Confiance dans l'institution judiciaire (Conclusions de la CMP - Suite)
M. le président. - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
En conséquence, le vote sur les amendements et les articles sera réservé.
Nous passons à la présentation des amendements du Gouvernement sur le projet de loi ordinaire avant d'en venir aux explications de vote des groupes.
La discussion générale est close.
Discussion du texte élaboré par la CMP
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 7, deuxième phrase
Remplacer les mots :
de demande d'entraide judiciaire
par les mots :
d'entraide judiciaire internationale
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est un amendement de précision rédactionnelle.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.
Alinéas 15 à 17
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 56-1-2. - Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué prévues à l'article 56-1 et des droits de la personne perquisitionnée prévus à l'article 56-1-1, le secret professionnel du conseil n'est pas opposable aux mesures d'enquête ou d'instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu'au blanchiment de ces délits sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l'avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions. » ;
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Une longue concertation entre le ministère de la Justice, le Barreau dans sa diversité et les parlementaires a présidé au travail sur le secret professionnel des avocats - que ce soit de la défense ou du conseil.
Le juge des libertés et de la détention (JLD) statuera sur la possibilité de perquisitionner. Autrefois, c'était le procureur ou le juge d'instruction qui décidait seul. Le Barreau demandait ce contrôle du JLD depuis longtemps.
Le recours possible contre la décision du JLD en matière de saisie est lui aussi, désormais, une réalité, devant la chambre de l'instruction.
Nous avons renforcé les garanties pour l'avocat : il faudra des raisons plausibles de soupçonner une implication dans des actes délictueux pour lever le secret.
Enfin, les relations entre le client et l'avocat sont couvertes par le secret avant même l'ouverture d'une procédure pénale : c'est une avancée très significative. La jurisprudence de 2014 avait été âprement contestée par les avocats. J'avais moi-même lorsque j'étais avocat participé à une pétition contre cette jurisprudence, qui avait recueilli plus de 10 000 signatures.
Enfin, les documents saisis chez le client seront soumis aux mêmes règles que ceux saisis chez l'avocat et les fadettes seront assimilées aux écoutes.
Le Barreau a souligné ces avancées dès la présentation du texte en conseil des ministres.
L'Assemblée nationale a élargi le champ du secret professionnel au conseil. Il est désormais consacré dans le code de procédure pénale. Mais ce secret ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle et conventionnelle que le secret de la défense. Le Sénat a proposé trois exceptions - terrorisme, fraude fiscale, corruption et blanchiment. Les Français n'accepteraient pas qu'il en soit autrement.
Le 16 novembre, dans sa décision Sargava contre Estonie, la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il n'était pas interdit d'imposer aux avocats des obligations concernant les relations avec leurs clients, notamment dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques. Nous n'avions pas besoin de cet arrêt pour rappeler ce qu'est le secret du conseil.
Cet amendement rappelle que le bâtonnier sera bien présent lors des perquisitions. Le Sénat n'avait jamais eu l'intention de l'en écarter, pas davantage que le garde des Sceaux ou les députés... Comme nous sommes des gens délicats, nous considérerons que la précision n'est pas superfétatoire.
J'ai été particulièrement à l'écoute sur le sujet et j'ai toujours cherché la concertation. J'ai écrit la semaine dernière à l'ensemble des bâtonniers. Beaucoup d'avocats m'ont fait part de leur satisfaction vis-à-vis de ce texte. Je prends acte de la position exprimée par le Conseil national des barreaux, mais je veux, en responsabilité, consacrer avec vous ces avancées majeures.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Avis favorable. Nous nous sommes longuement exprimés sur le sujet dans cet hémicycle, et nous faisons nôtres les propos du garde des Sceaux.
Un mot sur la procédure parlementaire : le Gouvernement seul peut, après une commission mixte paritaire, déposer des amendements au texte. En l'espèce, peut-on estimer qu'une atteinte est portée à l'usage parlementaire en adoptant un amendement de fond ?
On ne peut pas faire le bonheur des gens contre leur gré, mais il fallait choisir une solution raisonnable. Celle-ci répond à toutes les préoccupations, consacre une avancée et évite toute difficulté ultérieure. Une suppression de l'article 3 aurait représenté une modification substantielle du texte de la CMP. Ce n'est pas le cas.
Je ne crois pas que nous créions là un précédent dangereux pour le Parlement.
ARTICLE 6
M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 33
Remplacer les mots :
lorsque la culpabilité de la personne à la suite d'aveux obtenus par l'usage de la torture
par les mots :
après des aveux recueillis à la suite de violences exercées par les enquêteurs
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est un amendement de précision sur la disposition introduite par le député François Jolivet, sur l'affaire Mis et Thiennot. Le mot de « torture » est trop restrictif : il a été reconnu que Mis et Thiennot avaient fait l'objet de violences et les deux mots n'ont pas le même sens en droit pénal. Je m'adresse en particulier à Mme Bellurot, dont je connais l'investissement sur ce dossier qui concerne son département de l'Indre.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 3, première phrase
Après le mot :
taire
insérer les mots :
sur les faits qui lui sont reprochés
II. - Alinéa 10
Compléter cet alinéa par les mots :
sur les faits qui lui sont reprochés
III. - Alinéa 11
Après le mot :
taire
insérer les mots :
sur les faits qui lui sont reprochés
IV. - Alinéa 15
Compléter cet alinéa par les mots :
sur les faits qui lui sont reprochés
V. - Alinéa 17
Compléter cet alinéa par les mots :
sur les faits qui lui sont reprochés
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 8, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
; ce délai est fixé à un an en matière contraventionnelle
M. le président. - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.
Après l'alinéa 51
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I bis. - À l'article 344-1 du code des douanes, la seconde occurrence des mots : « Parquet européen » est remplacée par les mots : « procureur européen délégué, soit directement, soit ».
Mme Éliane Assassi . - La commission mixte paritaire a donné lieu à un accord. Les divergences de point de vue étaient assez minces.
Ce texte reste épars, composite. Il traite peu de la justice du quotidien qu'est la justice civile, pourtant la plus importante pour les Français. Il aurait fallu commencer par là pour renouer la confiance.
L'ambition affichée est hélas vouée à l'échec, même si je ne le souhaite pas. La durée moyenne d'obtention d'un jugement au civil à Nanterre est d'un an et demi. C'est un dysfonctionnement. Toutes les chambres sont en souffrance. Or la lenteur est le premier reproche que les Français font à la justice, selon le sondage mené par la commission des lois. Il faudra en débattre aux états généraux de la justice. Comment traduire cette préoccupation ?
Le budget de la justice en projet de loi de finances pour 2022 affiche une augmentation, mais c'est toujours le rattrapage d'un retard durable. La France reste l'un des pays européens qui attribuent le moins de moyens par habitant à sa justice.
Le groupe CRCE dénonce une politique gestionnaire, avec la généralisation, en janvier 2023, des cours criminelles départementales, inspirée par le seul objectif comptable après la suppression des petits tribunaux d'instance. Moins de proximité et de collégialité pour une justice au rabais...
En matière de procédure pénale, ce texte ajoute de la complexité. En parallèle, la réforme des remises de peine nous apparaît dangereuse au regard de la surpopulation carcérale, traitée par la seule augmentation du parc - alors que nos voisins se posent les vraies questions, nous nous contentons de restreindre les remises de peine.
Quant à l'amendement gouvernemental à l'article 3, nous nous félicitons de l'accord obtenu entre la Chancellerie et les avocats mais regrettons les conditions d'examen d'une mesure aussi importante.
Ce texte, malgré quelques avancées sur le travail en détention ou les règles déontologiques des professionnels du droit, appartient à l'ancien monde : celui d'une justice manquant cruellement d'ambition, et instrumentalisée à des fins médiatiques et politiciennes.
Le groupe CRCE maintient son rejet de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La justice est au coeur de notre pacte social. L'intention de ce texte, réformer le lien entre les Français et la justice, est louable au vu du délitement croissant de cette institution. L'opinion tranchée, parfois excessive, des Français peut faire du juge le coupable parfait des maux de notre société. Le Sénat est engagé depuis longtemps pour une réforme en profondeur de la justice.
Il est probable que les mesures diverses et inégales de ce texte ne résorberont pas le fossé, mais ne boudons pas notre plaisir d'avoir obtenu un texte de compromis. Les propositions du Sénat, notamment sur le secret professionnel des avocats, y trouvent toute leur place. Sur la durée des enquêtes préliminaires en revanche, elles n'ont pas été retenues. Limiter la durée des procédures générales était néanmoins nécessaire.
Mais, pour maintenir la cadence des enquêtes, il faut des moyens, à commencer par ceux de la police - faute de quoi les classements sans suite se multiplieront, à moins que les ouvertures d'instruction ne déplacent la pression.
L'expérimentation des cours criminelles départementales ira jusqu'à son terme, en 2023. Je le regrette, car cela incite à la requalification des viols en délits, ce qui constitue une double peine pour les victimes. (M. le garde des Sceaux approuve.)
Quant à la prise illégale d'intérêts, il faudra, pour prouver le délit, que l'indépendance ou l'honnêteté de l'élu aient été directement affectées. Le Sénat a montré sur ce point qu'il était bien la chambre des élus locaux.
Ce texte semble être le prélude d'un futur projet de loi issu des états généraux de la justice, lancés en octobre, alors que nos travaux étaient bien avancés. Il faudra le compléter. Toutefois, le groupe UC le votera.
Mme Maryse Carrère . - Lors de l'examen du texte en septembre, notre groupe demeurait réservé. Le RDSE avait in fine voté contre, dans sa majorité, ou s'était abstenu.
Le dispositif adopté sur la diffusion des audiences manque de précautions : l'exercice de la justice n'est pas voué à devenir un divertissement. Le bureau du juge ou la salle d'audience ne sont pas des décors de cinéma. Si la diffusion des procès peut être une bonne chose, elle réclame la prudence absolue. Une expérimentation aurait été préférable, mais nos amendements en ce sens n'ont pas été retenus.
Nos débats ont aussi conduit à l'adoption de certains amendements clivants, notamment sur les travaux d'intérêt général (TIG). Je suis donc satisfaite de ne pas les trouver dans les conclusions de la CMP.
Les arbitrages opérés, comme la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023, concourent à dissiper le sentiment d'inefficacité et d'impuissance de la justice, mais il reste beaucoup à faire.
Ce texte ne règle pas tout. L'agencement de son calendrier avec celui des états généraux de la justice est porteur d'interrogations.
Enfin, nous entendons les inquiétudes des avocats, mais restons favorables à l'article 3, d'autant que les discussions, prolongées après la CMP, ont conduit à la présentation tardive de nouveaux amendements. Dans ces conditions, pourquoi se détourner de la procédure ordinaire, qui permet à chacun d'exprimer sereinement ses positions ? Pourquoi l'urgence permanente, sans deuxième lecture ?
La majorité du RDSE est favorable au texte, mais restera pleinement vigilante.
Mme Esther Benbassa . - Selon un sondage IFOP de 2019, 62 % des Français considèrent que la justice fonctionne mal. Seuls 44 % aborderaient avec confiance une confrontation personnelle avec cette institution. Cela s'explique par une méconnaissance de celle-ci. La justice est jugée trop lente ou laxiste.
Si je me réjouis de l'accord trouvé en CMP, je regrette que le texte ne contienne pas davantage d'éléments sur la justice du quotidien. Il aurait notamment fallu simplifier l'accès au droit, intensifier l'aide aux victimes et moderniser l'organisation interne des juridictions.
Je suis favorable à l'article 3. Le secret professionnel de l'avocat doit être absolu : il est la garantie d'un État de droit juste. Si nous l'affaiblissons, que restera-t-il de notre démocratie ?
Je voterai contre ce texte.
M. Jean-Yves Leconte . - Le groupe SER partage une grande partie des propos du ministre sur le secret professionnel des avocats mais la méthode est nouvelle et problématique. Nous nous substituons quelque peu à la CMP, car d'ordinaire le Gouvernement ne présente que des amendements très techniques à ce stade. Nous voici dans une sorte de trilogue, où le Gouvernement entre dans la CMP. C'est un précédent dangereux, qui ouvre la porte à une possibilité de faire évoluer les équilibres après la CMP. Cela m'inquiète.
Sénateur des Français de l'étranger, je souhaite souligner que notre justice est garante de l'intérêt général ; c'est un service public par excellence. Le problème de confiance vient de ce que la justice française est l'une des plus mal dotées en Europe - elle arrive en 24e position sur 27. Comment avoir, avec nos délais, une réponse pénale adaptée ? Le contrôle de la détention, l'application des peines se heurtent à un manque de moyens.
Le titre de ce texte apparaît bien ambitieux et quelque peu clinquant au regard de l'ampleur des mesures proposées. Tout a été fait à l'envers dans ce quinquennat : une loi de programmation, puis ce texte, et enfin des états généraux.
Quelque 53 % des Français expriment leur défiance vis-à-vis de la justice. L'enjeu de la confiance réside dans les 2 millions d'affaires civiles jugées chaque année. Les 800 000 affaires pénales sont moins sensibles sous cet aspect. Or le texte ne traite pas des affaires civiles, ou si peu.
Filmer les audiences, pourquoi pas, mais l'on risque de faire du citoyen un téléspectateur de la justice, alors qu'il faudrait commencer par enseigner dès l'école les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes.
L'encadrement des enquêtes préliminaires est utile, comme le contrat d'emploi pour les détenus ou l'avertissement pénal probatoire pour remplacer le rappel à la loi.
Mais le groupe SER votera contre ce texte qui n'est pas à la hauteur des ambitions. Un seul de nos 32 amendements a été voté, et nous déplorons l'inflation du recours aux ordonnances. Les prisons risquent l'engorgement, alors que nous accueillons 1 000 détenus de plus chaque mois.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean-Yves Leconte. - Il est temps, enfin, de réformer la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Il est inacceptable que des dispositions législatives d'application immédiate ne soient pas mises en oeuvre parce que l'on attend des circulaires de la Chancellerie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Ces deux textes sont l'aboutissement de plusieurs mois de travaux et de réflexion.
Nous saluons l'accord trouvé en CMP sur un texte d'avancées, qui agit concrètement sur les ressorts de la défiance envers l'institution judiciaire, un texte de confiance - et de sens - pour notre justice et ses justiciables.
Le sens, c'est d'abord la compréhension par le citoyen du fonctionnement de l'institution, grâce à l'enregistrement et à la diffusion des audiences à des fins pédagogiques, avec des garanties qui ont été confortées par nos rapporteurs.
Le sens de la peine sera mieux compris grâce à l'avertissement probatoire qui remplace le rappel à la loi, au mécanisme de réduction de peine fondé sur l'effort, à la création du contrat d'emploi pénitentiaire et à la lutte contre les sorties sèches. C'est aussi la sécurité de la société qui est en jeu.
Le sens de la justice pour chaque justiciable, ce sont les droits de la défense. Le texte réprime plus sévèrement les violations du secret de l'enquête ou de l'instruction, renforce le contradictoire et limite la durée des enquêtes préliminaires.
Un mot enfin sur le secret de l'avocat. Le texte initial portait sur le secret de la défense ; les députés l'ont élargi au secret du conseil. Le texte de la CMP, et plus encore l'amendement du Gouvernement à l'article 3 portent une avancée majeure pour protéger le secret du conseil dans le code de procédure pénale et en préciser la portée.
Seule dérogation : lorsque la procédure porte sur des faits de fraude fiscale, de financement du terrorisme ou de corruption, ou de blanchiment de ces délits. C'est préférable au statu quo.
Le groupe RDPI votera ces textes avec enthousiasme et conviction.
M. Emmanuel Capus . - Voilà plusieurs années que se succèdent les textes de programmation et de réforme de la justice. Des états généraux sont en cours jusqu'au début du mois prochain. La justice est malade, en effet : les enquêtes d'opinion montrent que la moitié des Français n'ont pas confiance en elle. Or la justice est au coeur du contrat social.
Elle a d'abord besoin de moyens. Reconnaissons que le Gouvernement a consenti un effort budgétaire inédit, qu'il faudra maintenir l'année prochaine.
Nos concitoyens doivent mieux connaître le fonctionnement de leur justice pour mieux la comprendre. D'où l'intérêt de la diffusion audiovisuelle des procès. Mais la justice exige parfois le secret, qu'il s'agisse des audiences, de l'enquête ou de l'instruction.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est sûr.
M. Emmanuel Capus. - La violation du secret aboutit trop souvent à livrer une réputation en pâture à la vindicte des médias ou de la rue.
Le secret est aussi celui de l'avocat. Celui-ci n'a jamais été absolu, mais je déplore la brèche introduite dans le secret du conseil, tant sa différence avec le secret de la défense est ténue. On affaiblit l'ensemble des droits de la défense en portant atteinte à l'une de ses composantes.
Si le secret est écarté pour certaines activités, comment le justifier pour les autres ? Qui comprendrait le maintien du secret en matière de stupéfiants, de traite ou pourquoi pas d'écocide, quand il est écarté pour les affaires financières ? Déjà, vous avez ajouté le terrorisme aux exceptions. C'est un engrenage inéluctable lorsque la protection des intérêts financiers de l'État est placée au-dessus des libertés publiques. (M. le garde des Sceaux proteste à mi-voix.)
Que les services d'enquêtes puissent consulter les dossiers des avocats est inquiétant, dans un État démocratique.
D'autres dispositions des projets de loi vont dans le bon sens, comme la suppression des réductions de peine automatiques, l'encadrement du délai des enquêtes préliminaires et le travail en détention.
Les membres du groupe Les Indépendants voteront selon leurs convictions, une majorité s'abstiendra.
Mme Nadine Bellurot . - Le groupe Les Républicains se réjouit du caractère conclusif de la CMP sur des mesures destinées à redonner confiance dans l'institution judiciaire. Il n'y a cependant pas de baguette magique et, reconnaissons-le avec humilité, la tâche est rude.
Les apports du Sénat ont été largement maintenus ; nous nous en félicitons.
Certaines dispositions ont demandé des échanges plus approfondis, notamment le secret professionnel des avocats. Le Sénat proposait de le limiter pour lutter contre la délinquance économique et financière, pour éviter les stratégies de contournement. Nous sommes parvenus en CMP à une nouvelle rédaction qui distingue bien entre un rôle actif et passif de l'avocat dans la fraude. Le Gouvernement l'a retouchée à la marge, sans revenir sur l'équilibre du texte ; cette version nous agrée.
Nous nous félicitons que les députés aient renoncé à prévoir explicitement la présence de l'avocat au cours des perquisitions, et que la participation des avocats honoraires au jugement des crimes soit limitée aux seules cours criminelles départementales.
Nous nous rallions à la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023, en espérant que le bilan sera aussi encourageant que nous l'assure le garde des Sceaux.
Deux regrets cependant : la suppression de l'article 9 bis A, voté à l'initiative du président Retailleau, qui excluait les peines de travail d'intérêt général en cas de condamnation pour violences ; et la compétence donnée au tribunal judiciaire de Paris, plutôt qu'au tribunal de commerce de Paris, en matière de devoir de vigilance des entreprises.
Je salue la qualité du travail de nos rapporteurs. Une majorité de notre groupe se prononcera en faveur de ce texte.
M. Guy Benarroche . - Le GEST partage le constat d'une justice incomprise, éloignée des Français, et trop lente pour être efficace. Il serait tentant de la court-circuiter... Ce texte apporte une réponse incomplète à de vrais besoins. Rogner sur les droits de la défense, limiter l'initiative des magistrats enquêteurs, éloigner les justiciables du juge ne peut constituer une solution idoine.
La tenue concomitante des états généraux de la justice et le dépôt tardif des amendements du Gouvernement au texte de la CMP montrent un défaut de concertation.
Vous aurez noté l'audace du ministre de l'Intérieur qui se prévaut d'une baisse des chiffres des cambriolages - largement due aux confinements et aux restrictions liées à la crise sanitaire...
En matière civile, l'accès à un juge ne doit pas être optionnel.
Avec la généralisation des cours criminelles, vous renoncez, sous couvert de simplification, à une justice pénale qui personnalise la peine grâce au jugement par les pairs. C'est un nouveau recul, à l'instar de la correctionnalisation des infractions sexuelles.
Faire plus simple, c'est bien ; faire plus juste, c'est mieux.
Je regrette les lacunes du texte concernant la justice des mineurs et l'exécution des peines : la prison n'est pas toujours la meilleure sanction et elle doit, en tout état de cause, favoriser la réinsertion. Faut-il rappeler les condamnations répétées de la France pour conditions de détention indignes ?
Je comprends le remplacement du rappel à la loi, jugé inefficace, mais cela apporte de l'eau au moulin de ceux qui critiquent le prétendu laxisme de la justice. Il est positif de promouvoir les activités culturelles ou formations universitaires dans le cadre des réductions de peine, mais ces activités ne sont pas accessibles dans beaucoup de prisons.
Oui, le travail en détention mérite d'être développé, mais à condition de respecter le droit du travail.
La possibilité de filmer les audiences est une avancée, mais qui exige d'être encadrée ; je me félicite donc de l'adoption de notre amendement qui permet d'anonymiser les parties.
Cette réforme manque d'une vision globale. Elle tente de répondre à une demande de plus de « fermeté », mais éloigner les citoyens du juge n'améliorera ni la confiance, ni l'efficacité de la justice
C'est pourquoi le GEST votera contre ce texte.
À la demande de la commission des lois, le projet de loi, modifié par les amendements du Gouvernement, est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°45 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l'adoption | 235 |
Contre | 94 |
Le Sénat a adopté.
Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°46 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 249 |
Contre | 93 |
Le Sénat a adopté.
La séance est suspendue à 13 h 30.
présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
La séance reprend à 15 heures.