Sûreté des installations nucléaires
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la sûreté des installations nucléaires, à la demande du groupe écologiste - solidarité et territoires.
M. Daniel Salmon, pour le groupe écologiste - solidarité et territoires . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, le nucléaire n'est pas la solution magique pour lutter contre le réchauffement climatique tout en garantissant notre souveraineté énergétique.
L'actualité de cette semaine, concernant la centrale souvent citée du Tricastin, en apporte la preuve. Les accusations ne viennent pas d'une association antinucléaire mais d'un cadre d'EDF, qui dénonce des faits graves, mettant en lumière de sérieux dysfonctionnements ainsi qu'un vrai problème de transparence et de contrôle.
Le coût du nucléaire est faramineux, les EPR sont un fiasco économique, nous sommes dépendants d'importations d'uranium... Mais au-delà, c'est la sûreté qui est en jeu. Les incidents sont de plus en plus nombreux : tirons-en les leçons.
Fukushima a montré qu'un haut niveau de sécurité n'est jamais acquis. L'impossible est devenu possible, selon les mots mêmes d'Angela Merkel.
De nouvelles prescriptions ont été édictées depuis dix ans, mais la lenteur d'EDF à les mettre en oeuvre suscite l'effroi. L'échéance est prévue pour 2034 ! Aucun réacteur n'est à niveau.
Trop de missions sont déléguées à des sous-traitants, comme l'ont montré la Cour des comptes et la commission d'enquête parlementaire de 2018, entraînant une perte des compétences chez les exploitants.
Pour lancer un chantier colossal de plusieurs EPR, les pouvoirs publics doivent disposer de garanties indépendantes sur la capacité d'EDF et de ses sous-traitants à le mener à bien.
Ni le débit des fleuves, ni les inondations, ni les retraits littoraux ne sont anticipés... Or le dérèglement climatique rend aujourd'hui l'improbable possible. Quatre réacteurs sur dix sont à l'arrêt en cas de canicule ; qu'en sera-t-il lorsque la température aura augmenté de deux degrés ?
Allez-vous demander aux opérateurs si leurs installations sont résilientes en cas de catastrophes multifactorielles ou d'épisodes climatiques extrêmes, comme le suggérait le rapport parlementaire de Barbara Pompili ? Mi-décembre, dix-sept réacteurs étaient à l'arrêt. Leur maintenance a été fortement perturbée par les confinements successifs.
La question des déchets dont la radioactivité se prolonge des milliers d'années doit aussi être débattue. Aucune solution n'est prévue, sinon un enfouissement sans contrôle a posteriori, en espérant que tout se passe bien... Combien de temps cette solution sera-t-elle encore acceptable ?
Enfin, le parc a vieilli. Il est prolongé alors qu'il était prévu pour quarante ans. (M. Stéphane Piednoir le conteste.) Pas moins de 100 milliards d'euros, voilà la somme à débourser. Il faut un état des lieux indépendant et transparent, réacteur par réacteur.
Le Président de la République a annoncé - de manière très démocratique... - la création de nouveaux réacteurs.
Mais un problème structurel se pose, car c'est à EDF de déclarer les incidents à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Comme si Spanghero était chargé de signaler ses lasagnes au cheval ! L'omerta est la règle. Que comptez-vous faire pour améliorer le contrôle des centrales par l'ASN ? Comment allez-vous protéger les lanceurs d'alerte dans l'industrie nucléaire ?
L'acceptabilité des risques ne doit pas relever des seuls experts, les citoyens aussi doivent se prononcer sur la question. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité . - Ce débat est essentiel, car à l'heure de la décarbonation de notre énergie, le nucléaire joue un rôle de premier plan. C'est aussi un sujet d'actualité, car nous sommes à la veille de décisions importantes : la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans, la création de nouveaux réacteurs annoncée par le Président de la République et l'investissement dans les compétences.
C'est un travail au long cours, afin de trouver l'équilibre juste entre l'indispensable part de nucléaire et le développement massif des énergies renouvelables. Nous avons déployé des moyens en conséquence, notamment 470 millions d'euros dans le cadre du plan de relance.
Des décisions courageuses doivent être prises pour assurer cette sécurité. Nous le faisons quand nous arrêtons des centrales en période hivernale.
Députée, j'ai participé à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté nucléaire. J'ai également siégé au conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
Il n'y a pas de solution magique : il faut avant tout trouver un cadre et des équilibres. Le dérèglement climatique a changé notre vision.
Les principes qui nous guident sont la responsabilité première de l'exploitant, l'indépendance de l'ASN - laquelle a vu ses effectifs augmentés de 56 ETP - et le rôle d'encadrement du Gouvernement. Sachez que notre système de sécurité est régulièrement évalué par nos pairs étrangers.
En juin 2018, l'Assemblée nationale a publié un rapport sur la sécurité des installations nucléaires dont la moitié des préconisations sont déjà appliquées, et un tiers est en cours de mise en oeuvre. Gestion plus innovante des déchets, résilience des installations aux événements climatiques exceptionnels, approvisionnement en eau, maintien des compétences : autant de questions que nous examinons de près.
Le parc vieillit, d'où la question du prolongement des réacteurs anciens au-delà de quarante ou cinquante ans. Un réexamen est assuré tous les dix ans. La participation du public a été renforcée avec l'élargissement du champ des enquêtes publiques ; la première est en cours pour la centrale du Tricastin. C'est essentiel pour créer la confiance.
Pour le nouveau nucléaire, une organisation industrielle rénovée permettra de répondre aux exigences de sécurité. Les retards observés en Finlande, en Grande-Bretagne, en Chine seront source d'enseignement. EDF et Framatome ont mis en place des plans structurants.
Mme le président. - Veuillez conclure.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Des travaux sont en cours sur les compétences à entretenir, le Gouvernement est pleinement investi.
Mme Véronique Guillotin . - Les plans particuliers d'intervention (PPI) prévoient notamment la distribution gratuite de pastilles d'iode en cas d'incident nucléaire. Il y a deux ans, le Sénat a adopté un de mes amendements, hélas non repris, étendant le périmètre à toutes les communes membres d'une intercommunalité touchée, au-delà des vingt kilomètres en vigueur.
Villerupt, ma commune, est à cinq kilomètres d'une ville luxembourgeoise qui bénéficie de la distribution gratuite de pastilles d'iode, alors que les villeruptiens n'en bénéficient pas : ce n'est pas cohérent.
Peut-on envisager une remise à niveau de nos PPI au niveau européen ? Ou à tout le moins l'inclusion de toutes les communes de l'EPCI ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Le rayon de distribution est passé de dix à vingt kilomètres en 2019. Cela permet de protéger en urgence les populations. Cette distance s'apprécie au niveau de la commune et non de l'intercommunalité. Elle est également utilisée pour d'autres dispositifs de gestion de crise. Au-delà des communes concernées, la distribution peut aussi être organisée au niveau départemental. Nous avons plusieurs heures pour intervenir, car la cinétique de diffusion de la radioactivité est lente.
Le rayon de vingt kilomètres est retenu par la plupart des régulateurs dans de nombreux pays.
Mme Véronique Guillotin. - Le Luxembourg et la Belgique vont bien au-delà de vingt kilomètres ! Ouvrons le débat pour plus de cohérence à l'échelle européenne.
M. Rémi Cardon . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le 12 octobre dernier, le Président de la République affirmait vouloir investir dans des technologies de rupture. Le 9 novembre, il annonçait la construction de nouveaux réacteurs.
Je me réjouis que le Parlement se saisisse de ce dossier et espère que tout n'est pas déjà décidé.
Vous devez être dans le secret des dieux... Quel mix énergétique pour la France ? Quelle place pour le nucléaire ? Comment anticipons-nous les tensions sur les capacités de production d'énergie ? Quel scénario de Réseau de transport d'électricité (RTE) avez-vous retenu ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Notre mix énergétique, dans un contexte d'augmentation de la consommation d'électricité et de poursuite d'un objectif de baisse des émissions nécessaire, demande un développement volontariste des énergies renouvelables, mais cela ne peut avoir lieu de manière réaliste sans nucléaire.
Des précisions seront annoncées très prochainement sur le calendrier de construction de nouvelles centrales. Le dépôt des dossiers pour les EPR 2 - dont la construction sera améliorée par rapport à la première génération - pourrait avoir lieu en 2023, pour une mise en service en 2035-2037.
D'autres modèles, comme les petits réacteurs modulaires (SMR), sont attendus à horizon 2030.
M. Rémi Cardon. - Votre réponse toute en prudence sur le mode du « en même temps » montre bien que les choses ne sont pas très claires.
Développer le nucléaire, c'est augmenter les risques. L'énergie issue de la fission nucléaire n'est pas une énergie comme les autres ; elle présente de nombreux risques.
Mme Marie Evrard . - La sûreté des installations nucléaires est un sujet particulièrement important.
L'audition du président de l'ASN en avril dernier nous avait permis de sortir des idées reçues ; nous l'avions d'ailleurs applaudi. Hélas, certains veulent, à des fins politiciennes, caricaturer et susciter les peurs.
L'arrêt temporaire d'un réacteur, c'est la vie normale du parc. Nous devrions tous saluer le haut niveau d'exigence de l'ASN en matière de sécurité et la rigueur de la filière.
Le plan France 2030 annoncé par le Président de la République est une réponse adéquate aux enjeux de long terme.
Alors que les visites décennales doivent se multiplier d'ici à 2025, qu'a-t-il été prévu pour sécuriser l'approvisionnement énergétique dans les prochaines années ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Cette question est essentielle. Nous sommes pleinement mobilisés.
Pour cet hiver, le Gouvernement a pris des mesures. RTE s'apprête à exploiter le réseau de manière dégradée en cas de besoin, avec un arrêt de certains outils industriels et des écogestes auxquels les citoyens se préparent tous. EDF va également mener un audit afin d'optimiser l'arrêt des réacteurs.
De nouveaux moyens de production - éoliennes, EPR de Flamanville notamment - doivent aussi nous permettre de faire face.
M. Pierre Médevielle . - Le nucléaire sera plus que jamais indispensable demain, avec l'explosion de la demande d'électricité par l'industrie, les transports, l'agriculture ou le numérique. Pour y répondre, notre mix doit être proportionné entre les énergies renouvelables et un nucléaire sécurisé, indispensable.
Dans ce secteur, l'innovation est cruciale. Les SMR sont intéressants au regard de la sécurité, même si leur coût semble encore prohibitif. Alors que la France avance sur les SMR, la régulation suit-elle ? Doit-elle évoluer pour tenir compte des particularités de ces petites installations ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La filière travaille sur des projets de nouveaux réacteurs, de type SMR ; EDF est le chef de file de ces réflexions.
La phase d'avant-projet sommaire précisera la conception comme le modèle économique. Elle sera suivie d'un arrêté d'autorisation, pris sur avis de l'ASN, sans doute en 2028. Les développements se poursuivront ensuite en vue de la construction d'un démonstrateur à horizon de 2030.
La compacité de ces nouveaux réacteurs présente des avantages de sécurité : la quantité de matière fissile est réduite, la taille des composants limitée, le nombre de personnes à évacuer en cas d'incident plus faible.
Ces réacteurs devront respecter des objectifs de sûreté au moins aussi exigeants que les installations actuelles.
Le cadre actuel permet de poursuivre sereinement ces réflexions.
M. Pierre Médevielle. - Il est heureux que nous avancions dans cette direction. Si nous voulons éviter les difficultés qui attendent l'Allemagne, il est impérieux d'accélérer les investissements ! (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme Martine Berthet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'énergie nucléaire est un atout considérable pour atteindre la neutralité carbone en 2050 comme pour garantir notre souveraineté énergétique. (Protestations sur les travées du GEST) La hausse actuelle des coûts de l'énergie le confirme.
Du fait de la crise sanitaire, EDF a dû revoir son programme d'arrêt du parc par tranches. Le décalage des opérations de maintenance qui en est résulté risque d'affecter la production, alors que nous devons faire face aux pics hivernaux.
Un calendrier de rattrapage est-il prévu et les besoins en compétences sont-ils pris en compte ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La filière fait face à de lourds enjeux - grand carénage, gestion des déchets, nouveaux réacteurs - , dans un cadre de sécurité et de coût contraint. Les compétences doivent être adaptées, l'organisation industrielle aussi.
À court terme, Barbara Pompili a demandé à EDF d'assurer l'approvisionnement et de renforcer la disponibilité du parc. Un audit général et indépendant sera réalisé cette année sur la sûreté et la disponibilité du parc.
Les besoins en compétences sont identifiés, par exemple en tuyauterie, soudure ou chaudronnerie. Le plan de relance prévoit 30 millions d'euros pour le renforcement des compétences et la création d'une Université des métiers du nucléaire.
Mme Sophie Taillé-Polian . - Les fuites d'éléments radioactifs sont une menace pour la santé et pour l'environnement.
À Tricastin, une fuite de tritium s'est traduite par des niveaux de radioactivité 14 000 fois supérieurs aux seuils naturels ! Officiellement, tout va très bien... De tels niveaux n'ont aucune conséquence sanitaire, vraiment ? Même EDF n'exclut pas que la nappe phréatique ait été touchée. On parle pudiquement de marquage des eaux, mais il s'agit bien d'une pollution !
À Tricastin toujours, le mois dernier, EDF a dû signaler la défaillance d'instruments de mesure pendant plusieurs heures. Sans parler de l'alerte lancée par un ancien salarié dénonçant la culture du silence.
Cette centrale, une des plus vieilles de France, est dangereusement dysfonctionnelle. Qu'attendez-vous pour demander des comptes à EDF et procéder à des contrôles en profondeur ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'ASN, autorité indépendante, a estimé l'année dernière que les performances globales de Tricastin rejoignent celles des autres centrales,...
M. Guy Benarroche. - Globalement...
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - ... tout en observant des fragilités persistantes.
Le 15 décembre dernier, EDF a déclaré un événement significatif pour l'environnement, lié à une détection de tritium dans les eaux internes de la centrale. Après investigation, elle a identifié un débordement dans un réservoir d'effluents radioactifs liquides. Cet écart a été classé au niveau zéro, la pollution étant circonscrite à l'enceinte du site.
Les sujets soulevés par le lanceur d'alerte doivent être traités factuellement et avec les précautions d'usage. Je rappelle que la direction d'EDF a opposé un démenti formel aux faits allégués. Ce plaignant a été débouté des quatre actions judiciaires et administratives qu'il a intentées. L'inspection du travail de l'ASN a conclu à l'absence de harcèlement et de volonté de dissimulation.
Mme le président. - Madame la secrétaire d'État, veillez à respecter votre temps de parole.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Le système actuel d'autocontrôle ne fonctionne pas, Tricastin le prouve. Continuer à construire des centrales est irresponsable ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Fabien Gay . - Le mois dernier, les centrales de Chooz, dans les Ardennes, et de Civaux, dans la Vienne, ont été arrêtées pour des vérifications. Ces décisions ont entraîné un défaut de production de l'ordre de 1 térawattheure, mais elles étaient nécessaires.
Nous avons besoin du nucléaire dans notre mix pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais des questions se posent dans le débat citoyen : utilisation de l'atome pour l'armement, gestion des déchets, notamment.
Il faut des installations sûres et une information transparente. L'indispensable effort de maintenance préventive suppose des investissements massifs. Or les gouvernements successifs ont laissé se perdre de nombreuses compétences en mettant à mal le modèle intégré d'EDF et en ouvrant la voie à la sous-traitance à outrance.
Nous devons être à la hauteur des exigences de sécurité de nos concitoyens. Quels sont les investissements prévus pour la maintenance ? Allez-vous revenir sur votre intention de démanteler EDF ? Quel est le retour d'expérience sur le recours à la sous-traitance ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - EDF doit évoluer mais nous pensons, comme vous, qu'il faut maintenir un cadre de régulation pour le nucléaire comme l'hydroélectricité.
Le Gouvernement a demandé au PDG d'EDF de formuler des propositions sur l'organisation du groupe. Nous souhaitons une entreprise intégrée et publique.
Nous nous sommes engagés aussi sur une nouvelle régulation du parc qui protège le consommateur des hausses de prix et en assure le financement. Le consommateur doit pouvoir compter sur les prix stables et maîtrisés que le nucléaire permet, et EDF exploiter son parc de façon performante, en toute sûreté.
Le projet de réorganisation d'EDF, qui prévoit l'exploitation des centrales par une entité publique, fait l'objet d'échanges avec la Commission européenne. Des progrès substantiels ont été réalisés. La protection des consommateurs et le maintien de l'outil industriel sont les deux principes essentiels qui nous guident.
Mme Céline Brulin. - Et sur la sous-traitance ?
Mme Denise Saint-Pé . - Il y a peu, la filière nucléaire était exsangue. Mais l'exécutif a fini par surmonter ses atermoiements, devant l'urgence climatique. (Exclamations sur les travées du GEST) Je me réjouis des progrès réalisés, mais ils restent insuffisants.
Des investissements colossaux sont nécessaires pour mener à bien des projets comme ceux de La Hague et de Bure ou encore le grand carénage, un chantier titanesque.
Dans ce contexte, la labellisation verte de la filière par la Commission européenne tombe à point nommé. Les garanties demandées, notamment en termes de gestion des déchets et de démantèlement des installations en fin de vie, vous paraissent-elles proportionnées ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Il va sans dire que nous accueillons favorablement l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne, sur le fondement d'une analyse scientifique indépendante. Le rôle clé du nucléaire pour la décarbonation de nos économies est ainsi reconnu.
Nous devons respecter nos objectifs climatiques tout en garantissant la sécurité des approvisionnements et l'indépendance énergétique à l'échelle européenne. Le nucléaire est une condition de la réussite de la transition écologique, avec les énergies renouvelables.
Nous transmettrons à la Commission européenne des observations techniques dans le cadre de la procédure de consultation. Le projet d'acte délégué fixe des conditions, ce qui est normal ; nous sommes en train d'analyser ces exigences en détail.
Je rappelle que le cadre en matière de gestion des déchets est déjà très exigeant, s'agissant notamment de la responsabilité du producteur. Une mission globale est confiée à l'Andra dans ce domaine. Des projets de stockage comme Cigéo sont bien avancés.
Il faut désormais finaliser ce texte, avec une métrique commune des activités reconnues comme vertes. Les acteurs auront ainsi la visibilité nécessaire à la mise en oeuvre de la taxonomie.
Mme Angèle Préville . - Cinquante ans de fonctionnement d'une centrale nucléaire, c'est de l'électricité pour deux générations, mais des déchets sur les épaules de 40 000 générations...
On ne le dira jamais assez : la meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas ! Nous devons réduire notre consommation, alimentée par des gadgets numériques gourmands en énergie, et revoir nos usages.
D'autant que nos centrales nucléaires vieillissent, et que rien ne dit que leur durée de vie sera prolongée jusqu'à soixante ans. Quatre de nos réacteurs les plus puissants sont à l'arrêt. Au total, dix-sept réacteurs ne fonctionnent pas en plein coeur de l'hiver !
Dans ce contexte, le risque est que la sûreté devienne la variable d'ajustement. L'ASN doit rehausser le niveau de sécurité au fil des visites décennales et à l'aune des retours d'expérience des catastrophes passées - car nous ne sommes à l'abri de rien. Allez-vous lancer cette dynamique ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Notre mix énergétique évolue, notre parc aussi. Sans cesse, nous devons adapter les conditions de sécurité afin de garantir la confiance de nos concitoyens. Cette réflexion doit être apaisée et scientifiquement éclairée.
Il n'y a pas de solution miracle pour la gestion des déchets, mais plusieurs options technologiques.
Le Gouvernement soutient le secteur à travers un effort sans précédent de 1 milliard d'euros, pour les technologies comme pour les compétences.
Débattons sereinement du point d'équilibre responsable, dans la transparence, en dépassant les oppositions stériles entre pro et anti nucléaire.
Mme Angèle Préville. - Je le répète : la sûreté ne doit pas être sacrifiée ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Salmon applaudit également.)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce mois-ci, nos capacités nucléaires sont à leur plus faible niveau historique. Quelle leçon en tirez-vous ? Allons-nous devoir arbitrer entre la sûreté du parc et la sécurité de l'approvisionnement?
Vous parlez du futur éolien en mer, mais nous avons besoin de moyens pilotables. Vous avez passé sous silence le projet de décret augmentant temporairement les capacités des centrales à charbon : ce recul n'est évidemment pas une solution durable.
Alors que plusieurs de nos voisins européens s'apprêtent à fermer des capacités pilotables, quelles réponses à long terme proposez-vous ?
M. Daniel Salmon. - Le 100 % renouvelable ! C'est possible !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je n'ai pas abordé tous les aspects de notre mix, car ce débat porte sur la sûreté nucléaire.
Ces débats sont légitimes et se poursuivront au cours des prochaines années. Le Parlement y sera largement associé. Les scénarios de RTE et les audits en cours éclaireront la réflexion.
Nous déployons des moyens très importants pour les compétences et l'innovation, afin de faire évoluer notre mix et notre outil industriel de production électrique.
Mme Christine Lavarde. - Je faisais simplement observer que vous n'aviez pas traité de certains sujets, peut-être plus difficiles.
La question de l'équilibre délicat entre sûreté du parc et sécurité de l'approvisionnement se pose depuis de nombreuses années. Le Gouvernement a tardé à y répondre, alors que mettre en place de nouvelles capacités de production prendra du temps.
M. Patrick Chauvet . - Le nucléaire est une source d'énergie essentielle, non carbonée et pilotable. Nous ne pouvons nous en passer. (On le conteste sur les travées du GEST.)
La sûreté doit être la clé de voûte de nos décisions. Elle est la condition de la confiance des citoyens.
Le cadre français, fondé sur l'expertise de l'ASN, est très protecteur. Nous soutenons évidemment vos efforts pour l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte européenne, mais il faut aussi une harmonisation des règles de sécurité au niveau européen, y compris pour exporter plus facilement de nouveaux types de centrales.
Comment comptez-vous favoriser la convergence vers une réglementation commune de la sûreté en Europe ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'harmonisation des règles de sûreté est en effet indispensable, au niveau européen comme au niveau international.
L'ASN et l'IRSN participent aux échanges internationaux en la matière. La législation européenne intègre déjà un corpus de règles, et les exigences seront renforcées par les textes à venir.
Les autorités de contrôle travaillent également entre elles au rapprochement de leurs standards.
M. Patrick Chauvet. - Prenons garde que la sûreté ne devienne pas un enjeu de compétitivité pour la filière !
M. Franck Montaugé . - Parce que le risque zéro n'existe pas, nous devons prévoir des dispositifs de protection des populations en cas d'accident, en particulier la distribution de pastilles d'iode stable pour lutter contre les problèmes thyroïdiens.
Le périmètre des PPI ne dépasse pas vingt kilomètres, alors que, nous le savons bien, de vastes territoires peuvent être rapidement exposés à la radioactivité.
La question écrite que j'ai posée à cet égard est sans réponse depuis dix-huit mois. Comment comptez-vous agir pour nous éviter de revivre les errements que nous avons connus au printemps 2020 avec les masques et l'oxygène ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Le préfet a la charge des PPI. Une mise à l'abri est prévue en cas d'accident à cinétique rapide, sur alerte directe de l'exploitant. Les mesures relèvent de l'autorité préfectorale, avec l'appui de l'ASN, pour les accidents à cinétique plus lente.
Une cellule interministérielle de crise assure la conduite opérationnelle en cas d'accident majeur. Nous organisons des exercices tous les quatre ans au niveau local pour garantir une réactivité optimale. Les 18 et 19 mai derniers, un exercice de grande ampleur a été mené à tous les échelons d'intervention.
M. Franck Montaugé. - Votre réponse n'est pas rassurante. Il n'y a pas sur les territoires de simulations opérationnelles suffisantes, impliquant les populations. L'État doit prendre à bras-le-corps ce sujet. L'acceptabilité du nucléaire en dépend.
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous déplorons régulièrement le succès des fausses informations qui inondent les réseaux sociaux. Mais il y a pire encore : les fausses théories qui finissent par s'ancrer dans l'imaginaire collectif.
Ainsi de l'idée, visant à discréditer la filière nucléaire, selon laquelle les réacteurs auraient une durée de vie de quarante ans. Certains orateurs précédents n'ont pas manqué de l'invoquer.
L'ASN le dit clairement : les installations nucléaires n'ont pas de durée de vie légalement définie. Il faut donc en finir avec celle légende écolo-urbaine !
Le Gouvernement peut-il contribuer à la rigueur et à la sincérité du débat en confirmant qu'il n'y a pas d'obsolescence programmée des réacteurs ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'autorisation d'exploitation, délivrée sans limitation de durée, est réexaminée tous les dix ans. Récemment, une nouvelle dizaine d'années a été accordée par l'ASN aux plus gros réacteurs. Des visites de contrôle régulières sont menées, comme à Tricastin.
Aucune décision n'a été prise pour les décennies suivantes. La sûreté ne se décrète pas : elle se mesure et se vérifie.
Mme Agnès Canayer . - Nous sommes le pays le plus nucléarisé au monde. En Seine-Maritime, il y a déjà deux centrales, en attendant le nouvel EPR.
Cette richesse énergétique s'accompagne d'un besoin de sûreté. À cet égard, EDF s'est dotée d'équipes de surveillance des centrales, formées aux situations d'urgence.
La prévention, en revanche, reste perfectible. La population doit être davantage impliquée dans les exercices. Les élus eux-mêmes sont très peu informés. Les distributions de pastilles d'iode arrivent rarement jusqu'aux habitants.
Comptez-vous mieux impliquer élus et populations pour améliorer la culture du risque nucléaire ? Allez-vous modifier le statut de médicament des pastilles d'iode pour qu'elles puissent être distribuées efficacement en dehors des pharmacies ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - En amont des crises et au-delà du périmètre des PPI, nous devons pouvoir agir rapidement avec les ressources nécessaires. Les élus et les populations doivent donc être impliqués. Les exercices sont essentiels à cet égard.
Les commissions locales d'information (CLI) se réunissent plusieurs fois par an. Elles sont l'occasion de présenter un bilan de sûreté aux élus.
Mme Agnès Canayer. - Ces commissions sont un lieu d'échanges, mais insuffisant pour créer une véritable culture du risque. L'incident de Lubrizol l'a montré : la culture du risque ne se décrète pas, elle se construit avec toutes les populations ! (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La filière nucléaire française est une filière d'excellence, mais elle a été trop longtemps délaissée. Résultat : nous souffrons d'un déficit de compétences et de qualifications.
La formation est essentielle pour la sûreté. Un effort massif et continu s'impose dans ce domaine, s'agissant notamment de la formation initiale, y compris à la gestion des déchets.
Comment comptez-vous rendre plus attractifs les formations et les métiers du nucléaire ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Quelle que soit notre vision sur le nucléaire, ces compétences sont en effet essentielles pour l'exploitation, l'éventuelle prolongation ou la construction de centrales. Nous devons les entretenir.
Les EPR britannique, finlandais et chinois nous offrent des retours d'expérience très utiles. Dès 2020, EDF et Framatome se sont dotés de plans en ce sens, en identifiant des besoins en tuyauterie, soudage, chaudronnerie, essais et contrôles notamment. Le plan de relance prévoit 30 millions d'euros pour aider la filière dans ce domaine. Nous allons également créer une université des métiers du nucléaire.
Un audit global des compétences est prévu en 2022, dans la perspective de la programmation des constructions, de la poursuite du grand carénage et de la multiplication des chantiers de gestion.
Mme Marta de Cidrac. - La France ne dispose plus des compétences qui faisaient sa fierté par le passé. L'expérience de Flamanville le montre. Cette filière d'excellence a été abandonnée, et les volte-face du Président de la République ont fait du tort à son attractivité. Les conséquences sont immédiates : nous avons frôlé plusieurs fois le blackout partiel.
Mme le président. - Il faut conclure.
Mme Marta de Cidrac. - Ne jouons plus à pile ou face sur de tels sujets.
Mme Else Joseph . - Le nucléaire reste et doit rester une énergie d'avenir. En matière de sûreté, la rigueur a toujours été de mise dans notre pays, et aucun accident majeur n'a été déploré, en dépit des prédictions apocalyptiques.
Avec la mise à l'arrêt de certaines centrales, la question de la sécurité reste d'actualité, comme à Chooz, dans les Ardennes. Cela inclut la gestion des déchets, pour la sécurité des générations futures. Nous devons garantir aussi bien la transparence que le secret des installations. Comment assurer la sécurité pour maintenir la confiance de l'opinion dans le nucléaire ?
Enfin, la France ne peut perdre ses savoir-faire en la matière. Pourquoi ne pas relancer le programme Astrid ? Nos besoins en électricité vont augmenter. La sécurité doit être complète : c'est la contrepartie de l'efficacité. Madame la ministre, nous voulons une nouvelle stratégie pour le nucléaire.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Vous avez bien souligné les enjeux. La réflexion se poursuit dans un contexte de réchauffement climatique et de hausse des besoins en électricité.
Nous avons ainsi proposé le lancement de nouveaux chantiers, en nous appuyant sur les scénarios de RTE. La question des compétences est essentielle, à la fois pour l'entretien des centrales, leur démantèlement éventuel ou la gestion des déchets.
À l'autre bout de la chaîne, il faut tenir compte des enjeux éthiques, entre nos responsabilités face au réchauffement climatique et ce que nous laisserons aux générations futures.
Je remercie encore les sénateurs d'avoir proposé ce débat. Nous devons suivre les recommandations des scientifiques pour trouver les meilleurs équilibres.
M. Guillaume Gontard, président du groupe écologiste - solidarité et territoires . - Je me félicite aussi de la tenue de ce débat, qui a permis quelques éclaircissements, malgré les zones d'ombre qui persistent.
Dans un parc vieillissant, les problèmes de maintenance se multiplient, voire les fuites, comme au Tricastin. Au mois de décembre, dix-sept réacteurs sur cinquante-six se sont trouvés à l'arrêt simultanément. RTE le dit, jamais le parc n'a aussi mal fonctionné.
Le ministre a donc dû demander un audit. En cas d'attentat du type 11 septembre ou de chute accidentelle d'avion, la capacité de résistance des centrales n'est pas garantie.
Or l'opacité est totale. Une forme de secret est justifiée pour protéger les installations des actions malveillantes, mais même l'autorité de contrôle qu'est l'ASN est tributaire des informations transmises par EDF, comme l'a montré le lanceur d'alerte du Tricastin.
Je vous renvoie à l'excellent rapport de la députée Barbara Pompili, qui préconise un renforcement des moyens d'action du gendarme du nucléaire et une diversification de l'expertise. Il est temps de le mettre en oeuvre. Il est également crucial de protéger les lanceurs d'alerte.
Que l'on plaide, comme le GEST, pour une sortie du nucléaire ou que l'on prône une relance, nous vivrons encore longtemps avec l'atome. La question de la sécurité, par conséquent, nous concerne tous. C'est l'activité industrielle la plus dangereuse qui soit, concentrée en France dans des proportions uniques au monde.
Pourquoi, dans ces conditions, les tenants du nucléaire ne plaident-ils pas pour un renforcement drastique des règles de sécurité, afin de rassurer la population ? Aujourd'hui, le coût de production n'intègre pas les exigences de sécurité du XXIe siècle. Un nucléaire plus sûr, c'est un nucléaire plus cher.
La PPE 2023-2028 fixe l'objectif d'une réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix énergétique. La fermeture de douze réacteurs réglera la question des plus vieilles installations, mais le choix des réacteurs à fermer doit faire l'objet d'un débat public.
De manière générale, l'avenir de notre mix énergétique et la construction de nouvelles installations doivent relever d'une décision démocratique. La Commission nationale du débat public et sa présidente, Chantal Jouanno, demandent un débat transparent.
L'atome ne peut demeurer la chasse gardée d'experts endogames comme c'est le cas depuis le début du programme nucléaire français, créant une omerta mortifère et facteur de risque. Conformément aux recommandations du rapport Pompili, nous souhaitons donc la création d'une délégation parlementaire à la sûreté nucléaire.
La part des énergies renouvelables doit, dans tous les cas, augmenter de manière drastique d'ici à 2030, pour approvisionner le pays et respecter nos engagements. Cela réclame planification et encadrement.
Ni vert, ni propre, ni bon marché, ni sans danger, le nucléaire mérite une véritable réflexion. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Angèle Préville applaudit également.)
Prochaine séance, lundi 10 janvier 2022, à 17 heures.
La séance est levée à 13 h 45.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du lundi 10 janvier 2022
Séance publique
À 17 heures et le soir
Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président M. Roger Karoutchi, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot - Mme Marie Mercier
1. Proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission, n°303, 2021-2022) (demande de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication)
2. Proposition de loi visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°314, 2021-2022) (demande du groupe Les Républicains)