Développement économique de la filière du chanvre en France
Mme le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l'amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues à la demande du GEST.
Discussion générale
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution . - C'est avec beaucoup de satisfaction que je défends cette proposition de résolution initiée par le GEST et cosignée par plus de 50 sénateurs. Elle invite à développer la filière et à clarifier la réglementation des produits issus du chanvre.
Cela aura été l'un des fils rouges de mon mandat, depuis ma participation à la mission sur l'herboristerie menée en 2018 par Joël Labbé, jusqu'à l'accueil au Sénat des deuxièmes rencontres de l'interprofession du chanvre en mai dernier. Entre-temps, l'Assemblée nationale s'est saisie du sujet et la réglementation environnementale de 2020 (RE2020) a été adoptée.
Mais la réglementation incompréhensible sur le cannabidiol (CBD) a défrayé la chronique. Cette résolution invite donc le Gouvernement à la clarification.
Je répéterai en partie mes propos tenus lors du débat du 3 février dernier, à l'occasion duquel un certain consensus est apparu sur cette problématique.
Nous ne voulons pas nous limiter à l'imbroglio juridique sur le CBD, mais évoquer toute la filière, qui, même si elle se porte bien, mérite toute notre attention.
Depuis l'Antiquité, le chanvre nous a nourris, habillés et soignés. Aujourd'hui, il nous loge et représente un substitut au plastique. La France est le troisième producteur mondial de chanvre et le premier européen avec seulement 22 000 hectares de surfaces cultivées, lesquelles ont triplé depuis dix ans et devraient doubler d'ici cinq ans. La culture de cette plante ne nécessite ni produits phytosanitaires ni irrigation, elle dépollue les sols et capte davantage de CO2 que la forêt.
Le chanvre offre une formidable opportunité aux agriculteurs. Toute la plante est valorisable : fleurs, feuilles, fibres et corps solide. Les débouchés sont nombreux : CBD, parfumerie, alimentation pour les humains et les animaux, textile, isolant thermique, bioplastique, papier, béton végétal, litière.
M. Dossus abordera plus spécifiquement le CBD. Nous demandons au Gouvernement de ne pas attendre le jugement du Conseil d'État pour autoriser la vente au détail des fleurs et feuilles, et proposons d'élargir l'autorisation à toutes les variétés contenant moins de 1 % de tétrahydrocannabinol (THC). Des milliers d'acteurs économiques attendent la fin de cette mauvaise comédie judiciaire.
Nous demandons la cartographie de toutes les cultures de chanvre pour faciliter les contrôles. Nous proposons d'équiper les forces de l'ordre de tests portatifs mesurant rapidement le taux de THC des fleurs, comme en Suisse.
L'arrêté de 2021 ne règle pas tout sur le volet alimentaire. Nous invitons le Gouvernement à exclure de la réglementation Novel Foods les produits qui ne sont pas enrichis en CBD.
S'agissant du textile, l'impact carbone du chanvre est cinq à huit fois inférieur à celui du coton et demande deux fois moins d'eau. Nous passons un cap à l'échelle européenne avec une réglementation plus exigeante sur l'origine des textiles. Mais il faut de lourds investissements industriels. Les crédits France 2030, qui n'ont pas tous été consommés, pourraient accompagner les savoir-faire ancestraux, quand ils sont adaptés au changement climatique.
En s'appuyant sur la nouvelle réglementation européenne, qui instaure une sorte de Nutriscore des textiles, le Gouvernement pourrait mettre en place un label et l'utiliser pour la commande publique.
Les bioplastiques, qui équipent principalement les tableaux de bord des voitures, sont recyclables sept fois. Sur l'ensemble du parc automobile, cela représente une économie de 100 000 tonnes d'équivalent CO2. Des études sont par ailleurs en cours pour la réalisation de pales d'éoliennes.
Il faut renforcer les efforts dans le bâtiment. Le chanvre répond aux exigences de la transition écologique. En septembre, j'ai visité une entreprise fabriquant des modules préfabriqués, qui émettent bien moins de CO2 que le béton : un mur de chanvre stocke 35,5 kg de CO2 par mètre carré tandis que le béton classique en émet 126 kg par mètre carré. Le chanvre rend moins nécessaires chauffage et climatisation, ce qui entraîne 70 % d'économies d'énergie, selon le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Ce n'est pas négligeable.
Pourtant, il reste encore des blocages réglementaires.
Le développement du béton de chanvre doit être accru. Pour ce faire, tous les métiers de la construction, ainsi que les conseillers de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), doivent être formés à son utilisation. Actuellement, 90 % des matériaux du bâtiment sont issus de la filière pétrolière ou minière. Selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), le polystyrène isolant émet 2,8 tonnes de CO2 par tonne produite alors que la laine de chanvre stocke le carbone, est recyclable et biodégradable.
En cohérence avec la réglementation environnementale, nous demandons au Gouvernement de fixer des critères environnementaux sur les matériaux, notamment dans les dispositifs MaPrimeRénov' et l'éco-prêt à taux zéro (PTZ). Cela vaut pour le chanvre et tous les autres matériaux biosourcés : nous déposerons un amendement au projet de loi de finances en ce sens.
Il faut une grande campagne de communication publique pour les collectivités territoriales et les particuliers.
Nous sommes inquiets sur les capacités de production agricole pour 2023. La guerre en Ukraine a tant fait exploser les prix des céréales que les agriculteurs ne sont pas incités à planter du chanvre. En 2023, le chanvre rapportera de 20 à 25 % de moins que le maïs, le blé ou le colza.
Les agriculteurs demandent la reconnaissance sur le marché carbone de celui stocké par la filière. Cette demande est fondée.
La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pourrait être renforcée par une prime au stockage de carbone dans la rénovation thermique des bâtiments, pour inciter à l'utilisation d'isolants biosourcés. Une réduction de TVA pourrait aussi être envisagée.
Cette filière pleine de promesses doit être mise en lumière. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Corinne Imbert . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution met en lumière une filière parfois méconnue du grand public, alors qu'elle est d'avenir pour nos territoires. L'opinion publique se passionne pour les découvertes ; il s'agit là d'une redécouverte. L'utilisation du chanvre est multiséculaire. Mais il est souvent associé au cannabis et au trafic de drogue. La première priorité est pédagogique : il faut distinguer le cannabis du chanvre et de sa filière. Peu d'intrants, peu d'énergie et peu d'eau pour le produire : le chanvre est une plante au bilan carbone formidable, qui peut s'utiliser de multiples façons, dans les secteurs du bâtiment, de la cosmétique, de l'alimentaire ou du textile.
Il évite l'usage de la climatisation dans le bâtiment. Alors que la sobriété énergétique s'impose, le chanvre offre une véritable alternative.
La réglementation environnementale 2020 va dans le bon sens, mais elle peut être améliorée. Il serait pertinent de mieux accompagner la production et l'usage de matériaux biosourcés. Face à l'envolée des prix des matières premières, le chanvre apparaît comme un formidable substitut à la laine de roche ou à la laine de verre pour l'isolation.
Les décideurs publics doivent être informés de ses atouts. En Charente-Maritime, dans le cadre du projet de territoire pour la gestion de l'eau de la rivière la Boutonne, nous travaillons sur les aspects qualitatifs et quantitatifs de l'eau. Nous souhaitons trouver une culture qui ne nécessite ni pesticides ni engrais, tout en assurant un revenu correct aux producteurs. Le chanvre est la seule solution.
En outre, les graines de chanvre peuvent être utilisées dans l'alimentation. La filière textile est trop insuffisamment développée, alors que le jean denim était originellement en chanvre.
M. Laurent Burgoa. - Tout à fait !
Mme Corinne Imbert. - La filière chanvre a également pour vertu de rémunérer correctement les exploitants.
Alors que nous venons d'examiner le PLFSS, je salue la prolongation de l'expérimentation du cannabis thérapeutique, qui a des intérêts médicaux importants.
Pour toutes ces raisons, et en souvenir des cordages de chanvre fabriqués à la corderie royale de Rochefort, je voterai en faveur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER et RDSE)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Cette proposition de résolution est une excellente opportunité de parler d'une filière complexe, qui regroupe des acteurs très divers, et prometteuse, car la France est le premier pays producteur de chanvre en Europe. L'Aube produit près de la moitié de la production française, soit un tiers de la production européenne. La maison de la Turque, à Nogent-sur-Seine, a été rénovée en chanvre.
Les industries du bâtiment ou du textile placent de grands espoirs dans cette plante qui participe à la transition vers la neutralité carbone. Peu d'intrants, peu d'eau : ses atouts agro-écologiques sont majeurs. Le chanvre stocke beaucoup de CO2, très rapidement : 1 hectare de chanvre absorbe 15 tonnes de CO2 en un an, soit autant qu'une forêt. Les externalités positives sont nombreuses, notamment pour la rotation des cultures.
Mais encore faut-il des débouchés stables pour la filière. Selon la proposition de résolution, la filière pourrait connaître un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros dans cinq ans, et créer 20 000 emplois. Elle participerait ainsi à la réindustrialisation de notre pays. Nous devons continuer à nous battre pour faire émerger des champions industriels. J'en profite pour saluer les annonces récentes du ministre de l'industrie sur la relocalisation industrielle.
Nous devons aider la filière à se structurer et à se consolider. Il faut que l'offre rencontre la demande. Les points 30, 31 et 32 de la proposition de résolution sont intéressants : les matériaux biosourcés ont toute leur place dans la rénovation thermique des bâtiments.
Concernant le CBD, j'ai posé dès janvier une question au Gouvernement sur l'avenir de la filière après l'arrêté du 30 décembre 2021. Oui, une régulation est nécessaire. Les acteurs ont besoin de stabilité. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'inscrivent dans la même optique : avec ses taux de THC inférieurs à 0,3 %, le CBD n'est pas un stupéfiant. Là encore, ne laissons pas nos voisins européens rafler la mise sur le marché français. Avançons ensemble dans un cadre respectant la santé publique et laissons nos entrepreneurs innover.
En revanche, certains points de la proposition de résolution me semblent problématiques. Je ne suis pas sûre de la pertinence de la multiplicité des labels proposés. Le point 26 concernant l'élargissement du catalogue aux variétés contenant moins de 1 % de THC m'interpelle également.
Toutefois, le groupe INDEP, dans sa majorité, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, RDSE et CRCE)
M. Thomas Dossus . - Le chanvre est issu de la fibre de la plante, tandis que le CBD ou le THC sont issus de la fleur. Le cannabis récréatif est issu du THC. Le CBD n'a strictement rien à voir. Ce sont deux molécules différentes. Si le THC est un psychotrope, le CBD n'entraîne pas d'addiction ni d'effet psychotrope : c'est un extrait de fleurs de chanvre apaisant, avec un taux de THC inférieur à 0,2 %, sans effet psychoactif.
Pourtant, lorsque l'on regarde la législation, on constate une confusion, jusqu'au sommet de l'État.
Les premières boutiques de vente de CBD sont apparues en France en 2018 ; certaines sont régulièrement fermées par la police en raison d'une mauvaise interprétation d'un arrêté de 1990. En juin 2018, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) a la brillante idée de distinguer le CBD synthétique du CBD récolté naturellement, ce qui est scientifiquement inepte. En novembre 2020, la France est condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne pour entrave au principe d'égalité devant la loi. En décembre 2021, le Gouvernement a une idée lumineuse : autoriser le CBD en tant que molécule mais interdire la commercialisation de la fleur de chanvre. Ce nouveau trait de génie administratif ne tarde pas à recevoir son jugement : une suspension par le Conseil d'État en janvier 2022, en attendant un jugement au fond.
Le CBD n'est pas une drogue. Cessons d'urgence cette confusion entretenue à dessein, au détriment des 1 800 boutiques spécialisées, des 30 000 emplois liés et des 7 millions de consommateurs. Les commerçants vivent dans une grande insécurité. Si nous soutenions vraiment la filière, nous pourrions créer des dizaines de milliers d'emplois supplémentaires. Le CBD est utilisé dans toutes les tranches de la société et à tous les âges. Les Français aiment le CBD.
Revenons à la science qui distingue bien entre les deux molécules. Madame la ministre, utilisez à bon escient le pouvoir réglementaire. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)
Mme Nicole Duranton . - Lorsqu'on énumère toutes les vertus du chanvre, on ne peut être que conquis. Aucune plante ne cumule autant d'avantages économiques et environnementaux. Le chanvre consomme peu d'eau, alors que cette ressource est rare. Notre climat est particulièrement propice à son développement. Celui-ci est rapide : quatre mois entre la graine et la récolte, avec un rendement maximal. Cette plante n'a pas besoin d'herbicides, de fongicides ni d'insecticides. Elle régénère la terre et assure un gain de rendement de 5 à 10 % pour les céréales suivant dans la rotation. Un hectare de chanvre capte autant de CO2 qu'un hectare de forêt. Les débouchés sont nombreux : alimentaire, cosmétique, bâtiment, automobile, textile...
Dans l'Eure, la coopérative du lin du Neubourg vient d'inaugurer la « French filature », nouvelle usine de teillage - une petite révolution dans une terre de lin qui n'avait plus de filature. On peut produire du lin 100 % tracé et « made in France » pour l'habillement. Cette filature, qui produira 250 000 tonnes de fil de lin par an, pour un investissement de 5 millions d'euros, pourrait demain filer le chanvre.
Alors que 10 500 agriculteurs normands partiront à la retraite d'ici 2028, soit un agriculteur sur trois, la culture de chanvre ouvrirait de nouveaux horizons. Elle pourrait motiver les plus jeunes à s'installer.
Seul inconvénient, de taille : il faut limiter le taux de THC du chanvre, pour le distinguer de la marijuana. Soyons prudents sur les produits de consommation à base de CBD. Ce n'est pas un stupéfiant, mais il a des effets psychoactifs qui n'ont pas été totalement évalués. Nous devons approfondir nos connaissances scientifiques.
Le CBD est autorisé à la commercialisation mais il faut mieux le contrôler, avec des normes, des contrôles de teneur et des méthodes de production. En effet, si l'extraction est mal maîtrisée, le producteur risque de renforcer la teneur en THC.
La proposition de résolution ouvre des perspectives à approfondir. Le ministre de la santé s'interroge sur la toxicité du CBD et le ministre de l'intérieur sur son caractère addictif.
Attendons les conclusions de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) sur le CBD. Attention aussi à ce que les débouchés du CBD n'assèchent pas le reste de la filière chanvre, qui contribue à notre souveraineté alimentaire et énergétique.
Le RDPI s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Gilbert-Luc Devinaz . - Si la culture du chanvre accompagne l'histoire de l'humanité, cette plante a bien failli disparaître au XXe siècle avec la pétrochimie. La France est le seul pays à avoir maintenu sa production, d'où sa place de leader européen.
La nécessité de produire sain, sûr, durable et accessible à tous remet cette plante au goût du jour. Le chanvre est un réservoir à biodiversité et absorbe autant de CO2 que la forêt. La filière est 100 % française, de la sélection variétale à la transformation, et ses produits sont compostables ou recyclables. Cependant, sa culture demande beaucoup de travail, car il faut de quatre à sept passages pour la récolter ; cela représente un frein au développement de la filière.
Le chanvre est probablement la plante la plus polyvalente, mais elle n'est connue du grand public que pour sa fleur.
Dans le bâtiment, le recours au chanvre s'accroît depuis plusieurs années, notamment parce qu'il résiste aux chocs et au feu. L'interprofession s'est fixé comme objectif de construire le village olympique de Paris 2024 à base de chanvre. Ce serait un débouché important et une vitrine médiatique.
Dans le Rhône, à Feyzin, avec la délégation sénatoriale aux entreprises, nous avons visité une entreprise primée par l'Institut français pour la performance du bâtiment, qui produit des granulats et un liant à base de ciment très résistant.
La culture du chanvre peut être un pilier d'une réindustrialisation écologiquement responsable, pour le bâtiment, le textile, les bioplastiques, le papier, les protéines végétales, l'industrie pharmaceutique et cosmétique.
Cette filière n'a pas bénéficié du plan de relance, les projets n'étant pas finalisés. Or elle a besoin d'être accompagnée. Elle est en phase avec les objectifs de neutralité carbone et constitue une filière de proximité.
Des investissements industriels importants sont nécessaires. Il faut aussi rémunérer correctement les agriculteurs pour ne pas freiner son développement.
Si nous voulons reconnaître les qualités du chanvre, accompagnons le développement des matériaux biosourcés dans la rénovation énergétique des bâtiments. Cela accroîtra notre souveraineté et limitera les impacts environnementaux de nos activités. Qu'attendons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Le groupe CRCE votera cette proposition de résolution appelant à soutenir la filière chanvre, que tout devrait tendre à développer.
De fait, la culture du chanvre est parfaitement adaptée au climat français, réclame peu d'eau et d'intrants chimiques, stocke efficacement le carbone et n'épuise pas les sols. Les usages du chanvre sont variés ; il possède également des vertus thérapeutiques.
Pourquoi ces opportunités ne se concrétisent-elles pas davantage ?
Parce qu'une variété de chanvre, le cannabis, produit un psychotrope considéré comme un stupéfiant. D'où des réglementations restrictives, bien au-delà de ce qui serait nécessaire, et instables, qui pénalisent le développement de la filière. Il existe pourtant des variétés de chanvre avec de faibles taux de THC, sans effet stupéfiant. Par ailleurs, le cannabidiol, ou CBD, a des propriétés apaisantes.
Pourquoi, dans le pays de la rationalité, avoir instauré une réglementation si peu cohérente et qui n'encourage pas les multiples usages du chanvre ? Soyons clairs : il ne s'agit pas d'ouvrir le débat sur la légalisation du cannabis, qui est un autre sujet. Ne confondons pas tout. (MM. Thomas Dossus et Guy Benarroche approuvent.)
La réglementation du CBD est un véritable imbroglio. Pour ma part, je pense qu'il faut s'en tenir à la réglementation européenne. Nos voisins ne sont pas plus insouciants que nous à l'égard des risques pour la santé... Adaptons clairement cette réglementation et permettons l'usage des fleurs, notamment en tisane. D'aucuns disent : nous évoluerons quand l'Union européenne évoluera. L'argument a déjà servi pour les Gafam, et nous attendons toujours...
Développer la filière suppose de renforcer le contrôle des teneurs en CBD ou en THC. La proposition de résolution le prévoit. Par ailleurs, la cartographie des plantations permettra de contrôler ce qui ne serait pas légal et de suivre le développement de la filière.
J'insiste : 90 % de la consommation de CBD en France provient de produits étrangers. C'est aberrant ! (Mme Raymonde Poncet Monge approuve.) Pour les autres usages du chanvre, le consensus est large. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme Daphné Ract-Madoux . - Les multiples qualités du chanvre font l'unanimité. Des premiers livres imprimés au XVe siècle aux voiles des bateaux ayant permis la découverte de l'Amérique, le chanvre a longtemps eu le vent en poupe ; discrètement mais sûrement, cette plante a accompagné notre histoire.
Toute la plante est utilisée, dans des secteurs variés : pharmacie, alimentation, textile, cosmétique, bâtiment et même oisellerie. Le chanvre était qualifié de produit de première nécessité, comme le pain, jusqu'au XIXe siècle. La filière a ensuite dépéri, en raison du développement des plastiques et de l'amalgame avec le cannabis.
Le groupe UC votera cette proposition de résolution. Le sujet n'est pas celui du cannabis, mais le développement d'une filière économique d'avenir. Leader européen, la France peut voir plus grand. Appuyons-nous sur le chanvre pour notre transition écologique ! Cette culture est aussi un atout pour la diversification des revenus agricoles.
En 2020, on compte en France 1 414 producteurs de chanvre, pour environ 30 000 emplois directs et indirects. Dans l'Essonne, Gatichanvre, spécialisée dans le défibrage, travaille avec une centaine d'agriculteurs partenaires, dont la moitié en bio. Je salue le travail d'excellence de ce groupe du Gâtinais.
Je félicite le GEST pour ce texte de qualité, loin des clichés éculés. ?uvrons sereinement au développement d'une filière chanvre souveraine et écoresponsable ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Il a fallu attendre une décision de la Cour de justice de l'Union européenne en 2020 pour que la France autorise enfin la commercialisation de la molécule de CBD. Et il faut aujourd'hui compter sur le Conseil d'État pour la consommation de la fleur de chanvre !
Ces aléas juridiques insécurisent une filière qui représente 30 000 emplois directs et indirects. Nous sommes le premier producteur de chanvre en Europe, grâce à nos excellentes conditions climatiques.
Les enjeux sanitaires n'échappent à personne. Le RDSE soutient toutes les politiques de lutte contre les stupéfiants, mais il ne faut pas se tromper de débat. Nous ne parlons pas de la légalisation du cannabis, mais de l'avenir des produits comportant du CBD et du développement d'une filière au vaste potentiel. L'agriculture française pourrait profiter de son dynamisme, à condition que le Gouvernement prenne une position plus claire.
Les multiples qualités du chanvre ont été décrites. Sa culture peut s'inscrire dans une démarche durable et constituer un pilier de la reconquête industrielle dans les territoires ruraux.
À condition, toutefois, que son développement ne concurrence pas d'autres cultures nécessaires à notre souveraineté alimentaire. De ce point de vue, la rotation avec d'autres cultures présente de bonnes garanties.
Il faut aussi que la production et la commercialisation du chanvre soient contrôlées. L'interprofession est prête à un contrôle renforcé des parcelles. Nous devons également tester la teneur en TCH et CBD des produits bruts.
Enfin, un environnement réglementaire sécurisé est nécessaire à l'échelle européenne. L'existence de normes différentes d'un pays à l'autre complique la tâche des douanes et de la DGCCRF.
Le RDSE votera cette résolution pour soutenir notre filière face à ses concurrents. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP, UC, SER, CRCE et du GEST)
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec cette proposition de résolution, nos collègues du GEST entendent alerter le Gouvernement sur les contraintes réglementaires pesant sur la culture du chanvre. Je vous surprendrai sans doute en vous disant que je partage une partie de leurs préoccupations. (M. Rachid Temal s'exclame.)
Le chanvre représente un formidable potentiel, mais ses débouchés sont actuellement limités pour des raisons dont la logique m'échappe. Pour nos agriculteurs, c'est une source de revenus complémentaires - je dis bien complémentaires. Le chanvre est aussi un des moyens d'atteindre nos objectifs en matière de transition énergétique, s'il est massivement utilisé dans la construction et la rénovation.
Nos collègues mettent l'accent sur les principes actifs de cette plante et ses usages récréatifs : c'est la principale faiblesse de leur texte. L'usage du chanvre dans de nombreux secteurs de l'économie est pourtant possible, en particulier dans le bâtiment.
Un long chemin a été parcouru depuis la première rénovation d'une maison avec un enduit au chanvre, en 1986. La filière est aujourd'hui parfaitement structurée, avec un producteur de semences qui investit fortement dans l'innovation variétale. L'association « Construire en chanvre » est à l'origine de règles professionnelles dans le secteur de la construction.
Dans ce cadre sécurisant, un nombre croissant d'agriculteurs optent pour cette voie de diversification agronomique respectueuse de l'environnement et aux débouchés prometteurs. On compte dans l'Essonne un millier d'hectares de cultures, exploitées par une centaine d'agriculteurs. Gatichanvre assure le défibrage, première étape de la transformation du chanvre en isolants, enduits ou bétons.
Dès lors, comment expliquer les difficultés de diffusion des produits du chanvre dans le secteur ?
L'agence Qualité Construction devrait bientôt entériner les règles professionnelles destinées à massifier la construction en chanvre. Mais une autre entrave à l'usage du chanvre vient de l'impossibilité pour les maîtres d'ouvrage de valoriser financièrement le béton de chanvre via des certificats d'économies d'énergie. Ce dispositif requiert en effet une certification des matériaux employés. Or les performances du chanvre, notamment en matière thermique, phonique et de résistance au feu, ne sont plus à démontrer.
Autre sujet d'inquiétude : la plupart des maîtres d'oeuvre sont des artisans ou des PME, qui n'ont pas les moyens de financer la démarche d'obtention du label « reconnu garant de l'environnement » ; de ce fait, ils ne peuvent prétendre aux aides au titre de la rénovation de l'habitat.
Ces freins normatifs ont une conséquence majeure : les matériaux utilisés sont le plus souvent issus de grands groupes industriels, avec un impact environnemental à la production plus limitée.
Alors que la France est leader européen de la production de chanvre, le Gouvernement doit prendre des initiatives fortes pour lever les contraintes pesant sur son utilisation dans la construction. En outre, des mesures fiscales doivent être prises pour soutenir le développement de filières locales biosourcées. Allez-vous ouvrir une concertation interministérielle sur le sujet ?
Mme Dominique Faure, secrétaire d'État. - C'est fait !
Mme Laure Darcos. - C'est à ces conditions que notre pays participera pleinement à la transition énergétique, rendue indispensable par la hausse exponentielle des prix de l'énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie M. Gontard et le GEST pour cette proposition de résolution.
Le sujet de la filière chanvre revient sur le devant de la scène, mais la culture de cette plante est très ancienne. La création de la Fédération des producteurs de chanvre remonte à 1932.
Le poids de la filière est déjà important : 1 400 producteurs et 17 000 hectares cultivés, trois fois plus qu'il y a quinze ans. La France est le premier producteur en Europe et le quatrième au monde. Pour une fois, nous pouvons nous féliciter du dynamisme d'une de nos filières !
Comme agriculteur, je souligne que le chanvre ne requiert pas d'insecticides, de fongicides, peu d'eau, et s'inscrit dans la rotation des cultures. Particulièrement vertueuse, cette culture peut répondre à une partie du problème de renouvellement des générations agricoles.
Il faut une réglementation adaptée et un juste accompagnement par les pouvoirs publics. Le label agriculture biologique doit être ouvert à cette filière. Celle-ci doit répondre aux obligations de déclaration de culture pour se mettre en conformité avec la PAC, ce qui préviendra les dérives.
Plus globalement, les débouchés du chanvre s'étendent au bâtiment, au textile, à l'alimentation humaine et animale ou à la filière papier. Avec sept millions de consommateurs, le CBD représente une opportunité pour les buralistes, dont le nombre a baissé d'un quart en vingt ans.
Clarifier la réglementation est essentiel pour développer le secteur. Votons donc largement cette proposition de résolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du RDSE ; M. Guillaume Gontard applaudit également.)
Mme Annick Billon . - Si les voiles des monocoques du Vendée Globe ne sont plus en chanvre, celles de la flotte de Louis XIV l'étaient... La culture du chanvre a connu son heure de gloire aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle a ensuite périclité, victime de la confusion, compréhensible, entre chanvre et cannabis.
La filière renaît aujourd'hui, grâce à des acteurs locaux créateurs d'emplois. Je salue donc l'initiative du GEST, qui nous permet d'encourager de belles entreprises de nos territoires sans envoyer de signal en faveur de la légalisation du cannabis.
Il y a vingt-cinq ans était créée l'association Construire en chanvre. Depuis, toute une économie s'est développée, profitant des nombreux atouts de la plante. En Vendée, la coopérative Cavac en a fait un des piliers de son activité.
À l'heure de la rénovation énergétique, les matériaux biosourcés doivent être encouragés. Cette proposition de résolution pourrait être complétée par l'élargissement de la formation des ouvriers du bâtiment pour une meilleure utilisation du chanvre dans le cadre de MaPrimeRenov'. Il convient aussi de mieux valoriser la capacité de stockage du carbone du chanvre et de lancer une réflexion en vue d'un taux de TVA adapté.
Soutenons les acteurs économiques de cette filière. Il leur faut un cadre légal stable pour prospérer durablement et sainement. Le groupe UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur de très nombreuses travées)
M. Christian Klinger . - Tout est bon dans le cochon, dit-on : c'est vrai aussi du chanvre !
Après la sécheresse et à l'heure des économies de chauffage, les bienfaits du chanvre sont incontestables : la plante pousse vite, résiste à la sécheresse et n'a pas besoin d'intrants. La surface cultivée est passée de moins de 4 000 hectares en 1990 à près de 22 000 hectares.
Le chanvre est utilisé pour produire des fibres textiles, du papier, des matériaux de construction aux propriétés isolantes importantes, des bioplastiques et des graines riches en protéines, mais aussi des fibres pour l'industrie, moins polluantes que les fibres de verre. Cette plante fait l'objet d'une forte demande sociale. Plus de 600 produits dérivés sont brevetés dans le monde, dont la moitié provient malheureusement de Chine.
D'autres pays ont parfaitement compris ces opportunités. Quand les États-Unis ont décidé de soutenir la filière, ils sont passés de 9 000 à 33 000 hectares en un an... Nous devons, nous aussi, créer un écosystème favorable, avec des règles claires. Il faut pour cela dépassionner le débat en évitant de confondre chanvre et cannabis.
Autorisée par l'Union européenne, la commercialisation des fleurs et feuilles a été suspendue par un arrêté, invalidé par le Conseil d'État en janvier dernier. La Cour de cassation a, quant à elle, légalisé la commercialisation.
Si nous voulons une filière française d'excellence, nos entreprises doivent bénéficier d'une réglementation claire alignée sur celle de nos voisins. Le chanvre pousse vite, mais suppose un matériel agricole spécifique et nécessite du temps : la graine est fragile et la paille doit subir plusieurs interventions pour sa transformation. Or les professionnels hésiteront à investir tant que des règles pérennes n'auront pas été établies.
L'an dernier, devant le Sénat, le Gouvernement avait affirmé sa volonté d'établir un cadre clair. Mais rien n'a bougé. La loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte incitait au développement des matériaux biosourcés pour des bâtiments à énergie positive : pourquoi attendre, puisque le chanvre en est un ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du GEST et du groupe SER ; Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
Mme Dominique Faure, secrétaire d'État chargée de la ruralité . - La constance du GEST l'honore, puisqu'il avait déjà été à l'initiative d'un débat sur ce thème au mois de février. Cette proposition de résolution est l'occasion d'approfondir les échanges et de mettre en relief l'importance de la filière.
La culture du chanvre demande peu d'azote, peu d'irrigation, aucun produit phytosanitaire ; c'est un réservoir de biodiversité pour les insectes et les arthropodes. En outre, le chanvre permet d'allonger la rotation des sols et diversifier les assolements.
L'utilisation des produits issus du chanvre dans le bâtiment permet de stocker du carbone au lieu d'en émettre. Il faudra le prendre en compte dans la fixation du prix du carbone, afin que les producteurs soient bien rémunérés. C'est le rôle du comité scientifique et technique du label bas-carbone.
Marc Fesneau oeuvre au développement de la filière, en entretenant un dialogue constant avec l'interprofession. Outre les aides de la PAC, la filière bénéficie d'aides couplées à hauteur de 96 euros à l'hectare si la production est contractualisée. Les enjeux sont majeurs pour la France : le développement de la filière peut constituer un atout énergétique.
Alors que les surfaces de culture ont triplé en dix ans, la filière alimente de nombreux marchés : papeterie, bâtiment, plasturgie, alimentation, textile, etc. Point essentiel pour le dynamisme des territoires ruraux, elle se caractérise par des acteurs de taille modeste et des circuits courts.
Cette proposition de résolution viendra utilement enrichir les travaux du Gouvernement. Le ministère est prêt à travailler étroitement en lien avec le Sénat.
L'amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre fait l'objet d'une attention particulière. C'est un enjeu important, notamment pour le cannabidiol ; la suspension du cadre réglementaire par le Conseil d'État l'a mis en relief. Il faut développer la filière tout en protégeant la santé des consommateurs et en évitant les trafics.
L'absence de réglementation claire a des conséquences regrettables. D'abord, une instabilité pour les acteurs agricoles ou industriels, les laboratoires et les commerces de détail. Ensuite, le fait que la grande majorité des produits en vente soient importés. Enfin, un enjeu de sécurité pour les consommateurs : le cannabidiol n'est pas un stupéfiant mais a bien des effets psychoactifs.
Selon le Conseil d'État, les produits dont la teneur en THC est inférieure à 0,3 % ne sont pas nocifs pour la santé et n'appellent pas d'interdiction absolue. Il n'a pas été établi que le CBD est dangereux, mais il n'a pas non plus été établi qu'il ne l'est pas, ni à partir de quel seuil il peut l'être. Soyons prudents, et attendons les résultats de l'expertise lancée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments.
En l'état de la réglementation, les services de police et de gendarmerie peuvent relever l'incitation à la consommation de stupéfiants. Il n'est pas acceptable que des publicités pour le CBD entretiennent une confusion avec le cannabis, ce qui revient in fine à promouvoir l'usage de ce dernier.
En dépit de la suspension de l'arrêté du 31 décembre 2021, nous ne sommes pas dans un no man's land juridique. Le Gouvernement est ferme dans sa volonté de ne pas banaliser le cannabis. La proposition de résolution sera un apport utile à notre réflexion sur la politique de contrôle de la commercialisation.
Ce contrôle présente trois enjeux : l'absence de pratiques commerciales trompeuses au sens du code de la consommation ; une information claire du consommateur ; des contrôles aléatoires de la teneur en THC des produits commercialisés, pour éviter des risques de santé publique.
Le ministre de l'agriculture a installé un nouveau conseil scientifique, piloté par Interchanvre, pour mieux accompagner les agriculteurs souhaitant produire des fleurs de chanvre. Trois groupes de travail ont été créés, sur la génétique, les itinéraires techniques et la mécanisation de la récolte des fleurs. Une feuille de route est en cours de rédaction.
Attention cependant aux conséquences d'un développement débridé : allons-nous nous nourrir d'extraits de chanvre, qui se vendent parfois à prix d'or ? La production de chanvre à fleurs est distincte de celle du chanvre à graines et à fibre : le développement de la première filière pourrait nuire à l'attractivité déjà fragile de la seconde. Or les priorités du Gouvernement sont bien la souveraineté alimentaire et la performance énergétique des bâtiments.
Même si le Gouvernement ne partage pas certaines de ses orientations, cette proposition de résolution sera très utile, et nous nous en saisirons pour un développement maîtrisé et ambitieux de la filière. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Daphné Ract-Madoux et M. Emmanuel Capus applaudissent également.)
À la demande du GEST, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°55 :
Nombre de votants | 208 |
Nombre de suffrages exprimés | 186 |
Pour l'adoption | 179 |
Contre | 7 |
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE ; M. Martin Lévrier et Mme Vanina Paoli-Gagin applaudissent également.)
La séance est suspendue quelques instants.