Amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, présentée par Mme Cathy Apourceau-Poly, Mme Éliane Assassi, Mme Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE-K.
Mme Silvana Silvani, auteure de la proposition de loi . - Point de malentendu : une loi d'amnistie ne contrevient pas à la séparation des pouvoirs ; nous ne remettons pas en cause les jugements passés. Nous demandons seulement que des hommes et femmes soient amnistiés. Cette tradition remonte aux lois constitutionnelles de 1875. Chaque nouvelle législature s'attache à s'ouvrir à la clémence par la réconciliation nationale, comme Victor Hugo plaida en 1876 pour l'amnistie des communards : « Les sociétés humaines, douloureusement ébranlées, se rattachent aux vérités absolues et éprouvent un double besoin, le besoin d'espérer et le besoin d'oublier. (...) Je demande l'amnistie. Je la demande dans un but de réconciliation. »
L'amnistie des communards prit effet le 14 juillet 1880, réintégrant les révolutionnaires parisiens dans le camp de la République. Le 7 juin 1936, l'amnistie figure parmi les premiers projets de loi du Front populaire. Le 23 mai 1968, le Sénat vote l'amnistie pour les délits liés aux « événements ». À différentes époques, pour préserver l'action syndicale, le législateur a considéré que les peines liées à l'action militante dans un contexte exceptionnel ne devaient pas perdurer.
Ce texte propose l'amnistie pour les infractions punies de moins de dix ans commises lors de conflits du travail, à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives ; elle ne concerne en rien les casseurs. Nous proposons d'amnistier aussi les sanctions disciplinaires, dont la mention serait retirée des dossiers. C'est une possibilité ouverte par le Conseil constitutionnel depuis le 20 juillet 1988, dans un but d'apaisement. Nous demandons également la réintégration des salariés licenciés, comme le prévoit la loi du 20 juillet 1988. Enfin, nous demandons la suppression de toutes les informations nominatives et empreintes digitales des militants collectées pendant les manifestations contre la réforme des retraites. Ce fichage, initialement réservé aux délinquants sexuels, a été élargi à la dégradation de biens. On assimile ainsi les syndicalistes à des criminels !
Notre groupe s'inscrit dans une longue tradition sociale et républicaine. Le préambule de la Constitution de 1946 protège l'action collective, attaquée de toutes parts. Ce droit inhérent à toute démocratie est remis en cause par la répression du Gouvernement et les stratégies d'intimidation du patronat, menaces de barbouzes recyclés en milices, comme au temps du Service d'action civique (SAC).
Nous nous insurgeons contre la criminalisation de l'action revendicative. J'ai une pensée pour ces militants, pour Alexandre Pignon, postier à Perpignan et secrétaire départemental de la fédération des activités postales des Pyrénées-Orientales, visé par une plainte pour entrave à la liberté de travail ; pour les dix salariés de Sonelog, dans le Vaucluse, licenciés pour faute lourde après avoir fait grève ; pour Loris Taboureau, employé de Disneyland Paris qui demandait des hausses de salaires et de meilleures conditions de travail ; pour Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT, et pour bien d'autres.
Près de mille militantes et militants sont sous la menace de licenciement, de sanction disciplinaire, de convocation ou de poursuites judiciaires. On leur reproche d'avoir défendu un idéal, des convictions en faveur d'une société plus juste, égalitaire, humaniste et écologiste. Ils s'opposent avec leurs moyens à la destruction de notre société mais sont considérés comme des délinquants. Or ils n'usent que de leur droit à la parole et à la résistance. Les pratiques antisyndicales ne sont pas un phénomène isolé : selon le Défenseur des droits et l'Organisation internationale du travail (OIT), 46 % des personnes interrogées estiment avoir été discriminés à cause de leur action syndicale et 67 % perçoivent cet engagement comme un risque professionnel. L'engagement syndical est ainsi délégitimé par le patronat.
Le Gouvernement n'est pas en reste. En réponse aux concerts de casserole, des interdictions préfectorales ! À l'usage disproportionné de la force se sont ajoutées des sanctions administratives et pédagogiques pour les élèves qui s'opposaient à la réforme des retraites.
Mais qui sont les fauteurs de troubles ? Les patrons voyous qui délocalisent, ou les femmes et les hommes qui luttent pour leurs droits ?
Nous vous demandons d'amnistier les faits commis lors de conflits du travail, de manifestations et d'actions syndicales.
Monsieur le ministre, la liberté de manifester et la liberté syndicale sont essentielles à la démocratie. Le ministère du travail doit protéger les syndicats plutôt que d'adresser un vade-mecum « sur l'autorisation administrative des licenciements pour fait de grève des salariés protégés ou de représentants du personnel. »
Pour une société plus juste et solidaire, votez cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pascal Martin applaudit également.) Selon l'article 34, alinéa 4 de la Constitution, l'amnistie relève du domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel a rappelé que le législateur peut enlever tout caractère délictuel à des faits pénalement répréhensibles, en effaçant les sanctions, sans préjudice aux tiers selon l'article L. 133-10 du code pénal.
Les lois d'amnistie poursuivent deux finalités : le retour à la paix civile - comme après la guerre d'Algérie, ou en 1990 en Nouvelle-Calédonie ; le désengorgement des juridictions de contentieux de masse de faible importance - cas des lois d'amnistie votées après les élections présidentielles jusqu'à Jacques Chirac.
Or les lois d'amnistie des années 1980 ont été critiquées. Depuis 1990, aucune loi d'amnistie en lien avec des événements ou un territoire particulier n'a été adoptée. Celles qui suivaient les élections sont abandonnées depuis 2002. L'impunité, même pour de simples infractions à la sécurité routière, n'est plus tolérée. De nombreuses infractions sont exclues du champ de l'amnistie.
Cette proposition de loi soulève plusieurs critiques. La notion de « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux » est mal définie, alors que la loi pénale est d'interprétation stricte.
De plus, le champ de l'amnistie est trop large ; elle ne concernerait pas seulement les manifestants, mais aussi ceux qui se joignent à eux - je parle des casseurs. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Elle s'étend ainsi aux délits, mais aussi à toutes les sanctions disciplinaires envers les salariés, des élèves ou des étudiants.
Des exceptions sont prévues, comme à l'article 3, pour les étudiants ayant commis des faits de violence : ils ne pourront être réintégrés. Les fautes lourdes ayant conduit à un licenciement, les violences contre les personnes dépositaires de l'autorité publique et ayant provoqué une incapacité de travail totale (ITT) ou envers des personnes mineures ou vulnérables ne peuvent être amnistiées. En revanche, des actes de vol et ayant entraîné des ITT le seraient.
Ainsi, la proposition de loi paraît aller bien au-delà de la protection du droit à l'action collective. La commission des lois a estimé qu'elle est une réponse intéressante, mais non souhaitable, aux troubles récents.
Les dispositions actuelles encadrant l'action publique sont suffisantes pour protéger les salariés et les élèves dans leurs actions revendicatrices. Une amnistie générale n'est pas adaptée. La commission vous invite à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Cette proposition de loi a pour objet d'amnistier contraventions et délits punis de moins de dix ans d'emprisonnement commis lors de conflits du travail, d'activités syndicales ou de mouvements revendicatifs, associatifs et syndicaux.
En droit, la sémantique compte double. Amnestia signifie, en grec et latin, oubli : une amnésie législative. Ce fut le cas pour rétablir la paix civile, par exemple, en Algérie. Puis on a vu des amnisties générales, pratiquées par la gauche comme la droite, de 1981 à 2002 à la suite des élections présidentielles, une forme de solde de tout compte. Cette tradition s'est éteinte en 2002. Il n'est pas opportun de ressusciter un oubli qui s'apparente, non à un pardon, mais à un renoncement coupable qui affaiblirait l'autorité de l'État et l'indépendance de la justice.
En 2023, une telle loi ne ferait qu'aggraver la discorde et nourrir l'impunité, alors que le dialogue social a été renoué lors de la grande conférence sociale.
La proposition de loi pose deux difficultés majeures. Tout d'abord, elle amnistierait un champ d'infractions très larges - comme le vol suivi de violences sur autrui ayant entraîné une ITT de huit jours, puni de sept ans d'emprisonnement. Un vol commis lors d'une manifestation serait amnistié, point.
M. Pascal Savoldelli. - C'est une approche conjoncturelle !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Les circonstances évoquées laisseraient planer le doute sur des faits méritant une réponse pénale.
« À l'occasion de mouvements collectifs revendicatifs » est une notion trop large, dont les effets de bord n'ont pas été mesurés. Les événements de juillet seraient-ils concernés ? Certains de vos alliés politiques ont parlé de « révolte populaire » ! (Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.)
Mme Cécile Cukierman. - Ils ne sont pas ici !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même le Syndicat de la magistrature s'y associe.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Jaloux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La notion est trop large et fait planer le doute. Or il n'y a aucun doute : ce n'était pas une révolte, mais des délinquants très jeunes. Il fallait absolument rétablir l'ordre républicain, comme je le demandais dans ma circulaire du 5 juillet 2023, pour une réponse ferme, rapide et systématique (M. Éric Dupond-Moretti frappe son pupitre), et qui engage la responsabilité des parents. Je remercie les magistrats et greffiers qui nous ont permis, avec les forces de l'ordre, de rétablir l'ordre en un temps record.
C'est souvent au prétexte de mouvements collectifs que se sont produits des actes de pillage et de vandalisme, qui n'ont rien à voir avec l'expression légitime de revendications collectives.
Ma politique pénale est ferme et claire : oui au droit de manifester, non au droit de tout démolir et de s'en prendre aux forces de l'ordre.
M. Pascal Savoldelli. - C'est binaire !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Manifester, oui, détruire, non !
Cela m'a valu une contre-circulaire, Canada Dry, du Syndicat de la magistrature... Mais le seul qui conduit la politique pénale et en est responsable devant le Parlement, c'est le garde des sceaux. (Marques d'approbation à droite)
Il n'est pas souhaitable que des personnes ayant commis des délits passibles de dix ans d'emprisonnement soient amnistiées. Pas d'amnistie pour les casseurs et les vandales qui se repaissent du désordre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - On travestit la réalité !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vos dispositions n'ont rien d'un remède. Elles instillent le poison d'une justice qui ne serait pas indépendante. Les juges le sont, et c'est très bien ainsi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Elles provoqueraient la stupéfaction chez nos compatriotes témoins des pillages. Vous creuseriez un nouveau fossé parmi nos concitoyens, entre ceux attachés à la stabilité républicaine et ceux qui guettent la moindre faiblesse des institutions.
Manifester est un droit fondamental, mais dans le cadre de la loi que nous devons tous respecter. Pensez aux commerçants qui ont vu leurs vitrines détruites pendant l'épisode des gilets jaunes ou lors de la réforme des retraites.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Est-ce la faute des syndicalistes ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Comment le comprendraient-ils ? Ce n'est pas le bon message.
M. Pascal Savoldelli. - Ce n'est pas terrible...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Les signataires de la proposition de loi indiquent vouloir amnistier le secrétaire général de la Fédération des mines et de l'énergie de la CGT.
Mmes Cathy Apourceau-Poly et Céline Brulin. - Exactement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'affaire est en cours, je ne puis la commenter.
M. Pascal Savoldelli. - Mais quand même...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La justice tranchera en toute indépendance. Mais, vous, auteurs de la proposition de loi, avez-vous réfléchi aux conséquences de votre texte ?
En effet, seraient nécessairement amnistiés les individus ayant caillassé, place de la Nation, des camions et des militants de la CGT le 1er mai 2021, faisant une vingtaine de blessés !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il est malin !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En outre, aucune exception pour les infractions sexistes, homophobes, racistes ou antisémites : on amnistierait donc les auteurs de slogans comme « Mort aux juifs ! » (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Pascal Savoldelli. - Un minimum de respect ! Vous vous croyez où ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Des manifestations ont dégénéré ! Selon vous, toutes les infractions périphériques doivent être amnistiées ? Vous n'avez pas réfléchi aux effets de bord.
M. Pascal Savoldelli. - Qu'est-ce que cela veut dire ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous dévoyez notre proposition de loi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nullement ! Je suis en plein dedans : selon votre texte, un vol serait amnistié. Cela, le Gouvernement n'en veut pas !
Dans ma circulaire du 10 octobre dernier relative à la lutte contre les infractions susceptibles d'être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre, j'ai demandé au Procureur de la République de la sévérité contre l'apologie du terrorisme et l'antisémitisme comme contre les propos sexistes, antimusulmans ou homophobes. Je le dis de façon claire et définitive : l'amnistie serait inacceptable.
Votre proposition de loi n'exclut pas non plus les incitations à la haine, à la violence envers les forces de l'ordre ou les élus : seuls sont exclus les actes entraînant une ITT ! C'est inacceptable, alors que le débat public se radicalise et que les discours de haine se répandent.
Les victimes d'infractions et la majorité des Français attendent que la justice, qui bénéficie désormais de moyens inédits - j'en remercie le Sénat -, sanctionne les infractions. En temps de paix, c'est la justice indépendante qui est garante du pacte social, pas une loi d'amnistie. (M. Stéphane Le Rudulier applaudit.)
Rappel au Règlement
Mme Cécile Cukierman. - Mon rappel se fonde sur l'article 36 du Règlement du Sénat.
L'initiative parlementaire est un droit, monsieur le garde des sceaux. Bien sûr, elle est perfectible. Le droit d'amendement est un autre droit fondamental. Si, comme nous, vous avez à coeur de défendre notre République, sociale selon la Constitution, et si vous considérez que notre texte présente des écueils, si vous souhaitez préserver les corps intermédiaires, proposez des amendements !
Notre travail, ici, a toujours été constructif. Nous ne sommes pas et n'avons jamais été les porte-parole d'organisations syndicales - réglez avec elles les griefs que vous leur adressez.
En outre, nous ne pouvons accepter votre amalgame mettant sur le même plan syndicalistes et casseurs ou pillards. Nous ne pouvons pas non plus accepter votre sous-entendu selon lequel nous permettrions des propos antisémites ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Mélanie Vogel applaudit également.) Ce n'est pas notre histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Sébastien Fagnen applaudit également.)
M. le président. - Acte est donné de ce rappel au Règlement.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je n'ai jamais dit que vous portiez ces valeurs. En revanche, votre proposition de loi permet d'amnistier toutes les infractions commises dans le cadre de manifestations. J'ai cité des exemples : sans dire que vous approuvez le vol, j'ai dit qu'il serait amnistié... (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Pascal Savoldelli. - Où sommes-nous ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - ... s'il est commis dans le cadre d'une manifestation sociale. C'est votre texte ! Je ne puis pas l'approuver.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Déposez des amendements !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Mais vous ne les ferez jamais vôtres.
Je connais votre histoire. Mais si, demain, des propos antisémites ou sexistes sont tenus, ils seront amnistiés ! Permettez que j'exprime mon désaccord.
Discussion générale (Suite)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'amnistie est une tradition ancienne, issue de la grâce et que la République s'est appropriée. Selon Victor Hugo, elle est « la porte de la clémence ouverte par la force ». Mais elle ne va pas de soi : pour Hervé Bazin, elle est « l'expédient des gouvernements faibles. »
Cette tradition semble morte depuis 2002, mais des collègues du groupe Les Républicains la défendent parfois pour les petites infractions routières. Dans le contexte de nombreux combats syndicaux - Continental, les « 5 de Roanne »... -, le Sénat avait adopté en février 2013 une proposition de loi soutenue par François Patriat, Jean-Michel Baylet, Jacques Mézard, Patricia Schillinger ou encore Gérard Collomb - pas des partisans de la chienlit...
Pour jauger cette nouvelle initiative, interrogeons-nous sur le contexte. Le règne d'Emmanuel Macron n'est pas de tout repos sur le plan social, avec l'épisode catastrophique des retraites, lourdement réprimé. Nous comprenons l'objectif de nos camarades : réamorcer la tradition de l'amnistie sociale.
Actuellement, les tensions sont encore accrues et le recours à la violence comme moyen d'action politique est exacerbé - en témoignent les black blocs et la détermination grandissante des mouvements écologistes contre les méga bassines, notamment à Sainte-Soline. En réponse, le Gouvernement multiplie les lois liberticides et nourrit les tensions par un maintien de l'ordre discutable. Aussi les droits des Français sont-ils largement mis à mal, malgré la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946.
Le droit de manifester n'est aucunement un droit à casser, nous ne cautionnons ni violences ni heurts. Tous, ici, sommes partisans de l'ordre public. Mais les faits de violence ne peuvent être décorrélés du contexte, presque inédit ces temps-ci : pandémie, guerre en Ukraine, aux portes de l'Europe, recrudescence des conflits sur le globe.
Ce climat anxiogène alimente le ressentiment contre un gouvernement perçu comme impuissant. Hélas, ce ressentiment devient parfois violence. Nul ici ne la cautionne, mais, alors que notre nation est plus divisée que jamais, nous ne saurions refuser de balayer la main tendue envers ces personnes pleines de colère ou de dépit.
Ainsi, ce texte se limite aux infractions punies de moins de dix ans.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est énorme !
M. Jérôme Durain. - Et l'amnistie n'empêche pas la réparation des actes subis.
L'intimidation, la discrimination et la criminalisation des représentants syndicaux sont indignes de notre État de droit. Monsieur le garde des sceaux, nous prenons acte de votre appréciation selon laquelle l'article 1er est trop large. Certes, la proposition de loi de 2013 était plus précise que l'actuelle : des militants d'extrême droite pourraient bénéficier de ce dispositif dans le cadre de manifestations contre les migrants. Mais cette proposition de loi a au moins le mérite de mettre en exergue le besoin vital d'apaisement de notre population.
En raison des risques juridiques que pourrait lever l'Assemblée nationale dans une navette, nous opterons pour une abstention bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le texte pose une question de fond : le législateur peut-il amnistier des délits commis dans le cadre de mouvements sociaux ? Certes, le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève comme fondamental, mais celui-ci s'articule avec d'autres principes, comme l'ordre public.
Comme l'a souligné Jean-Michel Arnaud, la proposition de loi est trop évasive, et les exceptions s'en trouvent quasi inapplicables.
Évitons tout malentendu : si le droit syndical, le droit de grève et de manifester entraînent des procédures disciplinaires et des licenciements abusifs, ils doivent être évidemment contestés devant les juridictions compétentes. (M. Éric Dupond-Moretti manifeste son approbation.) Légiférons, le cas échéant, sur les voies de recours si celles-ci sont insuffisantes. Mais ces dérives, aussi condamnables soient-elles, ne sauraient justifier une énième loi d'amnistie. (M. Jean-Claude Anglars acquiesce.) Comme le disait le juge Diplock, n'utilisons pas un « marteau-pilon pour casser une noix, si le casse-noix suffit. »
Loin de moi l'idée de remettre en cause le droit de manifester, les droits syndicaux ou le droit de grève. Mais de ces droits ne peuvent découler le chaos ou une répression effrénée. Ce texte offense la plupart de nos concitoyens, qui manifestent leur mécontentement sans heurts ni violences.
En outre, s'il s'agit de ramener le syndicalisme vers son âge d'or avec une promesse d'impunité, vous faites fausse route, chers collègues. Le contexte actuel exige au contraire un surcroît de responsabilisation des représentants syndicaux : respect du dialogue plutôt qu'entêtement au désordre.
L'amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale, voire de pacification des mémoires. Le pardon des pouvoirs publics intervient quand l'ordre public a failli. Or la France n'en est pas à un tel point.
En tout état de cause, l'amnistie ne saurait être une autorisation donnée à la violence ; ce serait un bien mauvais signal adressé à nos concitoyens. Pourquoi respecter la loi si nous cédons - même ponctuellement - à la tentation ? L'amnistie revient à demander au législateur de méconnaître la législation en vigueur. Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi est remis en cause. Enfin, c'est aussi le rôle du juge qui est nié. Les lois d'amnistie perturbent l'équilibre des pouvoirs.
Une dérive judiciaire ne saurait répondre à la potentielle dérive autoritaire dénoncée par le texte, dans une forme de schizophrénie judiciaire. Notre Haute Assemblée ne peut l'accepter. Le groupe Les Républicains est, par principe, hostile à toute loi d'amnistie, et votera contre cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Jacques Grosperrin. - Bravo !
M. Christopher Szczurek . - La détérioration des conditions de vie a fatalement conduit à l'explosion sociale, jusqu'aux classes moyennes, que l'on a trop longtemps cru préservées.
Le recul de l'âge de la retraite a été la légitime cause de manifestations, durant lesquelles des membres de mouvements radicaux et anarchistes ont systématiquement causé des violences. Pire que l'impunité, cette proposition de loi légitimerait les violences, qui nuisent aux contestations sociales, des gilets jaunes aux retraites.
Plus récemment, la mort de Nahel montre que même un tel événement, si douloureux soit-il, est le prétexte à un déferlement de violence. Or l'émotion suscitée par cet événement n'a joué qu'un rôle minoritaire dans les motivations des pillards.
Derrière eux, il y a surtout des victimes, dont il faut réparer le préjudice. Derrière chaque casseur, on trouve un artisan privé de ses locaux ou un ouvrier privé de sa voiture. Leur cause sera toujours plus forte et plus juste que celle du délinquant et du vandale.
Si la gestion du pays par Emmanuel Macron est aussi horripilante que désespérante (Mme Patricia Schillinger manifeste sa désapprobation), rien ne justifie les pillages - je parle comme élu national, mais aussi au nom de ceux qui, comme moi, fils de syndicaliste, ne veulent plus voir les luttes sociales décrédibilisées. Le droit à manifester, constitutionnel, n'est pas un droit à l'insurrection.
Il y a des profiteurs de crises financières comme il y a des profiteurs de crises sociales : de grâce, combattons-les tous !
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Franck Menonville applaudit également.) Notre pays a traversé des mouvements de contestation majeurs en 2023, certains suscitant des actes de violence choquants pour nos concitoyens. Le professionnalisme des forces de l'ordre a permis d'éviter des drames, de justesse ; mon groupe leur rend hommage. Des centaines de leurs membres ont été blessés durant les manifestations contre la réforme des retraites.
Les mêmes scènes de chaos se sont reproduites lors de la création des mégabassines. S'il est légitime que les oppositions s'expriment, je rappelle que ces projets ont été décidés démocratiquement ; des recours étaient possibles. Nous sommes en démocratie, ne l'oublions pas.
Armés de battes de baseball et de barres de fer, les fanatiques sont là pour casser : de la bassine ou du flic. C'est inacceptable. Au-delà de l'imprécision de la proposition de loi, comment imaginer que la circonstance d'un mouvement collectif exonère de toute condamnation ? Le droit de grève ne s'étend pas à la commission d'infractions.
Au contraire, cette circonstance est aggravante, non atténuante. La commission d'infraction est facilitée dans les attroupements, et leurs conséquences souvent plus graves.
Par ailleurs, la présence d'écharpes tricolores dans certaines manifestations nous a consternés. Ceux qui encouragent à enfreindre les lois n'ont pas leur place dans les Chambres qui les votent. La loi s'applique à tous. La défense des droits des individus doit s'exercer dans les urnes, non dans la rue.
« Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes » disait Benjamin Constant. La contestation ne peut s'en affranchir. Le groupe INDEP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'ai fait mes études de droit sous la houlette de Jean-Jacques Dupeyroux, avec Maurice Cohen. J'ai suivi le progrès des lois Auroux à l'Assemblée nationale : je me souviens des syndicats jaunes et le recours du jeune député Alain Richard pour annuler l'article infâme autorisant le vote plural lors des élections prud'homales...
Robert Badinter disait que « les notables vieillissants parlent d'eux dans leur discours » : voilà que cela m'arrive... (Sourires)
On imagine difficilement une société dans laquelle le droit d'exprimer son mécontentement serait entravé par des mesures coercitives : c'est ce qui distingue une démocratie d'une dictature. C'est pourquoi le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève - mais pas le droit à la violence. Au vu des faits survenus lors des manifestations contre la réforme des retraites, une telle proposition d'amnistie peut paraître séduisante : nous ferions table rase du passé. Mais le pardon ne peut viser des agissements contraires à l'ordre républicain. Certes, le texte exclut de l'amnistie les violences commises contre les personnes dépositaires de l'autorité publique, mais il ne dit rien des autres violences.
L'amnistie est un geste de pardon, mais ne saurait autoriser les débordements de toute sorte. Ce serait un signal de bien mauvais augure adressé aux manifestants et, plus largement, à tous nos concitoyens. (M. le ministre acquiesce.)
Le principe même d'une amnistie crée un appel d'air : dès lors, pourquoi respecter la loi ? Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi doit ici s'appliquer, tout comme le principe du respect de l'ordre public. En dépit du travail réalisé par les auteurs du texte, il n'y a pas de consensus au sein du Parlement autour de cette proposition.
Si nous comprenons - et même partageons parfois - la colère sociale, son expression doit rester dans les lois de la République.
Le rapporteur, dont je salue le travail, a rappelé que la commission des lois était défavorable à l'adoption du texte. Le groupe UC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
Mme Mélanie Vogel . - (M. Thomas Dossus applaudit.) Je remercie le groupe CRCE-K d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour du Sénat. Cette proposition de loi intervient à un moment particulier : alors que le Gouvernement se montre incapable de répondre aux crises, que les élus échouent à protéger l'intérêt général et à permettre à chacun de manger à sa faim et d'envisager un avenir commun sur une planète vivable, ce sont davantage les manifestants, les syndicalistes, les militants, les mouvements sociaux, qui sont attaqués, plus que les pollueurs, les évadés fiscaux, les exploiteurs, les racistes et les sexistes.
Alors que l'État faillit, ce sont ses enfants qui trinquent, et qui trinquent deux fois : en payant le prix des mauvaises décisions prises et en payant celui de les contester.
La France violera ses propres engagements climatiques internationaux et nationaux. Pendant ce temps, le Gouvernement poursuit le projet de l'A69, vieux de 30 ans. Malgré la promesse présidentielle de 2017, il ne demande plus l'interdiction au niveau européen du glyphosate, qui tue tous les végétaux, et dont les effets sont néfastes pour l'homme et la nature.
Il ne répond pas non plus à l'urgence sociale. Alors que la France compte plus de 9 millions de pauvres, les 500 Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 9 % l'année dernière.
C'est pourquoi des millions de Français grossissent les rangs des mouvements sociaux, notamment lors de la réforme des retraites. C'est pourquoi nombre de personnes défendent la nature, à Sainte-Soline et ailleurs.
Or ces mouvements sociaux sont criminalisés. Des passants, qui ne manifestaient même pas, se sont retrouvés au poste. Pour la première fois depuis un demi-siècle, un dirigeant syndical national a été convoqué à la gendarmerie. Selon la CGT, 600 travailleurs et travailleuses seraient ciblés par des procédures disciplinaires.
Tous ces militants ne se battent pas pour le plaisir. Bien sûr, nous aimerions tous passer des week-ends de détente entre amis, plutôt que de risquer le coma pour défendre notre bien commun. Mais il est de plus en plus difficile de manifester dans ce pays. Or l'immense majorité des personnes arrêtées ne font pas partie des individus violents dont nous condamnons, bien sûr, les méthodes.
La démocratie meurt si elle cherche à criminaliser les opposants au pouvoir. C'est le propre d'un pouvoir démocratique que de protéger la contestation, le débat, les luttes politiques, y compris contre lui.
Le GEST soutient les objectifs de cette proposition de loi.
Nous entendons les commentaires du ministre sur le calibrage trop large de cette proposition de loi. Nous faisons confiance au Gouvernement et à nos collègues de l'Assemblée nationale pour amender ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.) Il y a plus de 70 ans, des milliers de personnes ont participé à la grande grève des mineurs de 1948. Ce sont autant de vies brisées, victimes d'une parodie de justice. Leur combat a duré plusieurs années. Ils seront réhabilités par Mme Taubira, alors garde des sceaux. Parmi eux, Norbert Gilmez, un syndicaliste CGT, dira jusqu'à la fin de sa vie : « j'étais syndicaliste, pas délinquant ». Tel est l'objet de notre proposition de loi : nous défendons les syndicalistes, pas les délinquants. Sébastien Menesplier, Mathieu Pineau, Sophie Bournazel, Nicolas Constantin, les salariés de Vertbaudet, autant de personnes réprimées.
Des syndicalistes de la fédération du commerce ont été interpellés chez eux, devant leur famille. La répression s'est tellement généralisée qu'un syndicaliste, Mohammed, a été interpellé par de faux policiers, roué de coups, puis jeté d'une voiture en marche après avoir été dépouillé de ses papiers. Dans le même temps, la direction continuait d'assigner ses salariés en justice. Nous pourrions multiplier les exemples. Cette proposition de loi vise à leur rendre justice au nom de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Les acharnements individuels, les arrestations arbitraires sont légion. Comme si la répression patronale ne suffisait pas, vous y ajoutez la répression d'État, par la voie judiciaire. Celle-ci s'est encore amplifiée à l'occasion de la contestation de la réforme des retraites. La tribune « Pour les libertés syndicales, contre toutes les entraves à l'engagement militant et citoyen ! » a recueilli de nombreuses signatures, y compris celle d'universitaires et de chercheurs.
Les carrières font aussi l'objet d'entraves.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait l'amalgame entre faits commis à l'occasion de manifestations et violences urbaines et propos antisémites. C'est inacceptable ; ces faits n'ont rien à voir entre eux ! (M. le ministre se récrie.) Nous voulons sanctionner les casseurs et les black blocs. Pour nous, l'amnistie ne signifie pas l'absence de sanction. Le 17 mai 2020, vous indiquiez à un journaliste d'Europe 1 : « J'aurais souhaité que le Président de la République renoue avec la tradition régalienne de la grâce présidentielle ou de la loi d'amnistie. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE.) Notre histoire a produit plusieurs lois d'amnistie, qui ont vocation à demeurer exceptionnelles. Les dispositions de la présente proposition de loi sont particulièrement larges, et pourraient être facilement interprétées comme un droit à la violence. Est-ce le modèle que nous souhaitons promouvoir ?
J'ai le plus grand respect pour l'action syndicale, qui a forgé notre pays, mais cette amnistie serait-elle juste en toutes circonstances ? Faut-il essentialiser tous les mouvements et acteurs sociaux ? Je crains que certains se drapent dans l'intérêt général pour échapper à des poursuites. Les émeutiers de l'été dernier étaient-ils mus par l'intérêt général ? La motivation de certains était sincère, sans nul doute, mais ce texte s'appliquerait à ce cas précis, dévoyant vos propres intentions. Ce serait un comble !
Certes, la proposition de loi contient des restrictions opportunes, mais celles-ci semblent insuffisantes.
L'article 5 prévoit que les victimes conservent le droit de faire reconnaître le préjudice subi et d'en obtenir réparation, même en cas d'amnistie. Mais si aucune poursuite n'est possible, y aura-t-il vraiment réparation ?
Il faut que chacun reprenne sa place : juges, syndicalistes, salariés... Je ne suis pas sûr que cette proposition de loi aille en ce sens : le groupe RDSE s'y opposera. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Claude Kern. - Bravo !
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI.) Dans le contexte de crise multiple que nous traversons, les motifs d'inquiétude abondent : emploi, pouvoir d'achat, accès aux soins, réchauffement climatique... Nous, élus, ne pouvons y être insensibles.
Les mouvements sociaux sont la traduction concrète de libertés et de droits auxquels nous sommes attachés : ils se multiplient, mais s'accompagnent de plus en plus de violences.
La répression de ces actes cacherait une tentative de restriction des libertés. Il faudrait protéger les libertés individuelles en pardonnant aux auteurs des violences, comme si la défense de l'intérêt général devait conduire inévitablement à commettre des délits ! Le groupe RDPI réaffirme son attachement à la liberté syndicale et son respect pour la mobilisation sociale. Certes, l'action collective est un rouage essentiel de la démocratie, mais la préservation de l'ordre public est elle aussi primordiale. Le pardon républicain en vue de rétablir la concorde sociale pourrait être contreproductif, car il heurterait le principe d'égalité devant la loi.
Le champ d'application de ce texte doit être strictement défini. Or l'amnistie prévue est particulièrement large. Elle profiterait à ceux qui rejoignent des mouvements sociaux dans l'intention de commettre des délits - c'est inacceptable !
Le législateur a le devoir d'affirmer que toute violence est contraire à l'ordre républicain.
Le présent texte est bien plus généreux que celui de 2013. Les délits passibles de moins de dix ans d'emprisonnement sont visés, contre cinq ans auparavant. Toutes les infractions commises avant la promulgation de la loi seraient susceptibles d'être amnistiées.
L'acception d'un tel texte par l'opinion est largement discutable. Celui-ci pourrait être perçu comme un appel aux débordements, alors qu'il faut plutôt renforcer le dialogue social.
Il est nécessaire de protéger les droits fondamentaux, mais cette proposition de loi soulève des inquiétudes préjudiciables à la concorde nationale. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Madame Apourceau-Poly, j'ai lu votre tweet disant que je faisais des amalgames : non, pas du tout ! J'exprime simplement le droit. J'ai bien compris l'objet de votre texte, mais j'en dénonce les effets de bord.
L'amnistie prévue bénéficie aux personnes physiques. Sont amnistiés de droit les délits passibles de moins de dix ans d'emprisonnement. Aucune amnistie aussi large n'a jamais existé dans l'histoire ! Mais ce n'est pas le sujet de notre débat.
Si un manifestant brûle un véhicule, il sera amnistié. Voilà ce que cela signifie ! Je suis évidemment pour le droit de manifester, qui est constitutionnel, mais certains tordus profiteront de votre texte pour commettre des exactions. Je ne peux y être favorable.
Vous avez cité une déclaration que j'ai prononcée en tant qu'avocat. Elle portait sur le problème de la surpopulation carcérale dans le contexte de la pandémie ; Nicole Belloubet a pris des dispositions que j'ai approuvées. J'ai défendu ensuite un texte visant à libérer un détenu dont le reliquat de peine était inférieur à trois mois ; le Sénat l'a d'ailleurs voté. Je ne suis pas en contradiction avec moi-même, ce sont deux choses différentes ! Ce que j'ai dit lors de la pandémie n'aurait permis en aucune façon à des voyous de commettre des infractions.
Madame la sénatrice, j'ai bien compris l'objet de votre texte et je ne fais pas d'amalgame. Votre texte a des effets de bord qui n'ont pas été mesurés. Ce serait un mauvais signal adressé à nos compatriotes.
Le petit commerçant qui a vu son magasin fracassé verrait l'auteur des faits amnistié : ce n'est pas acceptable ! (M. Claude Kern acquiesce.)
Si certains ont fait des amalgames - et je le dis avec beaucoup de respect -, c'est vous.
Discussion des articles
L'article 1er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3 et 4.
ARTICLE 5
M. Thomas Dossus . - Nous aurions aimé voter ce texte, non qu'il soit parfait, mais parce qu'il intervient dans un contexte particulier de contraction des libertés fondamentales, alors que toutes les formes de militantisme sont contraintes par des dispositions législatives, mais aussi administratives et policières inquiétantes. Le schéma de maintien de l'ordre provoque de la violence. Ce qui est parfois un véritable appel à la confrontation conduit à la multiplication des gardes à vue sans objet - des centaines lors de la réforme des retraites ! Les responsables syndicaux font l'objet d'intimidations. Les outils de surveillance des militants écologistes sont de plus en plus utilisés.
Nous aurions aimé voter ce texte en vue de son amélioration par la navette.
M. Ian Brossat . - Aucun des arguments contre cette proposition de loi n'est valable.
Elle conduirait à amnistier des auteurs de propos racistes et antisémites ? Ce sont les communistes, dont Fabien Roussel, qui ont voulu une proposition de résolution pour les rendre inéligibles - vous vous y êtes opposé, monsieur le garde des sceaux. Aujourd'hui, un ancien candidat à la présidentielle, condamné à de multiples reprises pour de tels propos, court toujours les plateaux de télévision.
Le dialogue social serait rétabli ? Tel n'est pas le sentiment des militants.
La rédaction en serait insuffisante ? Vous auriez pu proposer des amendements.
Cette proposition de loi est absolument nécessaire : le monde syndical doit pouvoir s'exprimer sans être criminalisé, comme c'est trop souvent le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Thomas Dossus applaudit également.)
À la demande des groupes CRCE-K et Les Républicains, l'article 5 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°21 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 280 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 246 |
L'article 5 n'est pas adopté.
L'article 6 n'est pas adopté.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance, suspendue à 16 h 05, reprend à 16 h 15.