« Les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français ».
M. Stéphane Ravier . - Depuis janvier 2021, la France subit une hausse des prix généralisée et inédite depuis quarante ans, due aux restrictions d'activités liées au covid et à une forte dépendance aux produits manufacturés de l'étranger. La guerre en Ukraine n'a fait que renforcer l'inflation.
L'affaiblissement de l'État stratège conduit à l'appauvrissement actuel.
Selon l'Insee, la hausse des prix a été de 14,5 % pour l'alimentation et de 14 % pour l'énergie. Un kilo de pommes noisettes surgelées coûte 2,19 euros, contre 1,05 en février 2022, soit une hausse de 108 %. La crème fraîche a augmenté de 40 % ; l'emmental râpé, de 33 %.
La demande aux Restos du Coeur a augmenté de 12 %. Dans la sixième puissance économique mondiale, des millions de personnes ne se chauffent plus, ne mangent plus à leur faim, ne se soignent plus : c'est le grand effondrement des classes populaires et l'affaissement des classes moyennes.
La fiscalité pose problème, 60 % du prix de l'essence étant constitué de taxes alimentant les caisses percées de l'État.
Même après avoir éteint la lumière, coupé le chauffage, sacrifié une partie du contenu de leur frigo et du renouvellement de leur garde-robe, les ménages ne voient toujours pas le bout du tunnel. Vos prévisions se sont révélées fausses : le Fonds monétaire international (FMI) annonce la très bonne santé économique de la Russie, alors que le ministre de l'économie avait prédit son effondrement !
Madame la ministre, qu'attendez-vous pour sortir du marché européen de l'électricité et de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), relocaliser et baisser les cotisations patronales sur les salaires ?
M. Jean-Claude Requier . - (M. Jean-Yves Roux applaudit.) À entendre nos concitoyens ou nos agriculteurs, ce débat serait encore plus d'actualité que celui sur les retraites. Nous sommes à un tournant majeur de l'après-covid : si le choc de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie a eu un effet indéniable sur les prix de l'énergie, la remontée des prix a en réalité commencé dès 2021 après les confinements, notamment en raison de la hausse des coûts des matières premières et du fret. Nous payons le prix de la désindustrialisation et de la perte de souveraineté économique.
Le décalage entre l'indice synthétique des prix à la consommation et l'inflation ressentie est sensible. D'autres éléments pèsent sur le budget des ménages, comme le logement : les prix des actifs, mobiliers ou immobiliers, ont beaucoup augmenté ces dernières années. L'injection de liquidités par les banques centrales a entraîné une forte inflation des valeurs mobilières, sans impact sur les prix à la consommation. L'inflation était un souvenir remontant aux années 1980 ; aujourd'hui, elle touche l'ensemble des pays développés, sauf peut-être le Japon, entraînant baisse du pouvoir d'achat et érosion de l'épargne.
Dans les années 1970, on considérait l'inflation comme une drogue douce profitant aux emprunteurs. La poursuite d'une inflation forte couplée à une croissance faible ou nulle signifierait le retour de la stagflation.
Après l'indice Big Mac et l'indice jambon-beurre, voilà l'indice coq au vin, créé par l'agence Bloomberg. Sur un an, il a augmenté de 15 % ! Les produits alimentaires sont en forte hausse depuis 2022. Dans ce contexte, les négociations entre fournisseurs et distributeurs devraient bientôt aboutir, après la proposition de loi adoptée par le Sénat il y a deux semaines.
Le Gouvernement prévoit-il des mesures supplémentaires pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages ? Envisage-t-il de mettre à contribution les entreprises, en particulier celles qui ont largement bénéficié des aides publiques ces dernières années ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Vanina Paoli-Gagin et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme. - Je n'ai pas grand-chose à ajouter à vos propos sur l'inflation ressentie, boussole la plus importante à suivre.
L'inflation est de 6,2 % sur un an, avec une accélération sur l'alimentaire : 13 % en janvier, 14,5 % en février. Mais l'Insee constate que la croissance a été positive au quatrième trimestre, et que le pouvoir d'achat des ménages n'a pas sombré car les prélèvements obligatoires continuent à baisser, avec la suppression de la redevance télévisuelle et de la troisième tranche de la taxe d'habitation. Citons aussi le versement de la prime de partage de la valeur, de plus d'un milliard d'euros, soit, en moyenne, 1 000 euros par salarié.
Le Gouvernement a beaucoup fait ; il continue à faire en sorte que les efforts soient partagés. Le Président de la République et le Gouvernement demandent aux fournisseurs de contribuer à l'effort, en prenant sur leurs marges pour limiter l'inflation alimentaire.
M. Serge Babary . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) La guerre en Ukraine, depuis le 24 février 2022, a servi de catalyseur à de profonds bouleversements économiques conduisant au retour de l'inflation, qui avait disparu depuis vingt ans. La crise du covid avait déjà touché le système commercial mondial. Le retour de l'inflation à des niveaux inédits depuis cinquante ans a surpris tous les spécialistes.
Alors qu'auparavant, l'inflation demeurait sous la barre des 2 %, la sortie de la crise sanitaire a conduit à une demande soutenue et à la hausse des prix, due à la désorganisation et à l'insuffisance de la production. La guerre en Ukraine, surtout, a perturbé l'acheminement de matières premières. La Russie a réduit ses exportations de gaz. Il en a résulté une forte hausse des cours du pétrole et du gaz et une flambée de l'inflation, donc une baisse de la consommation.
Paradoxalement, l'inflation a dopé le chiffre d'affaires des groupes du CAC 40. Les ETI et les PME ne peuvent pas en dire autant : la fermeture de nombreuses boulangeries le montre. Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir supprimé le critère de puissance installée pour bénéficier des tarifs réglementés de l'électricité ?
Où en est la réforme du marché européen de l'énergie annoncée pour la fin 2022 ? A-t-on obtenu le découplage des prix du gaz et de l'électricité ?
M. André Reichardt. - Très bien !
M. Serge Babary. - L'inflation s'établit à 6,2 %. À cela s'ajoute une crise sociale, voire sociétale : 2,4 millions de personnes dépendent d'une aide alimentaire, dont un tiers de nouveaux bénéficiaires. Dès juillet 2022, Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, vous enjoignait de cesser la politique dispendieuse du chèque et d'engager des politiques de long terme, avec notamment la défiscalisation des heures supplémentaires. La loi sur le pouvoir d'achat n'a eu qu'un effet pansement, en dépit d'un coût élevé pour les finances publiques.
Le prix des produits alimentaires a bondi de 14,5 % sur un an. La confiance des ménages est dégradée. Le taux d'épargne s'établit à 16,6 % du revenu brut. Les personnes âgées éloignées des centres-villes sont particulièrement touchées.
On nous annonce un mars rouge. Hier, Bruno Le Maire a affirmé aux députés que des mesures étaient à l'étude. Mais la Fédération du commerce et de la distribution évoque une augmentation à venir de 10 %, et la présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) accuse une partie des distributeurs de refuser de payer l'intégralité de la part des agriculteurs.
Il faut des mesures ciblées. Comment le Gouvernement aidera-t-il les Français à traverser cette crise ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Monsieur le sénateur, vous parlez de la nécessité de cibler les aides. Vous comme moi, nous veillons à ne pas augmenter indûment la dépense publique. Si nous avions supprimé le critère des 36 kVA, nous aurions aidé des entreprises n'en ayant pas besoin et multiplié les milliards de dépenses inutiles. Installer des compteurs ne se fait pas du jour au lendemain. Il y aurait eu des difficultés logistiques.
L'amortisseur et le guichet sont des dispositifs facilement compréhensibles.
Vous parlez d'un pansement de 110 milliards d'euros tout de même, versés entre octobre 2021 et décembre 2022 ! Il ne faut pas oublier, entre autres, la prime de rentrée exceptionnelle et la prime de partage de la valeur : 300 000 entreprises ont versé plus de 1 milliard d'euros à leurs salariés face à cette poussée inflationniste.
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Avec les conséquences de la pandémie, la sécheresse et le dérèglement climatique, 2021 présentait un terrain favorable à l'inflation. La situation a encore empiré avec la guerre en Ukraine, alors que nous craignions la fin du « quoi qu'il en coûte ». En 2022, les prix ont augmenté de 6,22 % en France : ce n'est finalement pas si mal ! L'inflation s'élève à 95 % en Argentine, 11 % au Royaume-Uni, 7 % aux États-Unis. Dans l'Union européenne, elle est, en moyenne, de 10 %. Avec une guerre à nos portes, l'envolée du prix des hydrocarbures et nos centrales à l'arrêt, nous nous en sortons bien.
Mais si quand on se compare, on se console, quand on se regarde, on se désole quand même... L'inflation frappe plus fortement les plus démunis. Les prix de l'alimentaire ont bondi de 14,5 % et pèsent lourd dans les budgets. Après avoir atteint un pic à 700 euros, le mégawattheure est heureusement redescendu, mais la facture énergétique a augmenté de 15 %. Tous les Français sont touchés, en particulier en milieu rural. Face à ces augmentations, la tentation de recourir à l'argent public est grande. Notre dette publique s'est envolée : 3 000 milliards d'euros aujourd'hui, contre 2 300 milliards en 2019. Avec la remontée des taux d'intérêt, il est urgent de la réduire !
Quelles solutions pour améliorer le pouvoir d'achat ? La première, c'est la sobriété. En 2022, la consommation énergétique de notre pays a baissé, grâce aux efforts de nos entreprises et aux écogestes. Les prix délirants de l'énergie rendent plus rentables les travaux d'isolation.
Deuxième solution : le travail. Les aides gouvernementales sont prélevées par l'impôt ou la dette. Saluons l'effort du Gouvernement pour réduire le poids des contributions de nos entreprises et de nos concitoyens. Il faut poursuivre, favoriser les investissements dans l'appareil productif.
La crise peut être l'accélérateur du changement. En Chine, on désigne par un même mot la crise et l'opportunité. À défaut de pétrole, nous devons avoir de bonnes idées !
M. Paul Toussaint Parigi . - Les chiffres sont historiques : 6,2 % d'augmentation des prix à la consommation en un an, et un tiers de personnes en plus accueillies par les banques alimentaires. L'écart entre les Français se creuse : les conséquences de la crise marginalisent une grande partie de nos concitoyens à une vitesse accrue. Une étude de l'OFCE et de France Stratégie montre que les personnes pauvres, âgées, éloignées des centres-villes sont les plus touchées. L'inflation a été de 8,5 % pour les ménages les plus exposés, contre 3,4 % pour les moins exposés : l'écart est de cinq points. Je le constate en Corse, où 18 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté - contre 15 % pour la moyenne nationale. S'y ajoute le surcoût de l'importation.
Les mesures du Gouvernement sont insuffisantes face à une précarisation structurelle. Réforme de l'assurance chômage, baisse des aides personnalisées au logement (APL), revalorisation anticipée des minima sociaux en dessous de l'inflation sont autant de régressions. Pire, le Gouvernement se vante de mesurettes relevant du moulinet en temps de canicule : ainsi de la création d'un panier d'une cinquantaine de produits, basée sur le volontariat.
Selon une étude de l'Insee de 2021, 64 % des personnes ont honte de recourir à l'aide alimentaire. Une prime alimentaire aurait limité la stigmatisation.
Le GEST a formulé plusieurs propositions : dès juillet, nous voulions limiter la hausse des loyers à 1 %, augmenter les salaires, porter le Smic à 1 500 euros nets. Nous plaidons aujourd'hui pour augmenter les minima sociaux et instaurer un revenu minimum garanti, malheureusement sans être entendus.
Certes, l'inflation a des origines conjoncturelles, mais n'oublions pas un facteur structurel : la raréfaction des ressources. Nombre d'études montrent que le réchauffement climatique entraîne une baisse de la production agricole, avec, pour conséquence, une hausse inexorable des prix. L'inflation de fond touchera plus durement les plus modestes.
Donnons à la France les moyens de réussir la transition écologique. Mais nous constatons avec regret que le Gouvernement n'apporte aucune solution durable à ce défi de grande ampleur. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Je ne peux accepter le terme de « mesurettes » !
La France s'en sort mieux que ses voisins européens : c'est le fruit, non du hasard, mais de notre politique économique de réduction des impôts et de hausse du pouvoir d'achat.
Une mesurette, les 110 milliards d'euros alloués à nos concitoyens via le bouclier énergétique ? C'est à comparer aux 86 milliards d'euros payés par les Français au titre de l'impôt sur le revenu.
Nous avons augmenté les minima sociaux. Ainsi, l'allocation de rentrée scolaire va de 377 à 416 euros. Avec l'augmentation du point d'indice, une secrétaire de mairie avec quinze ans d'ancienneté reçoit 687 euros ; un agent d'accueil en début de carrière, 543 euros nets annuels.
Mme Nadège Havet . - Pendant trente ans, la hausse durable des prix a été contenue en France. La rupture de l'été 2021 fut soudaine, engendrant de nombreuses conséquences pour les Français, surtout les plus modestes : le renchérissement du coût de la vie touche avant tout les prix de l'alimentaire et de l'énergie, fondamentaux de notre quotidien.
Les causes de ce phénomène sont multiples, à la fois conjoncturelles et structurelles : c'est un effet cocktail. Après la pandémie, la demande a augmenté plus fortement que l'offre. La guerre en Ukraine et la baisse de l'euro expliquent aussi cette situation, de même que la hausse des prix de l'énergie.
En outre, les ressources fossiles s'épuisent. Nous devons mener la bataille de la transition écologique.
L'inflation s'élève, en France, à 6,2 % sur un an, soit en dessous de la moyenne de la zone euro ; le pic devrait être atteint cette année. Cela s'explique par l'action du Gouvernement, que nous soutenons. De nombreuses mesures ont été adoptées, telles que la revalorisation des minima sociaux ou celle des pensions de retraite de base. Quelque 12 millions de ménages modestes ont reçu un chèque de 100 voire 200 euros. Un chèque exceptionnel a été versé pour ceux se chauffant au bois. Je pense aussi à la prime de partage de la valeur, qui a bénéficié à 5,5 millions de salariés, soit une hausse de 50 % par rapport à 2021, pour un total de 4,4 milliards d'euros. Cela a contribué au pouvoir d'achat des ménages.
Je salue l'accord intersyndical visant à généraliser des dispositifs comme l'intéressement, la participation ou la prime de partage de la valeur pour les entreprises de plus de 11 salariés.
Continuons à avancer à l'occasion du texte sur le plein emploi.
Les négociations annuelles entre distributeurs et producteurs s'achèvent : les prix pourraient encore grimper. Soyons donc vigilants contre cette inflation de l'assiette. Le Président de la République s'est exprimé en faveur des pêcheurs et a appelé les distributeurs à faire un effort sur leurs marges.
Le Gouvernement a créé une indemnité de 100 euros pour les conducteurs les plus modestes, mais plusieurs millions d'entre eux ne se sont pas manifestés ; le délai de dépôt de demande a été prolongé jusqu'à la fin mars : à nous de le faire savoir.
Enfin, le ministre Jean-François Carenco a présenté un plan de défense du pouvoir d'achat de nos concitoyens outre-mer, où la vie chère est un problème structurel : où en est-on ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Je répondrai par écrit à la question sur l'outre-mer.
Lors du Salon de l'agriculture, le Président de la République a formulé plusieurs annonces contre la poussée inflationniste, qui frappe surtout nos concitoyens les plus fragiles.
L'État a pris sa part, grâce au bouclier tarifaire. Quelque 46 milliards d'euros ont été distribués aux Français - soit plus que le budget du ministère de la défense.
Le Président de la République et le ministre de l'économie ont demandé aux distributeurs de réduire leurs marges. Nous voulons une solution collective, juste et rapide.
Mme Viviane Artigalas . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Bruno Le Maire ne croit pas à un mois de mars rouge avec plus 10 % d'inflation alimentaire : il a dit que ce n'était pas la réalité.
La réalité, la voilà : les prix à la consommation ont augmenté de 6 % ; le nombre de bénéficiaires de l'aide alimentaire, de 10 % ; les prix de l'énergie, de 16 %. (Mme la ministre le conteste.) Dans les outre-mer, la situation est plus grave, en raison de la forte dépendance aux importations, renforçant le sentiment d'une vie encore plus chère.
Cette hausse globale des dépenses contraintes empêche les plus modestes de se loger : le nombre de ménages ayant un retard de paiement de leur loyer de plus de trois mois a augmenté de 10 % en deux ans. Quelque 5,6 millions de Français souffrent de précarité énergétique, et 37 % des passoires thermiques sont occupées par des ménages sous le seuil de pauvreté : faute d'accompagnement adéquat, comment éradiquer les logements énergivores d'ici 2028 ?
Avec Rémy Cardon, nous avons déposé une proposition de loi visant à éradiquer les passoires thermiques et à instaurer un reste à charge zéro pour les plus précaires, sur tous les territoires.
Vos mesures contiennent certes l'inflation, mais elles ne sont ni pérennes ni structurelles. En outre, elles ne ciblent pas les plus faibles.
Il y aura un mars rouge, car les Français sont déjà dans le rouge ! Il faut de la cohérence et de la justice sociale. Le chèque énergie doit être mieux ciblé : les copropriétaires, les locataires sociaux ou les personnes chauffées en collectif ne peuvent y recourir pour le moment. Idem pour les personnes en résidence sociale. Pourtant ces personnes sont éligibles. Comment expliquer cette inégalité ?
Comment voulez-vous que les 5,6 millions de ménages victimes de précarité énergétique puissent agir en faveur de l'environnement ? Ce sont les premiers à payer la facture ! Il en faut peu pour que le sentiment d'injustice qu'ils éprouvent se transforme en colère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Éric Bocquet . - Dès décembre 2020, les prix de l'énergie augmentaient massivement : de 41 % pour le gaz, de 21 % pour le carburant et de 4 % pour l'électricité. En 2022, cette tendance se confirmait, nous entraînant dans une spirale inflationniste.
En janvier 2023, les prix de l'énergie ont crû de 16,3 %, ceux de l'alimentation de 13,3 %. Pour les ménages, cela représente 20 % pour les pâtes, 34 % pour les légumes frais, 120 % pour l'huile de tournesol !
Beaucoup doivent choisir, entre manger, se chauffer ou se déplacer. Plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq ; sept millions doivent recourir à l'aide alimentaire. La fréquentation des Restos du Coeur a bondi de 12 % en six mois ; c'est inédit.
Six mois avant le conflit russo-ukrainien, Les Échos titraient sur ces « traders pris dans la folie spéculative du prix du gaz ». Et pour cause : la spéculation sur les matières premières a augmenté de 158 % ! Des entreprises ont augmenté leurs marges. Voilà trois ans que nous vous alertons sur la paupérisation d'une partie de la population. Dans l'agroalimentaire, le coût des matières premières agricoles a bondi de 29 %, celui des emballages de 26 % et celui de l'énergie de 57 %.
Ce débat d'actualité n'en est pas vraiment un : c'est plutôt le bilan accablant de l'action du Gouvernement. Où est le chèque alimentaire ? Pourquoi 50 % des personnes éligibles ne demandent-elles pas le chèque carburant ? Pourquoi les personnes ayant un compteur de plus de 36 kVA ne sont-elles pas concernées par les aides ?
L'amortisseur énergie est lui aussi insuffisant et la complexité des dispositifs ne permet pas aux bénéficiaires de s'en saisir.
De nombreux États ont favorisé une revalorisation des salaires, mais vous leur préférez des mesures ponctuelles au bénéfice du capital, au détriment du travail.
Selon l'OCDE, la France est le pays ayant subi la plus forte baisse des revenus réels au deuxième trimestre 2022. Alors que les dividendes explosent, les Français se paupérisent. Manger à sa faim, se chauffer, devraient être des droits fondamentaux et des priorités politiques. Il faut combattre la pauvreté, grâce à une augmentation des salaires et des minima sociaux, à un tarif réglementé du gaz et de l'électricité pour tous, et à la sortie du marché européen de l'énergie. Autant de mesures que nous défendons avec constance ici au Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Le taux de chômage est de 7,2 %, celui des jeunes est au plus bas, une réindustrialisation est en cours et nous recensons 1 725 décisions d'investissements étrangers favorisant 58 000 emplois industriels. La solution, c'est le travail. Nous nous battons pour qu'il paie mieux. La baisse des cotisations a entraîné une hausse des salaires en 2018.
En outre, pas moins de 60 millions d'euros ont été votés dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022 en faveur des associations, sans oublier les 27 appels à projets du plan de relance et l'aide à la banque alimentaire.
Oui, le Gouvernement se bat pour que le travail paie mieux et oui, nous aidons les plus modestes.
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce débat tombe à point, à quelques heures de la fin des négociations entre les distributeurs et les producteurs. Les acteurs se renvoient la balle sur l'augmentation des prix des produits alimentaires, mais les chiffres filtrent : 25 % pour le Nesquik, 17 % pour le Coca-Cola...
Bien sûr, une inflation à 6,2 %, c'est mieux que la plupart de nos voisins européens. Mais l'inflation alimentaire représente 14,5 % ! Le prix des denrées augmente plus fortement. Les acteurs évoquent une hausse à venir de 10 %, voire pis.
Le face-à-face annuel des acteurs de l'alimentaire, ou plutôt le bras de fer, nous interroge. Le Gouvernement demande à la grande distribution de diminuer ses marges, évoque un panier de produits de base, mais, madame la ministre, où en sommes-nous réellement ? On peine à expliquer cette situation. Les prix de l'énergie, des matières premières, du transport sont moindres en 2023. L'inflation des prix de production s'élèverait à 17 %.
Le pouvoir d'achat a été préservé jusqu'en 2021, a diminué de 0,2 % en 2022, mais nous pourrions perdre cet acquis. Les salaires augmentent de 4,2 % contre 6 % pour l'inflation : la consommation est affectée. Comment construire l'avenir ?
Nous devons être vigilants sur le recours à la dépense publique, qui doit rester soutenable : c'est la quadrature du cercle. La croissance et la maîtrise de l'inflation apparaissent comme des priorités.
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié une étude portant sur les mesures budgétaires du Gouvernement : en 2023, le pouvoir d'achat pourrait revenir au niveau d'avant la crise sanitaire. Sans les mesures mises en oeuvre, il aurait subi une baisse de 5 % : cela montre leur efficacité.
L'inflation touche les Français de manière inégale : selon l'OFCE, les ménages ruraux et modestes sont les plus touchés. Nous devrions réfléchir à des mesures différenciées face à une inflation qui ne touche pas tout le monde de la même façon.
Le nombre de personnes bénéficiant de l'aide alimentaire a triplé en dix ans. Je ne nie pas l'effort sur l'emploi et sur le soutien aux plus pauvres, mais les difficultés demeurent.
Je n'oublie pas non plus les difficultés d'accès au logement, notamment pour les primoaccédants en raison de l'envolée des taux d'intérêt : c'est un signal d'alarme. La prorogation du prêt à taux zéro ou le développement du bail réel solidaire sont des pistes.
Une réflexion devrait aussi être conduite pour des loyers du parc social plus adaptés.
Nous avons conscience des difficultés et des contraintes budgétaires, mais il s'agit là de vie quotidienne, voire d'urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Merci pour la précision de vos chiffres. Ce débat tombe à point nommé. Je ne me suis pas cachée derrière des données macroéconomiques, car je sais qu'il y a une inflation ressentie, notamment alimentaire. C'est à cette aune que je raisonne.
L'Insee a indiqué qu'en 2022, le pouvoir d'achat a été globalement préservé : avec nos mesures, il progresserait même de 1,2 %. Le taux de marge de nos entreprises - 32 % en 2022 - augmente de 0,5 point par rapport à 2018.
À la demande du Président de la République, nous travaillons d'arrache-pied avec Bruno Le Maire et la grande distribution pour trouver une solution juste. Ma proposition n'est pas parfaite, mais elle a le mérite d'exister : il y aura des contrepropositions. L'objectif est de payer moins cher à la caisse.
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce matin, une chaîne de télévision d'information continue parlait de mars comme le mois de tous les dangers. Je vous ai aussi entendue sur une chaîne d'information publique...
Bruno Le Maire avait promis une baisse des prix fin 2022. Nous sommes en 2023, et l'inflation pourrait ne se stabiliser qu'en 2025. La sagesse invite à relativiser les estimations, car les chocs économiques se multiplient.
Malgré le courrier que la Première ministre m'a adressé, je reste persuadé que les Français sont en grande difficulté, et mobilisé avec mon groupe contre la précarisation et les trappes à pauvreté que le Gouvernement refuse de voir. Nous sommes les porte-voix des plus modestes.
Je me réjouis donc que le Président Larcher ait accepté d'inscrire ce débat à notre ordre du jour dans le cadre des nouveaux débats d'actualité.
Aucune prime, aucun chèque ne remplacera une hausse juste et durable des revenus pour, seulement, maintenir le pouvoir d'achat. Vos aides ne suffiront pas face à la déflagration économique.
Votre dogmatisme du moins d'impôt n'est pas adapté au contexte. Ce qui ruisselle avec vous, c'est la pauvreté...Vos coupes budgétaires, comme la baisse de cinq euros des APL, pèsent sur le pouvoir d'achat des Français.
Ce qu'il faut aux Français, ce ne sont pas des chèques, mais une augmentation des salaires et la fin du désarmement fiscal. Mon groupe demande ainsi un Grenelle des salaires. Nous vous avons proposé, soutenus par des millions de Français et par certains parlementaires du centre, de taxer les superprofits. Tout le monde doit faire des efforts, y compris ceux qui ont tant profité du bouclier fiscal.
Ce qu'il faut aux Français, ce ne sont pas des aides ponctuelles, mais une vraie redistribution. Prenons garde : le désespoir est source de toutes les colères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Décembre noir, juillet vert, mars rouge... Un membre du Gouvernement n'a pas à choisir le Pantone des mois qui sont devant nous.
Oui, l'inflation est et restera soutenue. Nous faisons face à un choc inflationniste dont je ne sais pas prévoir la fin.
Vous vous dites porte-voix des plus modestes ; nous sommes des porte-actions, avec la revalorisation des minima sociaux, du point d'indice et de la prime d'activité.
Vous souhaitez une conférence sur les salaires... Jusqu'à preuve du contraire, l'État ne fixe pas les salaires et c'est très bien ainsi !
M. le président. - Il vous revient de conclure le débat.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme . - Merci pour ce débat qui, malgré nos divergences, pointe un sujet d'inquiétude de nos concitoyens. Nous menons une action résolue depuis six ans pour protéger le pouvoir d'achat et revaloriser le travail.
J'entends avec humilité que nos actions paraissent insuffisantes à certains. Certes, le ressenti est majeur, mais n'oublions pas que nous sommes très en deçà de l'inflation que subissent nos voisins européens. Ce n'est peut-être pas un hasard, mais plutôt le fruit de la politique économique que nous menons depuis six ans.
Toutefois, en faisons-nous assez ? Non, nous n'en ferons jamais assez, notamment contre l'inflation alimentaire qui frappe les plus fragiles.
Attention, Monsieur Kanner, à ne pas alimenter la spirale inflationniste en indexant les salaires sur inflation, comme en Belgique où il n'y a pas de bouclier tarifaire. Cela peut avoir des conséquences sur la crédibilité de la signature du pays.
Avec la loi pour le pouvoir d'achat, nous avons amélioré le pouvoir de choisir de nos compatriotes, par exemple pour résilier un abonnement ou un contrat d'assurance ou de mutuelle. Cela peut permettre aux Français de retrouver un peu d'air.
Ministre de l'économie sociale et solidaire pendant deux ans, je puis vous assurer que nous avons été aux côtés des banques alimentaires. Mon collègue Jean-Christophe Combe a annoncé hier 60 millions d'euros en leur faveur. La Première ministre n'hésitera pas à faire plus si besoin.
C'est quand on se résigne que tout est perdu, disait Michelet... Je ne suis pas près de me résigner ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC)