SÉANCE
du jeudi 8 décembre 2022
39e séance de la session ordinaire 2022-2023
présidence de M. Alain Richard, vice-président
Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Abus et fraudes au compte personnel de formation
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation (CPF) et à interdire le démarchage de ses titulaires, à la demande du RDPI.
Discussion générale
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je remercie le groupe RDPI et Martin Lévrier d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat et je salue le travail de Catherine Favre, à qui ce texte que je soutiens doit beaucoup.
La lutte contre les abus et la fraude au CPF doit nous réunir. Les députés ont adopté ce texte à l'unanimité et je suis sûre que ce sera le cas ici.
Cette proposition de loi apporte une réponse ferme aux détournements du CPF. Celui-ci, qui fête ses trois ans, est un succès populaire : il est connu de 95 % des actifs et 20 % ont ouvert leurs droits.
Hommes et femmes s'en servent tout autant ; les employés et les ouvriers plus que les cadres. Le CPF démocratise l'accès à la formation tout au long de la vie professionnelle.
Mais ce succès massif a ouvert la porte à des pratiques commerciales agressives ou abusives : appels, SMS et courriers intempestifs. Il s'agit parfois de diffusion de fausses informations, mais aussi d'usurpation d'identité et de détournement de droits. La Caisse des dépôts et consignations a donc intensifié ses contrôles. La fraude est évaluée à 43 millions d'euros en 2021, soit une multiplication par cinq en un an, ce qui nuit à l'image de l'outil et appelle une réponse ferme.
Le Gouvernement a agi pour y remédier, tout d'abord en renforçant les procédures d'authentification sur la plateforme « Mon compte formation », grâce à FranceConnect+. Le réseau de La Poste et les maisons France Services accompagnent les usagers.
Depuis le 1er janvier, le label Qualiopi est garant de la qualité des organismes de formation : 17 000 organismes sont sur la plateforme, contre 24 000 auparavant. Les deux tiers des certifications ont été éliminées du répertoire. Enfin, la Caisse des dépôts et consignations a déréférencé 60 % des offres sur la création et la reprise d'entreprise. Le CPF ne rime plus avec la formation de loisir, il est recentré sur l'emploi, la professionnalisation et la montée en compétences.
Reste à réguler la fraude et le démarchage. Ainsi, l'article 3 de la proposition de loi prévoit une procédure de vérification des organismes de formation, pour garantir leur qualité et leur honorabilité.
L'article 4 soumet les sous-traitants aux mêmes exigences que l'organisme donneur d'ordre : c'est nécessaire, car certains organismes ne proposent qu'un « portage Qualiopi » et agissent comme des sociétés-écrans. Cet angle mort est un nid à fraudes. Un décret précisera l'application de cet article, mais mon cabinet est d'ores et déjà en discussion avec la filière. Je rassure les formateurs individuels : une attention particulière leur sera portée, car on ne peut exiger d'eux autant que des autres acteurs.
Le Gouvernement est déterminé à empêcher tout détournement du droit à la formation. La proposition de loi fournit des leviers efficaces de lutte et de sanction, pour interdire le démarchage abusif, y compris sur les réseaux sociaux. Il n'y aura plus d'influenceurs promettant monts et merveilles, plus de messages détournant le CPF : l'amende, 75 000 euros pour une personne physique, et 375 000 euros pour une personne morale, est dissuasive. La Caisse des dépôts et consignations a en outre adressé des mises en demeure aux influenceurs concernés : un grand nombre y a déjà répondu.
L'article 2 donne aux services les moyens de partager leurs informations. Cette coordination est incontournable pour resserrer les mailles du filet et lutter efficacement contre les fraudeurs. L'État, la Caisse des dépôts et consignations et Tracfin doivent avoir les moyens de ne laisser aucun délit impuni.
L'article 2 bis offre également à la Caisse des dépôts et consignations la capacité de recouvrer plus rapidement les sommes indues, sans saisine préalable de la juridiction administrative.
Soyons satisfaits de ce travail collectif d'intérêt général. Protéger le CPF, c'est protéger la capacité des Français de choisir et de maîtriser leur parcours de vie.
Nous devrons compléter cette action, en ciblant davantage le CPF vers les métiers en tension et d'avenir. Je reçois aujourd'hui les partenaires sociaux à ce sujet, avec Olivier Dussopt.
Merci à tous les parlementaires qui se sont saisis de cette proposition de loi qui donnera corps à la protection du droit à la formation. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Joël Guerriau et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.) La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a démocratisé la formation professionnelle, en monétisant et en dématérialisant le CPF. Grâce à cette réforme audacieuse, le nombre de dossiers financés a doublé chaque année, passant de 500 000 en 2019 à 2,1 millions en 2021. Cela a également permis le rééquilibrage entre hommes et femmes et a principalement bénéficié aux moins de 40 ans et aux peu diplômés.
Toutefois, la réforme a une face sombre : l'activation de 19 millions de profils a ouvert la brèche à des pratiques frauduleuses, abusives et à des formations fictives. Les titulaires de comptes sont parfois victimes, parfois complices. La Caisse des dépôts et consignations évalue le préjudice à 40 millions d'euros, ce qui reste peu élevé au regard des 2,85 milliards d'euros des dépenses en 2021.
De plus, ces pratiques nuisent à l'image de la formation professionnelle. La proposition de loi des députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et leurs collègues, adoptée par l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier, améliore la lutte contre les abus. Je salue Catherine Favre, à l'initiative de la première version de cette proposition de loi, présente en tribune.
La direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations coopèrent pour lutter contre la fraude. Depuis le 25 octobre dernier, FranceConnect+ sécurise l'accès à la plateforme, même s'il faut veiller à ne pas exclure les personnes en difficulté avec le numérique. La première condamnation pour fraude au CPF a eu lieu le 20 septembre à Saint-Omer.
Il reste néanmoins des obstacles législatifs à lever. La loi du 17 mars 2014 a créé Bloctel. Celle du 24 juillet 2020 a rendu obligatoire la consultation par les centres d'appels de la liste d'opposition et alourdi les sanctions. Le consentement préalable explicite s'applique donc pour les mails et les SMS. Cela n'empêche cependant pas le démarchage abusif par téléphone.
L'article 1er de la proposition de loi interdit donc la prospection commerciale par téléphone, par SMS, par courriel et sur les réseaux sociaux, sauf formation en cours. Les agents de la DGCCRF peuvent constater ces infractions, sanctionnées de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale. Cela n'empêche pas toute communication, mais les règles sont clarifiées.
En outre, la proposition de loi renforce les moyens de la Caisse des dépôts et consignations, en donnant une base légale à la communication d'informations entre elle, France Compétences, les services de l'État, les organismes financeurs et ceux délivrant la certification Qualiopi. Elle autorise aussi Tracfin à transmettre des informations à la Caisse des dépôts et consignations et à l'Agence des services et de paiement. Cela permettra de gagner un temps précieux.
L'article 2 bis, inséré à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, donne à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de recouvrer les sommes indûment versées. Le directeur général de la Caisse pourra ainsi délivrer une contrainte, dotée des effets d'un jugement. Le recouvrement se fera par retenue sur les droits inscrits ou futurs du titulaire.
L'article 2 prévoit que la Caisse des dépôts et consignations pourra obtenir de l'administration fiscale les informations contenues dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), ainsi que tous autres les éléments utiles.
L'article 3 modifie les conditions du référencement, qui pourra être refusé par la Caisse des dépôts et consignations. La Caisse pourra également contrôler les organismes déjà référencés. Les échanges de données avec les Urssaf et l'administration fiscale rendront ce contrôle effectif.
L'article 4 encadre le recours aux sous-traitants en leur imposant les mêmes certifications qu'à leur donneur d'ordre. Il faut être attentif cependant, dans l'élaboration du décret, aux travailleurs indépendants et aux micro-entrepreneurs. Nous comptons sur votre discernement, madame la ministre.
L'impact psychologique de la proposition de loi a déjà eu lieu : ne le laissons pas se dissiper. Je vous invite à l'adopter sans modification afin de ne pas retarder son entrée en vigueur. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
M. Joël Guerriau . - Voilà des mois que des appels incessants incitent les Français à souscrire indûment à des formations. Le CPF est un formidable outil : il permet, depuis 2015, de financer la formation continue, pour se perfectionner ou pour se reconvertir. Les Français s'en sont largement emparés.
Rançon du succès, les fraudes se multiplient. Bien des Français constatent que la qualité n'est pas au rendez-vous, voire que les fraudeurs encaissent le paiement sans dispenser de formation. Dans ce qui devient un Far West, il faut légiférer.
La proposition de loi pose le principe de l'interdiction de tout démarchage. Un maire m'expliquait ce matin que tous ses conseillers municipaux avaient été appelés pour leur proposer une formation inutile...
Elle met, ensuite, fin aux pratiques problématiques de portage Qualiopi, détournement de la certification. Désormais, tous les organismes de formation devront être référencés, avec les justificatifs nécessaires.
Enfin, les acteurs de la lutte contre la fraude voient leur coopération renforcée.
Nos concitoyens ne seront plus importunés et bénéficieront de formations de qualité : un consensus se dessine autour de ce texte équilibré. Les Indépendants le voteront. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Mélanie Vogel . - Les Françaises et les Français reçoivent en moyenne cinq appels non sollicités chaque semaine, largement dus à la fraude au CPF qui a augmenté de 450 % en un an. C'est insupportable et un consensus transpartisan a émergé.
Le GEST votera cette proposition, mais n'oublions pas l'environnement qui fait prospérer ces arnaques : la monétarisation et la désintermédiation, en particulier. Les écologistes s'y sont toujours opposés, et il faut aller plus loin : interdire la fraude sur un seul sujet ne règle pas le problème de fond, et Bloctel est peu efficace.
Le démarchage téléphonique n'est que la conséquence la plus visible de la vente de nos données personnelles. En vertu du règlement général sur la protection des données (RGPD), le consentement préalable n'est prévu que pour le démarchage automatisé, alors que les appels sont plus intrusifs.
L'Allemagne, l'Autriche, la Lituanie et la République tchèque ont fait le choix de l'opt-in, en inversant le principe actuel. Je défendrai deux amendements en ce sens.
La proposition de loi ne doit pas non plus nous faire perdre de vue la nécessaire transformation du droit à la formation en vue de la transition écologique : le Gouvernement prend un virage antisocial, en précarisant pour pousser chacun à accepter n'importe quel emploi. Nous pensons que la formation doit être au service de la transformation écologique : il faudrait un droit pour se reconvertir ; spécifiquement pour les métiers de la transition. Il faudrait aussi que chacun puisse apprendre, s'enrichir et progresser dans sa compréhension du monde même si cela n'est pas rattaché à une progression de carrière.
Il ferait meilleur vivre dans cette société plus ouverte, plus riche et plus intelligente. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Joël Guerriau applaudit également.) La fraude au CPF a fortement augmenté en 2021 et atteint 43 millions d'euros de préjudice : le nombre de notes transmises à l'autorité judiciaire par Tracfin a triplé, les montants financiers ont quintuplé.
La proposition de loi de l'Assemblée nationale reprend le texte de Catherine Favre. Les députés coauteurs rappellent que le succès remarquable du CPF s'est accompagné de pratiques agressives, voire abusives, poussant à l'achat de formations contre le gré des bénéficiaires, via des appels téléphoniques, des SMS, des courriels. Il est temps de réguler.
La commission des affaires sociales a adopté, à l'unanimité et sans modification, cette proposition de loi. Adoptons définitivement ce texte pour mettre fin à ce regrettable phénomène.
Martin Lévrier a rappelé le continuum de la lutte contre la fraude et de l'amélioration de la qualité professionnelle.
Le texte interdit le démarchage téléphonique par les organismes de formation, en l'inscrivant dans le code de la consommation, comme pour MaPrimeRénov', et dans le code du travail.
Il renforce les pouvoirs de la Caisse des dépôts et consignations dans la lutte contre la fraude et encadre le recours à la sous-traitance. Certains autoentrepreneurs auront toutefois du mal à remplir les exigences de Qualiopi ; notre rapporteur a alerté le Gouvernement et un décret est prévu pour adapter la réglementation à leurs spécificités.
Le texte devra s'appliquer dès le début de l'année 2023. Il faut dépolluer les pratiques illégales qui ont terni l'image du CPF. Nous voterons pour. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)
Mme Monique Lubin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le CPF a été créé en 2015 par la loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, en remplacement du droit individuel à la formation (DIF). Son objet était de réformer la loi Delors de 1971, qui avait institué la possibilité d'un congé rémunéré de formation et obligé les entreprises de plus de dix salariés à y contribuer.
La loi votée en 2014, sous majorité socialiste, a jeté les bases d'une sécurité sociale professionnelle, avec le compte personnel d'activité (CPA), le CPF, le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte engagement citoyen. On sait le sort réservé par le Gouvernement à ces acquis sociaux, alors qu'avec la loi de 2014 nous avions renforcé la place des partenaires sociaux en faisant de la formation professionnelle un élément central du dialogue social. Nous sommes également attachés à la décentralisation de la formation professionnelle vers les régions.
En 2018, nous avons dénoncé la fragilisation de cet édifice et l'objectif de fluidification du marché du travail du Gouvernement. C'était la première réforme de la formation professionnelle qui ne faisait pas consensus depuis 1971. Elle a abouti à une recentralisation. Le Gouvernement s'est assis sur la démocratie sociale en monétisant le CPF contre l'avis des partenaires sociaux et en supprimant les intermédiaires au profit d'une plateforme. Nous étions inquiets de la pérennité des financements et des risques induits par la monétisation et la désintermédiation, et nous avions raison.
Un récent rapport du Sénat signale que le financement de France Compétences n'a pas été anticipé : son déficit pourrait être de 5,9 milliards d'euros en 2022.
La fraude au CPF était en germe dans la loi de 2018. On voit les résultats : entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, les signalements de SMS indésirables ont été multipliés par quatorze et les déclarations de soupçon par onze ; 32 400 signalements ont été effectués auprès de la Caisse des dépôts et consignations ; le préjudice estimé s'élève à 27 millions d'euros pour la période mars 2020-mai 2022 ; les fraudes détectées par Tracfin sont passées de 8 à 43 millions d'euros entre 2020 et 2021, en hausse de 450 %.
Cette proposition de loi fait consensus et nous y souscrivons. Elle interdit le démarchage, étend le pouvoir des agents de la DGCCRF, favorise le recouvrement des indus par la Caisse des dépôts et consignations, impose le référencement sur Mon compte formation et étend certaines obligations aux sous-traitants.
Le groupe SER votera ce texte, mais nous sommes fatigués de ces usines à gaz. Halte au démantèlement de notre démocratie sociale et de notre droit du travail !
Mme Cathy Apourceau-Poly . - La proposition de loi, adoptée le 6 octobre à l'Assemblée nationale à l'unanimité, vise à mettre fin au démarchage incessant par des organismes parfois fictifs et à la fraude. Pas un jour sans son lot de SMS, de mails ou d'appels pour utiliser son CPF...
Cette situation insupportable s'explique par la monétisation du CPF lors de la loi Pénicaud - du nom de cette ancienne ministre qui s'apprête à entrer au conseil d'administration de Galileo, acteur majeur de la formation initiale et continue...
Cette proposition de loi est une bonne nouvelle, mais il est regrettable d'avoir attendu quatre ans pour lutter contre ce fléau. La montée en puissance du CPF s'est accompagnée d'une hausse massive des fraudes : entre 2020 et 2021, le nombre de déclarations de soupçon a été multiplié par onze, celui des dossiers transmis à la justice, par trois.
L'opprobre est jeté sur l'ensemble des organismes de formation ; espérons que leur référencement permettra de faire le tri entre ceux qui sont sérieux et les autres.
Certains organismes ont des pratiques sectaires. Le dernier rapport de mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) fait état de 4 020 saisines en 2021, en hausse de 86 % entre 2015 et 2021. Il faut davantage former les contrôleurs.
Le projet de loi de finances pour 2023 va contraindre les salariés à assumer 20 à 30 % du coût de leur formation. Cette pénalisation de la formation, qui touchera les plus modestes et les privés d'emploi, est inacceptable : nous défendons une formation intégralement financée par les entreprises. En attendant, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Nadia Sollogoub . - (Mmes Véronique Guillotin et Marie-Pierre Richer applaudissent.) La loi du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé le CPF, en monétisant les heures de formation.
Des chiffres s'affichent en gros caractères sur le site du ministère de l'économie et des finances : au 30 septembre 2021, 38,8 millions de titulaires d'un compte, 1 500 euros par compte et 2,86 millions de dossiers acceptés depuis novembre 2019. N'importe quel malfaisant a vite fait de comprendre que 36 millions de salariés n'ont pas mobilisé leur CPF, et qu'une gigantesque arnaque est possible.
Les premières fraudes furent simples : fausses formations et usurpation d'identité. Mais désormais on constate des inscriptions fictives, des incitations par des cadeaux. Derrière ces pratiques, il y a parfois des réseaux de criminalité organisée, qui s'étaient déjà distingués dans la fraude aux certificats d'économie d'énergie. Les saisies pénales s'élèvent à 3,5 millions d'euros, et la moitié des dossiers transmis font apparaître un lien avec le crime organisé.
Un exemple réel : la société A, créée en septembre 2020 par M. X, n'emploie aucun salarié et reçoit plus de 8 millions d'euros au titre du CPF sur la base de fausses attestations de stagiaires. L'essentiel est transféré à M. X et à ses proches, pour l'achat notamment de véhicules ou de montres de luxe. En 2021, la Caisse des dépôts et consignations met fin aux versements en raison des soupçons de fraude ; 2 millions d'euros d'avoirs sont saisis, mais 6 millions se sont envolés !
Nous voterons ce texte en l'état, car cela doit cesser rapidement. L'article 1er interdit la prospection commerciale, mais comment les acteurs du grand banditisme ont-ils accès au numéro des bénéficiaires ? Reste-t-il une possibilité de verrouillage quand tout circule dans le cloud ?
L'article 2, qui prône l'échange d'informations entre services, est de bon sens. Les outils informatiques auraient dû permettre depuis longtemps le recoupement de ces données.
Cette loi va dans le bon sens, mais elle vient un peu tard, alors que l'on est déjà débordé.
J'espère que les moyens de contrôle sont calibrés, mais ne répondez pas ici, des oreilles malveillantes pourraient écouter...
Nous avions décidé de surseoir à aller plus loin que Bloctel pour préserver des milliers de salariés honnêtes. Cette fois-ci, la question ne se pose pas : allons-y ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Pierre Richer et M. Martin Lévrier, rapporteur, applaudissent également.)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur des travées du RDPI) Le CPF a été réformé par la loi de 2018 afin de rendre le droit à la formation plus lisible et accessible. Chaque bénéficiaire pourrait se former sans intermédiaire et sur la base de droits libellés en euros.
Le nombre de bénéficiaires a fortement augmenté, à 19 millions, au profit notamment des femmes, des actifs moins qualifiés et des personnes en situation de handicap.
Le succès de cette réforme a été de rendre les Français plus libres d'évoluer professionnellement. Mais tout changement entraîne des effets de bord : hausse massive des fraudes, harcèlement téléphonique, par mail, ou sur les réseaux sociaux d'une ampleur considérable. Ces nuisances mettent à mal la crédibilité du système.
La proposition de loi rappelle que le CPF est un outil dédié aux Français, et non aux organismes de formation.
Le texte crée des barrages filtrants : interdiction de toute prospection commerciale ; sécurisation des échanges d'informations ; amélioration du recouvrement par la Caisse des dépôts et consignations ; renforcement du contrôle du référencement ; encadrement du recours à la sous-traitance.
Les solutions proposées semblent consensuelles. Cette proposition de loi, si nous l'adoptons sans modification, pourra s'appliquer sans délai. Le RDSE la votera. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier, rapporteur, applaudit également.) Utilisable tout au long de la vie active, le CPF est un succès quantitatif : les effectifs doublent chaque année depuis 2019, pour atteindre deux millions de formations en 2021. Mais la monétisation a eu des effets pervers : usurpation d'identité, détournement des droits, appels intempestifs.
Avec ses 2,7 milliards d'euros, un cinquième du budget de France Compétences, le CPF attire une délinquance économique organisée, comme en témoignent les 440 enquêtes ouvertes par le service central du renseignement criminel de la gendarmerie. Selon Tracfin, les fraudes ont été multipliées par six en un an et le préjudice cumulé est estimé à 43,2 millions d'euros.
Le récent guide de prévention des arnaques du ministère des finances n'a pas été efficace et les campagnes de sensibilisation sont bien timides. L'action du Parlement est donc nécessaire.
Dès 2018, le Sénat avait exprimé des réserves sur la monétisation et la désintermédiation du CPF, que le Gouvernement qualifiait de « pari ».
La proposition de loi est la bienvenue pour contrer ces pratiques qui siphonnent les crédits de la formation professionnelle, politique déjà difficilement pilotable, comme l'illustrent les rallonges budgétaires votées régulièrement à France Compétences. Il n'y a pas un euro à perdre.
Je salue le travail des forces de l'ordre, qui ont réussi à démanteler plusieurs réseaux, comme à Cannes-Mandelieu, pour un préjudice de 8,2 millions d'euros.
Il faut en finir avec ces escroqueries pour redorer l'image du CPF. Nombre de Français ne prennent plus les appels au sérieux, risquant de se détourner du CPF, pourtant essentiel à leur carrière.
Le financement des formations est un enjeu pour réduire la fraude, notamment la revente des codes d'accès au CPF.
Comme l'a proposé le Sénat le 28 novembre dernier, lors de l'examen de la mission « Travail et emploi », le plafonnement de la prise en charge de certaines formations par le CPF serait l'occasion de maîtriser la fraude. J'espère que le Gouvernement, qui avait donné un avis de sagesse, retiendra cette mesure dans le 49.3.
Ce qui est gratuit n'a pas de valeur. Pour que les salariés aident la lutte contre la fraude et construisent un vrai parcours de formation, il faut un reste à charge encadré qui ne soit pas une barrière tarifaire. C'était le sens du rapport présenté par nos collègues Frédérique Puissat, Corinne Féret et vous-même, monsieur le rapporteur.
Bon nombre des 44 000 organismes de formation signalent la rigidité des conditions générales d'utilisation (CGU), auxquelles ils sont soumis et le court délai dont ils disposent pour se conformer à leur mise à jour : je n'ai pas déposé d'amendement sur ce point qui ne relève pas de la loi, mais je souhaitais vous alerter, madame la ministre. La mise à jour suppose un travail juridique qui n'est pas le coeur de métier des formateurs. Le renforcement du contrôle des formations éligibles, prévu par l'article 3, comprend les CGU : pourriez-vous renseigner les organismes sur ce point ? Il serait regrettable que l'excès de règles succède à l'excès de simplification.
Le groupe Les Républicains votera néanmoins ce texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier, rapporteur, applaudit également.)
Discussion des articles
ARTICLE 1er
Mme Corinne Imbert . - Ce texte constitue une avancée importante. Je n'ai pas déposé d'amendement, en vue d'une adoption conforme.
Néanmoins, au-delà du téléphone et des réseaux sociaux, j'alerte sur les dérives que l'on constate sur les plateformes en ligne, par la publicité directe ou la promotion effectuée au sein de vidéos, notamment de la part d'influenceurs vont jusqu'à promettre des formations permettant de devenir expert en placements financiers. Attention à ne pas laisser de failles, dans lesquelles les escrocs s'engouffreraient.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels . - Nous partageons votre détermination à lutter contre ce type de dérives. Je rappelle l'action de la Caisse des dépôts et consignations, qui adresse des mises en demeure par voie d'avocat pour demander l'arrêt de toute publicité sur le CPF, l'information sur les sociétés avec lesquelles les influenceurs sont en lien et la diffusion d'un message rectificatif.
La Caisse des dépôts et consignations s'est également rapprochée de Meta ainsi que des agences d'influenceurs, pour supprimer des publications et créer un filtrage a priori. Les influenceurs relevant des agences ont diffusé un message le 13 novembre dernier.
Ces pratiques doivent cesser. Nous continuerons à travailler avec Meta France pour obtenir la fermeture des comptes concernés.
M. Olivier Cadic . - La proposition de loi est attendue, car la fraude au CPF a pris une dimension internationale. Ainsi, un conseiller des Français établis hors de France aux Émirats arabes unis m'a recommandé de contacter Mme Christelle Coiffier, une conseillère Pôle emploi qui s'est faite lanceuse d'alerte : des influenceurs profitent de l'image de Dubaï pour vendre du rêve et promouvoir des formations bidon, y compris pour devenir influenceur. Certains demandeurs d'emploi ont ainsi épuisé leurs droits, en vain. Mme Coiffier a reçu le soutien du député Stéphane Vojetta. La fraude internationale va de pair avec l'impunité. La table ronde de Bruno Le Maire va dans le bon sens, tout comme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
L'article 1er est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 1er
M. le président. - Amendement n°1, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L'article L. 221-16 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-16. - La prospection commerciale par voie téléphonique n'est autorisée que dans le cadre des sollicitations ayant un rapport direct avec l'objet d'un contrat en cours ou si le professionnel a reçu le consentement du consommateur au sens du 11 de l'article 4 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, et dans les conditions mentionnées à l'article 7 du même règlement. »
2° Les articles L. 223-1 à 223-7 sont abrogés.
Mme Mélanie Vogel. - Instaurons le principe général de l'interdiction du démarchage téléphonique commercial. Nous l'avons récemment interdit pour l'isolation, puis pour l'assurance, mais tout le monde souffre du démarchage non consenti.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L'article L. 221-16 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-16. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 221-12, le professionnel qui contacte un consommateur inscrit sur la liste d'autorisation mentionnée à l'article L. 223-4 par téléphone en vue de conclure un contrat portant sur la vente d'un bien ou sur la fourniture d'un service indique au début de la conversation, de manière claire, précise et compréhensible, son identité, le cas échéant l'identité de la personne pour le compte de laquelle il effectue cet appel et la nature commerciale de celui-ci.
« À la suite d'un démarchage par téléphone, le professionnel adresse au consommateur, sur papier ou sur support durable, une confirmation de l'offre qu'il a faite et reprenant toutes les informations prévues à l'article L. 221-5.
« Le consommateur n'est engagé par cette offre qu'après l'avoir signée et acceptée sur support durable. » ;
2° À l'intitulé du chapitre III du titre II du livre II, le mot : « Opposition » est remplacé par le mot « Autorisation » ;
3° L'article L. 223-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 223-1. - La prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique est interdite à l'exception des sollicitations effectuées auprès des personnes inscrites gratuitement à une liste d'autorisation au démarchage téléphonique ou lorsque la sollicitation intervient dans le cadre d'une relation contractuelle existante à la date de l'appel et dont le sujet a un lien direct avec l'objet du contrat souscrit.
« Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables est interdite à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours au sens du deuxième alinéa du présent article.
« L'alinéa précédent s'applique également aux sollicitations adressées aux personnes inscrites sur la liste d'autorisation au démarchage téléphonique.
« Tout professionnel saisit, directement ou par le biais d'un tiers agissant pour son compte, l'organisme mentionné à l'article L. 223-4 aux fins de s'assurer de la conformité de ses fichiers de prospection commerciale avec la liste d'autorisation au démarchage téléphonique :
« 1° Au moins une fois par mois s'il exerce à titre habituel une activité de démarchage téléphonique ;
« 2° Avant toute campagne de démarchage téléphonique dans les autres cas.
« Un décret, pris après avis du Conseil national de la consommation, détermine les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels la prospection commerciale par voie téléphonique peut avoir lieu, lorsqu'elle est autorisée en application du premier alinéa du présent article.
« Le professionnel mentionné au quatrième alinéa respecte un code de bonnes pratiques qui détermine les règles déontologiques applicables au démarchage téléphonique. Ce code de bonnes pratiques, rendu public, est élaboré par les professionnels opérant dans le secteur de la prospection commerciale par voie téléphonique. Il est, en tant que de besoin, précisé par décret.
« Tout professionnel ayant tiré profit de sollicitations commerciales de consommateurs réalisées par voie téléphonique en violation des dispositions du présent article est présumé responsable du non-respect de ces dispositions, sauf s'il démontre qu'il n'est pas à l'origine de leur violation.
« Tout contrat conclu avec un consommateur à la suite d'un démarchage téléphonique réalisé en violation des dispositions du présent article est nul.
« Tout recueil du consentement à être démarché par voie téléphonique lors de la conclusion d'un contrat est nul. » ;
4° L'article L. 223-2 est abrogé ;
5° À l'article L. 223-3, les mots : « inscrits sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique » sont remplacés par les mots : « non-inscrits sur la liste d'autorisation au démarchage téléphonique ».
II. - Le présent article entre en vigueur le 1er juin 2024.
Mme Mélanie Vogel. - Cet amendement inverse la présomption de consentement au démarchage : laissons aux personnes le choix de s'inscrire à un registre pour accepter le démarchage. Cet opt-in soulage des millions de personnes dans plusieurs autres pays européens.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Ces amendements dépassent de loin le sujet du CPF. Je rappelle que la loi de 2021 complète le régime d'opposition en prévoyant que, avant tout démarchage, l'entreprise contacte Bloctel pour vérifier que son prospect n'y est pas inscrit, tout en alourdissant les sanctions en cas d'abus. La limitation du démarchage à certaines plages n'est pas encore entrée en vigueur.
Restons-en à un dispositif ciblé, qui entrera en vigueur immédiatement. Avis défavorable aux deux amendements.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2 rectifié.
Les articles 2, 2 bis, 3 et 4 sont successivement adoptés.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements)