Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 - Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire (Procédure accélérée)
Discussion générale commune
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
M. Jean-Pierre Sueur. - Hélas !
M. le président. - Il a été décidé que ces textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Nous y voici. Après huit mois d'intenses travaux pour sonder les difficultés de l'institution judiciaire et près d'un million de contributions citoyennes, nous sommes réunis à la suite de la remise du rapport des états généraux de la justice. Après deux grandes vagues de concertation et la présentation d'un plan d'action global pour la justice en janvier, voici la première traduction législative de ce plan.
Conformément à l'engagement du Président de la République, je vous présente les projets de loi de programmation et de réforme du statut de la magistrature les plus ambitieux de l'histoire du ministère. Comme je l'annonçais en juillet 2020 en arrivant sur le perron du ministère, j'entends tourner avec vous la page de mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis plus de trente ans.
La première de ces mauvaises habitudes consiste à demander plus à la justice en lui donnant toujours moins. Nous mettons un terme au délabrement et à la clochardisation de la justice française.
Une autre mauvaise habitude était une approche parcellaire. La nôtre est globale, touche toutes les matières et utilise tous les leviers - législatif, organique, budgétaire et réglementaire.
La dernière est la pire des habitudes : celle de ne pas placer le justiciable, qu'il soit victime, demandeur ou requérant, au coeur des réformes. Ces projets de loi ont l'ambition de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens, en particulier d'une justice plus rapide. L'objectif est simple : réduire tous les délais de moitié d'ici à 2027.
Notre priorité absolue est de donner les moyens nécessaires à la justice pour qu'elle soit à la hauteur de sa mission. L'article 1er de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice entérine ainsi une hausse inédite des crédits du ministère, qui atteindront près de 11 milliards d'euros en 2027. Sur les cinq prochaines années, la hausse cumulée atteindra 7,5 milliards d'euros, contre 2 milliards sous le quinquennat Sarkozy et 2,1 milliards sous le quinquennat Hollande.
Nous poursuivons par là quatre objectifs : tout d'abord, la mère de toutes les batailles, ce sont les recrutements rapides de magistrats, greffiers, attachés de justice, qui font vivre le ministère de la justice. J'ai souhaité inscrire dans le marbre de la loi 10 000 créations de poste, dont 1 500 postes de magistrat - soit autant que lors des vingt dernières années - et au moins 1 500 de greffier.
Deuxième objectif, la revalorisation : il faut attirer les talents, et cette loi de programmation entérine une hausse de 1 000 euros mensuels dès l'automne pour récompenser l'engagement des magistrats ; la revalorisation des greffiers se fera dans un calendrier propre, à l'automne. Les agents pénitentiaires seront revalorisés de la catégorie C à la catégorie B, et les officiers passeront de la catégorie B à la A. Il était temps de reconnaître le rôle indispensable de la troisième force de sécurité intérieure de notre pays. Je suis fier d'être leur ministre et d'avoir amélioré leur place dans la fonction publique.
Troisième objectif de ces crédits : mener à bien la transformation numérique du ministère. Les magistrats disent souvent être freinés par un réseau qui n'est pas à la hauteur. Il faut instaurer le zéro papier d'ici à 2027, avec des experts informatiques dans toutes les juridictions pour aider lorsque la bécane plante. Les capacités du réseau seront augmentées pour fluidifier les connexions. À terme, un seul compte permettra l'accès à toutes les applications, pour éviter les doublons de saisie. En particulier, le projet Portalis sera mis à jour avec le terrain pour la procédure civile, et nous accélérerons le déploiement de la procédure pénale numérique, avec un chef de file commun, issu de la Chancellerie, en lien avec le ministère de l'intérieur.
La transformation numérique de la justice doit se faire en direction des justiciables. J'annonçais en janvier dernier le lancement d'une application sur smartphone. Sa version du 27 avril dernier permet, entre autres, de savoir si l'on est ou non éligible à l'aide juridictionnelle ou de simuler le calcul d'une pension alimentaire. L'application justice.fr a ainsi été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois, et montera en puissance au gré de mises à jour régulières.
Quatrième objectif, le programme immobilier du ministère, avec la construction de tribunaux. Il faudra renouveler le parc judiciaire pour accueillir les nouveaux recrutés. Notre stratégie est d'investir massivement dans les tribunaux de demain pour améliorer les conditions de travail de ceux qui servent la justice, au bénéfice, en bout de chaîne, du justiciable.
D'ici à 2027, plus de quarante opérations de rénovation de tribunaux seront menées. Pour le pénitentiaire, malgré les effets de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine, ainsi que les réticences des riverains et des élus, nous construirons 15 000 places supplémentaires d'ici à 2027, dont la moitié sera sortie de terre l'année prochaine. Il y va de la bonne application de ma politique pénale : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme. Je fais le tour des prisons depuis plus de quarante ans, j'en connais la dégradation. Je n'ai pas de baguette magique, mais une volonté politique forte avec des leviers d'action réalistes et des moyens inédits. Il faut se méfier des solutions miracles...
La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre. Nous investissons près de 130 millions d'euros par an dans la rénovation, soit deux fois plus que sous le quinquennat Hollande.
Le président Jean-Marc Sauvé l'a indiqué : tout ne se réduit pas aux moyens. Nous allons réformer sans déstabiliser, avec les moyens suffisants.
Premier axe, il faut améliorer l'organisation de la justice. Il faut une approche innovante et pragmatique pour déconcentrer le ministère et laisser plus de latitude aux acteurs de terrain dans leurs délibérations. Cette réforme est essentiellement réglementaire, mais, madame la rapporteure, j'ai souhaité l'inscrire dans le rapport annexé.
L'amélioration de l'organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes. Nous proposons ainsi d'expérimenter un tribunal des activités économiques, car l'organisation actuelle manque de lisibilité, mais aussi une contribution économique, à l'instar de nos voisins européens, afin de lutter contre les recours abusifs et d'inciter à l'amiable. Nous bénéficierons ainsi de l'effet marque, car souvent ce qui est gratuit est perçu comme de moindre qualité. Cette contribution tiendra compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande.
Nous devons aussi améliorer nos politiques pénales prioritaires, notamment la lutte contre les violences intrafamiliales, avec des pôles spécialisés, conformément au rapport de grande qualité de Mmes Vérien et Chandler. Cette nouvelle organisation inscrite dans le rapport annexé sera traduite dans un décret qui vous sera transmis et pris à l'été.
Le deuxième axe est la modernisation des ressources humaines de la Chancellerie. Le plan de recrutement devra correspondre aux besoins du terrain, les ressources devant être adaptées à la diversification des fonctions. Les contractuels réalisent un travail formidable, et ont participé à la baisse du stock d'affaires civiles de près de 30 % pour la première fois depuis des décennies, dans presque toutes les juridictions. Moins de stock, c'est moins d'attente pour nos concitoyens. La loi de programmation CDIse ces emplois et crée la fonction d'attachés de justice, formés à l'École nationale de la magistrature (ENM), prêtant serment, et qui font partie de l'équipe réunie autour du magistrat.
Enfin, nous souhaitons répondre au plus près aux besoins des établissements pénitentiaires avec le recrutement par contrat de surveillants adjoints. Ce dispositif a fait ses preuves au ministère de l'intérieur.
La modernisation des ressources humaines est au centre du projet de loi organique, avec la réforme du statut de la magistrature, autour de trois axes.
Tout d'abord, il faut faciliter l'accès à la magistrature, en créant des magistrats en service extraordinaire et de nouvelles voies d'accès, notamment en simplifiant l'accès pour les avocats et en professionnalisant le recrutement avec un jury professionnel. Le maintien du principe du concours républicain garantira l'excellence du niveau de recrutement. Les magistrats à titre temporaire sont, eux, cruciaux pour la politique de l'amiable et les cours criminelles départementales.
Il faut simplifier la gestion des ressources humaines, en pérennisant par exemple les brigades de soutien de magistrats et greffiers à Mayotte et en Guyane et en mettant en place des priorités d'affectation des magistrats ayant accepté de partir dans des territoires peu attractifs. La création d'un troisième grade permet de conserver des magistrats d'expérience et d'améliorer la qualité de la première instance, conformément aux voeux du président Sauvé.
Le deuxième point de la réforme statutaire est la modernisation, notamment celles du dialogue social et du mode de scrutin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Enfin, il faut responsabiliser le corps judiciaire, avec l'élargissement des conditions de recevabilité des plaintes contre les magistrats, et des pouvoirs d'enquête du CSM via la saisine de l'inspection générale de la justice.
Le troisième chantier de la réforme est la simplification de procédures pénales ou civiles. Je veux simplifier la procédure d'appel en réformant le décret Magendie, et réaliser la révolution de l'amiable, qui se fait tant attendre. Ces réformes sont de niveau réglementaire, mais j'ai transmis à la commission des lois le projet de décret pour que nous puissions échanger sur ces projets, dans un temps plus long - il sera pris à l'été pour une entrée en vigueur le 1er octobre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous ne l'avons pas reçu !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ma porte est grande ouverte. En matière pénale, nous devons lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale à droit constant, pour rendre le code plus lisible pour les professionnels. Nous devons regrouper des textes épars pour éviter les erreurs procédurales.
J'ai mis en place un comité scientifique, et je vous proposerai la mise en place d'un comité de suivi composé de parlementaires de tous les groupes politiques, et des présidents des deux commissions des lois. Le contrôle de la commission supérieure de codification et du Conseil d'État imposera au Gouvernement de respecter la lettre et l'esprit de l'habilitation octroyée par le législateur. Le nouveau code de procédure pénale n'entrera pas en vigueur avant sa ratification, conformément à la volonté de votre commission.
Enfin, nous vous proposons des mesures concrètes immédiatement applicables : des mesures améliorant l'efficacité de l'enquête pénale, l'extension des travaux d'intérêt général (TIG) aux entreprises de l'économie sociale et solidaire, l'extension du champ des infractions recevables pour une indemnisation des victimes.
Je salue les membres de la commission des lois, son président et ses rapporteurs : nous partageons l'ambition commune de replacer la justice à la hauteur des attentes des Français, au nom de qui elle est rendue. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) La justice n'est pas épargnée par la défiance des Français à l'égard des institutions. Cette défiance n'a pas été endiguée par les six réformes législatives votées depuis 2017, la dernière il y a un an et demi, qui n'ont pas résolu les crises, comme l'établit le rapport Sauvé à l'issue des états généraux de la justice : cette situation découle « d'un malaise profond aux origines lointaines » que « l'ordonnancement juridique actuel plus kaléidoscopique que pyramidal » n'apaise pas.
Les états généraux ont fait naître un nouvel espoir. La loi de programmation et d'orientation de la justice et la loi organique en sont les traductions législatives. Toutefois, certaines dispositions restent en deçà de l'ambition, comme la réforme du témoin assisté ou l'exclusion des greffiers de l'équipe autour du magistrat.
L'effort budgétaire de 6,8 %, en euros constants, de 2023 à 2027 est assurément bienvenu, pour financer les 1 500 magistrats et les 1 500 greffiers promis. Nous avons souhaité augmenter le nombre de greffiers recrutés, et flécher le recrutement de 600 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP).
Il faut une réforme en profondeur de l'organisation du travail des magistrats et une simplification des procédures. Cela passe par la réorganisation du corps judiciaire. La commission des lois a souhaité renforcer l'ouverture du corps judiciaire, en prévoyant que les magistrats constituent moins de la moitié des membres du jury professionnel.
La réforme des trois grades et les durées minimale et maximale d'affectation, ajoutées par la commission des lois, y participent également.
Enfin, nous avons voulu renforcer le rôle des chefs de cour d'appel dans le respect du principe d'inamovibilité des magistrats, corollaire de leur indépendance. En contrepartie, l'évaluation à 360 degrés des chefs de cour et de juridiction sera alignée sur d'autres évaluations similaires pour la haute fonction publique.
La responsabilité des magistrats judiciaires sera consolidée grâce à une clarification de la faute disciplinaire et à un renforcement de l'échelle des sanctions. Il faut une évaluation de la charge réelle de travail, attendue depuis fin 2022 - c'est un serpent de mer - pour faire en sorte que les moyens répondent aux besoins.
L'équipe autour du magistrat, qui était très attendue, est réduite à la portion congrue, sans les greffiers, loin des préconisations du rapport de Dominique Lottin.
La simplification des 2 400 articles du code de procédure pénale est unanimement désirée, mais elle doit poser des questions de fond, entre autres, sur l'instruction, l'unification des enquêtes et la place des parquets. L'habilitation sollicitée n'emporte pas l'adhésion naturelle du Sénat : nous souhaitons en contrôler les effets lors de la ratification. En outre, comment réécrire le code sans modifier le fond ni prendre en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?
L'ordonnance ne sera donc qu'une étape ; c'est pourquoi la commission des lois propose d'en repousser d'un an l'entrée en vigueur afin de laisser le temps de la ratification et simplifier vraiment le code de procédure pénale. La commission des lois y prendra sa part de responsabilité. Réformons, en éloignant de nous l'immobilisme et de l'agitation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) S'il est utile que le projet de loi organique ouvre la magistrature et augmente le recrutement, entendons la défiance exprimée à l'égard de la justice, certains pensant les juges intouchables. Avec 3 224 saisines du CSM ces dix dernières années pour 88 jugées recevables, 7 plaintes renvoyées et 0 sanction, on pourrait le croire.
C'est pourquoi l'article 8 élargit la recevabilité des plaintes des justiciables et supprime la nécessité d'articuler les griefs, inconnue du justiciable lambda.
La commission a supprimé l'audition systématique du magistrat, a clarifié la faute disciplinaire et renforcé l'échelle des sanctions.
Sujet qui n'est pas anecdotique, il faut désormais un master 2 pour exercer le métier d'avocat. Cependant, le décret ne précise pas le niveau nécessaire pour intégrer l'école de formation : 8 % le font dès le master 1. Pourquoi s'en priver ? Nous proposons de modifier le décret en ce sens.
Ensuite, je salue personnellement l'inscription des pôles Violences intrafamiliales (VIF) dans le rapport annexé, à la suite du plan Rouge VIF que nous avions remis le 22 mai dernier avec Émilie Chandler. Avec ma corapporteure, nous n'avons pas déposé d'amendements modifiant le rapport annexé, pour éviter d'en faire un inventaire à la Prévert ; nous souhaitons lui conserver son statut d'orientation. Nous serons donc défavorables à certains amendements, même issus du plan Rouge VIF (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le déplore), soit parce que ce sont des éléments réglementaires, soit parce qu'ils relèvent du projet de loi de finances (PLF), soit à cause de l'article 45.
Ce texte réforme la justice commerciale, à la suite du rapport de nos collègues François Bonhomme et Thani Mohamed Soihili, avec l'expérimentation des tribunaux des activités économiques. Nous l'avons rendue plus ambitieuse en l'étendant à tous les corps de métier et en permettant de la conduire dans des conditions réelles, avec des juges consulaires issus des différentes professions.
Le Sénat est favorable de longue date à la contribution pour la justice économique - je renvoie au droit de timbre prévu par le rapport Bas de 2017. Attention toutefois à son montant, qui ne doit pas être un frein à l'accès de la justice. Le barème affiné pour ne pas pénaliser les petites entreprises doit s'accompagner d'une extension de l'aide juridictionnelle aux personnes morales, que nous n'avons pu créer du fait de l'article 40.
De même, seule une loi de finances peut flécher la contribution pour la justice économique : cela serait utile, car les juges consulaires, au-delà du bénévolat, font figure de quasi-mécènes. Devoir payer pour travailler, c'est trop injuste...
Il vous reste du travail, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Heureusement ! (Sourires)
Mme Laurence Harribey . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) « Dégradation de l'institution judiciaire », « souffrance du personnel », « incompréhension des justiciables » : tels sont les mots du rapport issu des états généraux de la justice. Ces deux textes ne sont pas une réforme systémique ; ils ne sont que la traduction chronologique des états généraux.
La question carcérale, objet d'un seul article, est l'une des grandes oubliées de la réforme : elle se résume à l'augmentation de places de prison, corrélée avec le risque de récidive selon les études.
Autre point oublié, la question des violences familiales : on reste bien en deçà des besoins.
Nous regrettons aussi l'engagement de la procédure accélérée alors que ces textes apparemment techniques sous-tendent parfois un véritable changement de paradigme et nous sommes dubitatifs sur le rapport annexé, qui peut être une manière de se défausser.
Sur le principe, nous sommes défavorables aux ordonnances. Il est difficile de l'éviter pour réécrire le code de procédure pénale, mais il faut encadrer ce report : le report d'un an est un premier pas, il faut aller plus loin.
Il y a bien urgence à avancer. Nous abordons donc l'examen du texte dans un esprit constructif et saluons l'adoption par la commission de certains de nos amendements. L'augmentation budgétaire est significative, mais nous serons vigilants sur son effectivité.
Sur le thème de la justice plus rapide, nous nous interrogeons sur l'article 3 de la loi d'orientation et de programmation : le renvoi de procédures au juge des libertés et de la détention (JLD) nous semble attentatoire aux libertés, de même que les perquisitions de nuit, le délai de détention provisoire et de garde à vue, l'assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse), ou encore les écoutes, la captation d'images et la géolocalisation. Nous avons déposé des amendements.
La réforme de la justice économique, qui suscite de nombreuses réserves, n'est pas mûre.
Enfin, les nouveaux attachés de justice doivent être de réels appuis pour donner du sens à l'équipe autour du juge, à laquelle nous souscrivons.
Concernant la loi organique, il faut bien garantir l'ancrage sociétal et la diversité des candidats à la magistrature, mais ne déséquilibrons pas la composition du corps et veillons à ce que la durée des formations et du stage probatoire ne soit pas contre-productive.
Nous serons vigilants sur le sort de la commission d'avancement et la constitution du jury.
Enfin, nous regrettons que le texte renonce à appliquer l'article 56 de la loi Sauvadet de 2012 pour les nominations aux plus hauts postes.
Nous saluons l'augmentation des moyens, mais regrettons que le texte soit en deçà de la réforme systémique préconisée par les états généraux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman . - L'élaboration de ces deux projets de loi n'est pas constructive : le recours à la procédure accélérée est un signe de récidive du Gouvernement. Nous regrettons aussi que le dialogue social ait été négligé, et déplorons l'élaboration de normes législatives et réglementaires à la hâte. Nous multiplions ainsi les textes mal ficelés, vecteurs d'insécurité juridique et difficiles à appliquer.
Nous souscrivons donc au constat des deux rapporteures d'une traduction approximative des états généraux de la justice. Notre groupe est sur la réserve.
Le projet de loi d'orientation et de programmation affiche l'objectif d'une justice moderne, plus rapide et plus claire. Nous regrettons l'absence d'endiguement de la population carcérale : la construction de 15 000 places de prison est insatisfaisante. Il n'y a rien sur la régulation carcérale ni sur le suivi en milieu ouvert. L'assignation à résidence n'est pas une solution pour la réinsertion. Le nombre de détenus atteint des records, les conditions de détention sont indignes.
Il faut sortir des réponses populistes attendues par une certaine presse en soif de vengeance plutôt que de justice, et mobiliser l'humanité de chacun plus que son animalité. Notre groupe se fait le relais législatif de ces exigences, en proposant d'introduire par amendement la proposition de loi de la présidente Assassi sur la surpopulation carcérale. La dignité n'est pas le prix de la sanction pénale, et les droits fondamentaux ne sont pas une option.
Le recrutement de magistrats et de greffiers demeure insuffisant. Nous sommes réservés sur le recrutement massif d'attachés de justice, des urgentistes qui ne combleront pas le manque de magistrats à long terme. La justice est un service public exigeant, qui suppose des magistrats formés.
Nous nous opposons à certaines dispositions relevant de la réforme de la procédure pénale, que nous proposons d'amender.
Nous nous opposons aussi à la réforme asynchrone de la justice commerciale.
Enfin, le projet de loi organique, présenté comme l'une des plus importantes réformes statutaires depuis 1958, vise l'ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur, la modernisation de l'institution et la responsabilisation accrue des magistrats. Si nous approuvons certains de ces objectifs, nous restons sur notre faim.
Ainsi, les fonctions d'encadrement sont valorisées au détriment de la grande majorité des magistrats qui exercent exclusivement des fonctions juridictionnelles.
L'ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur se résume à une simplification des voies de recrutement. Les avancées sont maigres : la magistrature ne saurait devenir une voie de repli. Sa philosophie, sa pratique ne sont pas celles de l'avocature.
Nous faisons confiance au travail en séance et sommes satisfaits de certaines améliorations apportées en commission. Nous réservons notre vote à l'issue des travaux, mais ne doutons pas que le travail sera constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous vous savons gré, monsieur le ministre, des moyens supplémentaires obtenus, résultat d'arbitrages qui traduisent une volonté politique. Nous vous en donnons acte. Cependant, tout n'est pas qu'une affaire comptable.
Notre groupe est d'autant plus favorable aux orientations du texte que nous avons été associés à sa préparation : nous savons combien Dominique Vérien y a travaillé avec Agnès Canayer.
Nous mesurons à quel point, dans le monde judiciaire, tout est dans les détails. Au-delà des beaux discours d'audience de rentrée, c'est dans la mise en oeuvre que le bât blesse.
Le projet de loi organique ouvre l'accès à la magistrature, conformément aux évolutions de la société. Vous changez de registre sur le plan quantitatif, avec de nombreux recrutements. Se pose en parallèle la question qualitative. Si je ne doute pas des qualités techniques des candidats - la science juridique est fort bien enseignée - la fonction de magistrat, comme celle de médecin, exige des qualités humaines. Vos propositions concernant les jurys et les concours nous semblent adaptées.
Vous souhaitez une évaluation à 360 degrés des magistrats : cela pose la question de la gestion des ressources humaines, point faible de la Chancellerie. Vous en avez conscience, de même que de ses faiblesses informatiques. Le simple fait de s'attaquer à ces sujets est important. La notion d'équipe du magistrat y contribuera, pourvu qu'on l'interprète de façon souple.
Vous proposez également une évolution du régime de responsabilité des magistrats, et de la notion de faute disciplinaire : le sujet est attendu par la société. L'analyse du rapport du CSM laisse perplexe, notamment au regard du nombre de plaintes qui lui sont adressées et de leur résultat. Les modifications proposées sont raisonnables et pondérées.
La commission a prévu une reconduction par moitié des personnalités qualifiées du CSM, afin d'assurer un tuilage entre les mandatures. Le rapport rédigé à la fin de la dernière mandature illustre ce besoin d'assurer une continuité des jurisprudences.
Quelques mots sur le projet de loi ordinaire. La commission des lois vous demande un peu plus de précision sur la répartition des emplois.
L'article 2 ordinaire habilite le Gouvernement à procéder par ordonnance. Sur le principe, nous y sommes défavorables, mais toute règle a une exception. Quelles seraient les alternatives ? Nous pourrions demander un rapport au Conseil d'État, mais la procédure pénale n'est pas son terrain de jeu et la Cour de cassation n'est pas spécialisée en matière de légistique. Nous pourrions aussi recourir à des parlementaires en mission, mais six mois n'y suffiront pas.
Je ne vois pas d'autre solution que l'ordonnance. Attention toutefois à ne pas confondre lisibilité et simplification, monsieur le ministre : lors de votre audition, vous évoquiez tantôt l'un, tantôt l'autre. La réécriture à droit constant relève de la lisibilité. En revanche, les magistrats et les forces de sécurité attendent une simplification des procédures, ce qui n'est pas possible à droit constant. Il faudra faire les deux.
Le comité scientifique qui assumera le travail de bénédictin de recodification devra aussi identifier, en cheminant, les sujets qui méritent simplification. Le comité de parlementaires que vous souhaitez associer aura toute légitimité sur ce volet. Il y a une articulation à trouver entre une meilleure lisibilité du code de procédure pénale et sa vraie simplification : c'est le sens de l'amendement porté par le rapporteur.
Nous approuvons l'expérimentation des tribunaux des activités économiques, qui libérera des magistrats pour d'autres tâches. L'intégration de professions réglementées est de bon aloi, la spécialisation en matière de baux commerciaux est justifiée. Concernant le droit de timbre, il n'y a que des avantages à montrer que la justice n'est pas gratuite.
Je vous renvoie à mes travaux sur les conseils de juridiction. Sortons de la méfiance réciproque entre monde politique et monde judiciaire. Le dialogue plutôt que le duel !
Nous resterons vigilants sur l'article 17 et la simplification pour les saisies-arrêts. Je suis curieux de voir ce que vous mettez derrière l'ordonnance en matière de publicité foncière.
Concernant les perquisitions et l'activation à distance, le texte me paraît correctement rédigé. Avec la multiplication des applications cryptées, il n'y a pas d'autre solution si l'on veut tracer les éléments, sous le contrôle des juges des libertés et de la détention (JLD).
Il vous reste du travail, disait Mme Vérien. Je dirai plutôt : il nous reste du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Stéphane Ravier . - Monsieur le ministre des détenus, la parole est à la défense du peuple français. (Marques d'ironie sur plusieurs travées au centre et à gauche) Les justiciables sont dans l'incompréhension face à l'augmentation de l'insécurité, première des injustices. Les délais s'allongent, les peines de substitution se multiplient et les places de prison manquent toujours. Alors que 73 000 personnes sont incarcérées en France, pour 60 900 places, près de 17 000 places, soit 23 %, sont occupées par des étrangers. (Mme Michelle Gréaume s'insurge.) Le désengorgement de nos prisons commence par leur expulsion.
Les citoyens français veulent une justice ferme et efficace, que l'on restaure l'ordre dans les prisons où règne la violence.
Les magistrats sont soit politisés, soit découragés. Le Syndicat de la magistrature, qui préfère les murs des cons aux murs de prison, incarne la politisation de la justice, on l'a vu encore à Mayotte. Les autres magistrats sont contraints au laxisme, faute de places de prison.
Pour y remédier, votre texte propose des places supplémentaires, alors que vous n'avez même pas atteint 6 % de l'objectif du premier quinquennat, avec 400 places sur 7 000. Qui peut croire aux 15 000 places supplémentaires d'ici quatre ans ?
La confiance en la justice ne cesse de reculer, car vous en éloignez le peuple, en supprimant les jurys populaires ou en confiant les nouveaux tribunaux des activités économiques à des magistrats professionnels.
Comment croire que les choses changent quand le garde des sceaux, après s'être autoproclamé « ministre des prisonniers », assume comme une fatalité que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne puissent pas être exécutées ? C'est consacrer la loi du plus fort. Quel bras d'honneur à la famille de la petite Lola, quel signal envoyé aux trafiquants d'êtres humains !
Vous êtes ici sur le banc des ministres mais, en réalité, vous avez déjà démissionné. Après vos trois années à la tête de la Chancellerie, la France est plus que jamais un coupe-gorge.
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Dès lors qu'il est question de réformer la justice, il est facile de dresser une liste de lieux communs.
Nos juridictions tiennent beaucoup grâce à l'abnégation de nos magistrats. Soulignons les efforts budgétaires qui tendent à replacer petit à petit notre pays à un niveau acceptable, et réjouissons-nous que cette dynamique se poursuive.
Le problème de la justice n'est pas uniquement financier. La justice peine aussi à convaincre les citoyens de son efficacité. Nous avions placé beaucoup d'espoirs dans la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, et il est regrettable qu'une nouvelle loi soit nécessaire, moins de deux ans après. Espérons que nous ne devrons pas à nouveau dresser un constat d'échec.
Sur le fond, la peine de travail d'intérêt général, l'élargissement du champ des infractions recevables de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, la déjudiciarisation de la procédure de saisie des rémunérations sont des avancées. Reconnaissons que pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale, il est pertinent de procéder par ordonnance. La proposition des rapporteures de reporter d'un an son entrée en vigueur est un bon compromis. Les procédures réputées complexes auront-elles disparu pour autant, ou faudra-t-il une nouvelle loi pour simplifier le code nouvellement réécrit ?
Les orientations indiquées dans le rapport annexé sont globalement satisfaisantes. Il faut revaloriser les salaires, recruter, financer les chantiers immobiliers et numériques.
En revanche, nous réservons notre position sur des mesures qui nous paraissent risquées pour nos libertés, comme le recours à la visioconférence pour les interprètes et la téléconsultation médicale en garde à vue.
Idem concernant l'activation à distance des appareils connectés des suspects. S'agissant de crimes et délits particulièrement graves, cela peut se concevoir, mais les avocats s'interrogent sur la confidentialité de leurs échanges avec leurs clients. Nous serons attentifs aux arguments.
Notre groupe est donc plutôt favorable à ce projet de loi, mais notre position pourrait évoluer selon la teneur des débats.
Nous sommes également favorables au projet de loi organique, même si nous relayons les regrets de certains professionnels, notamment du CSM. Il y a toutefois intérêt à simplifier les voies d'accès à la magistrature, tout comme à responsabiliser davantage les magistrats. Les ajustements proposés par la commission nous semblent ainsi bienvenus. Nous voterons pour l'essentiel en faveur de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une justice pauvre est une justice faible. L'augmentation du budget de la justice, de 14 %, répond à des attentes anciennes. La justice française, pauvre, lente et parfois opaque, en a cruellement besoin pour remplir sa mission.
Ces nouveaux moyens financiers seront-ils pour autant suffisants pour enrayer la clochardisation de la justice pointée en 2016 par Jean-Jacques Urvoas ? Notre pays attend une réforme en profondeur de la justice, pas seulement de l'institution judiciaire.
Ce projet de loi ne prévoit rien pour restaurer l'effectivité de la chaîne pénale, malgré quelques signaux faibles dont l'efficacité fera débat. Or face à l'explosion des violences et du sentiment d'impunité, la France a besoin d'une révolution pénale, faute de quoi le ministre de l'intérieur sera condamné à vider la mer à la petite cuillère percée.
Cette révolution pénale passe avant tout par la construction de places de prison, seule garantie d'une bonne exécution des peines, pour redonner du sens à la sanction et casser le sentiment d'impunité.
Or le projet de loi contourne l'écueil en généralisant les alternatives à la prison comme les TIG et le bracelet électronique. Au lieu de revenir sur les aménagements de peine, vous les renforcez !
La France est l'un des pires élèves européens en matière de surpopulation carcérale, avec des taux d'occupation de 119 % en prison et de 140 % en maison d'arrêt. Résultat, elle incarcère moins que ses voisins : 105 personnes pour 100 000 habitants, derrière l'Espagne à 123, le Portugal à 124, l'Angleterre à 138. Le président Macron avait promis 15 000 places d'ici 2022, mais n'en a construit que 2 000. Comment réussir en quatre ans ce qu'on n'a pas réussi en six ?
Il y a urgence, sachant que seuls 59 % des personnes condamnées à de la prison ferme sont réellement incarcérées. Des solutions existent pour inciter les maires à accepter un centre de détention sur leur territoire : revalorisation de la DGF, ou comptabilisation des places de prison construites dans le calcul de carence pour les communes concernées par l'article 55 de la loi SRU.
La nécessité de réformer le code de procédure pénale fait consensus. Ce n'est pas ce que propose le projet de loi, qui prévoit une recodification à droit constant, par ordonnance. Il serait plus pertinent de commencer par réformer le code de procédure pénale pour le simplifier, avant de le codifier - sauf à devoir ensuite recommencer l'ouvrage.
La justice est un sujet singulier, qui engage notre conception de l'État et de la démocratie. Il faut donc rechercher une adhésion large. Chacun doit pouvoir dire sa vérité. Trop longtemps, la justice a vécu en vase clos, en cultivant sa complexité, parfois en minorant ses responsabilités. Elle retrouvera la confiance des Français si elle garantit leur sécurité, première des libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions)
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis le code d'Hammourabi, le droit a structuré nos sociétés. Nous croyons aux vertus de l'État de droit, au respect des libertés individuelles et de la propriété privée.
La confiance des individus dans l'institution judiciaire est clé, or un doute s'est installé. Pour un Français sur deux, la justice fonctionne mal.
Votre ministère souffre d'un mal chronique, Monsieur le ministre. Pendant trop longtemps, il n'a pas fait partie des priorités politiques. La France figure parmi les pays qui investissent le moins dans la justice : 72 euros par habitant en 2020, contre 111 euros au Royaume-Uni, 140 euros en Allemagne. Depuis quelques années, grâce à vous, monsieur le ministre, le budget de la justice est passé de 8,5 milliards d'euros à 11 milliards. C'est à saluer, mais nous partions de loin.
Au 1er avril 2023, le taux d'occupation des prisons était de 120 %. Les moyens manquent encore. La loi de programmation doit permettre de réduire les délais de jugement, d'améliorer les conditions de travail dans les juridictions. Il faut recruter plus de magistrats et renforcer l'attractivité du métier.
Le manque de moyens n'est pas seul en cause. L'inflation normative rend notre droit illisible. Le code de procédure pénale a triplé de volume depuis sa création. Bien plus que le toiletter, il faut le simplifier. Cela ne peut se faire à droit constant. Il faudra notamment trancher la question de la fusion des cadres d'enquête.
S'agissant des libertés individuelles, nous comprenons les inquiétudes vis-à-vis de techniques d'enquête de plus en plus intrusives. Il faut veiller à leur strict encadrement, et en exclure les journalistes, les magistrats et les avocats.
Nous soutenons l'expérimentation des tribunaux des activités économiques pour les procédures relatives aux entreprises en difficulté.
Les saisies sur rémunération seront confiées aux commissaires de justice sous le contrôle des juges, ce qui libérera du temps de magistrats et de greffiers. Nous serons attentifs aux débats que nous aurons en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. Guy Benarroche . - (Mme Esther Benbassa applaudit.) La justice, son fonctionnement et ses acteurs, sont essentiels à l'équilibre de la société. Deux ans après la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, nous légiférons à nouveau pour tenter de remédier à la « clochardisation » de la justice.
Si nous partageons ce constat et l'urgence d'agir, notre groupe ne saurait pourtant s'aligner sur la vision du Gouvernement et du Sénat. Certes, le budget est en hausse, mais nous nous interrogeons sur sa répartition et son utilisation.
Pour nous, le « tout carcéral » n'est pas une solution. Une société qui incarcère moins n'est pas moins sécurisante, au contraire, et le coût et l'efficacité des alternatives à la prison plaident en leur faveur. Les conditions de détention indignes, qui ont valu à la France d'être condamnée, ne justifient pas la construction de places de prison supplémentaires : la punition d'exclusion sociale ne peut être découplée de l'objectif de réinsertion. Il aurait fallu présenter au même niveau que la détention des solutions en milieu ouvert et interroger les possibles décriminalisations et dépénalisation.
Ce texte prévoit le recrutement de personnels contractuels moins bien formés pour la pénitentiaire. Vous ayant déjà alertés par le passé, nous ne saurions cautionner ces sucres rapides.
Nous saluons la volonté de faire sortir les assistants de la précarité, mais cela ne saurait pallier le manque de magistrats. On ne peut se contenter de gérer la pénurie.
L'ouverture de la magistrature est essentielle, et nous la saluons ; le terrain la demande depuis longtemps. Mais l'occasion est ratée d'investir dans les sucres lents : un recrutement et une formation massifs à l'ENM.
Les visioconférences ne peuvent pas être la règle : un médecin ne peut juger des conditions de garde à vue à distance, et l'interprétariat à distance gêne les auditions. Comment ne pas voir dans la vidéo-audience un éloignement de la justice et du citoyen ? Notre groupe proposera un droit de visite des parlementaires dans les hôpitaux psychiatriques.
La mise en place de caméras-piétons dans les prisons sans garantie d'accès aux vidéos relève de l'effet d'annonce. Que dire de la transformation des objets connectés en mouchards pour chacun d'entre nous ?
Je le dis souvent, mais treize millions de Français souffrent d'illectronisme, et le tout internet représentera pour eux une difficulté.
Nous saluons l'effort budgétaire consenti et les mesures positives présentes dans ce texte, mais elles ne vont pas assez loin. Nous aurions pu voter ce texte en guise d'encouragement, mais trop de mesures nous semblent négatives. Nous ne voterions pas ce texte en l'état, mais serons attentifs au sort réservé à nos amendements, qui déterminera notre vote. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Esther Benbassa et Michelle Meunier applaudissent également.)
M. Thani Mohamed Soilihi . - (M. Frédéric Marchand applaudit.) Les deux textes que nous examinons sont le fruit des travaux des états généraux de la justice, lancés en octobre 2021 par le Président de la République à Poitiers, et dont les conclusions remises en juillet 2022 figurent dans le rapport Sauvé. Ils sont la traduction législative des 60 recommandations issues des états généraux, pour rendre notre justice plus protectrice, rapide et efficace. Le projet de loi d'orientation et de programmation fixe un cap ambitieux : un budget de 11 milliards d'euros en 2027. Je suis à court d'adjectifs pour qualifier cette augmentation de crédits, qui renforcera les moyens humains nécessaires à cette institution, mais également leur revalorisation et leur carrière.
M. Michel Savin. - Tout va bien !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Ce seront donc 10 000 personnes qui seront recrutées, avec la création des corps de surveillants pénitentiaires adjoints, ou d'attachés de justice destinés à rompre la solitude des magistrats.
La réforme statutaire accompagnera cette hausse d'effectifs. Elle s'inspire des recommandations des états généraux de la justice et ouvre le corps judiciaire sur l'extérieur, améliore le dialogue social et développe la responsabilité comme la protection des magistrats. La transformation numérique et les chantiers immobiliers du ministère seront également soutenus.
J'entends les réticences sur la création de 15 000 places de prison ; elle est pourtant nécessaire et s'accompagnera de l'extension du champ des TIG et de la libération sous contrainte.
Je ne peux que me réjouir de la reprise expérimentale des tribunaux des activités économiques, qui figuraient dans la proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant l'ordonnance du 15 septembre 2021, déposée en novembre 2021 par François Bonhomme et moi-même. La commission a adopté deux amendements de mon groupe associant le Parlement à cette expérimentation.
Dans ce même esprit de rationalisation, vous proposez la réécriture à droit constant par ordonnance de la partie législative du code de procédure pénale. Le comité scientifique chargé d'assurer le suivi de ces travaux sera accompagné d'un comité parlementaire s'assurant du respect de l'habilitation. Nous avons souvent eu le débat selon lequel les prérogatives du Parlement seraient mises à mal par des ordonnances ; à tout le moins, soulignons que les modalités de concertation prévues par ce Gouvernement sont inédites.
Notre groupe soumettra à la Haute Assemblée un certain nombre d'amendements.
Enfin, un sujet me tient à coeur - vous me voyez venir... (Mme Marie-Pierre de la Gontrie le confirme.) En avril dernier, le Sénat avait organisé à la demande du groupe SER un débat sur l'état de la justice dans les outre-mer. J'avais regretté que seulement deux pages et demie des 250 pages du rapport Sauvé y soient consacrées. Entre particularisme géographique, pauvreté, barrière linguistique et insécurité, les outre-mer cumulent les difficultés.
Monsieur le ministre, je connais votre intérêt pour ces territoires éloignés. Comment ces recrutements massifs seront-ils effectifs dans les outre-mer ? Comment les chantiers immobiliers évolueront-ils ? Vous avez annoncé le début en 2025 de la rénovation de l'ancien palais de justice de Guadeloupe et la construction d'une structure d'accompagnement vers la sortie en Martinique. À Mayotte, en mars 2022, vous aviez annoncé la création d'une nouvelle cité judiciaire, d'un second centre pénitentiaire et d'un centre éducatif fermé. Il y a certes un problème de foncier, mais compte tenu des événements récents, il faut rapidement un calendrier de mise en place.
Nonobstant les effets de tribune de certains, qui traduisent mal le travail constructif en commission, le RDPI considère que le Gouvernement a pris la mesure des enjeux - surpopulation carcérale, délais de procédure, accès à la justice - et qu'il propose des moyens et des mesures ambitieux : nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quel coup de théâtre !
M. Jean-Pierre Sueur . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Il y a dix ans, le Sénat votait à l'unanimité une proposition de loi que j'avais déposée restaurant la compétence universelle du juge français pour les infractions et crimes relevant de la Cour pénale internationale. Il s'agissait d'appliquer un traité auquel quatre verrous avaient été imposés. Depuis dix ans, j'ai déposé de nombreux amendements pour que les choses bougent.
Il y a eu des évolutions, mais pas concernant la constatation de l'infraction dans les deux pays - la France et celui dont l'auteur des faits est citoyen. Les décisions de la Cour de cassation ont suscité une réprobation internationale.
Le 12 mai dernier, la Cour a pris une position claire sur cette double incrimination. Monsieur le garde des sceaux, vous aviez publié le 9 février 2022, conjointement avec M. Le Drian, un communiqué surprenant, qui affirmait que si la justice évoluait, votre ministère en tirerait les conséquences - d'habitude, les lois sont votées par le Parlement à l'initiative du Gouvernement, puis les juges les appliquent... Mais puisque la Cour de cassation a rendu sa décision, personne ne comprendrait que vous ne fassiez pas ce que vous aviez dit.
Beaucoup de voix réclament la régulation carcérale : la contrôleure des lieux de privation de liberté, comme le rapport Sauvé ou l'Observatoire international des prisons. Mais votre position reste la même. Nous considérons qu'il faut prendre en considération la proposition de loi du groupe CRCE et les préconisations de Dominique Raimbourg en faveur d'un plafond de surpopulation mettant fin à cette réalité : il y a aujourd'hui 2 151 détenus qui dorment sur des matelas à même le sol ! (Mme Éliane Assassi renchérit.) Il faut, pour cela, s'opposer aux discours démagogiques selon lesquels la sécurité reviendrait à entasser des gens dans les prisons, y compris dans des conditions indignes.
Robert Badinter disait que la cause principale de récidive était la condition pénitentiaire. Des moyens pour lutter contre ce phénomène existent : abordons-les. (Applaudissements à gauche ; M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
M. Gilbert Favreau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 8 juillet 2022, le premier vice-président honoraire du Conseil d'État, M. Sauvé, remettait au Président de la République son rapport, aux constats alarmants : difficultés dans l'application des peines, défaillances de l'administration judiciaire, délais de jugements toujours plus longs.
Les moyens de la justice sont insuffisants, et les mesures de ces projets de loi sont bienvenues. Mais les crédits ne permettront pas à eux seuls de pallier les carences.
L'article 2 du projet de loi prévoit la réécriture du code de procédure pénale ; mais pourquoi choisir de le faire par ordonnance ? Il s'agit de revenir sur les règles sensibles touchant aux libertés et au pouvoir coercitif de l'État, qui relèvent du législateur plus que du Gouvernement. L'usage abusif des ordonnances est devenu pratique courante : quand seules 321 avaient été prises entre 1984 et 2007, 773 l'ont été depuis.
Il ne faut pas oublier le flottement jurisprudentiel entourant la ratification de ces ordonnances. Je ne suis donc pas favorable à cette méthode.
Sur le fond, on est loin de la réforme à droit constant annoncée. L'article 3 modifie notre procédure pénale, avec des mesures sur les perquisitions, la garde à vue et sur le statut de témoin assisté. Nous nous interrogeons notamment sur l'activation des objets numériques à distance, qui nous semble relever des pratiques de régimes totalitaires. (M. le garde des sceaux est surpris.)
L'article 6 prévoyait d'inclure un magistrat du siège comme assesseur du tribunal des affaires économiques, sur ordonnance du président du tribunal judiciaire. Ce recours à l'échevinage est perçu comme un signe de défiance par les juges consulaires. Le risque est grand d'une vague de démissions. La commission des lois l'a compris et a supprimé cette mesure.
L'article 7 prévoit de déroger au principe de gratuité de la justice en expérimentant pour certains tribunaux seulement une cotisation financière qui créerait une rupture d'égalité des justiciables. Les porteurs de bonne foi devront en outre payer cette contribution et un avocat ; cette première atteinte notable au principe de la gratuité de la justice n'est pas souhaitable.
Ces observations témoignent de la densité des textes, qui doivent être modifiés par nos assemblées pour que les droits des citoyens soient garantis. C'est à cette condition que je le voterai. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Quoi de mieux qu'une loi de programmation pour mettre le fonctionnement de la justice au service de la lutte contre les violences faites aux femmes ? J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'une priorité - du Président de la République, du Gouvernement, de vous-mêmes, mesdames les rapporteures - mais quelle déception ! En tout et pour tout, un seul amendement, créant des pôles spécialisés. C'est mieux que rien, mais la promesse du Président de la République portait non sur des pôles, mais sur des juridictions spécialisées. Quelle est la différence ? Les pôles spécialisés, ce sont des magistrats qui se coordonnent...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Qui sont formés...
Mme Laurence Rossignol. - Cela existe déjà et les professions judiciaires en sont satisfaites. Mais une juridiction unique, ce n'est pas ça : c'est un guichet unique, avec des magistrats ayant compétence à la fois pour le civil et le pénal, ce qui fait toute la différence. Nous nous contenterons des pôles spécialisés - faute de mieux...
Monsieur le ministre, vous aviez une belle occasion de traduire les propositions du rapport Vérien-Chandler, mais vous nous avez encore expliqué que ce n'était pas encore le bon texte.
La manière dont nous légiférons sur les violences faites aux femmes - qui ne sont pas la même chose que les violences intrafamiliales, monsieur le ministre - pose problème. Les féminicides, ce sont des femmes qui meurent - 47 depuis le début de l'année - et des hommes qui tuent ; il est important de le rappeler. Nous légiférons n'importe comment, avec des propositions de loi qui se perdent dans les sables mouvants, pendant que les femmes se cognent la tête contre le labyrinthe judiciaire, pendant que des hommes continuent de tuer.
Il y a dix jours, un homme sortant de prison a assassiné femme et enfants, et le procureur a dit qu'il ne l'avait pas vu venir... Je ne comprends plus : quand il s'agit de faire travailler les gens deux ans de plus, le décret est pris rapidement, tout de suite, alors que quand il s'agit de lutter contre les violences faites aux femmes, on nous indique qu'un autre projet viendra, mais on ne sait pas trop quand... (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)
Cette méthode n'est pas la bonne : il faut une loi-cadre. Les ordonnances de protection doivent pouvoir être prises lorsqu'il y a danger, même lorsqu'aucune violence n'a eu lieu ; le délit de non-représentation d'enfant ne doit plus envoyer de femmes en prison. Ce n'est pas sérieux, dans un pays où l'année dernière, 142 femmes ont été tuées par des hommes. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La justice est au bord de la rupture : la longévité de ce constat interpelle. Le rapport Sauvé pointait deux responsables : la sous-dotation permanente de l'institution et la complexification du droit et des procédures.
Membre de la commission des lois, j'ai observé deux fois la réalité des tribunaux en immersion, à Bordeaux et à Thionville. J'ai constaté des défaillances matérielles comme informatiques, étalant les jugements sur quatorze mois en première instance, près de seize mois en appel ou aux Prud'hommes.
L'augmentation des moyens, de 26 % en un an est à souligner, mais on reste loin des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux du Gouvernement, dont les 15 000 places de prison à créer d'ici à 2027. En effet, le taux d'occupation des maisons d'arrêt est de 143 %, alors que les détenus y sont à 27 % des prévenus en attente de leur procès.
Le rapport du député Patrick Hetzel du 25 mai souligne bien que le plan est déjà sous-dimensionné : sur les 7 000 places annoncées en 2018, seuls 35 % ont effectivement été en service, alors que ces places sont indispensables pour que les peines soient effectives.
À Bordeaux, les magistrats m'ont fait part de situations aberrantes : ils évitent de condamner à de la prison ferme pour ne pas aggraver la surpopulation du centre pénitentiaire de Gradignan.
La simplification de la procédure pénale n'appelle pas d'opposition de principe. Cependant, le renvoi substantiel à la discrétion du pouvoir réglementaire nous pose des difficultés. Faute de communication sur les projets de texte, le Sénat ne pourra se prononcer en connaissance de cause.
La traduction des recommandations du rapport Sauvé est approximative. On étend ainsi à bon droit les TIG et on expérimente les tribunaux des activités économiques, mais on omet le témoin assisté par exemple, présent dans le rapport Sauvé.
Notre commission des lois a pu corriger des lacunes - 1 800 greffiers recrutés plutôt que 1 500 - mais quelle place l'exécutif laisse-t-il au législateur ? Ce dernier doit avoir le temps nécessaire. Ce texte n'est que la première pierre de la reconstruction d'une justice digne de ses valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je rappelle une singularité des états généraux de la justice : la participation de nos compatriotes, à travers plus d'un million de contributions remontées à la Chancellerie. Autre particularité, les réformes précédentes étaient rarement corrélées aux moyens de leur mise en oeuvre.
Il y a ensuite un changement de gouvernance : les idées sont issues de la parole de chacun plutôt que du seul ministère. Je rappelle que le comité d'où provient le rapport Sauvé comprenait les présidents des commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, des magistrats, des universitaires, des avocats... Je n'y ai pas participé pour éviter le reproche ultérieur d'une réforme partisane. Ensuite, une seconde vague de rencontres a rassemblé l'écosystème de la justice dans son ensemble, des magistrats aux syndicats. Nous en avons retiré des mesures, souvent consensuelles.
Certains de vos propos me chiffonnent. Madame Cukierman, vous évoquez une absence de dialogue social, alors que nous avons consulté tout le monde. L'agence de la probation proposée par le rapport Sauvé était refusée par les organisations syndicales : nous en avons tenu compte.
Mme Cécile Cukierman. - Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas eu de dialogue, mais qu'il avait été négligé.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Quant à la composition du CSM, sa modification était évoquée dans le rapport Sauvé mais nécessitait une modification constitutionnelle. Même chose pour l'indépendance du parquet : il n'était pas possible de la proposer dans ce texte.
Monsieur Sueur, que propose le rapport Sauvé sur la surpopulation ?
M. Jean-Pierre Sueur. - La régulation !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Un seuil de criticité. Ce n'est pas un quota.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il ne faut pas être simpliste !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ne soyons pas caricaturaux non plus. Le quota, ce serait une libération automatique au-delà d'un certain nombre de détenus. Le seuil de criticité, c'est la réunion des acteurs au-delà du seuil : cela se fait déjà.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mettez-le donc dans le texte !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai doublé le nombre de places en TIG et rappelé dans toutes les circulaires qu'il fallait en prononcer « chaque fois que cela est possible ». La baisse de 15 % du nombre de TIG prononcés est une difficulté qu'il faut absolument résoudre.
Enfin, madame la rapporteure, les greffiers sont bien, de fait, intégrés à l'équipe autour du magistrat. Si je l'avais écrit, on m'aurait reproché une loi trop bavarde... Le greffier est garant de l'authenticité de ce qui se dit, il est indispensable au fonctionnement de la justice.
Enfin, madame la rapporteure Vérien, l'entrée à l'ENM des étudiants en master 1 est un assouplissement réglementaire ; il faut conserver la finalité professionnalisante de la formation, mais nous pouvons y travailler.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et les violences faites aux femmes ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La sénatrice Vérien et de la députée Chandler ont réalisé un travail exceptionnel.
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas un mémoire de master ; ce sont des préconisations pour des mesures législatives. Qu'en faites-vous ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il y a eu 400 auditions et des déplacements à l'étranger. Les pôles spécialisés, ce ne sont pas seulement des magistrats qui papotent à la machine à café ; c'est aussi une formation commune. Le rapport de Dominique Vérien a été l'occasion d'observer la situation en Espagne, où la juridiction spécialisée ne fait pas que des heureux.
Dès l'automne, nous serons prêts à agir. Nous retiendrons le pôle, mais aussi le bracelet anti-rapprochement renforcé et l'ordonnance sous 24 heures - je rappelle que nous étions à 47 jours. Pourquoi motiver ces décisions ? Parce que, pendant une courte période, le contradictoire ne s'exerce pas ; or c'est le b.a.-ba de notre justice.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pourquoi n'est-ce pas dans le texte ?
Discussion des articles
ARTICLE 1er
Mme Esther Benbassa . - Nous sommes tous conscients des difficultés que rencontre notre système judiciaire. L'article 1er porte les moyens budgétaires consacrés à la justice à 11 milliards d'euros en 2025 ; mais un budget important ne garantit pas le succès d'une politique judiciaire.
Cette trajectoire finance des créations nettes d'emploi : 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP). Cela suffit-il ?
Il faut aussi un changement de philosophie. Ainsi, rappelons-nous cette jeune magistrate, Charlotte, qui s'est suicidée à Béthune en 2021 : elle n'avait même pas de bureau. Cette réforme porte son nom, à mes yeux.
Monsieur le ministre, soyez vigilant sur la répartition de ces ressources. Les prisons, notamment, en ont grand besoin.
M. le président. - Amendement n°268, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 4
Remplacer les mots :
s'élèveront à 9 395 équivalents temps plein, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d'insertion supplémentaires
par les mots :
sont fixées à 10 000 équivalents temps plein d'ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires, y compris 605 équivalents temps plein recrutés en gestion 2022 au titre de la justice de proximité
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je vous demande de faire preuve de flexibilité en supprimant la référence aux 1 800 greffiers et aux 600 CPIP. Les moyens seront affectés année après année, sous votre contrôle budgétaire, en fonction des capacités de recrutement et de formation. D'ici à 2027, nos objectifs sont bien de 10 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, et non de 9 395. Les 605 ETP créés en 2022 doivent bien y être rattachés.
Les chiffres de 1 500 greffiers et 1 500 magistrats supplémentaires correspondent bien aux préconisations des états généraux de la justice : ils ont bien fait l'objet d'une discussion avec l'écosystème. Toutefois, si besoin était, nous recruterions bien sûr davantage de greffiers.
Quant aux CPIP, 970 ont été créés entre 2018 et 2022, dont 100 au titre de la justice de proximité fin 2021. Le nombre de dossiers suivis par chaque CPIP est passé de 81 à 71 : il est prématuré de s'engager à recruter 600 CPIP supplémentaires pendant le quinquennat. Laissez-nous donc de la flexibilité sur la répartition des postes.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable. Nous sommes conscients des efforts de recrutement déjà accomplis. Vous mettez un coup d'accélérateur, mais le ratio de 1,2 greffier recruté par magistrat nous a été demandé par les personnels de greffe : l'évolution des moyens doit le refléter, d'où les 1 800 greffiers et 1 500 magistrats supplémentaires que nous proposons.
D'autre part, les CPIP sont un axe majeur de progression, le talon d'Achille restant l'exécution des peines et le suivi des dossiers. C'est une loi de programmation : elle restera souple.
L'amendement n°268 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°29, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La trajectoire des créations d'emplois définie à l'alinéa précédent s'accompagne d'une revalorisation et de l'adaptation des compétences des différentes professions judiciaires, prenant en compte les spécificités des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le ministre, dans le rapport annexé, qui est dépourvu de valeur normative, vous dressez des diagnostics justes, parmi lesquels la nécessaire revalorisation des professions judiciaires. Fixons-la donc dans la loi.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable. La revalorisation est un axe important, mais elle ne relève pas du niveau législatif. Ne diluons pas la loi. Nous demeurerons vigilants quant à l'atteinte des objectifs.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis. Nous avons d'ores et déjà tenu nos promesses, avec 1 000 euros de revalorisation pour les magistrats, qui n'avaient pas été revalorisés depuis 1996 - à cette aune, l'augmentation n'est pas si considérable. L'objectif était de calquer la rémunération des magistrats judiciaires sur celle des magistrats de l'ordre administratif. Si ces derniers souhaitent abonder l'ordre judiciaire (M. Alain Richard sourit), il est normal qu'ils aient le même salaire.
J'ai mentionné le passage des catégories C à B pour les agents pénitentiaires, et B à A pour les postes de commandement. Les greffiers bénéficieront de revalorisations importantes d'ici au mois d'octobre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne suis pas sûre que sur ces questions, la rapporteure et le ministre doivent nécessairement être du même avis. C'est troublant : vous êtes d'accord, mais il ne faudrait pas le dire dans la loi...
M. Michel Savin. - Macronie !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'ai tendance à penser que l'inscription dans la loi est une protection supplémentaire.
L'amendement n°29 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°30, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur la ventilation des créations nettes d'emplois mentionnés à l'alinéa précédent.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La commission des lois et le Gouvernement sont en désaccord sur la ventilation des emplois : ambition d'un côté, souplesse de l'autre. Les deux positions sont légitimes. D'où cet amendement qui prévoit, chaque année, un rapport sur la ventilation des créations d'emplois.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable, d'autant que le rapport sur l'application des lois pour 2022, qui vient d'être présenté, fait état de zéro rapport obtenu sur 21 demandés. En outre, ce serait redondant avec le bleu budgétaire.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je vous remercie de m'avoir rappelé que le Gouvernement n'avait pas nécessairement à être d'accord avec Mme la rapporteure, mais en l'espèce, c'est le cas... Nous en reparlerons à l'occasion du projet de loi de finances. Avis défavorable, d'autant que les rapports sont une charge de travail supplémentaire pour mon ministère et que j'ai toujours plaisir à répondre à vos questions. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie sourit.)
L'amendement n°30 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°31, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
La présente programmation fait l'objet d'actualisations afin de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans le rapport annexé à la présente loi, d'une part, et les réalisations et moyens consacrés, d'autre part.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La loi de programmation 2018-2022 prévoyait l'actualisation de la programmation pour vérifier sa cohérence avec les objectifs. Elle ne figure pas dans ce texte, ce qui est sans doute un oubli...
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable, comme en 2018.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui, mais cela avait été voté !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable également.
L'amendement n°31 n'est pas adopté.
La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 h 05.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Plusieurs amendements portant sur le rapport annexé recueillent notre accord. Je songe notamment aux amendements de Mélanie Vogel et Laurence Rossignol sur les violences intrafamiliales, dont certains reprennent des préconisations du rapport que j'ai présenté avec Mme Chandler.
Nous avons néanmoins émis des avis défavorables, car ce rapport annexé n'a pas de valeur normative. Il ne brille pas non plus par sa clarté. (M. le ministre s'en amuse.) Il n'est pas utile d'adjoindre un rapport au rapport.
En commission, nous n'avons présenté aucun amendement, et accepté un seul amendement du Gouvernement ; nous avons ensuite déposé un seul amendement de séance pour préciser la méthode de simplification de la procédure pénale.
Ces sujets méritent un débat, au-delà des déclarations d'intentions.
Rapport annexé
M. le président. - Amendement n°206, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'alinéa 61
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
En ce qui concerne les avocats, la limitation à trois tentatives pour les candidats à l'examen du centre régional de formation professionnelle des avocats ne sera plus effective, afin de rendre l'accès à l'avocature autant accessible que celle à la magistrature.
Mme Cécile Cukierman. - Sur la méthode, il est assez rare que nous recueillions des avis défavorables avant même la présentation des amendements...
La limitation à trois essais pour l'accès à la profession d'avocat ne nous paraît pas opportune : il n'y a aucune limite aux candidatures au concours de l'ENM. Il faut garantir l'égalité des chances.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable. L'amendement peut difficilement être adopté sans consulter la profession concernée. De plus, on ne peut comparer l'accès à la fonction de magistrat, qui passe par un concours, et l'accès à la profession d'avocat.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Pour les magistrats, il y a un concours, pour les avocats, l'examen passe par les centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA). C'est totalement différent. De plus, le Barreau doit avoir son mot à dire : il y va de la qualité des recrutements. Enfin, cette disposition n'est pas d'ordre législatif.
Retrait ou avis défavorable.
L'amendement n°206 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°161, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 176
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La mise en place d'un guichet en présentiel dans des proportions et répartitions géographiques adéquats, ainsi que d'un numéro de téléphone dirigeant la communication vers un agent devra aussi être mis à disposition des justiciables.
M. Guy Benarroche. - Dès lors que l'on peut déposer des amendements sur les rapports annexés, je ne vois pas pourquoi ils seraient rejetés a priori.
Le rapport annexé doit refléter une vision politique, qui apporte une cohérence aux mesures législatives et réglementaires. Si on le modifie, on peut changer la façon dont un certain nombre de mesures réglementaires seront prises.
Mon déplacement à Grasse, la semaine dernière, m'a montré que l'utilisation du numérique dans la chaîne pénale présente des avantages certains ; mais il n'y a pas de solution numérique globale pour résoudre toutes les difficultés, et un grand nombre de nos concitoyens souffrent encore d'illectronisme. Le lien humain doit rester au coeur du service public. D'où cet amendement qui prévoit, en parallèle du développement de l'application, le déploiement d'un guichet en présentiel et d'un numéro dirigeant la communication vers un agent.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Le rapport annexé est une feuille de route qui servira de base à notre contrôle : il doit refléter les engagements du Gouvernement.
L'illectronisme est un sujet majeur, qui touche des couches très différentes de la société. Mais soyons efficaces, ne multiplions pas les objectifs. Les justiciables pourront se rendre dans les maisons de la justice et du droit, les points-justice et les maisons France Services. (M. le garde des sceaux en convient.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Monsieur Benarroche, nous avons déjà échangé sur le sujet. Le numérique est bien sûr indispensable pour faire entrer la justice dans l'ère moderne, mais on ne peut pas oublier tous ceux qui en sont exclus.
Nous avons désormais quelque 2 080 points-justice. C'est une de mes fiertés : j'ai d'ailleurs demandé que les élèves de l'ENM s'y rendent pour rencontrer nos compatriotes les plus défavorisés. Plus de 96 % de nos compatriotes se trouvent à moins de trente minutes de l'un de ces points, et 990 000 personnes y ont été reçues. Enfin, le 3039 reçoit environ 500 appels par jour. J'estime donc que votre amendement est satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le rapport annexé est la feuille de route du Gouvernement, dit la rapporteure. Est-ce à dire que les amendements ne peuvent être votés que si le Gouvernement y est favorable ? Dans ces conditions, à quoi sert l'examen de ce rapport ?
Vous-mêmes, mesdames les rapporteures, avez souhaité y insérer des amendements...
L'amendement n°161 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°144, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéas 199 et 200
Rédiger ainsi ces alinéas :
S'agissant du patrimoine pénitentiaire, il s'agira de construire un projet de rénovation et d'entretien du parc existant en tenant compte des exigences d'amélioration des conditions de vie des personnes détenues, tout en engageant la rénovation énergétique.
Une réflexion sur l'architecture du parc carcéral sera menée, en faveur d'un développement des prisons ouvertes , ??tournée vers la prévention de la récidive par le biais de l'insertion.
M. Guy Benarroche. - L'extension du parc carcéral et la sécurité des établissements de surveillance figurent toujours au premier rang des priorités budgétaires, malgré des coûts de construction et d'entretien déjà astronomiques. En 2022, 1 milliard d'euros ont été investis dans l'immobilier pénitentiaire, venant s'ajouter à une dette immobilière de cinq milliards d'euros. Tout cela n'a pas amélioré l'état des établissements insalubres et vétustes, qui ont valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. Les travaux de rénovation à Nouméa sont estimés à 7 millions d'euros.
La répression s'accroît et nous connaissons une inflation pénale : ces mesures ne s'accompagneront donc pas d'une baisse de la population carcérale. La prison est une école de la délinquance, et le tout carcéral n'est pas une réponse aux défis de notre société.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La construction de places de prison rencontre de nombreux obstacles, dont le zéro artificialisation nette (ZAN). La prise en compte de la rénovation énergétique est également un enjeu fort.
Concernant la prévention des récidives, le modèle des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dispositifs temporaires de semi-liberté, est intéressant. Mais les prisons ouvertes ne sont pas une solution.
Enfin, votre amendement supprime du rapport annexé le programme de construction des 15 000 places de prison, auquel nous sommes très attachés. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je connais, monsieur Benarroche, votre engagement sur la question, mais je partage l'analyse de la rapporteure.
Nous avons fait beaucoup de SAS - jamais un acronyme n'a été mieux choisi. Ils se trouvent souvent en coeur de ville, pour faciliter la réinsertion.
Nous tenons beaucoup aux 15 000 nouvelles places, qui sont un des leviers pour mettre un terme aux conditions indignes de détention, mais aussi améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Nous avons consacré à la rénovation des établissements pénitentiaires le double des montants alloués sous la présidence de François Hollande. Lorsque j'étais avocat, les détenus avaient droit à une douche par semaine ; aujourd'hui, il y a une douche dans chaque cellule.
Il faut également citer trois prisons expérimentales entièrement tournées vers le travail, dans le cadre du projet InSERRE, là aussi très bien nommé.
En 2024, nous aurons construit la moitié des 50 nouveaux établissements prévus.
M. Guy Benarroche. - La construction de places est un levier, mais le rapport annexé fixant une trajectoire, nous aurions aimé qu'y figurent d'autres leviers dont le développement de prisons ouvertes, comme celle de Casabianda en Corse.
Ce type de structure permet une réinsertion graduée, le maintien des liens familiaux et la diversification des activités. Et en plus, cela coûte moins cher...
L'amendement n°144 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n° 148, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Après l'alinéa 200
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Pour résorber la surpopulation carcérale, il est mis en place, à titre expérimental sur une durée de trois ans, un mécanisme de régulation carcérale sur l'ensemble du territoire, ayant pour objet de définir un taux de surpopulation carcérale dont le dépassement entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale. Ces derniers pourraient alors envisager des mesures de régulation lorsque les services de l'administration pénitentiaire ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la prise en charge des personnes détenues.
M. Guy Benarroche. - Nous proposons l'expérimentation d'un mécanisme de régulation carcérale pour faire face à la surpopulation. Cette proposition fait écho aux expérimentations locales menées à Varces, à Grenoble, et aux Baumettes, à Marseille. Utilisons tous les leviers à notre disposition.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La véritable solution est la construction de places de prison, pour que les peines soient bien exécutées, et dans de bonnes conditions. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous avons 60 000 places de prison pour 73 000 détenus. Je ne libérerai pas 13 000 détenus, pour de multiples raisons - par exemple, parce que cela ferait le bonheur de M. Ravier et de quelques autres...
J'assume une réponse pénale ferme. Mais ce n'est pas le garde des sceaux qui fixe les peines, et c'est très bien ainsi. C'est en toute indépendance que la justice est plus sévère aujourd'hui qu'auparavant, contrairement à ce que d'aucuns racontent.
Je suis attaché aux libertés individuelles, mais les acteurs judiciaires et la direction de l'administration pénitentiaire se réunissent déjà, à Bordeaux comme partout ailleurs. Ils alertent sur la surpopulation préjudiciable à des conditions de détention dignes. J'ai d'ailleurs soutenu l'initiative du président Buffet sur ce point.
Nous sommes tous contre la surpopulation carcérale, mais lorsque Mme Belloubet a proposé la sortie de détenus en fin de peine, à l'exclusion de certaines infractions, elle s'est heurtée à des critiques - pour ma part, je la soutenais.
Le seuil de criticité, c'est une jolie formule d'affichage, mais des réunions ont déjà lieu. Le nombre de matelas au sol, l'administration pénitentiaire en fait déjà état...
Les TIG sont une façon de penser la peine autrement ; nous les développons chaque fois que c'est possible. Mais le seul moyen de lutter contre la surpopulation carcérale, c'est de construire des établissements. Plus on en construit, plus les prisons seraient pleines ? Voilà un syllogisme particulier... Il faudrait donc ne rien faire ?
Enfin, je réponds à Mme la rapporteure sur l'artificialisation des sols : cela a pris du temps, mais nous avons les terrains.
M. Guy Benarroche. - La rapporteure explique qu'il faut des peines plus lourdes et défend une approche exclusivement carcérale. Ce n'est pas la position du garde des sceaux, qui défend les TIG et d'autres solutions alternatives.
Pour lutter contre l'opportunisme de l'extrême droite et la politique du tout carcéral défendue par la majorité de cette assemblée, des alternatives à l'incarcération devraient être inscrites dans le rapport annexé.
Mme Éliane Assassi. - Je remercie M. Benarroche d'avoir déposé ces amendements. La surpopulation carcérale me préoccupe beaucoup, comme nombre d'associations. En la matière, le statu quo est impossible. Nous pourrions notamment nous inspirer des travaux de nos anciens collègues Jean-René Lecerf et Jean-Jacques Hyest.
Je ne peux pas entendre l'argument selon lequel il ne faut rien faire qui puisse mettre le Rassemblement national en colère. Le RN se combat sur les idées ! (M. Joël Bigot et Mme Mélanie Vogel applaudissent.)
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
Mme Éliane Assassi. - La surpopulation ne cessera d'augmenter, faute de mesures drastiques en matière de peines alternatives. Il s'agit d'un vrai sujet de société, sur lequel nous devons avancer.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il n'y a pas de statu quo : nous construisons des prisons !
Mme Françoise Gatel. - M. le garde des sceaux m'a tendu une perche en évoquant le ZAN... Les terrains ont été trouvés : mais sur quel quota seront-ils imputés ?
M. Michel Savin. - Excellente question !
Mme Françoise Gatel. - L'État assumera-t-il ces hectares ou seront-ils décomptés des droits à artificialiser des collectivités, qui ont d'autres besoins pour le logement et la réindustrialisation ? Nous comptons sur vous pour convaincre votre collègue Christophe Béchu d'agir avec sagesse... (Marques d'assentiment à droite)
Mme Laurence Harribey. - Monsieur le garde des sceaux, n'adoptez pas de position binaire. Les choses ne sont pas si simples - par votre trajectoire personnelle, vous le savez bien.
Construire des places de prison ne résoudra pas tout. Voyez l'Allemagne : plus peuplée, elle a moins de détenus et il n'y a pas plus de délinquants. Depuis vingt ans, l'augmentation du nombre de places est suivie par celle du nombre de détenus. Des travaux canadiens sur l'analyse des politiques publiques montrent que certaines d'entre elles, au lieu de résoudre un problème, visent à répondre à la manière dont il est perçu par l'opinion. En l'occurrence, on propose d'enfermer davantage, parce que les gens ont des craintes liées à la sécurité.
Élue de Gironde, je connais bien tous les problèmes à Gradignan. Il faut des établissements dignes, mais il n'y a pas que cela à faire. Notre approche doit être plus fine et mesurée.
Oui, madame la rapporteure, il faut exécuter les peines ; mais lorsque 40 % des détenus sont en détention provisoire, il n'y a pas de peine à appliquer...
Mme Marie Mercier. - Il faut une réponse pénale juste et adaptée. Or pour avoir visité des prisons et assisté à des comparutions immédiates, nous savons tous que des personnes ne sont pas vraiment à leur place en prison.
Un tiers des justiciables ne devraient pas aller en prison. Il faut une éducation solide, car tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des fées autour de son berceau : certains naissent sous une mauvaise étoile. Nous avons aussi besoin d'une psychiatrie plus développée, car on trouve en prison des patients qui n'ont rien à y faire.
L'amendement n°148 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°157 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 218
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce programme doit se baser sur les besoins dûment recensés au travers d'une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.
M. Guy Benarroche. - Nous demandons un rapport sur les aménagements de peine en fonction des pathologies. Les UHSA se développent, mais, avec le Comité consultatif national d'éthique, nous nous inquiétons d'un déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison.
D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), il y a quelques années, un quart des personnes en prison souffraient de troubles psychiatriques ; aujourd'hui, ce serait le cas de la moitié des entrants.
Les UHSA doivent être développées et les besoins dûment recensés.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis favorable. Cette évaluation préalable est importante pour déterminer les besoins liés à la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques, qui relèvent de structures adaptées.
Madame de La Gontrie, nous acceptons cet amendement car le Gouvernement s'est engagé dans cette politique. Pas besoin d'avis favorable du Gouvernement pour qu'il soit inscrit dans le rapport annexé.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il est nécessaire de renforcer la prise en charge psychiatrique en prison. Mais deux études sur la santé mentale ayant déjà été lancées, je demande le retrait de votre amendement, qui est satisfait.
La Fédération de recherche en psychiatrie estime que deux tiers des hommes et trois quarts des femmes sortant de prison ont un trouble psychiatrique lié à la consommation de stupéfiants. Une seconde étude se terminera en 2024.
Avec François Braun, je travaille à améliorer la prise en charge psychiatrique des détenus. Trois nouvelles unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) seront construites, en Île-de-France, en Normandie et en Occitanie. La situation sera évaluée spécifiquement dans les outre-mer.
Madame Gatel, les prisons sont évidemment incluses dans les grands projets d'envergure, dont les surfaces sont comptabilisées au niveau national, conformément aux engagements pris par le Gouvernement devant l'Association des maires de France. Au reste, je travaille en parfaite intelligence avec M. Béchu.
L'amendement n°157 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°152, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 235
Supprimer cet alinéa.
M. Guy Benarroche. - Le développement du numérique dans les prisons prévu par la feuille de route du Gouvernement pourrait nuire à la réinsertion et aux relations entre détenus et surveillants. Réservation des parloirs par informatique, visioconférences : avec chaque nouvel outil informatique, les contacts humains diminuent et l'isolement des détenus s'aggrave. Le tout numérique en prison risque de conduire à une dégradation des relations avec les surveillants, les interactions étant moins fréquentes.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable. Les caméras-piétons et la modernisation de ces services sont attendues tant par les surveillants que par les détenus, qui y voient une garantie de sécurité. Les familles de détenus estiment également qu'il s'agit d'une avancée.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Plus de numérique, ce serait moins d'humain, selon vous. Pourtant, précédemment, vous vous inquiétiez de ceux qui n'ont pas accès au numérique...
Le numérique en détention, c'est un moyen de réduire la fracture numérique ! Dans sept cas sur dix, les visiteurs utilisent un service en ligne pour réserver les visites au parloir et en sont très satisfaits.
Votre amendement va à l'encontre d'autres expérimentations menées à Melun et Dijon : possibilité de bénéficier d'un enseignement en ligne, d'acheter des produits de la vie courante ou d'obtenir des réponses de l'administration. Plutôt pas mal, non ?
Je pense, contrairement à vous, que le numérique favorise des relations apaisées : quand un détenu obtient un tube de dentifrice facilement ou que sa famille peut prendre rendez-vous rapidement, les choses se passent mieux.
Je suis donc défavorable à votre amendement, même si je sais qu'il part d'un bon sentiment. (M. Guy Benarroche rit.)
Mme Marie Mercier. - La demande d'accès au numérique vient des détenus eux-mêmes. Il s'agit notamment de préparer leur réinsertion. Autant il convient d'être prudent sur l'accès au numérique des enfants - voyez les mesures prises en Suède en la matière -, autant l'accès au numérique dans les prisons est important.
L'amendement n°152 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°205, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 266
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il convient de réformer en entièreté les décrets dits Magendie.
Mme Cécile Cukierman. - La nécessité de modifier les décrets Magendie a fait consensus lors des états généraux de la justice : les avocats demandent une réforme, voire une abrogation. Le groupe CRCE les soutient dans cette revendication, à travers cet amendement d'appel - il s'agit d'une matière réglementaire.
Les contraintes de ressource et les délais stricts de traitement des dossiers ont conduit à un engorgement des procédures. Les avocats sont contraints par cette précipitation qui nuit à la qualité de leur travail.
Entérinons le principe d'une réforme pour garantir des décisions de meilleure qualité.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il faut réviser ces décrets : cela fait consensus. Le garde des sceaux s'y est engagé.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Tout à fait !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Ce midi, nous avons reçu un projet de rédaction du décret. Monsieur le garde des sceaux, quand la réécriture interviendra-t-elle ? Retrait de l'amendement, car satisfait.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Voilà la preuve que nous avons été attentifs à l'écosystème. À l'unisson, les avocats ne voulaient plus du décret Magendie, des chausse-trapes procédurales qu'il entraînait. Il faut le modifier, et nous sommes en train de le faire.
Le Conseil national des barreaux a travaillé avec le directeur des affaires civiles et du sceau, et la conférence nationale des premiers présidents a été consultée. Le texte sera publié prochainement, et vous en aurez connaissance dans les détails. Retrait ou avis défavorable.
Mme Cécile Cukierman. - Je retire l'amendement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je le reprends !
M. le président. - Il s'agit donc de l'amendement n°205 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le 25 novembre dernier, vous indiquiez, lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris, que vous présenteriez une réforme du décret Magendie la semaine suivante. L'autre jour, je vous ai écouté à l'Assemblée nationale à la télévision - je suis tellement contente quand je vous vois... Vous faisiez un décompte sur la constitutionnalisation de l'IVG. Eh bien, pour le décret Magendie, cela fait sept mois ! (M. le garde des sceaux lève les yeux au ciel.) Preuve que, quand vous annoncez quelque chose, les délais annoncés ne sont pas toujours tenus...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je suis ravi d'apprendre que vous suivez mes déclarations à la télévision par plaisir... (Marques d'amusement)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Par besoin ! (L'amusement redouble.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vous allez me faire rosir... Je parlais en novembre du début des consultations. Comment voulez-vous que je réécrive le décret Magendie la nuit pendant que vous regardez la télévision ? (Sourires)
L'amendement n°205 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°276, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission.
Alinéas 298 à 303
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
Ce travail nécessaire, réclamé par l'ensemble des acteurs et observateurs du monde judiciaire, comporte deux aspects indissociables qui doivent être conduits conjointement : d'une part, une clarification des dispositions existantes du code et la refonte de son plan et, d'autre part, la simplification des procédures.
Cette simplification doit permettre leur sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allègement de contraintes formelles pesant sur les acteurs, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.
Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d'enquête...), sera chargé de formuler les propositions de clarification du code de procédure pénale qui serviront de base à l'ordonnance de recodification à droit constant prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Il débutera ses travaux courant 2023.
Ce comité formulera par ailleurs des propositions de simplification répondant aux objectifs fixés ci-dessus.
Un comité composé de parlementaires représentant tous les groupes politiques des deux assemblées sera chargé d'assurer le suivi de ces travaux. Lui seront présentés tous les trois mois l'état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification préconisées par le comité scientifique.
2.4.3.2. De nouvelles mesures de procédure pénale limitées et cohérentes
Dans l'attente des conclusions des travaux de clarification et de simplification de la procédure pénale, les nouvelles dispositions dans ce domaine seront limitées afin d'assurer la plus grande stabilité pour les praticiens et citoyens.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La réforme du code de procédure pénale n'est pas chose aisée. Nous proposons l'inscription dans le rapport annexé d'une méthode.
Clarification et simplification devront aller de pair. Ce travail devra viser la sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allègement des contraintes formelles, la garantie des droits de la défense et la réduction des délais.
Un comité scientifique formulera des propositions de simplification, qui seront soumises à un comité parlementaire tous les trois mois.
M. le président. - Amendement n°159, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Après l'alinéa 299
Insérer un alinéa ainsi rédigé
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement faisant le bilan de l'utilisation des comparutions immédiates. Ce rapport analyse plus largement les types de peines prononcées, les recours aux peines alternatives à la prison, les taux de recours.
M. Guy Benarroche. - Nous demandons un rapport dressant le bilan des comparutions immédiates. L'Observatoire international des prisons indique que ces procédures sont pourvoyeuses d'incarcérations. Il y aurait, dans ce cas, un rapport mécanique avec la hausse du nombre de personnes incarcérées. Puisque nous souhaitons lutter contre cette hausse, l'étude paraît utile.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable à cette demande de rapport, en vertu d'une position constante. Au demeurant, la direction des affaires criminelles et des grâces publie chaque année un rapport sur la politique pénale, qui vous satisfait.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'amendement n°276 est excellent : avis favorable. Il faut une méthode de clarification - une centaine d'articles du code de procédure pénale renvoient à des articles, qui renvoient eux-mêmes à d'autres articles. Il n'est évidemment pas question de toucher au sens ni aux équilibres, mais le souci du Sénat est légitime. La confiance n'exclut pas le contrôle...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et la peur n'exclut pas le danger.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, et pierre qui roule... (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous sommes au Parlement, ici !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ce n'est pas moi qui ai commencé, monsieur le sénateur.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nul besoin de surenchérir...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Monsieur Benarroche, avis défavorable à votre amendement n°159.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je reviens sur la présentation des travaux, tous les trois mois, prévue par l'amendement n°276. L'article 2 et la demande d'habilitation justifient un contrôle : cet amendement doit être suivi d'un engagement fort du Gouvernement.
L'amendement n°276 est adopté.
L'amendement n°159 n'a plus d'objet.
M. le président. - Amendement n°158, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Après l'alinéa 304
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
Il est institué dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un comité d'évaluation de l'inflation des normes pénales.
Ce comité comprend deux députés et deux sénateurs, respectivement désignés par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat.
Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret.
Il établit un rapport public au plus tard dans les dix-huit mois suivant l'entrée en vigueur de la présente loi. Ce rapport établit un constat précis de l'inflation pénale, de ses conséquences et formule des préconisations visant à améliorer la construction normative dans sa qualité et dans sa quantité.
Il formule aussi des évaluations et prévisions liées à de possibles dépénalisations.
M. Guy Benarroche. - Voilà quelques mois, j'ai travaillé avec Agnès Canayer au comité d'évaluation des cours criminelles départementales, qui a proposé des pistes d'amélioration. Dans le même esprit, je suggère d'instituer un comité d'évaluation de l'inflation des normes pénales et de leurs effets. En particulier, il s'agit de réfléchir à des dépénalisations et à leurs conséquences. Voilà qui ferait avancer tout l'écosystème, pour reprendre l'expression employée tout à l'heure.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous aimons, en effet, évaluer les politiques publiques. Votre idée est bonne, d'autant qu'elle correspond au comité parlementaire de suivi prévu par l'amendement que nous venons d'adopter... Il y aurait redondance à adopter le vôtre. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Parlement, démocratiquement élu, a tout pouvoir pour vérifier s'il y a une inflation normative. Je refuse son effacement au profit d'instances sans légitimité. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule le geste d'un violoniste et Mme Laurence Rossignol part d'un grand éclat de rire.) Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je ne puis qu'être d'accord.
M. Guy Benarroche. - Ce comité serait légitime, dans la mesure où le Parlement voterait sa création... Toutefois, je fais confiance à la rapporteure et retire mon amendement.
L'amendement n°158 est retiré.
M. le président. - Amendement n°146, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
I - Alinéa 310, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
II. - Après l'alinéa 310
Insérer sept alinéas ainsi rédigés :
Le Gouvernement s'engage à mener une politique de déflation carcérale, qui prenne en compte les différents facteurs de l'inflation pénale et replace la privation de liberté en tant que « peine de dernier recours ».
Une telle politique implique :
- la dépénalisation de certains types de délits, en confiant leur prise en charge à des autorités administratives sanitaires (comme la consommation de stupéfiants) ;
- la limitation des possibilités de recours à la détention provisoire dès le placement initial, et la réduction de sa durée ;
- une stricte limitation du champ d'application des procédures de jugement rapide ;
- une meilleure prise en compte du principe de l'individualisation des peines ;
- une révision de l'échelle des peines qui allie réduction du recours aux longues peines et remplacement des courtes peines de prison par des mesures non carcérales, en particulier par des mesures de probation en milieu ouvert.
M. Guy Benarroche. - L'orientation toujours plus répressive des politiques pénales est un facteur d'augmentation de la population carcérale : de nouveaux délits sont systématiquement associés à de nouvelles peines de prison. Ainsi, des lois récentes banalisent l'incarcération, qui devrait être réservée aux peines les plus graves.
Nous militons pour une réponse pénale individualisée et graduée, avec davantage de mesures de probation ou en milieu ouvert. Tel est l'objet de cet amendement.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable. Nous n'avons pas du tout la même vision des moyens de limiter la surpopulation carcérale. En particulier, nous n'entendons pas du tout dépénaliser la consommation de stupéfiants.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Grâce à la loi du 23 mars 2019, qui encourage les alternatives à l'incarcération, le taux d'aménagement est passé de 3 à 16 %.
Nous favorisons le développement du TIG. La plateforme TIG 360 est accessible à tous les avocats et magistrats : j'ai connu l'époque où des magistrats prononçaient des TIG sans savoir s'il y avait des places disponibles... Des aménagements sont prévus pour tenir compte des situations personnelles. Pourtant, les TIG sont de moins en moins utilisés. C'est pourquoi je demande, dans toutes mes circulaires, qu'on y ait davantage recours, chaque fois que c'est possible.
Dans la loi de décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, j'ai créé la libération sous contrainte de plein droit, pour limiter les sorties sèches.
L'article 3 du présent texte va dans votre sens, en développant l'assignation à résidence sous surveillance électronique.
Dans la circulaire du 20 septembre dernier, j'ai demandé que l'ensemble de ces mécanismes soient totalement utilisés.
Je suis radicalement opposé à la dépénalisation des stupéfiants, et certaines affaires récentes me confortent dans cette position.
Pour ces raisons, avis défavorable.
L'amendement n°146 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°240, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Alinéa 317, première phrase
Après le mot :
intrafamiliales
insérer les mots :
, opérationnels au plus tard au 1er janvier 2024,
Mme Mélanie Vogel. - Cet amendement est très gentil... Les pôles spécialisés, sans être révolutionnaires, vont dans la bonne direction, mais sans date d'entrée en vigueur. Nous proposons une date limite au 1er janvier 2024.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis favorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Sagesse. Nous souhaitons tous une mise en place rapide, car nous en attendons de vraies améliorations. Le rapport est très complet et mérite notre admiration. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule à nouveau le geste du violoniste.) Je m'engage à présenter rapidement des propositions au Parlement et en espère une approbation massive.
L'amendement n°240 est adopté.
M. le président. - Amendement n°241, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Après l'alinéa 321
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans la continuité de la volonté de mieux coordonner et d'accélérer les démarches, des centres d'aide aux victimes de violences intrafamiliales seront expérimentés dans sept départements, dont deux d'outre-mer permettant à toute victime d'effectuer les premières démarches juridiques, médicales et administratives et garantissant, le cas échéant, une protection aux victimes, co-victimes et témoins. À ces fins, ces centres permettront de déposer plainte, de demander une ordonnance de protection et de réaliser un examen médical. Par ailleurs, le centre d'aide propose un accompagnement psychologique aux victimes et, le cas échéant, aux co-victimes et témoins. Si la victime demande une ordonnance de protection, elle se voit automatiquement proposer une place d'hébergement d'urgence.
Mme Mélanie Vogel. - Comme vous, j'ai visité en Espagne une juridiction spécialisée dans la protection des victimes de violences fondées sur le genre. C'est un véritable guichet unique, regroupant magistrats et avocats spécialement formés, travailleurs sociaux, psychologues. Les femmes peuvent faire toutes les démarches au même endroit, les professionnels se parlent, les enfants n'ont pas à témoigner plusieurs fois. Inspirons-nous en.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Votre amendement a une portée plus réduite. Les maisons des femmes, comme celle créée par Ghada Hatem dans le 93, ont vocation à essaimer. Le 8 mars, la Première ministre a annoncé qu'il y en aurait une par département.
En Espagne, les tribunaux spécialisés sont réservés aux grandes villes ; dans les plus petites juridictions, tout aussi touchées par les féminicides, ce sont des pôles spécialisés. Faisons avec les moyens du bord, pour aller vite. Demande de retrait car satisfait.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis. Nous avons des lieux qui regroupent médecins, psychologues, forces de sécurité intérieures, et la Première ministre a appelé à créer une maison des femmes par département. J'ai signé en mai une convention nationale interministérielle avec le réseau des maisons des femmes pour les promouvoir. Retrait car satisfait.
Mme Laurence Rossignol. - La proposition de Mélanie Vogel n'est pas contradictoire avec les maisons des femmes, qui sont le plus souvent adossées à une structure hospitalière, et ne proposent pas un hébergement d'urgence. Les maisons des femmes ne pourront pas être toutes les mêmes. La coexistence des deux types de structures est pertinente, car certains départements ne pourront accueillir de maison des femmes faute d'offre de soins.
L'amendement n°241 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°160, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 329
1° Deuxième phrase
Après le mot :
détention
insérer les mots :
ainsi que vers une juste rémunération et création du statut de détenu-travailleur
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La réflexion de la rénovation du cadre normatif devra prendre en compte les nécessaires évolutions attendues en matière de conditions de travail, d'exercice des droits sociaux collectifs, ou du bénéfice de droits sociaux individuels comme ceux liés aux cotisations retraites et aux arrêts maladies.
M. Guy Benarroche. - Le travail des détenus est un moteur de la réinsertion mais reste problématique. Le Conseil de l'Europe a conclu à la non-conformité avec le droit à une rémunération décente, le paiement à la pièce, officiellement interdit, étant toujours en cours. Le minimum légal est de 45 % du Smic, mais oscille entre 20 et 33 % lorsqu'il s'agit de l'entretien de la prison. L'absence de l'inspection du travail fait que les détenus ne sont pas traités comme des travailleurs à part entière.
Monsieur le ministre, vous le dites vous-même : le droit du travail ne doit pas s'arrêter aux portes des prisons. Menez ce combat avec nous !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable. La loi pour la confiance en l'institution judiciaire qui crée le contrat d'emploi pénitentiaire est récente et nous n'avons pu en mesurer les effets. Au surplus, le Sénat, comme les entreprises, n'était pas spécialement favorable au contrat d'emploi pénitentiaire.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable. Le contrat d'emploi pénitentiaire, voté il y a peu, réforme en profondeur le statut du détenu travailleur. Contrat de droit public, fin de la rémunération à la pièce, minimums de rémunération bien plus élevés que chez nos voisins : 5,15 euros de l'heure, contre 1,50 euro en Allemagne, 1,73 euro en Belgique, 2,80 euros aux Pays-Bas. Avec ce salaire, le détenu est tenu de rembourser ses victimes. Ces contrats sont triplement vertueux : pour la formation et donc la réinsertion du détenu, pour les entreprises, pour les victimes. Les droits sociaux - assurance chômage, assurance vieillesse, accidents du travail - sont garantis.
Le travail est un levier contre la récidive. Le sens de l'effort n'est pas un sens interdit. Avec ces contrats, nous faisons venir les patrons dans les établissements ; par la suite, ils embauchent. Dans les années 2000, il y avait 50 % de détenus travailleurs. Lors de mon arrivée à la Chancellerie, ce taux était de 20 % ; aujourd'hui, nous sommes au-dessus de 30 %. Il faut tout faire pour éviter les sorties sèches.
Mme Laurence Rossignol. - L'oisiveté est mère de tous les vices.
M. Guy Benarroche. - Si le Sénat était réservé sur le contrat d'emploi pénitentiaire, le GEST, lui, y était très favorable, et l'a soutenu. Nous proposons ici de l'améliorer encore.
L'amendement n°160 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°242, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Après l'alinéa 360
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
- adaptation de la possibilité de déposer plainte, y compris une pré-plainte en ligne, aux Français établis hors de France.
Mme Mélanie Vogel. - Les Françaises de l'étranger sont particulièrement exposées aux risques de violence conjugale : isolement, dépendance financière et matérielle, non-maîtrise de la langue ou du système juridique... Quand elles en sont victimes, elles voudraient pouvoir déposer plainte auprès des juridictions françaises pour bénéficier de l'assistance des autorités consulaires. Or accéder à la pré-plainte en ligne depuis l'étranger est extrêmement difficile, je peux en témoigner.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Je comprends l'intérêt de porter plainte en France pour les Français résidant à l'étranger, mais cela se fait auprès du tribunal de Paris, par écrit. La pré-plainte en ligne permet seulement de prendre rendez-vous sans se rendre au commissariat. Je ne comprends pas bien la difficulté que vous soulevez. Retrait ou avis défavorable, mais j'aimerais entendre le ministre.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je ne comprends pas non plus la plus-value de déposer une plainte en ligne depuis l'étranger, puisqu'il y a ensuite un déplacement.
Par ailleurs, la Lopmi permet à toute victime d'infraction pénale de déposer plainte. Le décret paraîtra très prochainement. Retrait ?
Mme Mélanie Vogel. - Une compatriote vivant à l'étranger a failli mourir récemment sous les coups de son compagnon. Pour accéder au site public qui permet notamment de contacter la police par messagerie instantanée, on vous demande de renseigner votre code postal. Pour les personnes à l'étranger, la démarche s'arrête là. Je demande simplement qu'on leur permette de poursuivre la démarche.
Mme Dominique Vérien, rapporteure - Il faudrait qu'ils indiquent le département de Paris...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le garde des sceaux va s'en occuper.
M. Jérôme Bascher. - Cela ne relève pas du législatif, mais c'est intéressant.
Mme Mélanie Vogel. - Je l'entends, et je retire l'amendement si le ministre me dit que l'on peut accéder à ces services depuis l'étranger.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Naturellement, il n'est pas question de laisser sans réponse des victimes qui sont à l'étranger. Le ministère de l'intérieur prépare des décrets sur la plainte par télécommunication audiovisuelle. À ma connaissance, les Français de l'étranger ne sont pas exclus de ce dispositif. Cela mérite néanmoins une vérification. Je m'engage à me rapprocher du ministre de l'intérieur et vous apporterai rapidement une réponse.
L'amendement n°242 est retiré.
M. le président. - Amendement n°139, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Après l'alinéa 367
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le Gouvernement s'engage en outre à poursuivre la revalorisation de l'aide juridictionnelle et, dans le contexte de la création de la contribution pour la justice économique, à ouvrir cette aide aux personnes morales.
M. Guy Benarroche. - Il faut poursuivre la revalorisation de l'aide juridictionnelle. En effet, l'effet de seuil revient à exclure nombre de personnes qui mériteraient une prise en charge.
Le rapport Perben de 2020 soulignait que l'aide juridictionnelle était dans la moyenne basse de l'Union européenne. Le projet de loi de finances pour 2023 a augmenté les crédits de 4,2 %, mais il faut aller plus loin. Ouvrons également l'aide juridictionnelle aux personnes morales les plus fragiles, pour ne pas entraver l'accès à la justice des PME.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Ce sujet est important et cet amendement très large. La revalorisation de l'aide juridictionnelle, préconisée tant par le rapport Perben que par les états généraux de la justice, relève du projet de loi de finances. Sagesse, mais nous aimerions entendre le Gouvernement sur ce sujet.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En matière d'aide juridictionnelle, nous sommes passés de 342,4 millions d'euros en 2017 à 629,8 millions d'euros en 2022, soit une augmentation de plus de 80 %. C'est énorme ! C'est notamment dû à la hausse du montant de l'unité de valeur, qui a dépassé son niveau d'origine en valeur réelle, corrigée de l'inflation. Avis défavorable.
L'amendement n°139 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°140, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 369
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les demandes et suivis concernant le traitement de l'aide juridictionnelle par envoi postal ou auprès d'un guichet seront toutefois maintenus ;
M. Guy Benarroche. - Nous partageons l'objectif zéro papier et mesurons les avantages de la dématérialisation, mais celle-ci a des limites, en premier lieu l'illectronisme.
Les individus les plus vulnérables - âgés, en situation de handicap, migrants, éloignés ou en grande précarité - sont les plus sujets à l'illectronisme, mais aussi ceux qui ont le plus besoin de l'aide juridictionnelle.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable. Le rapport annexé prévoit une possibilité supplémentaire, mais ne supprime aucune disposition.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Bien sûr qu'il reste des gens pour accueillir les justiciables, dans les points de justice ou dans les services d'accueil unique du justiciable (Sauj). Aucune juridiction ne refuse de renseignements aux personnes précaires ! Le numérique permet d'apporter des réponses plus rapidement, et 90 % des juridictions peuvent répondre par voie dématérialisée.
J'ai souhaité mettre la justice à portée de doigts. Sur justice.fr, une application mobile indique si l'on est ou non éligible à l'aide juridictionnelle. Tout le monde n'a pas de portable, certes, mais vous pouvez vous-même renseigner une personne précaire, dans la rue !
Jamais l'humain ne disparaîtra, bien sûr, et il reste des gens pour vous informer, notamment les futurs magistrats dans les points de justice. Avis défavorable.
M. Guy Benarroche. - Je n'ai jamais prétendu le contraire, mais tout le monde n'est pas égal face au numérique. Les personnes qui seront le plus naturellement demandeuses d'aide juridictionnelle sont aussi plus sujettes à l'illectronisme.
Il n'est pas toujours évident de faire 50 kilomètres pour rejoindre un point de justice. Je connais des personnes qui n'ont pas trouvé de guichet ouvert pour répondre à leurs questions, alors qu'elles ne peuvent ni téléphoner, ni envoyer un courrier. Tout repose sur la bonne volonté du personnel administratif ou des associations bénévoles. Il ne me paraît pas absurde de prévoir le maintien des liaisons téléphoniques.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Bien sûr, tout justiciable doit avoir accès à la justice. Il existe des points de justice forains et des audiences foraines. La justice va vers les plus démunis.
L'amendement n°140 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°109, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey et MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte et Marie.
Après l'alinéa 376
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Enfin, le ministère examinera d'une part la possibilité de revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour les avocats et les commissaires de justice concernant les actes relatifs à l'ordonnance de protection prévue par l'article 515-9 du code de procédure civile.
Mme Laurence Rossignol. - Comme le suivant, cet amendement reprend les préconisations du rapport de Mme Vérien. Les véhicules législatifs ne sont pas fréquents, et quand le train passe, je monte dedans ! Je vous suggère de faire de même avec vos amendements, d'autant que le ministre dit adhérer à vos recommandations.
Il s'agit ici de revaloriser l'aide juridictionnelle concernant les actes relatifs à l'ordonnance de protection. Les avocats qui se spécialisent dans la défense des femmes victimes de violences le font presque pro bono, tant l'aide juridictionnelle est faible. Indiquons dans le rapport annexé que le ministre examine la possibilité d'une revalorisation.
M. le président. - Amendement n°110, présenté par Mme Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 382
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Une fonctionnalité visant à permettre aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure sera également mise en place.
Mme Laurence Rossignol. - Encore une recommandation de Mme Vérien : ajouter une fonctionnalité permettant aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable, car nous ne souhaitons pas inclure le rapport dans le rapport annexé. L'amendement n°110 relève du domaine réglementaire, l'amendement n°109 du projet de loi de finances. J'y suis toutefois attentive.
Mme Laurence Rossignol. - L'adopter préparerait la loi de finances !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vous montez dans le train qui se présente, mais au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable...
Mme Laurence Rossignol. - J'espère que vous connaissez le sens de cette référence ! (Rires) C'était osé...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Pour l'ordonnance de protection, l'aide juridictionnelle est fixée à seize unités de valeur.
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas assez ! Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Mme Vérien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'entends, mais avis défavorable pour le moment. Je rejoins Mme Vérien à 90 %, mais laissez-moi une marge de liberté !
Retrait de l'amendement n°110, car nous sommes en train de travailler sur cette fonctionnalité.
Mme Laurence Rossignol. - Je retire l'amendement n°110 : je fais confiance à la Chancellerie. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'étonne.) Pour l'aide juridictionnelle, je maintiens l'amendement n°109 : j'ai moins confiance.
L'amendement n°110 est retiré.
L'amendement n°109 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold et Guiol, Mme Pantel et MM. Roux et Guérini.
Alinéa 383
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces améliorations s'accompagneront de mesures visant à pallier les risques d'exclusion numérique.
M. Jean-Claude Requier. - La mise en place d'une application mobile est bienvenue, mais gare à ne pas aggraver la fracture numérique, sur laquelle le RDSE alerte régulièrement - je vous renvoie notamment au rapport de Raymond Vall. Les innovations numériques devront s'accompagner de mesures pour lutter contre l'illectronisme.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous n'allons pas reprocher au ministre de la justice de se numériser, d'autant que les points de justice se multiplient. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Comment des gens dépourvus de téléphone ou qui ne savent pas faire ont-ils accès à l'aide judiciaire ? Il y a 2 080 points de justice, dont 148 maisons de la justice et du droit et 264 Sauj en présentiel. En 2022, plus de 900 000 personnes ont été reçues au sein des 743 042 permanences organisées. Soyez assuré que le ministère est très attentif à nos compatriotes qui n'ont pas accès au numérique.
L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°243, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Alinéa 385
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
De plus, la déconjugalisation des allocations familiales pour les personnes victimes de violences conjugales sera expérimentée dans huit départements, dont deux d'outre-mer, pour une durée de cinq ans.
Mme Mélanie Vogel. - Je suis pour tout déconjugaliser - impôts, allocations - mais cet amendement est beaucoup plus restreint. La dépendance financière est une cause de non départ du domicile, même en situation de danger. Je propose d'expérimenter la déconjugalisation des allocations familiales pour les victimes de violences familiales, dans huit départements, dont deux d'outre-mer.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable, car nous ne mesurons pas la faisabilité de cette expérimentation. Nous avons récemment voté la proposition de loi Létard qui prévoit un accompagnement des victimes par la CAF.
Mme Laurence Rossignol. - Cela vaut le coup d'y travailler.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - En effet.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'idée est certes intéressante, mais en l'état, retrait ou avis défavorable. Cela ne peut relever de la loi organique. L'expérimentation du pack nouveau départ permet de régler, dans l'urgence, les difficultés notamment financières.
L'amendement n°243 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°244, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Alinéa 386, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Toute femme victime de violences conjugales qui en fait la demande se verra proposer une place d'hébergement ou de logement temporaire.
Mme Mélanie Vogel. - Chaque victime de violence conjugale qui le demande doit se voir proposer une place d'hébergement temporaire.
En Espagne, il y a trois fois moins de morts par féminicides, notamment grâce au système performant de relogement. Les féminicides ont souvent lieu les jours suivant le signalement. Les femmes qui signalent ces violences sont mises à l'abri immédiatement ; cela sauve des vies. Il serait intéressant de savoir combien de places d'hébergement ont été créées en 2022.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Là encore, cet amendement est utile, mais avis défavorable, pour ne pas noyer le rapport annexé.
Beaucoup de choses sont expérimentées, y compris en ruralité : des villages de l'Yonne ont mis à disposition de familles ou de femmes seules des logements, souvent gérés par l'association France Victimes. Mais il faut aussi que l'auteur soit éloigné du domicile conjugal - sans nier l'importance du secret de l'adresse. Il faut qu'il paye les conséquences de ses actes...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'ordonnance de protection permet d'attribuer le domicile conjugal à la victime de violences. D'autres politiques publiques sont expérimentées.
L'Espagne est une référence, mais rappelons qu'elle a légiféré dès 2004, bien avant nous. Dans un premier temps, les crimes n'ont pas baissé, avant de décroître, jusqu'à un nouveau plateau.
Chez nous, les premières mesures sont plus récentes : le Grenelle, les téléphones grave danger, les mesures d'hébergement d'urgence ou les bracelets anti-rapprochement (BAR), pour lesquels nous faisons mieux que les Espagnols. Un BAR 5G sera bientôt opérationnel. Nous franchissons petit à petit des étapes, et nous progressons.
Les Espagnols ont commencé bien avant nous, mais nous n'avons pas à rougir de notre action.
L'amendement n°244 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°245, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Alinéa 386, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le stock des bracelets anti-rapprochement sera considérablement augmenté pour garantir que ce dispositif pourra être utilisé à chaque fois que les circonstances l'exigent.
Mme Mélanie Vogel. - Au lendemain d'un féminicide à Mérignac par un homme qui ne portait pas de BAR, la presse avait révélé l'inégale répartition de ces bracelets selon les juridictions. Cet amendement propose d'augmenter les stocks de ces bracelets. Sont-ils en nombre suffisant ? Le problème est-il ailleurs ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable. La non-prescription d'un BAR peut être une erreur initiale du juge, qui n'a pas anticipé la sortie de prison.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Eh oui, c'est le juge !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Il y a aussi eu des dysfonctionnements : les magistrats n'en donnent pas, notamment à Paris, car passer en métro sous l'endroit où se trouve la femme concernée déclenche l'alerte. À Sens, le sujet est différent : les anciens conjoints ne vivent plus au même endroit, mais l'alerte est parfois déclenchée lorsque les personnes se croisent en ville ou dans des lieux de travail proches. La nouvelle génération de BAR permettra des périmètres plus courts, ce qui évitera les déclenchements intempestifs ; ils pourront être distribués plus largement.
Nous avons voté en loi de finances une augmentation du nombre de BAR, et leur amélioration technique. (M. le ministre abonde.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Dans les juridictions, tout le monde connaît le BAR et le téléphone grave danger. J'avais rédigé une circulaire, qualifiée de comminatoire, à la suite d'une affaire dramatique, rappelant que les BAR ne devaient pas rester dans les tiroirs.
Le BAR a été déployé le 24 septembre 2020. Aujourd'hui, 1 020 dispositifs sont actifs, sans aucune difficulté de stock. Le volume de matériel disponible augmente, et sera porté à 2 500 en 2024. S'il en faut plus, nous les fournirons. Les BAR dernière génération auront une meilleure connectivité et une meilleure autonomie.
L'amendement n°245 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°111, présenté par Mme Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 386
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
De plus, le ministère entend examiner la possibilité de prévoir l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dans le cadre de l'enquête, et ce dès le dépôt de plainte.
Mme Laurence Harribey. - Cet amendement reprend la 22e recommandation du plan rouge VIF, à savoir l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dès le dépôt de plainte.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Pas de rapport dans le rapport : avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°111 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°246, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.
Après l'alinéa 387
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le numéro national d'écoute des victimes de violences 39 19 est un dispositif essentiel qui constitue souvent un premier point de contact qui permet la libération de la parole, informe la victime de ces droits et, le cas échéant, l'oriente vers les acteurs proposant un accompagnement spécifique de la victime. Son opération ne peut faire l'objet d'un appel d'offres de marché public.
Mme Mélanie Vogel. - Les associations féministes, y compris celle qui gère aujourd'hui le 3919, avaient été très inquiètes de l'annonce d'un recours à un appel d'offres pour son attribution, finalement abandonné. Nous voulons garantir que cela ne se reproduira pas.
Une requête pour les Françaises de l'étranger : on ne peut appeler le 3919 de l'étranger ; il faudrait un numéro public qui le permette. Êtes-vous prêt à le mettre en place, monsieur le garde des sceaux ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable. Des services de l'État expliquaient qu'il fallait un marché public pour renouveler le 3919, sans avoir conscience que ce numéro appartenait à une association et qu'on pouvait très bien s'affranchir des règles du code des marchés publics.
Une fois ce problème réglé, cette décision a fait jurisprudence. Avis défavorable, donc.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
Quant à la ligne accessible depuis l'étranger, nous étudierons la question.
L'amendement n°246 est retiré.
L'article 1er, modifié, est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 1er
M. le président. - Amendement n°32, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement de la programmation immobilière, pénitentiaire et judiciaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cet amendement et les suivants prévoient une information du Parlement respectivement sur la progression de l'information immobilière et pénitentiaire, le plan de transformation numérique, l'aide juridique aux victimes de violences intrafamiliales et l'installation des pôles avancés pour les violences intrafamiliales.
M. le président. - Amendement n°33, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement du plan de transformation numérique du ministère de la justice pour les années 2023-2027.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°34, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi et du plan d'action qui l'accompagne s'agissant du renforcement et de la modernisation de l'accès au droit, le traitement de l'aide juridictionnelle et l'attention renforcée aux droits des victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°57, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'état d'avancement de l'installation des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce rapport précise en particulier les effets relatifs à la création des pôles spécialisés sur le traitement judiciaire de ces violences, la prise en charge de leur auteur et l'accompagnement des victimes.
Les possibilités de l'évolution des pôles spécialisés vers la création d'une juridiction spécialisée en charge des violences sexuelles, intrafamiliales et conjugales, compétente pour juger les faits de viol, d'inceste et d'agressions sexuelles, d'outrage sexiste, de harcèlement, de recours à la prostitution, des violences physiques, sexuelles et morales commises au sein du couple ou sur un enfant de la cellule familiale sont également analysées.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Défendu.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Vous connaissez le sort des demandes de rapport, je serai donc brève : avis défavorable. Nous en reparlerons lors du budget.
L'amendement n°32 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos33, 34 et 57.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°208, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
M. Gérard Lahellec. - Nous exprimons des réserves sur l'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de clarification du code de procédure pénale.
La tâche, complexe, nécessite une analyse approfondie et l'écoute des experts du système judiciaire. La précipitation est source d'erreurs et le délai d'un an, insuffisant. Les acteurs du système judiciaire auront besoin de temps pour s'adapter aux nouvelles règles.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'article 2 habilite le Gouvernement à réécrire à droit constant le code de procédure pénale dans un délai de deux ans, afin de le clarifier en passant de 2 400 articles à moins de 300 ; c'est un travail considérable. Il faudra s'interroger sur ce qu'est le droit constant.
Le Sénat n'aime guère les habilitations, mais les recodifications sont toujours des travaux fastidieux, comme nous l'avons vu pour les douanes, le code pénitentiaire ou la justice pénale des mineurs. C'est le rôle du comité scientifique.
Il faut non seulement une clarification, mais une simplification, avec des réformes de fond. La logique aurait voulu que l'on s'interroge d'abord sur le fond - l'unification des procédures d'enquêtes, par exemple. La procédure inverse a été choisie, mais il faut aller vers la simplification, attendue par tout le monde. Avis défavorable, donc.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Monsieur Lahellec, je comprends vos interrogations. Mais le Parlement contrôlera et se rendra compte que le Gouvernement n'aura pas débordé.
Le Conseil d'État, dans son avis, ne dit rien concernant la question du droit constant. Un suivi parlementaire complétera le travail du comité scientifique, qui sera titanesque. Si nous ne le faisons pas maintenant, cette clarification n'aura pas lieu dans vingt ans.
Éviter l'habilitation supposerait de présenter un projet de loi de 2 000 articles ! Laissons ce comité composé de professionnels travailler ; les parlementaires contrôleront ses travaux au fil de l'eau. La Commission supérieure de codification, dont Alain Richard est membre, se penchera aussi sur cette question.
Clarifier avant de se pencher sur le fond, c'est un peu mettre la charrue avant les boeufs, mais je n'ai pas d'autre possibilité. Il faudra deux ans pour clarifier - ou simplifier... La nuance est fine, monsieur Bonnecarrère : quand on simplifie, on clarifie ! (M. Philippe Bonnecarrère hoche la tête en signe de désaccord.)
Il faut faire passer le code de cela (M. le garde des sceaux écarte le pouce et l'index) à cela (il rapproche ses doigts) sans bouleverser les équilibres. Fusionner les cadres d'enquête, ce ne serait ni de la clarification ni de la simplification, mais un autre code de procédure pénale.
Monsieur Lahellec, je sais les parlementaires légitimement soucieux de leurs prérogatives. Mais le travail se fera avec vous, de façon transparente. Les forces de sécurité intérieure, les magistrats, les avocats ont besoin d'un code clarifié, donc simplifié. Avis défavorable.
L'amendement n°208 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°210, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Cette codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous avons réfléchi, autant que possible dans les délais qui nous étaient octroyés, à ce sujet majeur. Oui, il faut réécrire le code, et c'est, en effet, un travail de titan.
L'article d'habilitation est complet et précis. Il mérite cependant que l'on précise la notion de droit constant. Je salue, par avance, le travail des professionnels qui devront suivre cette contrainte.
Reprenons donc la formulation du juge constitutionnel du 16 décembre 1999 : « Le principe de la codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification de fond des matières législatives codifiées ». L'habilitation ne peut qu'y gagner.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous avons largement échangé avec Mme de La Gontrie à ce sujet. La clarification se fera à droit constant, mais elle aura nécessairement des incidences. Surtout, le concept de « modification de fond » proposé par Mme de la Gontrie n'est pas tellement plus clair...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est celui du Conseil constitutionnel !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement n'apporte pas de garantie supplémentaire. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'y vois moi aussi une mention superfétatoire. Les pages 39 et 40 de l'étude d'impact mentionnent que la recodification à droit constant s'oppose à une modification de fond : c'est clair.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est que l'étude d'impact.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable.
M. Philippe Bonnecarrère. - Le débat entre clarification et simplification n'est pas seulement sémantique. Ces notions sont complémentaires. Il est exact qu'une réforme de fond de la procédure n'améliorerait pas la lisibilité.
En revanche, si l'on ne s'attache qu'à la lisibilité, cela prendra deux ans. Les magistrats, policiers et gendarmes devront s'adapter à une nouvelle numérotation, à une nouvelle organisation et nous ne verrons jamais la simplification.
Il faudrait mener les deux travaux en parallèle, sinon « en même temps » : l'ordonnance à droit constant offre la meilleure visibilité, mais en parallèle, le comité scientifique et les parlementaires doivent réfléchir à la simplification. Cela évitera une tromperie sur la qualité du travail réalisé. S'il n'y avait finalement pas de simplification, policiers, gendarmes et magistrats se sentiraient à bon droit floués.
M. Alain Richard. - Voilà une douzaine d'années que je siège à la Commission supérieure de codification. La première étape de la refonte d'un code consiste à en refaire le plan. De mon point de vue, cela prendra un an. Commence ensuite le travail de vérification de la qualité de la rédaction, perfectible car parfois répétitive, dans le cas d'espèce.
Dès lors, on décèlera les points nécessitant une réforme de fond. La seule manière de finir le travail sera de les intégrer au projet de loi de ratification (M. Philippe Bonnecarrère acquiesce), d'où le délai prévu par la commission entre publication et ratification de l'ordonnance.
L'amendement n°210 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°35, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des commissions chargées des affaires européennes, il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, un comité de suivi composé à parité d'hommes et de femmes représentant tous les groupes politiques, chargé de suivre, de proposer les mesures de simplification de la procédure pénale, et préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l'ordonnance de réécriture de la partie législative du code de procédure pénale.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Chaque assemblée doit disposer d'un comité de suivi.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable, à défaut d'un retrait : le rapport annexé le prévoit déjà.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas la même chose.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis. Le rapport annexé le prévoit et je m'y suis engagé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est toujours pas la même chose...
L'amendement n°35 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°115, présenté par Mme Devésa.
Alinéa 3
Remplacer le mot :
vingt-quatre
par le mot :
douze
Mme Brigitte Devésa. - La justice française doit relever le défi de l'efficacité et de la réduction des délais. Mais les ordonnances, elles aussi, doivent être prises deux fois plus vite : je propose douze mois plutôt que vingt-quatre.
M. le président. - Amendement n°168, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 3
Remplacer le mot :
vingt-quatre
par le mot :
dix-huit
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous proposons de réduire le temps dont disposera le Gouvernement pour rédiger l'ordonnance à dix-huit mois, mais pour une autre raison. Lorsque Gérard Larcher avait engagé la refonte du code de travail en 2005, une nouvelle habilitation avait dû être votée en raison d'un délai trop court. Dans le cas qui nous intéresse, ce serait l'occasion pour le Parlement d'être pleinement informé et de conserver la main - comme une habilitation en deux temps.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Raccourcir le délai serait effectivement un moyen de contrôler le travail du comité. Cependant, dix-huit mois, c'est très court...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est exprès !
Mme Agnès Canayer. - ... et une nouvelle habilitation alourdira les travaux. Privilégions la ratification. Douze mois, c'est encore pire. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il faut travailler vite, mais il faut aussi travailler bien. M. Richard a rappelé l'ampleur de la tâche. Nous avons besoin des vingt-quatre mois pour faire un travail de qualité. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est étrange que, depuis des années, tout le monde déplore la complexité du code de procédure pénale, mais que rien ne bouge... Dix-huit mois, c'est tout de même une certaine durée, au cours de laquelle les parlementaires peuvent suivre les travaux.
Depuis 2008, la Constitution prévoit une ratification expresse des ordonnances : c'est beau, c'est généreux, mais cela ne s'applique pas. J'entends votre engagement, monsieur le ministre, d'une ratification expresse pour ce cas particulier.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Évidemment. Nous ne prendrons pas ce risque.
M. Jean-Pierre Sueur. - Sans cela, tout notre débat est nul. Tout ce qui garantit effectivement la consultation du Parlement sur le résultat des travaux et leurs modifications de fond est bienvenu. Le fond et la forme ne peuvent jamais être totalement dissociés.
M. Alain Richard. - D'après mon expérience, le temps de réexamen d'un texte nouvellement codifié par le Conseil d'État est d'au moins trois mois. C'est le Conseil d'État qui écrit l'ordonnance : vu la masse prévisible du texte, il demandera sans doute au moins quatre mois. Comprimer à dix-huit mois n'est pas réaliste.
L'amendement n°115 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°168.
L'article 2 est adopté.
L'article 2 bis est adopté.
AVANT L'ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°15 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Moga et Duffourg, Mme Jacquemet et M. Henno.
Avant l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 4° de l'article 61-1 du code de procédure pénale est complété par les mots : « et du droit de disposer d'une copie certifiée conforme du procès-verbal, délivrée par l'autorité d'enquête dans le cadre de l'audition ou de la confrontation ».
M. Alain Duffourg. - Les parties doivent disposer d'une copie du procès-verbal lors des interrogatoires.
M. le président. - Amendement n°16 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Duffourg et Moga, Mme Jacquemet et M. Henno.
Avant l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le troisième alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Après chaque interrogatoire, confrontation et reconstitution, après qu'elle en a été informée verbalement, une copie du procès-verbal est immédiatement délivrée par tout moyen à la personne entendue. »
M. Alain Duffourg. - Idem pour les reconstitutions et confrontations.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Vous reprenez la proposition de loi Herzog de juillet dernier. Il y a cependant un risque quant à la confidentialité de l'enquête. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable.
L'amendement n°15 rectifié ter n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°16 rectifié ter.
M. le président. - Amendement n°267, présenté par le Gouvernement.
Avant l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 230-8 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Aux première, sixième, huitième, neuvième et dixième phrases du premier alinéa, après chaque occurrence du mot : « mention », sont insérés les mots : « interdisant l'accès dans le cadre d'une enquête administrative » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« S'agissant des décisions rendues par une cour d'appel, le procureur général territorialement compétent dispose des mêmes prérogatives que le procureur de la République. »
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le fichier des antécédents judiciaires est essentiel au fonctionnement de la justice. Nous prévoyons d'en améliorer le fonctionnement en permettant aux procureurs généraux de le modifier en fonction des décisions prises par les cours d'appel, afin d'éviter le délai plus long que nécessite l'intervention des procureurs de la République.
Par ailleurs, l'amendement précise la notion de « mention », employée dans le code pénal pour se référer tant au casier judiciaire qu'aux restrictions d'accès au fichier des antécédents judiciaires. L'accessibilité des données resterait possible pour l'autorité judiciaire, mais pas dans un cadre administratif.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Bel exemple de clarification complexe... (Sourires) Sagesse.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est pourtant clair ! (Nouveaux sourires)
L'amendement n°267 est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Nous avons examiné 41 amendements ; il en reste 215 sur ce texte.
La séance est suspendue à 19 h 55.
Présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 21 h 30.