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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Modification de l'ordre du jour
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains
Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville
M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains
Meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante
M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de résolution
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
Développement de l'agrivoltaïsme en France
M. Jean-François Longeot, co-auteur de la proposition de résolution
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Souveraineté maritime française
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains
Mme Annick Girardin, ministre de la mer
Ordre du jour du mercredi 5 janvier 2022
SÉANCE
du mardi 4 janvier 2022
38e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot, Mme Marie Mercier.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.
Décès d'anciens sénateurs
Mme le président. - J'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Stéphane Bonduel qui fut sénateur de la Charente-Maritime de 1980 à 1989 et de Louis-Ferdinand de Rocca Serra qui fut sénateur de la Corse-du-Sud de 1994 à 2001.
Protocole sanitaire
Mme le président. - Compte tenu de l'évolution de la situation sanitaire et après concertation du Président du Sénat avec les Questeurs, les présidents de groupe et les présidents de commission et de délégation, il a été décidé de ne pas rétablir de système de jauge pour la séance publique et pour les réunions de commission et de délégation.
En revanche, les commissions et les délégations ont de nouveau la possibilité d'organiser leurs réunions plénières selon un schéma mixte : le présentiel en principe, mais la faculté de participer à distance, sans toutefois la possibilité de voter pour ceux de nos collègues utilisant la visioconférence.
Sur la proposition de M. le Président du Sénat, nous pourrions également suspendre l'application de l'article 23 bis de notre Règlement relatif aux présences en séance publique et en commission jusqu'à la suspension de nos travaux, fin février. Aucune retenue ne serait donc effectuée en application de cet article au terme de la période de référence de quatre mois initialement retenue.
Il en est ainsi décidé.
Mme le président. - Je vous rappelle enfin que le port du masque est obligatoire dans l'hémicycle, y compris pour les orateurs s'exprimant à la tribune. J'invite par ailleurs chacune et chacun à veiller au respect des gestes barrières.
Modification de l'ordre du jour
Mme le président. - Par lettre en date du 23 décembre, le Gouvernement a retiré de l'ordre du jour du jeudi 6 janvier la séance de questions orales et a sollicité du Sénat l'inscription le jeudi 6 janvier, l'après-midi et le soir, du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et le vendredi 7 janvier, l'après-midi et le soir, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de l'éventuelle commission mixte paritaire sur ce texte.
Le texte n'ayant pas été transmis cette nuit par l'Assemblée nationale, son inscription à l'ordre du jour sera soumise ultérieurement au Sénat.
Par ailleurs, en raison de la demande du Gouvernement, il était envisagé de soumettre au Sénat les modifications suivantes : d'une part, l'avancement à la reprise de ce soir du débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans, initialement prévu le jeudi 6 janvier après-midi ; d'autre part, l'avancement à jeudi 6 janvier, à 10 h 30, du débat sur le thème « Le partage du travail : un outil pour le plein emploi ? », ainsi que du débat sur la sûreté des installations nucléaires, initialement prévus l'après-midi.
Il en est ainsi décidé.
Mme le président. - Enfin, le Gouvernement a demandé l'inscription d'une séance de questions orales le mardi 25 janvier matin, en remplacement de celle de ce jeudi.
Commission (Nomination)
Mme le président. - J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires économiques a été publiée. Cette candidature sera ratifiée si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Chers collègues, permettez-moi de vous présenter mes voeux de très bonne année. (Marques de remerciement sur la plupart des travées)
Crise du logement
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la crise du logement que connaît notre pays et sur le manque d'ambition de la politique de la ville, à la demande du groupe Les Républicains.
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a cinq ans, Emmanuel Macron promettait un choc d'offre pour faire baisser le prix du logement, construire 60 000 nouveaux logements étudiants et répondre aux besoins des ménages les plus modestes. Il est temps de faire le bilan du quinquennat.
En réalité, le choc d'offre n'a pas eu lieu et la crise du logement s'est aggravée. Le groupe Les Républicains veut formuler des propositions alternatives pour notre pays.
Les Français sont inquiets face à l'envolée des prix du logement et de l'énergie, qui pèsent lourdement sur le pouvoir d'achat, et face au risque de déclassement. Le logement est au coeur de leurs préoccupations. Le souhait de devenir propriétaire devient hélas une chimère. Et les propos de la ministre du logement qualifiant la maison individuelle de rêve dépassé et de non-sens écologique ne les rassurent guère...
Ce gouvernement technocratique a fait du logement des plus modestes une source d'économies budgétaires. (M. Laurent Burgoa approuve.) Les aides personnalisées au logement (APL) ont diminué - ce sont 10 milliards d'euros qui manquent ! -, les bailleurs sociaux ont vu leurs moyens d'action amputés du fait de la réduction de loyer de solidarité - 1,3 milliard d'euros chaque année ! -, Action Logement a été menacé de démembrement et ponctionné de plus de 2 milliards d'euros.
Malgré la prolongation de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) et l'affichage de tardives ambitions en matière de logement social, la vision de l'exécutif continue à inquiéter : notre modèle de logement social est remis en cause ; les ressources propres qui y sont destinées sont en recul ; la dépense nationale pour le logement, qui devrait être inflationniste, continue de baisser...
La construction affiche un déficit de 170 000 logements sur quatre ans selon l'Institut Montaigne. Sur les 60 000 promis, seuls 30 000 logements étudiants seront construits. La crise sanitaire, les élections municipales n'expliquent pas tout : l'Insee a mis en évidence un recul de la construction sur les cinq dernières années, inédit depuis 1986.
Nous déplorons aussi le manque d'ambition en matière de politique de la ville. Le rapport Borloo a été refusé. Par deux fois, les maires des quartiers prioritaires de la ville (QPV) ont lancé un appel au secours au Président de la République. Certes l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a été relancée et le Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU) plus que doublé, mais ce sont Action Logement et les bailleurs sociaux qui en ont assuré le financement : l'État a mis moins de 80 millions d'euros, loin des 200 millions promis sur le quinquennat.
Une autre politique est possible pour relancer la construction et redonner de l'oxygène aux bailleurs sociaux avec une TVA à 5,5 %, ainsi que je l'avais proposé lors de l'examen du projet de loi Climat, pour une économie de 5 000 euros par logement neuf.
À cet égard, le plan de relance est une occasion manquée.
Le logement locatif a été obéré par une vision trompeuse du bailleur privé, vu comme un rentier, non comme un entrepreneur en logement. C'est pourquoi j'ai proposé, lors de l'examen du projet de loi Climat, de rehausser le déficit foncier.
Il faut simplifier et sécuriser l'acte de construire, car la multiplication des normes pèse sur le coût de la construction.
Il faut rétablir la fluidité du parcours résidentiel en soutenant l'aspiration légitime à la propriété. Valérie Pécresse a récemment dénoncé les primes d'assurance qui pèsent sur les personnes séropositives ou atteintes d'un cancer. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)
Il faut également revoir la politique du logement social, afin d'éviter la concentration des ménages les plus modestes dans les mêmes territoires, car la loi SRU n'a pas su être vecteur de mixité sociale. C'est le sens du plafonnement du pourcentage de logements les plus sociaux que nous avons proposé dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit 3DS.
Le logement social doit aussi davantage s'ouvrir aux classes moyennes qui ont le droit d'habiter près de leur emploi.
Nous proposons une ANRU des habitants pour accompagner les populations de ces quartiers vers la réussite économique et l'intégration républicaine.
Le logement est un élément majeur de l'ascenseur social. Prenons les mesures qui s'imposent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville . - Je vous souhaite à tous une belle et heureuse année et vous prie d'excuser l'absence d'Emmanuelle Wargon à laquelle je souhaite un prompt rétablissement.
Nous conduisons des réformes fortes pour le logement, afin de répondre aux besoins.
Nous sommes face à un paradoxe : alors que la demande en ville est forte, la construction de nouveaux logements ne suit pas. Or ne pas répondre à ce besoin, c'est organiser l'éviction des plus pauvres en périphérie, éloigner les actifs de leur lieu de travail et accroître le recours aux transports individuels.
Le Gouvernement est mobilisé pour accompagner le secteur. Fin 2021, la construction a retrouvé son niveau d'avant crise sanitaire, mais il faut rattraper le retard.
C'est pourquoi le Gouvernement a engagé un plan d'action concret de relance de la construction : quelque 250 000 logements sociaux seront construits en deux ans et le fonds Friches, doté de 650 millions d'euros, est pérennisé.
Mais les permis de construire relèvent des collectivités territoriales. Nous avons sur ce sujet confié un rapport à une commission présidée par François Rebsamen, et à laquelle les sénateurs Estrosi Sassone, Martin, Marchand et Lienemann ont participé. Ses conclusions sont claires : il faut réhabiliter l'acte de construire. Nous avons repris plusieurs propositions de la commission. Quelque 175 millions d'euros du plan France Relance seront consacrés à la signature de contrats de relance du logement dans les territoires tendus. Par ailleurs, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) sera entièrement compensée pendant dix ans pour les logements sociaux agréés en 2021 et jusqu'à la fin du mandat municipal. Le dispositif « Louer abordable » a été rendu plus attractif. La loi SRU a été pérennisée dans le texte 3DS et je salue le travail de Mmes Estrosi Sassone et Létard.
Par ailleurs, sachez que nous agissons de matière déterminée dans les territoires de la politique de la ville. Dès 2017, le Président de la République a doublé l'enveloppe de l'ANRU et augmenté de 131 millions d'euros les crédits de la politique de la ville. La relance passe par tous les territoires : au-delà de l'objectif initial de 1 milliard d'euros, c?est en fait 1,2 milliard d'euros qui a été engagé dans les QPV.
Nous souhaitons aller plus loin en mettant en oeuvre une grande partie du rapport Borloo - ne vous en déplaise, madame la sénatrice -, à la suite du comité interministériel des villes du 29 janvier 2021.
En 2017, l'ANRU était à l'arrêt. Nous avons relancé le NPNRU, avec plus de 12 milliards d'euros, pour mener des projets dans 450 quartiers, au profit de trois millions d'habitants. Des dossiers anciens ont été débloqués, en Seine-Saint-Denis, à Marseille, dans les Hautes-Pyrénées ou les Yvelines chères au Président du Sénat.
Nous agissons aussi pour la tranquillité des habitants, avec la création de 1 200 postes de policiers et gendarmes dans 62 quartiers de reconquête républicaine, et le développement de la justice de proximité. Quarante-cinq bataillons de prévention - soit 600 éducateurs et médiateurs - ont été créés pour prévenir le passage à l'acte : nous voulons assécher les viviers de recrutement de la délinquance, de la criminalité et du séparatisme.
Je vois que certains candidats s'intéressent enfin au sujet... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Nous investissons aussi le domaine de l'éducation avec les cités éducatives et le dédoublement des classes. (Brouhaha persistant à droite)
Nous faisons tant d'autres choses que je n'ai pas le temps de développer. Notre ambition est intacte pour nos quartiers; pour qu'ils fassent partie de cette France 2030 que nous sommes en train de construire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Éric Gold . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Emmanuelle Wargon a fait couler beaucoup d'encre avec ses propos sur les pavillons individuels. Il faut cependant s'interroger sur nos modèles. La France compte 55 % de logements individuels, mais les collectivités territoriales font face à deux défis contradictoires : répondre aux besoins de logements et respecter l'objectif de zéro artificialisation des sols. Conséquence : dans certains territoires, les prix flambent. Or le logement représente déjà 40 % du budget des ménages les plus modestes.
Certaines collectivités territoriales choisissent alors de construire la ville sur la ville, sans étalement urbain - comme à Clermont-Ferrand avec la clause canopée - ou en mettant en valeur d'anciennes friches.
Les périphéries s'urbanisent, et pour autant, les centres de petites villes continuent à se vider. Comment construire plus et, surtout, mieux ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Oui, les Français plébiscitent encore la maison individuelle pour son confort et sa qualité de vie, mais le modèle du pavillon de banlieue interroge sur la désertification des centres-villes, le sentiment d'exclusion des habitants des lotissements - manifeste dans la crise des Gilets jaunes - et la disparition massive des terres naturelles. Toutes les cinq minutes, l'équivalent d'un terrain de foot est bétonné...
Il faut construire plus et mieux, sur les espaces déjà artificialisés grâce à la pérennisation du fonds Friches qui va permettre la création de 70 000 logements. Nous encourageons une densité acceptable grâce à l'aide de la relance de la construction durable dans plus de 1 300 communes. Nous favorisons la mixité des matériaux avec la RE2020 et accompagnons le logement intermédiaire et institutionnel.
Nous agissons aussi pour rénover le parc existant. Près de 800 000 demandes de MaPrimeRénov' ont été déposées en 2021, un véritable engouement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Viviane Artigalas . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'ambition première du Président de la République de changer le visage de nos quartiers n'a jamais vu le jour. Seules des mesures éparses ont été engagées, à l'initiative des villes, et non de l'État, qui s'est désengagé. Même le Premier ministre n'avait jamais entendu parler de l'initiative « Coeur de quartier », annoncée en 2018... Les appels à projets manquent d'efficacité. En réalité, ce n'est que le principe de « premier arrivé, premier servi » qui prévaut. Nous constatons l'absence totale d'une vision gouvernementale de la politique de la ville.
Les précaires crédits du Plan de relance ont été distribués de manière très inégale. Quel avenir pour des dispositifs tels que les quartiers d'été, les vacances apprenantes ou les bataillons de la prévention ?
Les maires dénoncent une non-assistance à territoire en danger et un décrochage de la République : que leur répondez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Je n'ai que deux minutes pour vous répondre, mais j'aurais tant à dire ! Quelque 131 millions d'euros supplémentaires, après dix années de baisse, ce n'est rien ? Quelque 3,3 milliards d'euros décidés par le Premier ministre lors du comité interministériel des villes, ce n'est rien ?
Les élus nous disent que nous avons inventé des dispositifs attendus depuis longtemps : cités éducatives, cités de l'emploi, « Action coeur de ville », « Coeur de quartier » - devenu « Quartiers productifs » -, tiers lieux, maisons France Services, etc.
Le visage de nos quartiers change, grâce aux élus locaux avec lesquels nous avons engagé une nouvelle forme de contractualisation.
Ne vous en déplaise, oui, l'État est engagé et oui le Président de la République a respecté ses promesses en faveur des quartiers. Nous continuerons ce travail aux côtés des élus locaux. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Viviane Artigalas. - C'est étonnant, vous semblez croire ce que vous dites. Pourtant, les maires nous disent autre chose : selon eux, la situation est catastrophique ! Les dispositifs que vous proposez sont peu pérennes.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Certes, vous avez raison de souligner ce problème de pérennité. C'est pourquoi j'ai installé il y a quelques semaines une commission sur la nouvelle génération des contrats de ville afin de réfléchir à leur pérennisation. Nous avons pris nos responsabilités pour ouvrir dès maintenant cette concertation à grande échelle.
Mme Viviane Artigalas. - Certes les budgets ont augmenté, mais l'ANRU reste encore sous-financée par l'État avec seulement 80 millions d'euros sur cinq ans sur les 200 millions annoncés. Les QPV ont besoin de crédits territorialisés et non d'appels à projets. Par ailleurs, les bataillons de la prévention viennent doublonner l'éducation spécialisée menée par les départements ; il n'y a eu aucune concertation entre le département des Yvelines et l'État.
Madame la ministre, votre bilan n'est pas bon et vous n'avez aucune ambition pour la politique de la ville ! (M. François Patriat le conteste.)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Ce n'est pas vrai !
M. Frédéric Marchand . - Dans ma commune d'Hellemmes près de Lille, j'ai souvent été confronté au manque de logements sociaux. Le rapport Rebsamen fait des propositions en matière de construction, mais il faudrait aussi réaliser un vrai travail d'inventaire, en lien avec les typologies de cellules familiales et les besoins réels dans les quartiers.
Un bailleur social nordiste, propriétaire de près de 73 000 logements, loge 171 000 personnes, à peine plus de deux personnes par logement... Il est vrai qu'au fil des années, avec le départ des enfants, la taille des ménages se réduit.
Les élus sont totalement démunis face à cette inadéquation, car il est difficile de quitter son logement. Pour que le vivre-ensemble existe, il faudrait des moyens. Madame la ministre, qu'envisagez-vous en la matière ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Il faut améliorer la fluidité dans le parc social. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, a oeuvré en ce sens et amélioré l'adéquation entre offre et demande. Dans les territoires tendus, une révision a lieu tous les trois ans, notamment en cas de sous-occupation des logements. Mais les QPV méritent une attention particulière : dans ces quartiers, les habitants historiques, aux revenus plus élevés, doivent aussi être préservés, afin de favoriser le vivre-ensemble. Il faut y stabiliser l'occupation et redonner de l'attractivité afin de limiter les refus dont font l'objet certains quartiers.
Nous encourageons aussi les initiatives interbailleurs, comme la bourse d'échange en Île-de-France. Comme vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé.
M. Dany Wattebled . - En économie, il y a une loi intangible : la rareté crée la valeur. Le foncier n'y échappe pas.
Le projet de loi Climat a changé la donne : le Gouvernement a organisé la rareté chronique du foncier et une immense pénurie s'annonce. Les obligations environnementales - loi sur l'eau, RE2020 - viennent compliquer les initiatives des entrepreneurs. La main-d'oeuvre coûte cher, tout comme les matières premières.
Dans ces conditions, comment garantir aux Français des logements abordables ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Notre politique du logement repose sur deux objectifs que nous menons de front : l'accès au logement de tous et le respect de l'environnement. L'objectif zéro artificialisation nette ne s'applique pas dès maintenant, mais en 2050 : 140 000 hectares restent disponibles à la construction sur les dix prochaines années.
La RE2020 a été précédée d'une intense concertation, avec l'ensemble des professionnels. Les surcoûts qu'elle induit sont limités à 3 %, à mettre en regard des économies induites pour les ménages.
L'accès au logement abordable est enfin encouragé par plusieurs mesures historiques du Gouvernement précédemment exposées.
M. Dany Wattebled. - Vos réponses ne me conviennent qu'à demi. Voyez l'inflation actuelle dans l'immobilier.
Mme Frédérique Puissat. - Il a raison !
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise du logement est quantitative, mais aussi qualitative. Il y a six mois, vous avez lancé « Mieux habiter demain en ville ». À cette occasion, les résultats d'une enquête ont été publiés : ils montrent une dégradation de la qualité du logement.
Un référentiel de qualité du logement a été élaboré, qui met en avant les questions de surface, de volume, d'accès à un espace extérieur et de qualité de la ventilation : c'est un sujet multifactoriel. Quelles suites comptez-vous donner à ce nouveau référentiel de qualité ?
Des propositions ont été faites pour mutualiser les rénovations à l'échelle de copropriétés ou des quartiers afin d'en diminuer le coût. Comment faciliter les dynamiques collectives de rénovation de l'existant ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - La crise sanitaire a renforcé la dimension essentielle du logement pour nos concitoyens, car l'on vit et travaille chez soi. Emmanuelle Wargon a encouragé la création de ce référentiel de qualité du logement en confiant une mission à François Leclercq et Laurent Girometti. Certains critères seront retenus à partir de 2023.
La qualité du logement est aussi du ressort des maires. Il s'agit avant tout de construire mieux, avec, par exemple, une double exposition des appartements à partir du T3. La Ville de Nice a signé une charte locale de qualité, que je salue. (Marques d'ironie à droite)
Le Gouvernement soutient cette amélioration de la qualité des logements, car c'est une solution pour l'attractivité du logement social.
Mme Marta de Cidrac. - Ma question portait sur l'habitat existant. Clairement, nous avons besoin d'autre chose que de rapports. Quelles sont les actions que vous mettez en place, là, maintenant ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Emmanuelle Wargon a annoncé des travaux et des rapports dans les semaines à venir. Pour le parc existant, j'ai déjà annoncé des mesures concrètes dans mes réponses précédentes.
Mme Marta de Cidrac. - Toujours des rapports... Nous voulons des actions !
Mme Sophie Taillé-Polian . - Grâce à un appel solennel de nombreux maires, une petite partie du Plan de relance - 1 milliard d'euros - a été fléchée vers les QPV. Nous voulons tous que ces quartiers reprennent le train de la République. Or ces crédits répondent à de tout autres objectifs. Au fur et à mesure, ce sont en fait d'autres projets qui sont financés, et non les projets de réhabilitation des quartiers, comme le prouve le tableau de bord du Gouvernement.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Le Premier ministre, lors du comité interministériel des villes, a décidé de flécher 1 milliard d'euros au profit des 1 514 QPV, situés dans 859 communes. Mais les quartiers auraient bien entendu bénéficié du Plan de relance ! Et la politique du Gouvernement en faveur de ces quartiers ne se limite pas au Plan de relance. Madame Taillé-Polian, vous occultez tous les crédits de l'ANRU, portés de 5 à 12 milliards d'euros ! (Mmes Sophie Taillé-Polian et Marie-Noëlle Lienemann protestent.) Éducation, prévention, cités éducatives, autant d'autres initiatives qui montrent tout l'engagement du Gouvernement.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Dans le Val-de-Marne, ces crédits vont aux friches, pas aux QPV !
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Dans ce département que je connais bien, nous sommes au rendez-vous. La présidente de la région Île-de-France y est-elle autant que nous, alors que cela concerne ses compétences ? (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Taillé-Polian. - Je ne vais pas dire que la Présidente d'Île-de-France tient ses promesses, mais cela ne peut être une excuse à votre absence de politique. Les associations sont en souffrance en raison de la fin des contrats aidés. Les QPV connaissent une intensification de la pauvreté : baisse des APL, de l'assurance-chômage, vous accentuez les problèmes. Vous venez nous faire la réclame comme si tout allait bien, mais en réalité, ça ne va pas du tout : votre Gouvernement n'est pas à la hauteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Le pouvoir d'achat de nos concitoyens est plombé par la hausse des dépenses de logement et pourtant le Gouvernement continue d'affirmer qu'il s'améliore... En vingt ans, les prix de l'immobilier ont augmenté cinq fois plus vite que l'inflation ; la rente a bondi de 200 %. Pourquoi M. Macron ne s'est-il pas attaqué à la rente foncière ?
Le Gouvernement a laissé s'accroître ce dangereux écart entre loyer et revenu ; pire, il a réduit les APL. Que faire à présent ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Oui, le logement constitue une dépense essentielle pour les ménages.
Dans le parc existant, nous avons proposé l'expérimentation de l'encadrement des loyers dans les zones tendues : Paris, Lyon, Lille, Villeurbanne, Est-Ensemble, Montpellier, Bordeaux, combien de villes se sont saisies de cette mesure de la loi ELAN ? Le projet de loi 3DS prévoit d'allonger la durée de l'expérimentation.
Le dispositif « Louer abordable » a aussi été rendu plus attractif dans le projet de loi de finances 2022 : mais vous avez rejeté le budget en bloc, dommage... (Mme Sophie Primas proteste.)
Nous avons pris plusieurs mesures pour libérer le foncier et faciliter sa maîtrise, comme l'abattement de plus-values pour les terrains cédés pour le logement social.
Nous avons aussi encouragé le développement du bail réel solidaire (BFS), une réponse innovante et adaptée. Soixante et onze offices de foncier solidaire (OFS) ont été agréés en cinq ans et 500 logements ont déjà été commercialisés dans ce cadre. Le parc dépassera probablement les 10 000 unités en 2024.
Voilà des actions concrètes en faveur du logement abordable.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Cet encadrement des loyers remonte à la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR ! Il faut maintenant généraliser cet encadrement, comme le recommande l'OCDE.
Je défends ardemment les BRS, créés aussi par la loi ALUR.
Mais vous ne proposez que des pansements ridicules. Il faut mieux encadrer et lutter contre les plus-values abusives. (Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit.)
Mme Anne-Catherine Loisier . - (M. Pierre Louault applaudit.) Alors que rien dans son programme ne le laissait présager, le Président de la République a réalisé des coupes claires dans le financement du logement social et de l'accession sociale à la propriété. Ces restrictions ont durablement déstabilisé les acteurs du secteur et dégradé l'accès au logement des plus modestes.
Ces dernières années, la production de logements a été très insuffisante, du fait notamment de la suppression de l'aide aux maires bâtisseurs et de la restriction du prêt à taux zéro (PTZ). Le nombre de mises en chantier a même baissé de 7 % entre 2019 et 2020.
Sur le plan de la méthode, les bailleurs sociaux n'ont pas été consultés. Ils n'ont donc pas pu anticiper et s'adapter.
L'insuffisance de logements est particulièrement préoccupante dans les outre-mer. À La Réunion, ma collègue Nassimah Dindar signale que 33 000 familles ayant droit à un logement social en sont privées en raison de la pénurie.
Comment comptez-vous réduire les coûts de construction ? En particulier, que répondez-vous à ceux qui réclament une meilleure maîtrise de l'inflation réglementaire ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Ces douze derniers mois, 472 000 logements ont été autorisés, alors que, auparavant, la moyenne était de l'ordre de 450 000.
Le plan Logement outre-mer 2019-2022 a été décliné à La Réunion. Il vise la production de 2 000 à 2 500 logements sociaux, ainsi que l'amélioration de 400 logements privés indignes ou insalubres.
S'agissant de l'inflation réglementaire, je rappelle que la RE 2020 n'est applicable qu'en métropole. Les règles de construction tiennent compte des spécificités des outre-mer.
À La Réunion, une réflexion a été engagée avec les acteurs de la construction sur la maîtrise des coûts, sans compromis sur la qualité. Sur cette question, nous travaillons à des réponses locales en liaison avec les acteurs des territoires.
Les contrats de relance du logement ont été mis en place sur les crédits de France Relance, et les collectivités territoriales bénéficieront d'une compensation intégrale de TFPB jusqu'à la fin du mandat des maires.
Mme Sophie Primas. - C'est bien la moindre des choses !
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Nous aurions pu ne pas le faire.
M. Denis Bouad . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les différents dispositifs ne suffisent pas à masquer la défaillance de la politique du logement social. Dans le Gard, entre 2018 et 2019, la production de logements sociaux a été divisée par deux !
Nous disposons maintenant du recul nécessaire pour juger des choix politiques faits depuis 2017. Si le Président de la République avait annoncé un choc de l'offre, les signaux envoyés ont eu l'effet rigoureusement inverse. Je pense au relèvement de la TVA pour les logements sociaux, à la restriction du prêt à taux zéro, à la suppression de l'APL Accession...
Selon la Fondation Abbé Pierre, plus de 10 milliards d'euros ont été économisés sur le logement ces cinq dernières années au détriment des plus modestes. En outre, la capacité d'investissement des bailleurs sociaux a été obérée.
Comment expliquer un tel décalage entre les promesses et les décisions ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Nous avons mené une réforme structurelle du secteur : le regroupement des bailleurs accroît leur capacité financière par la mutualisation des ressources. De plus, le logement social bénéficie d'un soutien accru de la Banque des territoires et d'Action Logement.
Monsieur le sénateur, vous avez dressé la liste de tout ce que le Gouvernement n'a pas fait, mais vous avez passé sous silence tout ce qu'il a fait ! (Murmures à gauche)
Nous avons décidé que 2021 et 2022 seraient des années de mobilisation sans précédent en faveur du logement social, avec plus de 1,5 milliard d'euros d'aides à la pierre. C'est historique : il n'y a jamais eu autant de financements disponibles. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)
Les études prospectives de la Caisse des dépôts et consignations montrent que la situation financière du secteur est très solide. Il est donc faux de prétendre que ce quinquennat aurait sonné le glas des bailleurs sociaux !
M. Denis Bouad. - N'ayant qu'une poignée de secondes, je dirai seulement que la ministre ne m'a pas du tout convaincu... (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - J'avais abandonné cette ambition...
M. Sébastien Meurant . - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Décevante et coûteuse : voilà comment la Cour des comptes qualifie la politique du logement - 37 milliards d'euros par an, ce qui fait une somme.
Depuis des années, nous entendons la même musique : le gentil Gouvernement veut construire, mais les vilains élus locaux ne font rien... (Marques d'approbation à droite)
Il faut regarder la réalité en face. Les besoins en logements ne cessent de croître, mais la pression normative renchérit la construction et les collectivités territoriales sont soumises à des injonctions contradictoires.
Pourtant, les Français aiment la pierre et les taux d'intérêt sont historiquement bas. Vous aviez donc tout pour réussir.
Mais votre politique défavorable aux bailleurs, pour lesquels la rentabilité est parfois négative, et la lenteur de la justice ont entraîné une augmentation sans précédent des logements vacants - nous en avons plus de trois millions.
Dès avant son élection, Emmanuel Macron avait dénoncé la rente immobilière et affirmé que l'immobilier ne créait pas d'emplois...Vous avez brisé la confiance avec les Français et les élus locaux ! Comment comptez-vous la rétablir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Oui, le Gouvernement a une stratégie globale pour le logement : elle vise l'accès de tous à un logement abordable et la transition écologique du parc.
Nous avons amélioré le bail réel solidaire en lui appliquant le taux de TVA de 5,5 %. Le PTZ a été prolongé jusqu'à la fin de 2023. Nous avons également renforcé le dispositif « Louer abordable ».
Nous agissons pour la rénovation énergétique comme aucun gouvernement ne l'a fait jusqu'à présent. Dans le cadre du plan de relance, 650 millions d'euros sont consacrés au fonds Friches.
La RE 2020 favorise la construction bas-carbone, et 700 000 dossiers ont été déposés dans le cadre de MaPrimeRénov', bien au-delà de l'objectif de 500 000.
Pour la construction comme pour la rénovation, le Gouvernement a une stratégie claire !
M. Sébastien Meurant. - Vous dressez un inventaire de mesures, mais où est la stratégie globale d'aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Arnaud . - La crise qui nous préoccupe frappe particulièrement les territoires touristiques, comme les Hautes-Alpes. Nous rencontrons des difficultés pour loger populations locales et saisonniers.
Dans certaines communes, les résidences secondaires représentent la moitié des logements. Il en résulte une pression sur les prix, qui rend la construction de logements particulièrement complexe.
Le zonage ne favorise pas nécessairement la transformation de logements vacants en logements sociaux. Quelles incitations comptez-vous mettre en place pour lutter contre les « lits froids » ?
S'agissant du dispositif « Louer abordable », le taux de décote est trop important pour les logements en zone C, qui couvre de nombreuses communes de montagne. Comment transformer les logements touristiques en logements pérennes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Le plan Avenir montagnes vise à redynamiser le tourisme dans ces territoires, non plus seulement en hiver, mais toute l'année. Le Gouvernement est très mobilisé pour le mettre en oeuvre.
Les « lits froids » sont un problème très sérieux. Nous entendons favoriser leur utilisation tout au long de l'année.
La réforme du dispositif « Louer abordable » vise à inciter les propriétaires à louer à un loyer maîtrisé, à travers une mesure fiscale : la réduction d'impôt sur les revenus fonciers sera proportionnée au loyer perçu.
M. Jean-Michel Arnaud. - Dans les stations notamment, on construit des logements neufs parce qu'on n'est pas en mesure de rénover le parc existant, faute d'incitation fiscale...
M. Serge Mérillou . - La crise du logement concerne aussi le monde rural.
La loi Climat et résilience fixe des objectifs ambitieux en matière de lutte contre l'artificialisation. Si nul ne conteste la nécessité de préserver la biodiversité, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Partout, les élus ruraux sont inquiets. De fait, on ne peut appliquer la même politique de la même façon à tous les territoires, au risque de pénaliser les zones rurales. Il faut différencier les objectifs en la matière.
Comment les communes rurales pourront-elles maintenir leur école si elles ne peuvent accueillir de nouvelles familles ? Alors que la ruralité connaît un regain d'attractivité, les exigences des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) sont déjà très fortes.
Comptez-vous écouter les élus locaux et différencier l'application des objectifs ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Le Gouvernement est à l'écoute des territoires ruraux.
Ceux-ci représentent 14 % de la consommation d'espace, pour 4 % de la population. Les communes rurales doivent se doter d'un document d'urbanisme pour maîtriser leur aménagement.
Par ailleurs, elles disposent de nombreux dispositifs incitatifs.
Mme Frédérique Puissat. - C'est hors-sol ! (Mme Sophie Primas renchérit.)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Je pense à l'accès à la propriété en bail réel solidaire. Le dispositif « Louer abordable » est ouvert en zone rurale, et le PTZ a été élargi aux zones détendues.
L'objectif de zéro artificialisation nette est fixé à l'horizon de 2050. Une adaptation aux réalités rurales est prévue.
Nous avons entendu les inquiétudes des territoires ruraux, et les préfets accompagneront les maires dans l'expression de leurs besoins.
M. Serge Mérillou. - Ce que les maires demandent, c'est qu'on leur laisse quelques terrains à bâtir. (Mme Frédérique Puissat approuve.) Dans le monde rural, le risque n'est pas l'artificialisation, mais la friche. Les élus sont responsables : faites leur confiance ! (M. Pierre Louault applaudit.)
M. Édouard Courtial . - Le logement est un problème aussi dans nos campagnes - cela vient d'être souligné.
La demande est croissante, notamment à la faveur du télétravail. Il faut y répondre, mais aussi, entre autres défis, assurer un accès fiable à internet.
L'Oise, en particulier, est sous tension. Il est difficile pour les plus fragiles et pour les jeunes d'accéder à la propriété. Dans nos territoires, quoi qu'en disent certains, la maison individuelle reste la norme ; elle est, selon moi, un objectif légitime.
Des dispositifs ont été mis en place, par exemple pour les centres bourgs qui se meurent. Il est certain qu'il n'y a pas d'immobilier sans vie. Mais la politique reste trop centrée sur la ville. Or on ne logera pas tout le monde dans les métropoles ! Il faut retrouver un équilibre entre territoires pour donner toutes leurs chances aux campagnes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Le Gouvernement est très attentif au logement en zone rurale.
L'une des clés consiste pour les communes, je le répète, à se doter de documents d'urbanisme. Il peut s'agir d'une simple carte communale.
La très grande majorité des communes sont compétentes en matière d'urbanisme. Sur 34 900 communes, 26 % relèvent du règlement national d'urbanisme ; seulement 4 852, soit 14 % du total des communes, n'ont aucun document d'urbanisme réalisé ou en cours d'élaboration.
Une faible population n'interdit pas de se doter d'un document d'urbanisme. De très petites communes en disposent.
Par ailleurs, les communes ont accès à divers dispositifs incitatifs, dont j'ai déjà parlé.
M. Édouard Courtial. - Vous présentez des mesures techniques, mais où est la volonté politique ? Bonne année aux demandeurs de logement en zone rurale ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Denis Bouad applaudit également.)
M. Laurent Burgoa . - Dans le Gard, les contraintes liées aux risques naturels sont fortes. Il y a aussi les espaces Natura 2000, destinés à protéger notre beau territoire.
Avec le développement du télétravail, la demande croît. Les terrains sont très prisés, et les prix augmentent.
Je regrette que les propositions de Mme Estrosi Sassone sur la loi SRU aient été supprimées de la loi 3DS par votre majorité hors-sol - quand elle n'est pas hors-hémicycle, comme hier soir...
Les problèmes ne sont pas de droite ou de gauche ! Ils sont factuels. Il faut confier aux préfets le soin d'adapter les règles à la réalité des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - La majorité des communes soumises à la loi SRU sont de bonne foi. Sur les 2 000 communes concernées, la moitié est en déficit, mais seulement 280 sont carencées.
C'est précisément pour prendre en compte les situations locales que nous avons adapté les règles dans le cadre de la loi 3DS. La date butoir de 2025 a été supprimée et des taux de rattrapage réalistes ont été fixés, auxquels il sera possible de déroger en fonction des contraintes locales, notamment lorsqu'une large part du territoire communal est grevée d'inconstructibilité.
Nous agissons en responsabilité.
M. Laurent Burgoa. - Je ne suis pas convaincu. Tous les maires nous le disent : ils veulent construire du logement social, mais se heurtent au problème du foncier. Dans une commune de mon département - situation aberrante ! -, c'est l'État qui attaque le permis de construire délivré par une commune carencée... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Laurence Garnier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chaque année, 17 000 nouveaux habitants arrivent en Loire-Atlantique, troisième département le plus dynamique de France pour la démographie.
Riche en marais, ce territoire est fortement soumis à la loi Littoral. La loi SRU s'applique en outre dans les agglomérations de Nantes et Saint-Nazaire.
Résultat : les prix de l'immobilier bondissent. Dans le pays de Retz, le prix du terrain a triplé en deux ans... Dans le secteur de Guérande, une maison achetée 1,2 million d'euros s'est revendue 2,3 millions d'euros un an plus tard !
À cela s'ajoute l'objectif de zéro artificialisation nette. Pourquoi l'avoir imposé par le haut, sans considération des spécificités locales ? Les maires font face à des injonctions contradictoires. Allez-vous différencier l'application de cet objectif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - En France, 3,5 millions d'hectares sont artificialisés chaque année. Rapporté à la population, ce chiffre est de 15 % plus élevé qu'en Allemagne, et de 57 % plus élevé qu'au Royaume-Uni et en Espagne. Or 5 % des communes sont responsables de 39 % de la consommation d'espaces.
Je le redis : le zéro artificialisation nette est un objectif à l'horizon de 2050 !
Le Gouvernement est respectueux des prérogatives de chacun, à commencer par les élus locaux. Nous agissons avec pragmatisme : les collectivités territoriales auront le temps de s'adapter et les efforts déjà réalisés seront pris en compte. Nous sommes bien conscients que tous les territoires n'ont pas les mêmes besoins.
Mme Laurence Garnier. - La loi 3DS était censée simplifier et décentraliser. Avec le zéro artificialisation nette, vous faites tout le contraire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Cyril Pellevat . - La situation est critique dans les territoires de montagne, surtout lorsqu'ils sont frontaliers.
À proximité de la Suisse ou du Luxembourg, les prix de l'immobilier sont particulièrement élevés. Ceux qui ne sont pas travailleurs frontaliers ont du mal à se loger dignement. Des difficultés de recrutement se posent, y compris pour les services publics, car les fonctionnaires ne veulent plus être affectés dans ces territoires.
Je suis favorable à une prime de vie chère - nous en avons parlé avec M. Dussopt -, mais des solutions axées directement sur le logement seraient plus efficaces.
Les collectivités territoriales devraient pouvoir disposer de foncier pour le louer, et un dispositif de type Pinel pourrait être appliqué spécifiquement aux zones frontalières.
Enfin, il faudrait revoir les périmètres des zones tendues et instaurer des loyers de référence, comme à Lille et Paris.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Nous avons prolongé le Pinel jusqu'en 2024.
Des incitations fiscales existent déjà, comme le dispositif « Louer abordable », rendu plus attractif par la loi de finances pour 2022.
De nombreuses zones frontalières sont éligibles au Pinel, dont le zonage sera prochainement revu. Par ailleurs, 5 % des logements agréés sont réservés aux fonctionnaires, et les ministères peuvent acquérir des droits supplémentaires. Nous agissons également pour le logement des travailleurs essentiels.
M. Cyril Pellevat. - Tout cela n'est pas suffisant. Les collectivités territoriales sont prêtes à mettre la main à la poche, mais il faut changer le modèle économique !
M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un chiffre donne la mesure de la crise : selon l'OCDE, il faut aujourd'hui treize ans de revenus à un Français pour acquérir un logement de 100 m2, contre huit en 2000. L'Allemagne ou le Royaume-Uni n'ont pas connu un tel renchérissement du logement.
Les logements perdent en qualité et les inégalités entre territoires persistent. Jean-Louis Borloo a souligné les risques de fracture, voire de rupture, dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais son rapport n'a guère été pris en considération par le Gouvernement, qui l'avait pourtant commandé... Au total, dix millions de nos concitoyens se considèrent comme relégués.
Les difficultés concernent toute la chaîne du logement, jusqu'à l'hébergement d'urgence : sur 200 000 personnes hébergées, plus de 70 000 le sont dans des hôtels...
On construit moins de 350 000 logements par an, dont environ 100 000 logements sociaux, alors que 2,2 millions de ménages attendent un logement, un chiffre en augmentation de 20 % en huit ans.
Le Gouvernement a annoncé l'agrément de 250 000 logements sociaux en deux ans, mais il est clair que cet objectif ne sera pas atteint.
Avec le relèvement du taux du Livret A, les prêts accordés par la Caisse des dépôts et consignations aux bailleurs sociaux seront plus coûteux, ce qui pèsera sur la construction.
Loin du choc d'offre annoncé, la politique du logement s'est concentrée sur la rénovation - certes indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques, mais qui ne répond pas au besoin de plus en plus massif en logements.
Les cinq années écoulées ont été marquées par la recherche d'économies. La contribution de l'État aux aides personnelles au logement a été réduite, et l'APL Accession a été supprimée ; celle bénéficiant aux locataires a été réduite de 5 euros dès 2017.
L'État s'est désengagé du soutien au logement des plus modestes. Il se repose sur les bailleurs sociaux et sur Action Logement, dont les marges de manoeuvre sont largement entamées.
Parallèlement, l'État accroît les contraintes sur les acteurs du bâtiment, déjà confrontés à l'augmentation des coûts de l'énergie et des matériaux.
Quant aux collectivités territoriales, elles sont soumises à des injonctions difficiles à concilier.
Le succès du fonds friches est révélateur de l'ampleur des besoins. Il prouve que les collectivités territoriales ne manquent pas de projets. L'État doit mieux les accompagner, par exemple dans la production et la révision des documents d'urbanisme.
Production de logements nouveaux, amélioration de la performance énergétique du parc, annulation progressive de toute artificialisation nouvelle : aujourd'hui dispersés, ces trois objectifs doivent être intégrés dans une politique du logement unifiée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
« Trois ans après la loi Asile et immigration, quel est le niveau réel de maîtrise de l'immigration par les pouvoirs publics ? »
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Trois ans après la loi Asile et Immigration, quel est le niveau réel de maîtrise de l'immigration par les pouvoirs publics ? », à la demande du groupe Les Républicains.
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Trois ans après, quel est l'intérêt de la loi Collomb ? Quasiment nul.
Nous avions dit que ce texte, au demeurant sympathique et aux objectifs positifs, ne permettrait pas de changer de politique. L'expérience a montré que nous avions raison.
Le Sénat l'avait considérablement modifié, mais le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont préféré adopter une loi quasiment vide.
En matière d'asile, il faudra bien reconnaître que, lorsque les pays d'origine ne sont pas en guerre ou théâtre de persécutions, la procédure est détournée au profit d'une immigration économique.
Le premier pays d'origine, c'est l'Afghanistan. Là, pas d'état d'âme ! Il est légitime que des Afghans arrivent au titre du droit d'asile, que la France a toujours respecté - il existait d'ailleurs dès avant la Révolution.
Ensuite viennent la Côte d'Ivoire, le Bangladesh et la Guinée. Ces pays sont certes en grande difficulté économique, mais ce ne sont pas des dictatures et les droits de l'homme n'y sont pas foulés aux pieds.
Les déboutés du droit d'asile doivent être raccompagnés à la frontière. En pratique, les gouvernements successifs ne se sont pas mis en état de le faire.
M. Sébastien Meurant. - Eh non !
M. Roger Karoutchi. - Sur environ 120 000 demandes annuelles, 40 000 personnes obtiennent l'asile. Or sur les 80 000 personnes déboutées, seules 15 000 à 20 000 sont effectivement raccompagnées - les bonnes années. Nous fabriquons donc tous les ans entre 50 000 et 70 000 sans-papiers ! Il y a ensuite une pression pour les régulariser, au nom du temps passé en France.
La loi Collomb n'a rien changé à cet égard.
Le problème du regroupement familial n'est pas non plus résolu. Les gouvernements successifs ont facilité l'acquisition de la nationalité, créant des droits au regroupement d'autant plus nombreux.
Les centres de rétention n'ont pas non plus évolué.
Il faut dire que le Gouvernement ne dispose pas à l'Assemblée nationale de la majorité pour agir. Peut-être aussi n'est-il pas lui-même unanime...
Vous vous retranchez derrière les règles européennes, mais tout n'est pas la faute de l'Europe. Par exemple, comment accepter que l'Agence française de développement vienne en aide à des pays qui refusent la réintégration de leurs ressortissants ?
En matière de droit de séjour, l'Allemagne impose des conditions d'acquisition de la langue : des centaines d'heures d'apprentissage, sanctionnées par un examen. En France, il n'y a qu'une obligation d'assiduité, sans contrôle du niveau...
Au bout du compte, beaucoup de discours, mais peu de réalisations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté . - Le texte de 2018 faisait suite à la crise migratoire de 2015 et 2016, marquée par une forte pression migratoire. Il visait à réduire les délais de traitement des demandes, à renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière et à améliorer l'accueil des étrangers admis.
Enrichi par le Parlement, il a été validé par le Conseil constitutionnel dans son intégralité. (M. Stéphane Ravier s'esclaffe.)
Nous progressons vers l'objectif d'un délai de traitement ramené à six mois, notamment grâce au guichet unique de l'asile. La crise sanitaire a toutefois enrayé les progrès réalisés.
La productivité de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a augmenté de 25 %, grâce à 200 postes supplémentaires. L'objectif d'un traitement des demandes en deux mois va être atteint. Je salue les agents de l'office pour leur travail délicat, parfois éprouvant.
Le principe de l'orientation directive des demandeurs d'asile s'applique depuis le 1er janvier 2021, pour une meilleure répartition territoriale. Au 1er novembre 2021, 16 000 demandeurs d'asile avaient ainsi été réorientés de l'Île-de-France vers d'autres régions. En parallèle, 4 700 nouvelles places d'hébergement ont été créées, portant la capacité du parc d'hébergement à 103 000 places.
La loi nous donne le moyen d'agir plus efficacement pour éloigner les déboutés du droit d'asile : le recours contre la décision négative de l'Ofpra n'est plus automatiquement suspensif, et les conditions matérielles d'accueil peuvent être retirées.
Pour mieux lutter contre l'immigration irrégulière, la loi a doté l'administration de nouveaux instruments tels que la rétention dont la durée maximale est portée à 90 jours, ou la retenue administrative de 24 heures. Toutes ces mesures ont facilité les éloignements forcés, dont le nombre a atteint 19 000 en 2019.
Cependant, la crise sanitaire a interrompu la dynamique. En 2021, le nombre d'éloignements reste tributaire de la situation sanitaire mais aussi de la posture diplomatique de certains pays d'origine. C'est pourquoi, vous le savez, nous faisons pression sur ces pays - Algérie, Maroc, Tunisie - pour une meilleure délivrance des laissez-passer consulaires.
Nous ciblons prioritairement les étrangers présentant une menace pour l'ordre public : 1 238 personnes ont ainsi été éloignées fin 2021. Cette mesure sera reconduite en 2022.
La création du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) depuis le 1er mars 2019 permet aux préfectures d'apporter leur concours aux conseils départementaux dans la phase d'évaluation des mineurs non accompagnés (MNA). En 2021, 78 collectivités ont utilisé le dispositif, et une incitation financière a été mise en place. Sur les 19 441 dossiers enregistrés, 95 % concernent des hommes, 50 % sont des majeurs ; la répartition par nationalité est stable, Guinéens, Ivoiriens et Maliens représentant 57,8 % des enregistrés.
Enfin, la loi de 2018 se donnait l'ambition d'accueillir davantage d'étrangers très qualifiés, en élargissant le passeport Talents.
Mme le président. - Il faut conclure.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Je détaillerai d'autres points dans mes réponses à vos questions. (M. François Patriat applaudit.)
M. Stéphane Ravier . - « Nous allons renforcer les contrôles, traquer les fraudeurs, punir les coupables ! », déclarait il y a quelques jours un membre du Gouvernement. Je me suis dit : « Enfin ! On va s'occuper des immigrés clandestins ! » Hélas, vous ne parliez pas des étrangers mais des Français, ces Gaulois réfractaires non-vaccinés.
Puisque l'État de droit est accessoire à vos yeux, que l'on peut suspendre la liberté de circuler des Français, nous pouvons donc le faire pour les étrangers, équiper les clandestins d'une application de tracking afin de s'assurer qu'ils quittent bien le territoire ! (M. Guy Benarroche s'insurge.)
Votre loi de 2018 n'a rien changé, les chiffres explosent : 277 000 titres de séjours délivrés, dont 14 % seulement pour une immigration de travail ! Cette immigration n'est pas une chance mais un fardeau et un fléau. Plutôt que de faire repartir les immigrés chez eux, vous préférez les répartir chez nous.
En 2019, 115 000 demandes d'asile ont été rejetées, pour 19 000 expulsions forcées. Cela fait donc 95 000 clandestins supplémentaires - l'équivalent d'une ville comme Tourcoing. Pourquoi M. Darmanin ne les y accueillerait-il pas tous ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Le débat ne porte pas sur le passe vaccinal - ou me serais-je trompée d'assemblée ?
La loi a bien donné des résultats : 19 000 éloignements forcés en 2019. Par ailleurs, nous considérons les étrangers non pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils font. Certains ont vocation à être raccompagnés, d'autres sont éligibles à l'asile. Beaucoup ont aidé le pays à tenir pendant la pandémie ; nous les avons d'ailleurs naturalisés.
Toutes les situations ne se valent pas ! (M. Bernard Buis applaudit.)
M. Jean-Yves Leconte . - L'asile est un droit, l'immigration une politique. La proportion d'immigrés dans la population française est dans la moyenne européenne. La France délivre 8 % de premiers titres de séjours, contre 17 % pour l'Allemagne et 20 % pour la Pologne. Toutes les économies innovantes, à part la Chine et le Japon, ont une proportion d'immigrés bien supérieure à la nôtre.
Nous avons, non un problème de contrôle, mais d'intégration. Pourquoi, madame la ministre, ne voulez-vous pas aller plus loin ?
Pourquoi ne dénoncez-vous pas les propositions folles, démagogiques, de la droite ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) L'idée de quotas est totalement irresponsable : avec seulement 12 % de titres délivrés pour l'emploi, l'un des plus bas taux de l'Union, nous n'avons aucune marge de manoeuvre, car nous délivrons très peu de titres de séjour ! (M. Stéphane Ravier le conteste.)
M. Roger Karoutchi. - 220 000 titres de séjour par an, c'est pas mal !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Je me suis déjà élevée contre l'idée d'une immigration zéro, qui est déconnectée de la réalité.
En 2019, le Premier ministre avait évoqué devant le Parlement la possibilité de définir des objectifs chiffrés en matière d'immigration professionnelle ; le comité interministériel de 2019 l'a acté. Nous développons une politique d'attractivité visant à attirer des profils de pointe pour les secteurs innovants, grâce au Passeport Talents : 31 000 ont été délivrés en 2020. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-Yves Leconte. - Nous n'avons plus de marge de manoeuvre, sauf à changer les règles en n'accueillant plus d'étudiants ni de conjoints de Français ! (M. Guy Benarroche approuve.)
M. Ludovic Haye . - La loi Asile et immigration avait pour objet de réduire de onze à six mois les délais d'instruction des demandes d'asile par l'Ofpra. Elle prévoyait pour ce faire de nouveaux outils, validés par le Conseil constitutionnel. Quels sont les résultats en la matière ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Toute demande doit recevoir une réponse rapide, qu'elle soit positive ou négative : c'est pourquoi nous avons fixé un objectif de notification de la décision définitive dans un délai moyen de six mois. Les 200 ETP supplémentaires alloués à l'Ofpra ont permis de répondre à ce défi. Malgré un allongement conjoncturel des délais dû à la crise sanitaire, l'activité de l'Ofpra a repris, avec 130 000 décisions rendues en 2021, ce qui en fait le premier organisme de protection en Europe, devant l'Allemagne. Nous devrions atteindre la cible en 2022. (M. François Patriat applaudit.)
M. Franck Menonville . - Le nombre de demandes d'asile ne cesse d'augmenter, malgré la baisse conjoncturelle due à la crise sanitaire. La majorité des immigrés ne relève pas du droit d'asile, qui est massivement dévoyé. Nous ne parvenons toujours pas à faire exécuter les décisions de reconduite aux frontières pour les déboutés du droit d'asile, malgré la loi de 2018. L'objectif de la loi n'est pas atteint. (M. Roger Karoutchi approuve.)
Comment améliorer la procédure pour garantir le droit d'asile tout en maîtrisant nos flux migratoires ?
Le Danemark a adopté une loi pour transférer à des pays tiers les demandeurs d'asile : qu'en pensez-vous ? (MM. Sébastien Meurant et Pierre Médevielle applaudissent.)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Le Danemark est membre de l'espace Schengen, mais ne participe pas au régime d'asile européen en raison de son option de retrait. Il applique néanmoins les règlements Dublin 3 et Eurodac.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le Président de la République souhaite faire avancer le pacte migratoire pour mieux harmoniser les règles, réguler les flux secondaires et renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'Union.
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La loi Asile et immigration est la vingt-huitième loi depuis 1980 sur le sujet !
Le taux d'exécution des OQTF s'établit à 5,6 % en 2021. Ce taux, le plus bas de l'histoire, interroge sur la crédibilité même de nos institutions. En 2020, sur 93 000 demandes d'asile, trois quarts des requérants ont été déboutés. On a vite fait de calculer le nombre de personnes qui demeurent illégalement sur le territoire...
Ne serait-il pas temps de traiter les demandes dans les pays d'origine, auprès des consulats des États membres de l'Union ? Le Gouvernement va-t-il proposer cette mesure au niveau européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Ce serait peu opérationnel. Il faudrait un accord hautement improbable des pays concernés. L'écrasante majorité des 82 millions de personnes déplacées est extra-européenne. Il serait illusoire de penser mettre ainsi fin à la migration des demandeurs d'asile vers le territoire européen.
Sur le plan juridique, une telle proposition se heurterait à nos principes constitutionnels et à nos engagements européens.
En revanche, il faut consolider le recueil des demandes d'asile à la frontière extérieure de l'Union européenne, ce qui est au coeur du pacte pour l'immigration et l'asile.
M. Guy Benarroche . - Source inépuisable d'exploitation politicienne, l'immigration est pourtant un phénomène naturel. Comment recevoir les immigrés de manière humaine, acceptable socialement, pour mieux les intégrer : voilà la question - non pas comment limiter l'immigration, mais comment l'accompagner.
Pourquoi n'y a-t-il aucune création d'emplois à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ? Maîtriser l'immigration, c'est d'abord respecter les immigrés, leur donner les moyens de faire leur demande, non les refouler illégalement à la frontière, comme à Montgenèvre, détruire leurs tentes ou interdire l'action des associations !
Mais ce Gouvernement n'est pas insensible à la politique du chiffre. Quotas arbitraires, selon les pays ou les compétences, critères bien peu catholiques (M. Roger Karoutchi ironise)... Que prévoyez-vous donc ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Il est faux de prétendre que le Gouvernement empêcherait les associations de travailler - au contraire, elles sont opérateur de l'État, qui les finance. À Calais, elles distribuent des repas, mettent à l'abri, mettent en garde contre les passeurs.
Jamais des policiers ne sont venus lacérer des tentes ! Au contraire, consigne a été donnée de préserver la dignité des personnes migrantes. (M. Guy Benarroche le conteste.)
Nous avons augmenté les moyens de l'Ofpra, avec 200 ETP supplémentaires. Vous savez que la CNDA, qui est une juridiction, relève du ministère de la Justice et est administrée par le Conseil d'État.
Ministre chargée de la laïcité, je ne parlerai pas de critères « catholiques »... (M. Roger Karoutchi s'amuse.)
Mme Éliane Assassi . - Les mesures de la loi Asile et immigration, largement dénoncées, portent atteinte aux droits des étrangers et des demandeurs d'asile - et partant, à nos valeurs fondamentales, au respect de la dignité humaine.
Ainsi, la promotion du fichier AEM par la loi relative à la protection de l'enfance conduit à faire le tri entre les enfants à protéger et les MNA, à affaiblir encore plus. Quand renversera-t-on cette logique répressive ?
Quelque 28 000 personnes ont été enfermées en centre de rétention, en pleine crise sanitaire ! Allez-vous y mettre fin ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Le Gouvernement veut passer des droits formels aux droits réels, en matière d'éloignement comme d'intégration. Nous agissons dans le respect des droits humains et de la dignité des personnes, y compris dans les centres de rétention administrative et lors des éloignements forcés. Pendant la pandémie, les personnes migrantes ont été prises en charge.
M. Vincent Capo-Canellas . - La semaine dernière, la ville de Calais a encore été le théâtre de violences impliquant des migrants : ce n'était pas une rixe entre migrants, mais entre migrants et Calaisiens. Plus tôt, lors de l'évacuation d'un camp de migrants, des policiers ont été blessés. Ce territoire s'enlise dans la violence et la misère. La loi Asile et immigration n'a pas permis de sortir de l'impasse. Cette réalité s'impose à nous.
Sangatte a fermé en 2002, la première jungle a été démantelée en 2009. Comment sortir enfin de cette situation ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - La situation est particulièrement difficile à Calais. Avec le ministre de l'Intérieur, nous nous y rendons régulièrement. Je rends hommage aux services de l'État sur le terrain, aux associations et salue tout particulièrement l'action de la maire Natacha Bouchart.
Comme Gérald Darmanin, j'adresse un message de soutien aux CRS qui ont été agressés et blessés au cours de la récente évacuation.
Nous avons besoin d'une action coordonnée avec le Royaume-Uni. Les migrants présents à Calais sont déterminés à le rejoindre, y compris au péril de leur vie. Nous menons une coopération diplomatique en ce sens.
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci d'avoir salué les forces de l'ordre et les élus. Nous souhaitons des avancées dans la coopération avec la Grande-Bretagne.
M. Bernard Fialaire . - Il y a trois ans, était promulguée la loi Asile et immigration - la vingt-huitième depuis 1980 à promettre un accueil digne. Rien n'a pourtant changé.
Les campements insalubres se multiplient. Faute de solutions d'hébergement de long terme, certains migrants se tournent vers des squats. C'est notamment le cas à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse ou dans le quartier de la Confluence.
Il y a un problème de répartition des migrants. Lyon est une terre d'accueil : la région Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième pour les demandes, mais la quatrième seulement pour les centres d'accueil et d'orientation.
La question de l'orientation des migrants est indissociable des capacités d'accueil de chaque région.
Face aux conditions d'accueil insatisfaisantes, ne faut-il pas revoir les dispositions de la loi concernant l'hébergement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - L'accueil demeure un défi important mais des progrès sensibles ont été réalisés grâce à la loi Asile et immigration. Les capacités du dispositif national d'accueil ont été renforcées. Nous avons 400 places dédiées aux réfugiés en Île-de-France et 6 000 places plus globalement pour les demandeurs d'asile. La région Auvergne-Rhône-Alpes est l'une des mieux dotées, avec 550 nouvelles places en 2021.
L'État finance les places, mais le défi est souvent de convaincre les élus locaux de les accueillir.
Le dispositif d'orientation depuis les régions les plus concernées, en place depuis le 1er janvier 2021, vise à éviter que les demandeurs ne se retrouvent à la rue.
M. Jean-Pierre Sueur . - Depuis début octobre, les avocats auprès de la CNDA sont en grève afin de dénoncer l'augmentation du nombre de décisions rendues par ordonnance, c'est-à-dire sans que le demandeur soit entendu lors d'une audience. Ils dénoncent une politique du chiffre.
Bien sûr, il est nécessaire de réduire les délais d'examen des demandes, mais il n'est pas justifié que des personnes en situation très difficile, qui ont subi des persécutions, ne puissent faire valoir leurs droits oralement.
Comment répondre à cette problématique ? Les demandeurs d'asile ont le droit d'être entendus.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de répondre définitivement en six mois, en tenant compte des différentes étapes de la procédure. Le délai moyen sur le segment préfecture du dossier est désormais maîtrisé. Si la crise sanitaire a allongé les délais en 2020, on constate depuis une amélioration. En 2021, l'Ofpra a pris plus de 130 000 décisions.
Le délai moyen de traitement devant la CNDA est actuellement de cinq mois. Vous savez que la CNDA étant une juridiction, elle est indépendante du Gouvernement.
Nos objectifs devraient être atteints en 2022 s'agissant des instances qui, elles, dépendent du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur. - Réduire les délais, oui, mais permettre aux personnes de s'exprimer, oui aussi !
M. Sébastien Meurant . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a trois ans, le Gouvernement nous promettait une loi « humaine et efficace ». Tous les jours, nous constatons les ravages de l'ensauvagement, lié notamment à l'immigration.
Les morts du Bataclan ont payé l'angélisme du prédécesseur de M. Darmanin, M. Valls, qui défendait que l'on trie parmi les réfugiés.
L'immigration clandestine n'a jamais autant prospéré. Il y aurait 600 000 à 700 000 clandestins sur notre sol, pourtant le Président de la République promettait de tous les expulser. Paroles, paroles...
L'immigration légale est largement liée au regroupement familial, donc non choisie. L'immigré est censé avoir les moyens de faire vivre sa famille... Combien d'immigrés légaux viennent-ils grossir les rangs de l'immigration clandestine à l'expiration de leur visa ? Nous en délivrons 3,5 millions par an !
Quel est le coût réel de l'immigration ? Est-il raisonnable, alors que les Français ont du mal à se loger et se soigner, d'accueillir plus de 450 000 personnes par an ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Je ne suis pas moins au contact de la réalité que vous. (M. Sébastien Meurant proteste.)
En 2019, il y a eu 19 000 éloignements forcés, contre 12 000 en moyenne entre 2007 et 2011. C'est un fait.
Vos propos sont caricaturaux. Nous signons régulièrement des retraits ou des refus de titre de séjour pour troubles à l'ordre public, pour non-respect des valeurs de la République, notamment en cas de condamnation pour violences sexistes et sexuelles - une avancée que j'avais obtenue d'Édouard Philippe.
Le ministère de l'Intérieur mène des actions très concrètes. Nous regardons ce que font les étrangers, non ce qu'ils sont ni d'où ils viennent.
C'est l'honneur de la France d'accorder des titres de séjours aux réfugiés. Nous sommes aussi très heureux d'accueillir les passeports Talents et nous expulsons ceux qui n'ont rien à faire en France.
M. Arnaud de Belenet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'intitulé de la loi du 10 septembre 2018 pourrait faire croire, à tort, que le Parlement a enfin adopté la réforme qui réglerait tous les problèmes. Trois ans après, ce n'est pas le cas.
L'éloignement des étrangers sans droits ni titres est insatisfaisant. Raccourcir les délais de traitement, c'est bien ; s'assurer de l'exécution des OQTF, c'est mieux !
Après avoir atteint 22 % en 2012, leur taux d'exécution ne dépasse pas les 15 % depuis 2016. Avec la crise du Covid, le plancher est historiquement bas. Cela entame la crédibilité du discours du Gouvernement...
C'est bien le coeur du problème. Éloigner les déboutés du droit d'asile coûte cher, sans parler de l'épineux problème des laissez-passer consulaires.
Quel est le taux d'exécution des OQTF pour 2021 et quelles sont les mesures que vous comptez mettre en oeuvre pour l'améliorer ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - L'efficacité des services s'exprime par un taux mais surtout par un chiffre brut. La durée de rétention a été allongée à 90 jours. Les éloignements contraints ont atteint 20 994 en 2019, 30 % de plus qu'en 2016. La crise sanitaire a interrompu cette dynamique ; s'y ajoute la posture de certains pays d'origine.
Nous ciblons prioritairement l'éloignement des étrangers représentant un trouble à l'ordre public.
Nous augmentons les capacités des centres de rétention administrative ; trois ont été ouverts.
Nous développons les retours volontaires avec 1 100 places en dispositifs de préparation au retour (DPAR).
Enfin, le ministre de l'Intérieur a sensiblement réduit le nombre de visas délivrés aux pays les plus récalcitrants à reprendre leurs ressortissants. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jérôme Durain . - Ces dernières semaines, le débat public a permis de rappeler que la France est dans la norme en matière d'accueil des étrangers.
D'après Jean-Christophe Dumont, de l'OCDE, l'augmentation du nombre de personnes nées à l'étranger est de 1,5 point en France contre 2,2 pour la moyenne de l'OCDE. C'est 3,3 points en Allemagne et 4 points en Belgique.
Certains se focalisent plus que de raison sur le taux de réalisation des OQTF. Il est évidemment insatisfaisant qu'une décision administrative ne soit pas exécutée. Mais, outre les laissez-passer consulaires, il y a aussi un problème français, celui de la délivrance d'OQTF à des jeunes majeurs étrangers issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui, formés et intégrés, n'ont aucune raison d'être éloignés. Plutôt que de rechercher 100 % d'application des OQTF, recherchons 100 % d'OQTF justifiées ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - L'enjeu est de sécuriser le droit au séjour des MNA. L'admission au séjour est de plein droit, à leur majorité, pour les mineurs isolés pris en charge par l'ASE avant 16 ans. Une voie exceptionnelle est prévue pour ceux qui sont pris en charge entre 16 et 18 ans et qui justifient d'au moins six mois de formation professionnelle, sous certaines conditions. La circulaire Valls de 2012 traite enfin certaines situations particulières, comme celle des mineurs isolés qui poursuivent des études avec assiduité et sérieux. Nous voulons éviter les ruptures brutales à la majorité.
Reste qu'il est parfois difficile de connaître l'identité et la nationalité de ces jeunes ; 1 139 documents présumés faux ont été détectés en 2019 par la police aux frontières. (M. François Patriat applaudit.)
M. Henri Leroy . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La loi de 2018 se voulait une loi de fermeté. Le bilan est accablant. Vous avez délivré plus de 275 000 titres de séjour en 2019, soit 20 % de plus en trois ans. Vous avez étendu la réunification familiale aux frères et soeurs d'étrangers mineurs. Alors que le nombre d'admissions exceptionnelles au séjour explose, à peine plus de 10 % des OQTF ont été exécutées ces trois dernières années. La loi est passée à côté de ses promesses. Loin de s'être améliorée, la situation s'est dégradée.
À combien estimez-vous le coût de l'immigration pour la France ? Allez-vous lever ce tabou ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Guy Benarroche proteste.)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - La politique d'immigration est retracée dans dix-neuf programmes budgétaires, répartis au sein de treize missions, pour un total d'environ 6,6 milliards d'euros en 2021. Cela comprend les dépenses portées au titre de la politique publique d'immigration, d'asile et d'intégration, les coûts engagés par les forces de sécurité pour lutter contre l'immigration irrégulière, mais aussi les dépenses portées par les ministères de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur ou de la Santé, par exemple pour l'AME.
Une approche plus globale suppose de mettre en rapport coûts et contributions. Selon l'OCDE, en moyenne, entre 2006 et 2018, la contribution des immigrés sous forme d'impôts ou de cotisations a été bien supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé ou leur éducation.
M. Stéphane Ravier. - Il en faut en faire venir des millions de plus, alors !
M. Henri Leroy. - À quatre mois des élections, il n'y a plus rien à attendre de ce gouvernement complaisant et laxiste envers une immigration qui, ne vous en déplaise, n'est pas une chance pour la France mais bien un fardeau de plus en plus pesant pour nos concitoyens ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il semble très difficile pour le Gouvernement de donner des chiffres fiables. L'État dispose pourtant d'indices pour établir le nombre d'immigrés en situation irrégulière, notamment en recoupant les fichiers des titres de séjour, de l'AME ou de la caisse d'allocations familiales. Or ces chiffres sont tus, peut-être par peur des réactions ?
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
Mme Catherine Belrhiti. - En 2018, le rapport d'information de l'Assemblée nationale pointait du doigt l'impossibilité d'estimer correctement le nombre d'habitants en Seine-Saint-Denis, qui compterait 150 à 400 000 étrangers irréguliers...
Selon Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l'Immigration, il y aurait 900 000 étrangers séjournant illégalement en France. C'est objectivement inquiétant, alors que nos capacités d'accueil sont saturées et que nos dépenses sociales explosent.
Quelle est l'ampleur réelle de l'immigration irrégulière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Il n'existe pas d'outil de comptabilisation fiable en la matière. L'AME offre une première estimation. Au 30 septembre 2020, il y avait 368 890 bénéficiaires de l'AME.
À compter de 2022, le système européen d'entrée-sortie fournira des données ; en l'état, l'interpellation aux frontières donne une estimation incomplète de la pression migratoire.
Mme Catherine Belrhiti. - Nous avons toujours un problème de chiffres ! Comme je le proposais le 7 octobre dernier, il faut mettre en place des hotspots pour traiter les demandes d'asile dans les pays de départ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Édouard Courtial . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 51 de la loi de 2018 permet la création d'un fichier biométrique des personnes se disant MNA. L'outil est très attendu par les conseils départementaux. Ancien président du conseil départemental de l'Oise, j'ai pu prendre toute la mesure du besoin.
Trois ans plus tard, les problèmes demeurent, voire s'aggravent. Une bagarre au couteau a éclaté il y a quelques jours à Beauvais entre MNA devant le foyer qui les hébergeait. Or je rappelle que les MNA relèvent de la politique de l'État et non des collectivités territoriales.
J'ai fait de nombreuses propositions dans un texte déposé au bureau du Sénat. Allez-vous faire de la gestion des MNA une priorité de votre politique migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Ce fichier national biométrique vise à lutter contre le nomadisme des MNA d'un département à l'autre et les fraudes. Au 1er septembre 2021, 83 collectivités territoriales y recourent - 82 départements et la métropole de Lyon - via une convention avec le préfet, pour 20 000 dossiers déjà inscrits. Treize départements s'y refusent encore, malgré les incitations financières, or le dispositif ne peut être opérationnel que s'il se déploie sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité le rendre obligatoire ; il a été intégré au projet de loi relatif à la protection des enfants, définitivement adopté le 16 décembre dernier.
M. Bruno Belin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En août 2021, Kaboul est prise par les Talibans devant le monde ébahi. Avec honneur, la France s'est engagée à accueillir 2 500 réfugiés afghans, mais l'Allemagne en a reçu dix fois plus.
Où en sommes-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Dès le mois d'avril, la France a fait venir sur son territoire des personnes qui avaient travaillé en Afghanistan pour notre armée ou notre diplomatie. Je salue la mobilisation du RAID, de nos forces de sécurité intérieure, de nos militaires et de nos services diplomatiques, présents jusqu'aux derniers instants à Kaboul.
Nous avons ainsi recueilli 4 000 Afghans qui avaient travaillé pour nous ou avaient été menacés à cause de leur engagement - nous revenons à la définition de l'asile. Fin décembre, 375 demandes d'asile avaient reçu une réponse positive et près de 1 400 décisions de protection avaient été prises par l'Ofpra.
M. Bruno Belin. - La situation est apocalyptique en Afghanistan, notamment pour les femmes. La famine qui guette va encore aggraver la situation.
La délégation aux droits des femmes a déjà organisé plusieurs auditions sur le sujet. Je propose une mission d'observation pour sensibiliser à la question. Nous ne pourrons pas dire que nous n'étions pas au courant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Joël Bigot applaudit également.)
Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 1991, Valéry Giscard d'Estaing s'interrogeait : immigration ou invasion ? Plus de trois ans après la loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie », la problématique reste d'actualité.
Certes, les moyens de l'Ofpra et de la CNDA sont en augmentation, plus de policiers sont déployés aux frontières, le nombre de places en centre de rétention administrative a augmenté.
Mais ce n'est pas assez : comme l'a montré Sébastien Meurant, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Asile, immigration et intégration », les pouvoirs publics ne maîtrisent ni les flux ni les dépenses. Dans le projet de loi de finances pour 2022, 467 millions d'euros sont dévolus à l'Allocation pour demandeur d'asile (ADA), soit une forte augmentation - mais les budgets ont toujours été dépassés... Les dépenses excèdent systématiquement les prévisions ; les décisions administratives ne sont pas respectées.
Les événements à Calais, en Pologne et en Méditerranée nous rappellent que les flux se poursuivent. Une réponse s'impose ; nous ne pouvons hésiter davantage.
La pression migratoire va continuer à augmenter : la population africaine devrait doubler d'ici 2050. Il faut rénover notre droit en profondeur.
Or le Gouvernement a manqué d'ambition. Après s'être refusé à parler de crise migratoire, après avoir présenté l'immigration comme une chance, le président Macron a changé de discours ; mais il a aussi étendu le regroupement familial aux frères et soeurs des mineurs accueillis en France, et n'a pas fait grand-chose contre les mariages de complaisance.
Vous avez refusé d'établir un contrôle aux frontières, de conditionner l'aide publique au développement, de renforcer les peines complémentaires en cas de délit grave commis par un étranger, d'instruire les demandes d'asile dans les pays d'origine.
C'est que vous êtes liés par des textes supranationaux comme la Convention européenne des droits de l'homme, l'accord franco-algérien de 1968 et la Convention de Marrakech, qui interdisent toute maîtrise de l'immigration. Vous avez enfin décidé de restreindre les laissez-passer consulaires pour les ressortissants des pays du Maghreb, mais il est bien tard...
Résultat : deux millions d'étrangers en plus pendant votre quinquennat.
Vous êtes forts dans les mots et faibles dans vos actes. L'immigration restera comme le plus grand échec du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
CMP (Nominations)
Mme le président. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante
Mme le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l'accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.
M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.) Le Sénat a créé une mission d'information sur les conditions de la vie étudiante à l'initiative du groupe UC, préoccupé par la précarisation de certains étudiants. Nous avions fait cette demande en décembre 2019, à la veille de la pandémie. La mission d'information a finalement conduit ses travaux au premier semestre 2021.
La crise sanitaire n'a pas créé le malaise étudiant, mais elle l'a amplifié et l'a rendu public.
Fins de mois difficiles, logements dégradés, soins difficilement accessibles, alimentation insuffisante : réussir ses études devient un défi quand la famille n'est pas en mesure d'aider. Notre modèle républicain d'égalité des chances s'en trouve altéré.
Les files d'étudiants devant les Restos du coeur sont le résultat d'un triple manquement. D'abord, l'augmentation du nombre d'étudiants - 25 à 30 000 en plus chaque année - n'a pas été anticipée. L'accompagnement à la réussite n'a pas été une priorité. Enfin, les étudiants précaires restent mal connus. On ignore leur nombre, leur proportion, alors que les difficultés de logement, de santé sont une cause majeure d'échec en première année.
Sous la présidence de Pierre Ouzoulias, dont je salue le souci de mener nos travaux dans un climat consensuel (applaudissements sur les travées du groupe UC), notre mission d'information a proposé un ensemble de solutions autour de quatre axes.
Le premier objectif doit être de privilégier l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur, dans l'intérêt de l'intégration des étudiants dans le tissu économique local et de l'attractivité des territoires. Il convient de mettre fin au phénomène de métropolisation autour de très grands centres universitaires. Le premier cycle doit au contraire être effectué dans un établissement de proximité, au plus près du domicile familial et une offre de logement adaptée doit être déployée. Les besoins seraient supérieurs à 250 000 logements. Le Président de la République en avait promis 60 000 à la fin 2022, moins de 24 000 sont sortis de terre... Il convient d'intégrer les collectivités territoriales à la politique de construction, via des contractualisations.
Il faut également renforcer l'offre de santé sur les campus, qui repose essentiellement sur les services de médecine préventive, aux compétences et moyens limités. On compte une infirmière pour 10 000 étudiants, un médecin pour 16 000 étudiants, un psychologue pour 30 000.
La crise sanitaire a fait émerger de nouveaux besoins en matière de suivi psychologique ou de prise en charge des soins. Or il n'existe que dix-huit bureaux d'aide psychologique universitaire (BAPU), et aucun à Bordeaux. Il faut aussi renforcer l'articulation avec la médecine de ville et hospitalière, et résoudre les difficultés d'affiliation pour les étudiants ultramarins.
Ensuite, l'accompagnement des étudiants doit être amélioré, notamment en matière alimentaire. Les repas à 1 euro dans les restaurants universitaires pour les boursiers doivent être maintenus.
L'exercice d'une activité peut être nécessaire, mais peut aussi nuire à la réussite des études. Il faut donc proposer plus d'emplois conciliables avec les études, et encourager un vrai statut étudiant.
Enfin, la question des besoins financiers ne peut être éludée. La notion de pouvoir d'achat étudiant est peu prise en compte. Je salue le travail des associations qui soutiennent les étudiants, en leur trouvant parfois des logements d'urgence. L'État verse des bourses et des aides au logement, mais ces dispositifs, soumis à des effets de seuil, doivent être adaptés aux réalités territoriales. Nous proposons de remplacer la notion de pouvoir d'achat par le calcul d'un reste à charge qui prenne en compte la situation géographique et le coût du logement.
Nous regrettons l'abandon de la réforme des bourses, qui n'a pas été jugée prioritaire par Bercy. Quel message envoyons-nous aux étudiants !
Enfin, la mise en place d'un guichet unique pour l'aide sociale serait une réponse concrète aux difficultés des étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Yan Chantrel . - La pandémie a frappé notre jeunesse de plein fouet. Il y a urgence à agir.
Selon une étude de l'Inserm et de l'université de Bordeaux, 37 % des étudiants interrogés font état de troubles dépressifs et 27 % d'anxiété ; un sur six a des pensées suicidaires. Nous sommes tous témoins de cette détresse de la jeunesse étudiante.
L'aveuglement et le déni du Gouvernement constituent une violence supplémentaire. La moitié des repas servis par des Restos du coeur le sont à des moins de 25 ans.
Face à une jeunesse qui s'enfonce dans la précarité, nous ne pouvons rester les bras ballants. Le groupe SER défend l'instauration d'un minimum jeunesse, avec l'extension du RSA aux moins de 25 ans. Les deux tiers des Français soutiennent cette mesure de bon sens.
La pandémie n'a fait que mettre en exergue des problèmes structurels : la précarité est le résultat d'un sous-financement.
Le nombre d'enseignants a baissé de 2 % dans les universités en dix ans, quand celui des étudiants augmentait de 20 %. Les disparités entre cursus sont criantes : on dépense 11 000 euros par étudiant et par an pour un cursus en lettres contre 60 000 euros pour un cursus d'ingénieur. Grandes écoles et universités constituent un système à deux vitesses, cette exception française qui favorise la reproduction sociale et la sous-dotation endémique des universités.
Prendre soin de notre jeunesse, c'est prendre soin de l'avenir de notre pays. Il nous faut garantir à ces étudiants les conditions d'une vie digne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Pierre Ouzoulias et Daniel Salmon applaudissent également.)
M. Xavier Iacovelli . - La crise sanitaire a été un électrochoc pour 2,8 millions d'étudiants, révélant leur précarité. Combien de témoignages d'étudiants isolés, déprimés, ou faisant la queue aux Restos du coeur a-t-on entendus, alors que ce devrait être leurs plus belles années : celles où ils gagnent en autonomie et en responsabilité. Il leur faut des conditions décentes pour s'épanouir.
La mission d'information sénatoriale sur les conditions de la vie étudiante a proposé des pistes en matière de logement - il manque 250 000 logements étudiants - de soins psychologiques ou encore d'alimentation, sachant qu'un étudiant sur deux saute des repas pendant une semaine de cours.
La santé mentale des étudiants doit être au coeur de nos préoccupations. L'enseignement à distance a montré ses limites. L'accès aux stages est source de préoccupation pour ceux qui n'ont pas de réseau. Le Gouvernement a apporté des réponses concrètes avec le plan « Un jeune, une solution », doté de 9 milliards d'euros, avec un volet consacré aux stages.
Rappelons que quatre étudiants sur dix travaillent pendant leurs études pour vivre dans des conditions dignes.
Je salue l'esprit de consensus de MM. Ouzoulias et Lafon qui ont émis des propositions utiles.
Le Gouvernement, conscient des difficultés des étudiants, a mis en place des dispositifs d'accompagnement. Citons le chèque Psy, salué par la mission d'information, qui ouvre droit à des consultations sans avance de frais, le repas à 1 euro dans les restaurants universitaires, le gel des loyers en résidence universitaire, le renforcement des prêts garantis par l'État de 15 000 euros accordés aux étudiants pour financer leurs études, ou encore la revalorisation des bourses sur critères sociaux.
Le groupe RDPI votera cette proposition de résolution. Son adoption constituera un message fort pour les étudiants. Notre ambition est commune : que les générations Covid puissent s'épanouir dans leurs études et leur travail. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Ouzoulias, Mme Monique de Marco et M. Laurent Lafon applaudissent également.)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Prendre soin de notre jeunesse, c'est préparer l'avenir. C'est une évidence pour les parents, cela devrait l'être pour notre pays. La période des études cristallise le passage effectif à l'âge adulte. Or depuis le début de la pandémie, beaucoup de jeunes ont l'impression que le virus leur a volé leurs plus belles années.
Cette proposition de résolution a le mérite de poser la question fondamentale de la qualité de vie étudiante. Indirectement, c'est de l'avenir de notre pays qu'il est question.
Depuis deux ans, la crise sanitaire a gâché la vie de nombreux jeunes. Le mal est fait, mais cette crise doit aussi être une opportunité pour réfléchir à l'amélioration de l'ordinaire. Posons un diagnostic lucide : la crise a montré qu'au-delà des connaissances, le contact avec les professeurs, les échanges intellectuels, la vie de campus et les activités sportives sont autant d'éléments essentiels à la vie étudiante.
On n'est pas étudiant dans le métavers, mais dans un territoire. Les étudiants ont un impact sur leur bassin de vie, stimulent le logement, la restauration, les transports. Miser sur eux, c'est miser sur la formation, l'industrie, l'environnement, promouvoir l'innovation et stimuler le rayonnement intellectuel de notre pays. Ce n'est pas un confort superflu.
Le groupe INDEP est favorable au guichet unique, à la prolongation du repas à 1 euro, à la facilitation du cumul entre études et job étudiant proposés par la mission d'information.
Nous ne pouvons ignorer que la rentrée universitaire se fera sous un nouveau mandat présidentiel. Des priorités d'action nouvelles devront être définies...
Mme le président. - Votre temps de parole est épuisé.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Notre groupe votera cette proposition de résolution.
Mme Laure Darcos . - Notre mission d'information a mené un travail approfondi sur les conditions de la vie étudiante. L'entrée dans l'enseignement supérieur est un véritable rite initiatique, marqué par le départ de l'environnement familial, une perte de repères qui peut déstabiliser. La nature de la formation est déterminante : combien choisissent leur filière par défaut ou par méconnaissance ?
C'est pourquoi l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur est crucial. L'Institut national universitaire (INU) d'Albi, avec ses sites à Albi, Rodez et Castres, pourrait être cité en exemple. Il compte 4 000 étudiants, dont 80 % ont fait de la proximité géographique avec leur famille un critère déterminant. Nous devons, à l'image de l'Allemagne et de l'Italie, développer un maillage de petites villes universitaires sur tout le territoire.
L'engagement des collectivités locales est considérable. Elles pallient notamment les manques dans le domaine de la santé.
Il faut encourager le lien avec le tissu économique et associatif, avec l'emploi local. La capacité à garantir une adéquation entre formation et emploi est un facteur important de différenciation entre universités.
À Paris-Saclay, la qualité de vie sur le campus et le lien avec les entreprises sont très favorables à l'employabilité des jeunes, à la réussite de leurs études.
L'ancrage territorial des études est une piste de réflexion essentielle. Le groupe Les Républicains votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Hussein Bourgi et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme Monique de Marco . - Les étudiants sont les victimes oubliées et indirectes de la crise sanitaire. Nous avons été plusieurs à interpeller le Gouvernement lors de questions d'actualité, mais les réponses n'ont pas été à la hauteur.
Cette proposition de résolution présente avec acuité les difficultés persistantes des étudiants, illustrées par les files devant les Restos du coeur - qui ont d'ailleurs ouvert un centre à l'université d'Évry. En Gironde, 220 000 repas ont été servis en 2021. Les associations, les maires, les départements, les régions agissent.
Il est de plus en plus difficile de se loger : les loyers ont augmenté de 5,5 % entre 2020 et 2021. Les associations trouvent des solutions, mais de trop nombreux jeunes sont contraints d'abandonner leurs études ou de faire des choix par défaut.
L'urgence n'a que trop duré. Une réforme des aides aux étudiants s'impose. En effet, la majorité des étudiants demandant des aides ne sont pas boursiers. La ministre juge une réforme trop complexe ? Ce qui est complexe, c'est de dépendre de l'aide alimentaire !
Le GEST soutient les préconisations de cette proposition de résolution, mais nous voulons aller plus loin, avec une vraie réforme du système de bourses, une allocation autonomie, une revalorisation des aides au logement, le rétablissement du ticket à 1 euro pour tous. Il faut aussi un recrutement massif d'assistantes sociales et de psychologues et une revalorisation salariale de ces métiers, pour un accompagnement personnalisé des étudiants.
Enfin, une véritable politique d'aménagement du territoire pour développer des petites structures à l'échelle locale est un investissement nécessaire pour l'avenir de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias . - Cette proposition de résolution a été cosignée par tous les membres du bureau de notre mission d'information, représentant tous les groupes ; je remercie le président Lafon d'en avoir permis l'inscription à l'ordre du jour.
Nul ne peut plus ignorer la profonde dégradation de la situation des étudiants. Notre pays a été heurté par ces images de jeunes réduits à la pitance des banques alimentaires.
C'est le résultat de deux décennies de politiques qui ont oublié l'essentiel : impossible d'apprendre le ventre vide, dans la promiscuité d'un logement trop petit, avec une vue mal corrigée, des dents mal soignées, ou dans la peur de perdre un emploi précaire.
Les étudiants ne se réduisent pas à des cerveaux où l'on verserait des connaissances, que l'on stimulerait en leur disant qu'ils participent à une compétition internationale dont ils ne connaissent pas les règles. En somme, le classement de Shanghai est moins efficace que les Restos du coeur pour aider les étudiants.
La réussite de leurs études suppose un accompagnement individuel. La mission d'information a constaté avec surprise que ce sont les plus petits établissements, sur le territoire, qui proposent les dispositifs les plus efficaces, à l'image de l'INU Champollion d'Albi. Cet établissement, ouvert aux jeunes ruraux qui n'ont pas les moyens ni la volonté de s'inscrire dans une université plus grande, affiche l'un des meilleurs taux de réussite en licence de France. Cette excellence républicaine devrait être mieux valorisée.
L'échec en licence n'est pas une fatalité. Il est possible d'agir, et des moyens doivent être mis en oeuvre. Le sous-investissement chronique a été mis en lumière par le Conseil d'analyse économique (CAE) et la Cour des comptes, dont le constat, affligeant, est sans contredit : la dépense intérieure par étudiant baisse depuis dix ans, les effectifs ont augmenté de 20 % quand le nombre de professeurs baissait de 2%. Les conséquences sur l'innovation, la productivité sont très néfastes, mais aussi sur la cohésion sociale, car l'université est incapable de corriger les inégalités d'accès à l'enseignement supérieur.
Le CAE estime qu'il faudrait entre 5 et 8 milliards d'euros par an pour remettre à flot le système universitaire. C'est beaucoup, mais si peu si nous pouvons donner à notre jeunesse une raison d'espérer et à notre pays une voie pour surmonter les épreuves à venir, par un engagement républicain renouvelé en faveur de l'émancipation humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, du GEST et sur quelques travées du groupe UC)
M. Pierre-Antoine Levi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de résolution conclut les travaux menés par la mission d'information du Sénat ; la réflexion dépasse le simple cadre de la vie quotidienne et matérielle des étudiants.
La crise sanitaire a mis en lumière des difficultés qui préexistaient. Quelles perspectives offrons-nous à nos jeunes ? La mission d'information a formulé plus de cinquante recommandations. Alors que le nombre d'étudiants n'a cessé de croître et que le système est à bout de souffle, il est urgent d'agir de manière globale.
La question du logement, primordiale, conditionne souvent la poursuite des études. Or l'offre de logements en résidence étudiante est insuffisante : 350 000 places pour 2,7 millions d'étudiants.
En 2018, le Gouvernement annonçait 60 000 logements avant 2022 ; en 2020, nous en étions à 23 000. Un retard imputé à la frilosité des bailleurs et au manque d'implication des communes...
L'alimentation, charge principale pour le budget des étudiants, devient une variable d'ajustement. Petites quantités, mauvaise qualité ou même rien du tout : voilà comment certains jeunes se nourrissent.
Les moins de 25 ans représentent la moitié des bénéficiaires des Restos du coeur. Ils fréquentent aussi les épiceries solidaires. Les étudiants ont faim !
Malgré des efforts, le décalage entre l'offre des restos U et la demande persiste. Éloignement, temps d'attente, faible amplitude horaire d'ouverture... Le ticket resto étudiant aurait pu régler une partie des problèmes. Nous devons raisonner selon une logique territoriale et garantir une offre de restauration à tarif social à tout étudiant.
Les aides publiques, qui peuvent représenter jusqu'à 50 % des ressources des étudiants, sont très complexes, et particulièrement difficiles à appréhender pour un public peu habitué aux démarches administratives. Il y a également des lacunes de prise en charge, je pense en particulier aux étudiants des classes moyennes, victimes des effets de seuil.
Il faut, pour lutter contre le non-recours aux aides, améliorer l'accès à l'information en recensant toutes les aides sur un seul portail et en instaurant un guichet unique. Les critères sociaux doivent être revus.
Il est nécessaire de promouvoir un ancrage territorial de l'enseignement supérieur, en s'appuyant sur l'échelon régional. Les étudiants sont une richesse pour nos territoires.
Je remercie mes collègues, en particulier MM. Ouzoulias et Lafon, pour les travaux de la mission d'information. Mon groupe votera cette proposition de résolution avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'augmentation continue du nombre d'étudiants et une situation sanitaire exceptionnelle ont révélé les difficultés des étudiants.
Le groupe RDSE soutiendra cette proposition de résolution.
À l'arrivée dans l'enseignement supérieur, les situations sont très hétérogènes. Olivier Babeau suggère une année de propédeutique pour préparer les futurs étudiants, combler des lacunes, renforcer l'autonomie. Une telle remise à niveau éviterait une année blanche préjudiciable, par exemple pour les étudiants en santé.
Les officines privées pour préparer aux examens et concours sont très coûteuses. Un tutorat inter-promotions améliorerait la réussite de façon économe et renforcerait les liens sociaux mis à mal par la pandémie. Il conviendra de s'interroger sur la gratification des tuteurs sous forme de bourse ou de points.
L'inscription est un moment décisif. Il importe de fournir aux étudiants toutes les informations sur les possibilités offertes par les établissements et la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC) ; un bilan de santé serait également bienvenu. Là encore, le tutorat et l'accueil par les pairs représenteraient un utile soutien psychologique.
La CVEC constitue un élément important de la qualité de vie étudiante. Avec Céline Boulay-Espéronnier nous avons formulé des propositions à ce sujet dans notre rapport - à commencer par une consultation de tous les acteurs de la vie étudiante.
L'ancrage territorial de l'enseignement supérieur ne saurait concerner exclusivement les grands pôles. Les villes moyennes peuvent offrir une meilleure qualité de vie aux étudiants et l'accueil de doctorants aurait des retombées très positives pour le dynamisme de certaines filières.
Les campus connectés offrent une opportunité de formation à des personnes éloignées des établissements, tout en recréant du lien social. Il faut les développer.
Alors que certaines universités ont fait le choix du distanciel pour cette rentrée, demeurons attentifs au bien-être des étudiants. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE et du groupe UC)
Mme Esther Benbassa . - (Mme Monique de Marco applaudit.) L'Observatoire de la vie étudiante montre que les conditions de vie et d'apprentissage n'ont cessé de se dégrader. Le Gouvernement ne semble pas mesurer la gravité de la situation alors que 21 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et que 13 % ont des pensées suicidaires. Beaucoup doivent allier job alimentaire et études, souvent en restreignant la part de celles-ci, parfois en abandonnant leur cursus.
J'ai toujours une pensée émue pour cet étudiant de 22 ans qui avait tenté de mettre fin à ses jours en s'immolant en novembre 2019. Et que fait le président Macron ? Presque rien. Le candidat Macron avait promis 60 000 logements universitaires : nous en sommes loin. Au lieu de revaloriser les APL, Emmanuel Macron les a diminué !
Les repas à 1 euro et les aides exceptionnelles, souvent inadaptées, ne répondent pas aux besoins. Les universités se transforment en centres d'aide sociale pour pallier l'inefficacité du Gouvernement. Il faut centraliser les aides et donner des moyens supplémentaires aux Crous, instaurer un revenu de base, gage de réussite universitaire et priorité absolue face à un système de bourse obsolète.
Je doute que le Gouvernement nous entende, mais je voterai cette proposition de résolution, car elle présente des solutions pour améliorer les conditions de vie des étudiants, en cette période de paupérisation accélérée par la pandémie.
M. Hussein Bourgi . - Cette proposition de résolution fait suite aux travaux de la mission d'information sur les conditions de vie étudiante en France. Je remercie le groupe UC d'y revenir avec ce débat.
Notre pays compte trois millions d'étudiants, soit deux fois plus que dans les années 1980. La France a relevé le défi de la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur. Toutefois, on déplore un fort taux d'échec en première année et durant le premier cycle, de mauvaises orientations, et beaucoup de précarité.
Les moyens mobilisés au service de la jeunesse sont insuffisants. Il serait utile d'évaluer nos politiques publiques pour les adapter.
Après l'ère des grands pôles d'excellence, on pourrait réfléchir au rôle des petites et moyennes villes pour accueillir des formations. Ces villes remplissent déjà un rôle d'équilibre du territoire. Elles offrent des conditions d'hébergement intéressantes. Mais il ne suffit pas d'y créer un premier cycle d'études pour dire que l'État a accompli sa mission. Il faut aussi une offre sociale, sportive et culturelle. Au groupe SER, nous avons la conviction que les pôles d'excellence doivent coexister avec des structures de proximité attractives et performantes.
Le logement constitue une gageure pour de nombreux Français. Il en va de même pour les étudiants. Le Crous de Montpellier est particulièrement dynamique dans ce domaine ; il a engagé un travail partenarial avec les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux.
Georges Frêche, président de région, avait fixé en 2004 des objectifs chiffrés. Les élus locaux ont beaucoup oeuvré pour que les financements soient mobilisés, et les objectifs ont été atteints. Tendons vers la territorialisation des objectifs de construction de logements étudiants, via les contrats de plan État-Région (CPER).
Le Covid-19 et le premier confinement ont révélé la fragilité psychologique de nombreux étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Si les étudiants sont très majoritairement épargnés par les formes graves du Covid, ils n'en demeurent pas moins victimes, loin de leurs familles et souvent privés de leur emploi d'appoint.
Le mal-être étudiant n'a rien de nouveau et la crise sanitaire en a révélé au contraire le caractère structurel. Les mesures ponctuelles et très circonscrites du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des besoins. Je salue donc les préconisations de la mission d'information. Lors de nos travaux, nous avions été attristés de constater le fort nombre d'étudiants incapables de subvenir à leurs besoins.
Le repas à 1 euro pour les boursiers doit donc être prolongé. Il faut aller plus loin avec la création d'un statut d'étudiant salarié au sein des établissements, afin que les étudiants modestes n'aient plus à choisir entre leur réussite et leur dignité.
La lutte contre les inégalités doit commencer dès l'entrée à l'université. En Angleterre, la sélection se fait en partie sur le mérite personnel de l'élève, évalué par un dossier de motivation.
Rapporteur de la mission d'information sur la CVEC, j'ai mesuré l'importance du traçage des financements publics à destination des étudiants. Dans ce cadre, les associations étudiantes, fragilisées, doivent voir leur rôle et leurs prérogatives renforcés.
Si la diversification des outils digitaux rend possible la numérisation des enseignements, la dématérialisation doit rester une exception. Les établissements sont les épicentres de la vie étudiante. Il faut privilégier le présentiel pour éviter une dégradation des enseignements et du bien-être psychologique des jeunes.
Les jeunes doivent être considérés pour ce qu'ils sont : les futurs fleurons de la France. C'est grâce à eux que notre pays connaîtra des lendemains qui chantent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE ; M. Laurent Lafon applaudit également.)
Mme Béatrice Gosselin . - Le confinement du printemps 2020 a profondément modifié les conditions de vie de la population française. La précarité des étudiants a été mise en lumière. La crise sanitaire a surtout été un révélateur.
La santé mentale de nos étudiants est préoccupante. À la rentrée 2020, on croyait pouvoir envisager un enseignement sur site, mais il a fallu généraliser l'enseignement à distance ; l'isolement qui en résulte a eu des effets sur la santé mentale.
Selon l'Observatoire de la vie étudiante, une part accrue des étudiants ont rencontré des difficultés psychologiques. Les restrictions ont davantage pénalisé les étudiants que le reste de la population, notamment les jeunes en difficulté financière, les jeunes étrangers, ou les étudiants les plus âgés. Problèmes émotifs, nerveux, comportementaux - et pourtant le chèque psy est très peu utilisé.
Les étudiants ultramarins éloignés géographiquement ont besoin d'un accompagnement particulièrement attentif. Ils ont vécu le confinement loin de leur famille et souffert de la solitude, du découragement, du manque d'équipement informatique. À la clé, la tentation du décrochage.
Les études correspondent à une période de profonds changements dans la vie de l'individu. Il faut davantage accompagner nos étudiants, renforcer l'accès gratuit aux consultations, car leur souffrance psychologique ne doit pas être une fatalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Laurent Lafon applaudit également.)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - J'adresse à chacun mes voeux les plus sincères pour 2022. Je remercie le Sénat de s'être emparé de la question de la qualité de vie des étudiants.
Je regrette que le programme 231 du projet de loi de finances n'ait pas pu être examiné dans cet hémicycle. Je sais que certains, ici, partagent ce sentiment.
La qualité de vie étudiante est un fil rouge de mon action. C'est une condition de la réussite des études, et le Gouvernement a déjà pris en compte nombre de recommandations de votre mission d'information.
La rentrée de septembre de 2021 a été un succès, grâce à l'engagement des équipes d'enseignement et des Crous, et grâce à la vaccination massive des étudiants. Le retour en présentiel était très attendu. Le tout numérique en solitaire n'a jamais constitué un projet pédagogique mais, pour reprendre le titre d'un rapport d'information de Catherine Morin-Desailly, le numérique est un impératif pour moderniser notre offre de formation. Le Gouvernement y a consacré 160 millions d'euros. Dix-sept démonstrateurs ont été annoncés récemment par le Premier ministre.
Nous avons établi des protocoles sanitaires robustes pour l'organisation des examens et concours, régulièrement actualisés depuis deux ans, ce qui a permis de maintenir les épreuves en présentiel.
Je salue l'immense responsabilité des étudiants, des chefs d'établissement, des directeurs de Crous : une soixantaine de clusters enregistrés seulement, pour 2,7 millions d'étudiants...
La crise a accentué les difficultés sociales de certains. Nous avons revalorisé les bourses au-delà de l'inflation, distribué deux aides exceptionnelles - l'une de 200 euros, et la seconde, de 150 euros, ouverte à tous les étudiants boursiers. Ceux qui perçoivent une aide au logement bénéficient des 100 euros d'indemnité anti-inflation.
La CVEC a été mise à contribution pour aider les étudiants, distribuer des cartes d'achat et du matériel informatique, et créer des centres de santé. Les associations ont également joué un rôle indispensable, je pense aux épiceries sociales, aux actions en faveur de la santé mentale. Quelque 16 millions de repas à 1 euro ont été distribués. Le conventionnement entre Crous et restaurants administratifs se poursuit, partout sur le territoire.
Le projet d'émancipation que porte le Gouvernement pour la jeunesse est un projet global. Nous avons instauré la gratuité de la contraception et lutté contre la précarité menstruelle. Plus de 1 800 psychologues sont regroupés sur la plateforme Santé Psy pour offrir aux étudiants un parcours de soins gratuit jusqu'à huit séances.
Le Gouvernement soutient également l'emploi étudiant avec les 6 milliards d'euros du plan jeunes : financement de tuteurs et de référents, de 15 000 jobs étudiants dans le cadre du plan « Un jeune, une solution », de stages dans la fonction publique. À quoi s'ajoute la reprise économique. Le taux de chômage des jeunes n'a jamais été si faible depuis des décennies.
Ces réponses n'ont fait que renforcer notre engagement depuis 2017 en faveur des étudiants. Dès le début du quinquennat, j'ai présenté un plan de 1 milliard d'euros. L'affiliation automatique à la sécurité sociale a économisé 217 euros par an à chaque étudiant. Nous avons créé un droit à l'année de césure, des licences modulaires, des bachelors universitaires de technologie en trois ans ; nous avons renforcé la contractualisation avec les collectivités territoriales.
La massification de l'enseignement supérieur s'est opérée par vagues successives. Restait à massifier la réussite. Tel était l'enjeu de Parcoursup et des parcours d'accompagnement à la réussite. En quatre ans, le taux de réussite a progressé de quatre points, alors que l'échec en licence était devenu une fatalité.
Nous avons travaillé à la territorialisation de l'enseignement supérieur. Nous avons mis fin aux barrières à la mobilité académique pour les jeunes ultramarins et les élèves de l'enseignement français à l'étranger. La France compte désormais 80 campus connectés, en partie en zone rurale, avec 70 % de taux de réussite. Les études en santé ont également été réformées, notamment avec la création de 434 licences accès santé et la suppression du numerus clausus.
Il faut faire confiance aux nouveaux modèles en devenir, comme l'Institut Champollion à Albi.
Cette proposition de résolution est déjà largement appliquée par le Gouvernement. Par sa résolution, le Sénat nous donne donc quitus pour le travail réalisé, même s'il reste encore beaucoup à faire.
Déjà, 1 milliard d'euros supplémentaire bénéficie chaque année à l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, qui dessinent l'avenir du pays dans l'ensemble des territoires.
La proposition de résolution est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Développement de l'agrivoltaïsme en France
Mme le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution tendant au développement de l'agrivoltaïsme en France, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution par MM. Jean-François Longeot, Jean-Pierre Moga et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe UC.
M. Jean-François Longeot, co-auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Je suis heureux que notre assemblée se saisisse de notre proposition de résolution sur les freins au développement de l'agrivoltaïsme.
Cette pratique pourrait répondre aux enjeux agricoles et de développement durable de notre pays : souveraineté alimentaire, reconquête de la biodiversité, production d'énergie renouvelable.
Le secteur agricole produit déjà 13 % de l'énergie photovoltaïque, 50 000 des 437 000 exploitations sont équipées de telles installations, et ce nombre pourrait tripler d'ici 2030. Mais il existe un risque de conflit d'usages. Les terres fertiles doivent avant tout servir à nourrir. Tel est l'objectif de notre proposition de résolution, alors que nous avons déjà perdu un quart de nos surfaces agricoles en vingt ans.
Nous croyons à une coproduction agricole et énergétique. L'agriculture y a intérêt : amélioration des rendements et du revenu des agriculteurs, réduction de l'évaporation et du stress hydrique, mais aussi du stress lumineux et du stress thermique.
La production agricole sera améliorée par cette synergie. Nous avons cependant relevé trois freins au développement de cette association vertueuse.
D'abord, l'agrivoltaïsme souffre d'un manque de définition qui a conduit à des divergences d'interprétation par les services instructeurs. Une définition claire permettra de soutenir le déploiement de projets ambitieux. Il est inacceptable en outre que des activités sans aucune vocation agricole puissent se réclamer de l'agrivoltaïsme.
Il faut développer les systèmes de soutien comme ceux des tarifs d'achat par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Les appels d'offres concernent le photovoltaïque au sol, le photovoltaïque sur bâtiment, et seule une très faible part est orientée vers les installations agricoles et innovantes.
Le troisième frein est souligné par un rapport de l'Opecst qui déplore la rentabilité économique inégale et incertaine au regard des investissements nécessaires.
La proposition de résolution comprend quatre éléments principaux : elle inscrit une définition de l'agrivoltaïsme dans le code, elle crée une famille dédiée à l'agrivoltaïsme dans les appels d'offres de la CRE, elle rend éligibles les exploitations agricoles concernées aux aides de la PAC et elle améliore les pratiques de compensation agricoles collectives. De trop grandes divergences entre territoires subsistent en effet.
En somme, nous souhaitons montrer que la production d'énergie est stratégique pour l'agriculture, comme l'agriculture est essentielle pour les énergies renouvelables. Cette coproduction est vertueuse. Le Sénat, avec cette proposition de résolution, soutient le développement d'une nouvelle filière, l'énergiculture. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
Mme Marie Evrard . - Cette proposition de résolution pourrait faire émerger une nouvelle filière, celle des énergicultures. Malgré sa fraîcheur, et malgré les freins, cette filière se porte bien.
Dans l'Yonne, de nombreux projets agrivoltaïques sont soutenus par des collectifs d'agriculteurs et des entreprises privées.
Conformément à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) adoptée en 2021, le Sraddet porte à 3 800 mégawatts la puissance à installer en Bourgogne-Franche-Comté d'ici 2030.
La commune de Joux-la-Ville va plus loin avec un collectif d'exploitants agricoles et la société Ennergex : c'est le projet Grenier des essences. Un fonds de reconversion agricole devrait permettre la création d'un hectare de culture nouvelle - en l'occurrence, plantes aromatiques et médicinales - pour chaque hectare de panneaux photovoltaïques. D'autres initiatives, notamment des truffières, des exploitations d'apiculture ou d'agroforesterie, devraient voir le jour.
Pour ces projets, les financements ne manquent pas ; ils se passent des aides publiques. Les règles d'éligibilité à la PAC sont strictes. Il faudrait réaliser un travail ubuesque pour rendre éligibles ces exploitations, qui d'ailleurs sont déjà rentables. Veillons, en outre, à ne pas rendre le dispositif contre-productif : il serait mal compris que les revenus des agriculteurs proviennent de la production d'énergie et non plus de leurs cultures. Il faut aussi éviter tout dévoiement.
La proposition de résolution suggère d'insérer dans le code de l'énergie une définition de l'agrivoltaïsme. Celle de l'Ademe est pertinente, qui souligne clairement le lien entre production agricole et production d'énergie, en respectant aussi bien l'environnement, les terres agricoles et le revenu des agriculteurs issus de leurs cultures. Il nous semble utile de cranter la démarche par la voie de cette proposition de résolution.
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) D'ici 2050, nous devrons produire 56 % de plus pour assurer notre indépendance alimentaire. La protection de l'environnement doit également constituer une priorité et l'artificialisation des espaces est préoccupante.
L'agrivoltaïsme apporte une réponse couplée à des problématiques complexes : énergie, élevage, culture. Il s'agit d'une écologie pragmatique. C'est aussi une façon de mettre en valeur la production agricole, notamment en réduisant les coûts de production.
En Haute-Garonne, 2 700 mégawatts, soit la consommation de 537 foyers, seront bientôt produits par ce biais, grâce à un partenariat entre les sociétés Green Yellow et Arcelor-Mittal pour la réalisation d'une première centrale sur grandes cultures.
Le développement de l'agrivoltaïsme exige de s'entendre sur le cadre légal de l'activité, en fixant une définition claire dans le code de l'énergie pour reconnaître la filière et encourager son essor. Il est indispensable de conserver une hiérarchie entre les deux productions. La crise sanitaire a rappelé l'importance de l'indépendance alimentaire. Aussi, l'agriculture doit être l'activité principale sur la parcelle. Il s'agit bien d'optimiser la production agricole, non la production énergétique.
Des investissements spécifiques sont nécessaires. Les appels d'offres devront prendre en compte les disparités territoriales. En outre, la possibilité d'obtenir des aides de la PAC devra être explorée.
Enfin, se pose la question du stockage. Le Power to gas (conversion d'électricité en gaz) permet déjà de produire l'hydrogène. Il faudra des contrats de rachat minimum pour assurer la pérennité du modèle économique.
Les Indépendants soutiennent cette proposition de résolution pour une agriculture innovante. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue cette initiative de M. Longeot, qui allie agriculture et transition énergétique.
L'agriculture joue un rôle primordial dans la décarbonation : elle contribue à hauteur d'un cinquième de la production des énergies renouvelables, qui constituent 20 % du mix énergétique français. Ainsi, la Mayenne, terre d'élevage par excellence, pourrait viser l'autonomie énergétique grâce à la méthanisation.
Les panneaux solaires installés sur des cultures agricoles produisent de l'énergie tout en préservant et en protégeant les cultures : l'agrivoltaïsme est donc au service, aussi, de nos objectifs de transition énergétique.
Il est crucial que la diversification du revenu de nos agriculteurs n'empiète pas sur la production alimentaire.
Pour espérer faire de notre pays un pionnier en matière d'agrivoltaïsme, il faut d'abord lever trois freins : le manque de définition, le manque de leviers et le manque de financement.
Pour l'instant, ce modèle innovant n'est pas éligible aux aides de la PAC, alors que cette éligibilité serait tout à fait légitime. La présidence française du Conseil de l'Union européenne devra être l'occasion de lancer ce débat.
Il est également indispensable d'alléger les évaluations environnementales pour faciliter le développement de petits parcs d'agrivoltaïsme, qu'il convient aussi de mieux raccorder.
J'ajoute que le monde agricole a besoin de formation et d'accompagnement pour opérer la nécessaire transition agroécologique.
L'agriculture française est résiliente ; elle est en mesure de produire une alimentation saine pour tous et pour tous les budgets. Il faut accompagner toutes les agricultures, dans une approche de progrès et d'innovation.
Cette proposition de résolution ne remet aucunement en cause la vocation première de l'agriculture, et c'est pourquoi le groupe Les Républicains la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Daniel Salmon . - La programmation pluriannuelle de l'énergie nous impose de développer la production d'énergies renouvelables, sûres et propres, notamment le photovoltaïque. L'objectif est de passer de 10 GW en capacité installée à 20,6 GW en 2023 et 35,6 GW en 2028 - un chantier colossal. Toutes les opportunités doivent être étudiées. L'agrivoltaïsme pourrait à cet égard jouer un rôle pivot, tout en respectant les principes de non-artificialisation des sols et de maintien des surfaces agricoles.
L'agrivoltaïsme est à la croisée des enjeux énergiques, agricoles et d'acceptabilité sociale liée à la préservation de l'environnement. Ses atouts sont nombreux : soutien économique aux exploitations, protection contre les aléas climatiques... Le GEST soutient donc cette proposition de résolution, mais plusieurs principes doivent primer.
Il faut un cadre juridique clair pour éviter des déploiements non pertinents, comme les panneaux solaires installés sur les toits de serres maraîchères qui ne permettent pas une vraie production agricole.
Les cultures alimentaires doivent toujours primer sur la production d'énergie - il y va de notre souveraineté alimentaire.
Les installations doivent privilégier les espaces déjà artificialisés et les friches agricoles.
Enfin, il existe un risque de spéculation immobilière et de non-transmission des fermes si les agriculteurs retraités sont incités à conserver l'activité photovoltaïque et les revenus afférents. Ce modèle ne peut devenir une rente découplée de l'activité agricole.
Oui, l'agrivoltaïsme peut être une opportunité dans les territoires agricoles en déprise, mais des garde-fous sont nécessaires. Les questions d'écartement et de hauteur des panneaux sont essentielles.
La définition de l'agrivoltaïsme devra consacrer les enjeux de biodiversité et de non-artificialisation.
Si la création d'une nouvelle famille au sein des appels d'offres de la CRE est pertinente, l'éligibilité aux aides de la PAC semble, elle, poser problème. Monsieur le ministre, nous attendons des précisions sur ce point.
Enfin, nous manquons encore de recul ; une période exploratoire est nécessaire avant de légiférer. Seule une planification par un service public des énergies renouvelables pourra éviter les déploiements anarchiques guidés par le seul profit...
Sous ces réserves, nous voterons cette proposition de résolution.
M. Fabien Gay . - Je remercie les auteurs de cette proposition de résolution. Ce texte aborde de nombreux sujets souvent débattus - foncier agricole, revenus des agriculteurs, évolution du mix énergétique - et soulève la question de la multifonctionnalité de l'agriculture et de la vocation des agriculteurs à offrir d'autres services qu'alimentaires.
Agriculture et énergie sont liées : le secteur agricole français est certes émetteur de gaz à effet de serre, mais fournit aussi 20 % de la production d'énergies renouvelables... D'autre part, les agriculteurs sont les premiers affectés par le dérèglement climatique.
Il est clair que la production alimentaire doit primer. Néanmoins, comme la petite hydroélectricité, l'agrivoltaïsme maîtrisé peut avoir des vertus : moindre évaporation, protection des cultures contre la grêle par exemple.
Gare toutefois aux conflits d'usage de la terre. L'énergie solaire a des airs de nouvel or vert, d'autant que les revenus des agriculteurs sont faibles. On risque d'assister à un développement de fermes photovoltaïques qui stérilisent les surfaces agricoles et renchérissent le foncier.
L'agrivoltaïsme est une façon d'éviter ces conflits d'usage - à condition d'en donner une définition précise pour le distinguer du photovoltaïque au sol.
De même, il faut rappeler que la priorité reste la production alimentaire, et que le photovoltaïque est à son service.
Les aides doivent être mieux ciblées, tout en encadrant les surfaces de production solaire afin que la part du revenu tiré de la production photovoltaïque ne soit pas disproportionnée.
Les problèmes économiques des agriculteurs ne peuvent se régler par des revenus de substitution - vous le savez, monsieur le ministre. Nous voterons néanmoins cette proposition avec joie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Jean-Pierre Moga . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Défense de notre souveraineté alimentaire, réforme de l'assurance récolte, non-artificialisation des sols : l'agriculture est au coeur de la transition énergétique.
Elle joue un rôle croissant dans la production d'énergies renouvelables, comme l'a montré le rapport de l'Opecst. Cette production sera multipliée par trois d'ici 2050. Mais son essor ne doit pas se faire au détriment de la production alimentaire. Il s'agit de mettre la production d'énergie au service de l'agriculture, et non l'inverse.
En conciliant cette double production, agricole et photovoltaïque, sur une même parcelle, en visant des synergies pour améliorer la production agricole, l'agrivoltaïsme présente de nombreux atouts : préservation de la biodiversité, réduction de la consommation d'eau et du stress thermique.
Le printemps 2021 a été marqué par un épisode de gel historique, qui a causé plus de 2 milliards d'euros de pertes. Certains viticulteurs ou pruniculteurs du Lot-et-Garonne ont tout perdu. L'agrivoltaïsme peut atténuer les effets de ce type de catastrophes. En cela, il est complémentaire de la réforme de l'assurance récolte. Il optimise la production agricole et la rend plus résiliente contre le soleil, le gel, le froid ou la pluie.
Nous comprenons cependant les réticences de ceux qui craignent qu'un dévoiement de cette pratique ne fasse reculer l'activité agricole. Au contraire, nous recherchons une dynamique vertueuse entre les deux productions.
Le développement de l'agrivoltaïsme se heurte à trois freins - absence de définition permettant de distinguer les projets sérieux des projets alibi, manque de leviers via les appels d'offres de la CRE, manque de financements faute d'éligibilité aux aides de la PAC.
Jean-François Longeot vous a parfaitement présenté nos propositions. Je reviendrai seulement sur les compensations collectives, qui font l'objet d'une étude préalable. Ces mesures sont de diverses natures, comme la réhabilitation de friches ou les aides à l'installation ou à l'acquisition de matériel agricole. Le Gouvernement va-t-il se saisir de cette proposition de résolution pour favoriser le développement de l'agrivoltaïsme ? Des annonces sont attendues depuis plusieurs mois...
Le groupe UC votera ce texte et se félicite que le Sénat soit précurseur sur ce sujet d'avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Henri Cabanel . - Les récentes tensions d'approvisionnement sur le marché de l'énergie montrent combien il est urgent d'agir. Les besoins en énergie décarbonée augmentent, or la France est en retard sur ses engagements en matière d'énergies renouvelables.
Il faudrait tripler ou quadrupler les surfaces de photovoltaïque pour respecter les objectifs de la PPE, mais cela ne doit pas se faire au détriment des surfaces agricoles, alors que les conflits d'usage se multiplient dans les territoires.
La proposition de résolution prône l'agrivoltaïsme pour coupler la production d'énergie secondaire à une production agricole principale ; cette dernière s'en trouverait même améliorée, grâce, par exemple, à des ombrières pilotables par l'intelligence artificielle. Les agriculteurs bénéficieraient en outre d'un complément de revenu.
Il faut toutefois garantir un contrôle des projets pour éviter tout dévoiement. L'installation de panneaux photovoltaïques sur des serres s'est par exemple traduite par une activité agricole réduite, voire nulle. Un label ad hoc, tel que préconisé par le rapport de l'Opecst de 2020, pourrait constituer une piste.
L'agrivoltaïsme ne doit pas devenir plus rentable que l'activité agricole, au risque d'entraîner un renchérissement du foncier agricole et de favoriser la spéculation, alors que les loyers versés par les énergéticiens sont trois à quatre fois supérieurs au prix des fermages...
Diversification des revenus des agriculteurs ne signifie pas remplacement par des rémunérations provenant d'activités annexes. D'où l'intérêt de fixer un seuil de chiffre d'affaires.
Oui à une définition, à un encadrement - mais la proposition de résolution ne précise pas les points de blocage qu'elle souhaite voir disparaître.
Sans être opposé à l'agrivoltaïsme, je reste prudent. Il faut évaluer les projets en cours ; privilégier le développement du photovoltaïque dans des zones déjà artificialisées, sur les friches ou sur les toits. Plus de 88 hectares disparaissent chaque jour en France ; il est impératif de protéger les terres agricoles.
Pour autant, le RDSE votera majoritairement ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Claude Kern applaudit également.)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie les auteurs de la proposition de résolution. Ce texte met en lumière l'importance de la transition énergétique et le rôle de l'agriculture en la matière, qui participe pour 20 % à la production des énergies renouvelables sur le territoire français.
Près de 15 % du parc photovoltaïque se trouve déjà en terres agricoles. Cependant, la première fonction de ces terres doit demeurer agricole. Le législateur doit protéger leur vocation nourricière face à la concurrence que représente la production d'énergie, plus rémunératrice. Les loyers des terres dévolues au photovoltaïque peuvent en effet être dix fois supérieurs au rendement des cultures - d'où une augmentation du prix du foncier agricole, qui accentue les difficultés d'installation.
L'agrivoltaïsme a l'avantage de faire coexister les deux productions. Son développement nécessite au préalable une définition précise de cette activité, la jurisprudence actuelle étant peu protectrice. La définition de la proposition de résolution a-t-elle été tronquée ? Elle n'indique pas que le lien entre production énergétique et agricole doit être « démontrable », contrairement à celle de la CRE, qui me semble préférable. C'est important, pour éviter certaines dérives - dans les Pyrénées-Orientales, les contrôles ont révélé que 40 serres sur 60 ne présentaient soit aucune activité agricole, soit une activité réduite.
Les effets positifs de l'agrivoltaïsme pour la production agricole ne concernent que certaines installations innovantes, pour les vignes et vergers notamment. Or à l'heure actuelle, la plupart des installations se trouvent dans des pâturages...
Nous regrettons de ne pouvoir amender ce texte pour y introduire des garde-fous. Il faudrait un moratoire sur les centrales photovoltaïques installées sur les terres agricoles. Ne faisons pas croire que l'avenir appartient aux « énergiculteurs », alors qu'il nous faut avant tout défendre nos agriculteurs et leur permettre de vivre de leur travail. Nous nous abstiendrons donc.
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue à mon tour l'initiative de Jean-François Longeot et Jean-Pierre Moga.
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, nous devons développer les énergies renouvelables, mais leur empreinte au sol est très supérieure à celle du nucléaire (M. Daniel Salmon sourit), ce qui conduit à des conflits d'usage dans les territoires ruraux.
Le Sénat s'est toujours montré soucieux d'un développement harmonieux des énergies renouvelables, proposant, par exemple, de soumettre les projets de méthanisation à l'avis préalable des maires ou d'associer les communes aux projets d'éolien en mer.
J'accueille donc cette proposition de résolution avec intérêt. Elle promeut l'agrivoltaïsme en lui offrant un cadre juridique et en l'intégrant aux appels d'offres de la CRE et aux fonds de la PAC.
Je souscris à cet objectif.
L'activité agricole doit rester l'activité principale. Les installations énergétiques doivent aussi préserver les paysages et le patrimoine. Le pouvoir des maires doit être respecté. Veillons à ne pas reproduire les mêmes erreurs que pour les éoliennes !
Il faut donner un cadre à l'agrivoltaïsme. Je salue sur ce point les initiatives de la CRE et la charte de bonnes pratiques liant les chambres d'agriculture, la FNSEA et EDF.
Intégrer l'agrivoltaïsme aux appels d'offres me semble utile, à condition de respecter une neutralité technologique entre les procédés de valorisation énergétique en agriculture.
Il est enfin fondamental de prendre en compte l'impact environnemental de ces installations pour éviter tout dumping environnemental et relocaliser les chaînes de valeur en France.
Nous avons une carte à jouer en agriculture avec l'agrivoltaïsme. Nous sommes attachés au bilan carbone : veillons à sa complète application.
Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Christian Redon-Sarrazy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Difficile de s'opposer à ce qui aura force de loi à l'avenir. L'agriculture devra contribuer à la production d'énergie renouvelable.
L'agrivoltaïsme constitue une synthèse entre les deux objectifs de transition énergétique et d'indépendance alimentaire, tout en assurant un revenu complémentaire aux agriculteurs. Son développement doit cependant s'accompagner de garanties afin de préserver le foncier agricole de tout détournement : son usage premier doit demeurer la production alimentaire, animale ou végétale.
Il faut également éviter toute spéculation sur le prix du foncier agricole, que l'éligibilité de ces surfaces aux aides de la PAC entraînerait à coup sûr. La maîtrise du prix du foncier agricole est indispensable au renouvellement des générations - sans compter que l'agriculteur peut être tenté de conserver cette rente pour compléter une retraite souvent faible, plutôt que de transmettre son activité.
Des espaces artificialisés, sans main-d'oeuvre, dotés d'installations au caractère irréversible sur des terrains déconstruits, voilà qui aurait de graves conséquences pour les territoires ruraux...
Nous devons encourager, bien sûr, les énergies renouvelables, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions. L'agrivoltaïsme doit donc être encadré et contrôlé. La FNSEA a proposé une charte de bonnes pratiques, mais elle n'est pas contraignante. La Confédération paysanne, elle, appelle à un moratoire sur les installations photovoltaïques au sol.
Notre agriculture de fermes ne peut pas devenir une agriculture de firmes, ni céder aux sirènes d'un capitalisme court-termiste. Il est bon de permettre aux agriculteurs de disposer d'un revenu complémentaire, mais ils ne doivent pas devenir des « énergiculteurs ».
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je félicite à mon tour les auteurs de la proposition de résolution.
L'agrivoltaïsme répond à des enjeux d'avenir pour l'agriculture et les agriculteurs. Cette activité constitue une voie très prometteuse, un défi pour la transformation du secteur, qu'il faut encourager par des politiques publiques claires.
La proposition de résolution pose les fondements d'une reconnaissance effective de la filière. La ministre de la transition énergétique n'a pas toujours favorisé ces installations, et ses changements de pied ont fragilisé le développement du photovoltaïque en France. Christine Lavarde a montré que le Gouvernement avance, en la matière, dans la précipitation et le brouillard.
L'agrivoltaïsme est certes complexe, mais porteur d'avenir. Le réseau de collecte, de stockage et de distribution doit être anticipé. Dans l'Aveyron, deuxième département producteur d'énergie renouvelable, le retard dans le déploiement des infrastructures d'Enedis et de RTE se compte en années.
Il est vital que l'agrivoltaïsme ne soit pas dévoyé. Le risque serait que la production d'énergie prenne le pas sur la production agricole. Au contraire, l'agrivoltaïsme permet une optimisation de la production. L'énergie doit être au service de l'agriculture, non l'inverse !
Je soutiens cette proposition de résolution, qui développe le mix énergétique que nous appelons de nos voeux (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Je remercie le groupe UC, le président Longeot et M. Moga pour l'inscription à l'ordre du jour de cette question importante et essentielle.
Bien sûr, il faut produire plus d'énergie renouvelable. Mais en aucun cas le développement du photovoltaïque ne doit se faire au détriment de notre souveraineté agricole. Or cette concurrence, nous la constatons tous les jours. Nos agriculteurs sont démarchés par des énergéticiens pour racheter leurs terres et les transformer en centrales photovoltaïques. Ce n'est pas acceptable. Préservons notre patrimoine foncier et nos activités agricoles.
L'agrivoltaïsme peut constituer une menace s'il n'est pas précisément encadré, si son développement est anarchique. Nous devons éviter les projets alibis, comme les serres, et le renchérissement des prix du foncier. Le chiffre d'affaires de ces installations peut atteindre 60 000 euros par hectare, et les loyers offerts sont parfois dix fois supérieurs au prix du fermage.
Mais l'agrivoltaïsme représente aussi une opportunité, en protégeant les cultures de certains aléas climatiques, en permettant de réintroduire certaines cultures et en améliorant le revenu des agriculteurs.
Dans ce contexte de menaces et d'opportunités, comment faire de l'agrivoltaïsme une activité non concurrente des activités agricoles ? Dans sa sémantique même, l'agrivoltaïsme insiste sur la notion de synergie.
Le premier principe, c'est la priorité donnée au développement du photovoltaïque sur les toits, les friches et les surfaces déjà artificialisées. C'est une évidence. (M. Daniel Gremillet approuve.)
Le deuxième principe, c'est l'encadrement de l'implantation des panneaux photovoltaïques sur les terres agricoles. Nous travaillons sur l'élaboration d'une doctrine nationale, pour assurer une synergie et non une compétition entre les deux activités. Dans le cadre de l'appel d'offres « Innovation », seuls les projets à vocation principale agricole sont soutenus. Mais d'autres projets se développent en dehors de tout appel d'offres public. Il faut donc aller plus loin et poser un cadre réglementaire.
Les projets photovoltaïques au sol sont soumis aux autorisations d'urbanisme. Or les notions actuelles sont mal définies : le projet doit être « nécessaire » ou « compatible » avec les activités agricoles. L'interprétation varie selon les territoires, et la jurisprudence fluctue... L'idée de synergie, essentielle, n'est pas mise en avant. Il faut donc orienter les projets de centrales au sol vers l'agrivoltaïsme. Ce besoin de clarification est exprimé par les professionnels eux-mêmes.
Il faut également s'assurer de la pérennité dans le temps des activités agricoles (M. Gérard Lahellec approuve), prévoir des mécanismes de contrôle et de sanction en cas de non-respect, pour garantir la préservation du patrimoine foncier agricole.
Enfin, ces dispositions doivent être prises en concertation avec les professionnels. Nous avons mené trois réunions avec les organisations professionnelles pour élaborer un cadre réglementaire vertueux. Il est ainsi proposé de conditionner un projet photovoltaïque à certains critères : un impact minimal avec le maintien d'un couvert végétal pérenne, l'exclusion de fondations en béton, la réversibilité du projet, l'obligation d'un service rendu par l'installation à l'activité agricole - avec réintégration imposée d'une activité agricole en cas de déprise.
Ces critères devront être respectés tout au long de la vie des projets, qui auront été soumis à l'avis préalable obligatoire de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Ils ne devront pas donner lieu à défrichement.
Fort de ses principes, le Gouvernement les inscrira dans un texte réglementaire puis ouvrira sur cette base les appels d'offres, pour développer des synergies au service du monde agricole, et non contre lui. C'est ainsi que nous balaierons les menaces.
Les agriculteurs jouent un rôle essentiel dans la transition énergétique. Comme je l'ai écrit récemment dans une tribune, ils sont des soldats du climat ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, du RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
La proposition de résolution est adoptée.
La séance est suspendue à 20 h 45.
présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
La séance reprend à 22 h 20.
Souveraineté maritime française
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques (demande du groupe Les Républicains).
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains . - Je remercie mon groupe pour l'inscription de ce débat à l'ordre du jour. Il touche à des enjeux essentiels pour la France, bien compris par tous les acteurs : le maintien de notre souveraineté et de nos droits exclusifs sur nos territoires maritimes, et notre capacité de surveillance de ces espaces pour empêcher les violations et activités illicites et exploiter durablement nos ressources halieutiques, énergétiques et minérales notamment.
Les défis sont géopolitiques. Ils relèvent de la place de la France dans le monde. Ils réclament une vision stratégique et une approche holistique de notre politique maritime. C'est le rôle de votre ministère de la mer, bien qu'il ne maîtrise pas tous les leviers de cette politique. Tous les gouvernements ont été confrontés à cette difficulté : comment mener une action publique cohérente, compte tenu de la grande diversité des décideurs ? Les moyens sont-ils à la hauteur des besoins ?
La stratégie nationale pour la mer et le littoral lancée en février 2017 a fixé le cadre en définissant quatre grands objectifs : la transition écologique pour la mer et le littoral, le développement d'une économie bleue durable, le bon état écologique du milieu marin et la préservation d'un littoral attractif, et enfin le rayonnement de la France. Où en sommes-nous de leur mise en oeuvre ?
Je m'inquiète du maintien de nos droits exclusifs sur notre espace maritime, le deuxième au monde avec près de 11 millions de kilomètres carrés - dont 97 % pour nos départements et collectivités d'outre-mer et les terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Le contexte géopolitique se tend dans certaines régions, notamment dans le bassin indopacifique où la Chine ne cache pas ses prétentions hégémoniques.
Le troisième référendum sur l'indépendance en Nouvelle-Calédonie s'est tenu dans ce contexte et dans celui de l'éviction de la France du marché des sous-marins australiens.
S'il s'agit d'une coïncidence malheureuse, le Gouvernement a, à mon sens, mal communiqué sur ces dossiers, et les signaux envoyés à nos partenaires ne sont pas les bons : la France a semblé passive, voire absente sur la question du référendum, et s'est fait rouler dans la farine dans l'affaire des sous-marins.
Notre marine nationale peine à surveiller l'ensemble de notre domaine maritime, notamment pour lutter contre la piraterie et contre la pêche illégale. Elle fait notre fierté, mais ses moyens sont-ils suffisants ?
Concernant les aspects juridiques et diplomatiques, nous devons poursuivre la délimitation territoriale de notre espace maritime, pour éviter toute revendication intempestive. Je salue la vigilance de Philippe Folliot, qui a alerté sur la négligence dont fait preuve la France vis-à-vis de l'atoll de Clipperton et de l'île Tromelin.
Mon second sujet d'inquiétude porte sur l'exploitation de notre domaine maritime. En tant que député européen, j'ai orienté mes travaux sur le sujet de la pêche. Nous imposons des normes à nos pêcheurs, mais nous nous préoccupons moins de la qualité et des conditions dans lesquelles sont pêchées les millions de tonnes de produits importés dans l'Union européenne. Incidemment, les conséquences du Brexit sont très dommageables pour la pêche française, et j'estime que nous n'avons pas été assez fermes pour faire appliquer correctement l'accord.
Les activités maritimes doivent être soutenues et développées, notamment celles qui concernent les gisements de matières premières : d'énormes gisements de nodules polymétalliques et d'encroûtements cobaltifères restent à localiser. Une course est déjà engagée entre les grandes puissances, la France ne doit pas prendre de retard.
Les projets scientifiques sont également essentiels et je salue l'action de l' Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), vitrine de l'excellence française. Il faut une vision stratégique, appuyée par des financements et associant le secteur privé.
Notons que trois des objectifs de la stratégie française sont liés à la protection de l'environnement. Elle est certes nécessaire, mais ne doit pas occulter nos intérêts stratégiques et économiques quand les grandes puissances ne s'embarrassent pas des mêmes contraintes.
Paraphrasant Staline, il faudrait parler de « durabilité dans un seul pays » pour stigmatiser la faiblesse d'une stratégie qui ne fait porter les efforts que sur la France. Nous devons agir au niveau international et multilatéral pour que l'effort soit partagé.
À l'aube d'un nouveau quinquennat, il nous semble nécessaire de faire un point sur notre politique afin de s'assurer que le cap est le bon, et que la barre est fermement tenue. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. Joël Guerriau . - Notre pays entretient un lien particulier avec la mer, du fait de son histoire et de sa géographie. Nous avons traversé tous les océans, conservant une présence en Amérique du Nord, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, dans les océans indien et pacifique, et enfin dans l'Antarctique. La diversité de notre espace maritime est une chance - et, à cet égard, nous nous réjouissons du choix exprimé pour la troisième fois par la Nouvelle-Calédonie de rester française.
La délégation sénatoriale à l'Outre-mer a publié de nombreux rapports sur le sujet. L'un d'entre eux, en 2014, proposait la création d'un ministère de la Mer. À ce titre, madame la ministre, je salue votre présence parmi nous.
Nous avions également plusieurs recommandations concernant la promotion aux échelons national, européen et mondial d'un cadre normatif pour une économie bleue durable, notamment par la prise en compte de la fragilité du milieu marin dans le code minier. Où en sommes-nous ? Où en est l'application des textes internationaux, en particulier de la convention de Montego Bay ?
Beaucoup nous envient la richesse de notre domaine maritime, d'où l'importance de bien le connaître. Le service hydrographique et océanographique de la marine est l'un des piliers de cette connaissance. Un robot sous-marin nous permettra d'explorer nos fonds marins dès la fin de l'année et l'Ifremer a lancé des études mais le retard sera long à rattraper, tandis que les Russes et les Chinois sont très actifs en la matière.
La France doit également maîtriser ses eaux. Notre vigilance est régulièrement mise à l'épreuve. Nous disposons d'un rare outil de défense sous-marine que nous devons préserver. Nos sous-marins, notamment le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Barracuda, figurent parmi les meilleurs.
La regrettable décision de l'Australie n'enlève rien à l'importance de maintenir l'influence française dans la zone indopacifique. J'ai pu voir, en visitant le centre satellitaire de l'Union européenne, des grappes de bâtiments de pêche chinois escortés par des frégates... La Chine a compris que pour dominer le monde, il faut être une grande puissance maritime.
«L'activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l'exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources », disait de Gaulle en 1969. Nous y sommes.
Mme Agnès Canayer . - « Les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal » disait Jacques Chirac en 1994. La France possède le deuxième domaine maritime mondial, mais n'en a pas saisi toute l'importance.
La crise du coronavirus, le dérèglement climatique et le Brexit ont accentué la fragilité de l'économie maritime française. L'an passé, le Sénat a publié un rapport sur la stratégie portuaire ; je me félicite que le Gouvernement s'en soit inspiré.
Il faut aujourd'hui aller plus loin. Au-delà des 1,5 milliard d'euros pour les ports de l'axe Seine, des 650 millions d'euros pour le volet maritime du plan de relance et de la création d'HAROPA (Le Havre, Rouen, Paris), la faiblesse de nos grands ports métropolitains est patente. Le climat social instable condamne peu à peu nos ports par rapport à ceux de nos voisins.
De plus, les ports sont mal reliés à l'hinterland : il faudrait développer les connexions fluviales et ferroviaires.
Le Brexit impacte nos pêcheurs, nos ports et nos échanges commerciaux. Il faut un plan Marshall des ports, indispensable d'un point de vue économique et écologique. Le rapport du Sénat préconise un triplement des aides aux ports ; nous en sommes loin.
Dans un contexte de Brexit dur, il faut également envisager la création de ports francs pour faire face à la concurrence britannique. Ces dispositifs ont été annoncés lors des deux derniers comités interministériels de la mer (CIMer), mais non suivis d'effet. Il est temps d'agir face à la férocité croissante de la compétition internationale.
Le renforcement de l'attractivité de nos ports est un impératif pour le maintien de la souveraineté nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. André Guiol et Olivier Cigolotti applaudissent également.)
M. Jacques Fernique . - « Les changements que nous avons déjà provoqués dans le système océanique perdureront pendant des siècles et aggravent la crise climatique », selon Dan Laffoley, de l'Union internationale pour la conservation de la nature.
Les océans ont un rôle déterminant à jouer dans la transition écologique, n'en déplaise à Alain Cadec, qui juge excessive la protection de l'environnement...
Le secteur maritime pèse davantage, en termes d'emplois, que le secteur automobile. Les politiques en la matière ne sauraient être strictement nationales. Nous interrogeons ce soir notre souveraineté maritime, mais nous savons combien la collaboration à l'échelle internationale est essentielle. Notre indépendance numérique, par exemple, se joue au fond des océans. Pour contrer la domination des Gafam, il faut une dynamique européenne forte.
De même, contrer la chute de la biodiversité réclame une lutte résolue contre la pêche illégale et la surpêche, et une attitude ferme face à la Chine.
La stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins a fait tache, au lendemain du congrès mondial de l'UICN : le Président de la République s'est opposé à un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins, alors que de grands scientifiques annoncent des pertes de biodiversité inévitables en cas d'autorisation des activités minières.
À long terme, les avantages d'un océan sain dépassent de loin les bénéfices de court terme de l'exploration minière. L'économie bleue n'est qu'un mirage. Encourageons plutôt l'innovation, le recyclage et la réparation !
Engager notre stratégie marine dans la transition écologique est une opportunité et non un frein. Il faudra d'abord crédibiliser l'objectif de neutralité carbone du transport maritime à l'horizon 2050 ; il faudra également protéger au moins 30 % des océans grâce aux aires marines protégées, dont les résultats à court terme sont spectaculaires.
François Sarano prônait devant notre commission du développement durable une transformation du pêcheur exploitant en pêcheur gestionnaire : cessons de rémunérer la destruction pour rémunérer la gestion collective, et bannissons le chalutage en eau profonde.
Laissons le dernier mot à Dan Laffoley : « La protection des océans est une affaire de survie humaine ». Prenons en acte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Pierre Laurent . - Avec 11 millions de kilomètres carrés, la France dispose du deuxième espace maritime au monde. Que faisons-nous de cette responsabilité ? La question ne doit pas être abordée par la fenêtre étroite de « nos intérêts économiques et stratégiques », comme le suggèrent nos collègues à l'initiative de ce débat, mais avec la hauteur de vue qui sied à la France.
Rappelons-nous les mots du poète : « La terre est bleue comme une orange » ; elle est bleue comme la masse des océans.
Faut-il persévérer dans la recherche de puissance, et la mer se place alors naturellement au coeur de la compétition mondiale, ou reconnaître le rôle des océans dans la construction d'un futur durable ? La France doit choisir la seconde approche.
Le contrôle politique et militaire des zones de ressources au service du marché, voilà la politique actuelle. Nous restons dans cette voie, alors que notre position pourrait ouvrir des échanges et des coopérations.
De plus, réchauffement climatique et bouleversements géopolitiques redessinent la carte du monde ; et nous persistons dans une vision autocentrée et dépassée qui sous-estime l'ambition nécessaire, et la place croissante des enjeux environnementaux.
Notre approche reste militaire, et pour quels résultats ? Notre partenaire allemand persiste à préférer Boeing à Dassault, alors que dans le Pacifique, les États-Unis et le Royaume-Uni ont écarté sans ménagement la France du marché des sous-marins australiens.
Mon camarade Jean-Paul Lecoq, à l'Assemblée nationale, soulignait l'ampleur de l'action à construire : surveillance, sauvetage, lutte contre les pollutions criminelles, protection des ressources halieutiques. Nous devons tenir notre rang au service de la sécurité globale. Si nous mobilisons nos atouts nationaux et développons les coopérations internationales, nous y parviendrons.
Nous devons favoriser une nouvelle vision de la pêche, réinventer la construction navale incroyablement délaissée dans notre pays, revenir à un État stratège dans le développement des ports et soutenir les énergies marines renouvelables.
Les fonds marins regorgent de minerais précieux, et les États font la course pour les exploiter. Au dernier congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 80 % des États et 95 % des ONG se sont prononcés pour un moratoire sur l'exploration et l'exploitation minière des fonds marins ; la France s'est abstenue. Nous proposons, quant à nous, un traité protégeant ces fonds marins de toute exploitation : voilà notre conception d'une souveraineté maritime renouvelée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Olivier Cigolotti . - Les conflits dans la zone indopacifique, les tensions en Arctique, le Brexit ou les tensions sur l'exploration des fonds marins sont autant de signes de l'aspect multidimensionnel de la question maritime. Depuis la Grèce antique, les nations les plus puissantes sont maritimes.
La France, deuxième espace maritime du monde grâce à son outre-mer, doit en assurer la sûreté. Notre économie, notre industrie, notre diplomatie sont en grande partie tournées vers la mer.
Dans la vive compétition mondiale, la France dispose de nombreux atouts pour développer sa vocation maritime. Notre stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes, articulée avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral entrée en vigueur en 2017, doit constituer un socle solide de réflexion.
Concernant la défense de nos intérêts stratégiques, les défis ne manquent pas : certaines délimitations sont remises en cause, des États étrangers se livrent à des activités illicites dans nos eaux. Nous devons être fermes pour préserver nos droits.
Les routes maritimes sont le vecteur de plus 70 % de nos importations et exportations. L'accessibilité des grands axes est vitale. À moyen terme, l'importance stratégique de certaines routes va évoluer à mesure que le besoin en produits raffinés augmente. Une meilleure analyse des flux est nécessaire, pour adapter notre stratégie aux nouvelles menaces.
Je salue la décision de la CMA-CGM de s'interdire la navigation dans les routes du Nord libérées par la fonte des glaces en Arctique ; mais la France va-t-elle inviter les armateurs étrangers à suivre cet exemple ?
La marine marchande représente un outil de souveraineté. Je salue les travaux du Fontenoy du maritime pour encourager la compétitivité du pavillon français, mais nos places portuaires sont plus faibles que celles de nos voisins européens. La modernisation en cours demande des investissements lourds et une diversification des activités.
La crise de la pêche à l'issue du Brexit a rappelé que la tension est forte en matière halieutique. Les Anglais restent fermes sur le sujet. Le marché français doit préserver ses intérêts, dans un contexte où la demande de poisson ne cesse de croître.
La France qui a développé un programme de création d'aires marines protégées dans un but de préservation de la nature, qui n'est pas exclusif d'autres objectifs. Qu'envisage-t-on, madame la ministre, à long terme, comme projets et avenir pour ces zones ?
La presse se fait l'écho de la création d'une nouvelle direction de la mer, issue de la fusion de la direction des affaires maritimes et de la direction de la pêche maritime et de l'aquaculture. Cette nouvelle direction saura-t-elle allier enjeux économiques et environnementaux, avec des moyens en conséquence ?
La mer est un vecteur de rayonnement. Nous sommes riverains de trois océans. Nous devons redoubler d'efforts pour conserver notre souveraineté maritime menacée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. André Guiol . - Le temps du Mare Liberum cher à Grotius est-il révolu ? L'idéal de liberté propre à l'espace maritime se heurte de plus en plus à la compétition qui s'y joue. L'Actualisation stratégique de 2021 rappelle les rapports de force qui se jouent dans les fonds marins.
Notre pays, qui dispose du deuxième espace maritime mondial, est celui qui a le plus à perdre si rien n'est fait pour le réguler. Peut-on envisager une planification de la gestion des mers à l'échelle internationale, comme les États européens s'y emploient avec la directive de 2014 ? La convention des Nations unies sur le droit de la mer doit évoluer pour éviter que les grandes puissances n'imposent pas leurs règles, de façon parfois sournoise, comme le fait la Chine.
Il faut mieux protéger les câbles sous-marins contre les captations malveillantes de données. Comme l'a dit Pascal, il faut mettre la force au service de la justice, et non l'inverse. Nous devons à cet effet disposer d'une force navale importante et respectée. Dans cet objectif, disposer d'un second porte-avions est essentiel : il faudra réfléchir à sa date de mise en service et au retrait progressif du Charles-de-Gaulle.
Notre marine est aujourd'hui en mesure d'assurer notre souveraineté et de faire respecter le droit international. Mais qu'en sera-t-il en cas de conflit de conflit long et de haute intensité ?
Notre place dans l'OTAN et notre rôle dans la dissuasion nucléaire doivent être réévalués. Mais notre réputation, fondée sur notre histoire, joue aussi pour le rayonnement de la France, tout comme notre savoir-faire en matière de construction navale, notre contribution à l'aide au développement et la francophonie. La France, patrie des droits de l'homme, doit aussi fonder cette souveraineté sur le respect de ses idéaux. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; M. Olivier Cigolotti et Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)
Mme Martine Filleul . - Notre souveraineté maritime souffre de plusieurs faiblesses, et nos politiques ne sont pas à la hauteur des enjeux.
La mer est un espace de rigueur et de liberté, disait Victor Hugo. Elle est désormais surtout un espace d'affrontements.
La crise du Brexit et ses conséquences sur la pêche ont montré la perte d'influence de la France au sein de l'Union européenne. La présidence française de l'Union européenne doit remobiliser nos alliés sur le sujet de la mer.
Le changement climatique va accentuer les tensions entre États. La fonte des glaces va modifier les limites de nos espaces maritimes. La France doit prévenir ces conflits et s'engager pour la protection du climat et de l'environnement.
Nos infrastructures, et en particulier nos ports, doivent être sécurisés. Ils sont essentiels pour l'approvisionnement de nos territoires et promeuvent nos filières d'excellence. Malgré les réformes, le retard de nos ports est patent, faute d'investissements. Les fonds du plan de relance et ceux annoncés par le comité interministériel de la mer (CIMer) sont encore insuffisants.
Garantir notre souveraineté maritime nécessite de préserver le plein potentiel des océans en matières alimentaire, énergétique et médicale, menacé par la pollution et la surexploitation des ressources.
L'accès à la mer représente une extraordinaire opportunité, mais implique aussi une grande responsabilité. Or il y a loin de la coupe aux lèvres : les aires sous protection forte représentent moins de 3 % de notre espace maritime. L'objectif de 10 % en 2022 fixé par le Gouvernement est encore trop flou et certains scientifiques demandent qu'il soit porté à 40 %.
Des limites claires doivent être fixées rapidement pour éviter des exploitations minières dommageables. Les océans sont essentiels à la vie sur terre et à la régulation du climat. Concilier tous ces impératifs, voilà le défi que nous devons relever. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nadège Havet . - La globalisation et la maritimisation des échanges sont au coeur des enjeux diplomatiques internationaux. La présidence française du Conseil sera l'occasion de placer cette question stratégique au centre des discussions.
La France dispose de la deuxième zone économique exclusive mondiale. Elle occupe une place importante dans les secteurs de la construction, du transport, de la recherche, de l'armement maritimes. Malgré cette situation exceptionnelle, l'économie bleue ne représente que 2 % de notre PIB. Nos ports sont en effet sous-exploités : les ports métropolitains perdent en compétitivité, ceux de l'outre-mer restent à l'écart des grandes routes maritimes.
Le Gouvernement a défini dès 2017 un cadre stratégique national pour la mer et le littoral, afin de libérer notre potentiel dans le domaine économique, dans les connaissances et dans la protection des écosystèmes marins et littoraux.
La feuille de route se traduit dans les territoires, notamment en Bretagne. En 2020, le secteur des traversées transmanche a, sous l'effet du Brexit et du Covid, enregistré une baisse de 80 % de son chiffre d'affaires. Brittany Ferries compte 3 000 salariés... Le Gouvernement s'est engagé sur une aide de 45 millions d'euros et vous menez des travaux pour définir une stratégie de secteur dans le cadre du Fontenoy maritime.
Le port de Brest Roscoff est enfin intégré au réseau transeuropéen de transports. C'est une immense victoire pour notre territoire ! Le Gouvernement nous a entendus et a agi auprès de la Commission européenne. Les ports du futur doivent miser sur la décarbonation des transports.
Le 18 novembre, à Saint-Pol-de-Léon, vous avez rappelé que la présidence française de l'Union serait l'occasion de finaliser certains dossiers. J'attire votre attention sur les clauses miroirs dans nos accords commerciaux internationaux. Quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?
Quid également des actions réclamées par les consommateurs en faveur de produits durables ? Seuls quatre ports en France disposent de l'agrément européen comme postes de contrôle frontaliers sur ces produits. Aucun en Bretagne. C'est un non-sens écologique, puisque les produits doivent alors parcourir des centaines de kilomètres par la route !
À Brest se tiendra en février le sommet One Ocean, qui portera notamment sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds. Je salue, à cet égard, la création d'une mission sur le sujet au Sénat.
M. Pascal Allizard . - Notre environnement stratégique est marqué par le retour de la force et du fait accompli, le recul du multilatéralisme et du droit. La mer redevient un espace de conflictualité où s'expriment les rapports de force, notamment à propos des câbles sous-marins. Les détroits doivent aussi être préservés, pour garantir un libre franchissement. Les espaces maritimes, au coeur de la mondialisation des flux, y compris numériques, sont le lieu de toutes les tensions.
La Russie est très présente sur les mers. Ses sous-marins viennent éprouver régulièrement notre détermination en approchant nos installations. Les navires chinois impressionnent, les nouvelles routes de la soie inquiètent. La Turquie s'affirme comme puissance navale en Méditerranée. L'empressement des États-Unis à vouloir moderniser leur flotte et le pacte Aukus révèlent l'acuité de ce grand jeu en mer.
Ce qui n'est pas protégé est systématiquement pillé et contesté : le risque de combats navals de haute intensité ressurgit, nous alerte la marine.
Des périls environnementaux sont à craindre ; prédations et contestations se multiplient. Nos territoires ultramarins sont en première ligne - réchauffement climatique, migrations, trafics, pêches illicites... Nos zones maritimes ne sont pas assez surveillées.
Nous le déplorions lors de l'examen de la loi de programmation militaire. Les moyens de la marine ont certes augmenté, mais les tensions également. Nous déployons des bateaux anciens, mal équipés, au contraire de ceux de nos partenaires. La stratégie indopacifique de la France est ambitieuse... sur le papier. Le camouflet australien a entamé notre crédibilité, et le peu d'entrain des Européens à nous soutenir interroge. Personne ne souhaite pourtant que la défense de l'Europe soit confiée à l'OTAN ni celle du Pacifique à Aukus. Nous misons sur l'Inde, mais l'Inde mise aussi sur la Russie ou les États-Unis...
Et comment parler de souveraineté au bout du monde, alors que nous avons tant de difficultés à faire respecter nos droits face aux Britanniques ? Le défi est immense si nous voulons préserver nos ressources et notre crédibilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Hélène Conway-Mouret . - Les Français entendent par souveraineté la capacité à agir en toute indépendance pour faire appliquer le droit et les intérêts français sans avoir à obtenir l'aval d'autres pays. Nous avons à surveiller de grandes étendues maritimes, sur tous les océans. La loi de programmation militaire comprenait des objectifs pour moderniser les capacités de la marine : ces objectifs sont en partie atteints, mais cela demeure insuffisant au regard des besoins et du niveau d'équipement de certaines marines étrangères alliées.
Il faut garantir notre souveraineté sur nos espaces maritimes, la liberté de circulation dans les espaces communs, or nos moyens sont sous tension. Comment participer aux postures défensives de nos alliés, comment éviter le déclassement ? Comment choisir entre la livraison de matériels, de frégates, de ravitailleurs, et la construction d'un nouveau porte-avions ?
Trois priorités émergent. Il faut d'abord développer nos capacités amphibies, remplacer nos frégates de surveillance et poursuivre le programme Simar pour mieux protéger nos ZEE. Les bâtiments de surface sont des proies faciles face aux systèmes A2AD de la Chine ou de la Russie. Il faut compléter la surveillance maritime par un programme de surveillance spatiale.
La convention de Montego Bay est de plus en plus remise en cause ; la France et l'Europe doivent agir pour faire respecter le droit international.
Enfin, la Chine aura augmenté le tonnage de sa flotte de 138 %, contre 3,1 % pour la France, d'ici 2030. Une coopération renforcée européenne s'impose. Nos militaires le disent, il importe de plus en plus d'agir au sein de coalitions alliées. Pour préserver notre influence face à la montée en puissance militaire de pays qui ne partagent pas nos valeurs, il faut mettre en adéquation nos ambitions et nos moyens ; et mieux associer le Parlement, désormais, à la définition de la stratégie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Didier Mandelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée », disait Richelieu. Avec le développement des échanges et les opportunités que représentent les fonds marins, les océans sont source de convoitises. Prenons-y garde.
Car malgré son immense domaine maritime, la France a tourné le dos à la mer : pour preuve, un ministère de la Mer nous a manqué pendant trente ans. Ce ministère de plein exercice est donc bienvenu et j'appelle tous les candidats à le maintenir. (Sourires)
Nous devons défendre cet espace contre toute forme d'intrusion.
Le groupe Mer et littoral de la commission des affaires économiques a mis en lumière plusieurs problèmes. La Chine cherche à développer sa nouvelle route de la soie et investit dans nos ports, menaçant l'indépendance de nos infrastructures. La stratégie nationale portuaire du Gouvernement ignore ce problème. Je demande un rapport sur la réalité de la stratégie chinoise, comme le réclamait Michel Vaspart dans sa proposition de loi.
L'Arctique, symbole du désastre climatique, disparaît peu à peu sous nos yeux. D'autres pays, Russie, Chine, s'intéressent déjà à l'exploitation de nouvelles routes dans cette zone. La France doit porter, pour ces territoires, une vision commune avec les pays riverains.
Les 57 000 kilomètres carrés de récifs coralliens de la France - la Polynésie possède 20 % de la surface mondiale - exigent une protection particulière.
Enfin, les collectivités territoriales attendent des propositions en matière de financement, pour se prémunir du recul du trait de côte.
La souveraineté maritime est l'expression de la grandeur de la France. Préservons-la. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Annick Girardin, ministre de la mer . - Je remercie le Sénat d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour : c'est le signe que la stratégie maritime française reprend une place importante, méritée, dans nos préoccupations.
Je ne pourrai répondre en quelques minutes sur les clauses miroirs ou sur tant de questions posées. Mais trois fois auditionnée au Sénat en trois mois, j'ai maintes occasions de vous apporter des précisions. Je centrerai ce soir mon propos sur la stratégie nationale française, qui vise à préserver notre souveraineté et nos intérêts économiques et maritimes.
La France est entrée dans le XXIe siècle maritime. La présidence française de l'Union sera l'occasion d'affirmer l'ambition maritime de l'Union européenne dans un monde qui se durcit. Les arsenaux militaires se développent, les zones de contestation se multiplient, les activités illicites, la pêche illégale, la piraterie menacent les mers. La politique du Gouvernement s'intéresse donc à la préservation de notre souveraineté, de nos intérêts stratégiques et de nos intérêts économiques.
Nous sommes attachés à l'application pleine et entière de la convention de Montego Bay, signée il y a quarante ans. Elle permet aux États de s'entendre pour fixer les frontières maritimes. Nous devons traiter avec 31 voisins et avons amélioré la précision des coordonnées géographiques. Onze délimitations ne font pas encore l'objet d'un accord finalisé. Nous restons ouverts à un dialogue franc avec nos partenaires, autour de certaines îles françaises, car le mépris n'est pas une option.
Nous déployons des garde-côtes dans nos territoires, avec des moyens de surveillance satellitaires renforcés. Ces dernières années, la marine a bénéficié d'une loi de programmation militaire inédite. Les dépenses militaires sont passées de 32 à 40,9 milliards d'euros sous ce quinquennat, et le budget de la marine progresse de 9 % en 2022. Ce Gouvernement a mené un effort sans précédent pour le renouvellement de nos moyens de surveillance en mer : commandes de patrouilleurs, de bâtiments d'assistance, de vedettes côtières...
Le deuxième axe concerne nos intérêts stratégiques. Dans le cadre des équilibres de Montego Bay, la liberté de navigation doit être préservée. La place de nos fleurons, Alcatel Submarine Networks ou Orange Marine, doit être défendue.
La haute mer, ce sont des droits mais également des devoirs. Nous soutenons le principe de la mer comme bien commun. Nous le rappellerons lors du sommet One Ocean en février.
L'Autorité internationale des fonds marins doit fixer les règles d'exploration et d'exploitation en haute mer.
Dans l'océan Indien, la France a intégré le Forum des garde-côtes asiatiques en 2021, à l'unanimité.
Le développement durable est également un objectif essentiel. C'est l'ADN de mon ministère. On doit, avant toute chose, connaître précisément les ressources halieutiques : ce n'est pas le cas de l'Europe et c'est le premier objectif.
Le plan d'action pour une pêche durable que j'ai présenté au Président de la République a été validé à l'Élysée en décembre dernier en présence des acteurs concernés. Il sera finalisé avant la fin du quinquennat. J'ai également l'intention de porter ce sujet lors de la présidence française de l'Union européenne.
Le dernier axe de la stratégie gouvernementale porte sur l'économie bleue. Le Fontenoy du maritime et la stratégie de flotte portent déjà leurs fruits. Nous favorisons une flotte plus écologique et encourageons un meilleur suivi des carrières des marins.
Enfin, la consolidation des ports, dans toutes leurs dimensions économiques, est essentielle. Faire de la France la première place portuaire d'Europe, tel est mon objectif. Pour cela, il faut jouer collectif et porter une stratégie globale.
Quant à la logique de façade, dans les espaces maritimes, il n'existe pas de frontières, mais des limites, dans lesquelles un État côtier développe ses activités dans le respect des libertés des autres.
En mer, l'immobilisme n'est pas permis.
J'espère vous avoir convaincu de la pleine implication du Gouvernement.
Prochaine séance demain, mercredi 5 janvier 2022, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 45.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 5 janvier 2022
Séance publique
À 15 heures, à 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, Président du Sénat M. Roger Karoutchi, vice-président M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Pierre Cuypers
1. Questions d'actualité
2. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant le Gouvernement à oeuvrer à l'adoption d'une déclaration de la fin de la guerre de Corée, présentée par M. Christian Cambon (n°231 rect., 2021-2022) (demande du groupe Les Républicains)
3. Débat sur le rapport : « Défense extérieure contre l'incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires » (demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation)
4. Débat sur le thème : « Les oubliés du Ségur de la santé/investissements liés au Ségur à l'hôpital » (demande du groupe SER)