SÉANCE
du vendredi 10 mars 2023
68e séance de la session ordinaire 2022-2023
Présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
La séance est ouverte à 09 h 40.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (Suite)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1 alinéa 2 de la Constitution.
Discussion des articles de la deuxième partie (Suite)
ARTICLE 9 (Suite)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - Nul doute que cette journée sera aussi dynamique que la soirée d'hier...
En application de l'article 44 alinéa 6 du Règlement, la commission demande la priorité d'examen et de vote sur l'amendement n°2138, des rapporteurs. (Murmures à gauche)
Mme Émilienne Poumirol. - Encore !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Il s'agit du maintien à 60 ans de l'âge de la retraite anticipée pour incapacité permanente ; nous avons largement débattu de ce sujet en commission.
Je précise que cette priorité ne fait tomber aucun amendement. (On s'en félicite à gauche.)
M. Claude Raynal. - Très bien !
Mme Laurence Cohen. - Voilà une mesure intelligente !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - On s'améliore de jour en jour...
Mme la présidente. - Je rappelle que la priorité est de droit lorsqu'elle est demandée par la commission, sauf opposition du Gouvernement. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion. - Comme depuis le début du débat et comme il est de coutume, le Gouvernement ne s'oppose pas aux demandes de priorité de la commission. Il s'en remet au Sénat.
La priorité est ordonnée.
Mme la présidente. - Amendement n°2138, présenté par M. Savary et Mme Doineau, au nom de la commission des affaires sociales.
I. - Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Au I, les mots : « , dans des conditions fixées par décret, » sont remplacés par les mots : « à soixante ans » ;
II. - Alinéas 13 à 15
Supprimer ces alinéas.
III. - Alinéa 20
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Au I, les mots : « , dans les conditions fixées par décret, » sont remplacés par les mots : « à soixante ans » ;
IV. - Alinéas 21 à 23
Supprimer ces alinéas.
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse. - Mme Doineau et moi-même sommes très attachés à cet amendement, qui maintient la possibilité de partir à 60 ans en cas d'incapacité permanente. Elle est ouverte en fonction de différentes durées d'exposition - dix-sept ans pour certains facteurs. Actuellement, ce dispositif est sous-utilisé.
Notre intention est de répondre aux préoccupations de nos concitoyens, qui s'expriment largement dans la rue. Cet amendement me paraît être un élément de réponse déterminant.
Comme nous n'avons pas encore réussi à convaincre le ministre, un argument de plus : cette dépense relevant de la branche AT-MP, elle n'affectera pas l'équilibre de la réforme.
Cette proposition nous paraît pouvoir rassembler largement sur nos travées, jusqu'ici très divisées.
M. Olivier Dussopt, ministre. - En effet, cette dépense concerne la branche AT-MP : elle ne contrevient donc pas au retour à l'équilibre du système des retraites. Nous l'estimons de 250 à 260 millions d'euros par an en termes nets, c'est-à-dire en tenant compte de la moindre dépense qui résulterait de la suppression des autres mesures prévues.
De fait, le Gouvernement a fait un choix différent : départ à 62 ans, mais élargissement des critères d'éligibilité au départ anticipé pour incapacité permanente. Nous ramenons la durée d'exposition requise de dix-sept à cinq ans, et le départ serait de droit pour ceux dont le taux d'incapacité est égal ou supérieur à 20 %, sans passer par une autre procédure médicale.
L'adoption de l'amendement de la commission supprimerait ces deux assouplissements. Avis défavorable, d'autant qu'il faut garder une lisibilité sur les seuils d'âge.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - La durée d'exposition peut très bien être réduite par décret : rien ne vous empêche de le faire, monsieur le ministre, pour élargir notre dispositif...
M. Olivier Dussopt, ministre. - Ce sera deux fois plus cher...
M. René-Paul Savary, rapporteur. - De même pour le passage devant la commission pluridisciplinaire. Nos mesures sont complémentaires. Votons donc l'amendement.
Mme Laurence Rossignol. - Cet amendement a de nombreuses vertus : il protège le départ à 60 ans des salariés en incapacité permanente et ne fait tomber aucun autre amendement. On n'en voudrait que des comme ça !
Monsieur le ministre, il ne s'agit pas d'une dépense nouvelle, mais d'une moindre économie par rapport à votre réforme. Et il y a transfert de charges vers la branche AT-MP. Soyons précis dans nos propos, pour ne pas faire croire à ceux qui nous regardent - vous avez sans doute remarqué qu'ils sont très nombreux - que ces propositions seraient irresponsables.
Le ministre cherche à nous enfermer dans un piège assez diabolique : si nous votons l'amendement Savary, ce que nous allons faire, nous supprimerions des mesures importantes. Nous dénonçons ce chantage !
Mme Corinne Féret. - Notre groupe votera cet amendement qui va dans le bon sens. Depuis le début du débat, nous dénonçons le report d'âge pour tout le monde, quelle que soit la situation. Le maintien à 60 ans pour des personnes qui sont dans une situation très difficile est donc bienvenu, et il n'y a pas de dépense nouvelle.
M. Roger Karoutchi. - Après le spectacle un peu désolant de ces derniers jours, je souhaite vivement, lorsque nous en arrivons à des amendements un peu construits, que le Gouvernement fasse un effort.
Monsieur le ministre, vous avez déjà fait des efforts. Mais il faut encore des avancées. Si vous souhaitez travailler avec le Sénat, il faut accepter des modifications.
Hier, malgré le désordre généralisé, nous avons insisté sur l'usure, sur ceux qui souffrent en fin de carrière et ont besoin de partir plus tôt. Clairement, quand quelqu'un n'est plus en situation de travailler, il ne faut pas le lui imposer. (M. Jean-Michel Houllegatte acquiesce.)
Certes, une telle mesure a un coût. Mais c'est une question de justice, quand on présente aux Français une réforme dont nous savons qu'elle est difficile pour tout le monde. Montrons que nous savons l'allongement impossible pour certaines personnes. N'hésitez pas, monsieur le ministre, à le faire avec nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; Mme Évelyne Perrot et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous avions aussi des amendements construits, mais ils ont tous été frappés par l'article 40... Pour celui-ci, qu'au demeurant je voterai, je constate que l'article 40 a été contourné.
Vous cherchez à transférer sur d'autres branches les effets de votre réforme - ici sur la branche AT-MP, pour 5 milliards d'euros plutôt que 200 millions. Plus généralement, de nombreux transferts sont invisibilisés : sur le chômage, le RSA, les minima sociaux.
Je reviens sur les 3,1 milliards d'euros que vous présentez comme des mesures d'accompagnement en matière d'incapacité permanente, alors qu'il ne s'agit que de maintenir l'existant. Je m'étonne que la commission des affaires sociales et la commission des finances n'aient pas relevé ce fait. Je considère que nous avons 3,1 milliards d'euros de marges de manoeuvre pour atténuer la brutalité de votre réforme.
Mme Monique Lubin. - Toutes les personnes qualifiées d'handicapées devraient pouvoir partir à 60 ans. Je ne comprends pas pourquoi cela n'est pas prévu, d'autant qu'elles ne travaillent pas et perçoivent d'autres revenus issus de la sécurité sociale.
M. Daniel Chasseing. - Beaucoup de téléspectateurs nous regardent, cela a été dit. Cet amendement représente une avancée sociale importante. L'abaissement du seuil d'invalidité de 20 à 10 % et de la durée d'exposition de dix-sept à cinq ans est aussi une amélioration. Je félicite nos rapporteurs pour cette mesure de réparation à l'égard des salariés en incapacité permanente et j'espère que le Gouvernement nous donnera satisfaction.
Mme Nathalie Goulet. - Je voterai cet amendement avec enthousiasme et je remercie nos rapporteurs. Monsieur le ministre, faites confiance au Sénat ! Nous le soutenons sur toutes les travées, et la commission des finances aurait invoqué l'article 40 s'il y avait eu besoin.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Cet amendement relève clairement de l'article 40. Comment le président de la commission des finances a-t-il pu le laisser passer, contrairement aux autres ?
Vous pouvez remercier le ministre Attal... C'est lui qui, dans la discussion générale, a ouvert la voie à l'examen de cet amendement, dans des propos certes légèrement ambigus : il a déclaré qu'il y avait un intérêt à en débattre, sans adopter formellement une position d'ouverture.
Pour pouvoir surmonter l'article 40, il faut une intention du Gouvernement. S'agit-il d'une intention du Gouvernement ? Les juristes pourraient s'en emparer... Interrogé sur ce point, j'ai souhaité aider la commission des affaires sociales en émettant un avis de recevabilité, lors même que le propos du ministre Attal n'engageait pas formellement le Gouvernement - qui, d'ailleurs, se déclare défavorable à l'amendement.
Vous pouvez remercier aussi M. Dussopt, qui pourrait à tout moment invoquer l'article 40 et ne le fait pas... Profitons de cet instant de grâce pour voter l'amendement ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER)
M. Fabien Gay. - Cet amendement va dans le bon sens, reconnaissons-le, mais je ne parlerai pas d'avancée sociale ou de conquête sociale - on est loin d'Ambroise Croizat...
De fait, les départs anticipés pour incapacité permanente concernent 3 000 personnes par an - après élargissement des critères, 20 000 personnes au plus. C'est très bien, et nous voterons l'amendement. Mais vous venez de voter le recul du départ à la retraite pour des millions de travailleurs et de travailleuses.
Par ailleurs, quid des quatre critères de pénibilité supprimés en 2017 : exposition à des agents chimiques, manutention de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques ? Va-t-on les prendre en compte ? Le champ du dispositif serait élargi à, peut-être, 40 000 personnes - ce qui n'en ferait pas, je le répète, une grande conquête sociale...
Mme Émilienne Poumirol. - Nous insistons depuis le début de ce débat sur la suppression par M. Macron de ces quatre critères de pénibilité. Un non-recul est positif, mais cela n'en fait pas une avancée ! Il faut réintégrer les critères supprimés en 2017, pour élargir au maximum le nombre de personnes concernées. Nous voterons l'amendement.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Votons, alors !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Monsieur le président de la commission des finances, l'irrecevabilité au titre de l'article 40 n'était pas opposable à cet amendement, dans la mesure où il l'existant. La question se pose, en revanche, en matière de retraite progressive.
Il ne nous a pas paru concevable de demander cet effort aux personnes dans les situations les plus difficiles. Je remercie nos collègues de soutenir cet amendement de solidarité dans le cadre d'une réforme qui, nous le savons bien, est difficile et ne fait pas l'unanimité.
Mme la présidente. - Je vous informe que onze sous-amendements viennent d'être déposés sur l'amendement n°2138, après le début des explications de vote.
M. Olivier Dussopt, ministre. - Monsieur Karoutchi, si ma fonction me permettait de donner un avis favorable à tous les amendements déposés, ma vie au banc du Gouvernement serait sûrement plus agréable...
Cet amendement présente un certain nombre d'intérêts et nous pouvons en discuter de manière sereine.
Monsieur Raynal, le Gouvernement est circonspect quant à votre position sur l'application de l'article 40, sur la base de la déclaration que vous avez mentionnée.
Oui, monsieur le rapporteur, les durées d'exposition et le passage par la commission pluridisciplinaire relèvent du pouvoir réglementaire. C'est un peu le fromage et le dessert - même si le sujet est sérieux... Si le Gouvernement mettait en oeuvre les assouplissements qu'il propose par voie réglementaire en plus de l'adoption de cet amendement, la dépense n'en serait qu'augmentée.
Cela étant, l'expression par le Gouvernement d'un avis défavorable n'empêche évidemment pas le Sénat de faire valoir sa position. Nous verrons si le dispositif prospère en commission mixte paritaire.
Madame la présidente, vous avez annoncé que des sous-amendements venaient d'être déposés. Je n'ai pas à regretter leur dépôt, ce n'est pas mon rôle. Mais, souhaitant que le Sénat puisse se prononcer sur ce sujet de fond, le Gouvernement considère, en application de l'article 44 alinéa 2 de la Constitution, que les sous-amendements qui n'ont pas été examinés par la commission sont irrecevables. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC ; vives protestations à gauche)
M. Emmanuel Capus. - Bravo !
Mme la présidente. - Madame la présidente de la commission, confirmez-vous que ces sous-amendements n'ont pas été soumis à la commission avant l'ouverture du débat ?
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Je le confirme, madame la présidente.
Mme la présidente. - En application de l'article 44 alinéa 2 de la Constitution et de l'article 46 bis alinéa 4 du Règlement du Sénat, le Gouvernement s'oppose à la discussion de ces sous-amendements, qui ne peuvent donc être examinés. (Protestations à gauche)
Rappels au Règlement
Mme Laurence Rossignol. - Monsieur le ministre, hier soir ne vous a pas suffi ? Vous avez aimé ça ? S'agit-il d'une addiction ? (Vives protestations à droite ; M. Roger Karoutchi s'exclame.)
M. Martin Lévrier. - Sur quel fondement, le rappel au Règlement ?
Mme Laurence Rossignol. - Vous déclenchez l'irrecevabilité ce matin sur douze sous-amendements. Autant je puis parfois comprendre, tout en le combattant, que vous le fassiez quand il y en a un grand nombre, mais pour douze ? Dites franchement que vous ne voulez pas débattre ! (Applaudissements à gauche ; protestations à droite)
M. Bernard Jomier. - Combien avons-nous le droit d'en déposer ? Trois, un ? Zéro, peut-être ?
Mme Laurence Cohen. - Ces douze sous-amendements sont très importants, car il s'agit de la pénibilité des métiers et de la vie des gens. (Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit.)
La présidente de la commission a demandé la priorité d'examen sur cet amendement, mais la commission ne s'est pas réunie. Ensuite, les sous-amendements sont rejetés parce que la commission ne les a pas examinés. Mais, madame la présidente de la commission, réunissez-nous ! Parler au nom de la commission quand elle ne se réunit pas, c'est extraordinaire !
M. Vincent Éblé. - Très bien !
M. Fabien Gay. - Au début de la séance, une priorité a été demandée. Je me suis abstenu de faire un rappel au Règlement, parce que l'amendement était important.
Le Règlement n'est pas fait pour régler des questions politiques mais pour organiser notre vie commune. L'article 44 alinéa 6 prévoit que la demande de priorité est formulée par la commission saisie au fond. Pas la présidente ou le rapporteur, mais bien la commission. Quand la commission s'est-elle réunie ? (On renchérit sur de nombreuses travées à gauche.)
Depuis quelques jours, beaucoup de nouveautés apparaissent. Cela risque de laisser des traces.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Les choses avaient bien commencé... (Rires à droite ; protestations à gauche) Redescendons sur terre et mettons-nous à la portée de nos concitoyens, qui nous demandent des réponses.
Quand cet amendement a-t-il été examiné en commission ? Le 28 février. N'aviez-vous pas le temps de vous retourner ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; MM. Vincent Capo-Canellas et François Bonneau applaudissent également.) J'ai même fait de nouvelles auditions entre-temps... Vous aviez le temps d'agir !
Ces sous-amendements déposés dans la précipitation relèvent d'une réflexion que nous aurions pu enrichir plus tôt, de manière sereine, éventuellement par des auditions supplémentaires.
Cet amendement est largement partagé, cela a été dit sur tous les bancs. S'il avait fallu le modifier, vous vous en seriez rendu compte plus tôt. Chacun s'est exprimé, passons au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur certaines travées du groupe UC)
M. Patrick Kanner. - Hier soir, M. Henno a fait un rappel au Règlement dans un état excitation assez particulier. Je tiens à lui dire que je surmonte très bien mon mal-être. Les groupes de gauche sont parfaitement unis. Il m'a semblé que ce n'était pas tout à fait le cas du groupe UC... (Protestations sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)
Mme la présidente. - Venez-en à votre propre rappel au Règlement.
M. Patrick Kanner. - Le Règlement proscrit les attaques personnelles, madame la présidente.
J'ai une question à poser à la droite sénatoriale et à la droite élyséenne : combien de sous-amendements avons-nous la permission de déposer ? Trois ? Cinq ? Huit ? (Protestations à droite) Amender et sous-amender est un droit.
Monsieur le ministre, vous utilisez pour la deuxième fois l'article 44 alinéa 2 pour bloquer les débats. C'est une arme nucléaire tactique. Mais il y a aussi l'arme nucléaire stratégique : le vote bloqué. Si votre intention est d'y avoir recours, dites-le nous le plus vite possible ! Ainsi les Français seront-ils témoin de la manière dont vous traitez le Parlement.
M. Roger Karoutchi. - C'est le blocage du Parlement !
M. Guillaume Gontard. - Il y a le droit et l'abus de droit. La décision du Gouvernement est improvisée ; elle augure mal de la suite de nos débats.
Monsieur le ministre, je vous demande solennellement de prendre les mesures nécessaires pour que le débat ait lieu. Soumettre le Parlement à un tel rapport de force est inadmissible. Recourir à ces instruments de rationalisation du parlementarisme est un aveu de faiblesse. Nul besoin d'artifices quand on a des arguments convaincants. Pardonnez la véhémence et la solennité de mon propos, mais un autre ton ne peut convenir à la gravité du moment. Voilà ce que disait, presque mot pour mot, Philippe Bas le 7 mars 2018, lors de la discussion du texte d'André Chassaigne sur les retraites agricoles...
Monsieur le ministre, il n'est pas sérieux de supprimer une douzaine de sous-amendements sur un amendement de cette importance, plutôt bien construit comme l'a dit M. Karoutchi. Notre groupe n'a déposé qu'un sous-amendement - on est loin de l'obstruction !
Notre séance avait bien débuté. Revenons à la sérénité. Il nous reste un peu moins de mille amendements à examiner : travaillons, avançons et tout ira bien. (Applaudissements à gauche)
M. Olivier Dussopt, ministre. - Mme Rossignol et moi nous connaissons depuis longtemps. Si j'avais parlé à son égard d'addiction comme elle l'a fait à mon endroit, je pense qu'elle m'en aurait tenu rigueur, peut-être à raison. Évitons ce genre de vocabulaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Emmanuel Capus. - Très juste !
M. François Bonhomme. - Un peu d'élégance !
M. Olivier Dussopt, ministre. - Monsieur Kanner, vous avez le droit de déposer des sous-amendements, mais le Gouvernement a le droit de s'opposer à l'examen des sous-amendements non soumis préalablement à la commission.
M. Fabien Gay. - Quand la commission s'est-elle réunie ?
M. Olivier Dussopt, ministre. - J'ai recours à l'article 44 alinéa 2, pour deux raisons.
D'abord, parce que je me souviens du débat d'hier. Un débat initié par M. Gontard s'est tenu sur 140 sous-amendements visant à consulter tel ou tel organisme, défendus de manière rapide et finalement tous retirés. N'est-ce pas un moyen de retarder le vote ?
Ensuite, parce que j'ai regardé rapidement les sous-amendements déposés après le début des explications de vote - alors que l'amendement a été adopté par la commission le 28 février. La plupart commencent par « notamment », ce qui, en général, fait perdre les dispositifs en lisibilité. Il s'agit d'ajouter des professions, comme les moniteurs d'école de conduite : il faut sûrement améliorer leurs conditions de travail, mais on pourrait décliner de la sorte toutes les professions... Le sous-amendement n°967 vise les professeurs des écoles, alors que la retraite pour incapacité permanente ne concerne pas les agents publics. Y a-t-il un intérêt autre que de retarder le vote sur le fond ? (Applaudissements nourris sur les travées du RDPI et des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. - Le Conseil constitutionnel intervient très peu dans l'organisation de nos débats. Monsieur le ministre, en employant l'article 41 et l'article 44 alinéa 2 de la Constitution, vous fragilisez l'article 9, car le Conseil constitutionnel examinera nos débats dans le détail. Mes chers collègues, c'est aussi la capacité du Sénat à organiser librement ses débats qui est fragilisée. (Mme Michelle Meunier applaudit.)
M. Claude Raynal. - M. le rapporteur a été interrogé sur le fonctionnement de la commission des affaires sociales, j'attends qu'il nous réponde. Réunir préalablement la commission, c'est tout simplement appliquer le Règlement. Chers collègues, c'est vous qui avez lancé ces discussions procédurales en invoquant l'article 38 ! Puisqu'on parle de strict respect du Règlement, je souhaite que, à l'avenir, les choses se passent correctement.
M. Olivier Paccaud. - Depuis presque dix jours, nos collègues réclament le débat... Mais ce qu'ils veulent, c'est le débat sans fin. Vous avez transformé nos travées en tranchées !
La mission du Parlement n'est pas que de parlementer, mais aussi de légiférer, c'est-à-dire de voter. Ce n'est pas votre but, nous le regrettons.
En choisissant la stratégie de la paralysie, vous renforcez le vent mauvais de l'antiparlementarisme. (MM. Gérard Longuet et Emmanuel Capus renchérissent.) Vous renforcez les sirènes du populisme. Attention au boomerang ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDPI)
M. Roger Karoutchi. - On avait bien démarré, nous étions à peu près d'accord sur l'amendement... Et voilà que, après le début des explications de vote, dix-neuf sous-amendements sont déposés. Si ce n'est pas de l'obstruction, je ne sais pas comment ça s'appelle !
Pendant douze jours, silence radio ; et tout d'un coup, ces sous-amendements. Très clairement, votre intention est de ne pas aller au bout du débat : c'est de l'obstruction presque caricaturale ! (On renchérit à droite ; protestations à gauche)
Dès lors, la décision du Gouvernement d'appliquer l'article 44 alinéa 2, est tout à fait légitime. Chers collègues, vous l'avez beaucoup utilisé quand vous étiez au gouvernement... Faut-il vous rappeler que c'est par un vote bloqué que la réforme Touraine a été adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale ?
Si l'on veut aller au bout du texte, il faut que chacun y mette du sien. Monsieur Kanner, je vous estime beaucoup, mais j'ai été un peu choqué par la photo où l'on vous voit manger le Règlement du Sénat : pardonnez-moi de vous le dire, mais ce n'est pas digne de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDPI)
Mme Céline Brulin. - Nous assistons à une utilisation abusive de la priorité : il ne s'agit plus d'assurer la clarté des débats, mais d'en faire une arme de destruction massive de nos sous-amendements, présentés sous cette forme parce qu'un certain nombre de nos amendements ont été déclarés irrecevables pour des raisons obscures.
Même plus d'arguments réglementaires, seulement des chiffres : on fait tomber 140 sous-amendements, et maintenant 12... Vous ne ferez croire à personne que vous accélérerez le débat de la sorte ! Parce que, chaque fois que vous utilisez ces procédures, nous le retardons... (Exclamations ironiques et applaudissements à droite et au centre)
M. Xavier Iacovelli. - Vous assumez !
M. Michel Dagbert. - Quel aveu !
Mme Céline Brulin. - C'est un « nous » collectif : collectivement, du fait de vos procédures, le débat est retardé.
Enfin, nous attendons toujours la réponse à la question de M. Gay : quand la commission s'est-elle réunie pour demander la priorité ? (Protestations à droite)
M. Roger Karoutchi. - Elle ne le fait jamais !
Mme Céline Brulin. - Va-t-elle faire son travail en examinant les sous-amendements ? Depuis douze jours, il s'est passé des choses dans le pays, l'ignorez-vous ? (Nombreuses marques d'agacement à droite et au centre, où l'on signale que l'oratrice a dépassé son temps de parole.)
M. Roger Karoutchi. - Ça suffit !
Mme Céline Brulin. - Nos débats doivent se tenir à la lumière de ce qui se passe dans le pays ! (M. Pierre Laurent applaudit.)
Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous approuvons l'amendement des rapporteurs. Mais pourquoi l'examiner en priorité ? Nous n'en avons jamais été informés.
Monsieur le ministre, vous empêchez l'examen de ces sous-amendements, mais vous les commentez, les jugez ridicules... Quelle malhonnêteté intellectuelle ! (On ironise à droite et au centre.)
Vous nous renvoyez continuellement à nos intentions, mais, en droit, l'intention est une notion très complexe. Nous aurions défendu nos sous-amendements, cela aurait pris moins de temps que nos protestations contre vos méthodes : c'était le sens du propos de Mme Brulin. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Vincent Éblé. - Je m'appuie sur l'article 13 et les suivants de notre Règlement, relatifs aux travaux des commissions.
Je suis surpris de l'absence de réponse sur la recevabilité de certains amendements : est-ce une décision solitaire de la présidente ou du rapporteur, ou une décision collégiale ?
J'ai eu l'honneur pendant trois ans de présider la commission des finances, dévolue à un groupe d'opposition. Cela oblige à la modestie et une grande prudence quant à ses pouvoirs personnels, par exemple le maniement de l'article 40. Mais pour qu'un travail collectif puisse avoir lieu, encore faut-il que la commission se réunisse...
Je repose donc la question : quand la commission des affaires sociales a-t-elle examiné la recevabilité des sous-amendements ?
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Mardi soir !
M. Vincent Éblé. - Sur les projets de loi de finances, la commission des finances se réunit souvent tôt le matin. Pourquoi la commission des affaires sociales ne pourrait-elle pas le faire ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Rappel au Règlement, en vertu de l'article 44 bis. Nous parlons de douze sous-amendements, caricaturés par M. le ministre. Ils traitaient des sages-femmes, des infirmiers en psychiatrie, des puéricultrices...
M. Emmanuel Capus. - « Notamment » !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Oui, l'amendement n°2138 a été jugé recevable par la commission, en février. Mais pourquoi l'appeler en priorité ? Avec Laurence Cohen, nous sommes membres de la commission des affaires sociales, et bien présentes... Tout comme vous, nous suivons ses travaux. (Mme Chantal Deseyne s'exclame.) Je remercie Mme la rapporteure générale de reconnaître notre présence. (Mme Élisabeth Doineau se récrie.)
Alors, pourquoi le rapporteur nous fait-il passer pour des pantins ? Pourquoi ne pas réunir la commission ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRCE)
M. Éric Kerrouche. - Bis repetita placent... Monsieur le ministre, nous vous avions prévenus, vous recommencez. Mon rappel au Règlement se fonde sur l'article 46 bis.
M. Henno nous a interpellés, M. Kanner et moi-même. Mais on ne choisit pas son opposition ! À gauche, nous sommes déterminés.
M. Paccaud nous fait un cours sur le Parlement. J'ai une petite bibliographie sur ce sujet que vous pourrez lire...
M. Olivier Paccaud. - Et corriger !
M. Éric Kerrouche. - Nous ne sommes pas une enceinte administrative. Le Parlement, c'est aussi la traduction des rapports de force d'une société. Vous tentez de les brider. Tant que vous vous livrerez à ce petit jeu, nous aussi. Vous souhaitez que le débat n'avance pas.
M. Olivier Paccaud. - Quelle hypocrisie !
M. Vincent Capo-Canellas. - Pendant cinq jours, qu'avez-vous fait ?
M. Éric Kerrouche. - Les Français comprennent ce qui se passe. (Applaudissements à gauche)
M. Vincent Éblé. - C'est notre rôle d'opposants...
M. Olivier Paccaud. - Et ils assument !
M. Pierre Laurent. - Il semblerait que le service de la distribution soit à court d'exemplaires du Règlement du Sénat...
La présidente de la commission ne prend pas la peine de la réunir pour examiner la recevabilité des amendements, mais il semble que la liste des irrecevables soit dictée par le ministre. (M. le ministre le nie.)
M. Vincent Capo-Canellas. - Ce n'est pas sénatorial !
M. Pierre Laurent. - À ce point, il est indispensable de suspendre la séance et de réunir la commission, sans quoi cela veut dire que tout se décide entre le rapporteur et le ministre. (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - M. Gay a la parole, pour un deuxième rappel au Règlement.
M. Fabien Gay. - Toujours sur la base du même article...
M. Emmanuel Capus. - Choisissez-en un autre !
M. Fabien Gay. - Nous vous proposons, ensemble, une sortie de crise.
La commission des affaires sociales, saisie au fond, demande la priorité. La présidente Primas dira si je mens : à la commission des affaires économiques, soit nous avons évoqué les demandes de priorité en commission, soit les chefs de file des groupes ont été prévenus. Vrai ou faux ? Une telle demande n'a jamais été découverte en séance. C'est inacceptable.
Le président Laurent a rappelé la séparation des pouvoirs. Ce n'est pas au ministre, mais à la commission de faire le tri des amendements.
Ne tripatouillons pas le Règlement. Nous sommes tous républicains. Un pouvoir fascisant, demain, aura toutes les armes pour brider notre assemblée. Faisons attention aux dangereux précédents que nous créons ! (Applaudissements à gauche)
L'amendement n°2138 est adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Paccaud. - Tout ça pour ça !
M. Olivier Dussopt, ministre. - Monsieur Gay, l'article 44.2 de la Constitution autorise le Gouvernement à refuser l'examen d'amendements et de sous-amendements non examinés par la commission. Ce n'est pas une appréciation de recevabilité. (Protestations à gauche)
Je sollicite une suspension de séance.
La séance, suspendue à 10 h50, reprend à 11 h 35.
M. Olivier Dussopt, ministre. - Nous débattons du PLFRSS depuis le 2 mars dans l'hémicycle, soit 74 heures de débats sur un sujet central : l'avenir du régime de retraite par répartition.
Malgré des discussions de fond et des avancées défendues par la commission, l'opposition méthodique a été choisie par les groupes d'opposition - encore ce matin. Mme Brulin, que je remercie de sa clarté, a déclaré qu'à chaque avancée, tout serait mis en oeuvre pour ralentir les débats.
Plusieurs voix à gauche. - Ce n'est pas ce qu'elle a dit !
M. Olivier Dussopt, ministre. - Vous voulez empêcher Le Sénat de se prononcer sur l'ensemble du texte. (MM. Éric Kerrouche et Rémi Cardon le nient.)
Je pense aux séries d'amendements identiques ou analogues - déclinaisons de professions, d'institutions à consulter, de dates de remise de rapports. C'est caractéristique d'une obstruction méthodique, pour priver le Sénat de sa capacité à délibérer.
La ligne du Gouvernement, la seule qui vaille à mes yeux, est celle de la clarté du débat, pour mettre fin à une obstruction systématique qui vise à empêcher les sénateurs de se prononcer sur une réforme majeure pour l'avenir des Français.
Nous aurions pu penser que le calendrier de la loi organique suffirait. Il est absolument essentiel que le Sénat se prononce sur le fond, dans la clarté. C'est pourquoi, en application de l'article 44 alinéa 3 de la Constitution et de l'article 42 alinéa 9 du Règlement du Sénat, le Gouvernement demande à votre assemblée de se prononcer par un vote unique sur l'ensemble du texte, ainsi que sur les articles 9 à 20. Cela ne remet pas en cause ce qui a déjà été adopté à l'article 9 avant la suspension de séance.
Sont retenus, à l'article 9, les amendements nos2133, 2134, 2141 et 2136 - modifié par le sous-amendement n°4761 -, 2135, 2137, 2139, 2143, 2145, 2144, 2146, 2147, 2148, 2150 et 2152.
À l'article 10, les amendements nos2154, 2059 rectifié ter, 2155, 2058 rectifié, 2060 rectifié bis, 2156, 2157, 2158, 2159 et 2160.
Après l'article 10, les amendements nos2295, 2024, 2161 rectifié bis, 4547, et 475 rectifié.
À l'article11, les amendements nos2488 rectifié bis et 2162.
Après l'article 11, l'amendement n°1904 rectifié bis.
À l'article 12, les amendements nos2163, 2164 et 2165.
Ces amendements, pour la plupart adoptés par la commission, améliorent le texte. Ils créent de nouveaux droits pour les orphelins, revalorisent les pensions à Mayotte, clarifient les conditions d'accès à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), intègrent les indemnités journalières des congés maternité avant 2012, rendent possible la validation de trimestres supplémentaires par les sapeurs-pompiers volontaires, ou encore, modifient l'Ondam.
J'en viens aux articles qui suivent.
Nous retiendrons, à l'article 13, les amendements nos2166, 2167, 2169, 2170, 2171, 2172, 2173, 2174, 2175, 2176, 2177, 2360 rectifié bis, 2178, 2179, 2180, 2181 et 2182.
Après l'article 13, les amendements nos1369 et 2183.
Avant l'article 14, l'amendement n°2563 rectifié.
À l'article 14, l'amendement n°4723.
À l'article 15, l'amendement n°4724.
À article 16, l'amendement n°2184.
S'y ajoutent les amendements identiques à ceux cités.
Cela vaut exclusion de l'ensemble des autres amendements, y compris portant article additionnel.
Mme la présidente. - En application de l'article 44 dernier alinéa de la Constitution et de l'article 42 alinéa 9 du Règlement, le Gouvernement demande au Sénat de se prononcer par un seul vote sur les articles 9 à 20 et sur l'ensemble du texte, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement, sans remise en cause des amendements précédemment adoptés.
Les amendements restant en discussion ont été mentionnés par le ministre. Ils sont réputés faire l'objet d'un avis favorable du Gouvernement. Leur liste va vous être distribuée.
Acte est donné de cette demande.
Il s'agit d'assurer la clarté et la sincérité de nos débats et de mettre un terme à l'obstruction. (Tumulte à gauche)
Les auteurs des amendements conservent leur droit de présentation. Commission et Gouvernement donneront leur avis. Il n'y aura en revanche plus d'explications de vote individuelles sur chacun des amendements et des articles. (Vives protestations à gauche) Les prises de parole sur article demeurent possibles, dans les conditions définies par la Conférence des présidents réunie le 8 mars : deux minutes pour un orateur par groupe.
Un vote unique portera sur les amendements retenus et l'ensemble du texte.
M. Patrick Kanner. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 44 bis.
La messe est dite !
M. Roger Karoutchi. - La faute à qui ?
M. Patrick Kanner. - Nous ne sommes pas étonnés. Tout à l'heure, dans mon rappel au Règlement, j'ai demandé au ministre quand il déclencherait le 44.3. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Nous en sommes là après l'utilisation de nombreux articles du Règlement et de l'article 47-1 de la Constitution.
Nous en prenons acte, monsieur le ministre et mesdames et messieurs les sénateurs de droite. Vous montrez vos réelles intentions, réactionnaires, avant la grande manifestation de samedi.
M. Olivier Paccaud. - Pour mettre fin à l'obstruction !
M. Patrick Kanner. - Il restait 1 000 amendements à examiner et plus de 30 heures de débats. Nous aurions pu, tranquillement, continuer à débattre. (On le conteste vivement sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Nous continuerons à travailler sur les amendements que vous tolérez, monsieur le ministre. Madame la présidente, je sollicite une nouvelle suspension de séance pour faire le point.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Vous le saviez !
Mme la présidente. - J'entendrai d'abord les autres rappels au Règlement.
M. Guillaume Gontard. - Rappel au Règlement sur le fondement de l'article 44 bis. Quel aveu de faiblesse, une fois de plus ! (Marques d'approbation à gauche ; marques d'ironie au centre et à droite) Votre majorité se fissure. L'Assemblée nationale n'a pas voté le texte, et l'ensemble des syndicats demande en vain à être reçu par le Président de la République. La population est dans la rue, et vous voulez passer en force...
Mme Dominique Estrosi Sassone et M. Roger Karoutchi. - Ce n'est pas un rappel au Règlement !
M. Guillaume Gontard. - Cette aliénation du Parlement est honteuse. Victor Hugo avait appelé son chien Sénat (Protestations à droite) : vous en avez fait le toutou du Gouvernement ! (Applaudissements à gauche ; M. Roger Karoutchi proteste.) Oui, M. Karoutchi, cela vous embête...
M. Roger Karoutchi. - Cela m'embête, car j'ai toujours défendu le Parlement. Pas vous !
M. Guillaume Gontard. - Je demande, moi aussi, une suspension de séance. (Mme Françoise Gatel proteste.) Vous vous l'accordez, le Gouvernement se l'accorde, nous avons le droit de réagir. Nous ne serons pas le toutou du Gouvernement ! (Applaudissements à gauche ; protestations à droite)
M. Pierre Laurent. - Nous y sommes, au coup de force du Gouvernement, que vous prépariez depuis mardi, en recourant à toutes les procédures possibles. Terrible aveu de faiblesse d'une droite ultramajoritaire au Sénat, incapable de faire voter le texte dans des conditions normales de débat. (Marques d'ironie à droite)
La raison : dès le premier jour, vous avez choisi non seulement de voter la réforme, mais dans les conditions du Gouvernement, acceptant l'abaissement du Sénat et vous condamnant au silence. Mais depuis mardi, face au mouvement populaire, vous avez organisé l'obstruction pour justifier ce coup de force. (M. Gérard Longuet s'amuse.)
Vous irez à la CMP mercredi pour défendre un texte non adopté par l'Assemblée nationale, et adopté après un 49.3 sénatorial !
M. Vincent Capo-Canellas. - Vous ne voulez pas que le Sénat vote !
M. Pierre Laurent. - Ne cautionnez pas cela, vous le paierez cher.
M. Roger Karoutchi. - Des menaces, c'est inadmissible dans l'hémicycle.
Mme la présidente. - Votre temps de parole est épuisé. (Le tumulte couvre la voix de l'orateur.)
Mme Laurence Cohen. - Le 44.3, c'est le 49.3 du Sénat, qui n'en sort pas grandi. Le Gouvernement piétine le parlementarisme, avec l'assentiment de cette majorité de droite. C'est triste pour la démocratie, triste pour le peuple, triste pour ceux qui nous regardent.
Pourquoi le faites-vous ? Depuis le début, vous dramatisez les débats et refusez de parler du fond.
M. Roger Karoutchi. - Et vous ?
Mme Laurence Cohen. - Pourquoi cette complicité des droites avec le Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi. - Et la gauche ?
Mme Laurence Cohen. - Parce que ce projet est le frère jumeau du vôtre !
Mmes Dominique Estrosi Sassone et Sophie Primas. - Mais oui !
Mme Laurence Cohen. - Voilà quatre ans que René-Paul Savary propose le recul de l'âge ! Vous êtes enfin soulagés de voir cette réforme scélérate ainsi votée ! (Protestations à droite)
Ce n'est pas glorieux ! Mais demain, que se passera-t-il ? Vous vous targuez d'être respectueux. Est-ce respectueux de bâillonner votre opposition de gauche et de piétiner la commission des affaires sociales, qui ne s'est jamais réunie depuis le début de l'examen en séance ? (Applaudissements à gauche ; Mme la présidente de la commission s'indigne.)
Mme Laurence Rossignol. - Que chacun le sache : la décision du Gouvernement, en accord avec le Sénat, aboutira à ne discuter que des amendements qu'il a retenus. Combien issus de la gauche ? Bien peu, je le crains...
Qui pourra s'exprimer ? Son auteur, pour ; la commission, pour ; puis le Gouvernement, pour. En d'autres termes, nous devrons écouter en silence ! (Applaudissements à gauche) C'est bien un bâillon !
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est honteux !
Mme Laurence Rossignol. - Nous devions siéger jusqu'à dimanche, mais vous ne retenez que 70 amendements. Il y avait encore deux jours et demi de travail !
Vous voulez faire travailler tout le monde deux ans de plus, et vous refusez de travailler trois jours de plus ! (Applaudissements à gauche)
M. Roger Karoutchi. - C'est nul !
Mme la présidente. - Les 1 000 amendements seront présentés, les vôtres y compris. (M. Bernard Jomier s'incline en signe de remerciement ; protestations à gauche.)
M. Éric Kerrouche. - Un seul orateur par groupe !
M. Olivier Henno. - Nous nous attendions bien à ce que vous vous opposiez à ce texte. Mais la question était celle-ci : dans le temps escompté, pourrions-nous nous exprimer et voter ? Roger Karoutchi vous a plusieurs fois, calmement, appelé à progresser.
Bien sûr que vous avez le droit de vous opposer au texte - nous-mêmes avons parfois des réserves. C'est notre rôle. Mais le Parlement, au-delà des retraites, doit débattre, mais aussi s'exprimer !
M. René-Paul Savary. - Voter !
M. Olivier Henno. - Nous ne sommes pas heureux de cette procédure (marques d'ironie à gauche), mais doit-elle être mobilisée ?
Il a été question de Jean-Luc Mélenchon. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il n'est pas là !
M. Olivier Henno. - Lui, au moins, a l'obstruction glorieuse. Vous, vous avez l'obstruction honteuse ! (Vifs applaudissements au centre et à droite ; protestations à gauche) Vous vous dissimulez derrière des arguments de procédure ! Cela ne vous grandit pas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; MM. Bernard Fialaire et Emmanuel Capus applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. - Que se joue-t-il avec ce 49.3 ? La droite devient illibérale, autoritaire, parce qu'elle est minoritaire. (Rires à droite)
M. Roger Karoutchi. - Vous êtes 10, nous sommes 145 !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vous usez du triptyque provocation, réaction, répression. Quel était le sens de la priorité décidée ce matin ? Nous provoquer. Nous avons réagi, vous réprimez - on a bien connu cela en 1968 !
J'adresse un message au mouvement social, majoritaire. (On proteste à droite au motif que l'oratrice s'écarte du rappel au Règlement.)
M. Roger Karoutchi. - C'est inadmissible ! Madame la présidente, intervenez !
Mme la présidente. - Je ne peux accepter cela dans le cadre d'un rappel au Règlement.
M. Roger Karoutchi. - Il faut une sanction !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Provocation !
M. Jacques Fernique. - Je me fonde sur l'article 42.9 de notre Règlement. Nous n'aurons donc qu'un seul vote sur l'ensemble du texte et les amendements retenus par le Gouvernement - nous attendons d'ailleurs toujours la liste que nous aurons à avaler.
Belles clarté et sincérité des débats, quand seuls les orateurs favorables s'expriment. Un seul son de cloche, en trois temps : les auteurs des amendements, la commission et le Gouvernement. Les autres se taisent !
Le décorum de ce Palais rappelle, certes, le Second Empire. Mais que notre Sénat bascule dans le bonapartisme, non ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Françoise Gatel s'exclame.)
Mme la présidente. - Les amendements qui n'ont pas été mentionnés par le ministre seront tous examinés, chers collègues.
M. Éric Bocquet. - Voici ce qu'indique l'article 44.3 de la Constitution : « Si le Gouvernement le demande, l'Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».
Nous assistons à une sorte de sabordage du Sénat.
M. Roger Karoutchi. - C'est vous qui le sabordez !
M. Éric Bocquet. - Notre République était marquée - j'utilise à regret l'imparfait - par le bicamérisme. Où est la séparation des pouvoirs ? C'est gravissime : le ministre choisit les amendements qui lui conviennent. Le moment est grave. À la crise économique, à la crise sociale, vous ajoutez une crise politique majeure dans un pays en tension. (Applaudissements sur quelques travées à gauche)
M. Yan Chantrel. - Rappel au Règlement en vertu de l'article 44 bis. Aujourd'hui, vous piétinez le Sénat avec la complicité de la droite sénatoriale. Le Gouvernement est responsable en ayant choisi dès le début de mobiliser le 47-1, qui brutalise l'Assemblée nationale et le Sénat ; et désormais vous utilisez l'article 44.3 de la Constitution ! Votre pratique brutale du pouvoir prouve l'essoufflement de la Ve République. Hasard du calendrier : aujourd'hui sort un livre intitulé Une République à bout de souffle...
M. Olivier Dussopt, ministre. - C'est vous qui êtes à bout de souffle.
M. Yan Chantrel. - ... qui montre les archaïsmes de cette Constitution face aux tentations autoritaires, et appelle à une nouvelle répartition des pouvoirs pour une République plus sociale et écologique.
En brutalisant le Parlement, vous brutalisez les Français. Nous les appelons à se mobiliser en masse samedi et serons avec eux dans la rue. (Tumulte à droite couvrant la voix de l'orateur ; M. Serge Mérillou applaudit.)
Mme la présidente. - Vous sortez du rappel au Règlement !
M. Roger Karoutchi. - Des sanctions !
M. Éric Kerrouche. - Rappel au Règlement en vertu de l'article 46 bis. Monsieur Henno, vous êtes obsédés par Jean-Luc Mélenchon. Il existe de très bonnes consultations psychologiques... (Rires à gauche) Ici, nous sommes socialistes, écologistes, communistes. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Vous dites que nous aurions fait de l'obstruction ? Il y a une collusion évidente entre la commission et le Gouvernement. (Mme Catherine Deroche fait non de la main.) En ne réunissant pas la commission, sa présidente a rendu possible l'utilisation de l'article 44.2. Vous avez utilisé les articles 38, 44 bis, 46 bis... Qui a fait de l'obstruction parlementaire ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme Toine Bourrat. - Vous !
M. Éric Kerrouche. - Je salue la présence de Franck Riester qui, le premier, a signalé que cette réforme se faisait au détriment des femmes. (M. le ministre sourit.)
La roche Tarpéienne n'est pas loin du capital... (Rires) Pardon, du Capitole !
M. Jérôme Bascher. - Très bon !
M. Éric Kerrouche. - Le succès d'aujourd'hui est déjà la défaite de demain. (Applaudissements à gauche)
Mme Céline Brulin. - L'article 47-1 nous oblige à achever le débat dimanche, à minuit ; le Gouvernement refuse de le prolonger.
Il reste un certain nombre d'amendements à examiner. Si vous étiez vraiment prêts au débat, vous auriez demandé qu'il perdure au-delà de dimanche. La majorité s'est réduite à devenir une béquille du Gouvernement, en se prenant les pieds dans le tapis.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Cela suffit !
Mme Céline Brulin. - Vous activez ce vote bloqué...
Mme Sophie Primas. - C'est du comique de répétition !
Mme Céline Brulin. - Cinquante-cinq de nos collègues de la droite et du centre ont refusé de voter l'article 7.
Mme Sophie Primas. - C'est leur droit.
Mme Céline Brulin. - Et nous les en félicitons.
En activant ce petit frère du 49.3, vous allez raviver la colère du pays.
Nous continuerons de défendre, argument par argument, notre position. Nous ne lâcherons pas.
M. Fabien Gay. - Rappel au Règlement ! M. Retailleau s'était inscrit avec moi pour prendre la parole, j'espère ne pas passer devant lui...
Vous avez perdu le débat politique avec l'utilisation du 49.3 sénatorial. (Applaudissements à gauche) Après l'obstruction silencieuse, vous avez utilisé l'obstruction réglementaire en allant chercher ce volume (l'orateur brandit le Règlement) au fond d'une armoire poussiéreuse... (M. Roger Karoutchi exprime sa perplexité.)
Vous ne réglerez pas la question politique par des arguties réglementaires.
Et là, vous vous en remettez au Gouvernement pour activer ce 49.3 sénatorial et mettre fin au débat ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. - C'est un rappel au Règlement ?
M. Fabien Gay. - Mais le débat continue à l'extérieur, et nous continuerons à défendre nos arguments jusqu'au bout. Nous nous mobiliserons samedi... (On s'impatiente à droite ; applaudissements à gauche.)
Vous étiez majoritaires, vous sortez tout petits ! Et si vous croyez que vous allez régler cette affaire à quatorze dans une salle, vous vous trompez !
Mme la présidente. - Votre temps de parole est écoulé.
M. Fabien Gay. - Nous ne lâcherons pas jusqu'au retrait. (Vifs applaudissements à gauche ; protestations à droite)
M. Pascal Savoldelli. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 44 bis. Mme Borne, mercredi, a évoqué la séparation des pouvoirs. Je suis assez scandalisé de la proposition du ministre Dussopt en l'absence du président du Sénat - il m'est pourtant arrivé de critiquer durement ce dernier, avec la sincérité qui me caractérise.
Monsieur Henno, point d'invectives.
Sur 145 sénateurs Les Républicains, 127 ont voté pour : les autres n'ont pas à avoir honte ! Sur 57 sénateurs du groupe UC, 35 ont voté pour : les autres n'ont pas à avoir honte ! Sur les 24 sénateurs du groupe Les Indépendants, 22 ont voté pour ; les autres n'ont pas à avoir honte !
Il n'y a pas eu obstruction du débat, il y a eu des sénateurs qui n'ont pas voté comme vous.
Réécriture de l'article 7 en duo en dix minutes, déclenchement de l'article 38... Vous êtes en train de créer un régime des pleins pouvoirs. (Marques d'indignation sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Du calme !
M. Pascal Savoldelli. - La majorité sénatoriale accepte le diktat du Gouvernement dont elle devient la béquille : vous affaiblissez ainsi les deux assemblées ! Les Français sont en colère ce matin. (Applaudissements à gauche)
Mme Sabine Van Heghe. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 44 bis. Personne n'est dupe ici.
Mme Sophie Primas. - Absolument !
Mme Sabine Van Heghe. - La brutalité s'est exprimée.
M. Gérard Longuet. - Vous en êtes responsables.
Mme Sabine Van Heghe. - Vous nous avez muselés, bâillonnés, parce que vous étiez embarrassés par nos arguments. (Marques d'ironie à droite)
Mme Françoise Gatel. - Oh !
Mme Sabine Van Heghe. - C'est un coup d'État que vous venez de déclencher !
Une voix à droite. - Les mots ont un sens !
Mme Sabine Van Heghe. - Vous allez tristement marquer l'histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Salmon applaudit également.)
M. Bernard Jomier. - Rappel au Règlement sur la base des articles 46 bis, 44 bis, 44 ter.
La discussion a débuté avec un accord politique sur le texte entre le Gouvernement et la droite sénatoriale. (M. Roger Karoutchi proteste.) Monsieur Karoutchi, vous nous aviez habitués à plus de placidité...
Mais cet accord politique, légitime, s'est transformé en un accord institutionnel qui l'est moins. Le Règlement du Sénat est là d'abord pour protéger les droits parlementaires. Si l'activation de l'article 44.3 est dans les prérogatives du Gouvernement, il est étonnant de constater que la majorité, dans une confusion grave, ne défend plus le Sénat, mais prête la main au Gouvernement pour le plier à la demande de l'exécutif.
M. Vincent Éblé. - Très juste !
M. Bernard Jomier. - Je sais que le fait majoritaire vous donne le droit de voter ce texte. Mais là, vous avez franchi le Rubicon. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE)
M. Daniel Breuiller. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 42.9.
Nous parlions de débats feutrés au début ; désormais ce sont des débats bâillonnés. (Mme Sophie Primas s'exclame.)
Une démocratie se mesure au respect des minorités, mais aussi des syndicats. Lorsque ces derniers demandent à être reçus par le Président de la République, la Première ministre les renvoie dans le bureau de M. Dussopt... Sauf votre respect, monsieur le ministre, l'ampleur de la manifestation aurait justifié que le Président de la République les reçût.
Le véhicule législatif nous contraint à voter trop vite cette réforme, et désormais l'article 44.3 permet de bâillonner l'opposition du Sénat.
J'ai toujours vu les sénateurs défendre leurs droits. Que reste-t-il sinon ? Quel article de la Constitution permet de bâillonner des milliers de manifestants ? Vers quel régime allons-nous ? (Applaudissements sur plusieurs travées du GEST et du groupe SER)
M. Ronan Dantec. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 44 bis.
Je relis l'article 28 de la Constitution : « Le Premier ministre, après consultation du président de l'assemblée concernée, ou la majorité des membres de chaque assemblée peut décider la tenue de jours supplémentaires de séance. »
Avec l'article 47.1, nous avons 50 jours. Nous pouvions aller plus loin. Je l'ai proposé hier soir, mais vous ne vouliez pas aller au-delà de dimanche, et ce matin, vous avez multiplié les provocations pour faire tomber dix amendements et arriver à vos fins.
C'est un affaiblissement terrible du Parlement et du Sénat avec le soutien de la majorité sénatoriale.
S'il reste quelques gaullistes sur les travées de la droite, cela leur rappellera de vieux souvenirs : « Bal tragique au Sénat : un mort - la société française qui sort plus que jamais fragilisée. » (Applaudissements sur les travées du GEST ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Paccaud. - Les mots sont forts : « réactionnaires » ; les « pleins pouvoirs » - je rappelle qu'ils ont été votés en 1940 en faveur de Pétain - ; « bonapartisme ». Je vous rappelle qu'il n'y a pas de grenadiers commandés par Murat pour vous faire sortir de l'hémicycle...
M. Pascal Savoldelli. - Vous le regrettez ?
M. Olivier Paccaud. - Ce que je regrette, c'est de devoir subir un vote bloqué. Nous aurions tous aimé - mais peut-être pas avec la même sincérité - aller jusqu'au bout du texte.
Ce 49.3 sénatorial est provoqué par la coagulation des débats due à votre attitude, qui a provoqué l'embolie.
Je suis désolé de devoir conclure par la morale du Rat et l'Huître de La Fontaine : « Tel est pris qui croyait prendre. » (Applaudissements à droite)
M. Emmanuel Capus. - Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. - Les Françaises et Français qui nous regardent ne retiennent qu'une seule chose : les LR du Sénat sont entrés au Gouvernement !
Mme Sophie Primas. - C'est le Gouvernement qui s'est rallié à nous !
M. Pierre Ouzoulias. - Nous vivons une crise politique majeure : l'autorité de la Première ministre est remise en question, les groupes de la majorité sénatoriale sont divisés... Mes chers collègues, je n'ai qu'une question : allez-vous sauver le quinquennat d'Emmanuel Macron ? (Applaudissements à gauche)
M. Emmanuel Capus. - Nous allons sauver les retraites !
M. Thomas Dossus. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 44 bis.
J'entends dire n'importe quoi à droite...
M. Jérôme Bascher. - C'est l'écho !
M. Thomas Dossus. - Nous avons mené un débat serein sur six articles jusqu'à mardi... (On le nie à droite et au centre.)
Que s'est-il passé mardi ? Les Français se sont levés pour vous dire à quel point ils rejetaient la réforme. Et là, panique : vous faites tomber 1 000 amendements de la gauche, puis multipliez l'utilisation d'articles du Règlement : 42, 38, 44... Les menaces planent sur les députés qui ne voteraient pas le texte.
Ce matin, pour douze sous-amendements - qui auraient représenté une demi-heure de débat - le ministre craque et dégaine le 44.3.
Il reste 1 000 amendements, mais nous aurions pu ouvrir le lundi. Il s'agit du « sucré » de la réforme, des mesures d'atténuation, dont nous avons pu constater à quel point personne ne les comprenait et qu'elles n'étaient pas à la hauteur. Vous ne parvenez plus à masquer la brutalité de la réforme, et vous voulez donc nous faire taire. Demain, les manifestations seront massives. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Jean-Claude Tissot. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 42 alinéa 9.
Alors que l'avenir des Français et leur droit à une retraite en bonne santé sont en jeu, je suis scandalisé par les dérives du débat démocratique en seulement 30 minutes.
Chers collègues de la majorité, avez-vous conscience de ce que vous acceptez ? Vous qui ne cessez de rappeler la grandeur du Sénat, vous la réduisez à néant.
Vous parliez d'obstruction honteuse de la gauche. Et vous, n'avez-vous pas honte de priver les Français de deux ans de vie ? (Protestations à droite) J'aime quand la droite proteste, cela veut dire que je touche juste !
Mardi dernier, 6 000 personnes manifestaient à Annonay.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Ce n'est pas un rappel au Règlement !
M. Jean-Claude Tissot. - Lors de la réforme Woerth, il y a douze ans, vous en étiez, monsieur le ministre ; et cette réforme, vous pensez qu'elle est juste ? (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Ce n'est pas un rappel au Règlement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, ministre. - Monsieur Tissot, vous m'invitez à prendre la parole plus vite en évoquant la commune où je vis. J'apporte un élément nouveau.
De 10 heures à 15 heures, 2 400 foyers y ont été privés d'électricité par une coupure volontaire.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Ce n'est pas nous !
M. Olivier Dussopt, ministre. - Cela a forcé le lycée à fermer, empêché les commerçants de travailler, obligé les pompiers à intervenir pour libérer des personnes bloquées dans ascenseurs ou secourir des personnes sous respirateur, contraint les résidents d'un foyer de personnes âgées à manger froid...
Cette coupure volontaire a été revendiquée par la CGT énergie. Si c'est de ce mouvement social que vous vous revendiquez, cela ne sert pas la clarté et la sincérité du débat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, ainsi que des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
J'ai entendu des mots qui dépassent le cadre de nos débats...
M. Roger Karoutchi. - Et de notre Règlement.
M. Olivier Dussopt, ministre. - ... coup de force, bâillon, censure, régime illibéral, coup d'État, régime autoritaire... C'est inadéquat pour un dispositif prévu par la Constitution.
D'autres s'offusquent, prétendant que nous n'aurions jamais vécu cela.
Le 20 avril 2013, après 18 heures de débats sur le projet de loi sécurisation professionnelle comptant 20 articles, Michel Sapin a eu recours à l'article 44.3, faute d'autre possibilité pour faire aboutir le texte. Le Gouvernement de l'époque était majoritaire dans cette assemblée. Preuve que si un Gouvernement fait face à l'obstruction, il a recours à la Constitution pour permettre la clarté des débats. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, ainsi que des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. David Assouline. - N'importe quoi...
M. Roger Karoutchi. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 46 bis.
Certes, le débat était contraint par l'article 47.1. (« Ah ! » à gauche)
Mais le Gouvernement aurait-il pu laisser un jour de plus pour l'examen du projet de loi, sur le fondement de l'article 28 de la Constitution, comme vous le prétendez ? (On le confirme sur les travées du GEST.)
C'est faux ! Il y a bien un maximum de 120 jours de séance dans une session ordinaire, et le Gouvernement peut en ajouter un, voire deux. Mais l'article 28 ne s'applique pas ici, car l'article 47.1 fixe clairement le nombre de jours d'examen. (M. Ronan Dantec conteste le raisonnement.)
Ce que j'entends me désole : un coup l'on remet en cause le Règlement du Sénat, adopté par tous les groupes en 2015, un coup l'on remet en cause la Constitution. Aucun gouvernement de gauche n'a remis en cause la Constitution sur ces points-là, et notamment l'article 44, parce que chaque gouvernement l'a jugé utile pour passer outre à l'obstruction. Personne ne l'a remis en cause, même dans les projets de réforme.
M. Pascal Savoldelli. - Donc il y a des projets de réforme !
Une voix sur les travées du GEST. - La VIe République !
M. Roger Karoutchi. - Vous parlez de coup d'État ; nous essayons de débattre. Nous avons demandé que cesse le dépôt incessant de sous-amendements...
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il fallait nous réunir en commission !
M. Roger Karoutchi. - ...et les rappels au Règlement pour entrer dans le fond des débats.
Cela n'a pas été possible. C'est votre responsabilité si le débat parlementaire cède la place à des méthodes plus autoritaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et sur plusieurs travées du RDSE)
M. Bruno Retailleau. - Rappel au Règlement !
Mme Laurence Cohen. - Quel article ?
M. Bruno Retailleau. - Sur la base de l'article 46 bis.
Mme Laurence Cohen. - Merci !
M. Bruno Retailleau. - Vous surjouez l'indignation, la surprise, mais vous n'êtes pas surpris. Le vote, c'est l'application de la Constitution. Nous sommes sous la Ve République, pas la IVe. La cause du vote bloqué, c'est votre obstruction !
Voici notre version des faits. Jusqu'au mardi 7 mars, tout se passait bien, car nous avions un engagement : que l'article 7 ne soit pas abordé avant mardi 7 mars. Nous nous sommes tus pour respecter cet engagement, mais vous n'avez pas tenu le vôtre.
Plusieurs voix à gauche. - Quel engagement ?
M. Bruno Retailleau. - Vous avez voulu empêcher le débat. L'obstruction, c'est proposer 449 demandes de rapports, c'est multiplier les amendements identiques et les sous-amendements ridicules, c'est faire des rappels au Règlement qui n'en sont pas ! (M. Fabien Gay interpelle l'orateur.)
Vous transformez le Sénat en un groupe de parole, alors que le Parlement ne vaut que par ses débats pour éclairer le vote. C'est notre métier, notre devoir.
M. Pascal Savoldelli. - Parlementaire, ce n'est pas un métier, c'est une activité !
M. Bruno Retailleau. - On ne peut pas supporter qu'une minorité prenne en otage une majorité (exclamations scandalisées à gauche) simplement pour ne pas être perdante. (On interpelle l'orateur sur les travées de la gauche.)
Je vous rappelle qu'au Sénat, la gauche a utilisé neuf fois le vote bloqué, comme elle l'a utilisé à l'Assemblée nationale pour la loi Touraine ! (Tumulte à gauche ; on fait signe que le temps est écoulé ; applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Monsieur Dantec, votre référence au « bal tragique à Colombey » me choque. Je pense aux familles des 146 personnes décédées dans un dancing de l'Isère, auxquelles faisait référence cette une. Si cela vous fait rire, nous pas... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Pascal Savoldelli. - Et l'avis démocratique de la commission ? Je pensais que vous preniez la parole pour cela !
M. Claude Malhuret. - Rappel au Règlement sur la base de l'article 42.9. (Protestations à gauche) Oh là là, la gauche morale est furieuse (rires à droite), la gauche morale est en colère ! Celle qui nous dit « faites ce que je dis, pas ce que je fais » ! (Marques de vif agacement à gauche)
Une voix à gauche. - Quel bavardage !
M. Pierre Laurent. - On ne vous a pas vu une seule fois depuis le début !
M. Claude Malhuret. - La gauche morale, qui se scandalise du 44.3 qu'elle a elle-même utilisé pour faire passer la loi Touraine.
La gauche morale, qui trouve très démocratique de déposer cinquante amendements sur chaque article, avec vingt explications de vote pour chacun d'eux.
Et vous estimez qu'il n'est pas démocratique de couper court à une tentative de destruction de la procédure parlementaire ?
M. Pascal Savoldelli. - Il s'écoute parler !
M. Claude Malhuret. - Nous avions un point d'accord au début de l'examen de cette loi (la voix de l'orateur se perd dans le tumulte des protestations de la gauche), celui de ne pas donner le lamentable spectacle de l'Assemblée nationale. (Le tumulte se poursuit.)
M. Serge Mérillou. - Rien à voir avec un rappel au Règlement !
M. Claude Malhuret. - Il y avait une ZAD à l'Assemblée nationale : une zone à délirer des mélenchonistes (les interpellations se multiplient), qui n'ont toujours pas compris que l'Assemblée n'était pas une AG de l'Unef. Une autre ZAD a été ouverte depuis une semaine au Sénat : la zone d'amendements débridés. (Le tumulte continue ; on s'interpelle entre les travées de la gauche et de la droite.)
Mme la présidente. - S'il vous plaît !
M. Roger Karoutchi. - Des sanctions !
M. Claude Malhuret. - Les trois partis de la Nupes n'ont qu'un objectif : organiser l'impuissance du Parlement. Nous allons faire en sorte que le Sénat ait les moyens de jouer son rôle et de faire le boulot pour lequel les Français l'ont élu : voter cette loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDPI et du RDSE ; protestations à gauche)
Mme la présidente. - Je suspends la séance pour cinq minutes à la demande des présidents Kanner et Gontard. (M. Roger Karoutchi manifeste son mécontentement.)
M. Pascal Savoldelli. - Gardez votre calme, monsieur Karoutchi !
La séance, suspendue à 12 h 35, reprend à 12 h 45.
M. Patrick Kanner. - Rappel au Règlement ! (Vives marques d'agacement à droite)
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Pour quoi faire ?
M. Martin Lévrier. - Il y en a déjà eu un !
M. David Assouline. - Vous croyez qu'on va se laisser faire ?
M. Patrick Kanner. - Rappel au Règlement sur le fondement de l'article 29.2. Au nom de mes collègues Gontard et Assassi, je demande la réunion de la Conférence des présidents, sur l'ordre du jour suivant : conséquences de l'utilisation de l'article 44.3 de la Constitution sur l'organisation de nos débats.
Mme la présidente. - Je transmets la demande au président du Sénat, le temps que vous la formalisiez par écrit...
M. David Assouline. - Le Règlement ne précise pas que la demande doit être formulée par écrit.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Rappel au Règlement !
Plusieurs voix à droite. - Quel article ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Article 44 bis.
Depuis mardi vous en rêviez, votre rêve devient réalité. Après votre mutisme scandaleux, vous mettez l'autre genou à terre en acceptant le 44.3, qui s'apparente au 49.3 de l'Assemblée nationale. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Ce n'est pas un rappel au Règlement !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous bafouez la démocratie. C'est une situation inédite, un simulacre de démocratie. (Protestations ; marques d'agacement à droite) À diverses reprises nous avons demandé une réunion de la commission des affaires sociales pour étudier nos sous-amendements. Vous n'y avez jamais répondu. (Huées à droite)
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Si, la présidente de la commission vous a répondu !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Comptez sur nous pour défendre un à un ces amendements, car ils parlent de la vie des gens, des ouvriers, des salariés de tous ceux à qui vous imposez deux ans de plus.
La majorité n'est pas ici, elle est dans la rue : elle vous le fera payer ! (Tumulte à droite ; Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme la présidente. - Le président du Sénat me confirme la tenue de la Conférence des présidents à 14 heures. Je vous propose de reprendre nos travaux, avec l'examen des amendements restant en discussion.
M. David Assouline. - J'ai demandé la parole pour un rappel au Règlement !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Ce n'est pas possible !
M. David Assouline. - Le rappel au Règlement est un droit. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, où l'on demande sur quel article se base le rappel au Règlement.) Je me fonde sur l'article 44 bis. Madame la présidente, veuillez remettre le compteur du temps de parole à zéro. (Vives marques d'agacement à droite)
Les bruits de presse se sont confirmés ce matin. Les débats ont été écourtés, plus tôt que prévu - certains doivent vouloir partir en week-end ! (Marques d'exaspération à droite)
L'affaire est grave. Ces articles ont sans doute été utilisés par le passé, mais rarement une loi rejetée par les deux tiers de l'opinion n'a été discutée dans de telles conditions. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Jamais la gauche n'a écourté les débats de la sorte, alors que 3,5 millions de Français manifestent pour dire qu'ils ne veulent pas de cette réforme.
M. Martin Lévrier. - Rien à voir avec un rappel au Règlement !
M. David Assouline. - Quand nous discutons des carrières longues ou de l'article 7, le minimum est de ne pas faire tomber des milliers d'amendements.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. - Où est le rappel au Règlement ?
M. David Assouline. - Nous avons répondu à votre coup de force avec les moyens de la minorité. Nous ne plions pas le genou, car nous sommes des combattants. (Les sénateurs du groupe Les Républicains protestent et tapent sur leurs pupitres pour signifier que le temps de parole est épuisé.) Nous combattons cette réforme et nous ne nous laisserons pas museler ! (Applaudissements à gauche ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme la présidente. - Puisque vous ne souhaitez pas reprendre l'examen des amendements, je suspends la séance.
La séance est suspendue à 12 h 50.
Présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 14 h 50.