La perte de puissance économique de la France et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d'achat
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La perte de puissance économique de la France - notamment en termes de compétitivité, d'innovation et de recherche - et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d'achat ».
M. Daniel Salmon . - La puissance est la capacité d'un acteur à imposer ses choix à d'autres acteurs. Ainsi définie, la puissance s'est toujours déclinée en termes de croissance.
Je souscris à la citation de Kenneth Boulding : « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Il faudrait ajouter : soit un politique...
Toutes nos politiques publiques sont tournées vers la croissance du PIB, y compris la protection sociale qui y est adossée.
La croissance des pays développés est corrélée au prix de l'énergie, qui ne reviendra jamais au niveau des Trente Glorieuses. On nous vend l'espoir d'un découplage entre cette croissance économique et ses conséquences écologiques, mais c'est une illusion : il va falloir vivre sans cette croissance.
La croissance n'a pas non plus permis de réduire les inégalités. Pire, elle les a creusées.
Une autre voie est possible : il faut penser une économie sobre avant de se la voir imposer par une succession de catastrophes.
Avec la pandémie, nous avons découvert que nos sociétés étaient vulnérables, que l'argent ne pouvait pas tout et que, sans organisation au service d'un but clair, la puissance économique n'était rien.
Nous allons devoir simplifier et ralentir, mais nous aurons aussi besoin de plus de têtes et de bras.
Une économie plus sobre n'est pas forcément synonyme de serrage de ceinture pour les plus modestes : ceux-ci peuvent bénéficier des économies d'énergie et de matière, ainsi que de nouvelles opportunités de travail et de revenu.
La fiscalité a également son rôle à jouer : suppression des niches fiscales, accroissement de la progressivité de l'impôt, imposition plus forte du capital et du patrimoine. Il faut planifier ce cercle vertueux.
Face aux faits, aux limites planétaires, le mythe du retour à une puissance économique prédatrice n'est plus souhaitable, ni même réaliste.
Nous devons passer le cap de l'ère industrielle et aller vers une économie économe. Un nouveau chemin de progrès est possible. Notre puissance réside dans notre souveraineté et notre survie dans la coopération, en particulier européenne. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Franck Montaugé applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Depuis trente ans, les gouvernements libéraux diminuent les cotisations sociales et la fiscalité des entreprises et imposent des sacrifices aux salariés au nom de la compétitivité. Pour quel résultat ? Les entreprises délocalisent, les dividendes explosent et les salaires stagnent, alors qu'Emmanuel Macron annonce un nouveau durcissement des allocations chômage et continue ses cadeaux fiscaux aux plus riches.
Les parlementaires communistes proposent un contre-projet avec des emplois stables, des services publics de qualité, une industrie au service des besoins de la société. Il faut réorienter les richesses vers la satisfaction des besoins des personnes plutôt que du capital et confier de vrais pouvoirs de décision aux citoyens et au monde du travail.
Quelque 358 000 familles ont été exonérées d'impôt sur la fortune (ISF) alors que leurs 1 000 milliards d'euros de patrimoine représentent la moitié du PIB de la France...
Le Président de la République a exonéré les entreprises de cotisations sociales tout en aggravant la précarité. Le soi-disant coût du travail n'existe pas : le travail crée des richesses.
Mettons l'économie au service de l'humain. Entre 2008 et 2017, l'Union européenne a apporté 1 500 milliards d'euros au système financier sans effet sur le chômage...
Face aux défaitistes, nous proposons les jours heureux : augmentons les salaires, réduisons la durée hebdomadaire du travail à 32 heures, recrutons massivement dans la fonction publique...
M. Laurent Duplomb. - Mais bien sûr !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - ... augmentons le SMIC de 200 euros nets par mois, revalorisons les pensions et les minima sociaux, faisons l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, rétablissons les cotisations sociales du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), modulons l'impôt sur les sociétés en fonction des politiques d'emploi et d'investissement des entreprises, taxons les 10 milliards de profits annuels des compagnies pétrolières, baissons les prix des carburants et réduisons de 30 % les taxes sur le gaz et l'électricité !
Il est encore temps d'inverser la tendance : investissement et humain plutôt qu'austérité et marché.
M. Michel Canévet. - Vive l'austérité !
Mme Anne-Catherine Loisier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les inquiétudes quant à la dégradation de la compétitivité française sont malheureusement fondées. La crise a touché tous les pays européens, mais la France a particulièrement souffert. La part des exportations françaises de biens dans la zone euro est passée de 13,9 % en 2019 à 12,7 % en 2020 et le déficit commercial s'est creusé de plus de 7 milliards d'euros en 2020, atteignant 65 milliards d'euros. Les exportations françaises de biens et services ont plongé de 19 % en 2020, plus que les 13 % de la zone euro. Italie et Espagne ont pris des mesures sanitaires plus strictes sans perte de parts de marché. Il y avait donc bien une fragilité générale de l'appareil productif français en 2020.
Des économistes craignent une nouvelle phase de désindustrialisation. Le plan France 2030, trop compliqué et confus, ne suscite aucun engouement chez les acteurs économiques.
Comment renouer avec la compétitivité et le pouvoir d'achat ? Quelle croissance durable permettra d'éviter un éventuel ajustement brutal des salaires et des dépenses publiques après les présidentielles ?
Les pays en surplus commercial de la zone euro doivent accepter de relancer la demande, mais l'Allemagne fait la sourde oreille.
Selon l'Insee, en 2019, une personne sur cinq était en situation de pauvreté en France. Le nombre de repas servis par les Restos du coeur a été multiplié par 16 depuis 1986 et un bénéficiaire sur deux a moins de 25 ans...
Je crains que la stratégie « From farm to fork » n'impacte une nouvelle fois la compétitivité de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Henri Cabanel . - Le déclin économique de la France et ses inévitables conséquences sociales - illustrées par les gilets jaunes - s'expliquent sur plusieurs décennies.
Jusqu'à la fin des années 2000, la France pointait encore au 4e ou 5e rang des puissances économiques mondiales. Depuis dix ans, le déclassement s'est accéléré, avec la crise de 2008-2010 en Europe et l'irruption de nouveaux acteurs comme la Chine.
Il s'agit donc d'une perte de puissance relative. Le leadership technologique américain se poursuit, la puissance allemande en Europe s'est renforcée et la Chine a émergé de façon spectaculaire depuis son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) il y a vingt ans. D'autres pays et régions du monde émergent en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient...
Cette désoccidentalisation du monde est la conséquence ultime de la mondialisation, un contrepoint à l'économiste Serge Latouche.
De pays exportateur net jusqu'au début des années 2000, nous sommes devenus massivement importateurs depuis. Notre croissance fondée sur la consommation se paie comptant, et la pandémie conforte cette réalité avec un déficit commercial de plus de 60 milliards d'euros en 2020.
Cela fait des années que certains experts nous alertent sur la dégradation de la position économique de la France. Des efforts ont été faits pour valoriser le « made in France », défendu en son temps par Arnaud Montebourg.
Le coût de notre dépendance est élevé. Nous devons retrouver notre souveraineté industrielle, même si cela doit coûter un peu plus cher au consommateur. Pour cela, il faut augmenter les salaires les plus bas, revoir la réglementation des marchés publics, instaurer une taxe carbone et des exigences sociales et environnementales aux frontières - le « juste échange ». Il faut également produire chez nous ou près de chez nous : réindustrialiser nos territoires et développer des pays plus proches, comme ceux du Maghreb. Enfin, il faut investir dans des secteurs d'avenir : les microprocesseurs, les médicaments, la recherche publique. Il y va de notre position sur l'échiquier international.
Voilà une feuille de route claire pour les candidats à la prochaine élection présidentielle. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Florence Blatrix Contat applaudissent également.)
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, Albert Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Cette phrase de 1957 conserve toute sa force.
Quelle place pour la France dans la fin de la civilisation du carbone ? Il s'agit d'abord d'une transition de modèle : la France ne peut ignorer « l'irruption de la terre dans notre histoire », comme le dit Bruno Latour.
Cependant, malgré les dégâts et les crises, les prises de conscience sont lentes. De COP en COP, les constats désabusés se succèdent. Pour autant, ne dénigrons pas les efforts des industries françaises.
La France doit devenir plus attractive et pourvoyeuse d'emplois utiles et bénéfiques à l'écoumène. Éducation générale et populaire, enseignement supérieur et recherche, accueil des étudiants étrangers, souveraineté numérique, formation générale et professionnelle tout au long de la vie, culture, voilà les domaines dont dépend notre place dans le monde de demain.
Après les révolutions néolithique et industrielle, l'anthropocène nous plonge dans la révolution de la durabilité. L'avenir de la France dépendra de notre capacité à changer de référentiel, comme l'écrit Pierre Caye dans son dernier ouvrage. Il faut mettre le patrimoine et le capital au service de la durée, transformer la richesse comptable en biens institutionnels et symboliques, constituer un patrimoine social pour l'ensemble de la société.
La République accumule le patrimoine matériel et symbolique pour mieux le gérer et le conserver. Les richesses matérielles et financières doivent être transformées en biens juridiques, sociaux, culturels et symboliques. Or, aujourd'hui, on galvaude ce patrimoine et la croissance passe par la désinstitutionalisation de la société.
Or, il n'y a pas de développement durable possible sans renforcement du processus de patrimonialisation institutionnelle, sociale et symbolique. Et personne ne doit en être écarté.
Pierre Calame écrit que pour gérer une planète unique et fragile, il est nécessaire de se mettre d'accord à l'échelle mondiale sur des valeurs communes : la responsabilité doit devenir la colonne vertébrale de l'éthique du XXIe siècle.
La mise en oeuvre d'un développement vert durable passe aussi par la transformation de la responsabilité.
Mme le président. - Il faut conclure.
M. Franck Montaugé. - C'est ainsi que l'économie française trouvera sa place dans l'anthropocène. Là est aussi le message humaniste et universaliste de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)
M. Jean-Louis Lagourgue . - Point de souveraineté nationale sans puissance économique. Le débat dépasse largement l'économie. Nous refusons le pessimisme et le déclinisme, même si notre incapacité à produire un vaccin contre la covid a été un traumatisme au pays de Pasteur. La France est le premier pays d'Europe pour les investissements étrangers : ne cédons pas à la tentation de l'autodénigrement.
L'évolution du PIB de la France sur le temps long montre une croissance continue depuis le premier choc pétrolier, à l'exception de la crise financière de 2008 et de la crise sanitaire actuelle.
La part de la France dans le PIB mondial est passée de 6 % en 1975 à 3 % en 2020. C'est une perte de puissance relative, mais indéniable. D'autres pays, comme le Royaume-Uni - passé de 4 à 3 % - ou les États-Unis - passés de 28 à 25 % -, ont mieux résisté que nous. Il ne suffit pas que notre PIB augmente, il faut qu'il augmente plus vite qu'ailleurs. Sans compétitivité, pas de solidarité possible.
Le renforcement de la compétitivité française est la clé de notre puissance économique. Il faut d'abord baisser les prélèvements obligatoires. À ce point de vue, l'action menée ces dernières années a été remarquable avec 50 milliards d'euros de pression fiscale en moins, dont la moitié en faveur des entreprises. Baisse du taux d'impôt sur les sociétés, mise en place du prélèvement forfaitaire unique, suppression de l'ISF, baisse des impôts de production ont restauré l'attractivité de la France.
Ensuite, nous devons bâtir un continuum de l'innovation, de la recherche fondamentale à l'application industrielle. Le plan France 2030 ouvre des perspectives ambitieuses à cet égard. Une mission d'information créée à l'initiative de Vanina Paoli-Gagin s'y attellera.
Enfin, nous devons créer de l'emploi sur le territoire national à tous les niveaux de qualification, afin d'améliorer le pouvoir d'achat.
Ne noircissons pas le tableau.
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Quel jugement porter sur la France en tant que puissance économique en 2021 ?
Nous refusons le face-à-face entre les déclinistes à tendance masochiste et les optimistes béats qui croient à l'argent magique.
Mais le décrochage de l'économie française est malheureusement une réalité. Les Alstom, Pechiney, Saint-Gobain, Usinor, qui fleuraient bon les Trente Glorieuses ont plutôt désormais des relents de Berezina, Trafalgar ou Waterloo selon que vous aurez le pied marin ou l'humeur fantassine... (Sourires ; M. Laurent Duplomb approuve.)
La France n'est pas pour autant disqualifiée : elle reste la 5e ou 6e puissance économique mondiale. Elle n'a donc pas quitté la cour des grands, mais elle est à deux doigts de le faire.
Les parts de marché françaises à l'exportation décrochent. Notre balance commerciale est déficitaire depuis dix ans. Cela s'explique par une perte de compétitivité et une stratégie défaillante à l'export. La France s'est spécialisée dans les industries du savoir à forte valeur ajoutée. L'idée était que les pays émergents resteraient cantonnés aux productions à faible valeur ajoutée. C'était la mondialisation heureuse, dont la start-up Nation et les premiers de cordée sont les ultimes avatars.
La part de l'industrie manufacturière dans l'économie française est alors passée de 22,3 à 11,2 %. Ce sont 3,1 millions d'emplois directs, quand l'Allemagne en compte 6 millions. Le taux de chômage de 8,1 % - contre 5,5 % en Allemagne - frappe prioritairement les jeunes.
Notre classe moyenne s'est fragilisée et les inégalités se sont creusées dangereusement pour en arriver au triste, mais réaliste constat posé par Jérôme Fourquet dans L'archipel français.
Conséquences : la montée du séparatisme social et l'affaiblissement de la démocratie. Une nation très ouverte peut être une démocratie, mais elle doit maîtriser l'intensité de son ouverture économique afin de ne pas nuire à ses compromis démocratiques et sociaux fondamentaux.
La mondialisation libérale et la libération de la finance ont profondément modifié les équilibres planétaires. Le capitalisme cohabite de plus en plus difficilement avec les nations démocratiques.
L'environnement administratif, légal, social et fiscal entrave la compétitivité française. La France dispose pourtant d'immenses atouts. Cessons d'opposer les secteurs public et privé ! C'est ensemble que nous surmonterons les difficultés, si nous en avons la volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Pierre Moga . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans son ouvrage Le pouvoir de la destruction créatrice, Philippe Aghion rappelle l'importance de l'innovation. Je salue le renforcement historique de la recherche fondamentale dans le projet de loi de finances pour 2022, après une diminution de 40 % entre 2009 et 2015.
Nous devons développer une culture de financement qui encourage l'innovation, via le capital-risque. Mon rapport d'information sur l'enseignement supérieur et la recherche montre que les deux tiers de la recherche sont issus des entreprises. Je déplore la suppression du doublement du CIR pour les entreprises qui collaborent avec les instituts de recherche.
La recherche doit s'orienter vers les innovations de rupture : pour cela, il faut une recherche partenariale qui favorise les transferts.
L'intervention étatique doit diriger la recherche vers les innovations vertes, comme l'hydrogène vert.
Nous devons adapter la politique de la concurrence à l'ère du numérique et rapatrier une partie de la production industrielle délocalisée. Je pense, dans le Lot-et-Garonne, à l'industrie pharmaceutique.
Je salue le plan France 2030, ainsi que la sécurisation de l'accès aux matériaux stratégiques comme les terres rares et la circularité accrue. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Annie Le Houerou . - Système social obsolète, incapacité à mener des réformes, système d'innovation médiocre, dégradation de la compétitivité... Voici le point de vue des détracteurs de la France.
Mais la France n'est pas disqualifiée : elle reste la 5e puissance mondiale, la 6e puissance exportatrice de biens et services. Est-ce à dire que la situation sociale est bonne ? La France a su protéger son économie pendant la crise de la covid - certes grâce au « quoi qu'il en coûte ».
Certains secteurs se renforcent, comme l'agroalimentaire, mais la crise a révélé notre forte dépendance à l'égard de produits importés déterminants pour notre activité et notre sécurité.
En dépit de la crise, le pouvoir d'achat des Français aurait augmenté d'1,5 point, selon Bruno Le Maire. Pourtant, nos concitoyens sont nombreux à être confrontés à la grande pauvreté. La contrainte est de plus en plus forte sur les ménages modestes, notamment avec la hausse des dépenses pré-engagées qui représentent désormais plus de 30 % de leur budget. Les prix augmentent : + 16 % pour l'essence, + 6,3 % pour l'électricité. Les loyers et les prix de l'alimentation augmentent à leur tour.
L'emploi se précarise : 75 % des embauches sont en contrat court. On observe un rebond du travail indépendant et le développement de l'ubérisation, assortie d'une protection sociale lacunaire.
Les inégalités se creusent : depuis 2018, les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres. Le ruissellement n'a pas lieu. La baisse des allocations de logement, la réforme de la fiscalité du capital et désormais la réforme du chômage contribuent à l'augmentation des écarts de niveau de vie entre Français. Or, la première parade, c'est une juste rémunération. En 2019, 19 % des Français se percevaient comme pauvres, contre 13 % en 2017.
Un plan de relance mieux ciblé sur les secteurs stratégiques aurait été bienvenu.
Ce n'est que grâce aux transferts sociaux et fiscaux que le niveau de vie global a pu se maintenir. Le nombre de bénéficiaires des minima sociaux a augmenté de 30 % depuis 2008. Le sentiment de déclassement se répand.
Notre pays a pourtant les richesses suffisantes pour que chacun vive dignement, à condition que nous les répartissions mieux. Il s'agit de garantir à long terme la cohésion de notre modèle.
Mme le président. - Merci à chacun de respecter son temps de parole. (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Le sujet de l'agriculture est intéressant pour répondre à la question posée.
Les preuves, d'abord. La balance commerciale agricole française est bien mauvaise : elle a été divisée par deux en dix ans et sera déficitaire à partir de 2023 ; hors vins et spiritueux, elle est déjà déficitaire de plus de 6 milliards d'euros. En effet, nous importons de plus en plus : en restauration hors foyer, nous consommons de 60 à 80 % de viande importée...
Les causes, ensuite. Le coût de la main-d'oeuvre en France a augmenté de plus de 58 % en dix ans : il est 1,5 fois plus cher qu'en Allemagne, 1,7 fois plus qu'en Espagne et 2 à 3 fois plus qu'en Europe de l'Est. Les charges sont trop importantes : de 7 % de plus que dans les autres pays européens, notamment sur les engrais et les phytosanitaires. La loi EGalim I a créé des charges supplémentaires et la loi Climat et résilience en aurait rajouté une couche si nous n'avions agi pour éviter une taxe sur l'azote ! La France impose plus de normes agroécologiques par rapport à ses concurrents, sur les abeilles, les zones Natura 2000, les néonicotinoïdes (protestations sur les travées du GEST), le glyphosate, etc. Arrêtons de surtransposer ! Et nos industries agroalimentaires sont fragiles : leurs marges sont faibles et elles ont donc de moins en moins de capacité à investir.
Les conséquences : la disparition de filières entières - cerises, abricots, pêches, poires, moutarde... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Somon . - « Et si la France allait mieux qu'elle ne le croit ? », interroge un ouvrage récent.
En valeur absolue, la France reste un pays riche - le 5e au monde -, mais elle dégringole à la 24e place pour le PIB rapporté au nombre d'habitants.
Notre population est vieillissante, notre jeunesse en perte de confiance, face à un ascenseur social qui ne fonctionne plus. Notre politique familiale est déconstruite et notre éducation pointe au 23e rang sur 79 dans les classements internationaux : nous devons renouer avec une culture scientifique et technologique. Notre dépendance industrielle a été cruellement révélée par la crise sanitaire. Nous avons abandonné nos secteurs d'excellence. Nous perdons notre rang en nombre de brevets déposés au niveau international : 4e déposant en 2005, nous ne sommes plus que 6e en 2019, loin derrière les États-Unis et la Chine. Or la propriété intellectuelle est le reflet de l'innovation et elle joue un rôle central dans la concurrence au niveau mondial.
En termes de recherche, la France est désormais 13e au classement mondial et 7e dans l'Union européenne, n'y consacrant que 2,2 % de son PIB.
Ne soyons cependant pas exagérément pessimistes. Nos infrastructures, la productivité des salaires, le faible coût de l'énergie, les télécoms ou le marché intérieur européen sont autant de facteurs d'attractivité.
Déclin ou déclassement ? Oui, la France perd du terrain et la pauvreté augmente, de 13,6 à 14,8 % entre 2009 et aujourd'hui.
Nous devons organiser la reconquête dans le contexte européen. L'État bureaucratique, trop lourd, reste un frein majeur. Voyez le nombre de projets qui ont échoué en Hauts-de-France, car la Belgique est plus ouverte. Sans parler des États-Unis ou du Canada qui attirent nos jeunes chercheurs.
La richesse ne ruisselle ni sur les ménages ni sur les territoires.
Notre système social, à bout de souffle, se traduit par des prélèvements obligatoires de plus en plus élevés : 47,4 % du PIB, soit le taux le plus élevé de l'Union européenne.
La France est droguée à la dépense publique, comme le disait il y a peu le ministre de l'économie.
Il faut des réformes structurelles dans la santé, la recherche, l'agriculture et l'écologie.
Sur ce terrain, les Français vous attendaient... Ils vous attendent toujours ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Alain Griset, ministre délégué, chargé des petites et moyennes entreprises . - Plutôt que de parler d'un pays en perte de vitesse, permettez-moi de parler d'une France qui, depuis 2019, est le pays le plus attractif en Europe, celui dont le rebond économique est aujourd'hui le plus marqué.
Après des décennies de perte de compétitivité, de désindustrialisation et de chômage de masse, la dynamique revient, grâce à une politique publique volontariste. La compétitivité française se redresse grâce aux baisses des impôts et des charges.
La réduction de l'impôt sur les sociétés, les exonérations de cotisations pour les bas salaires et la baisse des impôts de production sont les facteurs de cette amélioration.
Le chômage est au plus bas depuis la crise de 2008. Il y a plus d'emplois aujourd'hui qu'avant la crise. La qualité de l'emploi aussi s'améliore, avec une augmentation de la part des CDI et une diminution du nombre des temps partiels.
Le droit du travail a été simplifié, le système de formation professionnelle rénové, le développement des compétences fortement stimulé. Le maintien dans l'emploi des moins qualifiés fait l'objet de mesures particulières, de même que l'apprentissage - 500 000 apprentis en 2021, contre 280 000 en 2016.
Avec la reprise économique, la main-d'oeuvre manque dans certains secteurs. La réforme de l'assurance chômage complète l'action du Gouvernement en faveur de l'emploi.
Les investissements dans l'innovation, la recherche et le développement demeurent une priorité. Nous venons de lancer le programme d'investissement d'avenir 4 (PIA4), pour 20 milliards d'euros. Il s'agit notamment d'accélérer les innovations de rupture. Le plan France Relance accompagne les entreprises dans leurs nécessaires transitions écologique et numérique.
La reconquête industrielle est en cours, car nous avons besoin d'un secteur productif fort. Nous voulons faire émerger les champions de demain dans dix secteurs cibles. De notre industrie dépendent notre souveraineté et la vitalité de nos territoires. C'est pourquoi nous consacrons à l'industrie 35 milliards d'euros dans le plan France Relance qui est aussi au coeur du plan France 2030.
Grâce à cette politique ambitieuse, l'économie française est revenue sur de bons rails. Nous agissons aussi en faveur du pouvoir d'achat des Français et de l'égalité des chances. La revalorisation de la prime d'activité, la prime Macron et la baisse de l'impôt sur le revenu pour les classes moyennes, entre autres, font que le travail paie mieux. La suppression de la taxe d'habitation complète ces mesures de justice et de pouvoir d'achat.
Le plan « Un jeune, une solution » et le contrat d'engagement soutiennent la jeunesse.
L'appui aux plus vulnérables a été un axe fort de notre action pendant la crise.
L'indemnité inflation de 100 euros bénéficiera à tous les Français qui gagnent moins de 2 000 euros net par mois. Les prix du gaz sont gelés depuis octobre et le prix de l'électricité réglementé sera encadré. En définitive, le pouvoir d'achat des ménages a augmenté de 8 % en moyenne durant le quinquennat.
Les résultats économiques sont là : 6,25 % de croissance en 2021, et 4 % en 2022. C'est le fruit de notre stratégie.
M. Laurent Duplomb. - Et 3 000 milliards d'euros de dette publique !
M. Jacques Fernique . - L'industrie automobile a-t-elle un avenir dans notre pays ? En dix ans, 100 000 emplois ont disparu et la moitié des emplois restants pourrait être perdue d'ici à 2035 avec la fin des moteurs thermiques. L'électromobilité ne pourra tout compenser. Comment éviter une catastrophe sociale ?
En Allemagne, le nouveau contrat de coalition prévoit l'accompagnement de la transition du secteur automobile.
Un dialogue social est nécessaire pour accélérer cette transformation. Le Gouvernement est-il résolu à l'engager ? (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Cathy Apourceau-Poly applaudissent.)
M. Alain Griset, ministre délégué. - L'industrie doit à la fois décarboner ses procédés et mettre au point les solutions décarbonées de demain.
Le Gouvernement a prévu 1,2 milliard d'euros pour soutenir la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le plan France Relance. D'ores et déjà, 141 projets sont retenus.
Une transition rapide du parc automobile est nécessaire pour les générations futures. Des restructurations sont inévitables. Les évolutions réglementaires à venir vont accélérer cette transition.
Le soutien de l'État est et demeurera constant : plan diesel et plan automobile de France Relance, en particulier.
M. Jacques Fernique. - Le soutien à l'industrie automobile de France Relance est loin d'être à la hauteur. La décarbonation, c'est la clé de la compétitivité.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Parlons plutôt de la souveraineté économique de la France. La désindustrialisation se poursuit depuis 2017. Cela ne risque que de croître et embellir, vu la réponse que vous venez de faire sur l'automobile...
Il faut des plans de filière négociés entre les industriels, les syndicats et la puissance publique. Les 34 milliards que vous annoncez sont dérisoires face aux défis de la réindustrialisation.
Nous devons accompagner les entreprises dans leur mutation. Nous ne pouvons accepter que les sous-traitants automobiles disparaissent. Le capital étranger ne doit pas pouvoir partir après avoir bénéficié d'aides publiques. Redonnez-nous confiance dans l'avenir de notre industrie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)
M. Alain Griset, ministre délégué. - Une entreprise qui ferme, c'est une épreuve très dure pour les salariés et pour les familles. L'engagement du Gouvernement en faveur de la réindustrialisation est constant. Nous faisons des efforts considérables pour la formation des salariés et l'accompagnement des sites industriels.
Nous n'entendons pas effacer cette mémoire ouvrière. Nous continuons de travailler sans relâche pour faire venir sur notre sol de nouveaux industriels.
M. Pierre-Antoine Levi . - Notre perte de souveraineté économique est particulièrement manifeste dans la santé. Du fait des pénuries, les Français doutent de la capacité de l'État à les protéger.
Les médicaments contre le cancer manquent dans les pharmacies centrales des hôpitaux, occasionnant semble-t-il une baisse de 75 % des chances de guérison des malades. Dans le pays de Pasteur, comment en sommes-nous arrivés là ?
La responsabilité en incombe à un mouvement de fond depuis une trentaine d'années. Comment comptez-vous l'enrayer ? Il y a urgence ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
M. Alain Griset, ministre délégué. - La crise sanitaire a mis au jour notre dépendance à l'égard de l'étranger pour nous approvisionner en produits de santé. C'est pourquoi nous voulons faire de la santé l'industrie la plus souveraine et la plus innovante en Europe.
Nous avons tout mis en oeuvre pour lutter contre le Covid-19. Plus de 150 millions de doses de vaccins sont sorties des usines de production françaises en 2021.
La santé occupe une place centrale dans le plan France Relance.
Le plan Innovation Santé 2030 doté de 7,5 milliards d'euros, et repris dans le plan France Relance, tire les conséquences de la crise sanitaire et fixe les ambitions de la France.
Mme Guylène Pantel . - La hausse du prix des carburants est spectaculaire sur tout le territoire. On atteint des niveaux historiques, plus élevés encore qu'à la veille du mouvement des gilets jaunes.
Les conséquences sont très lourdes dans les territoires ruraux où la voiture est indispensable pour se déplacer. En Lozère, il faut parfois deux heures de route pour rejoindre l'hôpital ou la maternité !
En 2018, mon groupe avait proposé une modulation de la fiscalité énergétique dans les départements les plus ruraux. Cette problématique est plus que jamais d'actualité.
Au-delà de l'indemnité inflation, très médiatique, comment allez-vous soutenir le pouvoir d'achat en milieu hyper-rural ?
M. Alain Griset, ministre délégué. - Oui, les Français sont préoccupés par l'inflation et par leur pouvoir d'achat. Depuis 2017, nous avons agi pour que le travail soit rémunéré à sa juste valeur. Face à la hausse des prix, nous revalorisons le chèque Énergie et mettons en place une indemnité inflation pour 38 millions de Français. Un bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l'électricité a également été instauré.
Comme je l'ai déjà dit, le pouvoir d'achat de tous les Français a progressé sous le quinquennat.
Maintenir les services publics de proximité est une priorité de notre action, dans le cadre des maisons France Services.
Mme Florence Blatrix Contat . - La perte de notre puissance économique est mesurable par les chiffres du solde commercial : 68 milliards d'euros de déficit contre un excédent de 215 milliards d'euros pour l'Allemagne. La base industrielle de nos exportations s'est peu à peu atrophiée, ne reposant plus que sur l'aéronautique, l'armement et le luxe. L'attractivité de notre pays est pourtant indéniable notamment en raison de la productivité de notre main-d'oeuvre.
Mais l'approche financière ne fait pas une stratégie économique de moyen et long terme. Franck Montaugé a raison : il faut une montée en gamme de nos productions ; et des progrès dans le numérique. L'échec de Gaïa-X est celui d'un cloud véritablement souverain. Nous voilà réduits à un cloud de confiance avec une base technologique largement Gafam.
Il faut permettre aux start-up non seulement de naître, mais aussi de croître. Le Gouvernement entend-il s'engager dans une stratégie de souveraineté numérique avec les acteurs européens ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Alain Griset, ministre délégué. - L'autonomie numérique de la France et de l'Europe est indispensable dans un monde toujours plus digitalisé.
Nous avons lancé de nombreuses stratégies d'innovation : 1,8 milliard d'euros pour le quantique, 2 milliards pour l'intelligence artificielle, 2 milliards pour le cloud, 800 millions pour la cybersécurité.
Le plan France 2030 renforcera nos capacités de développement dans les secteurs stratégiques.
Notre autonomie dépendra de notre capacité à protéger nos données sensibles et personnelles. C'est pourquoi nous avons lancé un label pour garantir un haut niveau de protection. Nous devons assurer une concurrence loyale. La France milite sans relâche en faveur d'un marché européen sécurisé du numérique.
L'adoption du Digital markets act (DMA) par l'Union européenne est un bon signe.
M. Dany Wattebled . - La puissance économique d'un pays se mesure à sa capacité à sécuriser ses débouchés à l'extérieur. En septembre dernier, quand l'Australie a rompu unilatéralement le contrat de 55 milliards d'euros qui la liait à la France, nous avons pu constater combien la rivalité économique faisait rage, parfois au détriment de la France. Les États-Unis, la Russie, la Chine et tant d'autres sont à l'offensive pour conquérir des marchés hors de leurs frontières.
Là où des pays comme l'Allemagne chassent en meute, la France ne joue pas assez collectif. Comment le Gouvernement compte-t-il y remédier ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. Alain Griset, ministre délégué. - Le combat de la France pour rétablir sa balance commerciale repose sur trois piliers : tout d'abord il s'agit de renforcer l'attractivité et la compétitivité de notre économie, avec la baisse des impôts, la réduction des charges sur les bas salaires et la formation. Notre travail paie : la France est devenue le pays européen le plus attractif en matière d'investissements étrangers.
Ensuite, le principe de réciprocité doit s'appliquer à nos partenaires commerciaux : il est inacceptable que les géants du numérique payent moins d'impôts que nos ETI et PME et que des États ferment leurs marchés publics à nos entreprises tout en ayant accès aux nôtres. Le Gouvernement se bat pour une réforme fiscale internationale, pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, mais aussi pour la réciprocité d'accès aux marchés publics.
Il faut enfin renforcer le contrôle des investissements étrangers en France ; à cet égard, nous avons abaissé le seuil de contrôle à 10 %.
Si les conditions de concurrence et de réciprocité ne sont pas garanties, il faut intervenir. Mais notre compétitivité ne dépend pas d'un retour au protectionnisme.
M. Dany Wattebled. - Nos start-up partent à l'étranger : trop souvent, nous n'arrivons pas à passer le cap industriel.
M. Édouard Courtial . - La pandémie a dévoilé des failles, parmi lesquelles le déficit commercial, particulièrement frappant.
L'écart avec l'Allemagne se monte à 177 % alors que la différence de PIB entre nos deux pays n'est que de 37 %. Notre voisin peut s'appuyer sur un formidable tissu de PME, dynamique et résilient. Certes, nous avons fait des progrès mais il faut aller encore plus loin. Nous devons nous rapprocher des marchés en nous appuyant sur le réseau diplomatique et la diaspora.
Il convient enfin de mettre un terme à la naïveté de l'Union européenne, notamment en imposant la réciprocité des normes. La présidence française de l'Union pourrait être l'occasion de marquer une rupture : le Gouvernement le fera-t-il ?
M. Alain Griset, ministre délégué. - Le déficit commercial de la France s'élevait en 2020 à 43,5 milliards d'euros. L'amélioration de la balance commerciale va de pair avec la réindustrialisation du territoire.
Les plans France Relance et France 2030 y participent.
Nous mobilisons les Français de l'étranger, très actifs par le biais des CCI locales, qui comptent plus de 30 000 membres dans 96 pays. Certains financements leur sont aussi accessibles via le dispositif Proparco.
Enfin, du fait de la crise Covid, nos ambassades ont resserré les liens avec nos compatriotes établis hors de France.
La séance est suspendue à 20 h 15.
présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président
La séance reprend à 21 h 45.