Redonner un caractère universel aux allocations familiales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales, présentée par M. Olivier Henno et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.
Discussion générale
M. Olivier Henno, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales . - La proposition de loi que nous examinons supprime la modulation des allocations familiales en fonction des revenus familiaux. Elles se montent à 12,7 milliards d'euros, soit 41 % des prestations de la branche famille, au bénéfice de plus de cinq millions de familles.
Ces allocations ont une portée symbolique. Elles furent au coeur de la politique nataliste mise en oeuvre durant l'entre-deux-guerres. La loi du 22 août 1946 les a étendues aux personnes dans l'incapacité de travailler et aux femmes seules élevant plus de deux enfants. Elles sont devenues réellement universelles en 1978 par la suppression de l'obligation d'exercer une activité professionnelle pour les percevoir.
Les allocations familiales sont régies par des conditions bien connues, à compter du deuxième enfant, sauf en outre-mer où elles sont versées dès le premier enfant.
A l'occasion d'un amendement voté à l'Assemblée, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a prévu une modulation des allocations en fonction des revenus de la famille. En conséquence, le montant a été réduit pour près de 500 000 familles, soit 10 % des foyers.
L'objectif assumé était de réaliser des économies. En 2016, 760 millions d'euros ont ainsi été économisés au détriment des familles, sans compter d'autres mesures fiscales, comme la réduction du plafond du quotient familial.
La réforme a créé de l'incertitude et de la complexité pour les familles, leur montant dépendant des ressources de l'année N-2. Elle a aussi écorné le principe d'universalité des allocations familiales, qui n'est plus qu'une façade pour certaines familles. Ainsi, les familles situées dans la troisième branche du barème ne perçoivent plus que 33 euros par mois pour deux enfants à charge. Ce faisant, la réforme sape l'acceptabilité de la politique familiale pour les foyers qui en sont exclus mais qui, pourtant, la financent.
Si cet universalisme progressif venait à s'étendre, notre modèle de sécurité sociale serait remis en cause.
À l'évidence, la politique familiale n'a pas été une priorité pour les gouvernements précédents...
La réforme a aussi dévoyé le sens solidaire de la politique familiale, en passant d'une logique de redistribution horizontale à une logique de redistribution verticale.
Il ne s'agit pas de nier les nouveaux objectifs de la politique familiale, mais ils sont déjà pris en compte par les prestations ciblées sur les familles les plus modestes ou les publics spécifiques. En outre, la modulation des allocations familiales n'apporte en réalité aucun bénéfice pour les familles aux revenus modestes. Nous vous proposons donc de supprimer la modulation en fonction des revenus, pour un coût de 830 millions d'euros que la branche famille peut assumer.
Dans le contexte actuel, la politique familiale doit être renforcée. Le taux de fécondité conjoncturel a diminué pour atteindre 1,82 enfant par femme en 2020. Si l'année 2021 marque une stabilisation, les chances d'une remontée durable sont minimes. L'exception démographique française est à terme menacée.
Certes, aucune étude n'a pu mettre en évidence un lien entre la modulation des allocations et la chute de la fécondité, mais cette modulation a démontré l'affaiblissement de la solidarité nationale en faveur des familles, alors qu'elles doivent être soutenues par une politique familiale cohérente et pérenne. Il faut, à cet effet, redonner du sens aux allocations familiales.
D'autres chantiers devront être engagés en matière d'accueil de la petite enfance et de congé parental. Ce texte est une première étape d'un renouveau de la politique familiale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles . - Nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales pour, je cite, « relancer la natalité dans notre pays et redonner du sens à notre politique familiale ». La période est sans doute propice aux propositions démagogiques. Ce n'est pas le cas ici, mais je ne partage pas l'esprit du texte. Il est utile cependant d'en débattre, à l'heure où les positions vont se polariser sur les allocations familiales et le quotient familial.
Le sujet n'est pas neutre. La modulation, datant de 2015, n'est pas le fait du Gouvernement. Elle préserve en réalité le principe d'universalité tout en poursuivant un objectif de justice sociale. Elle ne concerne en outre que 10 % des bénéficiaires et permet de concentrer la solidarité nationale vers les ménages les plus nécessiteux. L'Insee montre que la redistribution horizontale et verticale porte ses fruits.
L'impact des allocations familiales sur la natalité, en outre, n'est pas démontré en France comme dans les autres pays de l'OCDE. Nous restons en tête de ces pays en matière de natalité.
Aussi, je ne peux que m'inscrire en faux en écoutant les propos de certains candidats.
Le niveau de vie et les incertitudes économiques jouent davantage que les allocations familiales sur le taux de natalité, autant que des facteurs démographiques et sociétaux. Il faut donc actionner ces différents leviers, ce que le Gouvernement a fait depuis 2017.
Les débats, pendant trente ans, se sont concentrés sur les aides financières. Il faut répondre aux nouvelles attentes des parents, notamment en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Nous devons construire une société plus accueillante pour les familles et lutter contre les inégalités de destin qui touchent encore trop d'enfants dans notre pays.
Il n'est pas toujours aisé d'être parents - c'est ce que nous disent la moitié d'entre eux - et il convient de les accompagner dès les premiers temps de la parentalité. Près de 20 % des femmes sont touchées par la dépression post-partum. Tel est le sens de la politique des « 1 000 premiers jours », pendant lesquels beaucoup se joue, comme l'a rappelé Boris Cyrulnik.
Nous avons aussi renforcé la prévention des risques systémiques. Les jeunes parents bénéficient désormais tous d'un parcours « 1 000 premiers jours » dès le quatrième mois de grossesse et après l'accouchement.
Il convient également de reconnaître les détresses particulières : nous avons développé des parcours spécifiques pour l'accueil d'enfants prématurés, adoptés ou en situation de handicap.
Les familles monoparentales sont particulièrement soutenues financièrement depuis 2017.
La conciliation entre vie personnelle et professionnelle est également une priorité : le congé paternité et d'accueil du jeune enfant a été porté de 14 à 28 jours, et en partie rendu obligatoire. Une réflexion devra être menée pour aller plus loin, notamment sur les congés parentaux.
Nous menons aussi une action résolue en faveur de la construction d'un véritable service public de l'accueil des jeunes enfants : charte nationale, comité de filières sur les sujets liés à la carrière et la rémunération, formation renforcée des professionnels, création de places de crèches. Nous avançons dans la voie tracée par le Président de la République d'un droit garanti à l'accueil des enfants pour tous à un prix raisonnable et identique en individuel ou en collectif.
Notre politique se développe aussi en faveur de la parentalité numérique pour mieux protéger les jeunes. Lundi prochain se tiendra le Safer Internet Day. Nous ferons prochainement de nouvelles annonces en la matière. Déjà, le site jeprotegemonenfant.gouv.fr fournit conseils et informations.
La politique familiale doit aussi lutter contre les inégalités de destin. Elle est un levier d'émancipation majeur. Près de 3 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté, chiffre inacceptable. Ils sont au coeur de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, car il faut en moyenne six générations pour en sortir. Nous avons renforcé l'accueil en crèche, prévu des petits-déjeuners gratuits pour les enfants qui arrivent le ventre vide et des repas à 1 euro à la cantine. Enfin, nous avons dédoublé les classes de CP et CE1 en réseaux d'éducation prioritaire (REP).
Les familles ont tenu toute leur place au cours de ce quinquennat, qui a pris en compte leurs attentes, leurs besoins et leurs incertitudes. Il faut encore aller plus loin.
Mme Raymonde Poncet Monge . - L'ordonnance du 4 octobre 1945 sur la sécurité sociale repose sur un principe fondamental : chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Ce principe s'appliquait à tous les risques.
Il en allait ainsi de la branche famille et des allocations familiales versées pour compenser la perte de niveau de vie selon un mécanisme de solidarité horizontale.
Nous soutenons ce principe, sans considérer le lien avec la baisse de la natalité. Ici, corrélation ne veut pas dire causalité.
Pour autant, les 10 % des familles les plus riches profitent de 31 % des aides fiscales, tandis que 30 % des plus pauvres ne bénéficient que de 6,5 %. Les allocations familiales ne sont pas un outil de redistribution verticale. Mieux vaudrait utiliser l'impôt sur le revenu, fait pour cela. Il aurait ainsi été préférable de supprimer le quotient familial, fortement anti redistributif.
L'équilibre de la branche a primé sur le principe fondateur des allocations familiales que nous défendons. Nous restons attachés au principe de redistribution horizontale entre ménages selon leur composition.
Le budget moyen d'un enfant jusqu'à 3 ans s'élève à 490 euros par mois. Les allocations familiales devraient donc être versées dès le premier enfant - ce que 70 % des Français souhaitent.
La réforme de 2015 n'a pas été accompagnée d'aide supplémentaire pour les ménages modestes : c'était une pure mesure d'économie.
Nous préconisons des allocations forfaitaires pour tous dès le premier enfant.
Nous nous abstiendrons sur ce texte.
Mme Laurence Cohen . - La proposition de loi du groupe UC vise le rétablissement de l'universalité des allocations familiales supprimée par François Hollande au nom de l'équilibre des comptes sociaux. L'élection de ce dernier était porteuse d'espoir et de progrès sociaux, mais cette réforme a marqué le refus de rupture avec la gestion financière des aides sociales.
Comme nous l'avions dit en 2014, la modulation remet en cause l'universalité de la protection sociale héritée du Conseil national de la résistance.
Les prestations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale, sans condition de ressources. En les modulant, on prend le risque que les plus aisés se tournent vers un système assurantiel.
Il existe en outre un lien entre la baisse de la natalité et la politique familiale. Le rapport du Haut-Commissariat au Plan de mai 2021 rappelle que la population française augmente moins rapidement qu'auparavant, ce qui démontre la difficile conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
La politique familiale ne se résume pas aux allocations familiales. Nous défendons un service public de la petite enfance pour améliorer l'accueil.
Je regrette aussi que ce texte ne rétablisse pas les cotisations employeurs à la branche famille, supprimées par l'instauration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et remplacées par une part de TVA - mesure profondément injuste.
Je sais l'opportunité politique de cette proposition de loi, mais nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Annick Jacquemet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi apporte une première réponse à la baisse de la natalité en revenant sur la modulation des allocations familiales.
La France a mis en place dès les années 1930 une politique volontariste pour les familles, renforcée en 1945 avec succès puisque notre pays a eu un des taux de fécondité les plus élevés du continent. Sa pierre angulaire - les allocations familiales - tient à son universalité. Elles permettent de faire partiellement face au coût des enfants. La modulation selon les revenus remet en cause le principe égalitaire qui les régissait et qui portait une charge symbolique importante.
Désormais, il existe un risque de délitement de la solidarité nationale. La famille centriste a toujours été très attachée à l'universalité des allocations familiales.
Pour réduire les inégalités de revenus entre familles, il existe d'autres outils de compensation verticale.
La modulation des allocations familiales s'est appliquée dès le 1er juillet 2015. Elle a conduit à diviser leur montant par deux au-delà de 6 000 euros de revenus par foyer, par quatre au-delà de 8 000 euros. Les débats furent vifs et le Sénat s'y opposa, en vain.
En cette période de baisse de la natalité, je remercie notre collègue Henno d'avoir porté ce sujet à l'ordre du jour et salue son travail. La branche famille est en mesure de soutenir un retour à l'universalité.
En revanche, je suis moins convaincue par l'argument relatif à la natalité. La volonté d'avoir un premier enfant, puis d'autres, dépend de nombreux facteurs. Entre les attentats et la crise sanitaire, le contexte ne porte pas à fonder une famille. La crainte du réchauffement climatique joue également, comme le montre une étude de The Lancet sur dix mille jeunes. Depuis 2015, nous constatons une chute de la natalité. Il y a matière à s'intéresser au sujet...
M. le président. - Veuillez conclure. Il faut calibrer vos interventions.
Mme Annick Jacquemet. - Le retour à l'universalité permettra de renforcer la politique familiale. La majorité de notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Nathalie Delattre . - Pourquoi soutenons-nous la natalité ? Pourquoi la famille a-t-elle toujours été au coeur de l'action publique ? Parce notre politique familiale vise à assurer le renouvellement des générations et entend soutenir le niveau de vie des familles malgré le coût des enfants.
Notre modèle favorise la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, ce qui garantit l'égalité entre les femmes et les hommes.
Depuis 1945, de nombreuses aides ont été mises en place, réformées récemment sans réelle cohérence.
La modulation des allocations familiales a été adoptée par amendement au PLFSS, sans étude d'impact ni concertation avec les acteurs concernés. Une double peine pour nos classes moyennes, qui avaient déjà subi l'abaissement du plafond du quotient familial en 2013 et en 2014.
Face aux pays anglo-saxons, nous étions fiers de notre solidarité horizontale. Nous restons certes le pays le plus fécond d'Europe, mais notre taux de natalité diminue, et nous sommes passés en dessous du seuil du renouvellement des générations en 2018.
Logiquement, les familles avec enfants ont un niveau de vie inférieur aux autres à revenu identique. D'après une étude de la direction générale du Trésor, l'écart est de 26 % entre une famille sans enfant et une famille avec trois enfants et plus.
Certaines aides permettent de soutenir les ménages les plus fragiles : allocations de rentrée scolaire, primes de naissance ou d'adoption, complément familial, revalorisation des minima sociaux. Au reste, la réforme de 2015 ne leur a pas bénéficié : il s'agissait uniquement de réduire le déficit de la branche famille. Or, les allocations familiales ne doivent pas être une variable d'ajustement budgétaire.
Notre groupe votera ce texte si l'amendement de Colette Mélot est adopté, qui soumet les allocations familiales à l'impôt sur le revenu. Pour ma part, je le voterai : il est temps de lancer un Family Act à la française ! (M. Olivier Henno applaudit.)
Mme Corinne Féret . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte remet en cause un principe cher au groupe SER : la justice sociale. La modulation a été instituée pendant le quinquennat de François Hollande. À un moment où la branche famille était déficitaire, elle a rétabli l'équilibre et permis de revaloriser l'allocation de rentrée scolaire ou le complément familial, afin d'éviter la reproduction de la pauvreté d'une génération à l'autre.
La politique familiale ne peut avoir pour seul but d'améliorer le taux de fécondité ; elle doit aider les familles à élever les enfants, dans une politique globale qui soutient tant les familles que les structures de garde. Nous plaidons pour un véritable service public de la petite enfance.
Il est excessif d'affirmer que la modulation remet en cause la solidarité ou qu'elle aurait fait baisser la fécondité. Je crois plus à l'allongement de la durée des études. La France, en outre, reste en tête des pays européens pour ce qui est de la natalité.
Il est de bon ton, ces derniers temps, de proposer des mesures démagogiques ou populistes, comme le versement de 10 000 euros à chaque naissance dans la France rurale. Une politique volontariste du logement, un soutien au travail des femmes, voilà ce qui devrait plutôt occuper les candidats !
Je regrette l'absence d'étude d'impact de cette proposition de loi. Je ne comprends pas en quoi la modulation des allocations familiales entraînerait celle d'autres aides. Cela n'a jamais été à l'ordre du jour.
Le groupe SER votera contre ce texte, d'autant que la France vit une période difficile qui fragilise les plus vulnérables, notamment les enfants des familles monoparentales, dont 40 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Dominique Théophile . - Cette proposition de loi postule que la modulation des allocations familiales en 2015 aurait précipité la baisse de la natalité. Cette réforme souhaitée par le gouvernement d'Alain Juppé, puis celui de Lionel Jospin et mise en oeuvre par celui de Manuel Valls, a réduit la dépense publique.
Elle fait porter l'effort sur les familles les plus aisées, qui touchent plus de 6 000 euros par mois, et dont les allocations ont été divisées par deux ou quatre. En 2016, cela concernait 450 000 familles, soit moins de 10 % des allocataires.
Le rapporteur confond causalité et corrélation. Certes, la France enregistre une baisse de natalité : 818 000 naissances en 2014, 753 000 en 2019. Mais cette baisse frappe tous les pays de l'OCDE. Avec 1,8 enfant par femme, la France reste malgré tout dans les premiers pays européens, où la moyenne est de 1,56 enfant par femme.
La modulation ne remet pas en cause le caractère universel des allocations mais joue sur la répartition. Les familles monoparentales doivent être soutenues : elles représentent 25 % des bénéficiaires. Il s'agit essentiellement de femmes ; 40 % des mineurs concernés vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Comment expliquer qu'une famille au SMIC touche la même chose que des cadres ?
Beaucoup pourrait être fait pour rendre les allocations familiales plus justes. Cela fera peut-être l'objet d'un prochain débat. Notre groupe votera résolument contre cette proposition de loi.
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Nadia Sollogoub et M. Bruno Belin applaudissent également.) Voilà deux siècles, Malthus appelait à restreindre la croissance démographique d'une nation pour ne pas mettre en péril son avenir. Nous savons que le nombre fait bien souvent la force : la période révolutionnaire et l'Empire nous l'ont démontré.
C'est le gouvernement Tardieu qui, par la loi du 11 mars 1932, a établi une politique familiale. Les allocations ont longtemps été décorrélées des revenus. M. Valls a réussi là ou M. Juppé avait échoué.
Olivier Henno nous invite à revenir sur cette modulation.
Nombreuses, monoparentales ou recomposées, les familles ont beaucoup évolué depuis 70 ans. L'augmentation des séparations, la monoparentalité, la baisse du nombre d'enfants par famille ont joué - les familles se sont réduites d'un membre sur cette période.
Pour ou contre, les deux positions se justifient. D'un côté, la politique familiale, qui encourage la natalité, ne vise pas a priori à compenser une différence de revenus. Mais de l'autre, on peut considérer que la modulation se justifie lorsque les parents ont des revenus élevés. La valeur incitative des allocations familiales est alors difficilement justifiable.
J'ai déposé deux amendements. Le premier assujettit les allocations familiales à l'impôt sur le revenu. Le second, jugé irrecevable au titre de l'article 40, prévoyait des allocations familiales dès le premier enfant, comme c'est le cas dans l'intégralité des États membres de l'Union et au Royaume-Uni.
Nous devons donner aux Français des raisons de croire que demain sera meilleur qu'aujourd'hui. Les membres du groupe INDEP voteront selon leurs convictions. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous partageons votre constat, monsieur le rapporteur : celui d'une chute de la natalité. Pourtant, le désir d'enfant est bien là, avec une aspiration à 2,39 enfants par famille.
L'orientation générale prise en politique familiale n'a pas été de soutenir la natalité. Selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) de 2021, les politiques familiales et les conditions économiques conjoncturelles jouent un rôle majeur sur les niveaux de fécondité. Depuis 2013, la politique familiale a été détricotée et il n'y a pas eu de changement à partir de 2017. De prestations universelles, on est passé à des prestations ciblées. En 2013 puis en 2014, le quotient familial a été abaissé. Les allocations familiales ont été modulées et la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) a été plafonnée. Il n'y a pas eu plus d'argent pour les plus pauvres, mais moins pour les familles modestes et aisées.
Pour les familles de trois enfants, la modulation a fait perdre 34 000 euros pour le premier plafond et 51 000 euros pour le deuxième.
Un effort a été demandé aux familles aisées avec enfant, non à ceux qui n'ont pas ou plus d'enfant à charge.
La branche famille, excédentaire, finance les déficits créés ailleurs. Aussi, en novembre dernier, le Sénat a supprimé le transfert d'un milliard d'euros de la branche famille vers la branche maladie. (Mme Valérie Boyer applaudit.) Une vraie politique familiale consisterait à rétablir les prestations à leur niveau. Les mesures prises relèvent de la politique sociale, qu'il s'agisse de la création de places en crèche dans les quartiers défavorisés ou du repas à un euro à la cantine : cela ressortait de votre discours, monsieur le ministre, à la Conférence nationale de la famille.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Des familles !
Mme Christine Lavarde. - C'était la première depuis dix ans, je vous l'accorde.
Il faut être capable d'analyser l'ensemble. Rien n'a été fait pour simplifier la vingtaine de prestations familiales. Il faut des outils adaptés à chaque famille. La joie, mais aussi les contraintes ne dépendent pas des revenus et ne s'arrêtent pas aux vingt ans de l'enfant : petits enfants, petits soucis, grands enfants, grands soucis.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - Je confirme !
Mme Christine Lavarde. - De nombreuses questions se posent. Comment supprimer les effets de seuil injustes, pénalisants pour le travail des femmes ? Comment favoriser les solidarités familiales ? Quelle forme doit prendre le futur service public de la petite enfance ?
Le déclin démographique obère l'avenir de la France. L'équilibre des retraites dépend aussi du nombre de cotisants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Dominique de Legge . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci à Olivier Henno pour cette proposition de loi. L'abandon progressif de l'universalité des allocations familiales, érigé en principe par François Hollande en 2015 et continué sous ce quinquennat, est une lourde erreur.
D'abord, c'est un détournement du principe fondateur de la sécurité sociale selon lequel les familles avec enfants sont soutenues. Avant-guerre, certains patrons avaient mis en place un sursalaire exclusivement fondé sur la présence d'enfants et décorrélé du salaire de base.
Il est erroné de faire de la politique familiale une politique sociale, transformant les familles en cas sociaux. La politique familiale ne relève pas d'une logique assurancielle, car les enfants ne sont pas un risque à couvrir mais un investissement qui participe à notre vitalité démographique et économique. C'est cette vitalité qui conditionne la solidarité entre les générations. Je ne puis que déplorer que les excédents de la branche famille soient systématiquement détournés.
La modulation de 2015 a été très peu lissée : un faible supplément de revenu engendre, pour les familles plus nombreuses, une perte importante. Les effets de seuils dissuadent de reprendre une activité.
Je ne vois pas pourquoi nous devrions servir des allocations à des familles qui n'assument pas leurs responsabilités éducatives. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) À la solidarité nationale doit répondre la responsabilité des familles.
Les excédents de la branche famille ont été détournés de leur vocation première, monsieur le ministre, alors qu'ils auraient pu servir à revaloriser les prestations.
Je voterai sans réserve ce texte qui replace les allocations familiales dans leur rôle de soutien des familles qui ont fait le choix d'avoir des enfants, sans lesquelles aucun pays n'a d'avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Stéphane Demilly . - Le montant des allocations influence-t-il la natalité ? Faut-il une politique égalitaire ? Le système peut-il assumer une dépense supplémentaire ? Le taux de fécondité de la France, de 1,87, est le meilleur d'Europe : notre pays a intégré le fait familial à la vie quotidienne. Je pense au temps partiel ou aux cantines. Si le gouvernement allemand s'est inspiré avec succès de notre modèle, ce n'est pas un hasard.
Faire un lien entre allocations familiales et fécondité est trop rapide.
La première égalité, c'est l'équité, comme le rappelle Victor Hugo dans Les Misérables. Un retour à l'universalité des allocations familiales serait un changement de cap, à contre-courant. Notre système est déjà déficitaire de 38 milliards d'euros dont 2 pour la CNAF, qui n'est pas capable de supporter une hausse de charges. Je m'abstiendrai.
M. Olivier Paccaud . - Une réforme de justice et de responsabilité : voilà ce que disait le gouvernement socialiste en 2014. Juste et responsable, la fin de la reconnaissance universelle de l'État envers les Français qui font le choix de fonder une famille ? Non, il n'était ni juste, ni responsable, ni équitable de discriminer les enfants selon le seul fait de leurs origines sociales et de faire du foyer une variable budgétaire, en le sacrifiant aux logiques de réduction du déficit. Ce dispositif, vieux de 77 ans, a entraîné une démographie puissante.
On a sacrifié la solidarité. En aucun cas les allocations familiales ne sauraient être modulées. Renoncer à l'universalité, c'était ouvrir une brèche. Pourquoi dès lors ne pas moduler l'accès aux soins, à l'éducation ? Si notre modèle social nous honore, c'est qu'il est universel. Ne l'ébranlons pas et votons cette excellente proposition de loi.
Mme Martine Filleul . - La Cour des comptes révèle dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale que la prévalence de la pauvreté est plus forte pour les familles avec un enfant que pour les autres. Un tiers des familles monoparentales - à 85 % assumées par des femmes, - sont sous le seuil de pauvreté, soit trois millions d'enfants.
Une réforme juste consisterait non pas à soutenir toutes les familles, y compris les aisées, mais à ouvrir cette aide dès le premier enfant, comme outre-mer, mais aussi en Belgique, en Suède, au Danemark ou en Italie depuis peu.
C'était une demande issue du grand débat national de 2019, figurant dans ma proposition de loi. Soutenons les familles monoparentales et les femmes, qui méritent toute notre solidarité en cette période de crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Valérie Boyer . - La France est un des pays où le taux d'activité des femmes est le plus élevé. Mais le taux de natalité s'est effondré, de 818 000 naissances en 2014 à 740 000 en 2020.
Le Haut-Commissariat au Plan soutient la natalité, ne le nions pas, mais la politique familiale ne peut être la variable d'ajustement. Emmanuel Macron est bien le fils spirituel de François Hollande en la matière, alors que le taux de natalité baisse. Désindexation, baisse des prestations, refus de rétablir l'universalité des allocations familiales, logique comptable pour la branche famille... Le pacte social est brisé. C'est une violence faite aux femmes d'aujourd'hui. Être dans une société qui n'accueille pas bien ses enfants, voilà ce qu'elles vivent.
Chaque enfant est une richesse. C'est l'avenir de notre pays.
Nous devons augmenter le quotient familial de façon significative. Améliorons le salaire des femmes qui travaillent à temps partiel pour élever les enfants, par exemple en exonérant les cotisations patronales. (La voix de la sénatrice est couverte par les protestations contre le dépassement de son temps de parole.)
M. Franck Menonville . - Je me réjouis que notre assemblée se saisisse d'un sujet aussi important. Ce texte dénonce une rupture progressive avec la philosophie qui a prévalu à la création de la sécurité sociale, assurant des allocations familiales sans condition depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. En 2015, l'universalité des allocations familiales a été détricotée, par un amendement au PLFSS, divisant par deux ou quatre les montants touchés au-delà de certains seuils. Il est opportun de revenir à cette universalité. (M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Mélot, MM. Chasseing, Decool, Lagourgue, Capus, Médevielle, Wattebled, Guerriau et Fialaire, Mme Duranton et M. Gold.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.... - Au 2° de l'article 81 du code général des impôts, après les mots : « code de la sécurité sociale », sont insérés les mots : « à l'exception des allocations familiales ».
Mme Colette Mélot. - Cet amendement supprime l'exonération d'impôt sur le revenu dont bénéficient jusqu'à présent les allocations familiales. Il est nécessaire que ces allocations soient traitées comme des revenus et imposées en tant que tels.
L'universalité reste préservée, mais la justice sociale est rétablie.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Cet amendement conduirait à imposer le montant des allocations selon le taux marginal d'imposition des ménages, donc selon le revenu, ce qui va à l'encontre de l'objet de la proposition de loi.
Le revenu des familles modestes, actuellement non soumises à la modulation, serait aussi réduit, ce qui serait tout à fait paradoxal.
N'envoyons pas de message contradictoire. Avis défavorable.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Même avis.
M. Daniel Chasseing. - Le Gouvernement de De Gaulle a instauré le découplage entre niveau de revenus et montant des allocations. Quelque 73 % des familles de plus de deux enfants bénéficiaient de cette prestation jusqu'en 2014. C'est en 2015 que la modulation, proposée par Lionel Jospin en 1997, a été adoptée. Je suis favorable au retour à l'universalité, sous condition d'imposition. Cette mesure avait déjà été défendue par Raymond Barre en 1987 et Alain Juppé en 1995. Ainsi, nous pourrons soutenir la natalité et compenser les coûts de l'éducation des enfants. Il faut aussi instaurer les allocations familiales dès le premier enfant, comme en outre-mer. Si l'amendement n'était pas accepté, je m'abstiendrais sur le texte. (Mme Colette Mélot applaudit.)
L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.
L'article premier est adopté, ainsi que l'article 2.
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)