Ferme France (Suite)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues.
Explications de vote
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Malhuret applaudit également.) Sur ces travées, nous ne proposons pas tous les mêmes solutions et n'avons pas tous la même vision de l'agriculture française. Les débats de la semaine dernière ont fait apparaître des positions clairement antagonistes sur plusieurs articles de cette proposition de loi.
Mais je crois à la liberté d'opinion et à la confrontation des idées. Il est sain que ces divergences aient pu s'exprimer : c'est peut-être ce qui nous a manqué ces six dernières années, avec la prétention d'un pouvoir omniscient à dépasser tout clivage.
M. François Patriat. - Ça commence mal...
M. Laurent Duplomb. - Malgré une offensive médiatique injuste dénonçant une profonde régression consumériste, un cheval de Troie de l'agro-industrie ou une lettre au père Noël de la FNSEA,...
Plusieurs voix sur les travées du groupe SER. - C'est vrai !
M. Laurent Duplomb. - ... nous avons su montrer l'exemple : la ruralité nous sera reconnaissante d'avoir discuté longuement de ses problèmes de normes et de charges, ainsi que des impasses techniques auxquelles elle fait face, avec des arguments sérieux et tirés de la réalité quotidienne.
Il est dommage que nous ne nous entendions pas au moins sur le diagnostic. Si les constats de notre désindustrialisation et de notre dépendance énergétique sont désormais largement partagés, je regrette qu'une forme de déni persiste sur l'agriculture. Certains pèchent encore par naïveté, d'autres sont frappés de cécité idéologique. (Exclamations à gauche)
Risques de black-out ? Ruptures d'approvisionnement en composants industriels critiques ou en paracétamol ? Les mêmes phénomènes sont à l'oeuvre dans le domaine agricole.
L'histoire pourrait ressembler, comme l'écrit Géraldine Woessner, à un conte pour enfants dans lequel les habitants d'un pays comblé par la nature en viennent à se persuader que les bienfaits sous lesquels ils croulent sont le fruit non pas du labeur des générations précédentes ou du climat, mais de leur propre vertu : à force d'aveuglement, ils finissent par détruire leur trésor.
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Laurent Duplomb. - La recommandation de la Cour des comptes visant à réduire le cheptel de vaches françaises est la preuve de cet aveuglement. Et on s'étonnera, après, du creusement de notre déficit commercial ?
Cette proposition me rappelle ce propos de Tocqueville : « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu'il entend se substituer à eux dans l'organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu'à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d'eux-mêmes ? Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. » (On apprécie la référence sur plusieurs travées à droite.)
Est-ce à la Cour des comptes de dire aux Français ce qu'ils doivent manger (vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC), alors qu'elle est incapable d'inverser la spirale de la dette ? (Protestations sur certaines travées à gauche)
M. Hussein Bourgi. - Ce serait le rôle du Gouvernement !
M. Laurent Duplomb. - Le rapport que j'ai réalisé l'an dernier avec MM. Louault et Mérillou confirme notre déclassement à partir de l'analyse de cinq produits emblématiques. Je salue le courage de M. Mérillou, qui n'a rien cédé à l'intimidation de l'écologisme dogmatique. (Exclamations sur les travées du GEST ; M. Franck Menonville applaudit.)
Non, nous ne sommes à la solde de personne, contrairement à ce qu'affirme le président d'UFC-Que choisir - qui ferait mieux de s'occuper du pouvoir d'achat des Français, en particulier des 16 % qui déclarent ne plus manger à leur faim ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville, Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.)
Je me réjouis du caractère jusqu'au bout transpartisan de ce texte.
Reste que, ce texte adopté en première lecture, notre oeuvre ne sera pas achevée. Certains journalistes ont présenté notre proposition de loi comme un moyen de modifier le champ de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas.
M. Thomas Dossus. - C'est un peu vrai...
M. Laurent Duplomb. - Mais ce n'est pas la fenêtre d'Overton que nous avons ouverte : nous avons ouvert les yeux devant la réalité ! (On apprécie la formule sur les travées du groupe Les Républicains ; murmures sur plusieurs travées à gauche.)
Par vos votes de la semaine dernière, vous avez prouvé, dans votre grande majorité, que vous n'avez pas peur. J'appelle à les députés suivre votre exemple, mais aussi le ministre de l'agriculture, dont le soutien n'a pas été à toute épreuve, sauf sur le livret Agri et l'épandage par drones. (On ironise à gauche et sur certaines travées à droite.)
Car il faudra trouver une traduction concrète aux mesures que, dans sa grande majorité, le Sénat s'apprête à adopter : inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ou injection dans le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles attendu pour l'automne - l'avenir le dira. En tout cas, je ne lâcherai rien, nous ne lâcherons rien (exclamations à gauche) pour que ce texte poursuive son chemin, celui de l'espoir et de la fierté retrouvés. (On signale à gauche que l'orateur a dépassé son temps de parole.) Votons pour que vive notre agriculture française ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, sur de nombreuses travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC)
Mme la présidente. - Je salue la présence en tribune d'auditeurs de l'Institut des hautes études de défense nationale. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis 2019, la France ne produit plus autant que ce qu'elle consomme. Inédite, la situation interroge : comment en est-on arrivé à pareille aberration ?
Au pays de Sully, est-il normal de voir nos agriculteurs continuellement stigmatisés ? De subir un intégrisme écologique qui nous empêche de profiter des dernières innovations agro-technologiques ? De livrer en pâture nos agriculteurs aux agités des réseaux sociaux, dont les délires utopistes nous éloignent des réalités de cette noble profession ? De surtransposer les directives, pénalisant nos agriculteurs face à la concurrence européenne ? De devoir batailler sans cesse pour faire admettre des mesures de bon sens ?
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, du réchauffement climatique et compte tenu des prévisions démographiques, notre agriculture doit absolument prendre un nouveau virage. Nous devons produire plus et mieux, alors que stress hydrique et catastrophes naturelles iront croissant.
Trop souvent, les médias n'écoutent que les détracteurs de notre modèle agricole et les marchands de peur. Il est facile de s'émouvoir des contrats signés avec les autres continents, mais le danger ne vient pas toujours d'ailleurs. Nos principaux concurrents pour les productions bovine et maraîchère sont à nos portes...
L'Europe doit se doter d'un cadre législatif harmonisé pour peser sur les marchés mondiaux : il y va de la survie de notre production nationale et européenne.
La recherche de compétitivité prévue au titre Ier de la proposition de loi est une priorité absolue. Nous soutenons la consécration de la souveraineté alimentaire comme un intérêt fondamental de la Nation et la création d'un fonds spécial de soutien à la compétitivité des secteurs en difficulté. L'investissement, le « produire local » et la réorganisation des filières doivent nous permettre de relancer la productivité de la ferme France.
Je salue les crédits d'impôts pour l'investissement et le livret Agri prévus au titre II, mesures indispensables à la modernisation de nos exploitations. Nous ne pouvons plus nous en tenir aux discours rétrogrades des adeptes de l'agriculture de grand-papa ! Cessons de trembler devant des exploitations de dimension plus importante, car seule la rentabilité de ces structures permettra l'attractivité de la profession. Trop d'agriculteurs, isolés et peu soutenus, finissent par renoncer.
Je me félicite de la dérogation à l'interdiction de pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, qui illustrait le refus du progrès : ce système permet d'épandre moins de produits et représente une sécurité indispensable dans les zones collinaires.
L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et les écoles d'agriculture et d'agronomie ne cessent de nous montrer le bénéfice des évolutions technologiques. Ainsi, la surveillance satellitaire des cultures permet d'épandre beaucoup moins de produit en ciblant mieux les zones.
Les discussions ont été vives sur les prérogatives de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Enviée à l'étranger, cette agence est à l'origine du concept - révolutionnaire, à l'époque - de phytopharmacovigilance. Rapporteur pour avis du projet de loi Égalim I, j'avais demandé que son avis soit davantage pris en compte. Il convient d'augmenter ses crédits pour débloquer plusieurs dossiers d'autorisation de mise sur le marché de start-up proposant des molécules très novatrices, notamment dans le domaine des biocontrôles.
Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Exact !
M. Pierre Médevielle. - En matière de produits phytopharmaceutiques, nous avons commis des erreurs, mais la qualité des expertises progresse. S'imaginer qu'on pourrait vider complètement la trousse à pharmacie relève de l'idéologie et du fantasme : il y aura toujours des attaques bactériennes, fongiques ou d'insectes - je pense aux attaques de la pyrale du buis dans le Sud-Ouest...
Cessons les polémiques idéologiques dont la profession à trop souffert ces dernières décennies. Nous voterons ce texte qui contient plusieurs mesures de bon sens, nécessaires à la modernisation de notre agriculture. Nous aurons bientôt d'autres débats essentiels, dont celui de l'eau. Fin connaisseur des sujets agricoles, le Sénat doit jouer à plein son rôle de créateur de solutions, dans le seul intérêt de l'agriculture française. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Labbé . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Angèle Préville et Émilienne Poumirol applaudissent également.) Choc de régression, cheval de Troie de l'agro-industrie, proposition de loi d'un autre temps... Ces mots sont ceux des associations paysannes, environnementales et de consommateurs, pour décrire les reculs contenus dans ce texte.
Mme Sophie Primas, rapporteur. - Ce sont les vôtres !
M. Joël Labbé. - Ce texte choque ceux qui, depuis des années, travaillent à construire un modèle agricole plus durable et équitable.
De fait, les reculs sont nombreux : remise en cause de l'Anses, mise en balance de la santé et de l'environnement avec les enjeux économiques, épandage par drone, fin de la séparation entre vente et conseil pour les pesticides, priorisation du stockage de l'eau pour l'irrigation sans réflexion sur le partage de la ressource. (Mme Sophie Primas le conteste.) En outre, dans un contexte de tensions sociales, ce texte réforme Pôle emploi et le cumul RSA-revenus d'activité au détriment des droits sociaux.
Dans les concertations sur la loi d'orientation et d'avenir agricole, la transition agroécologique est bien présente. Or ce texte l'ignore complètement, opérant un dangereux déplacement du débat vers l'objectif unique de compétitivité prix.
Les solutions proposées ne répondent pas aux questions du revenu des agriculteurs et de la hausse des importations. La course au moins-disant accélérera notre dépendance aux intrants importés, dont le coût explose.
La solution réside dans la régulation des marchés, la sortie des accords de libre-échange et une répartition équitable de la valeur, ainsi que dans le rééquilibrage des aides PAC et une relocalisation volontariste de l'alimentation. Je déplore l'abandon du chèque alimentation durable, bénéfique pour les agriculteurs et nos concitoyens en cette période d'explosion de la précarité. Nous continuerons de défendre une sécurité sociale de l'alimentation conjuguant droit à une alimentation durable et rémunération équitable des agriculteurs.
L'agroécologie, combinée à des politiques alimentaires fortes, permettra de réussir la transition. Malheureusement, 1 % seulement de la dépense publique agricole soutient la sortie des pesticides. Quant à ce texte, il ne contient pas une seule ligne sur l'agriculture biologique...
Le directeur de l'Inrae insiste sur la nécessaire stabilité des politiques publiques et estime possible de sortir des produits phytosanitaires d'ici à 2050. Seulement, pour cela, il faut un budget de recherche : or celui de Bayer est quatre fois supérieur à celui de l'Inrae !
Bien que caricaturées, nos propositions portent parfois leurs fruits. Sur l'application de la loi Égalim en restauration collective, les annonces récentes du Gouvernement semblent aller dans le bon sens. (M. le ministre lève les bras au ciel.) Il en va de même pour le soutien à l'agriculture bio, même si les financements annoncés restent insuffisants.
Nous sommes fermement opposés à ce texte et resterons combatifs pour que les débats sur la loi d'orientation et d'avenir agricole permettent de construire de véritables solutions pour notre agriculture.
Dans les quelques minutes qui me restent...
Nombreuses voix à droite. - Quelques secondes !
M. Joël Labbé. - ... je parlerai des projets alimentaires territoriaux, obtenus dans la loi de 2014 et qui jouent bien leur rôle. Un voeu pieux : que tout le territoire soit couvert par ces projets. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Éric Gold applaudit également.) Utopie, me direz-vous ? Je vous répondrai : c'est l'utopie qui nous sauvera la vie. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur de nombreuses travées du groupe SER ; Mme Laurence Cohen et M. Frédéric Marchand applaudissent également.)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Du rapport de l'automne dernier à aujourd'hui, le chemin parcouru est positif. Ne cédons pas à l'opposition stérile entre les modèles et à la caricature d'une agriculture productiviste, dont la France est loin.
Il nous faut restaurer la puissance agricole de la France après plusieurs décennies de déclin, tout en relevant le défi du changement climatique. Adapter notre modèle à la raréfaction de la ressource en eau, assurer le renouvellement des générations et garantir notre souveraineté alimentaire sont des priorités vitales. La future loi d'orientation et d'avenir permettra d'aborder ces sujets.
De nombreux producteurs français ont fait le choix du bio ou de productions de qualité, avec des prix plus rémunérateurs. Les jeunes agriculteurs ont souvent la volonté de participer au changement : nous devons les accompagner, car leur réussite sera la nôtre !
C'est le sens du renforcement du plan de soutien à l'agriculture bio à hauteur de 60 millions d'euros. D'ici à la fin de l'année, nous respecterons les objectifs de 50 % de produits sous signe de qualité et de 20 % de produits bio dans la restauration collective.
Mais il nous faut accompagner tous les agriculteurs, pas seulement ceux en agriculture biologique. Tous les agriculteurs ont leur métier à coeur et la volonté de nourrir au mieux les Français.
Notre objectif est clair : poser des bases durables pour la puissance agricole et la souveraineté alimentaire de la France au XXIe siècle. C'est le sens de notre engagement depuis six ans au côté du Gouvernement, pour que les transitions nécessaires s'engagent rapidement et de manière pragmatique.
Nous sommes convaincus que certains articles de cette proposition de loi pourront être intégrés dans la loi d'orientation et d'avenir agricole. Je pense notamment à l'article 9, qui assure une meilleure reconnaissance des externalités positives de l'agriculture en matière de stockage du carbone. Je songe aussi à l'article 16, qui renforce les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et y introduit une concertation pour créer du consensus autour de la gestion de l'eau.
À l'article 8, sur l'épandage par drone, le dispositif proposé par Mme la rapporteure est très bien cadré : seules seront concernées les surfaces en pente et l'agriculture de précision ; l'évaluation par l'Anses pourra déboucher sur une dérogation de cinq ans, permettant d'exploiter le potentiel de cette technologie en matière de réduction de l'usage des produits phytosanitaires. Cet équilibre préserve l'innovation au service de la transition et de la compétitivité de notre agriculture.
Cependant, des points de blocage subsistent, comme l'article 15. Nous devons adapter à la raréfaction de l'eau nos modes de production et l'aménagement de nos territoires. Les ouvrages de stockage auront une importance majeure pour remplir ces deux objectifs. Mais chaque projet est différent : à chaque territoire, donc, de s'organiser. La déclaration d'intérêt général majeur prévue à l'article 15 nous paraît ainsi disproportionnée.
Quant aux mesures liées au travail et à la fiscalité, intéressantes et parfois pertinentes, elles relèvent de la loi de finances ou de la loi Travail. Je pense notamment à la pérennisation du TO-DE, à laquelle nous sommes attachés pour offrir aux agriculteurs une meilleure visibilité.
La compétitivité de l'agriculture n'est pas un gros mot, la préservation de l'environnement non plus. Pour assurer demain notre souveraineté alimentaire, nous devons agir aujourd'hui pour la qualité de nos sols, de nos savoir-faire et de nos produits.
Le groupe RDPI laisse à ses membres la liberté de se déterminer sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme le rapporteur applaudit également.)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST) Les huit heures de débat sur ce texte auront permis de clarifier les divergences entre la droite sénatoriale et les groupes de gauche. Mais je regrette que le débat parlementaire ait été aussi bref, et mené sans étude d'impact, sur des sujets aussi centraux.
Dès la discussion générale, nous avons compris la stratégie de la majorité sénatoriale : imposer des concepts, à la définition imprécise, dans la perspective de la loi en cours de préparation.
Sur bien des points, ce texte marque un retour en arrière. Monsieur le ministre, vous l'avez dans un premier temps vigoureusement défendu, avant d'adopter une position plus modérée, comme en témoignent vos avis favorables à nos amendements de suppression des articles 6, 7, 11, 13, 15, 17 et 22.
Vous avez appelé à ne pas tomber dans la caricature, vous tournant le plus souvent vers notre côté de l'hémicycle. Or la lecture des comptes rendus des débats montre que la caricature et le simplisme n'étaient pas de notre côté !
Pour nous aussi, la compétitivité n'est pas un gros mot. Nous avons démontré que les exploitations agroécologiques peuvent être parfaitement compétitives et rentables, tout en préservant la santé de l'agriculteur et son environnement. (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)
Il est anormal qu'un texte sur notre modèle agricole ne mentionne jamais l'agriculture biologique et l'agroécologie. Les maigres ajouts que nous avons obtenus, comme le rapport sur les paiements pour services environnementaux, sont des premiers pas, mais ne contrebalancent pas la teneur générale du texte.
Je rappelle notre opposition aux mesures fiscales proposées, qui ne bénéficieront ni aux agriculteurs en difficulté ni à ceux qui débutent. Pour favoriser l'installation d'agriculteurs, réfléchissons plutôt au renforcement des mesures ciblées et limitées dans le temps, plutôt qu'au relèvement de plafonds pour ceux qui peuvent déjà mettre de côté des sommes importantes.
M. Laurent Duplomb. - Ça, on ne l'oubliera pas !
M. Jean-Claude Tissot. - Nous sommes opposés aussi à la réécriture du droit du travail. Nous sommes conscients des besoins spécifiques et avons soutenu le TO-DE, mais la généralisation du cumul RSA-emploi nous paraît à contresens des attentes des agriculteurs et des salariés agricoles. Il faut mettre l'accent sur la formation au lieu de précariser davantage le marché du travail. Les positions prises par le Gouvernement sont très inquiétantes : espérons que le futur projet de loi Travail ne sera pas de la même teneur...
Nous regrettons profondément, monsieur le ministre, la publication en catimini d'un décret redéfinissant le statut d'agriculteur actif. C'est une porte ouverte à la financiarisation sans limite de l'agriculture. (M. le ministre soupire.)
Cette proposition de loi comporte de nombreuses dispositions rétrogrades pour la préservation de notre environnement, mais aussi pour la santé humaine. Sur ces sujets, monsieur le ministre, vous avez adopté des positions différentes, soutenant l'article 8 mais vous opposant aux articles 13 et 18. Alors que le Gouvernement réfléchit à des solutions pour adapter la France à une hausse de quatre degrés des températures, il serait peut-être bon de tenir un discours plus cohérent. Je rappelle que l'agriculture représente 21 % des émissions de gaz à effet de serre ; elle est aussi la première victime du changement climatique.
Déclarer d'intérêt général majeur par principe un projet de stockage d'eau est la marque d'une vision idéologique : vous voulez privatiser l'eau au profit de quelques-uns...
Mme Sophie Primas, rapporteur. - C'est n'importe quoi !
M. Jean-Claude Tissot. - ... alors qu'il faut en faire un bien commun.
Nous voterons contre cette proposition de loi. Nous aussi, monsieur Duplomb, nous voulons aider les 16 % de Français qui déclarent ne pas manger à leur faim. Mais nous ne pouvons pas nous résoudre à leur fournir des aliments de faible qualité, qui ne seraient que des bombes à retardement sanitaires produites par des agriculteurs étranglés par le marché. Nous voulons une restructuration de notre modèle agricole, avec une véritable répartition de la valeur et un accompagnement public des transitions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE)
M. Fabien Gay . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Hussein Bourgi applaudit également.) Si nous ne partageons presque rien du contenu de ce texte, il a au moins une vertu : parler de la France rurale, cette France des paysannes et des paysans qui se sentent ignorés, voire conspués...
M. Laurent Duplomb. - C'est vrai ! Par qui ?
M. Fabien Gay. - ... alors qu'ils remplissent une mission d'intérêt général et sont seuls face à la transition climatique. Ils sont les premiers sacrifiés dans les traités de libre-échange.
N'opposons pas agriculture conventionnelle et agriculture biologique.
La première, de grande qualité, nourrit une grande majorité de la Nation, et est souvent stigmatisée. Il faut produire toujours plus, toujours mieux et toujours moins cher, face à des pays dont les normes sont inférieures aux nôtres. On ne soigne pas le libéralisme par l'ultralibéralisme. C'est tout le système qu'il faut changer : nous devons sortir du schéma de l'agrobusiness.
Ne raillons pas l'agriculture biologique, mais aidons-la pour qu'elle soit accessible à toutes et tous ; demain, elle deviendra la norme.
Attaquons-nous plutôt à la puissance des centrales d'achat et des industriels. De l'autre côté de la chaîne, il faut augmenter les salaires des consommateurs.
Continuer à appauvrir les sols avec des pesticides (M. Laurent Duplomb s'exclame) ne relève pas d'une vision de long terme.
Les drones n'y changeront rien. Rejeter l'avis de l'Anses n'est pas sérieux : si cette instance avait existé il y a 40 ans, nous aurions interdit le chlordécone aux Antilles. (M. Victorin Lurel renchérit.)
Conditionner le versement du RSA à 15 ou 20 heures de travail agricole ne va pas dans le bon sens. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme Sophie Primas, rapporteur. - Ce n'est pas obligatoire !
M. Fabien Gay. - On ne résoudra pas le départ à la retraite de la moitié des exploitants agricoles avec ces solutions d'un autre temps. Il faut moderniser les pratiques !
Déjà quatre villages sont privés d'eau : il n'est pas sérieux de généraliser les projets de bassines, car l'eau est un bien commun et doit sortir du secteur marchand. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Il faut sortir des traités de libre-échange : nous voulons commercer, mais sur une base équilibrée.
Le Gouvernement prétend être exemplaire, évoquant les clauses miroirs. Mais voyez l'accord conclu l'an dernier avec la Nouvelle-Zélande : ce pays est le premier importateur mondial de tourteaux de palme, une monoculture qui conduit à la déforestation des forêts primaires. On encourage ailleurs ce qu'on interdit chez nous ! Nous allons importer des milliers de tonnes de viande contenant des produits phytosanitaires interdits en Europe depuis des années, car cancérigènes. Voilà ce que sont les clauses miroirs...
S'il y a bien un scandale, c'est que le CETA s'applique à 90 %, sans ratification du Parlement. Puisque le Gouvernement refuse d'inscrire cette ratification à l'ordre du jour, nous vous faisons une proposition : inscrivons le projet de loi dans l'un de nos espaces réservés et votons contre ! Cela redonnerait du pouvoir au Parlement, si souvent piétiné par ce gouvernement, rendrait un grand service aux agriculteurs et ouvrirait une nouvelle ère pour nos relations commerciales. Chiche ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur de nombreuses travées du groupe SER et du GEST)
M. Pierre Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains) Après la remise de notre rapport, Serge Mérillou, Laurent Duplomb et moi-même avons jugé nécessaire de déposer cette proposition de loi pour réparer notre agriculture, dans une situation alarmante.
Je salue le travail de la rapporteure. Monsieur Duplomb, on choisit de voir la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide... Pour ma part, je trouve que le ministre est allé dans le bon sens et je salue sa collaboration. (M. Laurent Duplomb ironise.)
Les surtranspositions sont la plaie principale de notre agriculture. Les agriculteurs, comme les entreprises, n'en peuvent plus de cette réglementation à n'en plus finir. Je pense à des arboriculteurs bio qui ont dû laisser perdre leur production, une loi scélérate les empêchant de la protéger. On veut toujours en faire plus dans l'imbécilité !
On ne nourrira pas huit milliards d'êtres humains avec les méthodes qui permettaient d'en nourrir un milliard. On a érigé le Sri Lanka en modèle, mais ça a duré deux ans...
M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !
M. Pierre Louault. - Ensuite, la production a diminué de moitié, plongeant un tiers du pays dans la famine. Revenons aux réalités ! (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
Je suis très favorable à une agriculture plus respectueuse de l'environnement, mais il ne s'agit pas de copier les méthodes du XIXe siècle. (Protestations à gauche) Seules les technologies amélioreront la situation (On le conteste sur les travées du GEST), or vous ne voulez pas en entendre parler ! (Nouvelles protestations à gauche)
Les recettes des agriculteurs sont trop faibles : ils ne peuvent plus investir. J'espère que le livret Agri permettra de rapprocher la population de nos agriculteurs.
Par ailleurs, ne soyons pas toujours contre la productivité et contre l'utilisation de l'eau, alors que depuis vingt ans, les gouvernements s'acharnent à mettre les rivières à sec et à vider les nappes par siphonnage. On a mis le feu, puis on crie au feu ! Il faut un peu moins de doctrine et un peu plus de réalisme pour passer l'été prochain.
J'en viens aux salariés agricoles. Je citerai l'Internationale : « Ouvriers, paysans, nous sommes le grand parti des travailleurs ; la terre n'appartient qu'aux hommes, l'oisif ira loger ailleurs ». (Protestations à gauche ; M. Ronan Dantec se prend la tête entre les mains.) Donnons l'occasion aux oisifs de revenir au travail et de contribuer à nourrir la Nation ! (Protestations et marques de consternation à gauche ; on sourit sur des travées du groupe Les Républicains.)
La passion qui nous anime tous témoigne de l'importance que notre assemblée accorde à l'agriculture et à sa compétitivité. Je salue tous ceux qui y ont participé à l'élaboration de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean Louis Masson . - Tant sur la forme que sur le fond, je suis réservé sur ce texte.
La forme, d'abord : le site du Sénat présente cette proposition de loi comme transpartisane, un mot à la mode dans les médias. Mais sur les 175 signataires du texte, 166 appartiennent aux groupes Les Républicains et UC. À titre personnel, je n'ai pas pu m'associer à cette initiative, n'en ayant pas été informé. C'est, en réalité, un texte partisan.
Par ailleurs, la procédure du scrutin solennel est utilisée pour les textes très importants : je suis surpris que ce texte en bénéficie. (M. Olivier Paccaud se récrie.) Mais les élections sénatoriales approchent : ceci explique peut-être cela... (Applaudissements sur plusieurs travées du GEST)
Certaines propositions de ce texte sont au demeurant intéressantes.
M. François Bonhomme. - Merci !
M. Jean Louis Masson. - D'autres sont politiciennes. Quand on veut étouffer un problème, on crée une commission. Et quand on veut faire du vent médiatique, on nomme un Haut-Commissaire auprès du ministre de l'agriculture !
Sera-t-il un magicien réglant tous les problèmes ? Monsieur le ministre, je serais inquiet à votre place : à quoi servirez-vous s'il faut un haut-commissaire à vos côtés ? (Sourires ; Mme Laurence Harribey applaudit.)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP ; M. Pierre Louault applaudit également.) Une fois encore, nous voilà réunis pour parler du déclin de l'agriculture et de ses causes multifactorielles, ainsi que pour regretter l'absence de politique transversale dans ce domaine.
Je remercie les auteurs du texte pour leur engagement, mais je milite depuis des années pour une loi qui prenne en compte tous les enjeux de l'agriculture : services publics, protection de l'environnement, foncier, ressource en eau, emplois non localisables, sauvegarde des paysages, etc. Les dissocier conduit à des politiques morcelées dont la compétitivité est oubliée.
On oppose souvent l'économie et l'écologie ; c'est une erreur : les politiques agricoles ne doivent pas être envisagées par le petit bout de la lorgnette.
Avec le réchauffement climatique, des milliers d'espèces d'oiseaux ont disparu, certaines communes du sud doivent être ravitaillées en eau potable. Il faut raisonner globalement sur la gestion de l'eau.
Le triptyque santé, économie et environnement doit être au coeur de l'argumentation, car nous avons un devoir moral envers les générations futures.
Il y a de la place pour toute agriculture sincère : je pense au bio, qui a bénéficié des aides de la PAC, et qui traverse la même crise que l'agriculture conventionnelle par le passé. Certains agriculteurs pensent à revenir sur leur conversion ; c'est une erreur. Il faut soutenir cette filière.
Les organisations professionnelles doivent se solidariser : il n'y a pas de stratégie nationale dans le secteur du vin, par exemple, mais des concurrences entre appellations que nous ne pouvons pas nous permettre. Il faut des stratégies communes et offensives, à l'exemple de ce que font nos voisins espagnols et italiens.
Un vin se vendant en sortie de cave à 0,75 euro le litre se retrouve parfois dans les restaurants à 5 euros le verre : cherchez l'erreur... Il faut un partage de la valeur produite ; comment ce texte y contribue-t-il ? Avec des propositions présentées sous le seul angle de la compétitivité, on reproduit le morcellement des politiques agricoles.
Le RDSE se félicite cependant des avancées sur les clauses miroirs, les transpositions, ou le livret Agri. Je me réjouis également de l'article 8 bis sur le paiement pour services environnementaux (PSE). Depuis 2016, avec Franck Montaugé, nous ne cessons de porter ce sujet. Les externalités positives de l'agriculture doivent être rétribuées.
En revanche, je ne comprends pas l'article 1er, qui, alors que l'objectif est de simplifier, ajoute une couche aux chambres d'agriculture et au ministère de l'agriculture avec le haut-commissaire à la compétitivité. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué... Ces structures ne s'intéresseraient-elles pas à la compétitivité ?
De même, au lieu de revenir sur la loi Égalim, et de repousser de 2022 à 2025 l'échéance pour la part de produits de qualité durable, comme le fait l'article 11, ne faudrait-il pas privilégier des projets alimentaires territoriaux (PAT), qui structurent la demande et l'offre locales autour d'objectifs de qualité ? Dans l'Hérault, dix PAT ont été mis en place, dont un départemental.
Enfin, l'article 18, qui réhabilite le cumul entre conseil et vente de produits phytopharmaceutiques, m'étonne : comment être à la fois juge et partie ?
Pour toutes ces raisons, je m'abstiendrai, comme la majorité de mon groupe. Ce texte est politique, car la loi d'orientation pour l'agriculture se dessine. Il faudra qu'elle prenne en compte tous les enjeux de la question. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du RDPI ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°291 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l'adoption | 210 |
Contre | 94 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Je salue la qualité du travail réalisé par les rapporteurs Duplomb, Mérillou et Louault, qui ont préparé cette proposition de loi. Nous n'avons pas toujours été d'accord, mais sur le sujet agricole il y a parfois trop de non-dits, et je me réjouis des consensus trouvés. Nous avons besoin de respect et non de mises au ban, de progrès et non du rejet de chaque avancée technique, sur les variétés ou les drones, et enfin de solutions et non d'injonctions, de réel et non de postures. Pourquoi l'agriculture serait-elle le seul secteur à ne pas bénéficier du progrès technique ?
La ferme France a perdu en compétitivité. On peut toujours aller chercher les causes en dehors des frontières, comme l'a fait M. Fabien Gay avec les traités de libre-échange, mais cela n'expliquera pas pourquoi la France est le seul pays à avoir ainsi perdu en compétitivité.
La loi Égalim a été un jalon important pour les rémunérations des agriculteurs. Quant aux projets alimentaires territoriaux, il y en avait 20 en 2019 et 400 aujourd'hui, alors que la loi date de 2014. Reconnaissons un progrès, monsieur Labbé.
Enfin, attention au discours que nous tenons sur l'agriculture ; évitons les caricatures. Nous avons besoin des agriculteurs pour nous nourrir. Croire que nous avons résolu ce problème pour toujours serait une erreur funeste, tant du point de vue du végétal que de l'animal.
En France, et jusqu'à la rue Cambon, nous avons besoin de souveraineté alimentaire et de l'élevage (applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC), pour maintenir les prairies, entretenir les paysages, lutter contre les incendies. Il faut le leur dire : cessons la chasse permanente aux éleveurs. (Mme Nathalie Goulet et M. Hugues Saury applaudissent.)
M. Loïc Hervé. - Et la Cour des comptes ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Je viens de l'évoquer. Nous devrons redonner une place à l'élevage, et arrêter cette stratégie mortifère qui réduit notre souveraineté. Je suis heureux, monsieur Duplomb, d'avoir pu échanger avec vous... (M. Christian Redon-Sarrazy s'exclame.) D'avoir échangé avec vous tous !
Il faut arrêter de prétendre que tout va bien (applaudissements sur plusieurs travées du GEST) : nous sommes collectivement en échec sur la question de la souveraineté, et il faudra aborder la question sans injonctions. Nous devrons être au rendez-vous, pour les agriculteurs, mais aussi parce que la souveraineté est tout aussi importante dans le domaine alimentaire que dans les autres secteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.