Droit fondamental à l'IVG et à la contraception
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
Mme Mélanie Vogel, autrice de la proposition de loi constitutionnelle . - (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDPI et des groupes SER et CRCE) Nous répondons aujourd'hui à une question simple et d'importance majeure. À l'heure où, partout dans le monde, les forces réactionnaires progressent, où les droits des femmes sont attaqués et où la France peut retrouver un rôle de pionnière et d'espérance, préférons-nous qu'un droit fondamental soit garanti par la norme suprême, la Constitution, ou une loi ordinaire, qui peut être défaite par une autre loi ?
Souhaitons-nous répondre à la volonté de 81 % des Français ? Souhaitons-nous dire à toutes les femmes de ce pays que l'honneur de la France est son attachement à l'égalité et l'idée que la maîtrise de sa fécondité est une affaire de liberté et de citoyenneté ?
Songeons à toutes celles qui se battent sur ces questions contre le fascisme, le totalitarisme religieux des mollahs iraniens, des évangélistes texans et des intégristes bien français, ou encore en Pologne, en Hongrie, à Malte ?
Dans cette période sombre, il existe un chemin de progrès, et nous devons inviter les autres nations à nous y rejoindre.
Le droit à l'avortement est un acquis féministe ; comme tous les acquis féministes, il n'est jamais hors de danger. C'est un acquis profondément républicain, répondant à la promesse d'égalité des droits.
Ce droit, nous le chérissons toutes et tous. Pourquoi refuser de le consacrer dans la Constitution ? C'est un profond mystère.
Je remercie Mme la rapporteure, mais je voudrais revenir sur les arguments avancés pour refuser cette loi.
D'abord, l'argument d'inutilité. C'est comme si, dans une voiture, on refusait de mettre sa ceinture, sous prétexte qu'on n'est pas en train d'avoir un accident. (Mme Laurence Rossignol approuve.)
M. Loïc Hervé. - Caricature !
M. Roger Karoutchi. - Si c'est tout ce que vous trouvez...
Mme Mélanie Vogel. - On sait très bien que le jour où, en France, il y aura une majorité d'élus prêts à remettre en cause ce droit, cette protection constitutionnelle sera utile.
Deuxième argument : il y a des risques plus grands. On ne mettrait pas sa ceinture de sécurité sous prétexte qu'il pourrait y avoir un tsunami ? Pourquoi se lever le matin, car, tous les jours, des personnes violent la loi et des parlementaires modifient la loi ?
Troisième argument : ce droit est déjà protégé. Il ne faudrait pas mettre la ceinture de sécurité, car je l'ai déjà... C'est faux : la jurisprudence constitutionnelle n'a jamais pu dégager une protection positive de ce droit, mais seulement constater que les lois encadrant le droit à l'IVG ne violaient pas la Constitution.
Si, demain, une loi régressive réduit les délais légaux, dérembourse, ajoute des conditions pour accéder à l'avortement ou impose une ordonnance pour la pilule du lendemain, le Conseil constitutionnel n'aura aucun fondement pour la déclarer inconstitutionnelle. C'est ce que nous voulons corriger.
Autre argument : il y a des dangers plus grands, notamment l'accès au droit. Mais on n'a pas accès à un droit qui n'existerait plus...
La Constitution ne devrait pas, selon certains, être un catalogue. À quoi cela sert-il, dans ce cas, d'avoir écrit le préambule de 1946 ou inscrit dans la Constitution l'interdiction de la peine de mort ?
Dernier argument, mon préféré : il ne faut pas importer des débats des États-Unis. En Italie, une proposition de loi vient d'être proposée pour interdire le droit à l'avortement - par la droite, pas l'extrême droite. En France, nous serions nationalement immunisés ?
On invoque les États-Unis pour agiter la menace d'un concept indéfinissable dont personne ne se réclame en France et qui serait prétendument dangereux, mais quand il s'agit de défendre un droit fondamental avec un risque bien réel, c'est mal.
La France a en son coeur des femmes qui, depuis des siècles, se battent pour conquérir leurs droits. Voyez Laurence Rossignol, Éliane Assassi, Laurence Cohen, qui portent ce combat depuis longtemps, ou bien Daphné Ract-Madoux, Xavier lacovelli, Maryse Carrère, Joël Guerriau... Ils ne sont pas importés et posent un débat bien français !
S'il devait y avoir une spécificité française, ce ne serait pas d'être prétendument le seul pays protégé des reculs, mais de devenir le premier pays au monde à agir en amont et à constitutionnaliser ce droit.
Co-présidente du parti vert européen, je vis avec une femme qui lutte depuis toujours en Allemagne pour que l'avortement soit retiré du code pénal.
La France pourrait être le premier pays au monde à agir en amont, avant qu'il ne soit trop tard. Vous mesurez très mal l'importance pour l'Europe du vote d'aujourd'hui. Les femmes du monde entier ne peuvent être méprisées par le pays des droits universels.
Ces dernières semaines, j'ai passé mes jours et mes nuits à rechercher des arguments pour vous convaincre, mais je me suis dit qu'il vous revenait de convaincre nos concitoyens de défendre ce droit fondamental. Vous avez la majorité. Une victoire serait la vôtre, un échec aussi.
À tous ceux qui nous écoutent, ne lâchez rien ! C'est vous qui, depuis toujours et par votre mobilisation, écrivez l'histoire, en particulier celle du combat pour le droit des femmes ! (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER, CRCE, du RDPI et du RDSE)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois . - Le droit à l'IVG et à la contraception fait partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental. Ces acquis ont été obtenus grâce à Simone Veil et Lucien Neuwirth.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Grâce à la gauche !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Le Sénat s'est toujours attaché à renforcer les libertés de la femme, à sept reprises depuis la loi du 17 janvier 1975. Récemment, il a allongé le délai de contraception à quatorze semaines.
Mme Laurence Rossignol. - Cent jours !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'accès à la contraception a été étendu depuis la loi du 28 décembre 1967. La contraception est gratuite pour les mineurs et, depuis cette année, pour les moins de 26 ans. À partir de 2023, la contraception d'urgence sera gratuite pour toutes les femmes. Actuellement, personne dans cette assemblée ne veut revenir sur ces avancées.
Cette proposition de loi, cosignée par 118 sénateurs, a été déposée en réaction à la décision Dobbs vs Jackson de la Cour suprême américaine.
Cette proposition de loi constitutionnelle tend à inscrire au titre VIII de la Constitution un article 66-2 ainsi rédigé : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits. »
Selon ses auteurs, cela garantirait « un accès libre et inconditionnel à l'IVG ainsi qu'à la contraception et à prévenir contre toute régression ». Malgré une émotion compréhensible, il n'y a pas lieu d'importer en France un débat venu des États-Unis.
M. Hussein Bourgi. - Cela fait dix ans qu'on a ce débat en France !
M. Patrick Kanner. - Et la Hongrie, c'est en Amérique du Nord ?
M. David Assouline. - Et le Brésil ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dites que vous êtes contre l'IVG, cela ira plus vite !
M. Loïc Hervé. - Trêve de caricatures !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La question centrale, en France, reste l'effectivité de ces droits. Seules des mesures concrètes permettront le plein accès à ces droits, mais elles relèvent du domaine réglementaire. L'inscription dans la Constitution n'est pas adaptée.
Au reste, une protection constitutionnelle solide et durable existe déjà. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises en faveur de ce droit. L'IVG est une composante de la liberté de la femme découlant de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel a toujours considéré, grâce au doyen Favoreu théorisant « l'effet artichaut », qu'on ne peut toucher au coeur des droits et libertés reconnus. En 2018, les ministres Agnès Buzyn et Nicole Belloubet avaient renoncé à cette inscription dans la Constitution en raison de la protection constitutionnelle existante.
Quatre ans plus tard, les risques sont toujours supérieurs à la portée symbolique recherchée. L'inscription de l'IVG dénaturerait l'esprit de la Constitution et ouvrirait la boîte de Pandore. En faire un catalogue de droits porte atteinte au rôle protecteur de la norme suprême et minorerait la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. (M. Loïc Hervé approuve.)
En 2008, Simone Veil recommandait elle-même de ne pas modifier le préambule et ne pas y intégrer des droits et libertés liés à la bioéthique qui intégraient l'IVG.
Seules quatre raisons justifient une modification de la Constitution : introduire un droit nouveau ; déroger à un principe que la Constitution impose ; ratifier un engagement international ; revenir sur une interprétation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel. Aucune de ces raisons n'est ici valable.
Il n'existe aucun consensus sur la manière de constitutionnaliser le droit à l'IVG et la contraception.
Six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat en réaction à l'actualité américaine. Elles sont toutes différentes. L'emplacement ici envisagé, au sein du titre consacré à l'Autorité judiciaire, juste après l'abolition de la peine de mort, pourrait entraîner une interférence du juge dans l'exercice de ce droit.
Les propositions de rattachement aux articles premier ou 34 ne font pas plus consensus.
De plus, cette protection serait inconditionnelle, alors que le législateur doit pouvoir en fixer les conditions comme pour toutes les libertés publiques.
Enfin, l'initiative d'un référendum risquerait de réveiller les opposants. L'enfer est pavé de mauvaises intentions ! C'est pourquoi la commission des lois a donné un avis défavorable à cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La droite de cette commission !
M. Loïc Hervé. - Il y a eu un vote !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - L'histoire fourmille d'exemples de libertés et droits fondamentaux conquis au prix du sang, des larmes, que tous croyaient définitivement acquis et qui, dans la stupeur ou l'indifférence, ont été balayés comme des fétus de paille.
C'est d'ailleurs l'histoire de la femme qui nous offre les plus cruels exemples, car, oui, les droits qui disparaissent en premier sont souvent ceux des femmes. L'exemple des États-Unis, grande démocratie, est édifiant : on croyait ce droit garanti depuis plus de cinquante ans, les États peuvent désormais l'abolir.
Cet exemple rend criants de vérité les mots de Simone de Beauvoir : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Nous avons la preuve que plus aucune démocratie n'est à l'abri. Les auteurs de la proposition de loi, Mélanie Vogel en tête, proposent donc de constitutionnaliser le droit à l'IVG et à la contraception. Je les en remercie.
Le 13 juillet dernier, en accord avec la Première ministre, j'avais déclaré mon soutien à toute initiative parlementaire visant cette constitutionnalisation. Nous voici donc au rendez-vous, avec ma collègue Isabelle Rome. (Applaudissements à gauche)
J'entends que ce droit ne serait pas menacé dans notre pays comme aux États-Unis. Mais qui aurait pu deviner que le wokisme serait transposé dans notre pays ?
Oui, le Conseil constitutionnel n'est pas la Cour suprême des États-Unis ; oui, ses juges respectent l'usage républicain et l'esprit de nos institutions en refusant d'aller sur le terrain du législateur ; oui, le droit à l'IVG a été conforté et protégé, y compris récemment par le passage du délai légal à quatorze semaines.
Pourtant, en ces temps troublés, je crois qu'il est légitime de défendre les droits des femmes contre des projets politiques qui le menacent.
D'abord, cela aurait la force du symbole. Quel beau symbole pour la France, pays des droits de l'homme (M. Stéphane Ravier ironise), que d'élever au plus haut niveau de la hiérarchie des normes le droit de la femme à disposer de son propre corps ! Quel plus beau message pour la moitié de la population française ?
Au-delà du symbole, il y aurait des conséquences concrètes. Le Conseil constitutionnel a rattaché le droit à l'IVG à « la liberté de la femme qui découle de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Inscrit dans la Constitution, il deviendrait une liberté fondamentale et non plus seulement une liberté-autonomie, comme disent les juristes.
Surtout, changer la Constitution est beaucoup plus difficile que changer la loi. Ce droit ne pourrait plus être remis en cause que par le constituant. Il faudrait que les deux chambres y consentent, et que le Congrès ou la majorité de nos concitoyens le veuillent.
Du fond de mes tripes, je veux vous montrer combien « la course des choses », comme disait Alain, exige que nous inscrivions le droit à l'IVG dans la Constitution.
Le 26 novembre 1974, en défendant son projet de loi devant l'Assemblée nationale, Simone Veil se plaçait sous le signe de l'espérance, disant ne pas être de ceux ou celles qui redoutent l'avenir. C'est simple : elle croyait que sa loi permettrait à la société française de progresser. L'avenir lui a heureusement donné raison.
J'aimerais tant vous dire que, moi non plus, je ne redoute pas l'avenir. J'aimerais tant être de ceux qui, tranquilles, avancent insouciants sur le chemin de la vie, croyant que ce qui est acquis l'est pour toujours. J'aimerais tant être de ceux qui balaient d'un revers de main les exemples étrangers.
Mais qui peut dire que ce qui s'est passé aux États-Unis ne pourrait pas se produire en France ?
Qu'est-ce qui a produit cette situation ? L'élection d'un président populiste et une majorité au Sénat permettant à ce président de nommer quatre juges de la Cour suprême.
M. Loïc Hervé. - Cela peut être ainsi, demain, au Conseil constitutionnel !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je ne crois pas que notre modèle institutionnel laisse cette possibilité à un président, fût-il populiste.
M. Philippe Bas. - Justement...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Mais, en France, l'élection d'un président ou d'une présidente, avec une majorité, pourrait revenir sur ce droit. C'est pour des raisons opposées à celles de Simone Veil que je redoute l'avenir.
Je veux mettre le droit à l'IVG au sommet de la hiérarchie des normes, là où il ne sera pas possible de l'en retirer sans l'accord du Sénat, dont je sais qu'il sera comme toujours le garant de nos droits fondamentaux. Sans flagornerie, je veux qu'il soit assuré d'avoir le dernier mot si d'aventure, une présidente ou un président souhaitait l'abroger.
On souligne souvent le courage que le président Mitterrand a eu d'abolir la peine de mort alors que les Français y étaient majoritairement favorables. Mais on oublie souvent que le Sénat aussi a été courageux, en adoptant conforme la loi Badinter douze jours après l'Assemblée nationale.
Cette proposition de loi n'est pas un effet de communication, ni un mouvement de panique. C'est une sécurité pour toutes les femmes de ce pays. Faites en sorte que personne ne puisse abolir ce droit sans que vous soyez consultés. Les remous ne sont jamais loin dans le frêle esquif de la démocratie.
Comme avocat, comme citoyen, j'ai toujours voulu faire en sorte que la démocratie, l'État de droit et les libertés fondamentales soient des joyaux communs pour lesquels nous devions nous battre sans relâche.
Comme garde des sceaux, il est de mon devoir de les préserver. Ne prenons pas de risques. Protégeons autant que notre droit le permet le droit à l'IVG.
Ce n'est pas une entreprise aisée : on ne doit toucher à la Constitution que d'une main tremblante. C'est pourquoi l'emplacement et la rédaction de ce droit doivent être déterminés avec attention. Nous pourrions sinon créer un droit à l'IVG sans conditions, même hors de tout délai. (M. Loïc Hervé le confirme.) Ce n'est pas souhaitable. Une écriture mal pesée, trop rigide, empêcherait des adaptations qui pourraient s'avérer nécessaires : voyez la loi adoptée en mars.
Il nous faudra, ici et à l'Assemblée nationale, être vigilants aux effets de bord. Il nous faudra aussi prêter attention à la cohérence avec les autres dispositions constitutionnelles.
Mais ma crainte, c'est que ce débat n'ait pas lieu. J'ai pris acte de la décision de la commission des lois du Sénat ; permettez-moi, avec la liberté qui est la mienne, de la regretter.
Non pas tant au regard de la rédaction de la proposition de loi, car je partage certaines critiques de Mme la rapporteure. Mais parce que vous refusez par principe, purement et simplement, toute initiative. Or, sans l'aval du Sénat, le verrou sacré de notre Constitution ne peut être levé.
J'espère donc que l'hémicycle dira : il faut entendre les pour et les contre, apaisons les craintes, travaillons ensemble pour trouver la meilleure rédaction possible. Ne manquons pas cette occasion, alors que les planètes s'alignent.
Si le Sénat est prêt à avancer avec prudence et sans idéologie, le Gouvernement répondra présent. Oui, le Gouvernement est favorable à la constitutionnalisation du droit à l'IVG et soutiendra chacune des initiatives parlementaires, en particulier celle d'Aurore Bergé et Marie-Pierre Rixain, pour atteindre la meilleure rédaction possible.
Il ne s'agit pas de livrer tel parlementaire à la vindicte des réseaux sociaux, comme cela a pu être le cas lors de la proposition de loi de la présidente Annick Billon. J'ai confiance dans son engagement et je connais le vôtre, madame la rapporteure Canayer.
Avançons ensemble sur le chemin du compromis, comme nous l'avons fait tant de fois, sans démagogie, pour renforcer à nouveau les droits de l'homme qui sont cet après-midi ceux de la femme. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances . - Merci, monsieur le garde des sceaux, pour vos propos puissants.
C'est le premier texte sur lequel il me revient de m'exprimer. Je suis fière qu'il concerne le droit à l'IVG, droit conquis de haute lutte, grâce à l'opiniâtreté et à la force de Simone Veil. Il faut le préserver, le protéger contre les vents mauvais ou les courants réactionnaires. Il est indispensable à une République égalitaire et solidaire.
Comme le garde des sceaux l'a rappelé, il est beaucoup plus difficile de changer la Constitution que de changer la loi, qu'une autre majorité peut défaire en quelques mois.
Madame la rapporteure, nous ne sommes à l'abri de rien. Quelle Américaine aurait pu deviner il y a seulement deux ou trois ans que la protection du droit s'effondrerait, et que celui-ci serait désormais soumis aux aléas politiques des États ?
Comment imaginer que des membres de l'Union européenne n'autorisent des femmes à avorter qu'en cas de viol ou de grave danger ou qu'en les contraignant à écouter le coeur du foetus avant de décider ?
Depuis 2017, le Gouvernement n'a cessé de renforcer la contraception et l'IVG, en donnant un accès gratuit à la contraception jusqu'à 25 ans, en allongeant le délai de l'IVG, en assurant le tiers payant, en soutenant le planning familial dont le tchat sera financé. François Braun et moi poursuivons ce combat. Nous le poursuivrons l'année prochaine en rendant la pilule du lendemain gratuite sans ordonnance pour toutes les femmes.
Je remercie la sénatrice Vogel pour sa proposition soutenue aussi par la majorité de l'Assemblée nationale. Je remercie aussi l'ensemble des parlementaires engagés, et particulièrement les membres de la délégation aux droits des femmes, présidée par Annick Billon.
La France mène aussi ce combat hors de ses frontières : le 19 janvier, le Président de la République a affirmé sa volonté d'inscrire le droit à l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
C'est également dans ce sillon que s'inscrit notre diplomatie féministe, dont le Forum génération égalité organisé à Paris en juillet 2021. La contribution de la France aux droits sexuels et reproductifs dans le monde s'élève à 400 millions d'euros sur cinq ans.
Détricoter, écorner ou nier ces droits est une violence fondée sur le genre. Ce sont des droits humains, fondamentaux, inaliénables, et non des droits à moitié.
Aucune femme, aucune de nos filles ne doit vivre en France dans la crainte d'être jugée, comme Marie-Claire l'a été en 1973 par le tribunal de Bobigny - brillamment défendue par Gisèle Halimi - pour avoir eu recours à l'IVG.
C'est pourquoi, comme l'a dit la Première ministre, le Gouvernement est favorable à cette constitutionnalisation, n'en déplaise à l'extrême droite, qui ne sera jamais l'alliée des droits des femmes.
L'exemple américain est un avertissement. S'attaquer à l'avortement, au pays d'Elizabeth Cady Stanton, c'est s'attaquer à la liberté. Le Gouvernement sera toujours du côté de la liberté. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Question préalable
Mme le président. - Motion n°1, présentée par M. Ravier.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat s'oppose à l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 872, 2021-2022).
M. Stéphane Ravier . - L'immigration jusqu'au remplacement (Indignation à gauche), l'islamisme jusque dans nos écoles, l'insécurité jusqu'à la barbarie, la fiscalité jusqu'au racket, la précarité jusqu'à la pauvreté de masse : les sujets graves ne manquent pas dans notre pays.
Mais nous perdons un temps précieux pour débattre d'une problématique importée des États-Unis, sans aucun rapport avec notre contexte. (Marques d'agacement et d'hostilité sur plusieurs bancs à gauche) Vous êtes hors sujet, et, même, il n'y a pas de sujet !
C'est pourquoi je vous propose de l'enterrer tout de suite. C'est un texte dangereux et inutile, comme l'a expliqué dans Le Figaro l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl.
Vous avez voté le prolongement du droit à l'IVG à quatorze semaines. Ces attaques contre la vie ne vous suffisent donc pas ? Les menaces n'existent pas dans un pays où le délit d'entrave est puni de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour quiconque tenterait un avis contraire...
En 2021, il y a eu 223 000 avortements, aggravant l'hiver démographique français... Cela ne vous suffit toujours pas ? L'avortement est banalisé, alors que la loi Veil le prévoyait en cas d'urgence.
Je vous rappelle cet amendement sur l'avortement à neuf mois en invoquant une détresse psychosociale - ignoble infanticide ! (L'indignation redouble à gauche.)
Mme Laurence Rossignol. - Menteur !
M. Stéphane Ravier. - Il est là, notre devoir juridique. Ce texte encombre l'article 8 de la Constitution, consacré au pouvoir judiciaire. La Constitution régit l'organisation des pouvoirs publics, elle n'est pas une charte de droits. Vous voulez empêcher des lois régressives ? Elles ne le sont pas, les infâmes lois de bioéthique que vous avez votées ? Et le pire est devant nous...
Cette proposition de loi nous donne à voir un front commun : elle clarifie les positions.
Mme le président. - Merci, cher collègue.
M. Stéphane Ravier. - Vous êtes bien à cheval sur le temps de parole, aujourd'hui...
Mme le président. - Je le suis toujours.
Mme Mélanie Vogel. - J'aurais presque envie de vous remercier : vous démontrez pourquoi nous avons besoin de faire ce que nous faisons. (Applaudissements à gauche ; M. Xavier Iacovelli et Mme Daphné Ract-Madoux applaudissent également.)
Il n'y a pas de différence entre l'extrême droite américaine et la française : elles détestent les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs, tous les acquis de la République acquis de haute lutte.
On nous dit qu'aucun politique ne reviendrait sur l'avortement. Eh bien, la force politique qui a récolté 42 % des voix à l'élection présidentielle vient de vous prouver le contraire.
Il y a ceux qui sont en faveur des droits et libertés fondamentales - y compris ceux des femmes - et ceux qui s'y opposent. (M. Loïc Hervé proteste ; marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains)
Voulez-vous tenir l'extrême droite à distance ? Prenez la mesure du moment historique. Les fascistes nous menacent. Personne ne sait quelle sera la prochaine majorité à l'Assemblée nationale. Prouvons notre attachement à l'IVG ! (Applaudissements à gauche ; M. Xavier Iacovelli et Mme Daphné Ract-Madoux applaudissent également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La commission des lois n'a pu se réunir pour examiner la motion, mais j'émets un avis défavorable. Le débat démocratique doit avoir lieu, dans le calme et la sérénité. C'est ce qui fait la force du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Stéphane Artano applaudit également.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous pensions avoir exposé tous les arguments, et voici que le sénateur Ravier nous chamboule. Voyez-vous, l'imaginaire est bien souvent le dernier refuge de la liberté. Vous nous donnez une formidable raison de soutenir ce texte !
M. Stéphane Ravier. - C'est vous qui êtes dans l'imaginaire et le fantasme !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Imaginons qu'un jour, à Dieu ne plaise, vous soyez au pouvoir : l'avortement serait sérieusement menacé dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes SER et CRCE, ainsi que sur certaines travées du groupe UC ; Mme Elsa Schalck applaudit également.) Les droits de l'homme et de la femme ne sont jamais hors sujet.
Le sénateur Ravier n'est plus mariniste, il est désormais zemmourien...
M. Stéphane Ravier. - Zemmour ou rien ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il est parti encore plus à droite...
Les mots que vous avez utilisés à la tribune, je n'aurais jamais osé les prononcer. Merci d'être là, vraiment ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. Xavier Iacovelli. - La France ne vit pas en vase clos. Les débats de société traversent les frontières. Nous ne sommes pas sourds aux atteintes aux droits des femmes Outre-Atlantique, mais aussi en Italie, où Giorgia Meloni souhaite des « alternatives » à l'avortement et propose une allocation pour celles qui y renoncent...
M. Stéphane Ravier. - Une allocation pour aider les femmes ! Quelle horreur ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
M. Xavier Iacovelli. - En Hongrie aussi, vos amis durcissent la réglementation : on y demande aux femmes qui souhaitent avorter d'écouter battre le coeur du foetus ! (Mme Éliane Assassi manifeste avec véhémence son indignation, tandis que M. Stéphane Ravier se récrie.)
Soutenons-nous le droit à l'IVG, cette grande loi de progrès ? Sommes-nous attachés à ce que la France reste le phare des droits des femmes ? (M. Stéphane Ravier ironise.) Souhaitons-nous pousser le Gouvernement à faire en sorte que ce droit soit effectif dans l'ensemble de nos territoires, notamment ruraux ?
Mme le président. - Merci, cher collègue.
M. Xavier Iacovelli. - J'ai été interrompu !
Mme le président. - Je fais respecter le temps de parole. (« Bravo ! » sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas. - Le Sénat de la République est-il encore capable de discuter sereinement d'un sujet essentiel pour l'avenir notre société, de laisser un instant de côté les passions et faire oeuvre utile pour notre pays ?
Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué Simone Veil, dont j'ai été l'un des plus proches collaborateurs. Je ne parlerai pas en son nom, mais le vrai combat, c'est elle qui l'a mené (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.) Le vrai courage, c'est elle qui l'a eu. Ne modifions pas les équilibres qu'elle a trouvés, et qui valent encore aujourd'hui.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Philippe Bas. - Monsieur le garde des sceaux, je ne comprends pas votre position.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais si !
M. Philippe Bas. - Vous parlez d'un « beau symbole ». Soit, mais en légiférant, nous cherchons d'abord à être utiles à notre pays.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est le cas.
M. Philippe Bas. - Vous admettez d'ailleurs que ce texte doit être amélioré car il n'apporte pas toutes les garanties. Le Gouvernement n'ayant pas déposé de projet de loi, il nous faudrait en tout état de cause passer par un référendum. Est-ce là ce que vous souhaitez ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Loïc Hervé. - Le groupe UC ne votera pas cette motion, car le débat a eu lieu sereinement en commission, où Mme Vogel a été invitée à présenter son texte. (M. David Assouline ironise.) Chacun exposera son opinion au cours de la discussion générale. J'y exposerai la position majoritaire du groupe centriste, dans le respect des votes différents de certains de nos membres.
Nous souhaitons que ce débat ait lieu et que le calme revienne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°7 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l'adoption | 1 |
Contre | 344 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Rires et applaudissements sur les travées du RDPI)
Discussion générale (Suite)
M. Stéphane Artano . - « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que le droit des femmes soit remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. ». Cet avertissement de Simone de Beauvoir reste d'actualité. Les avortements clandestins provoquent la mort d'une femme toutes les neuf minutes dans le monde. Le droit à l'avortement est l'une des premières cibles des conservateurs excessifs.
J'entends les arguments de la rapporteure ; oui, une nouvelle révision pourrait toujours revenir sur celle-ci ; l'inflation des droits constitutionnels n'est pas plus souhaitable que l'inflation législative ; trop large, le bloc de constitutionnalité perdrait en efficacité.
Du point de vue du droit, tout cela se tient - d'autant que les remises en cause du droit à l'IVG sont extrêmement minoritaires en France.
Pour autant j'ai cosigné ce texte, pour dire que la France ne cède pas à l'obscurantisme ni au populisme mais montre l'exemple, que le droit à l'IVG et à la contraception n'est pas sujet à interprétation.
D'aucuns disent que nous ne sommes pas à l'abri d'un revirement de jurisprudence, car l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne se réfère ni à l'IVG ni à la contraception : ce qui est arrivé aux États-Unis pourrait arriver chez nous.
Sanctuarisons donc ce droit, protégeons-le de toute volonté politique. Poursuivons nos efforts, aussi, pour qu'il soit effectif et s'inscrive dans les moeurs. Empêchons toute restriction de personnel dans les centres pratiquant l'avortement. Dans sa grande majorité, le RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et du groupe SER)
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'instar de la quasi-totalité de mon groupe, je ne voterai pas ce texte. Je ne le voterai pas car c'est de la mauvaise législation. Nous sommes des législateurs, non des militants ; nous ne décernons pas des brevets de morale, nous faisons la loi. (Protestations sur les travées du GEST)
Mme Émilienne Poumirol. - Et alors ?
Mme Muriel Jourda. - C'est un texte de réaction à une décision de la Cour suprême des États-Unis renvoyant aux États fédérés le soin de légiférer sur l'IVG. Pas moins de six propositions de loi ont été déposées depuis, preuve qu'il s'agit bien d'une réaction. Or la réaction précède souvent la réflexion, et nous fait aborder la question par la fenêtre étroite de l'émotion.
Deuxième défaut, ce texte met à mal notre ordonnancement juridique. Oui, le droit est un outil, mais en France notre boîte à outils est assez garnie... Pour être opérationnelle, elle doit être bien rangée !
Le Conseil constitutionnel affirme, dans une jurisprudence constante, que le droit à l'IVG est une déclinaison des droits fondamentaux. Mais si nous inscrivons dans la Constitution toutes les déclinaisons de tous les droits fondamentaux, nous la rendrons illisible ! (Protestations sur les travées du GEST)
Enfin, le garde des sceaux a dit lui-même que ce texte est un symbole.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ce n'est pas uniquement un symbole.
Mme Muriel Jourda. - Mais la Constitution n'est pas un symbole. Nous sommes tous touchés par les conséquences de la décision américaine, mais n'utilisons pas notre Constitution comme un message aux femmes du monde entier.
L'effet escompté de ce texte est de protéger la liberté des femmes de recourir à l'IVG. Mais la Constitution n'est pas un coffre-fort : depuis 1958, elle a été modifiée vingt-quatre fois !
Surtout, de quoi faut-il protéger la liberté des femmes ? Quels dangers la menacent aujourd'hui ? Quel parti politique, lors des dernières élections, a défendu dans son programme l'abrogation de l'IVG ? Aucun. (On le conteste sur les travées du GEST.)
Mme Émilienne Poumirol. - On l'attaque ici même ! (M. Stéphane Ravier s'exclame.)
Mme Muriel Jourda. - Ceux qui sont opposés à l'IVG le gardent en leur for intérieur. Mais attention : si un tel texte devait être soumis à référendum, non seulement le résultat serait aléatoire, mais la tenue même d'un référendum conduirait à ce que ces oppositions, jusqu'ici tues, soient mises sur la place publique.
Pour se protéger d'une menace inexistante, vous allez remettre en débat une liberté acquise depuis des décennies. (Protestations à gauche) Si vous voulez protéger le droit des femmes, ne votez pas ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Stéphane Ravier applaudit également ; exclamations à gauche.)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Avant janvier 1975, l'avortement était un délit pénal passible de cinq ans de prison, les médecins pouvaient être frappés d'interdiction d'exercer, les femmes devaient aller à l'étranger ou avorter clandestinement.
On se souvient du manifeste des 343, de l'acquittement de Marie-Claire, moins de la première tentative de légalisation en 1973 portée par Michel Poniatowski. Dans un contexte de rare violence, Simone Veil, soutenue par le président Giscard d'Estaing, défendit son texte avec acharnement, rappelant qu'aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. Même pesé et assumé, il demeure un drame dans la vie d'une femme.
Depuis, la loi a été améliorée : suppression de la notion de détresse, allongement du délai, remboursement intégral...
La France n'est pas, actuellement, menacée d'un retour en arrière. Aucune voix crédible ne le demande.
Certains des membres de mon groupe ne voient pas la justification juridique de ce texte déclaratif, symbolique, qui ne fera pas avancer l'accès à l'IVG. C'est pourquoi ils s'abstiendront ou voteront contre.
Au sein même de l'Union européenne, en Pologne, l'avortement n'est plus autorisé qu'en cas de viol ou d'inceste. Aux États-Unis, les États fédérés peuvent interdire l'avortement, et une dizaine l'a fait. En Italie, Giorgia Meloni promeut des alternatives. Preuve que ce droit n'est pas acquis.
Madame Vogel, votre vision de la société n'est pas la mienne, vos propos sont un peu excessifs et culpabilisants à mon goût. Néanmoins, je voterai votre texte (applaudissements sur quelques travées du GEST) car il sera plus difficile de s'attaquer à une liberté inscrite dans le marbre de la Constitution. (On le confirme à gauche.)
Mais il ne manque pas de saveur de voir ceux qui aspirent à une VIe République s'appuyer aujourd'hui avec ferveur sur la Constitution du Général de Gaulle... (M. Thierry Cozic s'amuse ; applaudissements sur les travées du GEST, du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Guillaume Gontard . - En première année de droit, on apprend qu'une constitution est d'abord un traité d'organisation des pouvoirs publics, ensuite un système de subordination des normes, enfin un corpus de droits et de valeurs.
Quand j'entends qu'inscrire le droit fondamental à l'IVG dans ce texte n'aurait pas ou peu d'effet, je suis stupéfait, encore plus après les propos abjects du sénateur Ravier.
M. Stéphane Ravier. - Décidément !
M. Guillaume Gontard. - La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne protège pas positivement le droit à l'IVG. Le marbre de la Constitution, plus dur que le calcaire de la loi, offre une vraie protection.
Il est un truisme que nous devons pourtant répéter : il est plus complexe de modifier la Constitution que la loi, dans un régime où l'exécutif tient le Parlement dans sa main. En Italie, la coalition des fascistes et de la droite n'est pas en mesure de changer la Constitution ; c'est un soulagement. Nos voisins nous rappellent d'ailleurs que si l'IVG n'est pas menacée, il faut la protéger avant qu'il ne soit trop tard.
Comment inscrire ce droit dans la Constitution ? Le débat est légitime. Nombre de droits et valeurs sont énumérés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dans le préambule de 1946, mais l'égalité, la laïcité, la souveraineté nationale, l'abolition de la peine de mort sont dans le texte de la Constitution. Où y placer le droit à l'IVG ? Faut-il écrire une nouvelle charte des droits des femmes ? Renforcer l'article premier, qui assure déjà la parité ? Créer un article 66-2 pour interdire l'entrave à l'IVG ? C'est un débat légitime, mais pas celui du jour.
Nous souhaitons aujourd'hui envoyer un message politique au Gouvernement, lui dire qu'il trouvera au Sénat une majorité pour faire adopter un projet de loi inscrivant le droit à l'IVG dans notre Constitution. Libre à vous de convoquer une commission spéciale ou une convention citoyenne.
Mme le président. - Merci de respecter le temps de parole.
M. Guillaume Gontard. - J'invite le Sénat à se prononcer pour l'inscription de ce droit fondamental dans notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE)
M. Dominique Théophile . - Dans un mandat, certaines prises de parole sont plus importantes que d'autres. Cette proposition de loi constitutionnelle, que j'ai cosignée, en fait partie. Dans mon territoire, le taux d'avortement est le plus élevé de France - trois fois supérieur à la moyenne. On n'ose à peine imaginer ce qu'un recul de ce droit engendrerait.
Je reviens sur les arguments avancés. Le premier est politique : selon la commission des lois, le droit à l'IVG n'est pas menacé en France. Certes. Mais le sera-t-il demain, comme aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie ? Certains responsables politiques, sans s'opposer frontalement à l'IVG ou à la contraception, cherchent insidieusement à en écarter les femmes.
Deuxième argument de la commission : une modification de la Constitution serait purement symbolique. Sans doute. L'enjeu est d'empêcher un retour en arrière en cas de changement de majorité. La politique fiction peut devenir réalité... Rendons plus difficile une abrogation de ce droit.
Aucune loi fondamentale ne protège le droit des femmes à avorter. Notre pays ferait oeuvre de pionnier : fidèle à sa vocation universaliste, il enverrait un message fort et clair aux pays où ce droit est bafoué.
La constitutionnalisation du droit à l'IVG ne serait pas exclusive de son inscription dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. De nombreux membres du RDPI voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Selon Mme la rapporteure, l'IVG ne fait l'objet d'aucune remise en cause en France. Je ne partage pas votre sérénité. Les courants anti-IVG, comme la fondation Lejeune, n'ont jamais désarmé depuis 1975 : ils disposent de moyens considérables, sont hyperactifs sur internet, sont capables d'organiser des manifestations - 600 personnes à Lyon dernièrement ! Ils ont peu de relais dans le monde politique. Mais qui gouvernera la France dans cinq ans ? Partout où l'extrême droite conservatrice, réactionnaire et populiste est au pouvoir, elle prend pour cible les droits des femmes.
Je ne crois pas en une quelconque exception de l'extrême droite française en la matière - et ce n'est pas l'intervention de notre collègue Ravier qui me rassurera !
À Malte, en Pologne, en Italie, l'hostilité à l'IVG est assumée ; en Suède, la nouvelle majorité veut « mettre fin à la diplomatie féministe »...
Madame la rapporteure, vous dites le Sénat attaché aux lois Veil et Neuwirth ; cet attachement est minimaliste. La loi Veil a été modifiée sept fois depuis 1975 ; vous vous y êtes systématiquement opposés, comme à la loi Gaillot d'ailleurs. Si l'on vous avait écoutés, l'IVG ne serait pas remboursée - en 1982 la loi Roudy a été rejetée par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.) Vous êtes terriblement prévisibles ! Quelle que soit la question, dès qu'il s'agit d'améliorer l'accès à l'IVG, la réponse est non.
Il ne faudrait modifier la Constitution que d'une main tremblante ? Pourtant, depuis 2011, le groupe Les Républicains a déposé une dizaine de propositions de loi constitutionnelles ; sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, cinq réformes constitutionnelles ont été adoptées !
M. Philippe Bas. - Excellentes !
Mme Laurence Rossignol. - Que la proposition de loi soit adoptée ou rejetée, le signal ne sera pas le même. Si nous adoptons ce texte, le Sénat enverra un message positif aux femmes et aux progressistes. Si le Sénat la rejette, nul ne retiendra vos subtilités juridiques : les ennemis des droits des femmes se sentiront plus forts et reviendront à la charge. L'IVG est le totem des conservateurs, des réactionnaires, des néofascistes et de tous ceux qui s'opposent à l'émancipation des femmes. (Applaudissements à gauche)
Lors de notre récent débat en soutien aux femmes iraniennes (M. Stéphane Ravier s'exclame), j'ai appelé à combattre tous les totalitarismes religieux. Il n'existe pas de différence entre obliger les femmes à dissimuler leur corps et leur interdire de choisir quand et avec qui elles seront mères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les activistes anti-IVG comme Civitas ou Les Survivants sont des militants intégristes catholiques ou évangéliques tout aussi hostiles à la liberté des femmes que ceux qui leur imposent le foulard islamique.
Mme Émilienne Poumirol. - Bravo !
Mme Laurence Rossignol. - Nous devons dire clairement aux intégristes de tout poil que grâce à nous, c'est toujours la République qui gagne.
Monsieur le garde des sceaux, reprenez la main, déposez un projet de loi ! Madame la rapporteure, vous auriez pu amender le texte. (M. Xavier Iacovelli applaudit.) Le Gouvernement doit dire clairement qu'il veut constitutionnaliser le droit à l'IVG. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, du GEST, du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Mme Laurence Cohen . - Je remercie le GEST de son initiative. La volonté de constitutionnaliser le droit à l'IVG n'est pas nouvelle. Notre groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017 et obtenu la tenue d'un débat dans l'hémicycle.
Avions-nous tort de vouloir protéger davantage ce droit ? Nos craintes face à la montée de mouvements conservateurs et réactionnaires étaient-elles infondées ? Malheureusement non.
Personne ne peut affirmer que le monde actuel s'apaise et va vers un renforcement du droit des femmes. Nous n'importons pas un débat propre à l'organisation constitutionnelle des États-Unis. En France, pays des droits de l'homme, des signes concrets et inquiétants existent : de la Manif pour tous aux groupes pro-choix en passant par l'élection récente de 89 députés d'extrême droite, la situation est grave.
À la fermeture récente de 58 centres IVG, s'ajoute la pénurie de gynécologues, la double clause de conscience, la non-parution du décret permettant aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales.
Le droit à l'IVG est sans cesse menacé, malgré quelques dispositions récentes obtenues contre l'avis de la majorité sénatoriale : je pense à la loi Gaillot.
Toutes ces attaques sont révélatrices du fait que les femmes sont considérées comme des êtres mineurs. Ce droit conquis de haute lutte par les féministes doit-il être protégé ? Cela ne fait aucun doute.
De quoi avez-vous peur, chers collègues ? Je remarque que ceux qui invoquent des arguments juridiques sont les mêmes qui s'opposent systématiquement à la conquête de nouveaux droits pour les femmes.
Les femmes veulent maîtriser leur fécondité. Notre corps, nos choix, nos droits ! Regardons la situation en France à l'aune de ce qui se passe dans le monde, ne nous croyons pas dans un État de droit plus solide qu'ailleurs ; utilisons tous les outils disponibles pour renforcer notre législation face aux menaces qui partout pèsent sur ce droit.
Faisons en sorte de ne pas avoir à dire un jour : si on avait su. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; M. Michel Dagbert applaudit également.)
M. Loïc Hervé . - La volonté d'inscrire l'IVG dans la Constitution n'est pas nouvelle. Le revirement de jurisprudence de la Cour suprême américaine, qui fait de l'avortement une compétence des États fédérés, a conduit au dépôt de six propositions de loi depuis l'été.
M. Xavier Iacovelli. - Mais non, c'est la Pologne et l'Italie !
M. Loïc Hervé. - Chère Mélanie Vogel, affirmer que la Constitution fonderait le contrat social, c'est lui confier une fonction qui ne peut être la sienne. Si votre proposition de loi était adoptée au Sénat, à l'Assemblée nationale, puis ratifiée par référendum, le Conseil constitutionnel en serait le gardien - au risque de déposséder la représentation nationale, via les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ce sont donc les membres du Conseil, nommés par les présidents de la République, du Sénat et de l'Assemblée, qui trancheraient, qu'ils soient plutôt conservateurs ou plutôt progressistes, sans contrôle démocratique.
Conformément à l'article premier, notre République est indivisible : les lois sont appliquées de la même manière partout. Aucune comparaison n'est possible avec les États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - Et avec l'Italie ?
M. Loïc Hervé. - Depuis la loi Veil de 1975 et la loi Neuwirth de 1967, des évolutions sont intervenues, mais aucun parti politique n'a jamais appelé à remettre en cause ces acquis ; aucun candidat à l'élection présidentielle, même aux extrêmes, ne remet en cause l'IVG, encore moins la contraception.
Mme Laurence Rossignol. - Mais bien sûr, ils ne sont pas dangereux...
M. Stéphane Ravier. - Fantasmes !
M. Loïc Hervé. - Le risque invoqué par Mme Vogel, en France, en 2022, n'existe pas. L'argument selon lequel il faudrait modifier la Constitution « avant qu'il ne soit trop tard » ne me convainc pas.
Avec la désertification médicale, l'accès à l'IVG est parfois rendu très difficile, notamment dans les territoires ruraux. Avant de s'interroger sur l'inscription dans la Constitution, le Gouvernement doit se préoccuper de l'effectivité de l'application de la loi.
Notre commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes estiment que ces sujets reposent avant tout sur le système de soins.
En respectant les collègues de mon groupe qui ont cosigné cette proposition de loi constitutionnelle ou ceux qui s'apprêtent à la voter, le groupe UC, dans sa majorité, suivra les conclusions de la rapporteure et ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Xavier Iacovelli. - Eh bien, ce n'est pas beau !
Mme Esther Benbassa . - La lutte pour la légalisation de l'IVG a d'abord été incarnée par Gisèle Halimi et les 343 salopes, assumant courageusement d'avoir avorté. S'ensuivit le procès de Bobigny en 1972, ouvrant la voie à la loi Veil - dont je salue la mémoire.
Nous sommes probablement quelques-unes à avoir avorté dans cette assemblée, sans oser le dire ouvertement, par respect des convenances. J'en fais partie. Nous devons désormais protéger nos filles et nos soeurs. Sans honte ni culpabilité, nous voulons disposer librement de notre corps. Les hommes ont le droit de choisir leur paternité, de reconnaître ou non leur enfant. Pourquoi la sexualité féminine devrait-elle toujours être contrôlée ?
La menace d'un Donald Trump français n'est pas illusoire. Légiférons sans attendre !
Je salue l'initiative de Mélanie Vogel et de ses cosignataires. Certes, nous connaissons tous les difficultés liées à un référendum, particulièrement en ces temps instables. J'appelle donc l'exécutif à se saisir de ce texte et à le transformer en projet de loi.
Enfin, je demande au Président de la République que la dépouille de Gisèle Halimi soit transférée au Panthéon. Sa place est aux côtés de Simone Veil ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
Mme Laurence Rossignol. - Très bien ! Bravo !
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Est-il nécessaire, utile, d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution ? À part quelques groupuscules, personne ne remet en cause la loi Veil. Nous enregistrons en France 220 000 IVG pour 700 000 naissances.
Cette proposition de loi est une fausse bonne idée. On inscrirait le principe général dans la Constitution, mais la loi pourrait toujours en restreindre les contours - plus qu'aujourd'hui ! En tant que médecin et élue locale, défenseure convaincue des droits des femmes, j'ajouterais que tant de droits humains sont à protéger, tant de grands principes à sanctuariser, qu'il est impossible de tous les faire entrer dans la Constitution !
L'organisation d'un référendum aurait pour les femmes des répercussions imprévisibles, peut-être malheureuses. (Mme Laurence Rossignol le conteste.)
Une telle proposition traduit votre manque de confiance en l'avenir de notre démocratie. Seuls le populisme et les dérives autoritaires menacent le droit à l'avortement : c'est là que réside notre vrai combat.
Parlons vrai et juste : sanctuariser le droit à l'IVG passe par la préservation de nos institutions et de notre démocratie. Alors, que faire ?
Une loi doit être assortie de moyens nécessaires. Soutenons les plannings familiaux, luttons contre la désertification médicale et les inégalités territoriales, maintenons les centres IVG, les maternités. Dans une scène du film Simone, l'héroïne refuse de faire semblant, d'adopter des postures. Les femmes méritent mieux qu'un faux-semblant. Il faut prévenir en informant via une éducation sexuelle de qualité, protéger en garantissant l'accès à une IVG dans de bonnes conditions, proposer un accompagnement. Voilà qui servirait réellement la cause des femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Philippe Bas . - Mme Rossignol veut « envoyer un message ». Le garde des sceaux dit : « quel beau symbole ».
Mme Laurence Rossignol. - Vous allez envoyer un message !
M. Philippe Bas. - Mais nous écrivons le droit ! Ce texte est non seulement inutile mais inefficace. J'attends, en juriste, qu'on me démontre le contraire.
Inutile, car dès 1975, le Conseil Constitutionnel a validé la loi sur l'IVG. En 2001, il est allé plus loin en disant que ce droit résultait de la liberté des femmes, sur le fondement des articles II et IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Inefficace, car aucune des « avancées » intervenues depuis - réduction des délais, suppression de la condition de détresse, remboursement, accès aux mineurs - ne serait susceptible d'être protégée par la rédaction proposée. Le droit à l'IVG n'étant pas inconditionnel, le législateur garderait toute compétence pour y apporter des restrictions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Interventions sur l'ensemble
M. Éric Kerrouche . - Les civilisations sont mortelles, les édifices juridiques aussi. Si la conquête se fait par le droit, le recul peut se faire de même. Croire que le droit, interprété par le Conseil constitutionnel, suffit à nous sauver est une grave erreur. C'est comme croire aux contes. Mais le loup est toujours là et peut souffler jusqu'à détruire les édifices juridiques.
Affirmer que tuer un être humain qui n'est pas encore né pose des problèmes de morale ne relève pas du droit mais de l'idéologie. Affirmer que la vie des Américaines n'a pas vraiment été transformée par la décision Roe vs Wade également.
Le grand constitutionnaliste anglais Walter Bagehot déclarait, au XIXe siècle, qu'il y avait deux parties dans la Constitution : une partie efficace, une autre qui suscite le respect. J'aurais voulu que cet après-midi, nous construisions un texte qui suscite le respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, du GEST et du RDPI ; M. André Guiol applaudit également.)
Mme Michelle Meunier . - Avec cette proposition de loi, nous réaffirmons le droit des femmes à disposer de leur corps dans notre pays. Notre combat, politique et symbolique, vise à soutenir encore et toujours les femmes qui souhaitent une IVG, à l'étranger mais aussi en France, où ce droit est de plus en plus attaqué par des franges minoritaires et réactionnaires. Récemment à Nantes, des banderoles haineuses ont été brandies contre un rassemblement de soutien aux droits des femmes à l'étranger. Assimiler l'IVG à un génocide est intolérable.
J'attendais de la part du Sénat un consensus en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG. Je regrette qu'il n'ait pas émergé. Combien de temps la majorité sénatoriale entretiendra-t-elle ce flou vis-à-vis des idées réactionnaires ? Combien de temps encore se déshonorera-t-elle par son silence ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Notre groupe votera ce texte que nous avions cosigné. Merci à Mélanie Vogel de l'avoir inscrit à l'ordre du jour.
J'ai entendu des propos surprenants venant de la droite de cet hémicycle que j'ai connue plus courageuse et sincère. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Les arguties avancées par M. Bas ne sont pas pertinentes.
M. Loïc Hervé. - C'est sévère !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pourquoi ne pas assumer simplement d'être hostile à l'IVG ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; très vives protestations à droite)
M. Xavier Iacovelli. - Assumez !
M. Stéphane Piednoir. - Honte à vous !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est qu'une jurisprudence. S'y référer est une faiblesse. Nous souhaitons une inscription dans la loi.
Voix à droite. - C'est dans la loi !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes des responsables politiques, nous avons aussi à référer aux Français. Je le dis au président Bas : ayez le courage d'assumer vos opinions, vous qui vous apprêtez à refuser ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Philippe Bas . - Je me suis senti insulté par les propos de Mme de La Gontrie (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le fait personnel, c'est en fin de séance !
M. Philippe Bas. - Nous aurions pu empêcher ce débat (marques d'ironie à gauche), mais ne l'avons pas fait. Je regrette qu'à aucun moment nous n'ayons discuté de la réalité du texte qui nous est soumis. Je le redis : ce texte est inefficace et inutile.
Le Conseil constitutionnel empêcherait aujourd'hui la suppression de l'IVG.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est faux !
M. Philippe Bas. - Votre texte n'empêcherait en aucun cas des reculs.
Rien ne sert d'agiter des idées générales qui sont aussi parfois des idées creuses. C'est un mauvais texte. (Protestations sur les travées de la gauche) Revenez avec un bon texte, et nous en reparlerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie rit.)
M. Stéphane Ravier . - Quel est l'argument juridique sur lequel reposent les diverses déclarations ? Le risque que peut-être, un jour, une catastrophe économique, militaire, environnementale ou autre puisse porter au pouvoir une formation qui pourrait vouloir changer la loi. Votre démarche repose sur du fantasme.
Plusieurs voix à gauche. - Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Elle repose sur ce que l'on voit !
M. Stéphane Ravier. - Vous voulez juste faire de la provocation, jusqu'à insulter vos collègues sénateurs qui ne vont pas dans votre sens. (Huées à gauche) Même quand on ne remet pas en cause le droit à l'IVG - car qui ici, le remet en cause ? - vous poussez le bouchon toujours plus loin dans la provocation.
M. Éric Kerrouche. - Parole d'expert !
Mme Laurence Cohen. - Et qui dit cela ?
M. Stéphane Ravier. - Vous êtes dans l'agit-prop qui n'est vraiment pas propre. Vous êtes dans le wokisme, et cela ne prend pas. Vos méthodes rappellent celles de M. Fouquier-Tinville.
Mme Laurence Rossignol . - Je ne crois pas un mot des dénégations de M. Ravier. Son courant politique n'a de cesse de dénoncer les avortements de confort et de convenance, pour mieux réduire le droit des femmes à l'avortement, en en soumettant l'accès à un jugement extérieur sur les raisons qui les conduisent à avorter. Monsieur Ravier, vous êtes le représentant d'un courant politique dangereux pour l'IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
J'écoute avec intérêt les arguments juridiques de mes collègues de droite, mais je les connais depuis douze ans ! Je me souviens de tous les textes que je vous ai proposés, entre autres contre les sites de désinformation. Pas une fois, vous n'avez trouvé nos propositions dignes d'être votées. Au bout d'un moment, les pointillés forment une ligne. Quand jamais le droit ne vous convient, c'est que c'est le fond qui vous gêne. Votez, pour une fois, un texte favorable à l'avortement et nous vous croirons ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Une voix à droite - Et la loi Veil ?
Mme Laurence Rossignol. - C'est la gauche qui l'a votée !
M. Max Brisson . - Je n'avais pas l'intention d'intervenir, mais je voudrais témoigner à Philippe Bas toute ma solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
La France n'est pas l'Amérique. Les contextes sont différents. La France n'est pas un État fédéral comme les États-Unis, elle n'a pas à trancher entre États fédérés.
Je suis favorable à l'ensemble des lois autorisant l'IVG et je me battrais pour les défendre si elles étaient menacées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - Vous n'avez jamais rien voté !
M. Max Brisson. - Ma conviction est que nous ne devons pas être soumis à l'émotion venant d'Outre-Atlantique.
Je récuse vos prétentions au monopole, madame Rossignol : le Sénat et sa majorité ont connu de grandes avancées en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Cohen . - Dramatiser le débat comme vous le faites à droite n'est pas digne du Sénat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Nous nous devons le respect mutuel. Je ne réponds à la droite extrême, ce serait lui faire trop d'honneur. Chers collègues de droite, prenez vos responsabilités. Mme Veil a été extrêmement courageuse, mais sa loi est arrivée au Parlement grâce à la mobilisation des femmes, et n'aurait jamais été votée sans le soutien total de la gauche. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Max Brisson. - Et Giscard d'Estaing ?
Mme Laurence Cohen. - Depuis 2011, je connais un Sénat responsable, qui modifie les lois qui ne sont pas parfaites. Si vous étiez vraiment d'accord pour protéger l'IVG, vous l'auriez fait. Or vous allez envoyer un message qui dit le contraire. Changez votre vote ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois . - Madame de La Gontrie, vous ne pouvez pas dire de Philippe Bas qu'il est contre l'avortement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ma parole est libre ! (Protestations à droite)
M. François-Noël Buffet. - Certes, mais le respect est une des règles de notre haute assemblée. Philippe Bas a été l'un des plus proches collaborateurs de Simone Veil et a rédigé lui-même une partie du texte. Le contestez-vous? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne sais pas, je vois ses votes !
M. François-Noël Buffet. - Plusieurs initiatives parlementaires voient le jour sur cette thématique. Il serait intéressant que le Gouvernement y mette un peu d'ordre. On sortirait de l'impasse cette discussion qui dérape inutilement alors que nous sommes tous d'accord, naturellement, pour protéger les droits des femmes.
L'image que nous venons de donner pourrait être celle que donnerait un référendum. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mmes Nathalie Delattre et Colette Mélot applaudissent également.)
M. Xavier Iacovelli . - M. Brisson nous donne des leçons et essaie de défendre une loi que, je rappelle, vous n'avez pas votée. Vous avez même voté la motion préalable en première lecture comme en deuxième. Alors les leçons de morale sur la défense des droits des femmes, c'est un peu fort de café ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST)
Mme Laurence Rossignol. - Bravo !
Mme Michelle Gréaume . - Selon la loi, toute personne a le droit à l'IVG. Le fait d'inscrire ce droit dans la Constitution garantit à chacune le respect de son autonomie personnelle.
La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°8 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 311 |
Pour l'adoption | 139 |
Contre | 172 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(M. Stéphane Ravier applaudit vivement.)
La séance est suspendue quelques instants.