délivrance des diplômes nationaux obéit à deux conditions : la qualité de formation et la cohérence par rapport à la charte de formation territoriale. L'établissement peut soit conventionner avec une université, soit solliciter un jury rectoral. Le rectorat vérifie alors la qualité de la formation dont l'ouverture est sollicitée ainsi que la complémentarité avec l'offre de formation préexistante au sein de la région académique.
Cela posé, il n'y a aucun moratoire sur les jurys rectoraux. Les recteurs peuvent tranquillement reprendre leur travail. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Stéphane Piednoir. - Je suis surpris de cette réponse. C'est un fait : il existe bien une forme de moratoire pour les nouvelles formations que proposent certains établissements privés.
Je sais la volonté de la ministre de maintenir une diversité dans l'enseignement supérieur, mais certains établissements privés d'intérêt général sont en difficulté. Je reviendrai vers vous pour plus de précision. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Transfert de compétences sociales aux départements
M. Laurent Burgoa . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé la suppression de l'allocation spéciale de solidarité (ASS) et le basculement vers le RSA. Or si la première est gérée par Pôle emploi et financée par l'État, le second est pris en charge par les départements ! Alors que ces derniers doivent déjà investir dans la transition écologique, entretenir leur réseau routier, les collèges, déployer la fibre - et que leurs recettes s'érodent - ils devront assumer vos décisions, comme la mise en place, sans concertation, du montant net social, référence pour bénéficier du RSA.
Selon un adage cher au Sénat : qui décide paie !
La solidarité à la source et la suppression de l'ASS auront de lourdes conséquences sur les dépenses sociales des départements : 5,5 milliards d'euros, en sus des 10 milliards qu'ils versent déjà. L'État n'en couvre plus que la moitié, alors qu'à sa création, le RMI était couvert à 88 %.
J'en appelle à votre sens de l'État. Comment comptez-vous soutenir les départements et compenser les dépenses sociales que vous engagez, et qui relèvent de la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac, M. Pierre Barros et Mme Marie-Claude Varaillas applaudissent également.)
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité . - Vous le savez, ce gouvernement porte une volonté de moderniser, de simplifier et donc de réformer. En matière de solidarité, nous devons apprendre à faire différemment, pour mieux accompagner les bénéficiaires des politiques d'insertion, pour mieux revaloriser le travail, pour désmiscardiser notre pays. (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.)
La solidarité à la source est un chantier majeur de simplification, qui permettra de lutter contre le non-recours, mais aussi contre la fraude aux prestations sociales. La suppression de l'ASS sera progressive et ne s'appliquera qu'aux nouveaux bénéficiaires potentiels.
Nous savons l'impact de ces réformes sur les départements, en termes d'organisation et financiers, mais, je l'ai dit, il faut apprendre à faire autrement. (Murmures de protestation sur plusieurs travées) J'entends leurs craintes, dans un contexte de baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et de dégradation de leur épargne. Nous avons fait preuve, ces derniers mois, de notre détermination pour soutenir les départements financièrement. Je m'en suis assurée personnellement, au cas par cas, en lien avec Départements de France. Nous serons à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Fialaire applaudissent également.)
M. Laurent Burgoa. - Nous avons besoin de gouvernants, non de communicants.
M. Mickaël Vallet. - C'est mal barré !
M. Laurent Burgoa. - En politique comme en amour, seuls les actes comptent. Nos départements les attendent - ils ne sont pas les sous-traitants de l'État ; notre démocratie le mérite.
Infirmiers sapeurs-pompiers
M. Joshua Hochart . - Ma question concerne les 8 000 infirmiers sapeurs-pompiers, notamment les 230 du département du Nord. Ils réalisent des milliers d'interventions par an, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, dans le cadre de l'aide médicale d'urgence. Or le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) 59 souhaite supprimer leurs prérogatives, ce qui entraînerait une perte de chances pour les habitants de ce territoire déjà sinistré en matière de santé.
Cette mesure budgétaire qui ne dit pas son nom est un scandale, alors que ces infirmiers sapeurs-pompiers ont largement démontré leur efficacité. Qui assurera ces 8 000 interventions, alors que les services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) manquent de médecins ? L'attractivité du service de santé et du secours médical en pâtira.
Madame la ministre, quel est pour vous le rôle des infirmiers sapeurs-pompiers dans la chaîne de secours ? Quelle place pour la paramédicalisation des interventions préhospitalières dans un contexte de désertification médicale ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité . - Le conseil d'administration du Sdis 59, sous l'autorité du président de département, a en effet engagé une réflexion sur le recentrage des activités de soutien sanitaire visant à éviter de mobiliser infirmiers et médecins lorsque le Samu peut déjà intervenir.
Quoi de mieux que de coordonner les rouges et les blancs ? Rien n'interdit au Sdis de décider d'une telle organisation, pourvu qu'il continue à assumer ses missions de secours. Dans les territoires ruraux, l'intervention des équipes médicales des Sdis est souvent la plus rapide ; dans les zones urbaines, la réponse du Samu peut être plus efficiente.
Les infirmiers et les médecins resteront toujours en soutien des sapeurs-pompiers en opération. Le Gouvernement demeure attentif aux conditions d'emploi de nos sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Joshua Hochart. - La coordination se fera les uns avec les autres, pas les uns sans les autres. En politique, comme en amour, en ce jour de Saint-Valentin, seules comptent les preuves ! Au boulot ! (Mme Christine Herzog applaudit.)
La séance est suspendue à 16 h 20.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.
Garantir la confidentialité des consultations juridiques
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise, présentée par M. Louis Vogel et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe Les Indépendants.
Discussion générale
M. Louis Vogel, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Cette proposition de loi vous sera familière : c'est le prolongement de l'amendement d'Hervé Marseille au projet de loi de programmation et d'orientation du ministère de la justice. Qu'il en soit remercié !
Le dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel, le 16 novembre dernier, comme cavalier législatif. Je remercie donc le groupe INDEP de m'avoir offert cette occasion d'y revenir.
M. Emmanuel Capus. - Très bien !
M. Louis Vogel. - La commission des lois a réalisé un travail fourni. J'en remercie son président, ainsi qu'Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises, Agnès Canayer pour son éclairage, et la rapporteure Vérien, dont les amendements ont enrichi le texte.
Les 20 000 juristes d'entreprise sont la deuxième profession juridique de notre pays après les avocats. Le rapport de Daniel Soulez-Larivière de 1988 est le premier à avoir abordé le sujet. Ont suivi les rapports Nallet, Guillaume, Darrois, Gauvain et Combrexelle. Tous plaident pour que l'on reconnaisse la confidentialité des avis des juristes d'entreprise. Or cette question déterminante était restée jusqu'ici sans réponse législative.
Le rôle du juriste d'entreprise est toujours plus reconnu ; il se voit déléguer des tâches de l'État, dont il devient l'auxiliaire et prévient les risques juridiques - c'est la conformité, ou compliance. Celle-ci prend de l'ampleur depuis la loi Sapin 2 de 2016.
L'application uniforme des règles à toutes les entreprises et de sanctions a posteriori est inadaptée à des enjeux tels que l'égalité femmes-hommes, l'environnement ou la responsabilité sociale et environnementale (RSE) - je renvoie à la loi sur le devoir de vigilance. Désormais, le contrôle va jusqu'à l'autoévaluation de la législation européenne antitrust.
Les juristes d'entreprise élaborent et appliquent la norme : codes de conduite, alerte, cartographie des risques. L'État n'intervient plus qu'en cas de non-respect de la conformité. Désormais, les directeurs juridiques sont d'ailleurs appelés directeurs juridiques et de la conformité.
Pour inciter les juristes d'entreprise à faire de la prévention et à dénoncer les comportements déviants, il faut éviter tout risque d'auto-incrimination, afin de les protéger en cas de contrôle.
Ce texte équilibré répond aux inquiétudes et adapte notre système juridique aux défis qui l'attendent. Il ne vient pas entraver le travail d'enquête des autorités de contrôle. Au contraire, elles en auront besoin !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah bon !
M. Louis Vogel. - Au demeurant, l'avis du juriste d'entreprise n'est que rarement cité dans les enquêtes.
La confidentialité de l'écrit du juriste d'entreprise sera inapplicable lorsque ce dernier participe, encourage ou facilite l'infraction. En cas de soupçon, une procédure de levée de la confidentialité est prévue. Enfin, le droit pénal et le droit fiscal sont exclus du champ d'application de la loi.
Il ne s'agit pas de créer une nouvelle profession réglementée. La confidentialité diffère du secret professionnel des avocats et n'est pas liée à la qualité de juriste d'entreprise. C'est une protection in rem, liée à un document spécifique. Elle protège les avis, non les personnes.
Cette proposition de loi entend offrir un cadre juridique compétitif pour les entreprises françaises. Un tel régime de confidentialité existe déjà en Belgique, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans dix-sept pays de l'OCDE. C'est une arme essentielle de l'attractivité économique.
La proposition de loi évitera l'installation de services juridiques offshore et sera bien plus efficace que les lois de blocage contre les injonctions extraterritoriales, notamment américaines - je l'ai vécu.
Le droit français sera ainsi à l'avant-garde, et pourra inspirer de futurs textes européens. Ce texte ouvrira de nouveaux marchés aux avocats français. (L'orateur martèle son pupitre.) Il va de l'avant : allons-y, sans crainte, pour nos juristes, nos entreprises et notre droit ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Hervé Marseille et Olivier Rietmann applaudissent également.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois . - Nous avions déjà adopté un dispositif similaire lors de la loi de programmation et d'orientation de la justice, dont j'étais corapporteure avec Agnès Canayer, mais le Conseil constitutionnel l'avait censuré comme cavalier. Nous achevons aujourd'hui le travail.
Nous avons tenté de répondre aux inquiétudes des avocats, divisés, qui redoutent la création d'une nouvelle profession réglementée : le Barreau de Paris y est favorable, le Conseil national des barreaux (CNB) et la Conférence des bâtonniers s'y opposent. Certaines autorités administratives indépendantes (AAI) craignaient quant à elles que cette confidentialité n'obère leur pouvoir d'enquête et de contrôle.
La confidentialité, facteur d'attractivité de la place de Paris, ne portera pas atteinte à la profession d'avocat. La commission des lois a supprimé la référence à la déontologie et à la commission chargée du contenu de la formation de la profession. En outre, la confidentialité est attachée au document et non à la personne du juriste.
Les amendements seront l'occasion de débattre du pouvoir des AAI. La commission a apporté des garanties en renforçant la procédure de contestation et de levée de la confidentialité. Un commissaire de justice sera impliqué en cas de saisie. En outre, une procédure ad hoc définit la contestation et la levée de la confidentialité, qui permettra la saisie, la mise à l'abri du document et le tri par le juge, avec une procédure contradictoire. Les craintes n'ont pas lieu d'être, d'autant que cette confidentialité est garantie chez nombre de nos partenaires européens, sans que ce soit pour autant un Far West de la régulation économique.
Ce texte ne fait pas échec aux objectifs, à valeur constitutionnelle, de sauvegarde de l'ordre public économique et de recherche des auteurs d'infraction. Elle les concilie au contraire avec d'autres principes à valeur constitutionnelle.
La rédaction ne pose pas de problème au regard du droit européen puisque les autorités de contrôle européennes ne se verront pas opposer la confidentialité. Le Gouvernement apportera une précision par amendement.
Le texte est proportionné à l'objectif qu'il poursuit. Les juristes d'entreprise ne pourront pas, ab initio, revêtir leur consultation du privilège de confidentialité ; ils doivent remplir des conditions de qualification, ouvertes par un master 2 en droit. Seules les pièces spécifiquement classées seront concernées.
Garantie importante, la confidentialité n'est pas opposable en matière pénale ou fiscale. Dans les autres matières, elle n'est pas absolue et peut être contestée ou levée dès lors que le juriste d'entreprise a facilité la commission de manquements.
Il serait donc paradoxal de ne pas adopter un texte plus robuste et précis que l'amendement que nous avions voté l'an dernier. J'en remercie l'auteur, Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - L'examen de cette proposition de loi nous permet de poursuivre un travail engagé de longue date. J'en remercie Louis Vogel.
Une avancée avait déjà été votée dans le projet de loi de programmation et d'orientation de la justice, à l'initiative du président Marseille, avec l'appui des rapporteures Mmes Vérien et Canayer. L'Assemblée nationale avait perfectionné le dispositif, avec le rapporteur Terlier et le président Marleix.
M. Laurent Burgoa. - Quelles références !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Mais le Conseil constitutionnel l'a censuré, pour des raisons de forme. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.)
Je redis ici ma volonté de renforcer la fonction juridique au sein de l'entreprise. Le constat est unanime : les entreprises françaises sont soumises à d'exigeantes obligations de conformité, avec des analyses juridiques toujours plus nombreuses - protection des données personnelles, corruption, blanchiment, RSE... Faute de protection, les juristes d'entreprise, mis en difficulté, se contentent d'alertes orales.
Paradoxalement, ils doivent mettre en oeuvre des obligations de conformité et alerter de risques juridiques sans auto-incriminer leur entreprise ! Voilà qui ne favorise pas nos entreprises et nuit à l'attractivité de la France. Les directions juridiques s'établissent dans d'autres pays : dès lors, le droit des contrats de l'entreprise sera étranger.
La confidentialité est ainsi un levier puissant d'attractivité de notre droit, donc de notre pays. Nos entreprises doivent disposer des mêmes outils juridiques que les entreprises étrangères, sachant que la confidentialité existe depuis longtemps dans les pays de common law et de l'Union européenne.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est faux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai déjà soutenu ce legal privilege à la française lors du projet de loi de programmation et d'orientation. Cette proposition de loi reprend le dispositif déjà voté par le Parlement. (Mme Agnès Canayer et M. Olivier Rietmann le confirment.)
Le texte prévoit une protection in rem, attachée non à la personne, mais au document même. Cela change tout ! Il ne crée pas une nouvelle profession réglementée, comme les avocats ou les médecins.
C'est la consultation juridique elle-même qui est couverte, selon trois critères cumulatifs. D'abord, la qualification et la formation du rédacteur de la consultation. Ensuite, le destinataire : le représentant de l'entreprise, son organe de direction, d'administration ou de surveillance. Enfin, la mention expresse, sur le document concerné, de l'identité du rédacteur et un archivage numérique spécifique. Je le répète : aucun autre document de l'entreprise n'est protégé par la confidentialité.
Vous avez retenu un champ d'application assez large - procédures civiles, commerciales et administratives - pour une protection effective, excluant les procédures pénales et fiscales. Cet équilibre devra impérieusement être conservé.
Certains dénoncent une prétendue boîte noire : je ne partage pas ces craintes. Votre commission a affiné le dispositif et prévu des procédures de levée de la confidentialité. Dans tous les cas, le document est appréhendé, en présence des parties, par un commissaire de justice, qui le place sous scellés et le conserve. L'intervention de cet officier public ministériel, prévue par la commission des lois, préserve l'intégrité et la confidentialité du document jusqu'à ce que le juge tranche sur la consultation ; dans l'attente, ni le demandeur ni l'AAI ne peut y accéder.
C'est donc une proposition d'équilibre défendue par la rapporteure, dont je salue le travail de grande qualité. Vos propositions nous permettront d'avancer : soyez-en chaleureusement remerciés. (M. Laurent Burgoa ironise.)
Le juge pourra lever la confidentialité si les conditions légales ne sont pas réunies ou si celle-ci facilite certains manquements.
Le texte ne crée pas davantage une nouvelle profession du droit. Loin de concurrencer les avocats, il renforcera les partenariats existants entre les entreprises et leurs avocats. Les activités juridiques sont des vecteurs de croissance. La filière juridique dans son ensemble en sortira renforcée.
Ce nouveau dispositif ne reproduit pas la confidentialité de nos pays voisins : un legal privilege, oui, mais avec la french touch ! (Rires)
Nous voulons que les juristes d'entreprise puissent accomplir leur travail sans autocensure et conseiller utilement leur employeur. Cela créera un processus vertueux et renforcera l'attractivité économique et juridique de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
M. Hervé Marseille . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP) Nous souhaitons clore un débat vieux de trente ans. Je salue le travail de notre rapporteure et de la commission des lois, qui a explicitement prévu que la confidentialité ne serait pas opposable dans une procédure pénale ou fiscale. Il n'est pas question de créer une nouvelle profession réglementée, et la notion de déontologie, qui inquiétait les avocats, a été supprimée.
Mon amendement à la loi de programmation et d'orientation ayant été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier, je remercie Louis Vogel d'avoir déposé cette proposition de loi, et le groupe INDEP de l'avoir inscrite à son ordre du jour réservé.
Les juristes d'entreprise oeuvrent pour garantir la conformité des actes de leur employeur, alors que le droit occupe une place croissante dans la vie des affaires.
Mais, faute de confidentialité des avis, il y a un risque d'auto-incrimination. Aussi n'est-il pas rare de voir les entreprises françaises établir leur siège juridique à l'étranger ou y transférer des dossiers sensibles. Certaines ont recours à des cabinets anglo-saxons, ce qui réduit l'influence de la place de Paris.
En cas de litiges transnationaux, les entreprises françaises bénéficient de la confidentialité, mais ce n'est pas le cas en France.
Notre groupe votera cette proposition de loi, en espérant que l'Assemblée nationale l'examinera rapidement. Déjà votée dans nos deux Chambres, elle devrait pouvoir être facilement adoptée par le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDSE ; Mme Agnès Canayer et M. Laurent Somon applaudissent également.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Bravo !
Mme Mélanie Vogel . - « Cela revient à créer ce qu'on appelle un coffre-fort juridique » disait Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, de l'idée de soumettre les travaux des juristes d'entreprise à la confidentialité.
La proposition de loi poursuit le même objectif qu'en 2015 : chaque note ou rapport deviendrait potentiellement confidentiel. Les entreprises ne seraient plus tenues de remettre les documents à une autorité de contrôle ou même à l'autorité judiciaire.
Une telle confidentialité fragiliserait le bon fonctionnement de notre système judiciaire mais aussi notre économie : le secteur privé serait moins contrôlé. L'Agence française anti-corruption ou l'Autorité de la concurrence auraient du mal à accomplir leurs missions. Idem pour l'Autorité des marchés financiers (AMF), dont les compétences ont été renforcées pour éviter une nouvelle crise financière : les opérateurs financiers seraient moins contrôlables.
Alors que nous disposons de mécanismes plutôt solides contre le blanchiment d'argent, la confidentialité réduirait nos efforts à néant.
La droite sénatoriale, aveuglée par le mirage d'un renforcement de notre attractivité, refuse de voir le danger. Il n'y a pourtant aucun rapport entre confidentialité et attractivité ! (M. Éric Dupond-Moretti le réfute.) Si vous mettez quelque chose dans un coffre-fort, c'est que vous avez quelque chose à cacher. (MM. Laurent Burgoa et Éric Dupond-Moretti ironisent.)
La confidentialité risque plutôt de fragiliser notre économie. Le texte ne prévoit pas de garde-fous, malgré quelques avancées en commission. Les juristes d'entreprise sont liés par un lien de subordination, à la différence des avocats, qui prêtent serment. Il n'y a pas d'indépendance dès lors qu'il y a contrat de travail ! Le GEST votera contre ce texte.
M. Ian Brossat . - Le monde des affaires essaie d'imposer un tel texte depuis dix ans.
En cas de litige ou de conflit, les entreprises, surtout les plus importantes, consultent leurs juristes. Les documents produits dans ce cadre pouvaient être remis aux autorités de contrôle. Ce ne sera plus possible : le juge des libertés et de la détention (JLD) devra être consulté. Pourtant, ces avis sont des mines d'informations sur les abus ! Ce texte protège outrancièrement les intérêts des entreprises, de l'aveu même d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie qui parlait d'un risque de « boîte noire ». Les juristes d'entreprise pourront ajouter artificiellement quelques éléments de droit pour obtenir la confidentialité d'un document.
Si les consultations des avocats sont couvertes par le secret, c'est en échange d'obligations éthiques et d'information. Or le juriste d'entreprise est, lui, subordonné à l'entreprise. Il peut devenir complice ou victime d'une hiérarchie mal intentionnée. La loi Sapin 2 protège les lanceurs d'alerte, mais cette proposition de loi les met en danger.
Avec cette proposition de loi, la juriste Houria Aouimeur-Milano n'aurait pas pu dénoncer des détournements de fonds à l'AGS en 2019.
Cette proposition de loi sera source de contentieux alors que les juridictions sont déjà surchargées. Pour protéger l'intérêt général, nous voterons contre. (Mmes Cécile Cukierman et Mélanie Vogel, ainsi que M. Francis Szpiner applaudissent.)
M. Michel Masset . - Difficile pour les non-spécialistes d'évaluer la portée de cette proposition de loi. À la différence des avocats, notaires et architectes, les juristes d'entreprise ne sont pas une profession réglementée. Ce sont des salariés titulaires d'un diplôme de droit, chargés de veiller à la conformité de l'entreprise avec son environnement juridique. Leurs compétences sont variées : droit fiscal, propriété intellectuelle, entre autres...
Le développement de la RSE et l'importance croissante de la protection des données tendent à leur conférer un rôle croissant dans les procédures de mise en conformité. Leur activité est fortement concurrentielle : les pays de common law sont souvent en avance.
Cette proposition de loi modifie la loi du 31 décembre 1971 et introduit un principe de confidentialité sur les avis donnés par les juristes d'entreprise.
Louis Vogel a souligné que la confidentialité s'attachait non aux personnes, mais aux avis, contrairement aux avocats.
Ces consultations devront comporter la mention expresse « confidentiel-consultation juridique-juriste d'entreprise », et l'usage abusif sera puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. C'est nécessaire pour éviter les abus. La confidentialité ne pourra pas être invoquée en matière fiscale ou pénale.
Le RDSE présentera un amendement visant à préserver expressément les prérogatives des régulateurs.
La commission des lois a resserré les conditions d'accès à la confidentialité, notamment les conditions de diplôme, et précisé les conditions de levée de la confidentialité. Elle a évité la création d'une nouvelle profession réglementée.
Le RDSE votera favorablement, sous réserve de l'adoption des modifications proposées. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Nicole Duranton . - Ce texte vise à clore un débat récurrent depuis trente ans.
Cinquante ans après la loi du 31 décembre 1971, la France est l'un des rares pays à ne pas protéger la confidentialité des avis des juristes d'entreprise, comme le soulignait le rapport du député Gauvain du 26 juin 2019.
L'amendement voté l'an dernier a été censuré par le Conseil constitutionnel. Ce texte le reprend, pour nous rapprocher du legal privilege des pays de common law.
Les services juridiques français sont bien moins protégés que ceux des entreprises étrangères, et risquent d'être délocalisés. En instaurant la confidentialité, nous plaçons nos entreprises à égalité avec leurs concurrentes étrangères. Elles pourront ainsi s'épanouir dans le contexte international, à l'heure de la réindustrialisation et du renforcement de la souveraineté économique.
Point de pouvoir discrétionnaire : la confidentialité ne s'appliquera pas aux procédures pénales ou fiscales ; le juge pourra toujours ordonner la levée de la confidentialité.
En cas d'abus, la mention « confidentiel » pourra faire l'objet de poursuites pénales - un garde-fou supplémentaire qui évitera tout détournement par des entreprises qui voudraient dissimuler des documents.
Les représentants des avocats sont divisés. Je tiens à les rassurer : le principe de confidentialité vaudra uniquement pour les titulaires d'un master en droit. Il ne s'agit pas de créer un statut d'avocat d'entreprise. Les avocats, eux, respectent des contraintes déontologiques exigeantes.
Cette proposition de loi répond à un besoin crucial de nos entreprises. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le statut des juristes d'entreprise reste flou, comme la rapporteure l'a noté à la page 5 de son rapport... Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris la définition de juriste d'entreprise.
Le débat sur le legal privilege dure depuis des décennies : l'urgence à voter une telle disposition est donc toute relative...
Monsieur le garde des sceaux, il est inexact d'affirmer que la plupart des pays européens ont mis en place cette confidentialité.
Vous dites vouloir renforcer l'attractivité de la France, mais notre pays est déjà doté d'un cadre juridique solide et protecteur. Paris est devenu la première place financière en Europe en 2022. Faut-il rivaliser avec les pays de common law ? Cette mesure présente de nombreux risques, comme le risque d'entrave aux enquêtes des autorités de régulation. Ne nuisons pas à notre droit de la preuve, n'affaiblissons pas notre système de régulation !
Certes, la confidentialité ne serait pas opposable en cas de procédure pénale ou fiscale, mais elle le serait dans nombre de procédures civiles, ou pour celles menées par l'AMF, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou l'Autorité de la concurrence, qui verraient leur pouvoir de contrôle limité. Des régimes probatoires différents seraient instaurés.
Je remercie Ian Brossat d'avoir rappelé qu'Emmanuel Macron refusait ce système de « boîte noire ». Nous défendrons un amendement visant à ne pas opposer la confidentialité aux demandes de ces trois AAI.
Plus globalement, nous courons le risque d'être à contre-courant des attentes de la société en matière de transparence et de responsabilité, qu'il s'agisse d'atteintes à l'environnement ou de droit du travail.
Nous soutiendrons ce qui renforce la souveraineté économique de la France mais restons vigilants sur la protection de certaines garanties essentielles. N'oublions pas la transparence, la responsabilité et le respect des droits fondamentaux.
L'instauration d'un nouveau principe ne saurait aller à l'encontre des prérogatives des autorités de contrôle. Notre position finale dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme Audrey Linkenheld. - C'est très clair !
Mme Agnès Canayer . - Les questions de privilèges et de confidentialité en matière de justice font souvent peur.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027, dont j'étais corapporteure avec Mme Vérien, nous avions fait adopter une telle mesure pour les juristes d'entreprise, censurée par le Conseil constitutionnel au nom d'une application stricte de l'article 45 de la Constitution.
Je me réjouis que la proposition de loi de Louis Vogel reprenne cette mesure, en prévoyant la confidentialité des consultations écrites des juristes d'entreprise sous certaines conditions, dans les matières civiles, commerciales et administratives.
Vieux d'une trentaine d'années, ce débat mérite désormais d'être clos. Les juristes d'entreprise sont prisonniers d'un paradoxe : alerter leurs dirigeants en évitant les risques d'auto-incrimination. Le dispositif proposé renforcera la mise en oeuvre de l'intérêt général au coeur de l'économie. La France ne peut pas rester à l'écart des autres pays de l'OCDE et de l'Union européenne - le risque est que, de plus en plus, même si les sociétés restent en France, elles recrutent des juristes anglo-saxons.
Nous nous réjouissons toutefois des tempéraments qu'apporte cette proposition de loi. Je pense en particulier à l'obligation d'être titulaire d'un master - ou d'une maîtrise - et de huit ans d'expérience.
Notre intention n'est pas de créer une nouvelle profession réglementée. La confidentialité ne doit pas non plus être confondue avec le secret professionnel des avocats. La sanction pénale d'une mention frauduleuse de la confidentialité est bienvenue ; elle est alignée sur celle prévue en cas de violation des conditions d'exercice de la profession de juristes d'entreprise.
Sur l'initiative de la rapporteure Vérien, la confidentialité ne sera pas opposable en matière fiscale et pénale. Un juste équilibre a ainsi été trouvé. Dans sa grande majorité, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien et M. Louis Vogel applaudissent également.)
M. Alain Marc . - Sous des dehors techniques, cette proposition de loi traite de sujets importants : l'efficacité et la modernisation de notre système juridique.
De plus en plus de dispositions font peser sur les entreprises elles-mêmes un premier contrôle de leurs obligations : il leur appartient de se surveiller et de se corriger. Je me félicite que ce texte facilite la mise en conformité des entreprises concernées par ces réglementations.
Toutefois, il ne conduira pas les services de l'État à se dessaisir. Afin de maintenir l'ordre public économique, ils doivent continuer d'opérer des contrôles et de sanctionner les manquements. La confidentialité ne fera pas obstacle aux poursuites des AAI et n'empêchera pas l'ouverture d'une enquête ou la constatation d'une infraction.
Les exceptions prévues en matière pénale et fiscale ne sont pas incohérentes, bien au contraire. Il peut exister une différence de procédure entre l'administratif et le pénal, la confidentialité ne s'appliquant que dans le premier cas. La matière fiscale, elle, est généralement traitée par des opérateurs extérieurs ou par la direction financière.
Je salue le travail de fond accompli par la commission des lois et la rapporteure Dominique Vérien. La commission a notamment renforcé la procédure de contestation et de levée de la confidentialité des documents susceptibles d'intéresser les autorités de contrôle. En particulier, une procédure ad hoc est créée dans le cas d'une simple demande de consultation, un moyen d'action courant des autorités administratives. Le placement sous scellés de la consultation et sa conservation par un commissaire de justice, tiers de confiance, sont également prévus.
La confidentialité des consultations des juristes d'entreprise ne remettra donc pas en cause les pouvoirs d'investigations des autorités de contrôle, qui garantissent l'ordre public économique.
Le groupe INDEP appelle les sénateurs de tous bords à voter ce texte, qui assure un équilibre entre un cadre juridique efficace et compétitif pour les acteurs économiques français et le maintien des pouvoirs de contrôle et d'enquête des autorités. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat et Laurent Somon applaudissent également.)
M. Olivier Rietmann . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Président de la délégation sénatoriale aux entreprises, j'ai pour obsession et pour devoir de m'interroger sur ce qui handicape les entreprises françaises dans un environnement très concurrentiel. Le statut des juristes d'entreprise fait partie des faiblesses qu'il nous est possible de corriger.
Plusieurs rapports parlementaires ont souligné la menace de mesures extraterritoriales. En dix ans, sur vingt-six condamnations prononcées par des juridictions américaines au nom des lois anticorruption, vingt et une visaient des entreprises non américaines, dont cinq françaises. Difficile de ne pas y voir une utilisation du droit dans le cadre d'une guerre commerciale. Nous devons nous en protéger, ce qui passe par l'insaisissabilité et l'inopposabilité des documents concernés en matière civile, commerciale ou administrative.
Ce texte renforcera l'attractivité de la France pour les entreprises qui seraient tentées de délocaliser, a minima, leur direction juridique. Ce n'est pas une menace à prendre à la légère : nous sommes régulièrement alertés par des entreprises qui ont dû se résoudre à délocaliser des services, en raison d'obstacles administratifs ubuesques ou de la pénurie de foncier.
Il est temps de mettre fin à notre désavantage compétitif juridique. Les normes applicables aux entreprises se sont multipliées ces dernières années. Comme je le rappelle dans mon rapport sur la sobriété normative, en vingt ans, le code l'environnement a crû de 653 %, le code de commerce de 364 %... La mise en oeuvre de la directive CSRD compliquera encore la tâche des entreprises et accroîtra le rôle central du juriste d'entreprise.
Je soutiens sans réserve l'initiative de Louis Vogel, d'autant que le cadre proposé par Dominique Vérien, équilibré, répond à l'attente des entreprises françaises. Cette mesure ne concernera pas seulement les grands groupes : dans nos territoires, nous rencontrons régulièrement des pépites qui seront les leaders mondiaux de demain si nous savons leur offrir un cadre juridique protecteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Discussion des articles
Article 1er
M. Claude Raynal . - Pour la deuxième fois en quelques mois, nous débattons de la confidentialité pour les juristes d'entreprise.
Que voulons-nous faire ? Protéger les entreprises contre les ingérences étrangères et éviter leur auto-incrimination. Le juriste d'entreprise joue un rôle majeur dans la prévention des risques, mais il lui faut un régime juridique adéquat.
Que voulons-nous éviter ? Il ne s'agit pas de créer un régime probatoire différent, ni d'entraver les pouvoirs d'enquête des autorités indépendantes. Nous voulons éviter aussi toute non-conformité au droit européen. Enfin, veillons à ne pas envoyer de signaux contradictoires en matière de blanchiment des capitaux, alors que la France est candidate à l'accueil de l'autorité européenne anti-blanchiment.
Je défendrai un amendement tendant à prévoir l'inopposabilité de la confidentialité à trois autorités administratives : AMF, ACPR, Autorité de la concurrence.
Les intentions du texte sont louables, mais gardons-nous de mettre à mal un système de contrôle que de nombreux pays nous envient.
M. Francis Szpiner . - Enfin, nos entreprises vont bénéficier de la croissance dont les prive l'absence de legal privilege pour leurs juristes... Quelle fable ! Je mets au défi les partisans de ce texte de me donner la liste des entreprises qui se sont délocalisées pour cette raison.
Qu'est-ce qu'un juriste d'entreprise ? La définition n'existe pas. Le texte prévoit qu'il doit être titulaire d'un master en droit, ou d'un master - de quoi ? - ou d'un diplôme étranger équivalent. Dans votre grande générosité, vous permettez même au titulaire d'une maîtrise, après huit ans, d'être considéré comme ayant un master.
Cette sous-profession réglementée que vous voulez créer, vous prévoyez de la former, mais on ne sait pas comment.
Je voterai l'amendement de M. Raynal, car le secret ne doit pas être le paravent de turpitudes. Nous devons être intraitables en matière de lutte anti-blanchiment.
Quel est votre but ? C'est l'avocat en entreprise : ayez le courage de le dire, au moins les choses seront claires ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Jean-Claude Tissot applaudissent également.)
M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Vérien, au nom de la commission.
I. - Alinéa 3
Supprimer les mots :
au profit de son employeur
II. - Alinéa 8
Remplacer les mots :
et d'une traçabilité particulières
par les mots :
du rédacteur et d'un classement particulier
III. - Alinéa 31
Après le mot :
procédures
insérer le mot :
judiciaires
L'amendement rédactionnel n°11, accepté par le Gouvernement, est adopté.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle d'avocats
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cet amendement confie la formation des juristes d'entreprise, non pas à l'école vétérinaire, monsieur Szpiner,...
M. Francis Szpiner. - Merci de cette précision !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - ... mais aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA). Voilà qui devrait vous plaire...
M. Francis Szpiner. - Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'avocat en entreprise, ce sont les avocats qui n'en veulent pas.
Je suis un homme de concertation : j'ai essayé de mettre tout le monde autour de la table, mais il n'y a pas d'accord. J'entends vos propos - vous n'êtes pas n'importe quel avocat, mais vous êtes un avocat parmi d'autres. Je rappelle que ce dispositif a déjà été voté par les deux assemblées.
Pour nourrir le débat - je n'imagine pas que ce puisse être pour une autre raison... -, il est devenu courant d'aller chercher de vieilles déclarations pour nous les opposer. Je tiens à votre disposition une interview de 2017 dans laquelle le Président de la République rappelait avoir été corapporteur de la commission Darrois, qui recommandait, dès 2009, de protéger la confidentialité de la correspondance des juristes d'entreprise.
Il est donc faux de dire que le Président de la République a changé de pied. Par ailleurs, en dix ans, la situation peut changer... (Sourires)
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis favorable. L'amendement prévoit les conditions de formation par le CRFPA. Cela lève une des inquiétudes de Me Szpiner.
M. Francis Szpiner. - Je ne m'exprime pas ici en tant qu'avocat, mais en tant que parlementaire !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Le CRFPA est une bonne formation, vous n'en disconviendrez pas...
M. Francis Szpiner. - Je m'exprime ici comme sénateur et sans esprit corporatiste. Si les juristes d'entreprise sont si bons, pourquoi vouloir les faire former par les cabinets d'avocats ? Je ne comprends pas, ou je crains de trop bien comprendre... (Mme Elsa Schalck acquiesce.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cet amendement confirme qu'il y avait bien un problème de formation - M. Szpiner avait raison sur ce point.
L'exposé des motifs de l'amendement témoigne d'une grande confusion. Il est question d'indépendance, d'éthique et de déontologie. Mais le sujet, c'est la confidentialité.
Qu'est-ce qu'un juriste d'entreprise ? C'est une personne qui met un tampon « juriste d'entreprise » sur ses documents...
Je ne comprends pas bien l'objet de la formation prévue. On parle de la grande compétence des avocats en matière d'indépendance, mais, pas de chance, ce n'est pas du tout le cas des juristes d'entreprise... On est dans le flou. Et, quand il y a un flou,... (Plusieurs sénateurs du groupe SER terminent la phrase : « il y a un loup ! »)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - On critique l'absence de formation. Dans un esprit de coconstruction, je propose donc une formation par le CRFPA. Mais vous êtes difficile à rassurer, madame la sénatrice... La pratique de la consultation juridique fait partie intégrante de la formation dispensée dans ces centres. Au reste, je n'ai entendu personne mettre en doute la qualité de la formation qu'ils assurent.
M. Francis Szpiner. - Il y aura un examen ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il y aura déjà une formation, ce qui n'était pas prévu dans le texte déjà voté lorsque vous n'étiez pas sénateur. Mais je me félicite de l'éclairage que vous nous apportez : vous êtes un peu le phare de la pensée juridique de ce texte. Vous demandiez une formation ? Je vous en propose une, et je pense qu'elle est sérieuse.
M. Louis Vogel. - Bravo !
L'amendement n°9 est adopté.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 10, première phrase
Après les mots :
Sous réserve
insérer les mots :
de leur pouvoir de contrôle par les autorités de l'Union européenne et
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cet amendement vise à rappeler le pouvoir de contrôle de l'Union européenne.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis favorable. La hiérarchie des normes s'applique naturellement, mais cela va mieux en le disant.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si Philippe Bas était là, il nous aurait fait une déclaration sur la loi bavarde ! Comment la commission peut-elle s'accommoder d'un tel amendement ? Nous le voterons, mais tout cela est très étrange...
L'amendement n°10 est adopté.
M. le président. - Amendement n°5 rectifié, présenté par M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
I. - Alinéa 10, première phrase
Supprimer les mots :
y compris à une autorité administrative, française ou étrangère
II. - Alinéa 14, deuxième phrase
Supprimer les mots :
ou l'autorité administrative ayant engagé la procédure
et les mots :
ou de l'autorité administrative
III. - Alinéas 16 à 18
Supprimer ces alinéas.
IV. - Alinéa 21, première phrase
Supprimer les mots :
ou l'autorité administrative
V. - Alinéas 25 à 29
Supprimer ces alinéas.
M. Ian Brossat. - Nous nous inquiétons des implications de cette proposition de loi à l'égard des autorités indépendantes, dont les travaux sont une mine d'informations sur les abus des entreprises. Les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence ou de l'Agence française anticorruption, par exemple, se verront interdire l'accès aux documents. Une forme d'opacité est mise en place au profit des multinationales. Cet amendement vise à rendre la confidentialité inopposable aux autorités administratives.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable. Cette exemption doit se borner aux matières pénale et fiscale. En outre, votre amendement supprime la procédure de levée de la confidentialité... Il réduirait donc les possibilités d'action des autorités administratives par rapport au système que nous proposons.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Alinéa 11
Remplacer les mots :
pénale ou fiscale
par les mots :
en matière civile, commerciale, fiscale, ou pénale ou en cas d'une demande par une autorité publique indépendante ou d'une autorité administrative indépendante
Mme Mélanie Vogel. - Cette proposition de loi empêchera les autorités indépendantes d'avoir accès à des documents importants pour vérifier l'activité des entreprises. Cet amendement corrige ce problème en prévoyant que la confidentialité ne leur sera pas opposable dans le cadre de leurs pouvoirs d'enquête et de sanction. Le dispositif actuel conduirait à réduire abusivement leur capacité à exercer leurs missions.
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Raynal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La confidentialité n'est pas opposable aux autorités visées aux articles L. 612-1 et L. 621-1 du code monétaire et financier et à l'article L. 461-1 du code de commerce dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs d'enquête, de contrôle et de sanction.
M. Claude Raynal. - La confidentialité des consultations ne saurait être opposable à l'AMF, à l'ACPR et à l'Autorité de la concurrence. Cela ne remet pas en cause la lutte contre les ingérences étrangères, non plus que l'applicabilité du dispositif aux procédures civiles et commerciales.
Le texte sur les juristes d'entreprises a déjà été voté, mais le Parlement, heureusement, a déjà changé d'avis. Errare humanum est, perseverare diabolicum.
M. le président. - Amendement identique n°4 rectifié bis, présenté par Mme Duranton, MM. Bitz, Buis et Buval, Mme Cazebonne, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger et M. Théophile.
Mme Nicole Duranton. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°8 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, M. Masset, Mme M. Carrère, MM. Bilhac, Daubet et Fialaire, Mme Girardin, M. Guérini, Mme Pantel et MM. Roux et Gold.
M. Michel Masset. - Les autorités publiques doivent pouvoir accéder aux documents pour préserver leurs capacités d'enquête. En droit de la concurrence, la confidentialité est contraire à la jurisprudence européenne.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Je serai un peu longue, mais nous sommes au coeur du dispositif. Toutefois, peu de suspense : la commission est défavorable à tous ces amendements.
Ces amendements étendent l'inopposabilité de la confidentialité aux procédures des autorités administratives mentionnées. Le périmètre que nous avons retenu est le bon. Aller au-delà conduirait à dévitaliser le dispositif.
Nous avons amélioré la rédaction du texte initial, avec une procédure de saisie par un tiers de confiance, le commissaire de justice. Madame Vogel, le coffre-fort pourra donc être saisi et son contenu examiné.
La procédure de levée de la confidentialité répond à l'éventuel comportement non-coopératif d'une entreprise ou au contournement de son devoir de communication au nom de la confidentialité. Les craintes des autorités administratives sont donc apaisées.
La protection de l'ordre public économique et la recherche des auteurs d'infraction sont deux objectifs à valeur constitutionnelle. Toutefois, le législateur peut les concilier avec d'autres principes de même valeur. À défaut, il faudrait abolir toute forme de secret, y compris pour les avocats...
Les conditions de bénéfice de la confidentialité et les procédures de levée et de contestation évitent ainsi toute entrave excessive à l'exercice des pouvoirs de contrôle et d'enquête.
S'agissant du droit européen, la direction générale du Trésor et la direction des affaires civiles et du sceau nous ont rassurés quant au respect de la jurisprudence Akzo de la Cour de justice de l'Union européenne. Nous demeurons ouverts à une consolidation dans le cadre de la navette. La Belgique n'a pas fait l'objet d'un recours en manquement, alors que ses autorités indépendantes se voient opposer la confidentialité.
Une place attractive est une place correctement régulée. Ce dispositif n'est pas une dérégulation massive : les moyens d'action des autorités demeurent. On est bien loin du Far West !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On peut l'amender, alors !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Certaines entreprises risquent en permanence de s'auto-incriminer. Il faut un dialogue de conformité nourri entre régulateur et régulé.
L'amendement n°2 prévoit une inopposabilité en toute matière qui retirerait tout intérêt au dispositif. En outre, il écarte une autorité administrative non indépendante, comme la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Les autres amendements visent une inopposabilité plus limitée, mais on pourrait se demander pourquoi ils ne mentionnent que trois agences, et non, par exemple, l'agence française anticorruption...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ces amendements videraient de son intérêt le mécanisme de la proposition de loi. Certes, monsieur Raynal, on peut changer d'avis, mais le vote a eu lieu il y a quatre mois.
L'amendement n°2 écarte de facto le principe de confidentialité dans tous les cas envisageables : il ne resterait rien du dispositif. Quant aux autres, ils le videraient grandement de sa portée.
Le mécanisme de confidentialité répond au souci conjugué d'attractivité du droit et de vitalité de l'économie. Derrière le droit, il y a des emplois. Le juriste d'entreprise doit pouvoir faire son travail sans autocensure et devenir un relais interne des autorités de contrôle, dans un processus vertueux.
Je comprends votre souci de préserver l'efficacité des enquêtes et du contrôle, et le partage - c'est le sens des travaux que j'ai menés. D'où l'inopposabilité de la confidentialité en matière fiscale et pénale et la limitation de cette protection à certains documents. L'ensemble des documents fondant la consultation juridique pourront être saisis : nul doute que l'Autorité de la concurrence saura en tirer toutes les conclusions qui s'imposent.
Enfin, les conditions formelles, comme l'archivage et la qualification, sécurisent le dispositif, qui prévoit le recours à un juge et à une procédure contradictoire de levée de la confidentialité, dont toute utilisation frauduleuse est pénalement répréhensible. Autant de précautions contre le dévoiement du mécanisme.
En réduire encore le champ empêcherait la réforme d'atteindre l'objectif d'attractivité de la France et de faire de nos juristes les acteurs de la conformité de l'entreprise.
M. Claude Raynal. - Je ne suis pas du tout convaincu. Je rappelle que la confidentialité serait toujours opposable dans les litiges commerciaux, civils et administratifs : les amendements identiques ne vident nullement le texte de son sens.
En outre, je ne suis pas sûr qu'une entreprise, si elle veut éviter une lourde amende et l'interdiction d'accéder au marché américain, puisse s'opposer aux demandes des autorités américaines...
Lors de la création de l'agence française anti-corruption, Philippe Bas, alors président de la commission des lois, disait que l'objectif était de ne pas pénaliser les entreprises françaises à l'étranger. De même pour la concurrence.
Il est faux d'affirmer que la France serait l'un des seuls pays européens à ne pas prévoir de confidentialité. C'est une idée reçue ! Dans les trois pays de l'OCDE qui la prévoient, les juristes d'entreprise sont une profession réglementée...
À la demande du groupe UC, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°121 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 260 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 226 |
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
À la demande du groupe UC, les amendements identiques nos1, 4 rectifié bis et 8 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°122 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 140 |
Contre | 199 |
Les amendements identiques nos1, 4 rectifié bis et 8 rectifié ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots :
et par les lanceurs d'alerte mentionnées au I de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et par les personnes mentionnées à l'article 6-1 de la même loi
Mme Mélanie Vogel. - Cette proposition de loi ne doit pas porter une atteinte démesurée à la protection des lanceurs d'alerte, prévue par les lois Sapin 2 et Waserman. Par exemple, un lanceur d'alerte transmettant des documents à un journaliste sur un cas de maltraitance animale dans une entreprise agroalimentaire serait susceptible d'être identifié par celle-ci, qui pourrait porter plainte pour diffamation, procédure bâillon pourtant empêchée par les lois que je viens de citer. Avec ce texte, le lanceur d'alerte ne pourrait transmettre pour sa défense des documents confidentiels, même s'il en est l'auteur.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots :
et par le lanceur d'alerte conformément au chapitre II de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
M. Ian Brossat. - C'est le même esprit : la loi ne doit pas fragiliser les lanceurs d'alerte.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Ces dispositions semblent superfétatoires, la confidentialité des délibérations des juristes d'entreprise étant prévue par l'article 6 de la loi Sapin 2. Retrait.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes tous soucieux de protéger les lanceurs d'alerte. Nous voterons donc ces amendements. Il y a quelques instants, la commission jugeait bien utile d'intégrer au texte une disposition satisfaite...
L'amendement n°3 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°6.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
M. Francis Szpiner . - Marie-Pierre de La Gontrie se demandait ce qu'est un juriste d'entreprise. À l'issue de ces débats, le mystère reste entier...
Selon le texte, les titulaires d'une maîtrise en droit seront considérés, après huit ans de pratique, comme titulaires d'un master : je m'étonne qu'un ancien président d'université comme M. Vogel n'y trouve rien à redire. Par ailleurs, il est prévu que les juristes d'entreprise justifiant à la date d'entrée en vigueur de cette loi de l'achèvement de leur formation initiale - laquelle ? - seront considérés comme ayant suivi une formation initiale conforme aux exigences de la loi... Tout cela est totalement illisible !
M. le président. - Amendement n°12, présenté par Mme Vérien, au nom de la commission.
I. - Alinéa 1
1° Après le mot :
entreprises
insérer les mots :
ou administrations publiques
2° Remplacer les mots :
aux termes
par les mots :
pour l'application
II. - Alinéa 2
Remplacer les mots :
aux termes
par les mots :
pour l'application
L'amendement rédactionnel n°12, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Après l'article 2
M. le président. - Amendement n°7 rectifié ter, présenté par MM. Le Gleut et Belin, Mme Berthet, MM. J.B. Blanc, Brisson et Bruyen, Mme Dumont, M. Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mme Gosselin, M. Gremillet, Mme Joseph, MM. D Laurent et Lefèvre, Mme Lopez, M. Meignen, Mme M. Mercier, MM. Panunzi, Paul, Pernot, Rapin et Saury, Mme Belrhiti et M. Houpert.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les personnes inscrites sur la liste mentionnée à l'article L. 421-1 du code de la propriété intellectuelle qui exercent à titre de salarié d'une entreprise sont réputées satisfaire à la condition prévue au 1° du I de l'article 58-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans sa rédaction résultant de la présente loi.
M. Ronan Le Gleut. - Les brevets d'invention touchent à la compétitivité de nos entreprises.
Dans une décision du 27 avril 1999, un juge américain a ordonné une procédure de discovery - saisie-contrefaçon en français - contre les intérêts de Rhône-Poulenc, car il n'existe pas de confidentialité des consultations juridiques en matière de brevets d'invention.
Dès lors, les conseils d'entreprise n'exercent plus leur profession qu'oralement afin d'éviter de laisser des traces écrites : c'est une hérésie, à laquelle cet amendement répond.
Ces salariés ne sont malheureusement pas couverts par la proposition de loi, n'étant pas titulaires d'un master en droit, mais d'un diplôme d'ingénieur et de qualifications en propriété industrielle.
Ainsi, nous protégerons nos entreprises françaises et nos intérêts nationaux.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous comprenons votre souhait, mais nous n'avons pas pu interroger les personnes auditionnées sur ce sujet. Mon avis est donc défavorable en l'état. J'espère que l'Assemblée nationale se saisira du problème lors de la navette, nous en discuterons ensuite.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'objet du texte est de garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise, dont presque tout le monde sait qui ils sont. (Sourires)
La confidentialité est attachée au document, non à la personne.
Les conseillers en propriété industrielle ne sauraient se voir étendre le bénéfice de la confidentialité au seul motif de leur activité réglementée. Avis défavorable.
M. Ronan Le Gleut. - Tenant compte des arguments de la rapporteure, je retire mon amendement.
L'amendement n°7 rectifié ter est retiré.
L'article 3 est adopté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Du sort de notre amendement relatif aux autorités de régulation dépendait notre position sur le texte. Le Sénat n'a pas adopté l'amendement : nous voterons contre.
M. Michel Canévet. - En cohérence avec la position établie avec la Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux, nous serons quelques-uns au groupe UC à voter contre ce texte.
M. Louis Vogel. - Merci à la rapporteure et aux membres de la commission des lois - même s'il est difficile de convaincre monsieur Szpiner.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous changez d'avis ?
M. Louis Vogel. - Mme de La Gontrie, c'était un raisonnement d'avocat : nous voterons bien sûr ce texte ! (Rires)
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°123 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l'adoption | 220 |
Contre | 111 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Francis Szpiner applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.
Maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales, présentée par M. Dany Wattebled, Mme Marie-Claude Lermytte et plusieurs de leurs collègues.
Discussion générale
Mme Marie-Claude Lermytte, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je suis coauteure de ce texte avec M. Dany Wattebled, auquel je souhaite un prompt rétablissement. Je salue aussi Jean-Pierre Decool, à l'origine de cette proposition de loi.
Mme Audrey Linkenheld. - Tout s'explique !
Mme Marie-Claude Lermytte. - Je remercie mon groupe pour sa confiance. Cette proposition de loi a deux qualités : le pragmatisme et la simplicité. Les communes de moins de 2 000 habitants pourront déroger à la fameuse règle des 20 %, de manière automatique et pérenne. Je sais qu'il existe d'ores et déjà des dérogations accordées au cas par cas par le préfet, si la participation de la commune est disproportionnée au regard de sa capacité financière.
Or ces dérogations sont rarement accordées, car les communes rurales ne les connaissent pas. En outre, la complexité administrative est un frein majeur, faute d'ingénierie, si bien que les communes diffèrent ou renoncent à leurs projets.
Nous voulons donc rendre cette dérogation automatique et pérenne. Début 2023, vous exprimiez deux réserves, madame la ministre, en réponse à Jean-Pierre Decool : tout d'abord, la responsabilisation des collectivités. Lors des auditions, les élus ont considéré qu'il fallait maintenir une participation minimale. Dès lors, le rapporteur a prévu un reste à charge de 5 %.
Deuxième réserve : le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) contribuerait à diminuer le reste à charge. Mais les communes doivent avancer la trésorerie - or toutes ne le peuvent pas.
Avec ce dispositif, nous apportons des réponses.
En novembre dernier, vous déclariez dans une interview qu'il fallait dire aux maires qu'on les aime. Madame la ministre, le Sénat vous propose d'adopter une disposition simple et pragmatique : une preuve d'amour, en somme. Ce n'est pas un jour de Saint-Valentin que vous pourrez soutenir le contraire. (Sourires)
Monsieur le rapporteur, vous proposez de restreindre le champ d'application aux projets les plus structurants. Dany Wattebled et moi estimons qu'il n'appartient pas au législateur de déterminer les projets qui méritent d'être financés. Je voterai contre.
Vous proposez de n'inclure que les communes dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à deux fois le potentiel fiscal moyen par habitant de la strate. Nous y sommes favorables, car il s'agit bien de soulager les communes les plus fragiles.
Nos communes rurales sont à bout de souffle au plan financier. Il incombe au législateur de prévoir l'application pleine et entière du principe constitutionnel de libre administration.
Ce texte n'est pas la panacée, mais il sera un progrès, en redonnant de la capacité d'agir aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Hussein Bourgi, rapporteur de la commission des lois . - Je vous retrouve avec plaisir, madame la ministre : nous sommes nombreux à souhaiter oeuvrer à vos côtés au profit de nos collectivités. (Mme Dominique Faure apprécie.)
Les communes rurales ont des besoins d'aménagement, mais des budgets contraints. Or les règles relatives aux financements croisés pénalisent la réalisation de certains investissements onéreux. La règle de la participation financière minimale issue de la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) de 2010 l'illustre bien : les collectivités territoriales doivent participer à hauteur de 20 % aux projets dont elles sont les maîtres d'ouvrage.
C'est un reste à charge disproportionné pour certaines communes. Pour la restauration d'une église, cela peut représenter trois ans de budget !
M. François Bonhomme. - Exact !
M. Hussein Bourgi. - Les collectivités ultramarines, en revanche, n'y sont pas soumises.
Grâce à l'amendement de Françoise Gatel dans la loi Engagement et proximité de 2019, le préfet peut désormais accorder des dérogations, notamment en cas de calamité naturelle. Mais ces dispositions sont peu connues des élus, et même des préfets. En outre, les demandes de dérogation sont complexes. C'est pourquoi, en 2022, seule une centaine de dérogations ont été accordées, sur 22 000 subventions, soit 0,45 %.
Dans sa version initiale, l'article unique de cette proposition de loi prévoyait une exonération totale, sur le modèle de la dérogation accordée aux collectivités ultramarines.
La commission des lois s'est montrée favorable à cette nouvelle dérogation pour les communes rurales, car la proposition de loi répond à une préoccupation ancienne du Sénat. Dans son avis sur la loi RCT, notre ancien collègue Charles Guené se demandait : « Est-il possible d'appliquer aux petites communes rurales les mêmes règles en matière de cofinancement qu'à de vastes communes riches ? » Cette réflexion pleine de bon sens est toujours d'actualité.
La commission des lois a adopté cette proposition de loi, assortie de trois modifications. Nous avons supprimé la référence à un article réglementaire du code général des collectivités territoriales (CGCT) pour centrer la dérogation sur les communes de moins de 2 000 habitants. Nous avons remplacé l'exonération intégrale par une participation minimale de 5 %, afin de responsabiliser les conseils municipaux dans leurs choix d'investissements.
M. François Bonhomme. - C'est heureux !
M. Hussein Bourgi. - Et nous avons supprimé un gage financier inutile.
Je présenterai en outre deux amendements visant d'une part, à cibler les projets les plus structurants, en matière de rénovation du patrimoine, de travaux d'eau et d'assainissement, de restauration des ponts ou d'ouvrages d'art, ou encore de rénovation thermique des bâtiments - dans le droit-fil de la proposition de loi de Nadège Havet. D'autre part, je vous proposerai un amendement visant à limiter les effets d'aubaine : certaines petites communes ont la chance de bénéficier des retombées des activités touristiques. Il faut cibler les communes qui en ont réellement besoin : les communes de moins de 2 000 habitants dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois au potentiel financier moyen par habitant de la strate.
Ce texte ne réglera pas tout. D'autres problèmes ont été évoqués au cours de nos auditions, et notamment le remboursement de la TVA qui arrive parfois deux ans après l'engagement de la dépense.
Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission des lois vous propose d'adopter ce texte.
J'espère que cette proposition de loi, unanimement attendue par les élus locaux, sera adoptée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP)
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité . - Dans sa version initiale, ce texte prévoyait une dérogation complète pour les communes rurales. Le Gouvernement est particulièrement conscient de leurs besoins. J'ai toujours demandé aux préfets de se saisir de la possibilité de dérogation. Je souscris donc à l'objectif de cette proposition de loi.
Depuis deux ans, nous avons augmenté la DGF de 320 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2023, et de nouveau dans le projet de loi de finances pour 2024. (Murmures à droite) Ainsi, nous avons levé un frein à l'investissement.
De la même manière, le Gouvernement a porté le fonds vert à 2,5 milliards d'euros. Les dotations d'investissement ont doublé en deux ans : c'est inédit.
Vous souhaitez encore plus de preuves d'amour...
M. François Bonhomme. - On va étouffer !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Nous en avons.
Cette logique d'accompagnement est très présente dans le plan France Ruralités, annoncé par Élisabeth Borne le 15 juin 2023. Je vous invite à vous saisir de ce programme, dont la composante Villages d'avenir bénéficiera aux communes de moins de 2 000 habitants - c'est de l'ingénierie gratuite afin de passer de l'idée au projet.
Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé auprès des territoires ruraux.
Oui, la règle de la participation minimale de 20 % peut parfois être un frein. Des dérogations, accordées par le préfet, existent déjà pour la rénovation des monuments protégés, des ouvrages d'art ou en cas de calamités publiques. Elles ne sont toutefois pas assez utilisées. Gérald Darmanin et moi-même allons encourager les préfets à s'en saisir.
En décembre, j'avais émis un avis favorable à la proposition de loi sur le bâti scolaire, votée à l'unanimité par le Sénat. Mais attention à ne pas déresponsabiliser les communes. Sinon, vous direz que l'État fait encore tout à leur place. Faisons confiance aux communes en leur demandant une participation minimale pour les responsabiliser dans leurs choix d'investissement et dans leur capacité à assurer, ensuite, le fonctionnement et l'entretien. Je remercie donc la commission des lois d'avoir rehaussé cette participation minimale à 5 %, mais un seuil de 10 % me semble indispensable.
Ne risque-t-on pas de mettre en danger nos communes en les poussant à des investissements trop lourds, dont elles ne pourraient pas assumer les charges de fonctionnement ?
Je partage l'objectif d'accompagner au maximum les communes rurales. Néanmoins, en l'état, j'émets un avis défavorable à un texte qui ne responsabilise pas suffisamment nos communes.
M. Guy Benarroche . - Une proposition de loi qui a du sens et qui n'est pas sécuritaire, en ce moment, c'est bien ! (Sourires à gauche)
Je salue la qualité des travaux et le pragmatisme dans la recherche d'une solution pratique, rapide et efficace. Merci aux auteurs de la proposition de loi.
Notre groupe est partisan d'aller du local au global. Nous sommes très conscients des difficultés budgétaires des petites communes. Les ressources fiscales se complexifient et se raréfient. La disparition de trois taxes - taxe professionnelle, taxe d'habitation et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - acte la perte d'autonomie fiscale. Le préfet joue un rôle grandissant, or il ne lui revient pas de dicter les projets locaux. C'est une recentralisation des pouvoirs ! Je salue le travail du rapporteur à cet égard.
Le taux minimal de participation est de 20 % ; des dérogations existent, mais sont peu connues, complexes, à la main des préfets et trop rares - seulement une centaine en 2022. Nous voterons l'amendement du rapporteur sur les projets concernés.
Avec Pascal Martin et Laurent Burgoa, nous avions publié un rapport sur la transition environnementale des collectivités territoriales : sans une aide en matière de fonctionnement et d'ingénierie, les petites communes ne pourront pas mettre en oeuvre des projets de transition. L'État doit aussi aider à prendre en charge les charges de fonctionnement induites.
Notre groupe votera ce texte pour mettre fin aux décisions discrétionnaires des préfets. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et INDEP)
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le 14 décembre dernier, nous débattions de la rénovation du bâti scolaire en vue d'abaisser de 20 % à 10 % la participation des communes. Toutes les petites communes n'ont pas les moyens suffisants et le soutien de l'État est nécessaire.
Après son passage en commission, la proposition de loi abaisse la participation minimale de 20 % à 5 %. Mon groupe adhère à cet objectif.
J'avais moi-même proposé un amendement à l'occasion de la proposition de loi sur le bâti scolaire, pour exonérer certaines communes de toute participation.
Un compromis a été trouvé sur une participation à hauteur de 5 %, mais demain ne faudra-t-il pas aller à zéro ?
Madame la ministre, à l'époque, vous m'aviez répondu que si la collectivité territoriale ne peut assumer ces 10 %, il faut s'inquiéter de ses capacités financières à faire fonctionner l'école. Je constate que vous n'avez pas varié. (Mme Dominique Faure le confirme.)
À terme, des exonérations complètes seront inévitables pour boucler certains projets, au cas par cas, notamment en cas de catastrophe naturelle.
Un problème demeure : qui paie le reste à charge ? Le fonds vert, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ne se cumulent pas et les subventions bénéficient surtout aux communes les mieux dotées en ingénierie.
Les communes sont prises dans un effet ciseau : les coûts de fonctionnement augmentent, mais les recettes ne sont pas à la hauteur des besoins, avec une diminution des recettes fiscales et une péréquation insuffisante. Les collectivités territoriales ont besoin d'un grand plan de soutien pour financer les services publics locaux.
Les collectivités territoriales n'ont pas toujours les moyens de financer les nouveaux enjeux, notamment écologiques, et le seuil de 2 000 habitants méconnaît les besoins de l'ensemble des collectivités.
Cette proposition de loi est un petit pas que nous soutiendrons, mais il en faudra davantage pour convaincre les élus. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe INDEP)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ce n'est pas au Sénat que je rappellerai l'importance de la commune, échelon le plus pertinent pour mener des projets ambitieux dans les territoires.
Je sais les difficultés majeures d'une commune rurale qui souhaite investir. Certes, la commune n'est pas le seul échelon dont les recettes sont fragilisées, mais elle est la plus démunie.
Cette proposition de loi met en lumière les difficultés que rencontrent les communes pour financer leurs investissements en faveur de l'accessibilité, de la transition écologique ou de la qualité de vie. Mais la participation minimale n'est pas le seul frein : la réduction des leviers fiscaux, l'augmentation des dépenses de fonctionnement et le manque d'ingénierie sont aussi en cause.
Ce texte n'est pas dépourvu d'incertitudes. Quelle articulation entre cette nouvelle dérogation et celle votée en matière de rénovation du bâti scolaire ? La DTER et la DSIL seront-elles revalorisées ? Nous déplorons aussi, comme toujours, l'effet de seuil, même si des dérogations au cas par cas pourront être accordées par le préfet.
Le rapporteur nous a proposé des amendements de consensus, qui constituent un excellent point de départ.
À titre personnel, je porte un regard bienveillant sur l'amendement du Gouvernement qui maintient la compétence du préfet en cas de participation minimale abaissée à 5 %.
La prise en compte des capacités financières des communes permettra de circonscrire le bénéfice de la dérogation à celles qui en ont le plus besoin.
Le RDSE votera ce texte, pour l'avenir de nos communes rurales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du GEST et du groupe INDEP)
M. Olivier Bitz . - Chacun sait l'importance de l'investissement des communes pour soutenir l'économie locale et la qualité de vie de nos concitoyens.
La proposition de loi a le mérite de poser la question du soutien de l'État et des grosses collectivités aux communes de moins de 2 000 habitants. Je salue le travail des auteurs et du rapporteur.
Mais la cohérence de nos travaux interroge : le 14 décembre dernier, la proposition de loi transpartisane de Nadège Havet, adoptée à l'unanimité, abaissait à 10 % la participation minimale des communes pour leurs travaux de rénovation énergétique du bâti scolaire. Ce texte n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale qu'on nous propose désormais une participation minimale de 5 %, en renonçant donc à la priorité scolaire décidée il y a deux mois... De plus, pourquoi ces deux propositions de loi ont-elles été examinées par deux commissions différentes, alors que leur objet est le même ?
Nous nous plaignons souvent de l'inflation normative. Et voilà que, pour pallier la faible utilisation par le préfet de son pouvoir de dérogation, nous votons une nouvelle disposition législative. Curieux raisonnement.
Sur le fond, nous n'avons pas d'opposition à la mesure proposée, mais n'oublions pas qu'il faudra ensuite financer le fonctionnement, bien souvent à hauteur de 10 % chaque année...
J'appelle de mes voeux une réflexion plus globale sur l'investissement des communes rurales. Elles n'ont souvent que de petits projets d'investissement, non éligibles à la DETR ou aux subventions département ou de la région, qui appliquent un montant plancher. Par ailleurs, l'exigence d'estimation chiffrée par un professionnel pour une demande de DETR représente un coût certain pour la commune. Tous ces freins pourraient être levés sans passer par la loi.
Les difficultés en matière d'ingénierie posent des problèmes concrets pour la conduite des projets. Il faudra bientôt de l'ingénierie pour comprendre l'ingénierie !
Mais la véritable question est celle de la DGF. Le Gouvernement a proposé une réflexion. Il faudra opérer un ajustement entre communes urbaines et rurales ; soutenir l'investissement des communes rurales passe par le soutien au fonctionnement de ces collectivités.
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte touche à un sujet profondément ancré dans la gestion de nos territoires : l'équilibre entre développement des communes rurales et maîtrise de la dépense publique.
Je remercie les auteurs et le rapporteur, Hussein Bourgi.
Les communes rurales représentent plus d'un tiers de la population et plus 80 % des communes de France. Elles sont confrontées à des défis spécifiques, qu'il faut reconnaître. Ces territoires, piliers de notre cohésion nationale, sont dans une situation financière difficile, tiraillés entre le développement de projets nécessaires et des règles rigides.
La règle actuelle, qui impose aux communes une participation minimale de 20 %, est un frein pour celles qui ne disposent pas des ressources nécessaires. Elle est trop rigide et engendre une inégalité entre les territoires. Une réforme de justice territoriale est nécessaire.
L'insuffisance des moyens de certaines collectivités a conduit au développement des financements croisés. Au fil du temps, des dérogations à la règle de participation minimale ont été introduites, mais elles sont trop souvent inappliquées. Cela pénalise l'investissement des communes rurales. Les élus municipaux ne devraient pas avoir à renoncer à leurs projets en raison d'un reste à payer disproportionné.
Défaut de publicité, lenteur administrative, caractère aléatoire des dérogations, dont le champ d'application se restreint : autant d'obstacles à l'investissement.
Ancien maire, nouveau sénateur, je me réjouis des adaptations proposées par la commission : ciblage sur les communes dont le budget est le plus contraint et maintien d'un taux minimal de 5 % afin de responsabiliser des élus déjà si dévoués.
Le choix des projets d'investissement concernés par cette dérogation mériterait réflexion, afin de favoriser les projets les plus structurants. Afin de répondre au mieux aux enjeux locaux, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi intervient à la suite de la loi RCT - à l'époque une certaine rationalisation s'imposait, notamment pour éviter le saupoudrage dans le financement.
Ces dispositions ont fait l'objet d'ajustements, voire d'exceptions - je pense aux exonérations globales pour les outre-mer. De même, le préfet est autorisé à déroger à la règle de participation minimum, par exemple en cas de calamité publique ou de disproportion des capacités financières du maître d'ouvrage.
Faut-il étendre le champ des dérogations ? Récemment le Sénat a voté un abaissement du seuil à 10 % pour la rénovation énergétique du bâti scolaire.
Près de 85 % des communes rurales ont une population inférieure à 2 000 habitants. Souvent, faute de capacité de financement, elles sont contraintes de renoncer à leurs projets - par exemple, l'entretien de leur patrimoine religieux. Certaines ont jusqu'à treize églises ! Dès lors, la dérogation prévue par ce texte me semble opportune ; je salue le travail du rapporteur et remercie les auteurs.
M. Jean-Luc Brault . - Je salue moi aussi le travail des auteurs du texte qui bénéficiera de manière concrète aux communes rurales, qui ne sont pas riches, madame la ministre.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - C'est vrai.
M. Jean-Luc Brault. - Trop souvent, les 20 % de reste à charge représentent un frein insurmontable. Bernard Pillefer le sait : dans le Loir-et-Cher, 90 % des communes ont moins de 2 000 habitants et 140 d'entre elles, moins de 500 !
Les communes doivent abandonner des projets pourtant vitaux, comme la mise aux normes des bâtiments dédiés à la vie sociale des personnes âgées, alors que leur population vieillit.
À Lassay-sur-Croisne, l'auberge du Prieuré, seule activité économique du village, allait fermer. Grâce à la mobilisation du maire et à l'arrivée d'un jeune couple de repreneurs, le lieu est sauvé, avec quatre emplois à la clé. C'est un véritable exploit pour le conseil municipal. Mais les investissements nécessaires sont tels que la commune est obligée de geler tous ses autres projets pendant trois ans : ce n'est pas tenable !
En commission, un amendement du rapporteur a fixé un seuil de participation de 5 %, afin de responsabiliser les conseils municipaux dans la conduite de leurs projets. J'y suis très favorable.
Si restreindre la typologie des projets concernés ne nous paraît pas souhaitable, nous sommes en revanche favorables au ciblage des communes rurales. Ces maires ont une gestion rigoureuse des deniers de la commune ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue le travail des auteurs du texte et du rapporteur.
Les collectivités territoriales demeurent le moteur essentiel de l'investissement public en France. Or leur autonomie fiscale et financière se délite et elles ont de plus en plus de mal à emprunter. Mener un projet structurant est quasiment impossible, d'où le recours à des financements croisés, qui n'est pas sans inconvénient.
La loi RCT du 16 décembre 2010 a prévu que le maître d'ouvrage doit financer au moins 20 % du projet. Ce même texte a supprimé la clause générale de compétence des départements et des régions, ce qui n'est pas sans conséquences sur le financement des projets...
Indépendamment de sa santé financière, de sa population ou de sa localisation, toute commune est tenue à cette règle des 20 %, hormis les collectivités ultramarines ou lors de certaines circonstances particulières comme les catastrophes naturelles.
Ce taux unique appliqué à tous ne tient pas compte de la nature des projets. Les préfets ont certes la possibilité d'accorder des dérogations, mais cette possibilité est peu utilisée : une centaine d'occurrences seulement en 2023. Le champ est en outre fort restreint, et exclut notamment la voirie.
L'assouplissement des règles de cofinancement est bienvenu. La commission a adopté deux amendements du rapporteur, visant pour l'un à ne cibler que les communes de moins de 2 000 habitants - malgré un risque d'effet de seuil - et pour l'autre, à les responsabiliser en prévoyant une participation minimale de 5 %. Le rapporteur proposera également d'élargir les champs de dérogation, ce qui va dans le bon sens.
Pourquoi ne pas nous appuyer sur les indicateurs économiques et financiers utilisés dans le cadre de la péréquation horizontale ? Même si c'est rare, certaines communes rurales sont riches. Retenir le potentiel financier, rapporté à la strate démographique, va dans le bon sens.
Ces mesures soutiennent l'investissement de nos communes rurales, qui, par défaut d'ingénierie, n'accèdent pas aux financements classiques.
Lors de catastrophes naturelles, le reste à charge peut être nul. Dans mon département, les Hautes-Alpes, malgré l'affichage du Gouvernement, l'appareil d'État et les assureurs n'y sont pas parvenus... Nous nous féliciterions d'un autofinancement de seulement 5 % !
Engagement sur le financement, avancées du rapporteur : autant de signes positifs, mais il faudra aussi pouvoir mobiliser la DETR, la DSIL, le fonds vert... Cela dit, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Bruno Rojouan . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis 2010, une participation minimale de 20 % au financement des projets a été instaurée pour toutes les communes, afin d'accroître la lisibilité de l'action publique et de responsabiliser les acteurs. Mais est-il possible d'appliquer ces règles de la même manière à toutes les communes, riches ou pauvres ? Ces contraintes sont disproportionnées pour les petites communes, qui peinent à supporter le niveau de dépenses minimales.
Certes, la loi prévoit des dérogations, mais elles sont peu appliquées : en 2022, une centaine seulement, sur 22 000 projets. Dans mon département de l'Allier, seules 17 communes ont bénéficié du déplafonnement en 2022 et 2023. Et pour cause : les procédures sont trop complexes. De plus, la voirie en est exclue.
Nombre de communes font face à un mur d'investissements et sont obligées de différer ou d'annuler des projets pourtant indispensables.
Le Sénat a étendu les dérogations, en abaissant le seuil minimal à 10 % pour la rénovation énergétique du bâti scolaire. Le présent texte diminue encore davantage le seuil pour les petites communes rurales. Alors que le texte initial ne prévoyait pas de participation minimale, la commission a fixé une participation de 5 %, qui semble nécessaire.
Cela dit, quel sera le champ des projets éligibles ? En tout état de cause, il faut que les communes puissent mener leurs projets, j'espère que ce texte y contribuera. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat est très attentif à la situation des collectivités territoriales, premier relais de l'action publique : la mairie reste souvent le dernier service public dans la commune.
Cette proposition de loi vise à assouplir la règle minimale lors des projets d'investissement. Des dérogations existent déjà, au bénéfice des collectivités d'outre-mer ou accordées au cas par cas par le préfet.
Les communes rurales ne bénéficient toutefois d'aucun dispositif spécifique. Notre rapporteur a porté le seuil de participation minimale à 5 %, afin de concilier l'objectif de responsabilisation des communes et les impératifs financiers.
Le groupe Les Républicains soutient ces objectifs et votera ce texte. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Claude Lermytte applaudit également.)
Discussion de l'article unique
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Bourgi, au nom de la commission.
Alinéa 2
Après les mots :
2 000 habitants
insérer les mots :
dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 2 000 habitants
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Cet amendement réserve le bénéfice de la dérogation aux communes qui en ont le plus besoin, sur la base du potentiel financier : ainsi, 400 et 500 communes seraient écartées, notamment les communes thermales ou les stations de ski. Évitons les effets d'aubaine.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Vous réduisez le champ d'application de la proposition de loi. Cela a du sens, mais que dit notre administration ? Elle rappelle qu'une commune éligible une année pourrait ne pas l'être l'année suivante. Raisonner au cas par cas, comme le fait le préfet en activant son pouvoir de dérogation, semble préférable - d'autant que l'exonération peut alors atteindre 100 % ! Avis défavorable.
M. François Bonhomme. - Cet argument est peu convaincant. (Mme Audrey Linkenheld renchérit.) Les dérogations accordées par le préfet peuvent aboutir à un saupoudrage, à une dilution des moyens.
Les exemples donnés par le rapporteur sont parlants. Certaines communes peu peuplées ont des capacités financières importantes. Qui trop embrasse, mal étreint !
Mme Françoise Gatel. - Madame la ministre, votre argumentation est un alibi administratif : je ne connais pas de commune qui subisse une révolution de ses ressources financières en un an !
Une autre idée : le Sénat plaide depuis longtemps pour une contractualisation entre les communes et l'État sur la base du projet électoral, avec une visibilité sur trois ans. Je voterai cet amendement.
Mme Audrey Linkenheld. - Nous voterons l'amendement de M. Bourgi. Vous prenez le raisonnement à l'envers, madame la ministre : nous ne cherchons pas à protéger une commune d'un investissement qu'elle ne pourrait assumer, mais à flécher les financements publics vers les communes qui en ont le plus besoin. Certaines ont les moyens de financer leurs projets à 100 %, d'emprunter ou de lever l'impôt.
M. Jean-Michel Arnaud. - Offrir la faculté à des communes de bénéficier de 95 % de subventions sur des dossiers structurants n'est pas à la seule main du préfet. Il y a une multitude de cofinancements : région, département, financements européens. (Mme Audrey Linkenheld acquiesce.) Faisons confiance aux collectivités !
Nous avons démontré la vacuité de la dérogation préfectorale : une centaine de dossiers seulement en 2023. La préfectorale n'a pas cette culture du soutien aux petites communes.
Monsieur le rapporteur, toutes les stations de sport d'hiver ne sont pas des communes riches, notamment les stations familiales.
M. Olivier Bitz. - Je suis assez réservé sur cet amendement, qui ne sert pas à grand-chose. Le financeur regarde déjà la capacité de la collectivité à assumer une part résiduelle. Je ne suis pas sûr que les règles prévues par cet amendement soient opportunes, ni l'État ni les régions ne financent à 95 % des communes qui n'en ont pas besoin.
L'amendement n°3 est adopté.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Bourgi, au nom de la commission.
Alinéa 2
Après les mots :
d'investissement
insérer les mots :
en matière de rénovation du patrimoine protégé ou non protégé, de rénovation énergétique des bâtiments, d'eau potable et d'assainissement, de protection contre les incendies, de voirie communale ainsi que ceux concernant les ponts et ouvrages d'art,
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Cet amendement a fait débat avec les auteurs de la proposition de loi : il vise à resserrer le périmètre des dépenses éligibles.
Les associations d'élus nous ont mis en garde contre les effets de seuil. Attention à ne pas subventionner à hauteur de 95 % un clubhouse ou un skatepark dans une commune de moins de 2 000 habitants, alors qu'une commune de 2 100 habitants ne pourra bénéficier que de 80 % pour un équipement autrement plus structurant ! Ce sont des arguments de bon sens. C'est pourquoi je vous propose de resserrer le périmètre des travaux : ouvrages d'art, rénovation d'une église, défense incendie, eau et assainissement. (M. Jean-Michel Arnaud et Mme Françoise Gatel approuvent.)
Je m'en excuse auprès des auteurs de la proposition de loi - c'est notre seul point de divergence.
M. Jean-Michel Arnaud. - Très bien !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Vous proposez de restreindre le champ d'application de la proposition de loi. Mais les finances des communes évoluent, ce qui les fait parfois sortir des zonages - on le voit avec France Ruralités Revitalisation (FRR).
Le potentiel financier n'est pas le bon critère. Mais l'objectif poursuivi est louable. Il en est de même pour cet amendement.
En décembre, nous avons prévu un seuil de 10 % pour la rénovation énergétique du bâti scolaire. Aujourd'hui, vous proposez 5 %, alors que les dérogations accordées par le préfet peuvent aboutir à un reste à charge de 0 %. Cela ne va pas dans le sens de la simplification.
Si cette proposition de loi ne prospérait pas à l'Assemblée nationale, je suis toutefois disposée à travailler avec vous sur ce sujet, car votre proposition a du sens. Avis défavorable néanmoins.
M. François Bonhomme. - C'est tous les jours la Saint-Valentin !
Mme Muriel Jourda. - Je suis en désaccord avec cet amendement. Pourquoi ne pas laisser les élus et les financeurs du projet décider de ce qui leur paraît essentiel ou pas ? Cela s'appelle la liberté, et la responsabilité.
M. Pierre-Alain Roiron. - Nous allons voter cet amendement, qui va dans le bon sens. Il semble compliqué, avec un seuil de 2 000 habitants, de favoriser toutes les communes de ce niveau.
Mme Françoise Gatel. - L'amendement de M. Bourgi vise des dépenses obligatoires fort coûteuses. Le Sénat a longuement débattu des normes de défense incendie imposées aux communes par les départements - objet d'un rapport de la délégation aux collectivités territoriales. Cela coûte un pognon de dingue ! Il faut pouvoir accompagner les communes, qui rencontrent de vraies difficultés.
M. Olivier Bitz. - Je suis convaincu qu'une commune aura du mal à trouver 95 % de financements extérieurs pour un projet qui ne serait pas essentiel. Je doute de la portée utile de ces amendements.
M. Jean-Michel Arnaud. - Il faut en effet restreindre le champ des projets potentiellement éligibles. C'est l'occasion de rappeler l'attachement des communes rurales à la gestion de l'eau et de l'assainissement, et d'inviter à mettre en oeuvre la promesse faite il y a un an par le Président de la République sur les rives du lac de Serre-Ponçon, dans mon beau département. (M. Philippe Folliot applaudit.)
M. Guy Benarroche. - Nous voterons l'amendement de M. Bourgi. Pour ma part, je ne doute pas que des projets non structurants puissent trouver des financements, pour l'avoir vécu !
Transition écologique, transition énergétique, rénovation des bâtiments, voilà des projets réellement structurants et indispensables.
L'amendement n°2 est adopté.
M. le président. - Le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi. C'est le moment d'expliquer votre vote.
M. Philippe Folliot. - La ruralité est très diverse. Je salue les auteurs de la proposition de loi. Nos élus ruraux veulent mener des projets d'investissement pour leurs communes, or la règle des 20 % d'autofinancement était un frein important. Cette proposition de loi offre plus de souplesse à nos communes rurales, pour les aider à mener des projets importants pour leur population.
M. François Bonhomme. - Il y a un angle mort : les édifices religieux. Ma commune de mille habitants compte treize églises, dans un état déplorable. Il ne s'agit même plus de mise hors d'eau... Cinq mille édifices religieux sont à l'état d'abandon en France. (Mme Françoise Gatel renchérit.) Parfois, les maires doivent se résoudre, la mort dans l'âme, à les détruire. C'est un sujet majeur ! (Mme Dominique Faure opine.) Il faudra vous y pencher, madame la ministre.
M. Pierre-Alain Roiron. - Ce texte est très important pour les communes rurales. Tel qu'amendé par le rapporteur, il accorde la priorité à ce qui est pour nous l'essentiel, à savoir la transition écologique et la gestion de l'eau.
L'article unique constituant la proposition de loi, modifié, est adopté.
(M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
La séance est suspendue à 20 h 10.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 40.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Jean-Baptiste Blanc. - Lors du scrutin n°123, M. Jean-François Husson entendait voter contre.
Acte en est donné.
Filière cinématographique en France
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, présentée par Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et M. Jérémy Bacchi, à la demande de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.
Discussion générale
Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi . - Cette proposition de loi est la traduction législative du rapport d'information que j'ai signé avec Jérémy Bacchi et Céline Boulay-Espéronnier, adopté par la commission à l'unanimité. Je salue la présence en tribune de notre ancienne collègue.
Ce texte, le premier depuis 2010 consacré exclusivement au cinéma, nous offre une occasion trop rare de débattre de ce secteur.
Le cinéma est au coeur des politiques culturelles et de notre diversité artistique. Les mécanismes de soutien et de régulation mis en place depuis plus de soixante-quinze ans font de notre pays un modèle envié en matière de production et de fréquentation.
Comme mes collègues rapporteurs, je viens d'une terre de cinéma : le Calvados, qui a accueilli le tournage de films inoubliables comme Le Jour le plus long, Un Singe en hiver et Un homme et une femme.
Les oeuvres cinématographiques transcendent les territoires dont elles content l'histoire. Chez nous, nombreux sont les cinémas, nombreuses sont les salles et les associations de cinéma itinérant. On sait faire notre cinéma.
Lors de la présentation de notre rapport, on doutait de la pérennité même du cinéma, après l'explosion des plateformes de streaming pendant les confinements. Les spectateurs allaient-ils définitivement déserter les salles ? Depuis, les faits ont confirmé notre optimisme, dont le titre du rapport, « Le cinéma contre-attaque », au-delà de la subtile référence cinématographique, se voulait l'écho.
Avec 181 millions de spectateurs en 2023, la France a retrouvé un niveau de fréquentation « normal ». Mais c'est 30 millions de plus qu'en Allemagne ou en Espagne, pour une population deux fois supérieure !
Ce succès doit beaucoup à la constance des politiques publiques mises en place depuis la création du Centre national du cinéma (CNC), en 1946. Je ne saurais dire si le cinéma demeure populaire dans notre pays car soutenu, ou soutenu car populaire, mais les faits sont là : avec les États-Unis, la France est l'autre grand pays de cinéma. La part de marché des productions nationales s'élève à 40 %, un résultat remarquable face à la force de frappe de l'industrie hollywoodienne.
Le cinéma français a su évoluer et s'adapter aux bouleversements technologiques et aux nouveaux modes de consommation des produits culturels. Les discours alarmistes sur sa pérennité n'ont pas débuté avec le confinement : la télévision dans les années 1960, l'explosion du nombre de chaînes dans les années 1980, l'irruption d'internet au début des années 2000, du streaming dans les années 2010 ont, chaque fois, nourri les discours anxiogènes et les craintes des professionnels. Dans nombre de pays, au reste, comme l'Italie et l'Allemagne, le cinéma a beaucoup cédé.
D'aucuns s'interrogent sur les raisons profondes de notre ténacité et militent pour un relâchement des règles, certes complexes, qui gouvernent notre système. Pourquoi ne pas laisser faire le marché et renoncer à accompagner un secteur menacé d'extinction tous les dix ans ? Fermeture des salles, fin de la diversité et de l'exigence : ce serait à la fois Adieux à la reine et Bonjour tristesse ! Triste dystopie, où chacun serait plongé solitairement dans son petit écran, loin de l'expérience collective partagée dans une salle. Nous avons besoin de ces moments de partage, notre pays aussi.
Nous connaissons l'importance du cinéma dans la construction de notre identité collective, car les oeuvres transcendent les époques, les individus, les territoires. Avec ce texte, nous apportons notre contribution à la consolidation du bel édifice de la culture. (Applaudissements)
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure de la commission de la culture . - Sénatrice d'un département qui fait rayonner le septième art dans le monde entier lors du Festival de Cannes, je me réjouis de rapporter ce premier texte consacré exclusivement au cinéma depuis 2010. Je salue les auteurs du texte, Sonia de La Provôté, Jérémy Bacchi et Céline Boulay-Espéronnier.
Notre modèle se caractérise par sa résilience et sa performance, de la production à la diffusion. Les Français sont attachés à l'expérience de la salle et curieux de la diversité de l'offre. La reprise de la fréquentation est essentiellement portée par la production nationale : quelle fierté !
Construit en associant l'ensemble des parties, ce texte vise à mettre en place des solutions bien acceptées et facilement appliquées.
Il vise d'abord à simplifier la vie des 2 000 établissements cinématographiques - pas moins de 6 300 écrans. Les cartes illimitées contribuent puissamment à la promotion de la diversité. Nous préservons les garanties dont bénéficient les salles associées et améliorons le mécanisme de rémunération des ayants droit et des distributeurs.
Ensuite, la proposition de loi tend à mieux garantir l'accès aux oeuvres sur l'ensemble du territoire - c'est la marque du Sénat. Nous ne voulons pas d'un cinéma des villes et d'un cinéma des champs ! Nous prévoyons ainsi des engagements de diffusion pour les distributeurs.
Enfin, nous inscrivons le cinéma dans les grandes politiques publiques. Si le mouvement #MeToo a réveillé la société, une forme de complaisance reste latente. Il est temps d'apporter des réponses législatives afin de mieux prévenir et sanctionner les violences sexuelles et sexistes lors des tournages, surtout sur les mineurs. Trop d'actrices ont été broyées, en particulier des débutantes qui doivent faire leurs preuves et se retrouvent dans une position de grande fragilité.
Il est temps, aussi, de déconstruire cette conception très française de l'artiste qui élève le génie créatif au-dessus de toute norme sociale, jusqu'à, parfois, accepter la transgression des lois.
J'invite le CNC et l'Afdas, l'organisme de formation du secteur, à veiller au bon déroulement des formations obligatoires en matière de prévention des violences.
Afin de défendre le cinéma en France et celles et ceux qui y jouent un rôle, au sens propre comme au sens figuré, nous comptons sur vous, madame la ministre, pour faire inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais. (Applaudissements)
M. Jérémy Bacchi, rapporteur de la commission de la culture . - Pour ne pas être en reste, je suis moi aussi originaire d'une terre de cinéma. Comment ne pas citer la Provence filmée par Pagnol, ou les rues de Marseille dans French Connection et Taxi ? J'adresse à mon tour un salut amical à Céline Boulay-Espéronnier. Elle n'aurait pas manqué de rappeler les tournages qui peuvent se dérouler dans cette autre ville de cinéma qu'est Paris.
Le cinéma change au gré des évolutions technologiques et sociales, à nous de l'accompagner. Pour reprendre une référence cinématographique autant que littéraire, « il faut que tout change pour que rien ne change »...
Trois grands défis sont devant nous.
D'abord, assurer la pérennité de notre modèle de financement, qui repose sur un équilibre subtil entre flux financiers publics et privés et régulation. Cet édifice patiemment construit a fait la preuve de son efficacité, mais demeure fragile et doit sans cesse être régénéré.
Avec une chronologie des médias en négociation et des plateformes de streaming à mieux insérer, il y aura fort à faire pour promouvoir notre filière cinématographique, pourvoyeuse d'emplois et de richesse dans nos territoires. Nous défendons un modèle qui contribue à notre économie et au rayonnement des territoires. Je tiens également à souligner, comme l'a fort opportunément fait Catherine Morin-Desailly en commission, l'implication des régions dans le financement du cinéma.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci !
M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Autre défi : la surproduction qui frapperait notre cinéma.
Notre rapport a étayé sur le temps long le constat d'une hausse de la production et d'un financement moyen par oeuvre en baisse. En conséquence, les films sont parfois trop peu travaillés en amont et insuffisamment exposés en aval. Ce débat est souvent source d'une mauvaise compréhension entre le monde du cinéma et le monde politique et économique.
Nous avons engagé le dialogue avec le CNC pour faire évoluer sans à-coup notre système et préserver le formidable potentiel des jeunes réalisateurs, sans renoncer à construire des grands succès populaires qui participent au financement de la création. Il n'existe pas de formule magique pour prédire un succès. Tout est question d'équilibre entre la nécessaire recherche artistique et un public qui ne demande qu'à découvrir des oeuvres ambitieuses - en témoigne le succès du film Anatomie d'une chute, de Justine Triet.
Enfin, nous devons favoriser la conclusion d'accords sur les rémunérations minimales. De tels accords ont été signés dans l'audiovisuel, mais achoppent encore dans le cinéma. Le Syndicat des scénaristes de cinéma s'inquiète : comme souvent, on espère un accord « avant Cannes », mais les négociations sont rendues complexes par la pluralité des parties prenantes. J'ai bon espoir, toutefois, qu'un accord soit conclu et trouve dans notre proposition de loi un puissant relais.
Fruit d'un travail au long cours, cette proposition de loi est attendue dans la profession, où elle rassemble une rare unanimité. Je remercie l'ensemble de nos interlocuteurs, avec qui les échanges ont été aussi intenses que passionnants, en particulier les services du CNC. Vive le cinéma ! (Applaudissements)
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Je vous prie d'excuser l'absence de Rachida Dati, en route pour la Conférence mondiale sur l'éducation artistique et culturelle de l'Unesco, à Abou Dabi.
Cette proposition de loi s'appuie sur deux convictions largement partagées.
D'abord, le secteur du cinéma va bien. Il ne connaît pas aujourd'hui de crise profonde liée à son financement. Au contraire, l'écosystème a montré sa capacité de rebond après la crise sanitaire. Nul besoin, donc, d'un quelconque big-bang de la régulation.
Ensuite, notre cinéma peut profiter d'ajustements ciblés, qui nourriront sa dynamique positive tout en lui permettant de répondre à de nouveaux enjeux et de mieux atteindre ses objectifs.
Fruit d'un travail de longue haleine, cette proposition de loi est un texte approfondi, fondé sur les attentes du secteur et enrichi par des apports venus de tous les bords politiques.
Le rapport remis par le président Lasserre au printemps dernier aux ministres de la culture et de l'économie dresse un constat clair des enjeux et formule des préconisations pour moderniser la régulation du secteur. Ces réflexions se concrétisent dans votre texte.
Je salue votre travail exemplaire, en particulier celui de Mmes de La Provôté, Boulay-Espéronnier et Borchio Fontimp et de M. Bacchi.
Ce texte nous paraît apporter des réponses satisfaisantes à trois enjeux prioritaires.
D'abord, nous devons donner aux Français l'envie d'aller au cinéma. Même si le public est largement revenu dans les salles, cette situation favorable n'est jamais acquise. Nous devons accompagner le secteur pour qu'il conserve toute son attractivité. D'où la nécessité de permettre aux exploitants de proposer des offres pertinentes - cartes illimitées ou offres promotionnelles sur internet. Les cartes illimitées ont permis de fidéliser des clients et d'amener de nouveaux publics vers le cinéma d'auteur. Il est bon d'alléger les contraintes pour favoriser des offres également bénéfiques pour le pouvoir d'achat. (M. Gérard Lahellec approuve.)
Ensuite, il faut donner à nos oeuvres l'exposition qu'elles méritent. À cette fin, la proposition de loi instaure des engagements de diffusion qui ont vocation à permettre à chaque film de trouver son public. Nous dotons le CNC d'un nouvel outil pour pousser les distributeurs des films les plus porteurs à réserver une partie de leur plan de sortie à des salles en zone peu dense. Ce n'est pas parce qu'on habite loin d'un centre urbain qu'on doit voir un film qui fait événement plusieurs semaines, voire mois, après tout le monde... Chaque Français pourra participer pleinement à l'émotion collective des grands succès au cinéma, dès la sortie des films.
Enfin, nous devons rendre la filière exemplaire. Le soutien continu au secteur a permis au cinéma d'incarner avec brio l'exception culturelle française. Il implique logiquement une contrepartie d'exemplarité, sur les sujets propres au cinéma, comme la rémunération des auteurs, mais aussi les enjeux transversaux, à commencer par la transition écologique.
Dans cet esprit, la proposition de loi conditionne les aides du CNC au respect préalable de certaines exigences. C'est ce qui se fait déjà ailleurs dans l'Union européenne. Désormais, un film qui reçoit un soutien financier devra respecter des critères environnementaux et proposer des rémunérations au-dessus d'un seuil minimal.
En votant ce texte, vous améliorerez la diffusion culturelle sur tout le territoire et auprès de tous les Français, tout en encourageant la responsabilité sociale et environnementale du secteur. Alors que les Français plébiscitent notre cinéma et que celui-ci fait rayonner la culture française comme jamais auparavant, donnons-lui les moyens de rester un secteur dynamique, que le monde nous envie. Vive le cinéma ! (Applaudissements)
M. Gérard Lahellec . - (Mme Nadège Havet applaudit.) Cette proposition de loi est l'occasion de parler du cinéma pour la première fois depuis la loi du 30 septembre 2010.
Le cinéma français s'en sort mieux que les autres après la covid. Les exemples éloquents dans mon département ne manquent pas : à Guingamp, la fréquentation du cinéma Les Korrigans a augmenté de 20 % ; à Lamballe, le cinéma Le Penthièvre a réalisé 2 900 entrées supplémentaires en 2023 ; à Loudéac, le Quai des images a vu sa fréquentation augmenter de 25 %.
Parler du cinéma c'est aussi exercer une vigilance sur les conditions de production. Regardons à ce titre d'un oeil positif le combat des acteurs hollywoodiens, qui, après 118 jours de grève, ont obtenu une augmentation de près de 8 % des salaires minimaux.
Les femmes doivent pouvoir exercer leur métier sans crainte. Il faut combattre toute omerta, et le cinéma ne doit pas se dérober à la justice.
Parler de cinéma, c'est rappeler notre attachement à l'exception culturelle, politique inspirée de Malraux qui consiste à soustraire de la loi marchande les biens culturels. Les oeuvres de cinéma ne sont pas des oeuvres comme les autres et doivent être accessibles à tous. Les chefs-d'oeuvre deviennent ainsi de grands films populaires.
Or cette exception culturelle semble aujourd'hui menacée. Comme Justine Triet nous y a invités lors du Festival de Cannes, résistons à ceux dont le coeur penche toujours un peu plus vers la marchandisation du cinéma, plaidant pour une plus large part de financements privés ou pour un plafonnement des taxes affectées au CNC.
Face à ces remises en cause de l'exception culturelle, ce texte apporte des éléments de protection : assouplissement du système d'agrément du CNC pour assurer une juste rémunération des distributeurs et une équité d'accès pour les exploitants indépendants ; obligation pour les distributeurs de consacrer une diffusion minimale de l'offre à des lieux à faible densité démographique ; rémunération minimale des auteurs via le conditionnement des aides du CNC au respect des accords de rémunération.
Favorables à ces avancées, nous voterons ce texte. (Applaudissements)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Pour ma part, je suis sénateur du Rhône, où le cinéma est né avec les frères Lumière... Voilà qui me donne toute autorité pour parler du cinéma ! (On s'en amuse.)
Je ne défendrai pas le cinéma américain, comme l'a fait l'orateur du groupe CRCE-K... (Sourires)
M. Pierre Ouzoulias. - Procès d'intention ! (Nouveaux sourires)
M. Bernard Fialaire. - Garantir l'égal accès à la culture est inscrit à l'alinéa 13 du préambule de la Constitution. Cette accessibilité doit être garantie sur tout le territoire national et dans les outre-mer.
Autoriser les promotions pour les billets vendus en ligne et la simplification réglementaire pour les cartes illimitées facilitera le travail des exploitants, dont la trésorerie sera améliorée.
Les lourdeurs administratives doivent être levées et la proposition de loi met un terme à l'agrément du CNC, ce qui offrira plus de souplesse. Une nouvelle dynamique pour les cartes illimitées pourrait naître, attirant ainsi de nouveaux publics. La promotion des billets vendus en ligne doit aussi être autorisée, comme pour les billets vendus sur place - je rappelle que la réservation en ligne porte sur 25 à 70 % des places vendues.
Le président du CNC pourra imposer des objectifs de diffusion pour les territoires ruraux, et le respect des normes environnementales sera encouragé par le conditionnement des aides du CNC.
Nous saluons aussi le renforcement du dispositif de lutte contre le piratage grâce à l'interdiction des sites miroirs. Les pertes causées au secteur par ce fléau sont abyssales.
La proposition de loi raccourcira les délais de saisine de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et simplifiera décision de blocage, qui pourra être prise par le seul président de l'Arcom ou par un membre du collège qu'il aura désigné.
Le RDSE votera cette proposition de loi qui offre des garanties au monde du cinéma. (Applaudissements)
Mme Nadège Havet . - (Mme Maryse Carrère applaudit.) En 2009, Quentin Tarantino, président du Festival de Cannes, avait clamé : vive le cinéma ! J'aurais pu aussi, comme lui, lever le poing. (L'oratrice mime ce geste.) Des grands complexes aux salles indépendantes, des films d'auteur aux blockbusters, le cinéma est, dans sa diversité, notre fierté. C'est un patrimoine culturel, dont les racines se situent non loin d'ici, rue de Rennes, où les frères Lumières organisèrent la première projection il y a 130 ans.
À quelques jours des cérémonies des Césars et des Oscars, reconnaissons tous les beaux métiers qui se conjuguent pour créer de beaux films.
Il faut se battre pour un maillage territorial dense et défendre notre exception culturelle.
Le montant des subventions publiques s'élève à 3,8 euros par spectateur et par film. La production de films a augmenté de 163 % en trente ans. Notre pays compte 1 million de sièges, dans 5 300 salles.
L'anatomie de cette fierté, c'est la reconnaissance de tous les acteurs. Le secteur représente des dizaines de milliers d'emplois, une richesse de programmation, des publics et de types d'établissements ; une richesse territoriale qui répond à un objectif de démocratie culturelle. C'est le fruit d'un combat politique, d'une redistribution de l'aval vers l'amont, et ce depuis la création du CNC.
Notre groupe souligne les travaux remarquables et transpartisans des rapporteurs ainsi que celui du président de la commission. Le cinéma français a un grand avenir, c'est votre conclusion et nous nous en réjouissons. Nous saluons la hausse de la fréquentation de 19 % en 2023, reprise très attendue après le covid et le pic de 2019.
Sur la richesse de la diffusion, le rapport du CNC pointait une disparité géographique dans l'accès aux films d'art et d'essai, comme le fait aussi Bruno Lasserre. Vous proposez que les distributeurs soient soumis à des engagements de diffusion, nous y sommes favorables.
L'article 4 précise qu'une part minimale des films devrait être réservée à des cinémas situés dans des territoires faiblement peuplés. L'article suivant prévoit une sanction administrative si l'obligation n'est pas respectée.
Il faut aussi favoriser le renouvellement du public, notamment auprès des jeunes : le pass Culture, dont nous saluons la réussite, pourrait être fléché vers les films français et européens. Quelque 3 millions de jeunes étaient inscrits deux ans après sa création. La Bretagne détient le taux de couverture le plus élevé, 85 %.
Deux modifications du code du cinéma et de l'image animée sont prévues : les aides du CNC seront conditionnées à des critères environnementaux - j'y suis favorable comme membre de la commission du développement durable - et au respect des règles de rémunération minimale des auteurs.
L'encadrement des cartes d'abonnement illimité sera assoupli. Un prix de référence par place devra être déterminé, et un contrat type sera établi pour les exploitants, notamment pour les indépendants qui veulent se joindre au dispositif.
Nous soutenons la commission qui introduit une disposition pour lutter contre le piratage, notamment par les sites miroirs proposant un visionnage en direct des salles.
Agnès Jaoui disait, en citant Omar Khayyâm, « Sois heureux un instant, cet instant, c'est ta vie ». Nous voterons ce texte. (Applaudissements à gauche)
Mme Sylvie Robert . - L'excellent rapport de nos collègues qui sert de soubassement à cette proposition de loi s'interrogeait sur l'année 2023, pleine de dangers après la covid. Or la reprise est sensible.
Le retour en salle des spectateurs contredit le discours de déclin du septième art. Le cinéma est irremplaçable dans les habitudes culturelles, y compris des plus jeunes. Il s'est bien enraciné, tant comme lieu que comme expérience.
Cette proposition de loi vise à conforter la filière et à réduire les inégalités. Le premier levier prévu est d'assouplir certaines procédures, avec l'autorisation de promotions sur les ventes de billets en ligne et la suppression de l'agrément du CNC pour les cartes illimitées. Elles offrent des opportunités sans déséquilibrer le marché. À l'origine, les cartes suscitaient de vives craintes ; celles-ci sont dissipées aujourd'hui. Les deux principes cardinaux sont sanctuarisés : prix de référence du billet et possibilité d'adhésion des exploitants indépendants. La régulation des cartes perdure, mais leur déploiement est simplifié.
L'article 6 prend en compte la dimension environnementale et la rémunération des auteurs, on peut s'en réjouir. L'industrie cinématographique, malgré ses efforts, demeure polluante. Il est urgent d'accélérer son adaptation. Des générateurs à hydrogène ont ainsi été utilisés lors du tournage de la série Lupin.
La conditionnalité des aides du CNC au respect des accords sur la rémunération des auteurs est une bonne mesure. La grève de six mois à Hollywood avait pour origine notamment la rémunération des auteurs, confrontés au défi de l'intelligence artificielle.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Tout à fait.
Mme Sylvie Robert. - En 2022, les salles classées art et essai représentaient 37 % de la fréquentation totale des salles de cinéma. Ces mesures ont un impact pour favoriser la visibilité de ce cinéma. Le système d'aides publiques doit être préservé pour conserver cette richesse.
Des critiques ont été émises sur le classement des cinémas et sur le degré de sélectivité des films. Le rapport Lasserre esquisse quelques pistes, notamment le potentiel commercial des films d'art et d'essai, reprises dans le travail de nos rapporteurs.
Notre commission aura intérêt à poursuivre ses travaux, c'est fondamental.
Vous mettez en évidence les inégalités territoriales. En 2021, les cinémas des unités urbaines de 50 000 habitants étaient largement majoritaires dans le plan de sortie des films d'art et d'essai. Pouvons-nous accepter cette concentration ? Non, les territoires enclavés ont le droit d'avoir accès à toutes formes de cinéma. Je n'opposerai jamais films grand public et films d'art et d'essai. En revanche, l'accès au cinéma et à tous les genres est un motif impérieux.
J'en viens à l'éducation au cinéma : vous connaissez les dispositifs existants, comme Collège au cinéma.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Très bien !
Mme Sylvie Robert. - Des millions d'élèves ont ainsi découvert des films patrimoniaux. Or l'éducation à l'image est menacée à la suite des annonces du précédent ministre de l'éducation nationale, avec des effets de bord en matière de remplacement et de formation. Les professeurs n'ont plus le temps de se former. Les rectorats qui ont appliqué les directives ont vu le nombre d'élèves concernés divisé par deux. (Mme Catherine Morin-Desailly renchérit.) Je vous demande d'agir, madame la ministre, en lien avec la ministre de l'éducation nationale.
Après la proposition de loi du groupe SER sur le cinéma outre-mer, le Sénat poursuit son travail, autour d'autres grands chantiers : révision de la chronologie des médias, découvrabilité des oeuvres sur les plateformes, égalité femmes-hommes, lutte contre les violences sexistes et sexuelles... Nous devons être au rendez-vous : nous le serons grâce à un amendement cosigné avec le GEST.
Parce qu'elle fait avancer la filière, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Evren . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'excellent travail des auteurs et rapporteurs. Cette proposition de loi vise à accompagner l'industrie du cinéma face à de nouveaux défis technologiques, énergétiques ou sociaux.
Le cinéma est un modèle de l'exception culturelle française. Investir dans le cinéma, c'est investir dans notre économie, dans nos territoires et dans la diversité de la création.
Le cinéma français a connu l'une des meilleures reprises au monde après la crise sanitaire, avec une fréquentation en hausse de 20 % en 2023 et 40 % des entrées réalisées par des films français.
Cependant, ces chocs sans précédent ont révélé les fragilités du modèle. Les Français se sont de plus en plus tournés vers les plateformes, notamment les jeunes. Quid de l'égalité d'accès aux oeuvres sur tout le territoire, de la juste rémunération des auteurs, de la transition écologique dans un secteur particulièrement énergivore ?
Afin que la France reste au premier plan, cette proposition de loi poursuit un triple objectif : suppression des agréments pour les cartes illimitées ; meilleure diffusion des films d'art et d'essai dans les territoires ruraux, qui sont les grands oubliés des politiques culturelles ; réduction des inégalités d'accès à la culture et des fractures territoriales.
La culture est un enjeu de cohésion sociale : elle nous rassemble. Les obligations prévues à l'article 4 pour la distribution des films d'art et essai bénéficieront aux petites communes et aux communes rurales
Avec son plan « Action ! », le CNC a introduit depuis 2022 une écoconditionnalité dans les aides attribuées. Je me réjouis également de la lutte contre le piratage et d'une volonté de diffusion plus équilibrée entre les territoires.
Je salue l'intelligence collective et transpartisane des rapporteurs.
Nous voterons cette proposition de loi, en espérant son inscription rapide à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu'au banc des commissions ; Mmes Sylvie Robert et Nadège Havet ainsi que M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo !
Mme Laure Darcos . - Je m'étais émue de la tournure prise par le débat lors de l'examen du projet de loi de finances, au point de parler de « cinéma bashing ». La suppression par le Sénat du crédit d'impôt était une erreur. Heureusement, le dispositif est reconduit jusqu'au 31 décembre 2026. Ainsi, les producteurs étrangers continueront à investir.
Nous avons aussi sauvé les Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica) du désastre.
La mission d'information sénatoriale constituée l'an dernier a formulé plusieurs recommandations : meilleure diffusion des films à l'échelle des territoires, amélioration des conditions d'exploitation en salle, respect des règles de rémunération minimale des auteurs et amélioration de la chronologie des médias, entre autres.
Cette proposition de loi traduit certaines de ces conclusions. Elle vise, en premier lieu, à faciliter l'activité des exploitants. Ainsi, les contraintes pesant sur la délivrance des cartes illimitées sont allégées. Pour autant, la juste rémunération des ayants droit et des distributeurs reste un objectif majeur, de même que le soutien aux exploitants indépendants. Gageons que ces mesures renforcent la fréquentation des salles. Désormais, les exploitants pourront proposer des promotions sur les ventes de billets en ligne.
Pourquoi certaines oeuvres de qualité seraient-elles réservées à un public de connaisseurs, dans les grandes villes ?
Plutôt que d'imposer une obligation générale et permanente de diffusion dans les territoires, nos rapporteurs ont prévu un mécanisme temporaire, solution qui a recueilli un consensus au sein de la profession. Ainsi, le président du CNC pourra demander des solutions adaptées pour corriger les déséquilibres constatés dans la diffusion des oeuvres.
En matière de lutte contre le piratage, la proposition de loi cible les sites miroirs, qui seront mis en échec plus rapidement.
Avec cette proposition de loi, les oeuvres cinématographiques seront plus accessibles et mieux protégées. Le groupe INDEP la votera sans réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Monique de Marco et Nadège Havet applaudissent également.)
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie le président Lafon d'avoir demandé une évaluation du secteur du cinéma à la sortie de la crise sanitaire, et je salue cet excellent rapport.
Résilient, le secteur a su rebondir, grâce à un réseau de salles denses et à une production cinématographique riche, diversifiée et reconnue. Cela doit durer.
Nous soutenons les propositions du texte. Le rapport reconnaît le bien-fondé du système d'aides à la création, mais aussi d'obligations d'investissement par les entreprises de l'audiovisuel et les plateformes.
La chronologie des médias dépendra d'accords interprofessionnels, difficiles à négocier, et sur lesquels nous aurons notre mot à dire.
Le rôle du CNC est essentiel dans la perception des taxes affectées et la distribution des aides, tout comme celui des collectivités, notamment les régions : aides à la formation, à l'écriture, à la production, à l'accueil de tournages, aux dispositifs d'éducation.
Dans le cadre des conventions triennales régions CNC-région-Drac, on constate un glissement : en 2022, les régions ont investi près de 46 millions d'euros, quand le CNC a attribué 16 millions d'euros. C'est désormais 1 euro du CNC pour 2,7 euros des régions.
Des élus ont créé des systèmes de cinéma itinérant : c'est le cas en Seine-Maritime depuis 2016, avec CinéSeine, soutenu par le département, la région, la Drac et même la réserve parlementaire. Il existe 114 circuits et un dispositif d'aide du CNC.
Rendre le cinéma plus accessible commence à l'école : il faut sauver les dispositifs d'éducation à l'image comme Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma. Ces dispositifs ont été remis en cause unilatéralement par Gabriel Attal : les professeurs ne peuvent plus se former durant le temps scolaire. (Mme Colombe Brossel applaudit.) Il faut agir rapidement, sous peine de voir le système s'effondrer.
Je salue le conditionnement des aides à la juste rémunération des auteurs.
L'intelligence artificielle soulève de nombreuses interrogations. Le règlement sur l'intelligence artificielle a apporté des garanties de respect et de transparence minimale des oeuvres utilisées pour les bases d'entraînement. Remercions Thierry Breton, qui, il y a quelques jours, rappelait ici l'importance de cette régulation.
Mais je m'inquiète des discours de Bruno Le Maire qui évoquait une possible réouverture de la directive sur les droits d'auteur, ou encore de la mise en place d'un marché unique de la donnée assimilant des films ou des séries à n'importe quelle donnée. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.) J'espère que la ministre de la culture agira avec force. Madame la ministre, nous comptons sur vous pour faire appliquer le règlement sur l'intelligence artificielle tel qu'il a été voté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du GEST, des groupes SER et CRCE-K, et au banc des commissions ; Mme Nadège Havet applaudit également.)
Mme Monique de Marco . - Comme vous le savez, le Gouvernement est désormais dirigé par un homme, né en 1989 et animé par de grandes ambitions. (Sourires) Moi, je suis une femme, née quelques années plus tôt et attachée à un petit espoir : faire avancer les droits des femmes au cinéma à l'occasion de cette proposition de loi.
En 1971, Delphine Seyrig déclarait : « Il y a beaucoup de femmes en France et on ne parle pas d'elles. Ce sont toujours les hommes qui les ont montrées et qui en parlent. Je voudrais faire des films faits par des femmes collectivement, qui montrent les difficultés des femmes, qui sont gigantesques. » C'était quatre ans avant la loi Veil légalisant l'avortement.
Cinquante ans plus tard, la féminisation de la profession reste faible : seulement 27 % de réalisatrices, avec des budgets et des rémunérations inférieurs. Seuls 5,2 % des films sélectionnés par le Festival de Cannes depuis sa création étaient réalisés par des femmes. La direction artistique des grands festivals demeure la chasse gardée des hommes. À Cannes, seule une présidence sur six est accordée à une femme.
La parité doit être la première réponse aux violences morales, sexuelles et sexistes qui perdurent dans le cinéma. Depuis 2018 et #MeToo, nous savons que le phénomène est systémique. J'ai déposé un amendement généralisant le bonus parité à l'ensemble des aides du CNC, mais il a été déclaré irrecevable.
Il faut aller plus loin. Depuis 2018, les victimes assument seules leur défense. Nous avons considéré qu'il s'agissait de conflits interpersonnels, que le droit allait régler. Six ans plus tard, les témoignages montrent l'étendue du problème. Des postes de coordinateurs d'intimité ont été créés. Nous sommes saisis par le silence des témoins. C'est pourquoi nous proposons de renforcer la responsabilité des producteurs et de prévoir que les aides seront retirées en cas de violence ou de harcèlement.
Je remercie Céline Boulay-Espéronnier, Jérémy Bacchi, Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp. Je sais que mes propositions sortent un peu du cadre de cette proposition de loi, mais être au rendez-vous de l'histoire suppose parfois de faire des pas de côté.
Durant la crise sanitaire, de mars 2020 à mai 2021, les salles de cinéma ont été fermées pendant plus de 300 jours, rompant le lien avec les salles de cinéma pour la première fois.
Ce texte facilite la commercialisation des cartes illimitées et la distribution des films d'art et d'essai partout sur le territoire.
L'intelligence artificielle menace le droit d'auteur. Le compromis européen de la fin de l'année 2023 n'est pas à la hauteur de ce qui a été adopté aux États-Unis. Je m'inquiète que cette négociation revienne à Bruno Le Maire. L'absence de la ministre de la culture ne me rassure pas non plus. À terme, l'exception culturelle française et le cinéma d'auteur risquent d'être fragilisés. Le CNC n'est pas là pour rééquilibrer la balance commerciale.
J'espère que la navette enrichira le texte dans l'intérêt des femmes et du cinéma. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Pierre-Antoine Levi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions) Comme le dit Lino Ventura dans Les tontons flingueurs : « On ne devrait jamais quitter Montauban. » (Rires, bravos et applaudissements)
En ce soir de Saint-Valentin, nous nous penchons sur l'histoire d'amour entre la France et le cinéma, point fort de notre économie et joyau culturel. C'est parce que nous aimons le septième art que nous nous penchons sur son avenir.
Cette proposition de loi vise à relever les défis de notre secteur cinématographique. La crise sanitaire a révélé la résilience de notre industrie, grâce au soutien robuste des pouvoirs publics. La mission d'information du Sénat a abouti à la présente proposition de loi.
Notre cinéma, reconnu mondialement, joue un rôle indispensable dans le rayonnement de la culture française, dans les territoires et dans le monde. Le cinéma français se distingue par son originalité et sa créativité. Il est vecteur d'influence culturelle à l'international.
L'assouplissement de la procédure d'agrément des films par le CNC, la simplification de l'accès aux abonnements illimités et l'élargissement des possibilités de promotion en ligne visent à soutenir cette industrie majeure et à encourager les Français à aller au cinéma. Le cinéma français contre-attaque, la force est avec lui. (Sourires)
Ce texte offre plus de flexibilité aux exploitants et intègre le cinéma dans nos grandes politiques publiques.
Notre commission a enrichi la proposition de loi en faveur d'un cinéma accessible, diversifié et résilient. L'adoption d'amendements qui améliorent l'accessibilité des oeuvres sur tout le territoire et renforcent la lutte contre le piratage illustre notre volonté de promouvoir un cinéma inclusif et de protéger les droits des créateurs.
Voter ce texte, c'est faire le choix d'un cinéma innovant, dynamique et ancré dans nos valeurs républicaines. Notre cinéma reflète la diversité et la richesse de notre société.
J'espère que le Sénat votera à l'unanimité cette proposition de loi, à l'instar du groupe UC. (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées du groupe UC ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La filière cinématographique illustre l'exception culturelle française. Le Vaucluse, riche d'un patrimoine culturel et naturel unique, est aussi une terre de cinéma.
Je félicite moi aussi les auteurs et rapporteurs de cette proposition de loi. Une large concertation a été menée. Dans mon département, le cinéma est perçu comme un vecteur de développement économique et culturel majeur. La présidente du conseil départemental, Dominique Santoni, a présenté récemment un plan cinéma, pour dynamiser l'économie locale et enrichir l'offre culturelle.
Les objectifs de la proposition de loi sont clairs : simplifier la vie des cinémas, en vue de faciliter l'accès à toutes les oeuvres en tout point du territoire. Madame Evren, merci pour votre clin d'oeil à la ruralité.
Le texte comporte aussi des mesures innovantes de lutte contre le piratage - nous le saluons.
Le texte renforcera le cinéma partout dans nos régions. Il valorisera notre patrimoine culturel et naturel. Je voterai ce texte qui ouvrira très certainement de nouvelles perspectives pour le cinéma français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions)
Discussion des articles
Les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 sont adoptés.
Article 6
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, Fernique, Dossus, Dantec et G. Blanc, Mmes M. Vogel et Senée, M. Salmon, Mme Poncet Monge, MM. Mellouli et Jadot, Mme Guhl et M. Gontard.
Après l'alinéa 2
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
...° La même première phrase du 2° de l'article L. 111-2 est ainsi modifiée :
a) Après les mots : « du cinéma », sont insérés les mots : « et de ses auteurs, » ;
b) Après les mots : « de l'image animée », sont insérés les mots : « sur l'ensemble du territoire » ;
c) Les mots : « des marchés et » sont supprimés ;
Mme Monique de Marco. - Le cinéma est un art, mais aussi une industrie, comme le disait si bien André Malraux.
Mais aujourd'hui on cherche avant tout la rentabilité économique. Cet amendement vise à réorienter la politique du CNC vers le cinéma d'auteur.
La marchandisation de la culture, défendue par ce gouvernement néolibéral, est en train de casser l'exception culturelle française, comme le disait Justine Triet à Cannes.
Le CNC doit aider les films d'économie fragile, comme les premiers films ou ceux qui ne sont pas produits par des plateformes.
M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Vous proposez de révolutionner les aides versées par le CNC au profit exclusif du cinéma d'auteur. Cette logique pose plusieurs problèmes : depuis sa création en 1946, le CNC soutient toutes les formes de cinéma - c'est sa force ; ensuite, le cinéma d'auteur n'est pas un concept juridique établi - chaque film est le travail de son réalisateur ; enfin, la politique du cinéma repose sur une large diffusion territoriale. Avis défavorable.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Votre amendement restreint le champ du CNC, qui a vocation à soutenir la diversité et l'originalité de la création, mais aussi une industrie insérée dans un contexte concurrentiel.
Vous le savez : les oeuvres les plus fragiles bénéficient d'une majoration de 20 % - d'où un taux de subvention de 70 %.
Le CNC fait évoluer ses aides en fonction du marché, ce qui ne signifie pas qu'il est guidé par le marché. Cela n'est pas choquant. En outre, il aide déjà très largement le cinéma d'auteur. Avis défavorable.
L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié, présenté par Mmes de Marco, Ollivier, Billon et Corbière Naminzo, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Le g du 2° de l'article L. 111-2 est complété par les mots : « tenant compte des objectifs de promotion de la parité et de la diversité » ;
Mme Monique de Marco. - Malgré des progrès depuis 2018, la parité et la diversité sont encore insuffisantes dans le cinéma. Un précédent amendement imposant cette parité et cette diversité dans tous les organes de pouvoir du cinéma a été déclaré irrecevable, mais celui-ci est mystérieusement accepté.
Il vise à mieux valoriser l'héritage des femmes cinéastes - le matrimoine. La parité est impossible quand, pendant des décennies, les films réalisés par des femmes ont été minoritaires. Mais ne les laissons pas disparaître et restaurons ces oeuvres.
Entre 2013 et 2022, seules 591 femmes ont réalisé un ou plusieurs films, contre 1 605 hommes...
Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - On peut le regretter, mais l'essentiel des grandes oeuvres patrimoniales passées a été réalisé par des hommes. La situation s'améliore, mais il reste du chemin à parcourir. Le CNC s'efforce de mettre le matrimoine à l'honneur. Les critères d'attribution des aides en tiennent compte. L'intérêt de votre ajout n'est donc pas évident ; il est même redondant. Le patrimoine ne dépend pas de l'identité du réalisateur. Avis défavorable.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Je vous remercie de porter la question de la parité, qui m'est chère, dans ce débat.
Le CNC a une mission propre de conservation, ainsi qu'une mission de soutien financier aux initiatives en faveur du patrimoine, dans toute sa diversité. La précision que vous souhaitez apporter risquerait de restreindre son champ de compétences. Avis défavorable.
L'amendement n°6 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Le 6° de l'article L. 111-2 est complété par les mots : « , et de prévenir la fragilisation du droit d'auteur par le recours à l'intelligence artificielle » ;
Mme Monique de Marco. - L'intelligence artificielle va jouer un rôle croissant dans le cinéma français. La mission de protection de droits d'auteur du CNC doit donc être étendue à l'anticipation du recours à l'intelligence artificielle.
En octobre 2023, les scénaristes américains ont obtenu des garanties pour protéger leurs droits. Quelques exemples : l'intelligence artificielle ne peut avoir la qualité d'auteur d'un texte ; un scénariste peut utiliser l'intelligence artificielle, mais le producteur ne peut l'exiger ; le producteur doit informer le scénariste si les documents fournis ont été générés par l'intelligence artificielle.
L'accord politique trouvé sur le règlement européen n'apporte pas de garanties comparables, car les États membres restent compétents en matière de politique culturelle. Nous proposons donc de confier cette mission au CNC.
M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Nous partageons votre préoccupation en matière de droits d'auteur. La montée en puissance de l'intelligence artificielle pourrait déséquilibrer le système actuel.
Mais votre amendement est une déclaration d'intention.
Ce vaste sujet commence à être encadré par l'Europe, il mérite une réflexion globale pour mesurer les risques et les opportunités.
Avis défavorable.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Le règlement IA, adopté le 2 février dernier, prévoit des obligations en matière de respect des droits d'auteur. Un Office européen de l'intelligence artificielle sera créé et des sanctions sont prévues en cas de manquement. Ce sujet est transversal et touche tous les champs de la création. Avis défavorable.
L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par Mmes de Marco, S. Robert, Ollivier et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mmes Billon et Corbière Naminzo, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Après l'alinéa 2
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° L'article L. 311-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque des faits constitutifs d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la personne mentionnée aux articles 222-22 à 222-33-1 du code pénal se sont déroulés lors de la production d'une oeuvre cinématographique, audiovisuelle ou multimédia et ont fait l'objet d'une condamnation pénale, le Centre national du cinéma et de l'image animée retire l'aide dont a bénéficié l'entreprise de production qui assume les fonctions d'entreprise de production déléguée pour la production de cette oeuvre, dès lors que cette entreprise n'a pas respecté ses obligations résultant des articles L. 1153-1 à L. 1153-6 du code du travail. » ;
Mme Monique de Marco. - Depuis 2018, les victimes de violences sexuelles et sexistes ou de harcèlement peinent à se faire entendre.
En droit du travail, le chef d'entreprise doit veiller à la sécurité de ses salariés pendant le temps professionnel. Au cinéma, cette responsabilité incombe au producteur.
Notre amendement, qui vise à renforcer la responsabilité administrative du producteur, a été réécrit après échanges avec la commission : nous proposons désormais le retrait des aides obtenues en cas de sanction pénale.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - - Cet amendement s?inscrit dans le contexte du bouleversant témoignage de Judith Godrèche. Il s'agit d'apporter une réponse rapide et ferme, en imposant le remboursement des aides perçues par le producteur défaillant.
Le CNC peut déjà retirer une partie ou la totalité des aides - ce qu'il a d'ailleurs déjà fait. Avec ce dispositif, la sanction est alourdie et rendue automatique, mais reste proportionnée. Avis favorable.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - J'ajoute que le CNC va étendre l'obligation de formation à l'ensemble des équipes de tournage dès cet été. Avis favorable.
Mme Sylvie Robert. - Nous avons cosigné cet amendement, car le cinéma est secoué par de nombreuses affaires. Nous devons être au rendez-vous. Le CNC a déjà retiré des aides : avec cet amendement, nous lui octroyons une base légale pour le faire.
L'amendement n°2 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« L'attribution des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée est également subordonnée au respect, par les entreprises de production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, de la formation des équipes aux pratiques destinées à protéger l'environnement et à réduire l'empreinte carbone lors de la production, de la post-production, de la distribution, de la diffusion et des opérations de communication qui s'y attachent. »
Mme Monique de Marco. - Un film, c'est 750 tonnes de CO2. Une réflexion est en cours chez les professionnels, comme en témoignent le référentiel d'Ecoprod ou le plan de sobriété énergétique de la Fédération française des cinémas. Cet amendement instaure une obligation de formation aux pratiques respectueuses de l'environnement pour tous les métiers de la filière, à laquelle est conditionnée l'attribution des aides.
Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Le sujet est fondamental, mais votre amendement ferait peser sur les producteurs un coût significatif, que les plus petites structures ne sauraient absorber. De surcroît, vous mettez les actions de formation à leur seule charge, y compris dans les domaines relevant des distributeurs et des exploitants. L'article 6, qui prévoit de moduler les aides en fonction des efforts faits sur le tournage en la matière, est plus incitatif. Avis défavorable.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - La production cinématographique et audiovisuelle doit restreindre son empreinte environnementale. Le CNC a déjà conditionné l'octroi de ses aides à la production d'un bilan carbone, qui couvre tout le spectre des activités liées à la production. Votre amendement est satisfait : avis défavorable.
L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié, présenté par Mmes de Marco, Ollivier, Billon et Corbière Naminzo, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« L'attribution des aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée est également subordonnée à la mise en place, par les entreprises de production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles d'une formation des équipes à la prévention et au signalement de violences sexuelles et sexistes et de harcèlement. »
Mme Monique de Marco. - Depuis 2018, le CNC a instauré une formation de sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes, mais elle est réservée aux gérants des entreprises de production, qui ne sont pas forcément sur les plateaux. Au demeurant, il ne s'agit que de rappels à la loi. Les personnes exposées à ces violences doivent être mieux informées. Un référent a été mis en place pour l'ensemble du territoire, ce qui nous semble là aussi insuffisant.
Nous souhaitons conditionner l'octroi des aides du CNC à une formation de l'ensemble de l'équipe, à la charge du producteur. Nous aurions préféré un financement par le CNC, mais les règles de recevabilité financière des amendements l'interdisent.
La prévention est préférable aux sanctions.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Ce sujet est essentiel, comme l'ont montré les récentes révélations sur des comportements particulièrement odieux. Le CNC a prévu d'expérimenter l'extension de l'obligation de formation à la prévention des violences sexistes et sexuelles à l'ensemble des équipes le premier jour du tournage. Le coût sera assumé par l'Afdas, l'opérateur de compétences des secteurs de la culture, des industries créatives et des médias. Les paramètres seront élaborés d'ici au mois de juin. Avis défavorable.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Même avis pour les mêmes raisons.
L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.
L'article 6, modifié, est adopté.
L'article 7 est adopté, ainsi que l'article 8.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
Mme la présidente. - À l'unanimité. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, jeudi 15 février 2024, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 25.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 15 février 2024
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
Présidence : Mme Sophie Primas, vice-présidente, M. Alain Marc, vice-président,
Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Guy Benarroche
1. Proposition de loi visant à préserver des sols vivants, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues (n°66, 2023-2024)
2. Proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues.
À l'issue de l'espace réservé du groupe SER :
3. Désignation des vingt-trois membres de la mission d'information sur le thème : « Complémentaires santé, mutuelles : l'impact sur le pouvoir d'achat des Français » (droit de tirage du RDPI)