SÉANCE
du mercredi 17 janvier 2024
52e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - Monsieur le Premier ministre, au nom du Sénat tout entier, je tiens à nouveau à vous féliciter pour votre nomination et vous souhaiter la bienvenue au sein de notre assemblée dans vos nouvelles fonctions.
Depuis le début de la législature, votre prédécesseur, Mme Élisabeth Borne, a témoigné, lors de nos séances de questions d'actualité, d'une présence constante à laquelle nous avons été particulièrement sensibles et que je tiens une nouvelle fois à saluer.
Je souhaite également la bienvenue aux membres du Gouvernement, avec une attention particulière pour la ministre chargée des relations avec le Parlement, Mme Marie Lebec.
Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, le Sénat est le reflet de nos territoires, dans leur diversité. Sur ses bancs siègent des élus expérimentés, à l'écoute de nos concitoyens et de nos collectivités territoriales.
Je forme donc le voeu, Monsieur le Premier ministre, que vous soyez attentif au Sénat. Le bicamérisme est une chance pour la démocratie et l'équilibre de nos institutions.
L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Remaniement
Mme Cécile Cukierman . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, vous tentez d'incarner un changement, mais la seule nouveauté, c'est la confirmation d'un ancrage de la casse du service public, de l'entrée dans un monde pour les riches qui exclut au lieu de rassembler.
Le Président de la République n'a toujours pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale, pourtant le socle de nos institutions. Vous ne pouvez pas abuser des 49.3 comme en 2023. Vous engagez-vous à laisser faire le débat parlementaire ?
Monsieur le Premier ministre, selon l'article 20 de la Constitution, c'est vous qui dirigez la politique du Gouvernement et non le Président de la République. Or Emmanuel Macron prend tout en main, des rencontres de Saint-Denis à sa conférence de politique générale hier - mais il n'est pas responsable devant le Parlement. Monsieur le Premier ministre, vous devez demander un vote de confiance du Parlement, à l'Assemblée nationale au titre de l'article 49.1 de la Constitution, au Sénat au titre de l'article 49.4.
Aujourd'hui, c'est la gesticulation médiatique pour masquer l'accélération autoritaire vers une politique libérale. Votre mandat doit être soumis au vote des représentants du peuple, qui doit reprendre la main. Monsieur le Premier ministre, demanderez-vous la confiance ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - C'est la première fois que je m'exprime devant le Sénat en tant que Premier ministre. Je l'ai dit au président Larcher, j'ai un très grand respect, une très grande admiration pour le travail ici. (Sourires)
M. Roger Karoutchi. - J'espère bien...
M. Christian Cambon. - Merci !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - J'ai pu l'observer dans mes fonctions précédentes, lors des longues nuits à examiner les projets de loi de finances avec le rapporteur général Husson et le président Raynal, ou les textes sur l'école, avec le président Lafon... J'ai toujours été très à l'écoute du Sénat, de votre expérience, de votre représentativité, de vos propositions toujours constructives. C'est mon état d'esprit.
Je prononcerai ma déclaration de politique générale le 30 janvier prochain à l'Assemblée nationale. D'ici là, je souhaite rencontrer les présidents de groupes, les forces vives de la Nation dont les syndicats et les associations d'élus locaux, et les Français sur le terrain.
Y a-t-il une majorité à l'Assemblée nationale ? Non. Y a-t-il besoin d'un vote pour le savoir ? Non. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Y a-t-il des Français qui se lèvent le matin en ayant pour priorité qu'il y ait une demande de confiance ? Je ne crois pas. (On en doute sur plusieurs travées ; Mme Cécile Cukierman et M. Pascal Savoldelli protestent vivement.) Ils attendent plutôt qu'on agisse pour l'école, la santé et la transition écologique. (« Ah ! » sur plusieurs travées du groupe SER)
Cette déclaration sera lue simultanément, mais j'ai proposé au président Larcher de venir devant vous prononcer une intervention propre au Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi. - C'est l'usage !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - La situation de notre pays commande que nous ayons un débat ici au Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe UC)
Maîtrise des finances publiques
M. Hervé Maurey . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, Mme Kristina Pluchet applaudit également.) Hier, le Président de la République a mentionné un grand nombre de sujets allant de l'école à la santé, du pouvoir d'achat à la sécurité. Cependant, il a peu évoqué nos finances publiques, malgré une dette sur le podium européen, une charge de la dette bondissant de 50 % d'ici à 2027, et le deuxième déficit de la zone euro.
Les annonces du Président de la République aggravent les choses : la généralisation du service national universel (SNU) coûtera 3 milliards d'euros par an et les impôts baisseront de 2 milliards d'euros. À combien chiffrez-vous les annonces du Président de la République, alors que le rétablissement des finances publiques est toujours annoncé, mais jamais réalisé ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - (Mme Nicole Duranton applaudit ; acclamations sarcastiques sur de nombreuses travées.) Je vous adresse mes meilleurs voeux.
Monsieur Maurey, nous avons été élus du même territoire pendant quinze ans. Vous savez que j'ai l'habitude de faire les choses en temps et en heure. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains)
En 2017, j'avais dit que nous reviendrions sous les 3 % et sortirions de la procédure de déficit excessif. J'ai tenu parole. Ensuite, nous avons fait face au covid et à l'inflation. Vous tous avez appelé à une protection des entreprises et des salariés - nous l'avons fait -, ainsi que des plus modestes - là encore, nous l'avons fait.
Désormais, nous revenons à la normale. Je tiens parole : nous accélérerons le désendettement et réduirons le déficit à 4,4 % en 2024. Mais en matière de finances publiques, le plus dur est devant nous. (M. Mickaël Vallet acquiesce.)
M. Jérôme Durain. - Pour les Français !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous devrons prendre des décisions fortes et courageuses. Vous avez bien écouté le Président de la République hier (M. Jean-François Husson ironise) ; vous aurez noté la sortie du bouclier énergétique sur le gaz et l'électricité. Je l'ai dit hier : nous sortons de la situation exceptionnelle, il faut donc revenir à la normale. De même pour la franchise sur les médicaments, qui passera de 0,5 à 1 euro. (Mme Laurence Rossignol s'en émeut.) Je n'ai aucun doute que vous soutiendrez ces mesures. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
M. Hervé Maurey. - Vous n'avez pas vraiment répondu. Il est difficile de faire du « en même temps » en matière de finances publiques : vous prônez l'indépendance financière, mais vous vous endettez toujours plus. Vous demandez 12 milliards d'euros d'économies supplémentaires ; or le Premier ministre a annoncé 32 milliards supplémentaires pour la santé. La valse des milliards continue.
Ainsi, la loi de programmation des finances publiques semble déjà caduque, à peine votée. Lors du projet de loi de finances, le Sénat avait proposé 7 milliards d'euros d'économies et 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires dont le Gouvernement n'a pas tenu compte.
M. Jean-François Husson. - Et voilà !
M. Hervé Maurey. - Écoutez davantage le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Gaza
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Ce remaniement acte la continuité d'une ligne politique de droite - mais nous pourrons y revenir plus tard.
La situation à Gaza, elle, ne peut attendre.
Mme Valérie Boyer. - Et les otages ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ainsi, 1 % des Gazaouis sont morts, un taux plus haut que dans tous les conflits du XXe siècle - et 85 % sont déplacés. Selon une avocate à la Cour internationale de justice, « c'est le premier génocide de l'histoire où ses victimes diffusent leur propre destruction en temps réel, dans l'espoir désespéré, jusqu'à présent vain, que le monde puisse faire quelque chose. »
La France a l'obligation de protéger les populations et de mettre un terme aux crimes contre l'humanité, aux crimes de guerre et aux génocides. En Ukraine comme en Palestine, il y va du droit international et des valeurs de l'Europe. Ferez-vous appliquer les mesures conservatoires demandées par la Cour internationale de justice ?
Saisirez-vous la Cour pénale internationale pour qualifier les faits, tous les faits, et poursuivre les criminels ? Déclarerez-vous l'embargo sur les armes vers Israël ? Quand reconnaîtrez-vous l'État palestinien, comme l'a voté le Parlement, en soutenant la position de l'Espagne ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)
M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Je rappelle la solidarité de la France avec Israël face à l'attaque de lundi, qui a fait un mort et blessé dix-sept personnes, dont deux de nos compatriotes. Nous rendrons hommage, le 7 février prochain, à nos compatriotes assassinés le 7 octobre 2023.
La situation à Gaza s'aggrave dramatiquement. L'action française repose sur trois piliers. Le premier est la sécurité et la lutte contre le terrorisme, avec des sanctions contre le Hamas. L'humanitaire, ensuite : nous avons acheminé 1 000 tonnes d'aide et 100 millions d'euros pour les Palestiniens. Enfin, le politique sera au coeur de la réunion du 23 janvier du Conseil de sécurité des Nations unies, que je présiderai.
Nous devons enrayer l'escalade, ce pour quoi la France oeuvre au Liban, en mer Rouge et en Cisjordanie. Ce qui se joue au Proche-Orient est trop important : il faut éviter le pire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Réforme de l'aide médicale de l'État
M. François-Noël Buffet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, à l'occasion des discussions sur le projet de loi immigration, le débat a porté sur l'aide médicale de l'État (AME). (« Ah ! » à gauche) MM. Evin et Stefanini ont rendu le rapport qui leur avait été demandé.
Votre prédécesseur avait pris l'engagement d'en débattre en 2024. Vous avez annoncé hier, devant l'Assemblée nationale, que vous vous en chargeriez. Déposerez-vous un projet de loi sur la base du seul rapport Evin-Stefanini, ou en discuterez-vous préalablement avec le Parlement ? Si oui, quand et comment ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - Pendant les débats sur le projet de loi immigration, j'ai pu observer que l'AME avait fait l'objet de discussions, légitimes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah oui ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Nous interroger sur nos politiques publiques est la raison pour laquelle nous sommes élus. L'AME a fait l'objet d'évolutions sous des majorités, de gauche comme de droite, ainsi que celle qui nous rassemble.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - De droite ! (Rires à gauche ; M. Hervé Gillé mime une brasse coulée.)
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - En 2014, Marisol Touraine posait déjà la question des filières qui abusaient de ce dispositif.
Dans le précédent quinquennat, il y a eu aussi des évolutions du panier de soin, de manière dépassionnée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et Aurélien Rousseau ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - C'est ainsi qu'il faut agir, et c'est dans cet esprit que MM. Evin et Stefanini ont travaillé. Pour les reprendre, l'AME ne constitue pas, en tant que telle, un levier d'incitation à l'immigration, et est globalement maîtrisée. Mais cela épuise-t-il toutes les questions ? Non. Le rapport formule d'ailleurs des propositions.
Je reprends l'engagement d'Élisabeth Borne. Comment ? Je vous invite à patienter quelques semaines, le temps d'installer mon gouvernement. J'y reviendrai le 30 janvier, lors de ma déclaration de politique générale. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)
M. François-Noël Buffet. - Merci pour cette réponse. Vous vous dites « adepte du constat de vérité » : c'est un point que nous avons en commun. Notre groupe est prêt à un travail approfondi, en rappelant la non remise en cause du principe du soin, et l'impératif de maîtriser et contrôler le dispositif, pour qu'il ne soit pas dévoyé. (Applaudissements et « très bien » sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)
Agressions houthies en mer Rouge
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas, des attaques houthies visent le trafic maritime sur la mer Rouge, voie économique cruciale traversée par 20 000 navires chaque année. Les Houthis, soutenus par l'Iran, veulent interdire le passage aux navires d'États supposément proches d'Israël. Ces milices rejoignent l'axe informel coalisant le Hamas, l'Iran et le Hezbollah, faisant peser le spectre d'une généralisation du conflit. En situation de légitime défense, la frégate Languedoc a abattu des drones.
Les navires optent donc pour le cap de Bonne-Espérance, ce qui fait augmenter le temps de trajet et le prix du transport. C'est une menace pour le commerce et une violation du droit international, alors que la libre navigation en mer Rouge est cruciale pour le lien avec Mayotte et La Réunion. Cette crise aggrave la pression inflationniste sur le monde entier.
Face à cette double menace, quelles mesures envisagez-vous pour défendre nos intérêts ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - En effet, les Houthis menacent la sécurité maritime et le commerce international en mer Rouge. Un navire de la CMA CGM et la frégate Languedoc ont été directement ciblés. Plusieurs compagnies contournent désormais la zone.
C'est une violation du droit international. La résolution du 10 janvier du Conseil de sécurité des Nations unies condamne cette agression.
La France agit en détruisant ces drones civils ou militaires. Les États-Unis ont lancé une opération militaire. Si la France ne s'y joint pas, elle reste coordonnée avec ses alliés et étudie le renforcement de la présence de l'Union européenne en mer Rouge.
Nous agissons avec fermeté et appelons, en même temps, à la désescalade, pour éviter l'embrasement dans la région. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Soutien à l'Ukraine
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Monsieur le Premier ministre, à Kiev, votre ministre des affaires étrangères a déclaré que l'aide à l'Ukraine restait une priorité. Il faut tenir cette promesse. La situation est critique, les crimes de guerre du boucher du Kremlin font vivre un supplice aux civils ukrainiens.
L'armée ukrainienne est aujourd'hui en position de faiblesse, car le soutien des démocraties se résume à : trop peu, trop tard. Si nous avions livré à temps les armes attendues, la Russie n'aurait pu reconstituer ses défenses et faire échouer la contre-offensive de 2023.
Zelensky attend depuis des mois les 60 milliards de dollars bloqués au Congrès par les trumpistes, les 50 milliards d'euros d'une Europe paralysée par ses cinquièmes colonnes - Orbán le collabo, Le Pen et Mélenchon, les chienchiens à leur Poutine, et tant d'autres.
Nos tergiversations mettent l'Ukraine en danger. Sa défaite serait un formidable stimulant pour la Chine face à Taïwan, pour le Dr Folamour de Corée du Nord, pour les mollahs iraniens tueurs de femmes.
Il serait impensable que le prochain Conseil européen du 1er février ne débloque pas la totalité de l'aide promise. Je vous demande d'en prendre l'engagement formel, et de soutenir sans restriction le fonds d'investissement européen en défense de 100 milliards d'euros proposé par le commissaire Breton.
Vous serez jugé sur vos résultats dans notre pays, c'est exact. Mais l'Histoire jugera l'Europe à l'aune de la victoire ou de la défaite de la démocratie en Ukraine, face à l'internationale reconstituée des dictateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC, Les Républicains, du RDSE, du RDPI et du groupe SER ; M. Yannick Jadot applaudit également.)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - Il y a deux ans, au mépris des règles du droit international et de tous ses engagements, la Russie a agressé l'Ukraine - une attaque cynique et meurtrière, visant les civils. La liberté, la démocratie, l'avenir de notre continent sont en jeu.
La Russie espère que l'Ukraine cédera, que ses soutiens se lasseront. Elle se trompe. La Président de la République l'a dit, nous ne faiblirons jamais. Notre détermination est intacte.
Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a réservé son premier déplacement à Kiev. Au nom du Gouvernement, je redis mon admiration pour le peuple ukrainien et salue son courage exceptionnel.
Le Président de la République a annoncé hier la livraison de nouveaux missiles de longue portée et de bombes : ce sera déterminant sur le terrain. En parallèle, nous continuons à former des militaires ukrainiens. Nous poursuivons également notre soutien humanitaire, notamment en matière d'éducation et de santé. La mobilisation de tous est essentielle : État, collectivités locales - je salue leur engagement remarquable - et acteurs privés, engagés pour la reconstruction.
Notre soutien de long terme sera inscrit dans l'accord bilatéral de sécurité que le Président de la République signera avec le président Zelensky lors de son déplacement à Kiev, en février. Il réaffirmera ce soutien vendredi, à Cherbourg, lors de ses voeux aux armées.
La France porte la mobilisation pour l'Ukraine au niveau européen : nous sommes résolus à obtenir un accord sur la facilité pour l'Ukraine lors du Conseil européen extraordinaire du 1er février. L'Union européenne est également déterminée à poursuivre son soutien militaire, et le Conseil de décembre dernier a demandé l'intensification des travaux sur la réforme de la facilité européenne pour la paix.
La Russie a attaqué nos valeurs, remis en cause la démocratie et la liberté. Nous nous tiendrons toujours aux côtés du peuple ukrainien et de nos valeurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC et du RDSE)
Crise de l'ostréiculture
Mme Nathalie Delattre . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Il y a quatre ans, presque jour pour jour, notre collègue Muriel Jourda interrogeait le ministre de l'agriculture de l'époque sur l'aide aux ostréiculteurs, touchés par une pollution au norovirus. Mme Borne, alors ministre de la transition écologique, annonçait 3,6 milliards d'euros pour le traitement des eaux usées, dans le cadre du programme d'intervention des agences de l'eau. Comment ces fonds ont-ils été utilisés ? Car les mêmes causes ont produit les mêmes effets : le préfet a interdit la vente d'huîtres du bassin d'Arcachon le 27 décembre dernier, pour contamination au norovirus.
Le préfet a promis d'accélérer les programmes d'investissement, le ministre Béchu a évoqué des aides à l'investissement. Or il ne s'agit pas d'investir, mais de survivre ! La fermeture pour 28 jours de la zone de production du bassin d'Arcachon a entraîné 5 millions d'euros de pertes sèches, sans parler de la perte de confiance des clients.
Comment aiderez-vous les ostréiculteurs ? Serez-vous épaulés par un ministre de la mer ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Mickaël Vallet et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - C'est un sujet récurrent. À l'issue d'épisodes pluviométriques intenses, des débordements de stations d'épuration et des délestages sur les réseaux d'eaux pluviales saturés ont conduit à la propagation du norovirus, qui entraîne des gastroentérites aiguës, justifiant des mesures d'interdiction temporaire pour protéger la santé des consommateurs. Elles ne sont nullement liées à la qualité du travail des ostréiculteurs, et les coquillages contaminés pourront être à nouveau commercialisés une fois le virus éteint, mais le préjudice économique et le préjudice d'image demeurent.
Des mesures de soutien ont déjà été prises ; d'autres sont à l'étude avec le ministère de l'économie et des finances, comme une exonération de la redevance domaniale, voire des exonérations fiscales ou sociales.
S'agissant des collectivités locales, il faut rappeler le principe pollueur-payeur, qui s'applique pleinement.
Enfin, il faut accélérer sur les investissements et accompagner les collectivités dans les départements concernés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Politique générale du Gouvernement
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Hier, dans un exercice assumé d'autosatisfaction, le Président de la République m'a rassuré : notre pays va bien. Pourtant, dans ma réalité, l'école publique est fragilisée par les absences non remplacées ; l'hôpital public s'effondre - la maternité Jeanne de Flandre à Lille transfère même des patientes en Belgique ; le pays compte cinq millions de pauvres ; le déclassement social frappe ; le logement traverse une crise inédite - sans ministre de plein exercice.
Voilà l'état de la France, et vous en êtes comptable. Le Président de la République est déconnecté du quotidien des Français. Il prône la moralisation et l'ordre pour les citoyens, la dérégulation et le désordre pour les intérêts financiers. Il cultive une amnésie politicienne pour ne pas changer de cap, mais les Français, eux, n'ont rien oublié : ni l'injuste réforme des retraites, ni la stigmatisation des chômeurs, ni la xénophobie de la loi Immigration.
Monsieur le Premier ministre, aurez-vous la lucidité de poser ce constat, et l'audace d'en tirer les conséquences ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
M. Gabriel Attal, Premier ministre . - Manifestement, nous n'avons pas assisté à la même conférence de presse. Les Français, nombreux, qui l'ont écoutée...
M. Bernard Jomier. - Moins que pour ses voeux !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - ... ont entendu un Président de la République lucide sur les difficultés du pays et les défis à relever. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains)
Cette lucidité doit-elle nous empêcher de reconnaître les progrès intervenus ces dernières années ?
M. Hussein Bourgi. - Lesquels ? Le pouvoir d'achat ? La santé ? Le logement ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Nous n'avons pas connu un taux de chômage aussi bas depuis des années. C'est un progrès - non pour le Président de la République, non pour le Gouvernement, mais pour les millions de Français qui ont retrouvé un emploi.
M. Olivier Paccaud. - Tout va très bien, madame la Marquise !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Un million de jeunes en apprentissage, c'est un progrès - non pour le Président de la République, non pour le Gouvernement, mais pour ces jeunes qui trouvent leur voie.
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Je pense aussi aux droits qui ont été ouverts à l'initiative du Président de la République et de la majorité, comme la PMA pour toutes : un progrès, non pour le Président de la République, non pour le Gouvernement, mais pour ces femmes !
Je ne suis pas pour autant aveugle ou sourd à la situation du pays. Je sais les difficultés, les angoisses, les colères de nombreux Français, le découragement de ceux qui n'attendent plus rien, qui vont travailler chaque jour, sans avoir droit à la solidarité nationale, mais sans réussir à s'en sortir seuls...
Je suis conscient que les Français attendent beaucoup en matière de santé et d'accès aux soins. Vous le savez, j'ai été membre du Parti socialiste... (Exclamations sur les travées du groupe SER)
M. Olivier Paccaud. - Personne n'est parfait !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - ... J'ai travaillé auprès de la ministre de la santé. Les budgets consacrés à l'hôpital public depuis 2017, à travers le Ségur de la Santé notamment, on en aurait rêvé ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Françoise Gatel et M. Franck Dhersin applaudissent également ; protestations sur les travées du groupe SER)
Mme Audrey Linkenheld. - On le sait !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Le choix a été fait de soutenir l'hôpital, mais l'argent ne fait pas tout, et nous poursuivons le travail sur les coopérations pour l'accès aux soins. C'est le mandat de Catherine Vautrin.
Sur l'école, il y a de nombreux défis à relever. J'ai montré, comme ministre...
M. Jean-François Husson. - Cela n'a pas duré longtemps !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - ... que j'étais capable de porter un constat lucide et de prendre des décisions fermes, pour faire respecter la laïcité, en tout lieu du territoire...
M. Vincent Éblé. - Quel rapport ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - ... pour remettre de l'exigence et de l'excellence à tous les niveaux. L'école ne doit pas être un tapis roulant faisant passer les élèves de classe en classe. La ministre a pour mandat de décliner le choc des savoirs que j'ai annoncé.
M. Éric Kerrouche. - Le choc, on l'a eu !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. - Je suis lucide sur les difficultés en matière de sécurité : depuis 2017, nous avons recruté 14 000 policiers et gendarmes supplémentaires et investi comme jamais dans la justice, avec un garde des sceaux particulièrement tonique pour obtenir des budgets - je l'ai vu de Bercy. (Sourires) Là aussi, il y a des transformations à poursuivre, pour que le service public de la justice soit au rendez-vous.
Je suis lucide sur ce qu'il reste à accomplir pour la transition écologique. J'ai à coeur d'accélérer sur la planification écologique, qui fait de la France un pays moteur en la matière. (Protestations sur les travées du GEST) Quel pays a manifesté une telle ambition ? Quel pays a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 4 %, comme nous l'avons fait l'an dernier ? Quel pays comparable a un niveau de d'émissions de CO2 par habitant aussi faible que le nôtre ?
Je ne ferai pas ma déclaration de politique générale maintenant (sourires), mais j'ai des choses sur le coeur, et sais que nous aurons de beaux débats au Sénat.
M. Patrick Kanner. - Je ne doute pas de votre sincérité, mais changer de premier violon ne change pas la partition.
Le Président de la République qualifie votre gouvernement de « soldats de l'an II » : je ne voudrais pas qu'ils se transforment demain en cavaliers de l'Apocalypse, installant l'extrême droite dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
L'école, mère des batailles ?
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale (« Ah ! » à droite), de la jeunesse (« Ah ! » à droite), des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques (« Ah ! » à droite). J'espère n'avoir oublié aucune de vos fonctions...
Lors de la passation, le Premier ministre affirmait : « L'école sera la mère des batailles de mon Gouvernement ». Comment comptez-vous concilier refondation de l'école et organisation des Jeux de Paris ?
Quelle image du professeur entendez-vous porter dans la société ? Quel rôle entendez-vous donner à l'enseignement privé sous contrat et hors contrat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; on ironise à gauche.)
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques . - En réunissant les champs de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports dans notre contexte olympique et paralympique, le Président de la République et le Premier ministre m'ont confié un continuum de responsabilités aux synergies nombreuses. (On ironise à gauche.) Au coeur de ce continuum, une ambition : le réarmement civique de notre jeunesse. Et un trésor : l'école. (Mouvements divers)
Je m'appuierai sur trois piliers. Restaurer l'exigence à travers le choc des savoirs impulsé par Gabriel Attal et réaffirmer l'autorité de nos professeurs. Renforcer l'attractivité des métiers en réinventant la formation initiale, en repensant la formation continue, en améliorant l'organisation des remplacements de courte durée, en revalorisant les carrières et les conditions de travail, des enseignants mais aussi des AESH ou des infirmières scolaires.
Mme Émilienne Poumirol. - Il n'y a plus ni médecins ni infirmiers scolaires !
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Construire une école de l'épanouissement républicain, où la peur et le harcèlement n'ont plus leur place, qui promeut les valeurs de la République, le respect de la laïcité et l'engagement à travers le SNU. Une école inclusive, ouverte sur la société et la découverte des métiers. Une école, enfin, qui reconnaît les singularités de nos enfants et fait grandir leurs talents par le sport, l'art et la culture.
Ma détermination : faire réussir la jeunesse, faire réussir toutes les écoles de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; quelques huées.)
M. Max Brisson. - Le Président de la République a fait subir à notre école un véritable zigzag. Jean-Michel Blanquer parlait laïcité, autorité et confiance, avant de constater, impuissant, la dégringolade de notre école. Pap Ndiaye passait par-dessus bord les principes chers à son prédécesseur, s'appliquant, sous couvert de mixité sociale, à saper les derniers espaces d'excellence. Gabriel Attal, en cinq mois et vingt jours, nous a servi une ode quotidienne à l'école - dont nous attendons la traduction en actes.
Ne peut-on fixer un cap et s'y tenir, autour des valeurs de liberté, d'autorité, de mérite et d'excellence ?
M. Bernard Jomier. - Comme à Stanislas ? (Sourires à gauche)
M. Max Brisson. - Avec un tel portefeuille, madame la ministre, la mère des batailles ne risque-t-elle pas, sous le poids de vos responsabilités, de finir noyée ? (Applaudissements et plusieurs « Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains)
Cyclone Belal à La Réunion
Mme Audrey Bélim . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La Réunion a connu, pour la première fois depuis trente ans, le passage de l'oeil d'un cyclone. Quatre personnes ont perdu la vie, et de nombreux habitants sont sinistrés. J'assure de notre solidarité les Mauriciens.
Je salue l'action des élus locaux, mais aussi du préfet et du Gouvernement. L'état de catastrophe naturelle, demandé par les maires, devrait être prochainement reconnu.
Oui, La Réunion a tenu, mais Belal n'est qu'un avertissement de plus : nous devons renforcer la prévention des risques.
À court terme se pose la question de l'accompagnement des collectivités, quand on sait que les dépenses de réparation à Saint-Denis s'élèveront à 6 millions d'euros hors bâti...
À moyen terme, celle de la résilience de notre territoire, alors que de nombreux Réunionnais n'ont plus accès à l'électricité ni à l'eau. Dans une terre de cyclones, comment comprendre que les fils électriques ne soient pas enterrés ? Lutter contre le changement climatique est essentiel, car les tempêtes vont se multiplier.
Pouvez-vous nous dire, non pas ce que vous avez fait, mais ce que vous comptez faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement . - Au nom du Gouvernement, je salue la résilience de la population et la capacité d'intervention des secouristes et des collectivités. Je salue également les habitants de l'Île Maurice.
L'alerte rouge a été levée. Les actions de reconnaissance se poursuivent, comme les opérations de déblaiement. Les réseaux sont en cours de réparation et le réseau routier principal est rouvert. Sur le plan humain, nous déplorons quatre victimes. Le Président de la République a envoyé des renforts de métropole et de Mayotte.
La procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sera accélérée : la commission se réunira dès demain. Le régime des calamités agricoles sera activé, de même que le fonds de secours pour l'outre-mer.
Vous l'avez dit : il faut anticiper. Un groupe a été mis en place au niveau européen, et la France y portera une voix singulière. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Politique familiale
Mme Anne Chain-Larché . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2023, la France n'a compté que 678 000 naissances, en baisse de 7 % en un an et de 20 % en treize ans.
Ce crash de la natalité est destructeur pour notre système économique et social et constitue une menace existentielle, faute de renouvellement des générations. Le recours à une immigration massive serait une très grave erreur, détruisant la cohésion nationale. Le nombre d'enfants désirés par les familles est toujours supérieur aux naissances.
La responsabilité du Gouvernement est immense : le quotient familial a été rogné, les allocations rabotées, les coûts de garde ont augmenté, entre autres. L'annonce d'un congé de naissance de six mois est à côté de la plaque, en supprimant l'actuel congé parental de deux ans et en augmentant les problèmes de garde.
Quelle est votre politique familiale ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement . - Je vous prie d'excuser Catherine Vautrin, retenue à l'Assemblée nationale.
Effectivement, la France accuse une baisse de natalité sans précédent. Les raisons en sont multiples : baisse de la fertilité et difficulté d'accès aux modes de garde.
Des mesures ont été annoncées et mises en oeuvre en 2023 : allongement du congé de paternité, entretiens prénatal et postnatal, recherche contre l'infertilité - qui ne concerne pas que les femmes. Nous avons levé le tabou sur l'endométriose, qui touche une femme sur dix.
Nous irons plus loin : 200 000 solutions de garde nouvelles doivent être trouvées d'ici la fin du quinquennat, et 6 milliards d'euros supplémentaires sont prévus pour la petite enfance. Nous allons renforcer l'attractivité des métiers de la petite enfance, avec des revalorisations salariales.
Le Président de la République a annoncé un nouveau congé de naissance, plus court et mieux rémunéré, pour aider les ménages dans les 1 000 premiers jours de la vie de l'enfant, en rééquilibrant la charge dans le couple. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Anne Chain-Larché. - Cessez de dépenser l'argent public à coup de chèques bidon : investissez pour la petite enfance, soutenez toutes les familles, faites coexister congé court et bien rémunéré et congé long, créez des places en crèches et redonnez un ministère à la famille ! Les familles sont la France de demain. Agissez vite et fort, ou notre pays disparaîtra. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Protection des maires
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Au matin de Noël puis du Nouvel An, Gabriel Bremond, maire d'Éclans-Nenon, dans le Jura, découvre des tags partout dans son village : « Gabriel en porte-jarretelles », « le maire s'envoie en l'air », et j'en passe - des attaques homophobes, d'une violence inouïe. Gabriel Bremond, maire apprécié et solide, a déposé plainte. Ses administrés lui apportent un réconfort salutaire.
On a compté 2 600 agressions d'élu l'an passé, 50 % de plus qu'il y a deux ans. Cette dérive est insupportable.
Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé à Dijon le week-end dernier que votre gouvernement lutterait contre l'homophobie. Les auteurs de ces attaques n'ont peur ni des forces de l'ordre ni de la justice. Notre République ne sait pas protéger ses maires.
Qu'allez-vous faire pour changer la situation ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Nous sommes tous unis par une indignation et une révolte identiques face à cette agression doublement infâme, car elle est de nature homophobe et vise un élu. J'apporte tout le soutien du Gouvernement au maire d'Éclans-Nenon.
Dès mon arrivée au ministère, j'ai pris des circulaires claires pour demander aux procureurs une réponse systématique, ferme et rapide. Les trois budgets, votés par le Sénat, nous permettent de recruter des personnels supplémentaires - cinquante-huit à la cour d'appel de Besançon. J'ai demandé à tous les procureurs de suivre l'issue des plaintes déposées par les élus. Les attachés de justice assurent un lien entre élus et parquets.
Pour vous rassurer, voici quelques chiffres : en 2022, le taux de réponse pénale des agressions contre les élus s'élève à 98 %, la peine est à 51 % de la prison ferme quand la victime est un élu - 25 % dans le cas général. Le taux de déferrement est cinq fois plus élevé, et le mandat de dépôt quatre fois plus, quand la victime est élue.
Le combat continue, et notre engagement est total. S'attaquer à un élu, c'est s'attaquer à la République. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes INDEP et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Sylvie Vermeillet. - Trop de plaintes sont encore classées sans suite. La clé, c'est la fermeté et la sanction. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Transition écologique et logement
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Le Conseil d'analyse économique (CAE) a rappelé que l'étiquette énergie des logements de A à G repose en réalité sur des calculs théoriques et une modélisation approximative.
Le diagnostic de performance énergétique (DPE), véritable Graal climatique, ne reflète ainsi pas la consommation réelle des logements. Or c'est lui qui aggrave une crise du logement sans précédent en interdisant la mise en location de tous les logements G+ depuis le 1er janvier 2023, alors que l'algorithme est biaisé. Que dites-vous aux propriétaires et locataires qui en font les frais ? Quelque 11 millions de logements classés F et G vont être interdits à la location dans les dix ans.
Cette machine à exclure retombera encore sur les maires, qui sont dépassés. Monsieur le ministre, comment remplacer cet outil défaillant ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Le rapport du CAE ne dit pas exactement cela : plus les gens sont dans des passoires thermiques, moins ils chauffent. À l'inverse, lorsqu'un logement est bien isolé, ils peuvent avoir tendance à trop se chauffer. L'enquête a concerné 170 000 logements. Les étiquettes sont donc cohérentes - lisez le rapport et pas seulement les articles de presse.
La rénovation des logements est nécessaire pour des questions climatiques et de pouvoir d'achat. Vous mélangez les chiffres des propriétaires occupants, des logements vacants, des résidences secondaires, alors que seuls les locataires sont concernés par l'interdiction.
Enfin, il y a des marges d'amélioration, notamment sur la formation des diagnostiqueurs. Je ferai des annonces pour corriger des biais pour les DPE de surfaces inférieures à 40 mètres carrés. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)
Mme Laurence Muller-Bronn. - Ce n'est pas la première fois qu'on fonde une politique majeure sur des modélisations fumeuses. Hier, j'ai entendu le Président de la République s'inquiéter de la baisse de la natalité. Mais la première sécurité pour élever des enfants, c'est le logement ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
Enseignement public et privé
Mme Colombe Brossel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.) Madame la ministre de l'éducation nationale, à l'heure où vos propos ont choqué, blessé la communauté éducative, parlons de l'école de la République : l'école publique, laïque, gratuite et obligatoire, celle qui scolarise 80 % des élèves, d'où qu'ils viennent.
C'est vers elle que votre énergie devrait être tournée. Car les défis sont immenses, alors que vous êtes au pouvoir depuis plus de six ans.
Vous avez, de fait, posé la question des parts de marché, de la concurrence entre l'enseignement public et l'enseignement privé. Une concurrence qui n'est même pas libre et non faussée : aucun contrôle n'est opéré des financements d'État, qui représentent plus de 70 % du budget de l'enseignement privé. La Cour des comptes, tout récemment, a rappelé au Gouvernement ses obligations en la matière.
Quels moyens allez-vous enfin donner à l'école publique pour la renforcer ? (Applaudissements à gauche)
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques . - On ne doit pas opposer l'école publique et l'école privée. (Nombreux sarcasmes à gauche)
M. Pierre Ouzoulias. - C'est une autocritique !
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Depuis la loi Debré, qui établit la liberté d'enseignement, notre pays vit bien avec une école publique et une école privée, qui accueillent respectivement dix et deux millions d'élèves et concourent au service public de l'éducation.
Dans les établissements privés, les programmes et volumes horaires sont les mêmes que dans le public ; dans tous les établissements sous contrat, les enseignants sont recrutés avec les mêmes exigences qu'à l'école publique.
La moitié des familles ont eu recours au moins une fois à l'enseignement privé pour au moins un de leurs enfants : ne stigmatisons donc pas. (Exclamations ironiques à gauche)
M. Hussein Bourgi. - Répondez sur les moyens !
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Faisons en sorte que les choix ne résultent pas de déceptions ou de frustrations, mais d'une adhésion libre.
Pour l'école publique, j'ai la plus grande des ambitions (murmures dubitatifs à gauche), à commencer par l'exigence, à travers le choc des savoirs et l'autorité renforcée des professeurs. Je poursuivrai à cet égard les réformes impulsées par Gabriel Attal, notamment sur la revalorisation des carrières et l'organisation des remplacements.
Plusieurs voix à gauche. - Avec quels moyens ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Pour l'école privée, je veillerai à ce qu'elle soit toujours au rendez-vous des principes et valeurs de la République. Nous y renforcerons, aussi souvent que nécessaire, le contrôle pédagogique. (Exclamations sur des travées du groupe SER)
Dans tout notre service public de l'enseignement, nous devons assurer la cohérence de l'offre éducative et la mixité.
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas la priorité de l'école privée...
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Avec toute la communauté éducative, nous ferons réussir toutes les écoles de notre pays.
M. Max Brisson. - Langue de bois !
Mme Colombe Brossel. - Il n'est peut-être pas d'usage de parler avec son coeur dans un hémicycle.
M. le président. - Si, ma chère collègue... (Sourires)
Mme Colombe Brossel. - Pourtant, je vous dirai qu'il est troublant que vous soyez incapable de répondre à ma question, pourtant simple.
Vous vous êtes mise toute seule dans une situation de polémiques et de mensonges. L'impuissance que vous projetez est délétère, alors qu'enfants, enseignants et parents ont besoin de confiance. Les solutions existent : recrutez des remplaçants dans le primaire, annulez les suppressions de postes prévues pour cette année ! La mixité, dites-vous ? Nous la faisons vivre dans nos territoires, avec les secteurs multicollèges ou l'adossement du financement au privé à la mixité.
Prenez vos responsabilités : l'école de la confiance, c'est la confiance dans l'école publique ! (Applaudissements nourris à gauche)
Filière pêche
M. Jean-François Rapin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À partir du 22 janvier, des centaines de pêcheurs français du golfe de Gascogne seront empêchés d'exercer leur activité pendant un mois ; 600 navires sont concernés.
Ce mois sans pêche, qui ne concerne que les pêcheurs français, a été proposé par le Gouvernement et durci par le Conseil d'État, sous la pression des associations environnementales. Il s'agit de préserver les populations de petits cétacés des prises accidentelles.
C'est un nouveau coup porté à une filière qui tente, depuis des années, de surmonter les obstacles dressés face à elle : conséquences du Brexit, plan de sortie de flotte, envolée des prix du gazole, quotas de plus en plus restrictifs. La pêche française est en voie de disparition.
Nos marins et leurs familles continuent à souffrir, malgré les efforts consentis depuis trente ans. Alors qu'ils s'équipent progressivement pour satisfaire à toutes les contraintes imposées, l'incompréhension les gagne. On prétend valoriser le travail, mais on les empêche de travailler ! Les importations sont en hausse : en Bretagne, on envisage d'importer par avion du poisson pêché à 8 000 km de nos côtes...
La plateforme d'indemnisation atténuera partiellement la douleur pour une partie de la filière. Mais compenser n'est pas une perspective d'avenir.
Après l'industrie et l'agriculture, notre pêche souffre. Pour préserver notre autonomie, il est grand temps de changer de cap. Qu'avez-vous à dire aux pêcheurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC ; Mme Annick Girardin et M. Philippe Grosvalet applaudissent également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - L'émotion dont vous faites état est née de la décision du Conseil d'État du 22 décembre dernier, censurant une tentative de concilier poursuite de la pêche et préservation du dauphin et du marsouin.
Ce compromis reposait sur un arrêté spatiotemporel, avec des dérogations liées à des équipements. Mais une controverse scientifique existe : certains répulsifs sonores attireraient au contraire les dauphins... Les chiffres sont préoccupants : plus de 1 000 échouages, donc entre 5 000 et 10 000 cétacés qui meurent. La viabilité des espèces est en jeu. (Mme Annick Girardin le conteste.)
À la suite de cette décision, nous devons accompagner la filière et construire un équilibre. Je n'ignore pas que, pour les femmes et les hommes dont nous parlons, pêcher n'est pas seulement un gagne-pain : c'est une vocation et un mode de vie. Nous continuerons de nous battre pour les compensations et nous nous retrouverons rapidement avec les acteurs de la filière pour préparer l'avenir de façon constructive. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-François Rapin. - Vous avez répondu techniquement à ma question, je vous en remercie. Reste l'enjeu des familles. La pêche restera un sujet d'actualité prégnant - je pense aux conséquences du Brexit dans la Manche et la mer du Nord. Ces enjeux ne sont-ils pas suffisamment importants pour justifier un ministère de la mer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Mickaël Vallet et Franck Montaugé applaudissent également.)
Retraites agricoles
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voilà un an, un texte était adopté à l'unanimité dans les deux chambres. Olivier Dussopt, alors ministre du travail, avait déclaré au Sénat : les agriculteurs et, plus largement, les Français nous attendent sur cet horizon de justice sociale.
Ce texte, c'est celui qui prévoit le calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années. La loi du 13 février dernier dispose que, dans un délai de trois mois, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les modalités de sa mise en oeuvre, qui comporte tous les éléments permettant à la Mutualité sociale agricole (MSA) de lancer ce chantier considérable.
Or de rapport, point... Les associations professionnelles agricoles et la MSA alertent : le dispositif ne sera probablement pas opérationnel dans le délai prévu. Quand ce rapport nous sera-t-il remis ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - L'enjeu est d'importance, pour la justice et la reconnaissance, mais aussi l'attractivité de la profession.
Collectivement, nous avons déjà avancé : lois Chassaigne 1 et 2, revalorisation de la pension minimale, calcul plus équitable de cette pension. Rappelons que les personnes concernées sont à 70 % des femmes. La réforme des retraites a aussi permis des améliorations - je pense aux exploitants partis en retraite au titre du handicap ou de l'invalidité.
Sur le texte de Julien Dive, mon ministère, à l'époque, avait estimé que le délai nécessaire serait de trois mois. Mais des données manquent, la reconstitution des carrières est difficile. Le rapport sera rendu public au début du mois de février. (M. Loïc Hervé s'en félicite.)
Le sujet est très complexe : il y a un risque de perdants. J'assume donc que nous ayons pris le temps de bien faire les choses.
Il y a deux pistes : n'appliquer la réforme qu'aux nouveaux entrants ou procéder à une double liquidation - pour avant et pour après 2016. Nous en reparlerons, mais nous touchons au but pour rendre justice aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Nadia Sollogoub. - Je suis très contente : je ne m'attendais pas à une parution imminente... Nous resterons attentifs, car beaucoup de temps a été perdu. Nous attendons un aboutissement rapide sur ce sujet très important. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente