SÉANCE
du mardi 15 novembre 2022
21e séance de la session ordinaire 2022-2023
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Martine Filleul, M. Jacques Grosperrin.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Financement de la sécurité sociale pour 2023 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Explications de vote
M. Martin Lévrier . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Sénat a entamé il y a huit jours l'examen du troisième projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) depuis l'apparition du covid. Le seuil symbolique des 600 milliards d'euros devrait être dépassé, avec un objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) à 240 milliards d'euros, en progression de 3,7 % par rapport à 2022.
Ce PLFSS traduit le choix d'un système de santé renforcé, juste, qui répond aux attentes de nos concitoyens et des professionnels de santé. C'est un texte d'engagement et d'investissement, une première pierre de la refondation.
Dans sa version originelle, ce texte facilitait l'accès à un médecin traitant, aux urgences, à une aide à domicile ; il soutenait mieux les familles monoparentales ; il facilitait les déclarations Urssaf des entrepreneurs.
Il renforce le virage préventif, avec les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie et un accès facilité à la contraception d'urgence pour les majeures ainsi qu'à la vaccination.
Il améliore également la prise en charge de l'accueil du jeune enfant, en réduisant notamment le coût d'une assistante maternelle.
Mais si 18 amendements du Gouvernement ont été adoptés, 96 amendements des rapporteurs ont modifié la teneur de ce texte.
Nous saluons la responsabilité de la majorité sénatoriale qui a rétabli les deux premières parties du texte.
Nous nous réjouissons de l'adoption de l'amendement gouvernemental n°1141, qui majore la compensation versée aux départements au titre des revalorisations de l'aide à domicile.
Nous saluons aussi l'adoption de l'amendement n°943, qui transforme le système d'information des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). La stratégie d'harmonisation a été bénéfique, mais il est temps de basculer vers un système d'information unique.
L'amendement n°894 étend la condition de durée minimale d'exercice hors intérim aux professionnels de santé mis à disposition par une entreprise de travail temporaire étrangère.
Nous saluons également le nouvel article 24 quater, qui lance une expérimentation de trois ans consistant à verser aux médecins un forfait financé par les fonds d'intervention régionaux, en complément de la rémunération à l'activité, pour couvrir les frais associés à l'exercice en zone sous-dotée. Un territoire ultramarin sera associé.
Malheureusement, ces avancées ne peuvent compenser la suppression incompréhensible de l'article Ondam ni la dispense de ticket modérateur pour les consultations de prévention après 25 ans.
De plus, le Sénat a adopté un amendement qui porte une réforme paramétrique du système de retraite, alors que le Gouvernement a lancé une grande concertation afin de prendre en compte plusieurs paramètres sociétaux, comme l'inégalité femmes-hommes ou la pénibilité. L'approche strictement financière est limitative. Pourquoi inverser le calendrier et se priver de la richesse du dialogue social ?
M. Marc-Philippe Daubresse. - Cela fait dix ans qu'on étudie cette réforme !
M. Martin Lévrier. - Pour ces raisons, le RDPI s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce budget de la sécurité sociale, peu ambitieux à première vue, est resté fidèle à cette appréciation. C'est la première fois qu'un PLFSS arrive au Sénat après l'utilisation du 49.3. Le Gouvernement aura seul la charge d'écrire le texte définitif. Nous regrettons que le régime des irrecevabilités ait excessivement limité le débat. Nous ne pourrons continuer ainsi.
En introduisant des articles sans lien avec une loi de finances, le Gouvernement a égaré ce texte. Il est urgent qu'il dépose un projet de loi sur la santé.
Sur le fond, nos inquiétudes sur la trajectoire financière demeurent. Vous présentez un budget largement en déficit, tout en n'investissant pas assez dans notre système de soins. Nous continuerons de proposer de supprimer les exonérations fiscales inutiles et coûteuses, car il y va de la pérennisation du financement de notre sécurité sociale.
Pire, vous proposez un Ondam en dessous de l'inflation. Les professionnels peinent à le croire ! Vous faites des économies sur le système de santé. Le budget des hôpitaux augmente certes de 3,7 % en 2023, mais l'inflation sera de 6,2 à 6,5 % en 2022, et de 5 % en 2023.
Nous saluons des avancées, comme le maintien du dispositif pour les travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE), les deux heures de soutien dédié à l'accompagnement pour les titulaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), le remboursement sans ordonnance du dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) et les consultations aux âges clés de la vie.
Mais le texte ne prévoit rien contre l'affaissement de notre système hospitalier et ne revoit pas la construction de l'Ondam. Vous restez dans une stricte politique de l'offre, au lieu de partir des besoins.
Le rendez-vous avec la prévention est largement esquivé. Mmes Touraine et Buzyn avaient trouvé un consensus pour réduire la consommation de tabac. Qu'attendez-vous pour agir plus fortement ? Je me réjouis que le Sénat ait rétabli le texte initial sur le tabac à chauffer ; la mesure, modeste, aura des effets concrets. À l'avenir, mieux vaudrait que le ministre des comptes publics évite le congrès des buralistes avant le PLFSS ! Nous devons protéger la jeunesse. Nous accueillerons avec bienveillance les propositions du Gouvernement contre les puffs ou les prémix. Les produits mêlant des arômes à l'alcool ou au tabac doivent être progressivement interdits.
Bien que notre amendement alignant la fiscalité sur l'alcool sur l'inflation n'ait pas été adopté, je me réjouis de la position courageuse de la rapporteure. D'autant plus que le Gouvernement n'a pas proposé grand-chose. Idem sur la santé environnementale.
La branche autonomie manque d'objectifs, signe d'un manque de volonté politique. À quand une loi sur le grand âge ?
Ce PLFSS a bien failli contenir une réforme des retraites. Nous aurons bientôt l'occasion d'en débattre.
Comment imaginer approuver un tel texte ? Depuis six ans, le chef de l'État n'a pas donné d'impulsion à notre système social. L'année dernière, j'avais dédié ce vote à l'hôpital public. Cette année, c'est au personnel soignant, épuisé et lassé des conditions de travail qui se dégradent, que je le dédie.
Vous entamez, madame et monsieur les ministres, votre première année au Gouvernement. Démarquez-vous de la logique comptable et de la mainmise de Bercy. Autrement, vos mots resteront des mots et nos soignants renonceront encore plus. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Éric Bocquet et Fabien Gay applaudissent également.)
Mme Laurence Cohen . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Nous avions défendu une question préalable sur ce PLFSS insincère et injuste. Après les débats, le bilan est toujours négatif. Si nous nous réjouissons de l'annulation du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers l'Urssaf ou du rétablissement de la compensation des exonérations de cotisations de la prime de partage de la valeur, l'équilibre global n'est pas modifié.
Le Gouvernement prévoit une progression des dépenses de la branche maladie de seulement 3,7 % quand il en faudrait minimum 4 %.
La hausse de 4,1 % du budget des hôpitaux est très inférieure à l'inflation, estimée à 4,7 % pour 2023. L'autosatisfaction de M. Attal n'y changera rien : c'est la première fois que l'Ondam est en dessous de l'inflation. Pire, si l'inflation atteint 6 %, cela signifiera entre 1 et 2 milliards d'euros de coupes drastiques dans le budget de l'hôpital public : fermetures de lits, de services et d'hôpitaux de proximité dans tous les territoires s'ensuivront.
Comment ne pas être révolté quand on constate que le Gouvernement, comme le groupe Les Républicains, sont incapables de mesurer l'échec des politiques de réduction des dépenses de santé ? (M. Bernard Bonne proteste) Des décennies de coupes budgétaires ont imposé un travail de plus en plus pénible et des organisations maltraitantes qui font souffrir le personnel et les patients.
L'absence de reconnaissance, après l'épidémie éreintante de covid, a fait déborder le vase. Désormais, même les plus convaincus quittent le navire, lorsqu'ils sont obligés de trier les malades.
Comme le souligne le collectif inter-hôpitaux, cette dégradation risque de faire disparaitre des pans entiers d'activités et de savoir-faire. La crise de la pédiatrie préfigure ce qui arrivera demain à tout l'hôpital public.
Face à cela, la droite et le Gouvernement veulent maintenir les internes une année supplémentaire en stage, plutôt que de financer la santé à la hauteur des besoins. Il n'est pas utopiste de trouver les 5 milliards d'euros nécessaires au recrutement de cent mille professionnels. Le Gouvernement aurait pu renoncer à 5 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales, ou financer les 18 milliards d'euros de dépenses covid plutôt que de les faire peser sur le budget de la sécurité sociale.
Vous déstructurez l'hôpital public au profit du privé, avec un panier de soins minimaliste complété par une prise en charge assurantielle.
Nous avons vu l'accord de fond entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale qui a rejeté tous nos amendements créant de nouvelles recettes et refusé de revenir sur les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires ou sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui pèsent lourdement sur le budget de la sécurité sociale. La droite sénatoriale a même ajouté de nouvelles exonérations de cotisations sociales pour les médecins retraités.
Surtout, l'amendement n°102 recule l'âge de départ à la retraite à 64 ans, demandant 43 annuités de cotisation, ce qui va contre la volonté de 70 % des Français. Le Gouvernement lui emboîte le pas, avec une réforme rétrograde prévue pour janvier.
La proximité entre le groupe Les Républicains et le Gouvernement, frise la duplicité (protestations sur les travées du groupe Les Républicains) lorsque, chers collègues, vous avez refusé de reprendre les préconisations du Sénat sur les Ehpad.
Ce PLFSS est un rendez-vous manqué pour le personnel hospitalier, la médecine de ville, les centres de santé, le personnel des Ehpad, les aides à domicile. C'est aussi un rendez-vous manqué pour ce qui est de la maîtrise publique de la production de médicaments. La semaine dernière, j'ai remis au ministre de la santé notre proposition de loi pour un pôle public du médicament. Nous ne sommes pas au bout des ruptures de stocks. J'ai été alertée des risques de pénurie d'un antibiotique courant qui frappe déjà les États-Unis. Quels moyens prendrez-vous à court, moyen et long termes contre ce phénomène ?
Pourquoi persister dans des politiques dont l'échec est patent ? Les membres du groupe CRCE, porteurs d'un autre modèle de société, voteront contre ce PLFSS pour 2023. (Marques de mécontentement des groupes Les Républicains et RDPI). Il n'y a que la vérité qui blesse ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, et du GEST)
M. Olivier Henno . - (Applaudissement sur quelques travées du groupe UC) Je veux souligner la forte portée symbolique de ce PLFSS. La qualité de nos débats honore la République. Les éloges sur nos travaux fleurissent. Entendez-vous les mêmes remarques ? « Vous travaillez bien au Sénat », « heureusement qu'il y a le Sénat »... Ces remarques ne sont pas le fruit du hasard.
Le PLFSS est l'occasion de souligner la place et la responsabilité du Sénat quand l'absence de majorité absolue et la puissance de groupes extrémistes et populistes fragilisent l'Assemblée nationale.
La majorité sénatoriale est à la hauteur de ses responsabilités et le groupe UC, avec son président Hervé Marseille, tient toute sa place.
Ceux qui ont emprunté la dialectique du nouveau monde sont les premiers à vanter nos mérites. Prenons ce bénéfice ! Non, les sénateurs ne se contentent pas de faire des relations publiques auprès des élus. Ils représentent les collectivités territoriales et les maires, hussards de la République. Plus que cela, ils font la loi et oeuvrent pour le bien commun. Inutile de regarder vers les États-Unis pour trouver des arguments en faveur du bicamérisme ! (Mme la présidente de la commission des affaires sociales approuve)
Notre commission des affaires sociales a réalisé un excellent travail.
Le Gouvernement accorde une place toute particulière à la prévention. Nous saluons les rendez-vous de prévention, qui ne sont qu'un point de départ. Nous soutenons aussi le virage domiciliaire, mais la charge de l'APA n'est plus soutenable pour les départements. Il faut réformer la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Je me félicite du vote de l'amendement qui accorde deux heures de temps social aux bénéficiaires de l'APA et limite la part des dépenses de l'APA à la charge des départements. Il n'est plus acceptable que l'État décide et que les collectivités territoriales se contentent de payer.
Sur le volet famille, le Gouvernement a revalorisé de moitié l'allocation de soutien familial (ASF) en faveur des parents isolés. C'est une des rares lueurs de ce PLFSS. Pour le reste, le transfert à la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) de la charge des indemnités journalières du congé postnatal maternité n'a aucune justification - mais démontre le manque d'ambition du Gouvernement en matière de politique familiale et le refus de revenir à l'universalité de la politique familiale. Or la politique familiale n'est pas une politique sociale !
Il convient de créer des places en crèche, pour assurer l'égalité hommes-femmes et accroître l'employabilité.
Les cotisations Argic-Arrco ne seront pas transférées à l'Urssaf : je m'en félicite. La défense du paritarisme est dans l'ADN du groupe UC.
Sur les retraites, l'amendement adopté montre notre volonté de préserver notre système par répartition.
Le système de santé est sur le point de craquer. Il souffre d'un manque de moyens, mais aussi d'un excès de bureaucratie. La fin du numerus clausus est décevante : nous ne formons que 13 % de médecins supplémentaires. À qui la faute ? À l'ordre des médecins, aux universités ? Le système est absurde. Les étudiants les plus brillants doivent aller se former en Roumanie ! Comment expliquer que nous soyons incapables de faire évoluer notre système de formation ?
Le groupe UC votera ce texte, même si l'urgence d'une grande loi sur la santé se fait sentir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jean Louis Masson . - Notre système de santé est très fragile. Ce PLFSS en est l'illustration. La responsabilité de la situation actuelle, dramatique, revient à tous les gouvernements depuis plus de vingt ans. L'exemple le plus flagrant est celui de la pénurie de médecins dans les déserts médicaux, parfois au coeur même des grandes villes. Tous nos concitoyens sont concernés.
Le Gouvernement ne peut tout rattraper en un jour. Mais il faudrait des mesures fortes, notamment en faveur du personnel hospitalier. La pénurie de professionnels de santé s'explique par le fait que, depuis des années, ils sont sous-payés et mal reconnus. Des choix financiers plus pertinents s'imposent. Déjà, quand j'étais député, je trouvais que les décisions étaient aberrantes : on prétendait réduire le déficit de la sécurité sociale en réduisant le nombre de médecins. Il a fallu des années pour réaliser que nous allions dans le mur. Nous y sommes.
Pour augmenter le nombre de médecins, nous attendons des mesures volontaristes : plus de places d'étudiants, des organismes de formation adaptés. Monsieur le ministre, vous auriez dû écouter nos propositions !
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Julien Bargeton applaudit également.) L'examen du PLFSS devrait faire l'objet d'une consultation programmée. Mais les amendements éruptifs, sans avis de la commission, l'ont transformée en consultation d'urgence. Or la prévention, voilà la clé.
Ce PLFSS est une compression pour contenir l'hémorragie. Nos amendements, des pansements sur une plaie béante. Nous avons besoin d'une loi de programmation ! On nous renvoie aux conclusions du Conseil national de la refondation (CNR), mais nous sommes échaudés... La thérapie est insuffisante.
Nous saluons les rendez-vous de prévention aux âges charnières, mais il en faudrait un de plus à l'entrée dans l'enseignement supérieur.
Nous attendons avec impatience une conférence nationale des générations et de l'autonomie. La présidente Deroche s'est engagée à mener une mission sur le handicap psychique.
Alors que les concertations sur les retraites ont commencé, nous ne pouvions adopter l'amendement de René-Paul Savary qui allonge la durée de cotisation. Faisons confiance aux partenaires sociaux.
J'émets un regret au sujet des infirmiers en pratique avancée (IPA), qui seront essentiels pour s'adapter à la médecine de demain et aux nouveaux transferts de tâches. D'ici dix ans, l'intelligence artificielle et la robotique auront bouleversé la médecine.
La quatrième année du troisième cycle de médecine doit rester une année de formation et non viser à affecter des médecins débutants dans les déserts médicaux. Je regrette que notre amendement favorisant un exercice mixte entre ville et hôpital n'ait pas été adopté.
Les futurs médecins doivent échapper au conventionnement sélectif punitif. Laissons les discussions conventionnelles proposer des solutions consensuelles pour repeupler les déserts médicaux, avec des temps dédiés aux zones sous-denses.
Les exonérations de cotisations retraite pour les médecins qui cumulent emploi et retraite ne peuvent être qu'une solution conjoncturelle. Idem pour la signature par les infirmiers des actes de décès. Le groupe RDSE a présenté plusieurs amendements sur ce point mais a subi une épidémie d'irrecevabilités au titre de l'article 40.
Nous sommes inquiets de la contamination financière du monde médical. Les cliniques deviennent des investissements dont on attend rentabilité avant tout. On incite à prescrire, ce qui est coûteux pour la sécurité sociale.
Les professionnels et les patients perdent leur liberté avec l'essor des complémentaires. Je rejoins Alain Milon : avec ces dernières, il n'y a pas de participation selon ses moyens ni de prestations selon ses besoins. Nous devons nous interroger sans tabou sur une sécurité sociale universelle, où les complémentaires deviendraient des supplémentaires.
Il faut aussi revoir la gouvernance des hôpitaux et l'omnipotence administrative qui y règne.
Enfin, je défends toujours l'évolution vers un équilibre entre les systèmes beveridgien et bismarckien de sécurité sociale. Les branches vieillesse et AT-MP doivent être financées par ceux qui travaillent, mais les autres branches pourraient être financées par la richesse nationale.
Malgré des avancées intéressantes, notre groupe se partagera entre abstention et vote contre le recul de l'âge de la retraite. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sonia de La Provôté applaudit également.) Vingt-six ans après le premier PLFSS, le contrôle démocratique des finances sociales et des 600 milliards d'euros qu'elles représentent est un chantier en cours. Le bilan de la loi organique du 14 mars dernier est bien mince. Nous avons obtenu pour la première fois le montant des dotations des agences sanitaires financées par l'assurance maladie - dont nous disposions déjà lorsque leur financement était assuré par le budget de l'État. Quelques heures avant le vote de l'article concerné, nous avons également obtenu le montant des sous-objectifs de l'Ondam, au million près... L'Ondam ne peut demeurer plus longtemps une telle boîte noire. C'est pourquoi nous l'avons rejeté, las de devoir quémander des chiffres qui nous sont dus.
Dès demain, madame, monsieur les ministres, travaillons ensemble, de façon opérationnelle, sur l'application de la loi organique, pour une meilleure information du Parlement.
Le financement de la sécurité sociale n'a pas gagné en clarté. Le calibrage de la branche AT-MP est, comme chaque année, contesté.
Mme Pascale Gruny. - Tout à fait !
Mme Catherine Deroche. - On comprend l'intérêt de ne pas creuser les déficits d'une branche quand d'autres sont en excédent, mais comment concevoir de faire porter à la branche famille 60 % du coût des congés maternité, quand les indemnités journalières restent versées par la branche maladie ? Cela confine à l'absurde. Le congé post-accouchement n'est pas un mode de garde mais relève de la santé.
Nombre de taxations diverses n'ont pas de rapport avec la sécurité sociale. Je suis pour leur transfert à l'État, afin de gagner en lisibilité. En effet, à force d'être illisible, le financement de la sécurité social pourrait devenir illégitime aux yeux de nos concitoyens.
La place des complémentaires doit être clarifiée.
Les déficits des branches maladie et retraite sont structurels. Ils sont dus au vieillissement de la population, tandis que les jeunes générations sont moins nombreuses. Nous sommes fiers de notre modèle solidaire de protection sociale, mais la démographie le met à l'épreuve.
Nous avons voulu apporter des réponses concrètes sur l'intérim, les biologistes ou encore les téléconsultations. J'espère que les apports du Sénat seront repris dans la version finale du texte.
L'amendement de M. Savary sur les retraites prépare l'avenir. Il y va de la confiance des plus jeunes dans notre pacte sociétal. La pérennité de notre modèle social suppose des adaptations.
Même si je n'élude pas le problème de l'emploi des seniors, la question des retraites est assez simple : c'est une affaire de paramètres. Il en va autrement pour la dépendance. Les conditions d'un accompagnement digne des personnes âgées ne sont pas en place. Il manque une phase intermédiaire entre le domicile et l'établissement. Notre commission a fait des propositions, ce sera l'objet de la conférence des générations et de l'autonomie que nous avons souhaitée.
Faute de stratégie claire, nous avons rejeté la trajectoire de l'annexe B, les paramètres étant trop peu connus.
Je salue les rapporteurs, qui ont travaillé dans des conditions dégradées, ce que je regrette.
Le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le PLFSS traduit l'équilibre financier de notre sécurité sociale. Nos orientations répondent aux besoins de nos concitoyens.
Je salue le travail des rapporteurs.
Alors que les tensions du secteur de la santé sont nombreuses, je remercie l'ensemble des soignants. Nous voulons une meilleure répartition de l'offre de soins dans les territoires et une meilleure prévention.
L'information des Français, la formation des professionnels, les dépistages évitent l'aggravation de nombreuses situations. Les trois rendez-vous de prévention aux différents âges de la vie sont bienvenus.
Il est également impératif de lutter contre les addictions dont nos jeunes sont victimes. Les tiers-lieux sont intéressants pour rapprocher les populations de nos politiques de santé.
Alors que plus de 200 000 personnes supplémentaires devraient devenir dépendantes entre 2020 et 2030, Daniel Chasseing a appelé à prévoir 50 000 emplois dans ce domaine. Les aidants sont précieux, il faut saluer leur engagement. Je me félicite de l'adoption de l'amendement instaurant un accueil de jour en Ehpad pour les personnes souffrant de troubles cognitifs.
L'ouverture de la prescription des vaccins à davantage de professionnels de santé est une bonne chose.
Je me félicite de la sécurisation de la vente en gros de médicaments. En octobre, j'avais déjà alerté sur les pénuries de médicaments. Il faut une restructuration du système.
Saluons également la gratuité pour toutes de la pilule du lendemain sans ordonnance et le dépistage des IST.
Deux sujets restent en suspens. À l'article 23, nous avons préféré la rédaction issue de la proposition de loi sénatoriale sur l'année supplémentaire d'internat de médecine. La rémunération sera prévue par voie réglementaire ; elle devra être suffisante. Cet article ne suffira toutefois pas à résorber les déserts médicaux. La formation devra être revue. En Seine-et-Marne, l'antenne de l'université Paris Est-Créteil à Melun est un exemple encourageant : les étudiants s'installent ensuite là où ils ont étudié.
La téléconsultation s'est ancrée dans nos habitudes. Elle est source d'innovations encourageantes mais tout ne peut pas se faire en télémédecine.
Enfin, sur la réforme des retraites, nous espérons des propositions d'ici les prochaines semaines. Si ce n'est pas le cas, notre groupe prendra ses responsabilités. L'avenir des Français en dépend.
Ce PLFSS marque des avancées importantes. Nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Julien Bargeton applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. - Très bien !
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Ce premier PLFSS du quinquennat aurait dû tracer une stratégie ambitieuse, tirant les enseignements de la crise sanitaire, pour une politique sociale et sanitaire à la hauteur des enjeux. Tel n'est pas le cas et nous déplorons cette impéritie.
En 2019, des milliers de chefs de service alertaient et menaçaient de démissionner. En 2022, la bronchiolite saisonnière conduit au déclenchement du plan Orsan (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles)... On en vient au tri des patients ! Pourtant, l'épidémie de 2022 est comparable à celle de 2012. Mais l'hôpital public continue son effondrement. Le scandale, c'est d'obliger les soignants à faire le tri.
Le Gouvernement refuse un Ondam à la hauteur mais débloque 400 millions d'euros pour passer l'hiver quand le scandale éclate... Quelle incohérence ! Seule une perspective pluriannuelle pourrait donner du sens à l'effort demandé au personnel hospitalier épuisé.
Madame et monsieur les ministres, vous gérez tout par les heures supplémentaires, alors qu'il faudrait embaucher et offrir des revalorisations pérennes. Vous ne faites qu'encourager les départs. Désormais, comme sur le changement climatique, l'action du Gouvernement fait l'objet de poursuites judiciaires.
La satisfaction du ministre des comptes publics est indécente ! Les dépenses publiques sont contraintes, face à des besoins toujours en progression. L'aveuglement du Gouvernement est dangereux.
Comme toujours, vous donnez la préférence au calcul comptable, plutôt que de relever les défis sanitaires et sociaux. Vous multipliez les exonérations de cotisations, de plus en plus souvent non compensées. D'après la commission des comptes de la sécurité sociale, les crédits affectés à la compensation sont, cette année, inférieurs de 4,3 milliards d'euros au coût des exonérations : c'est dix fois le montant que vous consentez pour la pédiatrie...
Je me félicite donc de l'adoption de l'amendement supprimant la non-compensation de l'exonération de la prime de partage de la valeur. Le Gouvernement osera-t-il revenir par 49.3 sur cette mesure votée par les deux chambres ?
Votre trajectoire financière dessine un horizon de pression sur les dépenses.
S'agissant des retraites, nous réaffirmons notre opposition à la mesure introduite par l'amendement de René-Paul Savary, avec toujours les mêmes points aveugles : pénibilité et éviction des seniors, trop âgés ou trop coûteux pour le capital - au moment de la retraite, 47 % sont au chômage à la suite d'un licenciement.
En ce qui concerne l'autonomie, les mesures prévues sont bien maigres. Un grand retard a été pris en matière de prévention de la dépendance, et le choc d'attractivité nécessaire dans ce secteur n'est pas au rendez-vous. Pourtant, il faudrait 93 000 personnels supplémentaires d'ici deux ans dans les Ehpad, et autant pour l'aide à domicile.
Alors que plus de 3 millions de personnes vivent dans un désert médical, le Gouvernement refuse toute mesure structurelle propre à desserrer la situation à court terme. La quatrième année d'internat ne saurait être au service de la régulation ; elle ne se justifie que pour la professionnalisation. La Drees et l'OMS ont montré qu'il faut favoriser la diversité sociale et géographique des étudiants et déconcentrer l'enseignement.
Nous approuvons l'encadrement de la téléconsultation, en regrettant l'effet de loupe sur les arrêts maladie. De même, nous saluons la suppression du transfert de charge de la branche maladie vers la branche famille.
En revanche, il est regrettable que le texte, obnubilé par les familles monoparentales, oublie les autres foyers modestes. N'oublions pas que la pauvreté touche un enfant sur cinq. Le congé parental doit être revalorisé, alors que quatre enfants sur dix ne bénéficient pas d'un mode d'accueil. Certes, le complément de libre choix du mode de garde (CMG) est prolongé jusqu'à 12 ans, mais ce texte manque l'occasion de relancer une politique en faveur des familles et des femmes ; ces dernières subissent déjà l'essentiel des carrières interrompues et des temps partiels.
Au total, ce PLFSS est un nouveau rendez-vous manqué. Il traduit votre manque de vision stratégique, au moment où l'hôpital est en crise profonde et la lutte contre la pauvreté marque le pas. Le GEST votera contre. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe CRCE ; MM. Jean-Pierre Sueur et Joël Bigot, ainsi que Mme Victoire Jasmin, applaudissent également.)
Scrutin public solennel
L'ensemble du PLSS est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°51 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 295 |
Pour l'adoption | 193 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées . - Je remercie la Haute Assemblée pour la qualité des débats. Je salue l'esprit constructif de la rapporteure générale et des rapporteurs. Nos échanges ont été francs et ouverts sur les nombreux sujets abordés dans ce texte, de l'enfance au grand âge.
Le texte était ambitieux dès le départ : 1,5 milliard d'euros pour la branche autonomie et autant pour la branche famille. Il a été enrichi à l'Assemblée nationale d'abord, au Sénat ensuite.
Nous avons eu des désaccords : certains amendements que vous avez adoptés n'avaient pas, selon nous, leur place dans ce texte ; d'autre part, je n'ai pas toujours réussi à vous convaincre du bien-fondé des amendements du Gouvernement.
Mais je retiens notre convergence de vues sur les grands enjeux : garantir à nos aînés des conditions de vie dignes ou adapter notre politique familiale au bénéfice des plus fragiles, les familles monoparentales.
La chambre des territoires a été particulièrement attentive aux questions de compétences et de financement des politiques décentralisées. Je me réjouis du vote de l'amendement du Gouvernement rehaussant le plafond du concours de la CNSA pour la revalorisation des aides à domicile. Il symbolise le dialogue de qualité que nous avons construit avec l'Assemblée des départements de France, dont je salue le président.
La situation financière des établissements du grand âge a retenu votre attention. Le décret sur le bouclier tarifaire, paru hier, intègre bien les Ehpad. Je remercie Mme Muller-Bronn, avec qui nous avons travaillé sur le sujet dès cet été.
Dans la branche famille, le Gouvernement a lancé de grands chantiers, à l'instar de la réforme, structurante, du CMG et de la création d'un service public de la petite enfance.
Je conclurai en saluant le travail de tous les professionnels du soin et du lien. Ce texte est aussi pour eux, qui finance le recrutement de 50 000 personnels supplémentaires dans les Ehpad dans les prochaines années.
Ce PLFSS n'épuise pas tous les sujets. Je serai heureux de poursuivre mes échanges avec les professionnels et avec vous-mêmes dans le cadre du volet « bien vieillir » du CNR. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Alain Cabanel et Alain Cazabonne applaudissent également.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - Je vous prie d'excuser l'absence de François Braun, retenu à l'Assemblée nationale pour les questions d'actualité.
Je vous remercie pour la richesse de nos échanges sur ce texte essentiel. Certes, nous ne sommes pas toujours tombés d'accord, mais nous avons débattu dans un esprit d'écoute et de responsabilité.
Le Gouvernement regrette, bien sûr, la suppression de l'Ondam pour 2023, supérieur de 53 milliards d'euros à celui de 2017 et qui prévoit 244 milliards d'euros pour les dépenses de santé.
Ce texte protège l'hôpital, auquel, pour la deuxième année consécutive, aucune économie n'est demandée. Il prend le virage de la prévention, avec les consultations aux âges clés et l'élargissement de la vaccination à de nouveaux professionnels. Il comporte des mesures concrètes pour lutter contre les déserts médiaux et favoriser le bien vieillir chez soi.
Le Sénat appelle à l'exigence sur la transparence dans les Ehpad et la lutte contre les fraudes. Nous avons pu diverger sur la méthode, mais le Gouvernement partage pleinement ces ambitions.
Ce PLFSS concrétise une ligne claire : plus de prévention, un accès renforcé aux soins et un système plus juste et plus éthique. Il constitue la première pierre de la rénovation que nous engageons, destinée à répondre à tous les besoins de santé de tous nos concitoyens.
M. le président. - Je remercie la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et l'ensemble des rapporteurs, Corinne Imbert, René-Paul Savary, Olivier Henno, Philippe Mouiller et Christian Klinger.
La séance, suspendue à 15 h 45, est reprise à 16 heures.