Déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère de la France en Afrique
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique étrangère de la France en Afrique.
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - L'Afrique est « un continent où se joue une partie de notre avenir commun » : le constat dressé par le Président de la République en 2017 devant les étudiants d'Ouagadougou reste d'actualité. L'Afrique subsaharienne compte désormais 1,1 milliard d'habitants, et ce nombre devrait doubler d'ici à 2050. Ce dynamisme réel dans notre voisinage immédiat comprend des défis et des opportunités.
Au nombre des opportunités, les perspectives de développement économique et démographique, de marchés à investir et à consolider, une jeunesse dynamique et créative. Les défis, ce sont les risques induits par cette croissance démographique et le changement climatique.
Les enjeux de développement, de transition, de partage de la richesse, d'éducation et de santé sont immenses, avec toutes leurs conséquences sécuritaires et migratoires. Nous avons bel et bien, comme l'a dit le Président de la République en février, « un destin lié avec le continent africain ». Il ajoutait : « Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, c'est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons. »
Nous avons trop souvent considéré nos relations avec l'Afrique comme celles de Montaigne et La Boétie : « parce que c'était lui, parce que c'était moi », comme si les Africains devaient toujours nous réserver leur préférence. Rien n'est plus faux. Cette attitude nous fait perdre de la crédibilité. La vision de l'Afrique comme terrain d'un jeu d'influence à somme nulle entre puissances est tout aussi dépassée, car les pays africains ont depuis longtemps diversifié leurs partenariats.
En somme, notre politique étrangère en Afrique est de mettre définitivement fin à cette mentalité de l'évidence, pour avancer ensemble, en partenaires. Nos atouts sont nombreux, à commencer par l'intensité des liens humains, avec la langue, le million de Français de La Réunion et de Mayotte vivant en Afrique, nos diasporas - Français en Afrique et Africains en France.
La France entend aussi se donner des moyens à la mesure de son action. Notre aide publique au développement est ainsi passée, entre 2017 à 2022, de 10 à 15 milliards d'euros par an. La France est devenue le quatrième bailleur mondial, le seul à avoir augmenté ses financements sur le continent, qui s'élèvent désormais à 5,2 milliards d'euros. Nous défendons l'Afrique comme première région de solidarité à Bruxelles.
Le sommet de Paris des 22 et 23 juin pour un nouveau pacte financier mondial vise à prévenir le risque de fracture entre le Nord et le Sud, en finançant la transition écologique et la sortie de la pauvreté.
Notre ambition est aussi de soutenir l'intégration de l'Afrique à la gouvernance mondiale, avec l'attribution d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et une pleine participation de l'Union africaine (UA) au G20.
Notre ambition s'incarne également dans notre réseau culturel, avec nos 28 instituts français et 109 alliances françaises en Afrique subsaharienne, ainsi que les 108 établissements scolaires du continent.
En France, les étudiants africains étaient 150 000 en 2021, soit une hausse de 40 % en quatre ans.
En matière d'ambition économique, méfions-nous des faux-semblants : nos parts de marché marquent le pas, mais la croissance africaine est telle que notre présence croît en volume. En quinze ans, les filiales d'entreprises françaises en Afrique ont doublé. Nous sommes le deuxième investisseur étranger. Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir cette dynamique.
Notre ambition, c'est le dialogue sur des sujets tels que la lutte contre le changement climatique. À la COP26 de Glasgow, nous avons joué un rôle précurseur en la matière avec le partenariat pour une transition énergétique juste pour faire sortir l'Afrique du Sud de sa dépendance au charbon.
Dès le début de la guerre en Ukraine, qui a aggravé la situation alimentaire du continent, nous nous sommes mobilisés pour les pays les plus vulnérables en y facilitant l'envoi de céréales. Nous avons transporté 20 millions de tonnes d'engrais vers le Malawi et 26 000 tonnes de céréales en Éthiopie avec le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Allemagne. Nous avons doublé notre contribution au PAM.
La Russie exerce, quant à elle, un chantage constant sur la reconduction de l'initiative pour l'exportation de céréales en Mer Noire. Nous discutons pour limiter les effets de la guerre en Ukraine. L'agression d'un État souverain par un autre rompt les principes d'égalité souveraine et d'intégrité territoriale. L'Europe apparaît parfois trop lointaine. Nous cherchons donc à accroître la pression sur la Russie pour que son agression échoue - il y va de l'avenir de toutes les nations souveraines. Tous doivent en être conscients, d'autant plus que six chefs d'État du continent se rendront à Kiev et à Moscou dans le cadre d'une initiative de paix dont les contours restent à définir.
Plus généralement, la France met sa diplomatie au service de la paix. Ainsi, les pays du Sahel et du golfe de Guinée font toujours face à la menace terroriste. Au Soudan, nous sommes en contact avec les deux parties au conflit. Nous avons évacué de Khartoum les Français et de très nombreux ressortissants étrangers. Nous recherchons une solution politique pour la reconduction de la trêve. Dans les Grands Lacs, nous sommes à la manoeuvre pour soutenir le processus de paix.
Enfin, nous entretenons un dialogue permanent sur l'État de droit, la démocratie, la lutte contre la peine de mort, l'égalité entre les femmes et les hommes, les droits LGBT+ ou encore la liberté d'expression, que notre interlocuteur soit africain ou non.
En effet, l'autre clé de notre ambition est la volonté de bâtir « une relation nouvelle, équilibrée, réciproque et responsable » - je cite encore le Président de la République - avec les 54 pays africains. Il n'y a pas une Afrique, mais beaucoup d'Afriques.
Le piège du déclinisme, ou un complexe qui n'a pas lieu d'être, nous empêcherait d'être à la hauteur de ce qui se passe réellement sur le continent. Dans leur grande majorité, les relations fonctionnent bien. Il y a néanmoins des vents contraires, avec la diffusion d'un discours anti-français dans certains pays. Il est pour partie lié à l'héritage de l'histoire et aux frustrations de la jeunesse, mais aussi à des menées hostiles venues notamment de Russie.
Face à chacune de ces causes, nous agissons. C'est le sens de la dynamique plus partenariale de notre présence sécuritaire.
C'est le sens aussi de notre démarche vis-à-vis de certains pays où le passé ne passe pas, faute d'efforts suffisants de notre part. Nous les avons faits au Rwanda, où la France a regardé son histoire en face en constituant une commission d'historien des deux pays. C'est la voie que nous voulons prendre au Cameroun, avec une commission d'historiens et d'artistes constituée l'été dernier. Notre communication s'oriente vers la jeunesse.
J'ai redonné à nos ambassades les moyens de mener elles-mêmes de petits projets (Mme Marie-Arlette Carlotti s'en félicite), avec une prise de décision plus proche du terrain. Pour cela, j'ai lancé le fonds Équipe France de 40 millions d'euros - pour mon ministère, c'est beaucoup - qui permet aux ambassades de monter des projets à haute valeur politique, ainsi qu'un fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel doté de 20 millions d'euros. Ces deux fonds sont complémentaires des actions structurantes de l'Agence française pour le développement (AFD).
Après la saison Africa 2020, nous inaugurerons à Paris une Maison des mondes africains, pour mettre en valeur la diaspora et montrer que la France et ses partenaires africains sont plus forts quand ils s'unissent. Nos instituts programment désormais des créations africaines partout dans le monde, avec succès.
La Fondation de l'innovation pour la démocratie, lancée en octobre avec Achille Mbembé, met en réseau celles et ceux qui inventent les nouvelles formes de vie démocratique sur le continent, sans donner de leçons.
Enfin, face à la manipulation de l'information, j'ai augmenté les moyens de communication du ministère. Nous avons mis en place des dispositifs de veille et de riposte, notamment sur les réseaux sociaux, et soutenons les fact checkers et les écosystèmes médiatiques africains. J'ai demandé à nos ambassadeurs une communication plus offensive, et nous refondons la communication de tous nos opérateurs derrière le seul drapeau de l'Équipe France.
Je réserverai ma conclusion à cette jeunesse exigeante, entreprenante, fière, ouverte sur le monde, qui ne demande pas qu'on agisse à sa place, mais qu'on investisse dans ses projets. Une jeunesse qui ressemble tellement à la nôtre et nous lance le défi de nous renouveler. Tous nos diplomates en Afrique font vivre ce programme de transformation avec conviction. C'est ainsi que la France restera un partenaire pertinent d'un continent central pour l'équilibre du monde de demain. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées . - Comme l'a dit Mme la ministre, il y a autant de situations sécuritaires en Afrique que de partenaires.
Premièrement, pour schématiser, nous avons vécu deux périodes. Les années 2000 à 2010 ont vu beaucoup d'interventions françaises relevant d'une culture d'interposition, sur fond de maintien de la paix dans un cadre onusien. La plus connue est l'opération Licorne en Côte d'Ivoire. La décennie suivante a été marquée par la lutte contre le terrorisme au Sahel, avec les opérations Serval puis Barkhane lancées à la demande de nos partenaires, notamment maliens.
Serval et Barkhane ont été des succès militaires, dont je ne conteste pas les limites politiques. Les forces armées françaises ont rempli leurs objectifs et ont été couronnées de succès - qu'on nous démontre le contraire ! (M. Bruno Retailleau acquiesce.) Je le dis contre certains récits qui tendent à ignorer le sacrifice des 53 soldats morts dans ces opérations : 9 pour Serval, 1 pour Épervier, 43 pour Barkhane. J'ai une pensée pour eux, leurs familles et les blessés.
L'armée française est une armée d'emploi, qui prend sa part de risque. Mais avec le temps, nous avons fini par nous substituer aux pays concernés.
Deuxièmement, les menaces évoluent, et Paris doit le voir. La menace terroriste est plus fragmentée, mais pas moins dangereuse : elle est devenue balkanisée et diffuse, plus endogène à la zone. De plus, le continent africain s'est ouvert, pour le meilleur comme pour le pire. Les États ont diversifié leurs partenariats, faisant jouer une forme de concurrence économique et sécuritaire. Notre défi est donc d'être plus attractifs vis-à-vis de nos partenaires anciens. Enfin, d'autres influences sont moins bienvenues - je pense au compétiteur stratégique russe, avec la force Wagner, entre autres.
Troisièmement, Paris ignore souvent que le continent africain est tiraillé entre les modèles libéral et totalitaire : voyez le Mali. On reproche presque à Paris l'arrivée des juntes au pouvoir, comme on nous reprocherait l'ingérence si nous intervenions. Il faut se renseigner et détecter - j'ai évoqué le sujet devant la délégation parlementaire au renseignement - mais aussi mener le combat politique des valeurs démocratiques. Le modèle tocquevillien de liberté convient-il ou non à ces pays ?
Quatrièmement, où en est notre présence militaire ? Il faut en distinguer trois formes.
D'abord, au Sénégal et au Gabon, nos bases hébergent des éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays. Ce sont des pôles de coopération, plus civils que militaires, où nous faisons beaucoup de formations pour le partenaire et les pays alentour - huit ou neuf dans le cas du Gabon. Les séjours de nos forces y sont plutôt longs, et nous n'y avons presque pas d'armements : un ou deux véhicules de l'avant blindé (VAB) par base, tout au plus.
La deuxième famille, ce sont les bases opérationnelles, les forces prépositionnées en Côte d'Ivoire, à Port-Bouët - 950 personnes - et à Djibouti - 1 700 personnes. Djibouti est une base pour l'Afrique de l'Est, de laquelle nous avons lancé l'opération Sagittaire au Soudan. C'est une base de sécurité pour notre partenaire djiboutien, avec des accords de défense. Enfin, c'est une base ouverte sur l'Indopacifique, via les détroits d'Ormuz et de Bab el-Mandeb, et connectée à nos éléments prépositionnés aux Émirats arabes unis, ainsi qu'aux forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Faszoi) à Mayotte et à La Réunion.
Ces deux bases sont de vrais points d'appui au combat. Les forces peuvent être engagées, à la demande du Président de la République, selon les souhaits des pays de la région, notamment dans la lutte contre le terrorisme.
La troisième famille est composée des positionnements aux côtés des forces locales, dans les immenses pays que sont le Tchad et le Niger. Ce dernier pays incarne une offre française rénovée et aux côtés du partenaire, et non plus à sa place. Nous n'agissons qu'à la demande des autorités nigériennes, avec des résultats probants sur le terrain. Dans la région de Tillabéri, la surface agricole exploitable, tombée à 33 % à cause des groupes terroristes, est remontée à 65 % après plusieurs mois de missions menées avec courage mais dans la discrétion, voire l'indifférence. Le Niger agit pour l'équilibre de toute la région. Nous lui devons le succès de l'évacuation des forces du Mali - je salue les efforts du président Bazoum à cette occasion.
Cinquièmement, la mise à jour de la présence militaire française se fait sur la base d'une doctrine. La guerre informationnelle et nos échecs dans ce domaine nous imposent la lucidité : nous ne pouvons nous substituer aux États africains pour lutter contre le terrorisme. Aider, oui ; faire à la place, non.
Le besoin de France sur le plan militaire doit passer par une expression de volonté : ce que veut le partenaire, ce que nous sommes prêts à faire. Le Niger et Djibouti montrent que cette écoute de l'expression de besoin est essentielle, et nous devons prendre le même chemin au Sénégal, au Gabon et en République centrafricaine. Le travail est en cours.
Ensuite, il faut réfléchir à la taille de nos emprises militaires. Au Sénégal, nous avons environ 7 à 8 empreintes dans l'agglomération de Dakar, ce qui n'est pas satisfaisant pour nos forces. Nous devrions encourager une forme de cogestion pour certaines d'entre elles. Le partenariat en matière de formation fait que nous sommes déjà en situation de confiance et d'intimité stratégique. Soyons modernes et innovants.
Au Gabon et au Sénégal, nos camps militaires sont très ouverts sur la ville, contrairement à Port-Bouët en Côte d'Ivoire, sorte de grosse caserne hors de la ville. Les maires parmi vous le savent : on ne peut déconnecter l'emprise militaire de son environnement civil.
En matière de formation, nous avons peut-être été trop satisfaits de nous-mêmes... Notre formation, certes de qualité, a parfois mal vieilli, tandis que la Turquie, Israël, l'Algérie proposaient de nouveaux modules, en matière de drones ou de cyberdéfense.
Il faut donc revoir l'organisation, avec des séjours plus courts, des bataillons également composés de réservistes, pour offrir des formations parfois de masse - désarmement d'engins explosifs improvisés ou combat d'infanterie classique - , parfois dans le haut du spectre.
Nous devons aussi rouvrir nos écoles miliaires, pour officiers comme sous-officiers, sur le territoire national. Saint-Cyr Coëtquidan, l'École navale, Salon-de-Provence et Polytechnique ont progressivement exclu les stagiaires ressortissants de nos pays africains amis. De plusieurs dizaines, nous sommes passés à un, deux, trois élèves par cohorte. Je vise 600 stagiaires africains par an à l'horizon de 2030.
Pour terminer, il faut réfléchir aux équipements et aux armements. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) rencontre un certain succès pour les gros contrats, mais les pays partenaires accomplissent des efforts budgétaires très importants pour monter en puissance. L'armée sénégalaise, par exemple, n'est plus ce qu'elle était il y a quinze ans. Or nos industriels ont éconduit certaines armées amies, jugeant les marchés trop modestes - et d'autres partenaires ont pris leur place... Il faut engager une réflexion avec la direction générale de l'armement (DGA) et l'écosystème bancaire pour trouver des solutions.
Nous devons renforcer notre réseau d'attachés de défense. N'avoir aucun attaché d'armement de la DGA en Afrique est un non-sens. La remontée en puissance passe par les capacités opérationnelles, ce qu'a montré l'opération Sagittaire. Avoir beaucoup d'A400M, c'est bien, des A400M opérationnels, c'est mieux.
Les sujets de sécurité et de défense s'appliquent aussi à l'Afrique lusophone et anglophone, à l'instar du Mozambique, proche de Mayotte, ou de l'Angola. Dans ces pays, nous avons des accords à construire, à raffermir ou à renouveler. Nous avons signé un contrat d'offre satellitaire de renseignement avec l'Angola.
L'esprit de Takuba demeure. En dehors du cadre de l'Otan, l'armée française a su emmener beaucoup de partenaires européens pour lutter contre le terrorisme. Continuons à faire vivre cet esprit. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)
M. Christian Cambon . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI) Au cours des soixante dernières années, notre relation avec les pays africains a rythmé comme nulle autre la vie de notre pays. Notre histoire commune est longue, avec ses parts d'ombre que nous devons regarder en face, mais aussi ses faces brillantes, faites d'engagements sincères et de réalisations admirables.
Chaque président de la République a voulu marquer cette relation de son empreinte, lui donner une nouvelle perspective. L'actuel chef de l'État ne fait pas exception, qui a annoncé en 2017 à Ouagadougou vouloir fonder une nouvelle relation d'amitié avec le continent africain.
Mais si la France et l'Afrique ont un passé commun, partagent-elles encore un avenir ? Le coeur aussi bien que la raison me font répondre oui, sans ambages. Reste qu'il nous faut dresser un constat lucide de la situation.
La France reste un acteur clé, mais, depuis vingt ans, son influence se fait de plus en plus relative. Nos parts de marché ont fondu de moitié, la Chine est devenue le premier exportateur vers le continent en 2007, l'Allemagne le premier exportateur européen en 2017 et, depuis l'année dernière, la France n'est plus le premier partenaire commercial d'aucun pays du Maghreb.
Le rayonnement de la culture française s'estompe également. Des pays francophones comme le Rwanda, le Togo ou le Gabon ont rejoint le Commonwealth, voire adoptent l'anglais comme langue officielle ou d'enseignement. L'Algérie et le Maroc pourraient s'engager dans une démarche similaire.
M. Claude Kern. - En effet !
M. Christian Cambon. - Si nous restons la première destination des étudiants africains, nous formons moins d'élites africaines.
Nous devons faire face au mur du sentiment anti-français. Nous pourrions être tentés de le relativiser, de n'y voir qu'un effet de loupe. Ce serait une erreur. Le phénomène est incontournable et a joué un rôle majeur dans le départ contraint de nos forces de plusieurs pays, malgré l'engagement remarquable de nos soldats et le sacrifice de cinquante-trois d'entre eux, dont le souvenir est bien vivant dans nos coeurs.
Ce ressentiment tient à notre histoire coloniale, mais aussi au fait que l'Afrique a profondément changé : 275 millions d'habitants en 1960, 1,2 milliard aujourd'hui, dont la moitié ont moins de 25 ans.
Une bascule générationnelle s'est opérée, distendant nos liens. L'Afrique vit à l'heure de la globalisation, et le monde se presse à sa porte ; elle multiplie les partenariats, sans relation exclusive. Sans doute la France n'a-t-elle pas assez intégré ces évolutions, tandis que certains de nos compétiteurs font tout pour nous évincer - le prétendu charnier de Gossi montre que tous les coups sont permis.
Comment réagir ? Nous devons entendre les reproches, injustes ou fondés, et y répondre par les mots, mais aussi par les actes. En revanche, nous ne devons pas les intérioriser au point qu'ils guideraient nos attitudes - comment, sinon, présenter une image positive de notre pays ? Refusons le discours de ceux qui ne voient dans le passé qu'un passif, de ceux pour qui la France aura toujours tort, et assumons franchement la promotion de nos intérêts.
Ces intérêts sont sécuritaires : nous avons intérêt à ce qu'il y ait moins de crises et de conflits en Afrique. Ils sont aussi politiques : nous devons nous appuyer mutuellement dans les instances internationales. Ils sont économiques, enfin, car nous avons intérêt à ce que l'Afrique soit un relais d'innovation et de prospérité.
Nous devons restaurer les moyens de notre influence. La nouvelle revue stratégique y concourt. La cohérence de notre diplomatie interroge parfois - quel hiatus entre nos ambitions et le sort que nous réservons à notre diplomatie, avec une réforme qui nie ses spécificités et son savoir-faire et des moyens drastiquement réduits ! Je vous donne acte, madame la ministre, d'avoir stoppé cette hémorragie. Mais combien d'agents sont consacrés à l'influence culturelle ? Parfois un seul stagiaire... Partout, les services de coopération et action culturelle se réduisent.
Les crédits de l'aide au développement, eux, ont beaucoup augmenté : c'est essentiel, mais je regrette que la commission d'évaluation des politiques de soutien au développement, prévue par la loi d'orientation d'août 2021, ne soit toujours pas constituée.
M. Bruno Retailleau. - Une commission d'enquête !
M. Christian Cambon. - Il faut recentrer notre solidarité : nourrir, soigner, éduquer, voilà où notre aide est la plus attendue. Trop longtemps, notre aide au développement a fonctionné en vase clos, alors que nos partenaires opèrent de manière plus intégrée, à l'instar de l'Allemagne, dont la GIZ a un chiffre d'affaires de 3,7 milliards d'euros et 23 600 employés, contre 339 millions d'euros et 1 400 agents pour Expertise France.
Nous devons reprendre le contrôle de notre aide multilatérale à l'Afrique : un tiers de l'aide de l'Allemagne cible ses intérêts propres, contre 1 % de la nôtre...
Nous devons aussi accompagner bien davantage nos entreprises, pour qu'elles commercent avec les pays africains.
J'en viens enfin à notre coopération militaire. Barkhane a obtenu d'indéniables succès - je vous approuve sur ce point, monsieur le ministre -, mais constitue une forme d'anomalie par sa durée. Faute de progrès politique, la France s'est retrouvée en première ligne, vulnérable face à l'influence de nos ennemis. Cela étant, des partenariats utiles ont été noués, notamment avec le Niger.
Il nous faut mieux répondre aux demandes ponctuelles, notamment en matière d'appui au renseignement, pour surveiller les groupes djihadistes dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin et du Togo. Nous ne vaincrons pas les terroristes à la place des pays concernés, mais apporter à ces derniers des appuis ponctuels, discrets et efficaces.
En ce qui concerne nos bases, nous les considérons comme essentielles. L'opération Sagittaire, brillamment menée, en est une nouvelle preuve. Nos compétiteurs stratégiques en sont convaincus, à l'instar de la Chine, appréciée de Djibouti, qui veut ouvrir une base sur le golfe de Guinée.
Je ne suis pas hostile à une meilleure prise en compte du contexte local, mais ces bases sont l'expression de notre souveraineté qui, par définition, ne se partage pas. Il appartient aux États de décider s'ils acceptent notre présence, mais l'idée d'une cogestion pose problème sur les plans conceptuel et opérationnel.
Nous sommes à un moment charnière de notre relation avec l'Afrique. Soyons objectifs : rien n'est plus acquis dans un environnement devenu ultra-concurrentiel, y compris de la part de nos partenaires européens.
Nous devons tirer les leçons des vingt dernières années, nous adapter, nous battre, parfois nous remettre en cause, mais aussi être fiers de ce que la France a accompli en Afrique. Parions sur l'Afrique, parions sur la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE)
Mme Marie-Arlette Carlotti . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP) Le groupe SER a souhaité ce débat, mais sous une autre forme que cet échange formel.
Le contexte du déclin relatif de l'influence française, voire de son rejet spectaculaire, est douloureux.
Abandonné dans les années 1990, le continent est désormais courtisé par la Russie, la Chine, les États-Unis et bien d'autres. Tous sont nos compétiteurs et nous avons perdu nos liens exclusifs. Nos relations avec les pays africains doivent devenir ordinaires.
La hiérarchie du monde change, l'Afrique doit être considérée comme un acteur de plein droit. Sa société civile change aussi. Le sentiment anticolonial se radicalise, et un panafricanisme se développe, réhabilitant les groupes djihadistes ; la Russie en fait son miel.
Pourquoi la France devrait-elle avoir une position privilégiée ? Certes, le Président de la République proclame la fin de la Françafrique, mais tous l'ont fait depuis Pompidou... Et pourtant, nous avons continué à surfer sur notre histoire coloniale empreinte de corruption et de clientélisme.
La France ne peut se passer d'une politique africaine, mais doit changer d'approche. Le 29 juillet dernier, le président Macron a prononcé un discours qui se voulait fondateur, mais marqué par la continuité et qui ne marque pas le début d'une nouvelle politique africaine.
Je rends hommage à l'engagement de nos soldats, qui ont eu des succès militaires mais n'ont pas enrayé l'implantation djihadiste. La ministre des armées de l'époque annonçait l'arrivée des Européens au sein de l'opération Takuba - cela n'a pas été une franche réussite. L'Union européenne a montré sa faiblesse : elle doit s'impliquer davantage dans cette zone instable.
Nous devons changer de modèle : la France n'est plus le gendarme de l'Afrique. Notre influence ne se mesure plus au nombre de nos opérations militaires ou de nos bases, le Président de la République l'a dit. Entrons-nous dans une phase de repli ou continuerons-nous à lutter contre le djihadisme ?
Emmanuel Macron a aussi fait des annonces sur l'aide au développement, notion désormais à proscrire. Selon un proverbe africain, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Nous devons passer à une logique d'investissement solidaire et partenarial.
Les Africains n'ont que trop l'habitude de ces déclarations non suivies d'effet. Droits humains et climat sont intégrés à juste titre, mais l'eau et l'assainissement ont été oubliés, tout comme la société civile. Les ONG françaises comme celles de nos pays partenaires doivent devenir des partenaires privilégiés.
La trajectoire financière est éludée, malgré la loi du 4 août 2021, qui fixe l'objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l'aide au développement en 2025 - objectif qui doit être maintenu.
Enfin, l'évaluation de l'aide au développement fait toujours défaut : voilà deux ans que la commission compétente devrait être en place, auprès de la Cour des comptes comme le Sénat l'a souhaité.
Dans la stratégie 3D théorisée par le Gouvernement, l'appareil militaire de défense était étroitement lié à la diplomatie. À cet égard, notre diplomatie a-t-elle fait preuve de naïveté ou d'aveuglement ? Avons-nous sous-estimé la puissance du ressentiment à notre égard, surtout entretenu par une propagande hostile ? Je ne le crois pas.
En revanche, notre logique est obsolète. Nous faisons de la diplomatie comme à l'époque où nous avions les moyens de faire et défaire les régimes. La France a oublié que l'Afrique des gouvernants n'est pas celle des peuples.
Nos moyens pour la diplomatie sont trop faibles. Nos petites ambassades sont des couteaux suisses. Au Sahel, notre présence a été bien plus militaire que diplomatique. La réforme annoncée du corps diplomatique ne nous rassure pas.
Le Président de la République, lors du sommet de Montpellier, a cherché à ouvrir de nouvelles voies, mais qu'en reste-t-il ? Un Observatoire de la démocratie... Mais la démocratie ne se crée pas en laboratoire. Le président Macron revendiquait une démarche moderniste, mais il a proposé un schéma suranné. De même, une annonce venue des présidents Ouattara et Macron sur le franc CFA ne peut qu'être suspecte. Pourquoi vouloir imposer des modèles clé en main et un agenda démocratique irréaliste ?
Depuis son élection, Emmanuel Macron s'est souvent rendu en Afrique, mais surtout dans les pays les moins démocratiques du continent. Nous ne lui reprochons pas la realpolitik, mais le double langage : on accepte le pouvoir militaire au Tchad, on le condamne au Mali. Nous perdons ainsi toute crédibilité.
Soyons plus attentifs aux tragédies, aux crimes de guerre et aux crises alimentaires. La Corne de l'Afrique en souffrait déjà, la non-livraison de céréales de l'Europe de l'Est aggrave les choses, sans relais de l'Union européenne ni de la France. Le chantage alimentaire est un facteur déterminant de l'influence russe en Centrafrique.
Dans le débat à venir sur l'immigration, nous veillerons à ne pas assujettir notre politique de développement aux enjeux intérieurs. Madame, monsieur les ministres, allez dire à Gérald Darmanin que sa politique des visas a abîmé nos liens indéfectibles avec les jeunesses africaines.
Nous avons pourtant le formidable atout de l'espace francophone, que vous n'avez pas mentionné. C'est en Afrique francophone que nous avons le plus lourd héritage à purger. Sans quoi, Russie et Chine tireront les bénéfices du chaos. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, INDEP et du RDSE)
M. Olivier Cadic . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Pour comprendre l'Afrique, encore faut-il la connaître. J'y suis allé 57 fois depuis 2015, et elle m'étonne toujours.
Je commencerai par trois anecdotes. Un entrepreneur français a subi un vol : le nom que lui donne la dame aux balais s'avère être le bon. Un autre croit avoir perdu son portefeuille, mais le marabout lui indique qu'il est à la vue de tous : on le retrouve au bord de la piscine. Un consul général fait venir un coupeur de pluie pour le 14 juillet : dès qu'il part, la pluie se met à tomber. Les esprits cartésiens seront dubitatifs...
M. Mickaël Vallet. - En effet !
M. Olivier Cadic. - Le consul général ne s'est pourtant pas fait rembourser la prestation par le Quai d'Orsay... (Mme la ministre s'en amuse.)
Un conseiller des Français de l'étranger établi en Afrique depuis vingt ans m'a confié qu'il se refuse à expliquer l'Afrique à quelqu'un qui n'y a pas vécu au moins cinq ans.
On aborde souvent la stratégie française en Afrique par un seul prisme. À tort, car il y a des Afriques.
Emmanuel Macron a visité vingt-cinq pays africains depuis 2017 - un record. (M. François Patriat abonde.) Mais, en Afrique de l'Ouest, on nous répète que le sentiment antifrançais croît. Et si c'était une fake news ? Nous nous fions trop aux réseaux sociaux, où sévissent des activistes : les plus crédibles sont ceux qui parlent le plus, pas ceux qui disent la vérité.
Le mea culpa permanent est vu comme une faiblesse. De grandes entreprises françaises sont attaquées par des ONG soutenues par leurs concurrents. Nous avons perdu la bataille informationnelle au Sahel, mais pas la guerre. Nos militaires ont été irréprochables, ils sont notre fierté.
Antifrançais, les Africains ? Pourtant, les demandes de visa étudiant battent des records : 53 000 en Algérie, 40 % de hausse au Togo cette année après 68 % l'an dernier. Il y a une envie de France. Un Camerounais me rappelait l'importance dans l'inconscient de la langue partagée.
Nous sommes confrontés à une guerre hybride. Avec quelques euros, on paie un journalier pour travailler, mais aussi pour manifester avec un drapeau russe devant notre ambassade. Dans plusieurs pays, la France est le bouc émissaire des difficultés.
Qui sont derrière les apôtres du panafricanisme ? Ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l'Iran et consorts, qui en profitent pour faire du dégagisme en visant nos entreprises. Ainsi, une entreprise du groupe Castel a été attaquée au cocktail Molotov par Wagner, et de nouvelles menaces planent sur ce groupe qui fait de la responsabilité sociale sa marque de fabrique. (Murmures sur les travées du groupe SER)
Comment justifier le retrait de la France alors que la militarisation de la Chine augmente ? Les pays de la région constatent que le retrait de la France du Sahel profite aux djihadistes. En Algérie, 93 % des ressources proviennent du Sud du pays. Pour la première fois en dix-sept ans, le chef d'état-major algérien est venu en France : que voulait-il ?
Au Brésil, des milices protègent les quartiers au détriment de la liberté des habitants. En Afrique, la milice Wagner se paie sur le pays, comme une mafia.
Mais la France n'abandonne pas l'Afrique : l'Académie nationale de lutte contre le terrorisme appuie les pays d'Afrique. Ce modèle de gouvernance est un exemple. Je salue la réunion, le 11 mai dernier, du premier conseil d'administration international, avec plusieurs pays comme l'Australie et les États-Unis. Notre modèle est innovant et mérite d'être mieux connu. Combien de pays africains se sont-ils déclarés intéressés ?
L'attrition des visas suscite des frustrations dans bien des pays.
M. Rachid Temal. - Enfin !
M. Olivier Cadic. - Plusieurs se fournissent en matériel auprès d'autres pays, de peur de ne pas obtenir de visas pour former leurs personnels. Quel est l'intérêt de certaines de nos mesures, perçues comme vexatoires ?
L'aide dans le domaine de la santé est essentielle. Acheté auprès de donneurs contaminés par l'hépatite, le sang est inutilisable à 60 %. Le Gouvernement est-il prêt à défendre l'idée d'une Agence africaine du médicament ?
J'ai été attristé du renversement de Roch Kaboré, un an après sa réélection. Le Somaliland a garanti une stabilité politique et des élections au suffrage universel, avec cinq présidents successifs. Allons-nous évoluer sur la prise en compte officielle ce pays ou continuerons-nous à ne reconnaître que Mogadiscio ?
Nos partenaires africains attendent une ligne claire, fondée sur le respect mutuel. Cessons de chercher à nous faire aimer, faisons valoir nos atouts pour nous faire désirer. L'honorable Alipui, membre du Parlement togolais, m'a donné ce conseil : « Plutôt que plus de France, optez pour mieux de France ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que du RDPI)
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Aucune relation n'est aussi complexe et importante pour l'avenir de notre pays et de notre continent que la relation avec l'Afrique. Nous sommes à la croisée des chemins entre coopération et passé colonial. Comme le disait Camus, l'amitié n'exige rien en retour ; elle grandit librement sur le terreau des valeurs communes.
Le Président de la République a visité le Gabon, l'Angola, la République démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville. Les programmes de développement durable et en faveur de la gouvernance démocratique témoignent d'un désir de réinventer notre relation. Le Président de la République a affirmé que l'ère de la Françafrique était révolue, marquant un tournant en faveur d'un partenariat équilibré et transparent.
Le défi environnemental doit être relevé par les pays africains : la France a investi 100 millions d'euros pour les forêts. Au sommet de Libreville, en mars dernier, Emmanuel Macron a rappelé les engagements de la COP15 et de la COP26 pour inverser le mouvement de déforestation. Ce format pourrait être annuel. Les premiers contrats pays pour la conservation positive vont être signés.
Le développement économique, ensuite : à Luanda, le Président de la République a rappelé l'importance du renforcement des partenariats. Nous mettons l'accent sur la formation professionnelle, l'agroalimentaire et les infrastructures, notamment dans le cadre du programme Choose Africa.
Enfin, les enjeux sécuritaires sont au coeur de nos préoccupations. Ainsi de la piraterie autour de la Corne de l'Afrique, qui reste une menace. Selon la Banque mondiale, les rançons ont rapporté entre 339 et 413 millions de dollars aux pirates entre 2005 et 2012. Toutefois, la piraterie a baissé de 15 % depuis 2021. Quelle stratégie contre ce phénomène, qui persiste dans les eaux africaines ?
Nous devons faire face à l'influence grandissante de la Russie et de la Chine. En mai 2022, nous avons été témoins des slogans antifrançais et des drapeaux tricolores brûlés à Pretoria. Nous répondons : la diplomatie française se réarme, communique davantage vers la jeunesse et tisse des liens avec la diaspora française.
Chine et Russie tentent de remplir l'espace vide que nous avons laissé. La première investit massivement sur la côte Est, la seconde en Afrique francophone, profitant de la fin de Barkhane. L'article 4 de la loi de programmation militaire rappelle que la réduction de la présence militaire française n'est pas un désengagement, mais une adaptation aux menaces.
Chaque pays africain doit assumer sa propre défense. Les anciennes bases Barkhane seront destinées à former les militaires des pays concernés. Ce n'est pas un recul, mais une présence différente. (MM. Jean-Marc Todeschini et Yannick Vaugrenard ironisent.)
Les bases évoquées par le Président de la République ont été mises en place par des accords de défense entre États souverains.
Le Bénin, qui semble devenir le nouveau nid du djihadisme, pourrait suivre le chemin du Mali et du Burkina Faso, qui se sont tournés vers la Russie.
M. Christian Cambon. - En effet, malheureusement.
Mme Nicole Duranton. - Quelle est la réponse de la France pour préserver ses liens historiques tout en respectant la souveraineté des nations africaines ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Christian Cambon applaudit également.)
M. Pierre Laurent . - La déclaration du Gouvernement de ce soir est dans la droite ligne du discours du Président de la République du 27 février dernier, selon lequel la France doit refuser la compétition, entrer dans une logique partenariale au service d'un investissement solidaire.
Mais tous les fondamentaux qui sapent le développement de l'Afrique et les relations de confiance sont maintenus : la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA est louée alors qu'elle ne visait qu'à tuer dans l'oeuf le projet de monnaie commune de la Cedeao ; la Banque de France détient toujours 80 % de l'or de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest. Circulez, il n'y a rien à voir.
Pour changer réellement nos relations, il faudrait porter le fer contre les traités de libre-échange inégaux, la course au moins-disant fiscal, le nivellement par le bas des droits des travailleurs ou les logiques de prédation des multinationales. Certes, l'Afrique subsaharienne ne représente que 2 % de notre commerce extérieur, mais les parts de marché sont concentrées entre les mains de quelques grands groupes, en complicité avec les élites corrompues, au détriment des populations africaines : voyez la surfacturation par des groupes français du train urbain d'Abidjan où les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains, dont il est parti sans égard pour les pays concernés.
Les coûts de ces rapports économiques pour les peuples sont exorbitants : pauvreté, sous-alimentation, insécurité, corruption, migration forcée.
C'est là que se trouve la source du rejet de la politique française, qui ne peut être réduit au travail d'influenceurs russes, turcs ou chinois.
Barkhane est un échec politique lourd de conséquences. Notre politique est à mille lieues des exigences populaires africaines en faveur d'une vraie souveraineté - d'une deuxième indépendance, comme ils disent.
Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande. La lutte d'influence ne fait pas tout. Contre les fake news, il faut mettre en cohérence actes et paroles. Si la France changeait de politique, nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. Un agenda africain, par les Africains, voilà la clé du succès.
L'Afrique a un besoin massif de financement et de création monétaire. La France doit agir auprès du FMI, pour changer les règles d'attribution des droits de tirage spéciaux (DTS), émis actuellement au compte-gouttes. Il faut une réforme des conditions d'émissions, pour lutter contre la pauvreté et financer la transition écologique du continent africain. Face à cela, les Brics ne restent pas inertes.
Les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l'OCDE - deux fois moins pour les pays en développement, notamment africains, qui ont besoin de nouvelles recettes fiscales. Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels doit être notre guide. Il faut flécher au moins 10 % de l'aide publique au développement en faveur des systèmes fiscaux des pays, pour leur assurer des moyens budgétaires endogènes.
J'entends souvent dire que l'Afrique est notre avenir ; c'est d'abord celui des Africains. Ainsi, en partenaires respectés, nous pourrons répondre aux défis sociaux, climatiques et environnementaux et la France pourrait passer de la conquête de parts de marché à court terme, du rôle de VRP d'armes et de stigmatisation hypocrite de l'immigration, à une politique de coopération mutuellement avantageuse au service de l'industrialisation indispensable et d'une agroécologie vivrière qui a déjà fait ses preuves.
Comprenant l'impasse de nos aventures militaires à répétition, nous supprimerions le plus vite possible nos bases permanentes : cette usurpation par la France de la souveraineté de pays africains a donné des résultats médiocres. Acceptons le refus d'une relation de dépendance et la revendication d'une pluralité de partenaires stratégiques.
Oui, il faut changer de logiciel dans tous les domaines. J'y suis allé à la serpe, je le concède,... (Sourires)
M. Mickaël Vallet. - À la faucille !
M. Pierre Laurent. - ... mais ce changement, les peuples africains nous y appellent constamment ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mmes Marie-Arlette Carlotti et Gisèle Jourda, ainsi que MM. Mickaël Vallet et Guillaume Gontard, applaudissent également.)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC) Le 15 juillet 1959, le général de Gaulle réunissait ici-même pour la première fois le Sénat de la Communauté : 284 sénateurs, dont 98 qui représentaient douze pays africains.
Un an plus tard, la fin de la Communauté nous renvoie au discours d'ouverture de De Gaulle : « La grande chance de la paix et de la civilisation, c'est que les hommes, les enfants de l'humanité qui disposent des moyens voulus apportent leur aide à cette humanité tout entière. »
Soixante ans plus tard, nous souhaitons entretenir un lien d'estime et d'attachement réciproque avec le continent africain. Nous apportons notre aide quand elle est souhaitée : la moitié de l'aide publique au développement bénéficie à l'Afrique ; la coopération décentralisée des collectivités françaises participe à la construction de routes, d'écoles, de dispensaires pour améliorer le quotidien des populations et réduire la pauvreté.
Depuis de nombreuses années, nous participons à des opérations de maintien de la paix ; je rends hommage aux cinquante-trois soldats français qui ont péri au Sahel et j'ai une pensée pour leurs familles et leurs camarades.
Depuis une décennie, notre pays fait l'objet de campagnes de désinformation. La milice Wagner est ainsi intervenue en Centrafrique, puis au Mali.
Depuis le Brexit, la France est le moteur de l'action européenne en Afrique, mais elle ne peut plus être la seule à assumer cette charge ; elle a donc réduit son engagement. Mais la prolifération de mouvements islamistes, les présences russe et chinoise sont des motifs d'inquiétude, alors que point le changement climatique. L'Afrique est exposée au risque de crise, comme on le voit au Soudan ou dans la Corne de l'Afrique, victime de famine.
Une idée continue de germer : la Françafrique, bouc émissaire de tous les maux. Cette idée couvre en fait l'incapacité des gouvernants à gouverner. Les faits inventés des deux côtés de la Méditerranée sont bien éloignés de la réalité. L'ensemble du continent africain représente 5 % du commerce extérieur français - on est loin de l'Eldorado.
Le premier partenaire commercial de l'Afrique est la Chine, l'influence de la France diminue. De nouvelles amitiés se lient : l'Afrique du Sud, l'Algérie se lient avec Moscou. Quant au Mali, il s'enfonce dans les putschs. Ces exemples sont les signes du recul de l'influence occidentale.
Nous n'avons pas les mêmes valeurs que la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping. Les gouvernements sont libres de nouer de nouveaux partenariats : aux gouvernements africains d'assumer leurs choix.
Après le covid et avec le retour de la guerre en Europe, avons-nous les moyens de mener des efforts de haute intensité ? Nous devons prendre en main notre propre sécurité, la guerre en Ukraine nous l'a montré. La concertation avec nos partenaires européens est nécessaire. Certains États membres doivent être encore convaincus de la nécessité de s'intéresser au continent africain.
Un milliard d'habitants aujourd'hui, peut-être 2,4 milliards en 2050 : la croissance démographique peut intensifier les crises, les déplacements de population concernent directement notre continent européen.
Pour le groupe Les Indépendants, notre politique doit être proportionnée à nos moyens. Nous saluons donc la cogestion des bases. Nous devons retrouver des instances de dialogue et d'échanges, comme l'Union pour la Méditerranée. Nous devons concentrer nos efforts sur les pays qui partagent nos valeurs, alors que sept pays, dont le Mali et l'Érythrée, ont refusé de condamner, à l'ONU, la guerre en Ukraine.
M. Christian Cambon. - Eh oui !
M. Joël Guerriau. - Nous n'avons pas que des amis parmi les dirigeants africains. Investissons donc en faveur de nos alliés en veillant à ne pas renforcer nos adversaires. La France doit agir au mieux de ses intérêts, selon deux principes : réciprocité et entente cordiale. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat et Olivier Cadic applaudissent également.)
M. André Guiol . - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER) L'Afrique est le continent de tous les défis, climatique, économique et démographique. C'est aussi l'objet de toutes les convoitises. Chine et Russie ont sorti l'Afrique du face-à-face avec l'Europe - mais à quel prix ?
La masse d'argent qu'a déversée la Chine a créé une relation asymétrique, sans apporter le développement attendu. Dans le cadre de la stratégie non conventionnelle d'influence russe, Wagner conduit son travail de sape de l'Occident. Ce n'est pas très subtil, mais cette politique a des résultats, comme à l'ONU : la récente abstention du Gabon sur une résolution portée par la France est éclairante.
Que peut l'Europe ? Que peut la France, qui traîne derrière elle le poids de son histoire coloniale et de la politique du pré carré ?
Les relations de certains pays avec la France restent, hélas, passionnées ou traumatiques. Depuis longtemps, nos présidents successifs ont appelé à regarder l'avenir. De son discours à l'université de Ouagadougou à sa récente tournée dans quatre pays africains, le président Macron n'a cessé de rappeler la fin de la Françafrique et la nécessité de refonder une relation équilibrée. Les évènements font qu'il n'en reste plus grand-chose. La fin du franc CFA est le symbole du peu qui reste de nos liens historiques.
Pour refonder nos relations, il faut d'abord demander à nos partenaires ce qu'ils attendent de nous. Il nous faut des relations sincères. Le président Macky Sall n'a-t-il pas justifié son maintien à la tête du Sénégal par le sentiment antifrançais ?
L'instabilité complique toute bonne intention. Appelée par le Mali en 2013, la France en a été évincée par la junte. Il faut éviter tout geste d'adoubement d'un dirigeant.
Sur le plan sociétal, ne surestimons pas le rayonnement de la France même si le français, langue de culture selon Senghor, demeure bien vivace.
Il faut encourager la coproduction ; c'est ce qu'attendent les jeunes générations. Sur le plan militaire, il faut encourager la formation et l'équipement des armées locales. L'envoi de troupes ne peut être que le dernier recours. Il faut toutefois maintenir nos bases et le partage du renseignement.
Le chef de l'État a souhaité une offre militaire rénovée en Afrique. Mon groupe partage l'idée d'une présence plus discrète.
En matière de coopération économique aussi, nous devons nous demander quels sont les besoins de l'Afrique. Celle-ci ne saurait rester un pourvoyeur de matières premières, comme l'a rappelé le président de l'Union africaine Azali Assoumani.
La banque africaine de développement a publié l'indice d'industrialisation 2022 en Afrique : les pays les plus développés sont donc ceux qui se sont le plus éloignés des industries extractives. Les entreprises françaises doivent donc prendre ce virage. Les pays anglophones, avec lesquels nous avons peu d'antécédents, doivent retenir toute notre attention.
Enfin, l'Afrique est aux portes de l'Europe ; il faut donc coopérer en matière d'immigration. Au-delà de l'action bilatérale, l'Union européenne doit travailler au plus proche avec les instances locales autour de trois axes : promouvoir l'immigration légale, lutter contre l'immigration clandestine, et promouvoir le lien entre migration et développement. Ne privons pas l'Afrique de ses talents ; la migration choisie a ses limites. Il faut penser notre coopération en termes de gagnant-gagnant.
La France doit développer un nouveau récit et faire la preuve de son utilité. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)
M. Guillaume Gontard . - Le 9 novembre 2022, le Président de la République a annoncé la fin de Barkhane, dix ans après son début. Dix ans, et un seul vote du Parlement, en 2013 ! Les décisions ont été prises de manière unilatérale, même si vous nous avez fait la grâce d'un débat sur le retrait du Mali en 2022, avant celui de ce soir. La politique africaine de la France demeure une chasse gardée de l'exécutif, mais ce n'est pas un gage d'efficacité : jamais la position de la France en Afrique n'a été aussi précaire.
Quel bilan de l'opération Barkhane ? Le groupe écologiste pense aux 59 militaires décédés en Afrique depuis 2013.
La menace djihadiste est loin d'être éradiquée. Après un recul en 2014, les djihadistes restent bien présents au Mali, au Burkina Faso, au Niger ou en Côte d'Ivoire.
Le Mali et le Burkina Faso restent aujourd'hui sous l'emprise de juntes militaires. Les opérations militaires ont peu de chance d'aboutir à des situations politiques stables. Les djihadistes profitent de notre retrait du Mali et du Burkina Faso pour s'y infiltrer.
Le sentiment antifrançais, de plus en plus prégnant, ouvre la voie à la Russie et à la milice Wagner, présente dans dix-sept pays africains. Notre relation avec le continent africain s'est abîmée. Des puissances étrangères instrumentalisent le rejet de la France, mais cela n'explique qu'en partie la situation. Nous manquons de transparence et prenons des décisions de manière paternaliste, sans prendre en compte les choix des pays théâtres d'opérations. Sans débouché politique tangible, il est inconcevable d'envoyer nos troupes sur le continent.
Nous devons être plus transparents sur nos opérations et reconnaître nos bavures, comme le bombardement d'un mariage au Mali, le 3 janvier 2021.
Notre indignation est aussi à géométrie variable vis-à-vis des dirigeants africains : pourquoi conspuer la junte malienne mais soutenir Idriss Déby et son fils ?
Alors que les effectifs sont réorientés vers des pays, Niger et Tchad, liés à la fourniture d'uranium, il est clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération. Accords de défense et partenariats économiques doivent être pris dans l'intérêt des peuples. Il faut soutenir le développement du continent, et être plus solidaires avec les pays les plus pauvres. La loi de programmation de l'aide publique au développement a produit des effets, mais nous devons favoriser les dons aux prêts, qui ne bénéficient pas aux pays qui en ont le plus besoin.
L'aide de notre pays doit être plus ciblée et travailler avec des réseaux locaux, autre manière de lutter contre le terrorisme. C'est un juste retour, car notre dette envers l'Afrique est immense. Les aides doivent être conditionnées aux droits humains, notamment ceux des femmes et des peuples autochtones. Enfin, l'aide aux réfugiés ukrainiens doit intégrer nos comptes sociaux, et non être comptabilisée dans l'aide publique au développement.
Il faut aussi alléger les dettes contractées par les pays africains. Les pays les plus pauvres subissent déjà les effets du réchauffement climatique : sommes-nous prêts à accueillir des millions de réfugiés climatiques ? Durcir nos politiques migratoires ne sera d'aucun secours.
Continuerons-nous à soutenir les projets climaticides comme l'oléoduc de Total en Ouganda et en Tanzanie, qui équivaudra à 216 millions de trajets aériens Paris-New-York en vingt-cinq ans ? Les ONG dénoncent déjà des violations des droits humains. Il faut renforcer l'application de la loi sur le devoir de vigilance, voire transformer le devoir en obligation.
La politique africaine de la France est à un tournant. C'est l'occasion de faire primer le respect mutuel, dans un but de développement social et écologique. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Stéphane Ravier . - Après le discours de Ouagadougou en 2017, le sommet de 2021 et la tournée de 2023, le Président de la République, très engagé publiquement, investissant temps et argent, n'empêche pas le progrès de la francophobie sur le continent le plus francophone.
C'est que, première erreur, vous relayez le mythe culpabilisateur du pillage colonial, contrairement aux autres anciennes puissances coloniales : Togo et Gabon ont ainsi rejoint le Commonwealth en 2022. Ce masochisme doit cesser.
Deuxième erreur, la démocratie n'est pas universellement transposable ; on l'a vu en Libye, où le chaos règne et est exporté ici.
Troisième erreur : vous refusez de faire de la politique et vous cantonnez à des partenariats avec la société civile ; par idéalisme, vous renoncez à faire de la France une grande puissance et faites croire que notre recul militaire est un choix, alors que les États africains nous mettent dehors.
Quatrième erreur : l'absence d'exigence de réciprocité avec l'aide publique au développement - sans laquelle c'est la double peine.
Cinquième erreur : la suppression du corps diplomatique, avec la perte d'un réseau et d'un savoir-faire uniques. On voit les conséquences de négociations improvisées : froid avec le Maghreb et toute l'Afrique, alors que la Chine, l'Iran, la Turquie et les pays du Golfe s'y implantent. Au Gabon, 70 % de la forêt appartient aux Chinois.
Enfin, avec le départ de Barkhane, nous perdons la main sur la lutte en amont contre les flux migratoires. Le président tunisien, qui parle de grand remplacement, contrôle le robinet migratoire avec l'Algérie et le Maroc.
Le trafic humain devient aussi juteux que celui de la drogue.
Madame, monsieur les ministres, parier sur l'Afrique commence par parier sur la puissance de la France !
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Nous partageons bien des constats, notamment sur le besoin de transformer notre approche.
Monsieur le président Cambon, vous avez mentionné les relations commerciales. Notre présence économique a bien progressé en volume, à distinguer des parts de marché.
Le sentiment antifrançais est une expression trompeuse, comme M. Cadic l'a souligné. Il est à distinguer d'un discours antifrançais, qui se répand et joue un rôle majeur dans le basculement du Mali et du Burkina Faso. Mais c'est l'aide de Wagner, appelé par des putschistes, qui pousse ce discours, tout en créant prédation et exactions, et non l'inverse. Nous réarmons et dénonçons ces manipulations.
Oui, monsieur Cambon, nous devons assumer nos intérêts d'égal à égal, de façon décomplexée. C'est pourquoi nous augmentons nos crédits de communication et culturels et renforçons notre expertise technique de centaines d'experts techniques internationaux d'ici à 2027.
Madame Carlotti, la loi d'août 2021 fixe des niveaux d'APD jusqu'à cette année, puis des objectifs, non impératifs. Là encore, notre APD augmente en volume vers l'Afrique : 50 % entre 2017 et 2022. Je ne connais pas d'autre pays dans ce cas.
Je vous remercie pour vos éloges à nos diplomates, mais la décision d'augmenter les moyens du ministère n'affaiblit pas notre action. Nous créons des emplois pour la première fois depuis trente ans, jusqu'en 2027.
Nous n'avons pas la nostalgie d'une relation exclusive, mais celle-ci a changé et doit se tourner vers les défis climatique et alimentaire, entre autres.
La politique des visas, monsieur Cadic, est menée par le ministère de l'intérieur conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous avons tenu un comité de pilotage récemment : notre politique des visas protège nos intérêts et l'attractivité de notre pays. Nous avons confié à M. Hermelin et aux deux inspections générales un rapport à ce sujet.
Je vous remercie d'avoir mentionné l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme.
Madame Duranton, j'apprécie que vous reconnaissiez l'intensité de notre travail diplomatique, avec par exemple le One Forest Summit au Gabon et le sommet sur le nouveau pacte financier à la fin de ce mois. Nos efforts et notre réarmement d'influence se poursuivent.
Monsieur Laurent, je regrette nos désaccords, notamment sur le franc CFA : si nous garantissons la parité avec l'euro, à la demande des pays concernés, la centralisation des réserves de change est terminée. Mettons notre logiciel à jour. En outre, le nombre de filiales d'entreprises françaises augmente : il n'y a pas que le grand capital qui se développe.
En revanche, nous avons un point d'accord : nombre de pays africains ont besoin de financements accrus. C'est le sens du sommet des 22 et 23 juin, où la France plaidera pour une augmentation des droits de tirage spéciaux (DTS) que nous avons nous-mêmes pratiquée, avec 4 milliards de DTS pour les plus vulnérables. La Chine sera représentée par son premier ministre. Nous débattrons aussi de la dette.
Monsieur Gontard, nous ne soutenons aucun régime au Tchad, mais une transition dont nous souhaitons qu'elle aboutisse à des élections. En Ouganda, si Total a des projets, l'État n'apporte pas de garanties ni de financements à des sociétés privées commerciales. (MM. François Patriat, André Guiol et Olivier Cadic applaudissent.)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées . - Je vous remercie pour l'organisation de ce débat. Les questions africaines occupent trop peu de place dans notre débat démocratique. Cette discussion permet de les évoquer devant l'opinion publique et la presse. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
M. Rachid Temal. - C'est nous qui l'avons demandé !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Et nous y répondons volontiers.
Vos interventions dressent des constats qui semblent similaires : l'exercice est simple, une fois l'histoire terminée. Mais en creusant, des différences profondes apparaissent sur ce que doit être la politique française en Afrique. C'est sain. Monsieur Gontard, le débat parlementaire a-t-il été confisqué ? Il a bien eu lieu, avec les quinze jours d'examen de la loi de programmation militaire à l'Assemblée qui ont montré l'incohérence de certaines formations politiques - sur l'Europe, le couple franco-allemand, l'aide à l'Ukraine. (MM. Rachid Temal et Jean-Marc Todeschini ironisent.) Les formations de certaines alliances électorales ont eu des positions très désaxées sur ces sujets. Le cardinal de Retz disait que l'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment ; je pense au contraire que ces débats sont intéressants.
Quatre points ont appelé mon attention.
Madame Carlotti, votre appréciation de Takuba est dure. Takuba n'est pas un raté ; l'opération manque peut-être d'ambition, mais elle n'a pas échoué. Nos partenaires européens, y compris ceux qui n'ont pas l'habitude des Opex, ont répondu présents et sont heureux de l'avoir fait, monsieur Todeschini - à moins que votre groupe ne croie plus à l'Union européenne ? (Sourires)
D'autres missions européennes ont été oubliées dans ce débat, comme Atalante contre la piraterie et la pêche illégale. La piraterie est un enjeu majeur dans le golfe de Guinée et la corne de l'Afrique. Notre approche militaire reste très terrestre, mais nous aurions tort d'écarter la coopération maritime, car les besoins de nos partenaires en la matière vont croissant. Furieux séguiniste, je suis prudent vis-à-vis des coopérations européennes, mais sur Takuba cette envie de coopération a été réelle, et il faut l'entretenir.
Deuxième observation : aucun des orateurs ne veut la même chose pour nos bases. Monsieur le président Laurent souhaite les fermer, tout en disant qu'il faut être à l'écoute des besoins de nos partenaires : que faire, alors, quand ils nous demandent de les maintenir ? Vous le voyez, les choses sont complexes alors que, comme vous le dites vous-mêmes, vous taillez à la serpe.
À l'inverse, monsieur Cadic, les missions de nos forces armées ne sont pas comparables à celles des forces de sécurité intérieure de nos pays hôtes. Nos bases assurent des missions régaliennes, et non économiques.
Entre vos deux positions, nous voyons l'arc des points de vue exprimés dans cet hémicycle. Ne nous méprenons pas sur le rôle de nos bases : on peut faire Sagittaire avec la base de Djibouti, mais pas avec celle du Sénégal, qui n'assure que de la formation. Affirmer le contraire serait mentir à l'opinion publique et à nos compétiteurs. De même pour la base projetée de Niamey et la base du Gabon, qui appartient à un héritage. Entretenir le flou, c'est entretenir le discours antifrançais.
Troisième point : beaucoup d'entre vous insistent sur le respect de la souveraineté des pays. Cela étant dit, vous avez une lecture unilatérale, voire expéditionnaire des événements au Mali. Certes, il aurait fallu partir avant d'être mis dehors ; mais d'autres armées que la nôtre n'ont pris aucun risque. Il faut assumer ce portage politique : il a fallu du courage au président Hollande pour engager nos forces à la demande du président malien, et pour l'expliquer à la représentation nationale et à l'opinion. Assumons ce bilan, au-delà des clivages politiques.
Autre argument avancé, le vide que nous laissons appellerait nos compétiteurs : mais fallait-il rester contre l'avis de la junte malienne, au risque d'un conflit ouvert ? Quand un pays demande de l'aide, il faut lui répondre par oui ou par non, tout en étant conscients qu'on ne sait pas toujours où le oui nous mène.
Dernier point, tout le monde a mentionné le risque terroriste, mais, désormais plus endogène, moins homothétique, il nécessite un traitement militaire différent. Vous n'avez pas fait le procès de nos forces, contrairement à d'autres, mais si la junte malienne préfère Wagner à nos forces armées, peut-être la faute n'en revient-elle pas à Paris... Cela relève du bon sens.
Je retiendrai donc que la question des bases nécessite une approche transparente. Avec nos partenaires, nous avançons sur le catalogue de formation. Les prochaines cohortes sur notre territoire national seront bien plus étoffées dès l'année prochaine. Nous prenons du retard pour accompagner les armées africaines sur les drones et le cyber... Il faut donc mettre les bouchées doubles.
En avançant sur ces sujets concrets, nous gagnons de l'influence et nous honorons notre parole, donnée voici plusieurs décennies. C'est l'honneur de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Prochaine séance demain, mercredi 7 juin 2023, à 15 heures.
La séance est levée à minuit.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 7 juin 2023
Séance publique
À 15 h, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Alain Richard, vice-président, M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (procédure accélérée) (n°667, 2022-2023)
3. Suite du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (procédure accélérée) (texte de la commission, n°661, 2022-2023) et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (procédure accélérée) (texte de la commission, n°662, 2022-2023)