Projet de loi de finances pour 2023 (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Discussion générale
M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics . - Cette année a été celle d'un choix constant : refuser que le choc d'inflation ne mette au tapis l'économie française. Nos mots d'ordre : soutien et protection, pour les ménages, les entreprises, les collectivités.
Ce projet de loi de finances est, avec le collectif, le texte des engagements tenus. La France est le pays d'Europe où les ménages sont les moins exposés à la flambée des prix, grâce à un soutien public franc et massif. Selon la direction générale du Trésor, l'État a pris à sa charge plus de la moitié du choc inflationniste et énergétique. Entre les boucliers tarifaires, la ristourne à la pompe, le chèque exceptionnel et la revalorisation des pensions et des prestations sociales, nous avons mis 110 milliards d'euros d'argent public sur la table pour protéger les Français.
L'État a assumé 52 % de la perte de revenus réelle, les entreprises 42 % et les ménages seulement 6 %. Certes, c'est encore trop, mais soyons fiers d'avoir choisi de soutenir les Français, les entreprises et de préserver la croissance.
Le choix de la protection est un choix de justice et d'efficacité : mieux vaut investir pour préserver que réparer. Nous avons évité l'explosion de la pauvreté qui frappe certains de nos voisins, grâce à la revalorisation anticipée des prestations, l'aide exceptionnelle de rentrée de 100 euros pour 11 millions de familles, le chèque énergie pour 12 millions de ménages, celui pour les ménages se chauffant au bois et au fioul.
Notre politique en faveur du travail et de la stabilité fiscale porte ses fruits : 7,3 % de chômage et un investissement des entreprises qui résiste, à 2,8 % en 2022.
Non, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais notre économie résiste. Ce n'est pas le seul fait du Gouvernement, mais des entrepreneurs qui investissent et embauchent, des millions de Français qui travaillent et consomment.
Chaque euro investi doit être efficace, car c'est l'argent des Français. Ce projet de loi de finances est un projet de combat contre la vie chère. Le débat parlementaire a enrichi le texte, avec pour fil conducteur de redonner de l'oxygène aux Français qui travaillent - et qui ont parfois le sentiment que l'argent public n'est pas pour eux. Ils méritent qu'on s'adresse à eux dans ces circonstances difficiles. C'est pour eux que nous indexons le barème de l'impôt sur le revenu - 6 milliards d'euros. C'est pour eux que nous relevons le plafond du ticket-restaurant à 13 euros. C'est pour eux que nous rehaussons de 50 % le crédit d'impôt garde d'enfant, à 3 500 euros. C'est pour eux que nous relevons le plafond du taux réduit d'impôt sur les sociétés sur les PME. C'est pour eux que nous prorogeons la déduction pour épargne de précaution des agriculteurs.
Ce projet de loi de finances est aussi celui du réarmement des services publics, avec plus de moyens pour la police, la justice et les armées. La mission « Défense » augmente de 3 milliards d'euros. Les forces de sécurité bénéficient de 1,4 milliard d'euros supplémentaires, pour l'équipement, le numérique, la présence sur la voie publique. Enfin, le ministère de la justice voit ses moyens augmenter de 8 % pour la troisième année consécutive : c'est 40 % de plus depuis 2017. Nous agissons contre l'insécurité et contre l'impunité.
C'est cohérent avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale : le budget de l'hôpital public dépassera les 100 milliards d'euros.
Sur le plan économique, nous visons le plein emploi d'ici 2027. C'est grâce au travail que la croissance résiste, c'est en augmentant le volume de travail que nous créerons plus de richesses. Le plein emploi commence par l'éducation, avec 4 milliards d'euros supplémentaires pour l'Éducation nationale : aucun professeur ne débutera à moins de 2 000 euros. Nous investissons 6,7 milliards d'euros supplémentaires pour atteindre un million d'apprentis d'ici 2027.
Enfin, ce texte acte le refus du laisser-aller budgétaire. (M. le rapporteur général en doute.) Je défends le « combien ça coûte », car l'argent public ne sera jamais de l'argent magique.
Nous stabilisons le solde public à 5 %, en maîtrisant l'évolution des dépenses et grâce aux recettes liées à la contribution sur les rentes inframarginales. En la matière, le choix de s'inscrire dans un cadre européen n'avait rien de dilatoire : nous ferons entrer 11 milliards d'euros pour financer nos mesures en faveur des ménages, des entreprises et des collectivités.
Le débat a enrichi le texte, et bon nombre d'ajouts du Sénat ont été retenus dans la version finale. J'en citerai quelques-uns.
M. Vincent Delahaye. - Ce sera vite fait !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je pense à la fin de la condition d'âge pour la demi-part des veuves d'anciens combattants, portée par les sénateurs Rambaud (on ironise à droite), Panunzi et Guidez notamment.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Et Marc Laménie !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je pense au crédit d'impôt proposé par Mme Paoli-Gagin et le groupe des Indépendants sur les dons aux communes et syndicats forestiers.
M. Joël Guerriau. - Très bien !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je pense à la base légale à l'exonération d'impôt aux orphelins de victimes d'actes antisémites et de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale, portée par Marc Laménie. (Applaudissements)
Nous avons intégré plusieurs amendements importants pour l'outre-mer, dont celui du rapporteur général étendant le périmètre des dispositifs de défiscalisation prorogés, ainsi que des ajouts à l'initiative de Teva Rohfritsch, sur la défiscalisation, de Georges Patient, contre l'habitat insalubre, de Micheline Jacques, sur la continuité territoriale.
Sur la Corse, nous retenons les amendements de M. Panunzi sur la prolongation du crédit d'impôt et l'éligibilité des résidences de tourisme.
Le débat parlementaire a bien enrichi le texte. (Marques d'ironie à droite)
Ce PLF est un texte de soutien à nos collectivités territoriales, confrontées à une situation exceptionnelle. Nombre de mesures sont issues de nos échanges et des compromis que nous avons construits ensemble, malgré des désaccords légitimes.
Ainsi, la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmente, pour la première fois depuis treize ans. L'année prochaine, 95 % des communes verront leur DGF augmentée ou stabilisée.
M. André Reichardt. - Et l'inflation ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - La suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) sera compensée à l'euro près par une fraction pérenne de TVA, et calculée sur la moyenne des années 2020, 2021, 2022 et 2023, comme vous le souhaitiez.
Le filet de sécurité sera étendu aux départements et régions. Cette version 2023 est largement inspirée de vos travaux : le premier critère d'éligibilité est supprimé, le seuil de perte d'épargne brute est fixé à 15 %, les recettes réelles de fonctionnement sont prises en compte à 50 % pour le calcul de l'effet ciseau. (Mines dubitatives à droite)
L'amendement de Mme Gatel sur les communes nouvelles et celui de M. Delcros sur la dotation biodiversité sont aussi retenus.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Et le loto ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - L'amortisseur électricité s'appliquera dès le 1er janvier, au bénéfice des collectivités non éligibles au bouclier tarifaire. Ainsi, entre 180 et 500 euros du MWh, nous prendrons en charge la moitié de la facture : l'État versera directement la différence via les charges de CSPE (contribution au service public de l'électricité). Enfin, le filet de sécurité est plus que triplé par rapport à 2022. Environ 5 000 communes ont déjà bénéficié d'acomptes, d'autres attendent la clôture des comptes 2022.
J'ai eu le sentiment d'avoir noué un véritable dialogue avec vous, n'empêchant pas les divergences légitimes.
Oui, monsieur Bocquet, nous prenons nos responsabilités avec le 49.3. On ne peut imaginer la sixième puissance mondiale affronter 2023 les poches vides. Dès la fin de l'été, les oppositions représentées à l'Assemblée nationale avaient annoncé qu'elles voteraient contre le budget, quel qu'il soit. Dans le cadre des dialogues de Bercy, nous les avons longuement réunies pour étudier quelles mesures pourraient les conduire à envisager de s'abstenir, voire voter pour. Elles nous ont opposé un refus immuable, arguant de la dimension symbolique du vote.
D'où le recours au 49.3. L'absence de budget pour 2023 aurait signifié la non-revalorisation des enseignants, l'absence de moyens supplémentaires pour nos armées, une hausse de 120 % des factures de gaz et d'électricité, 3 000 postes de policiers et gendarmes en moins...
M. Pascal Savoldelli. - Bref, le chaos !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Nous avons cherché à être au rendez-vous de la protection des Français tout en tenant nos comptes publics.
Les prochains textes seront l'occasion de poursuivre ce travail en commun. J'espère que cela se fera toujours, au Sénat, dans le même esprit respectueux de nos institutions et de la courtoisie républicaine. C'est ce dialogue qu'attendent les Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Joël Guerriau applaudit également.) Nous examinons en nouvelle lecture le PLF 2023 après un nouvel usage du 49.3 à l'Assemblée nationale. En effet, la CMP du 6 décembre n'a pu aboutir, compte tenu de divergences trop fortes sur les 237 articles restants en discussion - 88 ayant été adoptés dans les mêmes termes.
Le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, qui est finalement le vôtre, monsieur le ministre, retient certes quelques apports du Sénat, à commencer par la suppression de l'article 40 quater réintroduisant la contractualisation et les sanctions pour les collectivités, pourtant rejeté par les deux assemblées lors de la loi de programmation des finances publiques (LPFP).
Je me félicite que l'exonération du malus pour les véhicules des Sdis et le financement des lignes à grande vitesse, porté par le président Raynal, aient été conservés. Idem s'agissant de la prorogation de dépenses fiscales, notamment pour lutter contre l'habitat indigne outre-mer, mais aussi pour la Corse, et du maintien de plusieurs dispositifs de lutte contre la fraude fiscale qui traduisent des recommandations de la mission d'information de notre commission.
L'essentiel de nos modifications à la contribution sur la rente inframarginale a été retenu. Le Sénat a fait preuve d'un sens aigu des responsabilités en votant les propositions du Gouvernement pour contrer la hausse des prix de l'énergie et mettre à contribution les énergéticiens, et ce sans étude d'impact ni éléments d'information. Nous serons très attentifs à leur mise en oeuvre.
Malgré ces apports, des désaccords demeurent. Ainsi des prévisions de croissance pour 2023 : l'hypothèse de 1 % est éloignée du consensus des économistes - le Président de la République l'a lui-même reconnu !
Quand la dette publique atteint 111,5 % du PIB, la remontée des taux d'intérêt menace sa soutenabilité, et l'inflation n'a été contenue qu'au prix d'une forte mobilisation des finances publiques. Il faut un effort de maîtrise des dépenses ordinaires des administrations publiques.
Le Gouvernement s'est contenté d'identifier les dépenses qui doivent augmenter, pas les économies qui devraient les compenser. Le déficit de l'État, supérieur à 150 milliards d'euros pour la quatrième année consécutive, est celui de tous les records.
De nombreux amendements du Sénat n'ont pas été conservés. Ainsi, vous rétablissez l'article 5, à savoir la suppression de la CVAE, sans proposer de meilleures garanties de compensation. Le vote du Sénat traduisait l'exigence de préserver l'autonomie financière des collectivités - ce qui n'enlève rien à notre soutien aux entreprises.
Nos mesures en faveur des PME n'ont pas été retenues, qu'il s'agisse du rehaussement du plafond de bénéfices soumis à l'IS ou de la prorogation du crédit d'impôt pour la rénovation énergétique des bâtiments à usage tertiaire.
Sur les finances locales, nous pourrions nous réjouir que le Sénat ait obtenu l'ouverture de l'éligibilité au filet de sécurité. Je regrette toutefois le maintien du critère de perte d'épargne brute, même réduit à 15 %, qui entraîne des effets de seuil. Il n'est pas utile, car le calcul de la dotation met déjà en relation la progression des dépenses et des recettes.
Étendre la protection à davantage de collectivités eût été juste, équitable et raisonnable. Cumulée au bouclier et à amortisseur, cela leur aurait permis d'aborder avec plus de sérénité les mois à venir.
Je regrette que d'autres mesures de soutien aux collectivités aient été écartées, comme l'intégration des opérations d'aménagement et d'agencement dans le fonds de compensation de la TVA (FCTVA).
Pourquoi la majorité gouvernementale ne nous a-t-elle pas rejoints sur le relèvement du plafond du prêt à taux zéro (PTZ) pour les primo-accédants, voté à la quasi-unanimité ?
Le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale a rétabli les crédits des quatre missions rejetées par le Sénat, sans qu'aucune réponse n'ait été apportée à nos objections.
Aucun des amendements adoptés par le Sénat pour sincériser le budget n'a été confirmé. Le Gouvernement s'est ménagé une confortable réserve de crédits dans la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles : 700 millions d'euros en nouvelle lecture dans la mission « Écologie » pour l'aide au carburant... Ce n'est pas satisfaisant.
Les sujets de désaccord étant nombreux, la commission des finances vous propose d'adopter la question préalable.
J'entends beaucoup de reproches à l'encontre des collectivités territoriales qui se nourriraient sur le dos de l'État. Mais la France des collectivités n'est pas l'ennemie de la République ! Au contraire, elle la sert chaque jour. Alors, faites-lui confiance et donnez aux territoires les meilleures chances d'agir pour l'avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes INDEP et UC) Si le grand public a beaucoup entendu parler du 49.3 à l'Assemblée nationale, il est moins informé de l'examen complet au Sénat, avec un record de plus de 3 000 amendements déposés.
Mais que reste-t-il de nos 160 heures de débat en séance publique ?
Sans surprise, le Gouvernement a rétabli la suppression de la CVAE, mesure emblématique de ce budget. Nous restons attentifs aux compensations à l'euro près annoncées pour les collectivités.
La contribution exceptionnelle sur les bénéfices des énergéticiens entrera en vigueur, mais attention aux ajustements de périmètre : le diable se niche dans les détails. Combien rapportera-t-elle ? Quelques centaines de millions ou plusieurs milliards ? Cela me rappelle les débats sur la taxe Google qui nous avait attiré le courroux américain.
L'exécution du budget dépendra de la conjoncture macroéconomique, qui sera, je l'espère, plus favorable que certains le prédisent.
Le Gouvernement a rétabli la plus grande partie de son texte. Je me félicite de la pérennisation des amendements sur le malus sur les véhicules des Sdis et du relèvement de la dotation biodiversité. La suppression de la réforme de la répartition du produit de la taxe d'aménagement nous semble préférable, car tout dépend du territoire.
Je me félicite de la suppression de l'article 40 quater, qui signifiait le retour des contrats de Cahors. Sachez cependant que les habitants de Cahors se plaignent d'être ainsi stigmatisés, car l'annonce d'Édouard Philippe a en réalité eu lieu juste à côté, à Fontanes-Lalbenque, plus célèbre pour ses truffes que pour ses contrats ! (Rires)
Attaché au principe de la poursuite des débats, le RDSE s'oppose sur la forme à la question préalable, même s'il en comprend les raisons. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. André Gattolin et Marc Laménie applaudissent également.)
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La CMP du 6 décembre n'est pas parvenue à un accord. Le Gouvernement a de nouveau déclenché le 49.3 en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Tout ça pour ça...
Après 160 heures de débat et l'adoption de 600 amendements sur plus de 3 000 déposés, très peu d'apports du Sénat ont été retenus : le Gouvernement fait peu de cas du Parlement. Nous sommes pourtant la seule chambre à avoir examiné le texte en entier et nus avons fait des propositions constructives. Mais tout a été balayé, même les propositions adoptées à la quasi-unanimité - PTZ, limitation du bonus pour les véhicules électriques.
Je salue l'action efficace et bienveillante du rapporteur général.
Pourtant, le Gouvernement prétendait proposer une nouvelle méthode. Votre main tendue, particulièrement à la droite républicaine, est en réalité un poing fermé. (On approuve à droite.) À quoi bon les dialogues de Bercy, ou nos débats, si vous n'écoutez pas.
Votre budget est l'un des pires jamais présentés, loin d'une gestion à l'euro près : sur 500 milliards de dépenses, 270 milliards d'euros d'emprunts et 27 milliards d'euros d'investissement, alors que le coût de la dette explose. Votre hypothèse de croissance est contestable et vous ne proposez aucune boussole : cela crée de l'inquiétude, malgré une addiction au « quoi qu'il en coûte ».
Bruno Le Maire, qui a déserté nos bancs durant la discussion,...
M. Vincent Segouin. - On est habitués !
M. Stéphane Sautarel. - ...nous avait pourtant invités à proposer des économies.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence et de vos réponses, mais nous avons le sentiment de n'avoir pas été entendus. Que le Gouvernement se dessaisisse de la question de la réduction de la dépense en dit beaucoup sur son manque de responsabilité. Qu'il ne retienne aucune de nos propositions d'économies - alors qu'il nous avait mis au défi - prouve qu'il ne s'agissait que de communication : le calcul politique prime l'intérêt du pays.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout à fait.
M. Stéphane Sautarel. - Nous avons proposé 4,3 milliards d'euros d'économies, conformément à la trajectoire des finances publiques que nous avions votée. Pas un centime n'a été retenu.
Idem pour nos mesures en faveur des collectivités, à l'exception de la suppression du pacte de confiance entre l'État et les 500 plus grandes collectivités territoriales. Ces pactes de défiance, au vu des sanctions, n'avaient de pacte que le nom : il s'agissait plutôt de contrats léonins.
Aucun autre apport notable n'a été retenu.
Sur le filet de sécurité, le Gouvernement a réintroduit des critères liés à l'épargne brute et au potentiel fiscal. Il a préféré un système plus technocratique, mais pas plus économique, car nous récompensions les efforts de gestion. Il aurait fallu prendre comme étalon les dépenses d'énergie entre 2021 et 2023. La perte d'épargne brute entre 2022 et 2023 devra être de plus de 15 % - contre 25 % auparavant - et le seuil de déclenchement correspondre à une hausse des dépenses d'énergie de plus de 50 % - contre 60 % - par rapport à la hausse des recettes.
Nous sommes très loin de la version du Sénat qui octroyait, à toutes les collectivités sans exception, une dotation égale à 50 % de la différence, si elle est positive, entre l'augmentation des dépenses d'énergie entre 2021 et 2023 et 40 % de la hausse des recettes réelles de fonctionnement sur la même période.
Rien n'a été retenu concernant les dotations aux collectivités, pas même l'indexation, pourtant justifiée.
Monsieur le ministre, l'appel de notre rapporteur général à la confiance envers les collectivités territoriales est de mise.
Nous regrettons que la réintégration des opérations d'agencement et d'aménagement de terrains dans l'assiette du FCTVA ait été supprimée. C'était une demande très forte des élus locaux.
La suppression pour moitié de la CVAE en 2023 a été rétablie.
Nous regrettons d'avoir dû voter la création du fonds national de l'attractivité économique des territoires à l'aveugle, sans en connaître les critères. Cela pose un problème démocratique, comme l'a souligné le président Raynal. L'essence même du Parlement est de voter l'impôt. La suppression de la CVAE, à laquelle nous sommes pourtant favorables sur le principe, n'aura pas été approuvée par le Parlement. Plus qu'un problème, c'est une alerte.
Nous n'avons pas non plus été entendus sur les entreprises. La hausse plus importante du plafond du taux réduit d'IS a été supprimée, alors qu'on nous avait laissé entendre qu'un compromis serait possible. Il n'en a rien été : le plafond de 42 500 euros a été rétabli. Le rehaussement du seuil d'entrée dans la contribution sociale sur les bénéfices a également été supprimé. De même que la hausse du taux d'IR-PME. Or si nos entreprises lâchent, c'est le pays tout entier qui dévisse.
Vos réponses ne sont pas à la hauteur de l'urgence et des ajustements seront nécessaires tout au long de 2023.
Au regard du peu de considération du Gouvernement pour le travail du Sénat, le groupe Les Républicains votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Guerriau . - Le Sénat a toujours su s'adapter. Une nouvelle tradition semble s'établir : le rejet du projet de loi de finances en nouvelle lecture. Mais pourquoi nous priver ainsi d'un nouveau débat ?
Le projet de loi de finances contient de nombreuses mesures fortes pour soutenir les collectivités territoriales contre l'inflation. Nous devrons faire preuve de pédagogie, car entre les annonces gouvernementales de l'automne et nos discussions parlementaires, les élus sont perdus. Nous communiquerons sur les dispositifs adoptés, mais la démarche doit être collective.
Cela vaut pour le filet de sécurité. La commission des finances avait supprimé les critères d'éligibilité, mais cela n'aurait pas permis d'optimiser la dépense publique au profit des collectivités qui en avaient le plus besoin. Le Gouvernement a réintroduit des critères, rendant le dispositif plus généreux que la version initialement adoptée à l'Assemblée nationale, et plus restrictif que celle du Sénat - c'est plus raisonnable. Le critère d'épargne brute de 15 % avait été proposé par notre groupe ; il permettra de couvrir la majorité des collectivités impactées par la hausse des coûts de l'énergie. C'est une solution raisonnable, à défaut d'être idéale.
Pour les plus petites communes, le bouclier tarifaire continuera à valoir pour 2023. Celles qui ne seront éligibles à aucun des deux dispositifs bénéficieront de l'amortisseur électricité.
Le projet de loi de finances intègre deux articles de la proposition de loi du groupe INDEP pour ouvrir le mécénat aux dons en faveur des communes forestières.
Nous espérons un maintien du soutien sur les communes nouvelles, qui restent inquiètes, malgré la solution de court terme adoptée.
Quelque 3 507 amendements ont été examinés en 160 heures de débat. Le groupe INDEP regrette que nous ne puissions peaufiner ce texte en seconde lecture. (MM. Alain Richard et Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. Daniel Breuiller . - Je cite l'article 14 ter : « La dotation est accordée si l'épargne brute a enregistré en 2023 une baisse de plus de 15 %, et parmi les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, seuls sont éligibles au versement de la dotation susmentionnée les communes dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant de l'ensemble des communes appartenant au même groupe démographique, défini à l'article L. 2334-3 du code général des collectivités territoriales. »
Monsieur le ministre, merci d'avoir simplifié le filet de sécurité pour les collectivités territoriales ! (M. le rapporteur général s'en amuse.) Sans doute la précédente version n'était-elle pas assez technocratique pour Bercy et trop lisible pour les communes.
Voilà qui illustre le traitement de nos 160 heures de débat. Dénués de majorité à l'Assemblée nationale, vous continuez à gouverner seuls, dans un dangereux entre-soi.
Vous avez fait votre tri sélectif dans les amendements, pour une maquette à peine modifiée, en retenant les amendements gouvernementaux. Adieu TVA à 5,5 % pour les transports collectifs, indexation de la DGF et milliards d'euros de CVAE, vive la dette publique !
Il ne reste pas grand-chose d'écologique dans ce texte, et rien à la hauteur de la crise climatique et de l'effondrement du vivant. Il y a vingt fois plus d'argent pour le bouclier tarifaire que pour MaPrimeRénov' et 100 milliards d'euros sont consacrés aux boucliers en deux ans.
« Respecterez-vous le travail du Parlement ? », vous demandai-je il y a quelques semaines. Cela supposerait une capacité à nous entendre, mais aussi les syndicats, les ONG et les citoyens.
Certes, le 49.3 est constitutionnel, mais cela ne justifie pas de ne rien retenir de nos débats et laisse trop de place au Rassemblement national qui apporte de mauvaises réponses à de bonnes questions.
Nous sommes tous les protagonistes d'une comédie burlesque sur l'inutilité parlementaire, mais les Français sombrent dans le tragique - inflation qui explose, fins de mois difficiles qui commencent le 10, risques de coupures d'électricité -, tandis que le chiffre d'affaires d'Engie augmente de 85 % sur les neuf premiers mois de 2022, à 69,3 milliards d'euros.
On a rarement raison seul, mais vous ignorez le Parlement comme les partenaires sociaux avec votre néfaste réforme des retraites. Pourtant, la démocratie sans eux, ce n'est plus la démocratie. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)
M. André Gattolin . - La commission des finances s'est réunie ce matin pour déposer une motion tendant à opposer la question préalable, nous privant d'un débat sur le projet de loi de finances.
M. Patrick Kanner. - 49.3...
M. André Gattolin. - Nous regrettons de ne pas discuter des engagements forts pris par le Gouvernement dans ce budget...
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Il fallait le faire à l'Assemblée nationale.
M. André Gattolin. - ... retenus dans la navette (on ironise à droite) : augmentation de 7 % des moyens de nos forces de sécurité, qui seront réarmées ; augmentation de plus de 8 % du budget de la justice, pour la troisième année consécutive ; et pas un enseignant ne commencera à moins de 2 000 euros nets par mois. Nous rendons 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux ménages au titre de l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu. Le bouclier tarifaire a été reconduit, au bénéfice des ménages, des entreprises et des collectivités territoriales. Avec l'amortisseur et le filet de sécurité, c'est le système de protection le plus ambitieux d'Europe.
Des apports du Sénat, issus de tous les bancs, ont été retenus, M. le ministre l'a rappelé. En dépit de tous ces efforts pour protéger les Français et réarmer les services publics, en dépit de toutes les concessions faites, la majorité sénatoriale se dessaisit de sa responsabilité. Elle nous accuse de négligence budgétaire alors qu'elle vote des dépenses supplémentaires. (M. le rapporteur général le dénie.) La suppression de l'article 5 sur la CVAE n'y change rien. L'échec de la CMP et cette question préalable sont la triste illustration de ces incohérences.
Vous dénoncez une trajectoire peu ambitieuse, mais vous n'avez pas su respecter la trajectoire de - 4,6 % de point de PIB que vous vous étiez vous-mêmes fixée dans la loi de programmation des finances publiques et vous avez dû improviser une seconde délibération pour afficher un déficit en très léger recul, au prix du rejet des missions « Agriculture », « Cohésion des territoires », « Immigration » et « Engagements financiers de l'État ».
C'est un futur retraité de la vie parlementaire que le dit : je vous apprécie tous personnellement. Mais comme une équipe de foot qui perd, vous oubliez de vous accorder collectivement (M. le ministre approuve), et faites des choix contradictoires en commission et en séance publique. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Éric Jeansannetas . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Au terme de ce marathon budgétaire, nous devrions décider des grands arbitrages pour l'année suivante, moment phare pour mieux répondre aux préoccupations des citoyens et des territoires.
Bien sûr, la CMP n'est pas conclusive et nous allons adopter une question préalable - nous la voterons.
Nous avons adopté 600 amendements sur 3 035 - un record, et nous avons passé 160 heures à les examiner en votre compagnie, monsieur le ministre - je vous en remercie.
Le groupe SER en a proposé 282, dont 41 adoptés.
Le Sénat a pleinement joué son rôle dans la navette parlementaire, mais quel est son sens ? Après vos dix utilisations du 49.3 en quelques semaines, avez-vous pris la mesure de cette décision sur la perception par la Nation du Gouvernement et des élus ?
Au nom du groupe SER, je déplore votre manque de responsabilité. Votre budget aurait eu besoin du Sénat pour faire cesser le mépris envers les collectivités territoriales. Elles ne sont pas plus protégées que les citoyens face à l'inflation : une occasion manquée pour la majorité relative du Président de tenir compte des législatives de juin dernier.
À l'Assemblée nationale, la succession de 49.3 a défait les votes pour ne conserver, à 99 %, que des propositions de votre majorité. L'échec de la CMP était écrit d'avance.
Le groupe SER a tenté, en vain, de rééquilibrer ce budget, pour une fiscalité plus juste et plus équitable. Nos propositions de bon sens ont été balayées par la majorité sénatoriale et le Gouvernement, qui partagent la même vision libérale malgré l'urgence sociale. La fraternité devrait pourtant être le maître mot de notre politique fiscale.
Rejet de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de la taxation des superprofits : où est la recherche de compromis ?
Malgré la mise en échec systématique de nos propositions de recettes, nous avons tenu à vous proposer de nouvelles dépenses. Malheureusement, maintenir les services publics - hôpitaux, écoles, bureaux de poste... - dans les territoires n'était pas votre priorité. Cette indifférence pour le terrain s'illustre par le sort réservé aux collectivités, qui alertent sur leurs difficultés. Monsieur le ministre, vous avez fait fi de notre proposition d'indexer la DGF sur l'inflation et de notre volonté de ne pas supprimer la CVAE : votre copie ne satisfera aucun élu local...
Notre pays aurait besoin d'un État fort, mais votre politique repose sur le désarmement fiscal et la contraction des interventions de l'État. Vous prétendez incarner la modernité, mais portez une politique ultralibérale aux antipodes des besoins de notre pays. C'est pourquoi nous nous opposons au projet de loi de finances pour 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)
M. Pascal Savoldelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST) Ce budget est sous le sceau de la contrainte et des coups de force répétés, au gré d'une dizaine de 49.3. Le ministre parle de fermeté : c'est une nouvelle étape de la confiscation du pouvoir. Vous faites mine de gagner, mais votre budget sera adopté sans vote, contre la démocratie.
Les administrations publiques, la sécurité sociale et les collectivités territoriales sont face à un Gouvernement qui fuit ses responsabilités, comme le montre le financement de la formation continue. Le partage de la valeur créée est sans cesse volé aux travailleurs. Il faudrait mobiliser le capital et ne pas faire financer le soutien aux ménages par les ménages eux-mêmes. Vous prétendez aider ceux qui contribuent aux 47 milliards d'euros du bouclier tarifaire, à travers la baisse des droits au chômage et l'allongement du temps de travail. Votre politique ne soutient pas les précaires et fait surtout des perdants.
Face aux crises systémiques, la responsabilité supposait de préserver les sentinelles de la République que sont les collectivités territoriales. Mais vous supprimez la CVAE et refusez d'indexer la DGF sur l'inflation : elle est amputée de 4 %.
Les collectivités territoriales, elles, ont l'obligation d'équilibrer leur budget. (M. Éric Bocquet acquiesce.) Mais le ministre des finances prive de filet de sécurité des milliers de communes.
La revalorisation du RSA, toujours plus conditionné, coûtera 240 millions d'euros aux départements. À la fin, ce sont toujours les plus précaires qui paient. Ils sont rémunérés au salaire minimum estonien : belle performance !
Vous dressez les collectivités les unes contre les autres, les ruraux contre les urbains, les autorités organisatrices de la mobilité d'Île-de-France et d'ailleurs, toujours au détriment des habitants, qui voient les services publics se dégrader, et des usagers, qui constatent que les transports se font plus rares alors que le passe Navigo augmente.
Les élus locaux se sentent dépossédés de leur capacité d'action. Ils sont contraints de fermer les écoles et les centres communaux d'action sociale. Privés de fiscalité, ils ne peuvent plus faire face. Votre seule idéologie est l'argent à l'argent. Le groupe CRCE s'oppose à ce PLF. (Applaudissements à gauche)
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Après trois mois de travail en commission et trois semaines en séance publique, nous nous prononçons à nouveau sur le PLF issu du 49.3. Nous regrettons que si peu de mesures adoptées par le Sénat aient été retenues dans le texte final.
Bruno Le Maire disait être à l'euro près. Visiblement, il n'est pas au milliard près ! Plusieurs mesures volontaristes de rationalisation des niches fiscales, adoptées à l'initiative du groupe UC, ont été balayées d'un revers de main, parfois sans explication ni chiffrage de Bercy.
La multiplication des crises détériore nos finances publiques. Or le resserrage du robinet budgétaire par la Banque centrale européenne (BCE) et la remontée de taux invitent à la responsabilité. C'est dès 2023 qu'il fallait redresser les comptes. Nos amendements y contribuaient.
Nous regrettons, à nouveau, que la contribution exceptionnelle de solidarité ne soit pas élargie au-delà du secteur de l'énergie. Il faut aider les entreprises en difficulté, mais, lorsqu'elles sont en meilleure santé, les faire concourir à l'assainissement des finances publiques.
M. Vincent Delahaye. - Tout à fait !
Mme Sylvie Vermeillet. - De même, avec la CVAE, nous aurions pu sauvegarder 4 milliards d'euros de recettes fiscales, tout en préservant l'autonomie financière des collectivités territoriales, malmenée depuis de trop nombreuses années.
La réintégration dans le FCTVA des opérations d'agencement et d'aménagement a été repoussée, alors que nous avions laissé de côté les opérations d'acquisition par souci d'économie.
Nous avions aussi renforcé, simplifié et rendu plus accessible le filet de sécurité. Le Gouvernement lui-même semblait admettre sa complexité. Or pour 2023, il réintroduit les mêmes critères, au détriment de l'intelligibilité du mécanisme.
Malgré cela, monsieur le ministre, nous vous remercions pour les échanges positifs et argumentés tout au long du débat et pour votre disponibilité. Nous regrettons en revanche l'absence prolongée du ministre de l'économie et des finances sur des sujets si cruciaux. La configuration politique aurait pu le justifier...
La CMP a échoué, sans surprise. Compte tenu des délais constitutionnels, le groupe UC votera presque unanimement la motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Question préalable
M. le président. - Motion n°I-2, présentée par M. Husson, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat ;
Considérant que, du point de vue du scénario macroéconomique sur lequel repose le projet de loi de finances, il apparaît que la prévision de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour 2023, retenue à 1 %, paraît bien trop optimiste, au regard des perspectives du consensus des économistes mais aussi des propos du Président de la République lui-même, et ne tient pas compte des récents développements conjoncturels comme le ralentissement de l'activité au troisième trimestre 2022, la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne ou encore la prévision de récession en Allemagne et de stagnation de l'activité en zone euro ;
Considérant qu'alors que les crises sanitaire et énergétique s'enchainent voire se superposent, le nécessaire soutien aux ménages et aux entreprises ainsi que l'affectation des moyens indispensables au bon fonctionnement des services publics doivent s'accompagner d'un effort notable pour maîtriser la dépense ordinaire des administrations publiques ;
Considérant qu'au contraire, le Gouvernement fait le choix d'identifier les politiques publiques sur lesquelles il souhaite augmenter les crédits sans indiquer sur quelles missions des économies devraient parallèlement être réalisées dans le budget de l'État, conduisant ainsi à des efforts trop restreints pour redresser les comptes publics et pour retrouver à terme des marges de manoeuvre budgétaires utiles pour répondre le plus efficacement possible à toute nouvelle crise ;
Considérant que, dès lors, les niveaux du déficit public et de la dette publique demeurent particulièrement élevés et extrêmement préoccupants, alors que la hausse des taux d'intérêt pourrait rapidement devenir insoutenable pour la France ;
Considérant que le rétablissement de l'article 5 dans le texte du projet de loi, qui supprime la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et permet donc de réduire le poids des impôts de production pesant sur les entreprises, ne s'accompagne toujours pas de meilleures garanties quant aux modalités de compensation prévues pour les collectivités territoriales qui se voient une nouvelle fois privées, dans un contexte déjà difficile, d'une ressource fiscale locale et craignent d'être victimes de la perte de lien entre leurs ressources et le dynamisme économique de leurs territoires ;
Considérant qu'il est regrettable que l'Assemblée nationale soit également revenue sur les mesures adoptées par le Sénat pour soutenir les petites et moyennes entreprises, en particulier le rehaussement du plafond de leurs bénéfices soumis au taux réduit d'impôt sur les sociétés en tenant compte de l'inflation, ou encore la prorogation, pour une année supplémentaire, et le renforcement du crédit d'impôt pour les travaux de rénovation énergétique de leurs bâtiments à usage tertiaire ;
Considérant que, s'agissant des finances locales, il convient de se féliciter du fait que le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture a confirmé la suppression opérée par le Sénat de l'article 40 quater qui réintroduisait le dispositif de contractualisation avec les collectivités territoriales pourtant rejeté par les deux assemblées lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ;
Considérant qu'en revanche, s'il faut se réjouir de la reprise, même partielle, de certains apports du Sénat s'agissant du « filet de sécurité » mis en place pour l'année 2023 au bénéfice des collectivités territoriales, ne peut qu'être déploré le maintien dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale d'un critère de perte d'épargne brute pour déterminer l'éligibilité au dispositif, dans la mesure où il est très fortement excluant et générateur d'importants effets de seuil et dès lors que les modalités de calcul de la dotation mettent déjà en relation la différence entre la progression des dépenses et celle des recettes ;
Considérant qu'il est également fort regrettable que d'autres mesures de soutien aux collectivités territoriales n'aient pas été conservées, en particulier l'intégration des opérations d'aménagement et d'agencement dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), devenues inéligibles avec la réforme de l'automatisation ;
Considérant qu'il convient de saluer le fait que le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale reprenne la position du Sénat en conservant, sous réserve de divers aménagements, l'essentiel des modifications apportées au dispositif proposé par le Gouvernement s'agissant de la contribution sur la rente infra-marginale applicable à la production d'électricité ;
Considérant que, pour autant, même si le Sénat a fait preuve d'un sens aigu des responsabilités en votant les mesures proposées par le Gouvernement pour contrer la hausse des prix de l'énergie et faire contribuer les producteurs d'énergie comme le prévoient les textes européens, il n'en demeure pas moins que les dispositifs proposés n'ont cessé d'évoluer, de façon majeure, au cours de la navette parlementaire, sans que les parlementaires disposent d'études d'impact particulièrement solides, ce qui nécessitera une attention particulière dans leur mise en oeuvre ;
Considérant qu'alors que le Sénat avait adopté plusieurs amendements de sincérisation budgétaire, notamment s'agissant des crédits non répartis, il paraît très critiquable que le projet de loi tel que considéré comme adopté par l'Assemblée nationale revienne sur toutes ces mesures et confirme bien que le Gouvernement s'était ménagé une confortable « réserve de crédits » au sein de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles puisqu'il la réduit dès la nouvelle lecture pour couvrir, à hauteur de 700 millions d'euros, la nouvelle « aide aux carburants » de 100 euros prévue au sein de la mission « écologie, développement et mobilité durables » ;
Considérant qu'il convient de saluer la conservation, en nouvelle lecture, de plusieurs apports du Sénat de première lecture, à l'instar de l'exonération de malus pour les véhicules des services départementaux d'incendie et de secours, des prolongations de dépenses fiscales essentielles pour le soutien économique outre-mer, des mesures destinées au financement pour de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) ou encore de la traduction législative de plusieurs recommandations de la mission d'information de la commission des finances relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ;
Considérant qu'au contraire, il n'est pas compréhensible que la majorité gouvernementale n'ait pas rejoint le Sénat sur beaucoup des amendements qu'il a adoptés à une très grande majorité voire à la quasi-unanimité, par exemple lorsqu'il souhaitait, dans un contexte de hausse des taux d'intérêt et donc de durcissement des conditions d'emprunt immobilier, soutenir l'accession à la propriété des primo-accédants les plus modestes, en relevant le plafond légal du prêt à taux zéro (PTZ) ;
Considérant que l'Assemblée nationale a également rétabli plusieurs articles qui ne relèvent pas du domaine des lois de finances selon la jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel ;
Considérant enfin que le Sénat a rejeté les crédits des missions « Administration générale et territoriale de l'État », « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Cohésion des territoires » et « Immigration, asile et intégration » dont les crédits ont été rétablis par l'Assemblée nationale sans réponse aux objections qui avaient été soulevées ;
Considérant, en conséquence, que l'examen en nouvelle lecture par le Sénat de l'ensemble des articles restant en discussion du projet de loi de finances pour 2023 ne conduirait vraisemblablement pas à faire évoluer le texte ;
Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 203 (2022-2023).
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - J'éviterai les prolongations inutiles (marques d'approbation) et les répétitions, même s'il vaut mieux se répéter que se contredire.
Le débat est écourté presque brutalement, mais comment trouver, d'ici à demain minuit, les moyens de produire une copie satisfaisante à renvoyer à l'Assemblée nationale ?
Monsieur le ministre, soyez attentif à la cohérence budgétaire. Le Sénat trace des perspectives de responsabilité et d'effort de maîtrise et de ciblage de la dépense. Vous avez considéré que c'était inutile, puisque vous n'avez retenu aucun de ces efforts. Je serai attentif à chacune de vos prises de vos positions : je rappelle que nous avons proposé 4 milliards d'euros d'économies. (M. André Gattolin en doute.)
Vous dites vouloir sortir du « quoiqu'il en coûte » ? Prenez donc vos responsabilités ! Au regard des résultats électoraux, vous deviez faire travailler les deux assemblées. À l'Assemblée nationale, vous utilisez le 49.3, et au Sénat, après une discussion agréable, vous ne retenez que des amendements de portée minime. Je fais le pari que nous nous retrouverons, à la mi-2023, pour corriger les insuffisances du filet de sécurité. Ses contraintes pèseront aussi gravement sur nos entreprises.
Nous suivrons l'application de l'amortisseur, du filet de sécurité et du bouclier, qui ne sont pas encore stabilisés, car les élus doivent être aux côtés des acteurs économiques, sans lesquels point de sortie de crise.
Notre débat a été ouvert par un Bruno Le Maire qui se disait « à l'euro près » ; il se conclut par une dérive supplémentaire de 6 à 7 milliards d'euros. Les économies sont certes difficiles à trouver, mais nous en avions proposé pour 4 milliards d'euros. Finalement, vous poursuivez une dérive inquiétante, alors que la dette s'accroît et que les taux d'intérêt remontent, sans oublier la dette écologique.
Cette motion abrège les difficultés du Gouvernement...
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Avis défavorable, évidemment. J'aurais souhaité poursuivre le travail, projet contre projet. Ce ne sera pas possible, et je serai attentif au vote de ceux qui nous reprochent d'abréger les débats à l'Assemblée nationale par le 49.3 et qui l'abrègent ici par cette motion...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Rien ne les arrête !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Certes, il y a des dépenses supplémentaires - encore heureux, car nous avons tenu compte de vos propositions. Ainsi, sur les 7 milliards d'euros supplémentaires, 5,5 milliards iront vers les collectivités territoriales. Ce PLF est arrivé au Parlement avec un déficit à 5 %, et il en ressort au même niveau grâce à l'augmentation des recettes liée à la taxation des superprofits (M. Pascal Savoldelli lève le poing de satisfaction) - j'assume ce terme, le temps passé au Sénat forge son homme (sourires) - grâce aux discussions européennes.
C'est vrai, nous n'avons pas retenu la suppression du ministère de l'agriculture...
M. Pierre Cuypers. - Très drôle !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - ... ni celle du ministère de la cohésion des territoires ni de l'administration territoriale de l'État. (Protestations)
Sur la limitation du bonus écologique pour les véhicules électriques, il est vrai que nous restons dépendants de l'industrie chinoise. Mais nous avons développé un plan d'investissement, avec deux gigafactories de batteries. (M. Pierre Cuypers proteste.)
En revanche, monsieur Savoldelli, les économies sur France Compétences ne mettent pas en cause la formation, car le budget du ministère du travail augmente de 6 milliards d'euros.
Ce texte répond à une équation difficile : tenir le déficit et accompagner les Français, les entreprises et les collectivités territoriales tout en gardant les moyens d'investir pour l'avenir, pour les services publics et la transition écologique. (MM. André Gattolin et Pierre Louault applaudissent.)
Interventions sur l'ensemble
M. Joël Guerriau . - J'entends la frustration de mes collègues dont les amendements n'ont pas été retenus et je la partage. Le débat pourrait se poursuivre en se concentrant sur les amendements ayant recueilli le plus fort consensus.
Je ne suis pas d'avis que poursuivre le débat serait vain. On ne peut se plaindre de ne pas être entendus et se priver de cette possibilité !
Après la seconde guerre mondiale, le Sénat a été privé de tout pouvoir législatif jusqu'en 1954. Je regrette que nous refusions aujourd'hui de l'exercer. Nous nous privons de notre pouvoir d'expression libre et de la chance d'un résultat. Le groupe INDEP rejettera cette motion. (M. Alain Richard applaudit.)
M. Vincent Delahaye . - Je souhaitais m'exprimer plus longuement, en tant qu'orateur contre la motion...
Plusieurs membres du groupe UC auraient voulu poursuivre la discussion, même si le ministre nous écoute sans nous entendre. Peut-être faut-il plus de temps au Gouvernement pour retenir davantage de nos propositions.
Non, monsieur le ministre, les comptes ne sont pas tenus, avec 165 milliards d'euros de déficit et 270 milliards de dette nouvelle, alors que nous sortons de la crise sanitaire, et que le déficit antérieur, de 100 milliards d'euros, était déjà élevé.
Nous sommes déçus de ne pas avoir été entendus. Pour l'avenir, réfléchissons à une nouvelle lecture, sur certains sujets limités, mais sur lesquels nous attirerions l'attention du Gouvernement et des médias. (MM. Michel Canévet, Joël Guerriau, Alain Richard et Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. Daniel Breuiller . - Comme vous, monsieur le ministre, j'aime le débat, même quand le Gouvernement reste sourd à des amendements pourtant issus de groupes proches de lui.
Le GEST ne votera pas cette question préalable, faute d'en partager de nombreux attendus. Nous sommes les protagonistes d'une comédie burlesque sur l'inutilité du Parlement, dont le dernier acte se joue ici. Citons Marcel Pagnol : « La pièce était si mauvaise que les acteurs eux-mêmes partaient avant la fin. » (Sourires ; applaudissements sur les travées du GEST et du groupe INDEP)
M. Pascal Savoldelli . - Quoiqu'il arrive, avec vingt jours de débat, nous devrons arrêter nos travaux demain soir. Il faut réformer la Constitution sur ce point.
Nous avions déposé une motion dès la première lecture, car le Gouvernement avait un préalable : le 49.3.
M. le ministre évoque le sérieux de nos travaux, mais croyez-vous que la biodiversité soit une affaire de loto ? Vous avez tiré dix fois le même numéro, le 49.3 ! Ce n'est pas la loterie parlementaire, ici !
Le CRCE s'abstiendra sur cette motion. Ce n'est pas à la gauche d'arbitrer l'hégémonie des valeurs de droite. Nous ne participerons pas à ce jeu de dupes.
M. Patrick Kanner . - Le SER votera cette motion, non que nous soyons devenus des alliés de la droite sénatoriale, mais parce que nous voulons mettre fin à cette journée des dupes, qui a commencé dès le début de l'examen du budget.
Vous êtes pris en tenaille, monsieur le ministre : vous creusez un déficit budgétaire énorme, sans vous donner les moyens de le combler. Nous vous avons proposé de taxer les superdividendes et les superprofits. Vous préférez réduire les recettes de l'État et creuser le déficit. Olivier Véran avait dit que le Gouvernement avait un dogme : celui du moins d'impôt. Mais l'impôt n'est pas un gros mot ! Bien utilisé, il permet de répartir correctement la richesse produite par les Français.
Quand vous supprimez la taxe d'habitation, la CVAE, la redevance télévisuelle, vous peinez à compenser ces 35 milliards d'euros de pertes de recettes, et ce sont toujours les mêmes qui paient. Vous vouliez gagner 10 milliards ? Une peccadille sur les 340 milliards d'euros de déficit de l'État !
Nous défendons ceux qui ont besoin d'un État solidaire, absent de ce budget.
M. Jean-Claude Requier . - Le RDSE, par principe, votera contre la question préalable, même s'il en comprend la finalité.
Sous la IVe République, temps d'instabilité ministérielle, les budgets n'étaient souvent pas votés à temps. Les huissiers arrêtaient les pendules à minuit jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée. N'arrêtons pas les pendules.
La motion n°I-2 est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°108 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l'adoption | 260 |
Contre | 54 |
La motion n°I-2 est adoptée.
En conséquence, le projet de loi de finances pour 2023 est considéré comme rejeté.