Confiance dans l'institution judiciaire(Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire ; et des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire.
Discussion générale
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Nous voici réunis pour l'ultime examen de ces textes, au terme d'un chemin long et sinueux - plus proche du rallye corse que de la promenade de santé dans ses dernières semaines. (M. le ministre apprécie la comparaison.) Nous avons cependant abouti et nous en félicitons.
Si 53 % des Français ne font pas confiance à l'institution judiciaire, ils croient en ses professionnels.
Notre Agora de la justice comme le dernier colloque organisé par la Cour de cassation l'ont montré : il faudra une réforme de fond.
Je ne suis toujours pas convaincue que ce texte composite suffise à rétablir la confiance, mais il comporte des avancées dans plusieurs domaines comme l'organisation et la discipline des professions judiciaires, la force exécutoire des accords passés avec les avocats, l'enregistrement et la diffusion des audiences, la réforme des remises de peines et du travail pénitentiaire.
L'avertissement pénal probatoire remplace le rappel à la loi. Les cours criminelles départementales ne seront généralisées qu'au 1er janvier 2023, ce qui répond aux préoccupations du Sénat.
Le texte est le fruit d'intenses échanges. Certes, certaines dispositions, comme sur le secret professionnel des avocats, sont encore mal comprises, mais je fais confiance au talent pédagogique de Philippe Bonnecarrère pour l'expliquer. La pratique, je l'espère, lèvera les dernières réticences. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Monsieur le garde des Sceaux, contrairement à vos dires, vos arguments ne se sont pas heurtés à la muraille du Parlement. (M. le ministre conteste cette interprétation.) Preuve en est l'accord en CMP sur votre projet de réforme.
Ce texte porte sur les remises de peines, les cours départementales et l'organisation déontologique des professions juridiques.
La durée des enquêtes préliminaires sera limitée à deux ans, sauf exceptions liées aux enquêtes internationales. Nous vous avons finalement suivis sur le sujet, mais la bonne application de cette réforme dépendra du nombre d'enquêteurs judiciaires ; elle marque le grand retour du juge d'instruction - sur ce point, vous préemptez quelque peu les termes du débat aux états généraux de la justice, entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire...
La profession d'avocat a eu tendance à s'auto-définir, à s'auto-considérer comme bénéficiaire d'un secret professionnel général et illimité. Cela est vrai pour la défense, mais pas, en droit positif, pour le conseil. (M. le ministre approuve.) La solution trouvée sur ce dernier point me semble équilibrée.
Merci de votre attention et de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. André Reichardt applaudit également.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Après dix mois de travail, je me réjouis de l?accord trouvé en CMP. On sait depuis La Fontaine que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ; pour ma part, j'aime le bicaméralisme et le second regard qu'il offre. À l'époque où j'étais avocat, c'était celui de la cour d'appel. Mais ne vous enflammez pas : le Sénat n'est pas la cour d'appel de l'Assemblée nationale ! (Sourires)
Ceux qui ont dit que nous nous opposions n'ont pas dit la vérité. Nous sommes tombés d'accord sur le secret professionnel des avocats, qui - Philippe Bonnecarrère a dit vrai - n'est pas absolu s'agissant du conseil, activité commerciale et de service.
Je salue la façon dont nous avons travaillé ensemble pour trouver des solutions.
Bien sûr, un texte ne peut suffire à restaurer la confiance - j'aimerais disposer d'une telle baguette magique ! - mais il y contribuera, notamment par l'enregistrement des audiences qui aidera le public à comprendre comment fonctionne la justice et évitera le « justice bashing ». La justice se fera ainsi mieux connaître, en entrant dans le salon des Français. La publicité est une grande garantie démocratique : dans les dictatures, la justice n'est pas publique.
Il est normal d'enserrer l'enquête préliminaire dans des délais. Elle ne doit pas devenir une enquête éternelle, qui constitue une violation patente des droits de l'homme, en ce qu'elle suspecte un homme pendant deux, trois, quatre ans - parfois plus ! - avec de graves atteintes à la présomption d'innocence. Nous redonnons des lettres de noblesse au jury populaire, qui ne pourra condamner que si une majorité des jurés s'exprime.
J'ai entendu le Sénat sur les cours départementales ; je suis presque convaincu sur la poursuite de l'expérimentation (M. André Reichardt s'en réjouit) car elle a eu lieu pendant la période du Covid. Je n'ai nullement l'intention d'être caporaliste...
Une juridiction nationale sera créée pour les crimes en série. C'est une avancée majeure pour les victimes.
Le rappel à la loi sera supprimé. Vous proposiez un délai de trois ans, je proposais un an ; ce sera finalement deux ans : quelle sagesse ! (Sourires) Il n'impressionnait plus que les honnêtes gens ! La période probatoire sera de deux ans et les violences ne seront pas concernées, non plus que les faits de récidive.
Nous avons encadré l'application des peines dans le sens des droits mais aussi des devoirs. Deux ans de remise de peine automatique, c'était hérétique !
Nous renforçons aussi le travail en prison afin de faciliter la réinsertion. Nous avons réussi à en faire augmenter le taux de 2 %, mais j'espère une hausse massive, car c'est gagnant-gagnant-gagnant pour le détenu, le patron, la société.
La codification des règles pénitentiaires était très attendue, tout comme le développement de la médiation.
Il était anormal qu'un justiciable se plaignant de son huissier, son notaire ou son avocat se voie jugé par ces mêmes gens. Nous avons mis en place l'échevinage en la matière.
Je sais ce que pense le Sénat du secret professionnel des avocats, tant nous avons travaillé - bossé, oserais-je dire - ensemble sur le sujet. Nous avons également réfléchi avec les avocats, qui n'ont pas du tout été exclus. Beaucoup de choses n'ont pas été comprises. Mais personne ne pourra dire que nous avons été les fossoyeurs du secret professionnel. C'est le contraire !
Beaucoup d'avocats nous remercient et comprennent les avancées considérables apportées au secret de la défense comme au secret du conseil, dont nous allons reparler dans quelques instants.
Mme le rapporteur, vous m'avez rappelé à l'humilité : elle ne m'a jamais quitté. Il reste beaucoup de travail pour rétablir la confiance en la justice ; cela ne se fera pas en un texte. Les états généraux évoqueront un grand nombre d'autres voies de modernisation de l'institution judiciaire. Une vision transpartisane des choses est indispensable. Il n'y a pas une justice LREM, LR, ou LFI...
Mme Éliane Assassi. - Il n'y en a pas ici, des LFI !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je ne vous oublie pas, madame la présidente... (Sourires)
J'ai entendu à de nombreuses reprises que ce texte était un patchwork de mesures. Mais il y a de jolis patchworks. Ce texte est issu des constats divers que j'ai pu dresser au cours de ma longue carrière. J'ai pensé que ces différentes mesures étaient de nature à renforcer, au moins modestement, la confiance des Français dans l'institution judiciaire.
Je suis heureux de présenter aujourd'hui le dernier amendement de fond pour que ce texte entre en vigueur aussi vite que possible. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC, et sur quelques travées du groupe Les Républicains)