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Table des matières
Mise en place d'un Agenda rural européen
M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution
Respect des principes de la démocratie représentative
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition constitutionnelle
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Présence parentale auprès d'un enfant (Procédure accélérée)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles
Mettre l'administration au service des usagers
M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Vigilance sanitaire (Nouvelle lecture)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Ordre du jour du lundi 8 novembre 2021
SÉANCE
du jeudi 4 novembre 2021
16e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Georges Patient, vice-président
Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Loïc Hervé.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Mise en place d'un Agenda rural européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution demandant la mise en place d'un Agenda rural européen présentée, en application de l'article 34 - 1 de la Constitution, par M. Patrice Joly et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution . - Vienne, Rome, Prague, Madrid, la liste est longue des belles capitales européennes, dont fait partie, bien sûr, Paris. Ah, Paris ! Ville lumière, villes des arts, écrin de Notre-Dame, du Louvre, de la Tour Eiffel... Pour Jules Renard, une ville à laquelle il ne manquait que deux lettres pour être un paradis.
Mais la France n'est pas seulement Paris et le monde entier nous envie aussi nos campagnes : Leben wie Gott in Frankreich, dit-on en allemand, pour vanter notre art de vivre, nos paysages, nos terroirs.
Et pourtant, notre pays a occulté trop longtemps cette richesse que nos compatriotes ont redécouverte pendant les confinements et à la faveur de vacances sur le territoire national.
La confiscation de la beauté, dans l'imaginaire collectif, par certaines villes a entraîné une forme de déclassement territorial, un mépris de classe envers des zones jugées trop banales, trop motorisées, trop supermarchisées.
L'État participe à cette ségrégation des territoires : le ministère de la Culture dépense 139 euros par Francilien, et seulement 15 euros pour les habitants des autres régions !
Pourquoi l'Europe ne soutient-elle pas le patrimoine et la vie artistique des territoires ruraux ? Pourquoi ne pas promouvoir des « campagnes européennes de la culture », sur le modèle des « capitales européennes de la culture » ?
Les représentations que nous avons des territoires déterminent les politiques publiques.
Qu'est-ce que la ruralité ? 80 % du territoire, 30 % de la population. Qu'a-t-elle été ? Oubliée, au profit d'une métropolisation inconsidérée. Que demande-t-elle ? Une juste considération.
En 2015, était adopté un Agenda urbain européen. Il est désormais urgent d'agir de la même façon pour les territoires ruraux, proches d'un point de rupture.
Accès aux soins, à la mobilité, aux études supérieures, au numérique ou à la culture : les fractures territoriales se creusent.
Malgré des résultats supérieurs à la moyenne nationale au bac, les jeunes ruraux sont deux fois moins nombreux à être diplômés de l'université que les urbains.
Conséquence de la désertification médicale des campagnes, l'espérance de vie y est inférieure de deux ans par rapport aux villes. Rien d'étonnant, quand six millions de ruraux habitent à plus de trente minutes des urgences - sans parler des fermetures des maternités, qui mettent femmes et enfants en danger en allongeant les temps de trajet.
Quant à la mobilité, quelle alternative à l'auto-solisme, quand neuf ruraux sur dix sont dépendants de la voiture ? Pour une part importante de nos concitoyens, surtout les plus fragiles, l'absence de transports s'apparente à une assignation à résidence.
Face à ces fractures, nous ne nous résignons pas et prônons une politique ambitieuse pour nos campagnes. « L'inaccompli bourdonne d'essentiel », comme aurait dit René Char.
Il s'agit d'offrir une vision à long terme pour les territoires ruraux, en agissant pour le bien-être social, la préservation de la nature et de la qualité de vie. Ce sera aussi l'occasion de mesurer et valoriser les services écologiques qu'ils rendent à la société tout entière.
Espérer, c'est démentir l'avenir. Cet Agenda rural européen doit démentir l'avenir que certains prédisent à nos campagnes, à savoir de vivre à la remorque des métropoles.
Nos territoires vivent dans leur temps et ont tous les atouts pour contribuer à la relance, à la reconquête de nos souverainetés. Ils peuvent assurer à l'Union les ressources nécessaires aux transitions qu'elle devra mener et participer à la construction du « monde d'après ». Ils sont une réponse à la question posée par Bruno Latour : Où atterrir, pour une meilleure habilité du monde ?
L'avenir de la France et de l'Europe passe par la coopération entre des territoires d'égal intérêt, d'égale dignité. Abandonnons les logiques centre-périphérie au profit de l'organisation en réseau.
À travers cet Agenda rural européen, nous voulons que l'Europe prenne en compte la ruralité au-delà de la PAC. Un tel agenda doit être l'affirmation de l'ambition européenne pour ces territoires et l'occasion d'un grand plan d'action.
Même si l'Agenda rural français de 2019 reste incantatoire, car financièrement modeste, il peut être une trame pour un Agenda rural européen.
À l'heure où les Européens manifestent un désir de campagne, la future présidence française devra sensibiliser la Commission sur la nécessité de ruraliser l'Europe. Notre pays, qui dispose du plus vaste et du plus bel espace rural d'Europe, a toute légitimité à agir.
Il s'agit d'un enjeu de considération pour des populations longtemps délaissées, qui se détournent d'une Europe jugée trop lointaine.
Montrons que le Sénat est bel et bien la chambre des territoires, de tous les territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, Les Républicains, UC et du RDSE)
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien !
Mme Patricia Schillinger . - « Unis dans la diversité ». Cette devise rappelle que c'est en se nourrissant de sa diversité que l'Union européenne oeuvre pour la paix et la prospérité.
Cette proposition de résolution invite l'Union à prendre conscience de la diversité de ses territoires en donnant toute leur place aux régions rurales. Avec 137 millions d'habitants, soit 30 % de sa population, la ruralité fait certes partie des préoccupations de l'Union mais n'a jamais fait l'objet d'une politique transversale et ambitieuse.
Cette proposition de résolution demande au Gouvernement de porter cette ambition au niveau européen à l'occasion de la présidence française de l'Union, en se dotant d'un Agenda rural européen. Qui mieux que la France peut le faire ? N'a-t-elle pas été le premier pays à se doter d'un Agenda rural national, en septembre 2019 ? Depuis, 92 mesures ont été réalisées, 77 autres sont en cours.
Cet agenda a permis des avancées substantielles dans la couverture numérique, pour la jeunesse et l'égalité des chances, pour l'école - avec la prise en compte des classes multi-âges - et dans le soutien aux collectivités locales. L'opération « 1000 cafés », le programme « Petites villes de demain », le plan « Avenir Montagne » ou les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) en sont des exemples.
Le déploiement des maisons France Services fournira à tous les habitants un socle de services publics à proximité de chez eux.
L'accès aux soins est une des problématiques majeures des territoires ruraux. Nous avons consacré un rapport, avec Philippe Mouiller, aux initiatives mises en oeuvre par les collectivités territoriales en la matière. La télémédecine, soutenue par les pouvoirs publics, a connu un grand essor durant la crise : il faudra pérenniser ces pratiques.
Dans tous ces domaines, la France a su agir en faveur non de la ruralité, mais des ruralités. Il faut saisir les spécificités de nos territoires pour dynamiser leur économie et améliorer la vie des Français qui y vivent, en vertu du principe républicain d'égalité. Conformément à l'Agenda rural, chaque cabinet ministériel, chaque administration centrale, chaque préfecture a désigné un référent ruralité.
Le groupe RDPI est persuadé que nous pouvons amplifier cette action grâce à la puissance de l'Union européenne. Nous voterons cette proposition de résolution et faisons entière confiance au Gouvernement français pour porter cette ambition au niveau européen. (MM. Bernard Jomier et Patrice Joly applaudissent.)
M. Bernard Jomier. - C'était presque parfait : il y avait juste une phrase en trop ! (Sourires)
M. Daniel Chasseing . - Je félicite les auteurs de cette proposition de résolution. Comment penser la ruralité mieux qu'à l'échelle européenne ? L'Europe est jalonnée de territoires ruraux et hyper-ruraux où vit un tiers de sa population. La Commission européenne s'est d'ailleurs dotée d'une vision de long terme pour les zones rurales à l'horizon 2040. Un Agenda rural européen permettrait d'accompagner le dynamisme de leurs habitants.
Notre agriculture est un atout. Donnons-lui les moyens de se diversifier, d'effectuer progressivement ses transitions et de maintenir l'aménagement du territoire.
La stratégie européenne Farm to Fork n'est pas satisfaisante. Nous ne devons pas sacrifier une agriculture forte sur l'autel de la transition écologique, dont elle est l'un des meilleurs vecteurs. Notre souveraineté alimentaire en dépend. Si nous devions importer davantage en provenance de pays plus pollueurs, nous perdrions sur tous les tableaux. Nous devons relancer notre agriculture qui a perdu des parts de marché depuis quinze ans.
Revitaliser notre ruralité, c'est aussi revitaliser nos petites villes, villages et centres-bourgs. Je regrette les propos de la ministre du logement, Mme Wargon : non, les maisons individuelles ne sont pas un non-sens écologique ! Ce modèle attire de nouveaux habitants dans les campagnes, ne les décourageons pas. La rénovation et la construction de bâtiments neufs doivent certes respecter les règles environnementales, mais ne condamnons pas la maison individuelle...
La pandémie a révélé le désir des Français de vivre à la campagne. Nous devons travailler sur l'accès au numérique, la création d'emploi, la réindustrialisation, le développement du tourisme. De même, il est crucial d'améliorer l'accès à la santé et à l'éducation.
Pour tout cela, nous avons besoin de l'Union européenne et surtout de moyens. La Commission doit faire des propositions financières pour le développement des zones rurales. L'excellent rapport de Colette Mélot comporte deux recommandations essentielles : la mise en oeuvre d'une ingénierie locale pour que les fonds soient bien répartis sur le territoire et la nécessité d'écouter les acteurs de terrain. La diversité de nos territoires fait la beauté de notre pays !
Les Indépendants voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. Jean-François Rapin . - Merci au groupe SER pour son initiative opportune. La ruralité fait partie de l'ADN de l'Europe. Ses politiques communes lui sont liées : la PAC et la politique de cohésion, malgré les baisses, représentent toujours 60 % du budget communautaire.
Mais il faut aussi admettre que les résultats sont décevants et les perspectives inquiétantes. Désagrégation du tissu industriel et artisanal, rentabilité déclinante de l'activité agricole ou recul continu des services de base : chacun connaît les difficultés rencontrées par les régions rurales. S'y ajoute une lente paupérisation, avec un PIB par habitant qui plafonne à 70 % de la moyenne européenne, contre 120 % dans les zones urbaines. Le tableau est sombre.
Les objectifs fixés par les traités ne sont pas atteints. La population agricole devrait avoir un niveau de vie équitable et l'écart de développement entre villes et campagnes être significativement réduit. Or nous voyons croître la détresse d'un monde rural qui se sent abandonné, méprisé par des urbains qui voient les campagnes comme un musée naturel à ciel ouvert plutôt que comme un bassin de vie et d'activité.
Après l'Agenda urbain de 2016, il est temps que l'Europe se dote d'un Agenda rural. La Commission a proposé le 30 juin dernier une « vision à long terme pour des zones rurales plus fortes, plus connectées, plus résidentes et plus prospères », preuve que le sujet est pris au sérieux. L'observatoire rural est bienvenu, de même que le test rural qui analyse l'effet de chaque politique européenne sur ces espaces.
Le budget européen étant fixé jusqu'en 2027, les plans de relance nationaux étant ficelés, les marges de manoeuvre sont bien minces : le pacte rural s'appuiera donc sur les réseaux existants. Le plan d'action rural se contentera d'outils de dialogue, de retours d'expérience et d'échanges de bonnes pratiques. L'ensemble reposera sur une boîte à outils, avec un simple recensement des instruments financiers existants.
Aucun fonds nouveau, aucun outil robuste n'est donc proposé. Quel sera l'impact réel ? Espérons que cette vision proposée par la Commission ne sera qu'une première étape. C'est pourquoi nous souscrivons à cette proposition de résolution de Patrice Joly.
Enfin, évoquons l'agriculture. La stratégie « de la ferme à la table » de la Commission européenne, censée accélérer la transition agro-écologique, entraînera une baisse de production de 10 à 15 % - avec des conséquences négatives sur le prix, le bilan carbone des produits que nous devrons importer, sur notre souveraineté alimentaire et sur le revenu des agriculteurs.
Outre la politique environnementale, il nous faut développer une politique commerciale et de concurrence adaptée aux réalités de l'agriculture. Nous serons attentifs aux initiatives que portera la présidence française de l'Union européenne.
La crise sanitaire a confirmé qu'un retour au rural est possible en Europe. Mais il faudra l'accompagner pour que les habitants bénéficient d'opportunités, de revenus et de services suffisants pour y construire leur avenir. (MM. Patrice Joly et Jean-Claude Anglars applaudissent.)
M. Joël Labbé . - Je remercie le groupe SER d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour. Les territoires ruraux sont une vraie richesse, nous en sommes convaincus. Ce sont des viviers d'innovation sociale, notamment pour la transition écologique et solidaire.
La crise sanitaire a créé une envie de ruralité nouvelle, mais les inégalités persistent. Ces territoires connaissent des difficultés pour l'accès aux soins, aux services publics, au numérique, aux commerces, aux transports, à l'emploi - source d'un sentiment d'abandon et de relégation. Les fonds européens consacrés au développement rural n'atteignent pas leurs objectifs. D'où l'intérêt d'un Agenda rural européen.
Les axes de travail de la proposition de résolution sont très intéressants : revitalisation des centres bourgs, lutte contre la pauvreté et inégalités entre les femmes et les hommes, interconnexion avec les espaces urbains, soutien aux initiatives locales, préservation du patrimoine...
L'économie sociale et solidaire a un rôle important à jouer : épiceries solidaires, cafés associatifs, tiers lieux, magasins de producteur...
Le soutien au logement doit respecter les exigences environnementales, via le soutien à rénovation de logements vacants et à la revitalisation des bourgs.
La nouvelle PAC ne va malheureusement pas dans le sens d'un développement rural équilibré. La relocalisation de l'alimentation est pourtant un levier majeur pour un développement rural reposant sur une agriculture paysanne dynamique. Plutôt que d'encourager l'agrandissement des fermes par les aides à l'hectare, il faut promouvoir une PAC plus écologique, liée aux terroirs, à l'alimentation, aux marchés locaux.
L'accueil de migrants en milieu rural est aussi un sujet très important. Il nous faudra accueillir ces migrants : plutôt que de les cantonner dans les périphéries des villes, planifions un accueil humaniste, régulé, sur l'ensemble du territoire national. Ces populations, d'origine rurale, contribueraient à la revitalisation des bassins de vie et d'emploi.
Nous voterons très favorablement pour cette résolution. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Marie-Claude Varaillas . - Les inégalités entre ruraux et urbains sont criantes. Les écarts d'espérance de vie se creusent : de trois mois en 1990, il est aujourd'hui de deux ans.
La résolution rappelle que 92 % des Français trouvent le rural attractif, grâce à la beauté des paysages et à un patrimoine exceptionnel. Cela n'empêche pas le chômage, la désertification, le sentiment d'abandon, terreau du mouvement des gilets jaunes.
Point positif, l'accent mis sur la prise en compte de la situation particulière des femmes en milieu rural, objet d'un récent rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
Mme Nathalie Goulet. - Excellent !
Mme Marie-Claude Varaillas. - La proposition de résolution évoque quelques mesures concrètes, notamment l'accès à un socle universel de services à moins de trente minutes via un plan de soutien au commerce rural et au logement - mais seulement dans son exposé des motifs. Elle passe sous silence les causes profondes de ces inégalités, à commencer par le totem de la concurrence libre et non faussée et l'impératif de réduction de la dépense publique imposés par Bruxelles.
La métropolisation a renforcé la concurrence entre territoires et fragilisé les zones rurales : le ruissellement attendu n'a pas eu lieu.
Les politiques de rétraction de la présence l'État ont accentué le sentiment de relégation, nourrissant le vote extrême.
L'Agenda rural de 2019 ne changera pas la donne. Les maisons France Services ne sont qu'un pis-aller face à la fermeture des services publics.
Après deux lois EGalim, les revenus agricoles n'ont toujours pas augmenté.
Malgré les efforts des élus, l'accès à la santé reste très problématique.
Les zones de revitalisation rurales (ZRR) devront être pérennisées pour faciliter l'installation de médecins et d'entreprises.
Le monde rural est en souffrance. Il est pourtant source de solutions et d'innovation, ce qui implique de revoir intégralement notre politique d'aménagement du territoire et d'augmenter les dotations de fonctionnement pour redonner une place centrale à l'échelon communal.
Nous plaidons pour le retour de services publics sous maîtrise publique. Cessons de sacrifier nos campagnes sur l'autel du libéralisme économique ! Sans quoi, cet Agenda rural européen ne servira à rien.
Nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution.
M. Bernard Delcros . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voilà une proposition de résolution opportune, à quelques semaines de la présidence française de l'Union européenne. C'est un moment clé pour porter l'idée que l'espace rural peut apporter des réponses aux défis environnementaux, économiques et de cohésion sociale du XXIe siècle. La ruralité est une chance à saisir !
La Commission européenne a publié sa vision à long terme pour des zones rurales « plus fortes, mieux connectées, résilientes et prospères » à l'horizon 2040.
Avec la crise sanitaire, la ruralité est apparue comme un choix de vie durable possible, grâce au numérique.
La valeur ajoutée de l'espace rural, sa créativité et son agilité, pourtant considérables, sont largement sous-exploitées. Pire, les inégalités s'accroissent dans l'accès aux services d'intérêt général et aux infrastructures de base.
Les services offerts dans la ruralité ne sauraient être des services au rabais ! Nous devons y bâtir une offre de services structurante et de qualité : accès aux soins, mobilités, éducation, accès aux nouvelles technologies et à la culture. C'est ainsi que les ruralités répondront pleinement aux attentes et aux nouveaux enjeux.
La France est en situation de défendre cette volonté politique à l'échelle européenne. La prochaine présidence du Conseil est une occasion unique de promouvoir un Agenda rural européen ; elle a toute la légitimité nécessaire, grâce à son Agenda rural national.
Nous voterons cette proposition de résolution, qui s'inscrit dans cette perspective, de même que les événements que M. Joly et moi-même préparons ensemble, à Bruxelles et à Strasbourg, avec l'association Nouvelles ruralités. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. Christian Bilhac . - Cette proposition de résolution appelant à la mise en place d'un Agenda rural européen est bienvenue.
En 2018, le Parlement européen adoptait une résolution en vue d'une feuille de route pour les territoires ruraux. Le 30 juin dernier, la Commission européenne présentait sa vision à l'horizon de 2040.
Les objectifs sont ambitieux, en matière de connectivité, de transports, de résilience au changement climatique ou de développement des circuits courts ; la valorisation des zones rurales est abordée de façon transversale, de l'agriculture au tourisme en passant par la culture.
Les intentions sont bonnes, mais que de temps perdu ! Depuis la mise en place de l'Agenda urbain, en 2015, 30 % de la population européenne a été laissée de côté.
Des déserts médicaux aux zones blanches numériques, les fractures territoriales sont autant de handicaps au développement de nos territoires, malgré les efforts des collectivités territoriales. Ces difficultés, nous les connaissons bien : pour résumer, on paie à la campagne pour ce qui est gratuit en ville ! (Mme Nathalie Goulet renchérit.)
En 2014, notre ancien collègue Alain Bertrand avait proposé un pacte national en faveur de l'hyperruralité, appelant à une troisième phase de décentralisation et à une démétropolisation ; les territoires ruraux, constatait-il, vivent un déménagement davantage qu'ils ne bénéficient d'un aménagement... Nombre de ses recommandations sont transposables à l'échelle européenne.
Avec la crise sanitaire, les territoires ruraux ont retrouvé une forte attractivité. De nombreux Européens reviennent au vert, à la recherche d'air pur et d'une meilleure qualité de vie. Par ailleurs, la fonction nourricière des campagnes, trop longtemps oubliée, est revenue au premier plan.
L'interdépendance entre territoires urbains et ruraux, leur complémentarité, ne sont plus à démontrer. Que seraient les métropoles sans les territoires ruraux de leur périphérie ? Il faut en tirer les conséquences en Europe sur la réorientation des fonds structurels et de la politique agricole commune.
Notre siècle a 20 ans : fixons sans tarder un cap, assorti de moyens financiers, pour faire vivre la ruralité du XXIe siècle. En France comme en Europe, il ne doit exister nulle part de sous-territoires et de sous-citoyens !
La présidence française de l'Union européenne est une opportunité pour agir plus vite.
Nous sommes habitués à transposer en droit français les directives européennes. Eh bien, transposons aussi les normes, trop souvent d'essence urbaine, pour qu'elles ne nuisent pas au développement des territoires ruraux !
Le RDSE attend du Gouvernement des engagements fermes, notamment autour du plan de relance européen. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Jean-Jacques Lozach . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte appelle à renforcer le fil ténu entre l'Union européenne et les ruralités. C'est un moyen de restaurer l'image d'une institution plus concrète et plus citoyenne et de renforcer sa crédibilité dans l'opinion.
Le modèle européen de développement durable doit reposer sur l'attention portée aux réciprocités entre métropoles et espaces ruraux et aux aménités offertes par le cadre de vie rural.
À l'évidence, la transition écologique ne se fera pas sans l'implication des territoires.
En 1996, la commissaire européenne chargée de la politique régionale et de la cohésion écrivait que, face aux disparités régionales, il fallait aider les régions les moins prospères, pour que l'ensemble des citoyens européens tirent pleinement parti du marché intérieur et de l'Union économique et monétaire. Déjà à l'époque, le diagnostic était clair : la compétitivité de l'espace européen dépend de la lutte contre les discriminations territoriales.
L'approche des ruralités varie selon les États membres. Beaucoup continuent d'assimiler la ruralité à l'agriculture... Or si cette dernière est la toile de fond économique de nos territoires, ils ne s'y réduisent pas.
Si l'équilibre ville-campagne n'est pas au coeur de nos politiques, le risque est grand de voir les campagnes se déliter. Les fonds de relance post-Covid de l'Union européenne doivent être employés en ce sens.
Le monde rural a plus conscience de lui-même ; sa volonté de jouer un rôle central dans la cohésion nationale s'est fortifiée. La redécouverte de la ruralité par certains urbains pourrait bien redessiner la carte de France. Le temps serait-il venu du « réenchantement du territoire », pour reprendre la formule de Jean Viard ?
L'Union européenne a un rôle clé à jouer, en matière d'inspiration comme de financement, dans le respect du principe de subsidiarité. La liberté d'action des autorités locales est essentielle. Il faut encourager aussi la contractualisation et la participation des citoyens.
Les territoires ruraux restent trop éloignés des projets de recherche, alors qu'ils sont des pôles d'innovation, et parfois d'excellence, dans des domaines très divers, des énergies vertes aux technologies appliquées. De même, les représentations typologiques et cartographiques restent trop inspirées des approches urbaines.
En France, les CRTE et les programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain » rompent avec la logique unilatérale du ruissellement métropolitain. La philosophie des contrats de réciprocité doit maintenant être déclinée à l'échelle de l'Union européenne.
Pour répondre aux défis des transitions environnementale et énergétique, l'Union européenne doit être au rendez-vous.
Le mouvement des gilets jaunes a mis au premier plan une France hors les murs, la France des périphéries. Le développement rural est une affaire d'État et la consolidation des territoires, une condition pour que l'Europe tienne son rang dans le monde.
Voilà pourquoi nous avons besoin d'un Agenda européen, c'est-à-dire d'un programme d'actions concrètes. Puisse ce texte inspirer rapidement des décisions sources de renouveau pour nos campagnes et leurs villes petites et moyennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Claude Anglars . - Un Agenda rural européen offrirait la vision de long terme pour les territoires ruraux que le Parlement européen appelait de ses voeux en 2018.
Il n'y a pas de divergences partisanes sur ce sujet. Tous, nous sommes conscients qu'il y a urgence à développer les mobilités, résorber les zones blanches ou reconquérir les centres villes. Par ailleurs, la ruralité n'est plus une politique sectorielle : elle concerne toutes les politiques publiques.
Il faut encourager la mise en place d'un Agenda rural européen, fondé sur les spécificités des espaces ruraux, sans approche dogmatique. Son efficacité supposera d'éviter l'éparpillement des mesures.
La 5G est cruciale, mais, dans l'Aveyron et tout le Massif central, il y a des priorités moins médiatiques, comme l'entretien des lignes téléphoniques en cuivre et la garantie du service public universel pour tous... N'oublions pas les besoins concrets et immédiats de la population.
Il faut des annonces claires. Quand le Gouvernement assure avoir achevé 60 % des mesures annoncées, c'est très discutable, d'après mon expérience de terrain...
L'action en faveur des territoires ruraux doit être durable et planifiée.
Comme le préconise la mission Agenda rural, il faut en particulier développer commerces et services publics et améliorer l'accès aux soins. Nous avons besoin aussi d'une agriculture diverse, compétitive et à taille humaine.
Renforcer la formation et l'emploi et encourager la réindustrialisation rendront les territoires ruraux moins dépendants des villes. La jeunesse rurale doit être spécifiquement soutenue, en matière d'éducation, de logement et de mobilité.
Le pragmatisme et la simplification doivent primer. L'expérience du programme Leader montre que l'action publique doit partir de l'échelle locale, avec le minimum de critères et de conditions.
Très diverse en France, la ruralité l'est plus encore en Europe. Partir du local permet de tenir compte de cette diversité.
Nous voterons cette proposition de résolution, en appelant de nos voeux une ruralité heureuse en France et en Europe ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER)
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans La Société hyper-industrielle, Pierre Veltz évoque une nouvelle géographie fondée sur l'archipélisation de pôles urbains interconnectés. La polarisation des territoires s'accentue, l'essentiel des flux étant concentré par des hubs dont les ruralités forment l'un des arrière-pays.
Il en résulte une montée des inégalités sociales et territoriales. Le Brexit illustre le divorce entre centre et périphérie : la métropole londonienne a voté à l'inverse du reste du pays...
L'Europe a vite compris que la politique rurale ne pouvait se limiter à la PAC et affirmé la nécessité d'une politique de développement rural et de cohésion dès 1988. Depuis 1991, les programmes Leader, fondés sur une approche territoriale, consacrent le développement rural comme second pilier, néanmoins encore trop timide, de la PAC.
Le nécessaire rééquilibrage entre zones rurales et urbaines commande d'aller plus loin. Il faut diversifier les activités des campagnes, notamment pour en faire des laboratoires de la transition énergétique et lever les freins au développement que sont les déserts médicaux et numériques.
Le groupe UC soutient cette proposition de résolution, en insistant sur la subsidiarité et le cofinancement nécessaires dans la mise en oeuvre de la politique européenne de la ruralité.
L'attractivité des villes moyennes s'accroît ; c'est une opportunité pour la relocalisation d'activités et la revitalisation des centres villes.
Dans mon département, j'ai rédigé une charte de la ruralité. Les ruralités ne sont pas un problème, mais des relais de croissance et des leviers de rééquilibrage des activités !
Une action nationale couplée à une initiative européenne, voilà la stratégie gagnante. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER)
M. Christian Redon-Sarrazy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Trop longtemps oubliés des politiques nationales et européennes, les territoires ruraux bénéficient depuis le début de la pandémie d'un regain d'intérêt.
Ce nouveau mouvement migratoire révèle à quel point ces campagnes, petites villes et villes moyennes souffrent de manques : accès à la formation et aux soins, territorialisation des règles d'urbanisme, difficulté d'accès à l'emploi.
L'attractivité des territoires ruraux n'a jamais été si forte. Les urbains qui s'y installent massivement cherchent un meilleur cadre de vie et une alimentation saine et durable ; ils sont animés par une envie de faire revivre ces territoires.
Ce contexte doit servir de tremplin à une politique de développement adaptée à la diversité des situations. Représentants de ces territoires qui veulent être acteurs des mutations en cours, nous devons maintenant transformer l'essai !
Politique européenne emblématique, la PAC doit favoriser la diversification des pratiques agricoles et lutter contre la spécialisation à outrance de certains territoires. Nous défendons une agriculture familiale et extensive, vitale pour l'équilibre de nombreux territoires ruraux, de montagne et de piémont.
Enfin, la forêt, essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique, doit bénéficier d'une gestion durable et cohérente. L'augmentation des exportations souligne la nécessité d'une politique européenne de protection. La forêt doit être un pilier du développement rural et de la préservation de la biodiversité, sans que ses enjeux économiques soient négligés.
Il est urgent que la Commission européenne élabore une feuille de route stratégique pour les territoires ruraux, trop longtemps oubliés. Il y va de l'égalité entre les citoyens. À l'heure où nos concitoyens redécouvrent le potentiel de la ruralité, il nous revient d'accompagner ces dynamiques bénéfiques pour le plus grand nombre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Cédric O, secrétaire d'État, chargé de la transition numérique et des communications électroniques . - Je suis heureux de représenter le Gouvernement pour la discussion de cette proposition de résolution, et vous prie d'excuser Joël Giraud, secrétaire d'État à la ruralité. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
Initié par le Comité européen des régions et la déclaration de Cork 2.0, le concept d'Agenda rural européen s'est inscrit dans le débat public. Le 2 octobre 2018, le Parlement européen appelait officiellement l'Union européen à se doter d'un tel agenda.
La France a été le premier État à se saisir de cet appel et à écrire un Agenda rural à l'échelle nationale sur la base d'un rapport écrit par cinq élus de terrain.
Les territoires ruraux abritent un tiers de la population française ; leur dynamisme attire les Français, dont 92 % pensent qu'il est agréable d'y vivre. Ils sont toutefois confrontés à de nombreux défis : accès aux services publics, santé, éducation, égalité des chances...
Pour y améliorer la vie quotidienne, le Gouvernement a présenté le 20 septembre 2019 les 181 mesures de l'Agenda rural français. Depuis 2019, 92 de ses mesures ont été réalisées et 67 sont en cours de réalisation, soit un taux de mise en oeuvre de 90 %.
Dans quatre domaines, les avancées sont déjà sensibles : la transition numérique, la jeunesse et l'égalité des chances, le soutien aux projets des collectivités locales et l'accès aux services publics.
La fibre optique et la 4G accompagnent la vie quotidienne de nombreux Français, en particulier dans les territoires ruraux. Le Gouvernement a fait du déploiement des plans France très haut débit et New Deal mobile ses priorités, avec des objectifs de couverture intégrale par la 4G en 2022 et par la fibre optique en 2025 qui sont à notre portée.
En matière d'égalité des chances, le Gouvernement a lancé le volontariat territorial en administration pour aider les collectivités à faire émerger leurs projets de développement et donner à de jeunes diplômés la possibilité de s'engager en faveur de la ruralité. Citons aussi les Campus connectés et les Cordées de la réussite.
En matière d'accès aux services publics, 1 745 maisons France services ont été labellisées à ce jour, 1 600 Petites villes de demain, 66 Campus connectés, 288 Fabriques des territoires.
Trois comités interministériels sur la ruralité se sont réunis, et des référents ruralité ont été installés dans chaque cabinet ministériel, chaque administration centrale et chaque préfecture de département.
Pionnière, la France doit aussi être un moteur au niveau européen. La présidence française de l'Union européenne nous en donne une occasion unique. Le Parlement rural français organisera en février 2022 un événement « Ruralisons l'Europe » que le Gouvernement soutient pleinement.
Lors de la réunion interministérielle sur l'avenir de la politique de cohésion des territoires, le Gouvernement portera la question de l'amélioration des conditions de vie et celle de l'Agenda rural européen. Il ne s'agit pas d'imposer aux États membres des solutions qui ne sont pas forcément adaptées à la diversité des régions.
La Commission européenne, dans son document « Vision à long terme pour les zones rurales », plaide pour un Pacte rural accompagné d'un plan d'action, pour assurer une meilleure synergie entre les acteurs, rendre les zones rurales plus connectées et diversifier l'activité dans les territoires. Cela illustre une prise de conscience.
Vous n'avez ici que des convaincus. Un Agenda rural européen apporterait une réponse à cette demande de sur-mesure. Le Gouvernement est très favorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe SER)
Rappel au règlement
Mme Nathalie Goulet . - Sur la base de l'article 26, je souhaite exprimer, malgré la solidarité du Gouvernement et votre capacité personnelle, mes regrets que Mme Jacqueline Gourault, M. Joël Giraud ou M. Julien Denormandie ne soient pas là. Je regrette ce mépris du Sénat sur un sujet si important.
Vous avez évoqué les progrès en matière de numérique, or le compte n'y est pas, en matière de haut débit comme de téléphonie mobile. Il aurait été intéressant d'échanger avec le ministre chargé de l'urbanisme. (MM. Laurent Burgoa, Jean-Claude Anglars et Daniel Chasseing applaudissent.)
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Il reviendra à Joël Giraud d'expliquer les causes de son absence.
Je reçois avec humilité vos observations sur le numérique. Je sais que les Français trouvent toujours tout trop long. Mais « quand je me contemple, je me désole ; quand je me compare, je me console », comme aurait dit Talleyrand : il n'y a pas de pays mieux couvert en fibre en Europe. Deux Français sur trois peuvent demander la fibre, contre un Allemand ou un Britannique sur dix. Et nous continuons à déployer la fibre à un rythme plus soutenu que nos partenaires : si nous sommes mauvais, nous le sommes un peu moins que les 26 autres !
En matière de téléphonie mobile, l'État a financé 600 pylônes entre 2002 et 2017. Ce gouvernement en a déjà financé 1 100 en trois ans et demi, et 12 000 auront été mis en place en 2026. Il y a décidément de quoi se consoler... (Applaudissements sur les travées du RDPI)
La proposition de résolution est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Respect des principes de la démocratie représentative
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l'État de droit en cas de législation par ordonnance, présenté par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Discussion générale
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition constitutionnelle . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Cette proposition de loi porte sur les droits du Parlement, donc sur la séparation et l'équilibre des pouvoirs, donc sur l'esprit républicain. Monsieur le garde des Sceaux, je me réjouis de vous voir ici ; je ne doute pas que c'est pour défendre l'esprit républicain, la séparation des pouvoirs et les droits du Parlement ! (Sourires)
Nul ici n'ignore que dans deux décisions des 28 mai 2020 et 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que des ordonnances non ratifiées, dès lors que l'échéance prévue par la loi d'habilitation pour leur ratification était dépassée, avaient mécaniquement valeur législative.
Le problème est considérable : dans la révision constitutionnelle de 2008, le Congrès a notamment modifié l'article 38 de la Constitution pour indiquer que la ratification des ordonnances ne pouvait être qu'expresse.
Dans ses considérants, le Conseil constitutionnel a soulevé la possibilité que des citoyens déposent une question préalable de constitutionnalité (QPC) sur une ordonnance non ratifiée. Cela ne résiste pas à l'examen : le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, ne peut ignorer cette règle évidente que la ratification doit être expresse. Il nous a donc semblé nécessaire de présenter une proposition de loi constitutionnelle pour la rappeler.
Le rapport de M. Bas évoque, chiffres à l'appui, l'abus du recours aux ordonnances : pas moins de 318 depuis le début du quinquennat, record toutes catégories sous la Ve République ! Seules 21 % d'entre elles ont donné lieu à ratification. Nous assistons, subrepticement - en réalité, c'est plutôt manifeste - à un glissement vers un régime d'ordonnances.
Je remercie M. Bas pour ses travaux, et pour son souhait d'aller plus loin. Les modifications proposées à l'article 38 portent sur la référence au programme du Gouvernement, sur les conditions dans lesquelles le recours aux ordonnances est légitime - urgence, transposition, codification, adaptation aux outre-mer - et sur les délais : douze mois pour la prise des ordonnances, dix-huit mois pour leur ratification.
Récemment, le Gouvernement a publié une ordonnance réformant la haute fonction publique : ENA, corps des préfets et des inspecteurs généraux. Excusez du peu ! J'ai demandé à Mme de Montchalin s'il lui semblait normal que le Parlement ne fût pas saisi. Elle a estimé qu'il n'y avait pas de raison, puisqu'il s'agissait d'ordonnances. Le discours est connu...
Nous avons donc, en guise de premier acte, déposé une proposition de loi, pour pouvoir simplement débattre du sujet ! À une grande majorité, nous n'avons pas accepté de ratifier cette ordonnance. Quelles conclusions en a tirées la ministre ? J'attends toujours la réponse.
Je remercie le RDSE d'avoir ensuite déposé une proposition de loi précisant que les parlementaires pouvaient saisir ès qualités le Conseil d'État au sujet d'une ordonnance non ratifiée.
Voici aujourd'hui le troisième acte - j'espère que le message est clair ! La quasi-généralisation de la procédure accélérée est désastreuse. Nous ne pouvons plus écrire la loi comme il le faudrait, la peaufiner pendant la navette. Nous sommes soumis à une précipitation constante.
Ajoutez à cela l'application très stricte de l'article 45, par laquelle tant d'amendements sont déclarés irrecevables malgré un lien « même indirect », dit la Constitution, avec le texte.
Enfin, nous avons récemment entendu des propos inquiétants du Président sur le droit d'amendement.
Voilà qui va dans le sens de la verticalité. Monsieur le garde des Sceaux, je suis sûr que vous défendrez avec nous l'équilibre et la séparation des pouvoirs, ainsi que les droits du Parlement. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du RDPI et du groupe INDEP)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette initiative de M. Sueur est excellente, elle permet de refondre intégralement l'article 38 de la Constitution pour en rétablir l'esprit. Ce faisant, nous nous inscrivons dans la continuité des travaux du Sénat : un groupe de travail pluraliste, réuni à la demande du président Larcher, a présenté en janvier 2018 quarante propositions de réforme constitutionnelle pour préserver la faculté du Parlement à délivrer une habilitation au Gouvernement, tout en s'assurant que les ordonnances ne soient pas utilisées de manière abusive.
Le développement des ordonnances est exponentiel, plus encore sous cette mandature que sous les précédentes : 14 par an entre 1984 et 2007, 30 par an entre 2007 et 2012, 54 entre 2012 et 2017, et enfin 64 par an depuis 2017. Pendant la session 2019-2020, il y en eut plus de cent ! Il est vrai que 67 d'entre elles étaient réservées au traitement de la crise sanitaire.
Il est juste que le Gouvernement puisse légiférer par ordonnance pour répondre aux situations d'urgence engageant l'intérêt national.
En même temps que le Parlement déléguait de plus en plus son droit à légiférer, le Gouvernement renonçait de plus en plus à faire ratifier ses ordonnances. Seules 21 % l'ont été au cours de ce quinquennat, alors que les taux étaient de 62 % entre 2007 et 2012 et de 30 % entre 2012 et 2017. La ratification devient l'exception ; le nombre d'ordonnances publiées est désormais supérieur au nombre de lois promulguées !
Cette prolifération ne rend pas la loi plus concise : 1 584 articles de loi ont été votés en 2019, contre 1 312 en 2002.
La proposition de M. Sueur vise à ne pas donner un statut législatif aux ordonnances sans vote du Parlement. C'est le bon sens !
Il convient que la loi détermine une durée de l'habilitation, pour laquelle nous fixons un maximum de douze mois. Il faut aussi préciser les finalités et l'objet de l'ordonnance : le Conseil constitutionnel exerce un contrôle assez distant en la matière...
Nous avons souhaité redonner vie à la notion de programme du Gouvernement, présenté lors du discours de politique générale.
Nous devons tenir compte des situations particulières qui justifient ce recours aux ordonnances : urgence, codification à droit constant et mesures d'adaptation pour les outre-mer.
Enfin, la ratification doit être expresse et intervenir dans un délai de dix-huit mois après la fin du délai d'habilitation. Rassurons le Gouvernement, qui craint un encombrement de l'ordre du jour parlementaire : le Sénat a su innover avec la procédure de législation en commission, adaptée aux sujets les plus techniques.
Je suis un partisan actif et engagé des institutions de la Ve République, mais je suis aussi d'avis de corriger certains excès de la pratique, notamment ceux qui viennent de l'exécutif. Le Gouvernement représente une majorité, le Parlement représente tous les Français ; le dialogue entre l'exécutif et le législatif doit être plus équilibré. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, RDSE et SER)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - L'objectif de cette proposition de loi constitutionnelle est indiscutablement louable. Je partage tous vos propos sur les excès de verticalité. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe SER)
M. Philippe Bas, rapporteur. - Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Mais je le dis d'emblée, afin de dissiper un suspens insupportable (sourires) : je ne crois pas que cette proposition de loi constitutionnelle soit nécessaire pour atteindre cet objectif.
Vous souhaitez écraser la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui se reconnaît compétent pour examiner la constitutionnalité des ordonnances non ratifiées, dès lors que le délai d'habilitation a expiré. Dans un second temps, vous restreignez le recours aux ordonnances.
La modification de l'article 38 ne me paraît pas utile, car la Constitution, depuis la révision de 2008, prévoit déjà que seule une ratification donne valeur législative aux ordonnances. Le Conseil constitutionnel l'a clairement rappelé dans les deux décisions auxquelles vous faites référence.
C'est seulement au sens de l'article 61-1 de la Constitution, relatif aux QPC, que le Conseil constitutionnel a jugé qu'une disposition d'une ordonnance relevant de la loi pouvait être examinée après expiration du délai d'habilitation. Il est excessif de voir dans cette jurisprudence une remise en cause de la hiérarchie des normes ou des prérogatives du Parlement.
Le principal effet de ces deux décisions a d'ailleurs été de transférer le contrôle de constitutionnalité des ordonnances non ratifiées du Conseil d'État au Conseil constitutionnel. Il est cohérent qu'un seul et même juge, en l'occurrence le juge constitutionnel, soit compétent en la matière.
Vous l'avez vous-même dit dans votre exposé des motifs, parlant d'une pierre supplémentaire à un État de droit en constante construction.
Le Conseil d'État a tiré les conséquences de cette évolution dans sa décision d'assemblée du 16 décembre 2020. La répartition semble à présent harmonieuse. Les critiques et craintes selon lesquelles cette jurisprudence porterait atteinte au débat démocratique, à la séparation des pouvoirs et aux prérogatives du Parlement sont infondées.
Le Conseil constitutionnel, le 3 juillet 2020, a bien rappelé que les deux principes de l'article 38, modification par voie législative après le délai d'habilitation et valeur législative à compter de la ratification expresse, n'étaient pas modifiés.
Cette proposition de loi constitutionnelle, visant à retourner au droit antérieur en écrasant les deux jurisprudences évoquées, n'est donc pas nécessaire.
Je note avec étonnement, monsieur le sénateur, que vous vous êtes rallié à la position du rapporteur, alors que vous disiez, dans l'exposé des motifs, être opposé au retour, au statu quo ante...
M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut le lire en entier, et non par morceaux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Par cette proposition de loi constitutionnelle, vous entendez restreindre le recours aux ordonnances et rappeler la prééminence du Parlement dans le vote de la loi. Cet objectif est louable...
M. Christian Redon-Sarrazy. - Non pas louable mais constitutionnel !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Chaque institution doit tenir la place que lui assigne la Constitution. Cependant, le chemin emprunté pour rappeler cette évidence pose problème. Vous proposez de graver dans le marbre de la Constitution...
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - ... un délai couperet uniforme de douze mois, qui ne prend en compte ni l'urgence, ni la complexité de certains travaux de codification. (M. Alain Richard approuve.)
Le Parlement doit garder le choix du délai.
Vous proposez également que les ordonnances ne puissent codifier qu'à droit constant. Ce n'est jamais le cas : la modernisation des règles à cette occasion améliore grandement la qualité du droit.
Enfin, je ne peux qu'être défavorable à vos propositions concernant l'adaptation des législations dans les collectivités d'outre-mer. Il serait dangereux pour la sécurité juridique que les ordonnances deviennent caduques faute de ratification dans le délai imparti.
Je suis sensible à votre volonté de préserver la qualité du droit et le rôle du Parlement. Cependant, la méthode proposée n'est ni nécessaire, ni adaptée à ces objectifs. Je ne peux donc y être favorable.
Il s'agit en réalité d'interroger l'usage fait par le Gouvernement de l'article 38. Rappelons quelques faits. Ces murs ont des oreilles et une mémoire. La pratique des ordonnances n'est pas nouvelle. Je ne voudrais pas être malicieux, mais...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mais ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - ... presque vous tous ici présents avez eu recours aux ordonnances, notamment lors du précédent quinquennat.
M. Jean-Pierre Sueur. - Mais beaucoup moins !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - À ma gauche comme à ma droite, je vois que l'on réagit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - « C'est celui qui dit qui y est » : un peu court, comme argument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je me souviens d'un candidat, monsieur Bas, qui avait annoncé dans son programme sa volonté, dans certaines matières, de gouverner par ordonnances.
M. Philippe Bas, rapporteur. - C'est ce que je propose !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Merci d'avoir rappelé que nous venons de traverser une crise.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il faut être équitable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Gouvernement s'est assuré que tous les moyens nécessaires soient donnés aux pouvoirs publics pour la gérer. Le Parlement a-t-il eu tort de faire confiance au Gouvernement ? Je ne le crois pas.
Selon les chiffres de la direction de la séance du Sénat, le nombre d'ordonnances par an, hors Covid, est de 51, soit à une unité près, le nombre moyen annuel d'ordonnances prises au cours du précédent quinquennat.
M. Jean-Pierre Sueur. - Regardez l'ensemble du rapport ! Il y a eu les attentats terroristes !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Gouvernement respecte le Parlement dans ses prérogatives. Pas de faux procès. Je suis persuadé que nous pouvons améliorer les conditions de coconstruction du droit. J'ai ainsi eu la chance de travailler avec la sénatrice Agnès Canayer dans le cadre d'une ordonnance, pour le code de justice des mineurs, qui est entré en vigueur.
Mme Nathalie Goulet. - Morituri te salutant.
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le recours aux ordonnances s'intensifie de décennie en décennie. De 1984 à 2007, 14 ordonnances étaient prises par an. La moyenne est passée à 30 jusqu'en 2012, puis à 50 sous le précédent quinquennat, et à 64 sous celui-ci.
Autre problème, la ratification n'est plus systématique, loin de là ! Le Conseil constitutionnel a pris deux décisions selon lesquelles le seul dépôt du projet de loi de ratification suffit à donner valeur législative aux ordonnances non ratifiées après le délai expiré. Ce n'est pas conforme à l'esprit de l'article 38 de la Constitution. Nous approuvons donc cette proposition de loi constitutionnelle.
Il est nécessaire que le Parlement ratifie l'ordonnance avant qu'elle n'acquière force de loi. Cela lui donne la possibilité de parfaire la rédaction.
La proposition de loi a reçu le soutien de la commission des lois, qui a apporté quelques améliorations. Le délai de rédaction serait de douze mois, celui de ratification de dix-huit, sous peine de caducité.
La proposition replace le Parlement dans son rôle. Notre groupe soutient ce texte. Les parlementaires que nous sommes doivent rester vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Je ne crois pas une seule seconde à la réforme par ordonnance » : ces propos ne sont pas de moi, mais d'Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, en 2016. Cette conviction s'est un peu délitée. (Sourires)
L'usage des ordonnances depuis quatre ans nous interpelle. Nous assistons à une prolifération excessive de leur nombre, et à une raréfaction des procédures de ratification. Cela touche au fonctionnement de la démocratie et au respect de la lettre et de l'esprit de la Constitution.
On peut comprendre l'impératif d'aller vite, surtout lorsqu'une majorité voit poindre un nouveau cycle électoral. Mais écarter ainsi la délibération parlementaire fait courir le risque d'un déséquilibre de nos institutions.
La question sous-jacente est simple : peut-on réformer notre pays sans débat parlementaire ? Même sous la Ve République, et son parlementarisme rationalisé, nous atteignons les limites de l'exercice.
L'argument de la lenteur de la délibération parlementaire ne vaut pas : si l'on excepte les ordonnances pour la crise sanitaire, le délai moyen de rédaction est de 570 jours, contre 235 jours pour la loi.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Absolument ! C'est très important.
M. Stéphane Le Rudulier. - Depuis le début des années 2000, le domaine des ordonnances s'est élargi. Nous sommes très loin du caractère technique qui les justifiait initialement, avec la codification.
Ce qui m'inquiète, c'est l'intention parallèle du Président de la République de limiter le droit d'amendement par une limitation en fonction du poids politique de chaque groupe. Ce contrôle automatique des amendements avant l'examen en séance publique, même Michel Debré n'avait osé l'imaginer !
Dans son discours de Bayeux en 1946, s'interrogeant sur le bon régime et le bon équilibre des pouvoirs, le général de Gaulle affirmait que « si le Parlement doit cesser d'être la source d'où procèdent la politique et le Gouvernement, il doit se concentrer sur la délibération, le vote des lois et le contrôle des ministères ». Est-ce encore le cas ? Peut-on gouverner sans convaincre sa majorité, sans respecter l'opposition ?
Les deux décisions du Conseil constitutionnel sont à rebours de la volonté du constituant de 2008. Elles affaiblissent le rôle du Parlement et réduisent le contrôle parlementaire.
Mais elles impliquent aussi une dualité de compétences entre Conseil d'État et Conseil constitutionnel. Une disposition formellement réglementaire, car non encore ratifiée, peut être examinée via une QPC par le Conseil constitutionnel, qui la considère substantiellement législative. Elle demeure pourtant susceptible de recours devant le Conseil d'État au titre du contrôle de conventionnalité.
M. Jean-Pierre Sueur. - Exact !
M. Stéphane Le Rudulier. - Ce ne sera pas sans conséquence pour les requérants.
Certes les ordonnances ont des avantages, elles sont utiles en cas d'urgence, mais leur utilisation doit rester exceptionnelle.
C'est pourquoi la modification de l'article 38, avec les apports du président Bas, est nécessaire : notre groupe la votera.
Il y a urgence, pour la sauvegarde de l'esprit de la Ve République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Jean-Pierre Sueur et Daniel Salmon applaudissent également ; M. le rapporteur remercie l'orateur.)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce sujet assez technique est essentiel pour le bon fonctionnement de notre démocratie.
Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur. Le noeud du problème est l'augmentation importante du nombre d'ordonnances sous les deux derniers quinquennats. L'exigence de rapidité ne tient pas, puisqu'il faut jusqu'à vingt mois pour les rédiger, contre huit pour voter les lois.
L'article 38 dispose que la ratification doit être expresse. Le Parlement ne peut se dessaisir de sa prérogative d'écrire la loi qu'à cette condition. Pourtant, la ratification expresse est en voie de disparition.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les ordonnances non ratifiées devaient être considérées comme des dispositions législatives, susceptibles de QPC.
Notre groupe s'associe à cette proposition de loi constitutionnelle pour rétablir l'équilibre institutionnel.
L'argument du temps ne vaut pas : nous soutenons donc l'introduction d'un délai de ratification. Le Gouvernement ne doit plus pouvoir se contenter d'un simple dépôt au Parlement, sans mettre la ratification à l'ordre du jour.
Le GEST salue une excellente initiative et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur celles des groupes SER et Les Républicains)
Mme Éliane Assassi . - Depuis 1958, et surtout lors des révisions de 1995 et 2008, nous dénoncions le recours excessif aux ordonnances. Chacun reconnaît aujourd'hui le problème que cela pose pour l'équilibre des institutions : la prise de conscience est tardive.
Le fait d'avoir maintenu la procédure de ratification implicite en 2008 a introduit des ambiguïtés. Le Conseil constitutionnel, par ses récentes décisions, a conféré une valeur législative aux ordonnances non ratifiées - prenant une lourde responsabilité. Ses membres - qui, rappelons-le, sont des décideurs politiques - sont revenus, seuls et de leur propre initiative, sur l'esprit et la lettre de la révision de 2008, affaiblissant encore notre Parlement, qui n'en n'avait pas besoin.
Nous allons vers une présidentialisation totale de notre régime. La tentation de revenir aux ordonnances royales ou aux décrets-lois de la IIIe République est dangereuse.
La proposition de loi constitutionnelle, revisitée par le président Bas, va dans le bon sens.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Merci !
Mme Éliane Assassi. - La référence floue au programme a hélas été maintenue, ce qui amoindrit votre volonté affichée, monsieur le rapporteur.
Les avancées sont importantes et limiteront peut-être la frénésie ordonnancière du Gouvernement. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également, ainsi que M. le rapporteur.)
Mme Nathalie Goulet . - Malgré le réquisitoire sévère du garde des Sceaux, nous voterons ce texte.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Satisfaction !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Déception !
Mme Nathalie Goulet. - Enthousiasme !
Quand l'ordonnance fut venue, le Parlement se trouva fort dépourvu : pas un seul petit morceau de contrôle ! Les parlementaires ont beau crier famine devant le Conseil constitutionnel, le résultat est là. (Sourires)
Monsieur le garde des Sceaux, un exemple. L'ordonnance sur les entreprises en difficulté de 2020 a autorisé les dirigeants débiteurs à reprendre l'entreprise, ce qui contredit complètement le droit applicable. La vigilance de Mme Taillé-Polian a permis de supprimer les dispositions de l'article 7 de cette ordonnance, heureusement, dans une proposition de loi.
À force d'assouplir des dispositions par ordonnance et sans contrôle - pas vu pas pris ! - ce genre de chose risque de se multiplier. Il est utile que le Parlement puisse exercer son contrôle lors d'une procédure de ratification.
Je salue le travail de M. Sueur et de notre commission des lois. Mon groupe votera cette proposition de loi constitutionnelle.
Personne ne nie l'utilité des ordonnances, notamment au cours de la crise sanitaire - qui aurait pu faire autrement ? Qui aurait pu faire mieux ? Mais l'enfer étant pavé de bonnes intentions, le présent texte est nécessaire, pour rétablir les droits écornés du Parlement. (MM. Jean-Pierre Sueur, Daniel Salmon et Stéphane Le Rudulier applaudissent.)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 9 octobre 1962, à propos de l'élection du Président de la République au suffrage universel, le président Monnerville fustigeait la concentration des pouvoirs sur une seule tête. Le temps ne lui donne-t-il pas raison ?
Les parlementaires en sont les premières victimes. La proposition de loi du président Requier visant à reconnaître un intérêt à agir aux parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir va dans le même sens, celui d'un renforcement du contrôle parlementaire. Le présent texte s'inscrit dans la même ligne.
Je salue le travail de M. Sueur et de M. Bas pour aboutir à un texte équilibré et consensuel.
La modification de l'article 38 de la Constitution est opportune. Le nombre d'ordonnances a été multiplié par sept en quinze ans, quel que soit l'exécutif. Les garde-fous apportés par la commission sont bienvenus : limitation à douze mois du délai d'habilitation, caducité dans un délai de dix-huit mois en cas de non-ratification...
Gouverner, c'est prévoir. Ce texte permet au Parlement de remplir ses missions. Le groupe RDSE votera à l'unanimité cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)
Mme Esther Benbassa . - Notre État de droit est fondé sur la séparation des pouvoirs. À cet égard, cette proposition de loi constitutionnelle s'apparente à un rappel à l'ordre.
Par un revirement de jurisprudence incompréhensible, le Conseil constitutionnel s'est déclaré compétent pour examiner en QPC les ordonnances non ratifiées, après l'expiration du délai de ratification.
Il est nécessaire d'encadrer plus strictement le recours à la procédure de l'article 38 de la Constitution. D'autant que le Gouvernement y a eu largement recours : 309 fois au 31 juin dernier, une ratification n'étant intervenue que dans 55 cas... La ratification expresse par le législateur est pourtant une exigence depuis la révision de 2008 !
Par sa décision récente, qui rompt avec la tradition juridique antérieure, le Conseil constitutionnel fait naître un risque élevé de substitution de fait du pouvoir exécutif au pouvoir législatif, émanation du peuple souverain. C'est le principe même de séparation des pouvoirs qui est en cause.
Je remercie la commission d'avoir mené une réflexion approfondie sur ce texte essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie, pour lequel il faut féliciter M. Sueur.
Le recours excessif aux ordonnances fragilise le Parlement. L'exception ne doit pas devenir la norme ! Nous devons impérativement rappeler à l'exécutif à qui il appartient de légiférer. Je voterai donc cette proposition de loi constitutionnelle. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'examen de ce texte s'inscrit dans le débat politique de ces jours-ci, lié au projet de loi sanitaire et au refus de l'exécutif de laisser au Parlement la place que lui reconnaît la Constitution.
Les deux décisions récentes du Conseil constitutionnel percutent le bon fonctionnement de notre démocratie.
Les ordonnances acquerraient une valeur législative de fait, automatiquement, à l'expiration du délai de ratification. Pourtant, le texte de l'article 38 est clair !
Non parce que « c'était mieux avant », mais au nom de la séparation des pouvoirs et des droits du Parlement, nous nous élevons contre ce revirement de jurisprudence inquiétant.
Les ordonnances ont toujours existé, c'est entendu ; mais jamais dans une telle proportion, jamais sur un mode systématique ! La crise sanitaire n'est pas la seule raison de ce phénomène : 318 ordonnances, c'est 89 % en plus que sous Nicolas Sarkozy au même stade du quinquennat. La banalisation est incontestable.
Le Gouvernement ne se préoccupe même plus de savoir si les ordonnances seront ratifiées par le Parlement. Seulement 21 % l'ont été depuis 2017, contre 62 % lors du quinquennat précédent. Or elles ne portent pas seulement sur des sujets mineurs : il s'agit de la destruction de la haute fonction publique ou de la privatisation de la SNCF. Sur la première question, Mme de Montchalin a déclaré sans sourciller qu'une ratification n'était pas nécessaire... Le Gouvernement ne se cache même plus.
La substitution du pouvoir exécutif au pouvoir législatif, est-ce là votre conception de l'équilibre des pouvoirs ?
Le dernier projet de loi sanitaire est un exemple caricatural. Les députés de la majorité, cette nuit, ont étendu encore les habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance ! La constitutionnalité de leurs amendements nous paraît d'ailleurs sujette à caution. En tout cas, cette énième manifestation de leur volonté de dessaisissement ne laisse pas d'inquiéter.
Votre mode de gouvernance fait fi des représentants du peuple. Les propos tenus le 18 octobre dernier par le Président de la République sur la limitation du droit d'amendement ne font que le confirmer. Dire que, devant le Congrès, il avait appelé de ses voeux un esprit de dialogue et d'écoute...
J'ai plusieurs fois à cette tribune cité la maxime fameuse de L'Esprit des lois : pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Montesquieu disait aussi que les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures. C'est bien ce contre quoi nous essayons de lutter.
Restaurer le coeur du fonctionnement démocratique : tel est l'objet de cette proposition de loi constitutionnelle. L'exécutif n'y paraît pas disposé, et c'est grave ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Alain Richard . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La critique des ordonnances est un grand classique de l'alternance : tous ceux qui en ont fait usage adoptent aussitôt une autre position...
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'inverse est également vrai !
M. Alain Richard. - Ce texte procède d'une analyse erronée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dans notre hiérarchie des normes, les ordonnances ont toujours eu valeur législative : seule la loi peut les modifier, et les règlements postérieurs doivent les respecter.
La modification récente porte uniquement sur le contentieux, désormais partagé entre le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel.
De surcroît, il n'est pas juste de comptabiliser texte par texte : peut-on comparer une ordonnance de 3 articles et une loi qui en fait 200 ? Légifrance procède à un décompte par mots qui reflète plus exactement la situation.
M. Jean-Pierre Sueur. - La SNCF, ce n'est pas important ?
M. Alain Richard. - De cette erreur d'analyse résultent deux conséquences fâcheuses.
D'abord, on nous propose de modifier le mécanisme d'habilitation, qui pourtant ne pose aucun problème ; l'encadrement posé par le Parlement est à chaque fois très soigné.
J'ajoute que les délais nécessaires à la codification - j'en parle savamment, puisque j'y participe - peuvent être très variés.
Ensuite, cette proposition de loi constitutionnelle méconnaît les conséquences d'une obligation de ratification. La Constitution en 2008 n'a jamais prévu une ratification obligatoire...
M. Jean-Pierre Sueur. - Une ratification expresse !
M. Alain Richard. - ... elle a simplement exclu une ratification implicite. Les ordonnances entrent néanmoins en vigueur. S'il y a peu de ratifications, c'est pour une raison que nous connaissons tous : un calendrier parlementaire trop chargé ! Ce texte est donc à l'évidence artificiel.
Nous avons de nombreux moyens de revenir sur le contenu des ordonnances ou de les faire évoluer : amendements, propositions de loi. Or c'est rare, preuve que le contenu des ordonnances ne pose pas de problème de fond.
Nous pouvons aussi appeler à la ratification d'une ordonnance ; c'était le sens d'une récente proposition de loi socialiste, pour le coup tout à fait justifiée.
Ce débat est certes stimulant, mais mal dirigé.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° Après le mot : « caduques », la fin de la deuxième phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « en l'absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication. » ;
M. Jean-Pierre Sueur. - Amendement rédactionnel.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis favorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable, par cohérence.
L'amendement n°1 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le garde des Sceaux, je veux vous dire un mot de l'éthique de la citation. Dans l'exposé des motifs de ma proposition de loi, j'ai eu soin de rappeler la position et les arguments du Conseil constitutionnel. Vous reprenez ces propos en me les attribuant... Je tenais à faire cette mise au point pour la clarté du débat.
Je remercie ceux qui ont pris part à nos échanges. La plupart approuvent notre démarche, même s'il n'y a pas unanimité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Presque !
M. Jean-Pierre Sueur. - Il y a quelques jours, Mme de Montchalin n'a rien trouvé à répondre à mon interpellation. Désormais, il sera difficile au Gouvernement d'ignorer ce que dit le Sénat et de ne pas en tirer de conclusions.
Mes chers collègues, il est heureux que nous sachions nous rassembler quand il s'agit de défendre une certaine idée des institutions et des droits du Parlement, donc de l'esprit républicain !
L'article premier, modifié, est adopté.
La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°21 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 322 |
Contre | 22 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et du RDSE)
La séance est suspendue à 13 h 35.
présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
La séance reprend à 16 heures.
Échec en CMP
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à réformer l'adoption n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.
En conséquence, l'examen de ses conclusions, initialement inscrites sous réserve de leur dépôt jeudi 16 décembre, est retiré de l'ordre du jour du Sénat.
Présence parentale auprès d'un enfant (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d'un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.
Discussion générale
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles . - Nous sommes réunis pour entériner un texte attendu de longue date par les familles, les professionnels et les associations - j'ai une pensée pour Grandir sans cancer, Empreintes, Le sourire de Lucie, et tant d'autres.
Un texte attendu par les députés - et je salue en tribune le député Paul Christophe, à l'origine de cette proposition de loi et de son adoption par l'Assemblée nationale en novembre 2020. Attendu par beaucoup d'entre vous, qui avez voté en 2019 la loi renforçant la prise en charge des cancers pédiatriques en souhaitant aller plus loin.
Cette proposition de loi vient compléter les mesures existantes : un congé de deuil de huit jours, dans les cas les plus tragiques, qui s'ajoute au congé employeur de sept jours ; l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), versée aux parents bénéficiant de jours de congé de présence parentale (CPP) pour s'occuper d'un enfant malade, victime d'un accident, ou en situation de handicap.
Le nombre maximum de jours de CPP et d'AJPP est fixé à 310 jours sur trois ans, avec possibilité de renouvellement en cas de rechute ou de récidive. Dans les faits, 95 % des situations sont traitées par ces dispositifs.
Néanmoins, il y avait une lacune : le droit à l'AJPP ne pouvait être rouvert qu'après l'expiration du délai de trois ans, ce qui posait problème en cas de traitement long nécessitant l'arrêt total de l'activité de l'un des parents sur une longue période. Sur les 10 300 foyers recensés en février 2020, 560 étaient dans ce cas.
Cette proposition de loi répond à la difficulté en prévoyant que l'AJPP puisse être versée au-delà de 310 jours lorsque la situation le justifie, et être renouvelée une fois sans attendre le terme des trois ans, ouvrant ainsi droit à un nouveau crédit de 310 jours, sous réserve d'un certificat médical et avec l'accord du service du contrôle médical.
Ce nouveau cadre donnera plus de visibilité aux familles.
Souvent, celles-ci dénoncent les complexités administratives. Le circuit de traitement des demandes sera amélioré avec un croisement des fichiers pour simplifier les démarches et favoriser un juste recours aux prestations. La déclaration sociale nominative pourra être utilisée. Les organismes pourront suivre directement le nombre de jours de congés pris et effectuer les versements plus rapidement. Ce chantier informatique lourd sera opérationnel en 2022.
L'autre enjeu est de faire mieux connaître ces dispositifs, notamment des gestionnaires RH, et de lutter contre le non-recours. Toute personne concernée doit savoir qu'elle peut être soutenue et accompagnée. Cette attention sous-tend notre politique des 1 000 premiers jours de l'enfant.
Nous devons regrouper l'information, la rendre plus lisible et plus fiable, plutôt que de multiplier les dispositifs.
Le Gouvernement a missionné le député Paul Christophe pour dresser un large panorama, cibler les faiblesses des dispositifs et proposer des améliorations. Il devra rendre compte des difficultés d'accès à l'information et s'intéresser à l'attribution des aides, à la formation des travailleurs sociaux, à l'accompagnement psychologique. Nous améliorerons ainsi l'accompagnement des parents au quotidien.
Il reste beaucoup à faire encore pour aider les familles qui traversent ces situations douloureuses. Je suis prêt à y travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, RDSE et Les Républicains)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et Les Républicains) Cette proposition de loi est très attendue des associations qui espèrent une application rapide.
Créés en 2001, le CPP et l'AJPP sont précieux pour soulager des situations familiales complexes et douloureuses, en permettant aux parents d'interrompre leur activité professionnelle pour accompagner leur enfant atteint de pathologie, de maladie ou de handicap particulièrement grave.
Un certificat médical définit la durée prévisible du traitement de l'enfant et donc celle du CPP et du versement de l'AJPP, dans la limite de 310 jours ouvrés sur trois ans.
La loi du 8 mars 2019 sur les cancers pédiatriques a prévu le renouvellement du CPP et de l'AJPP en cas de rechute ou de récidive, mais seulement au terme des trois ans.
En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a rendu possible le fractionnement du CPP ou sa transformation en activité à temps partiel afin de mieux concilier accompagnement de l'enfant et maintien d'une activité professionnelle.
Le nombre de bénéficiaires du CPP et de l'AJPP a augmenté de 70 % entre 2013 et 2020, pour atteindre environ 10 000 familles.
Je salue l'adoption à l'Assemblée nationale d'un amendement gouvernemental au PLFSS pour 2022 prévoyant une revalorisation annuelle de l'AJPP en référence au SMIC. Je me félicite aussi du projet de transmission dématérialisée des attestations mensuelles de l'employeur à la CAF, ce qui facilitera la vie des allocataires.
La proposition de loi permet le renouvellement du CPP et de l'AJPP au-delà de 310 jours sur la période de référence initiale de trois ans, pour mieux tenir compte de la réalité. Au bout de trois ans, la plupart des enfants sont en général soit guéris, soit, hélas, décédés. Il fallait agir pour les 600 foyers qui, au cours des trois ans, épuisent leur crédit d'AJPP. Dans le cas de cancers pédiatriques, 30 % des bénéficiaires auraient besoin d'une prolongation du nombre de jours d'AJPP...
Cette proposition de loi mobilise un crédit maximum de 620 jours sur trois ans. Une amélioration, capitale au titre du principe d'égalité, aurait été d'étendre cette faculté aux agents publics. Cela nécessite toutefois un changement des statuts des trois fonctions publiques et du code de la défense et représente une dépense supplémentaire : dès lors, seul un amendement gouvernemental peut y procéder.
Pour ne pas retarder l'adoption de la proposition de loi, j'ai proposé son adoption conforme ; charge au Gouvernement de présenter un amendement au PLFSS pour 2022 afin d'étendre le dispositif aux agents publics. Ce sera la solution la plus efficace.
Au-delà de cette mesure, nous devons garantir une meilleure équité parentale : celui dont l'emploi est le plus rémunérateur maintient souvent son activité, laissant l'autre - généralement la mère - interrompre la sienne pour se consacrer à l'accompagnement de l'enfant. À la clé, une dégradation de l'employabilité de l'un, et un sentiment de culpabilité de l'autre. Interrogeons-nous sur les conditions du cumul de l'AJPP en les alignant sur celles de l'allocation journalière de proche aidant (AJPA) - qui permet aux deux parents de cumuler 44 jours par mois.
La question de la suppression du plafonnement de l'AJPP demeure, sachant que leucémies ou tumeurs cérébrales peuvent nécessiter un accompagnement parental supérieur à 620 jours.
En attendant, je vous propose d'adopter sans modification ce texte pour garantir une entrée en vigueur dans les plus brefs délais. (Applaudissements)
Mme Florence Lassarade . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et du RDSE) Créé en 2001, le CPP permet à un salarié de bénéficier d'un maximum de 310 jours de congé pour accompagner son enfant. La loi du 8 mars 2019 a assoupli le dispositif.
L'AJPP s'élève à 52 euros pour une personne seule, à 44 euros pour une personne en couple ; versée sur 22 jours par mois, elle représente en moyenne 780 euros par mois. S'arrêter de travailler peut représenter un véritable sacrifice financier pour le parent. En 2020, le dispositif bénéficiait à environ 10 000 familles, pour un coût de 97 millions d'euros. Ce chiffre progresse, signe d'une meilleure information des personnes concernées.
Après les trois ans, 310 jours de CPP et d'AJPP peuvent être de nouveau accordés en cas de rechute ou de récidive.
La durée du CPP est désormais prise en compte en totalité dans la détermination des droits liés à l'ancienneté dans l'entreprise.
Les CAF doivent informer sur les conditions de cumul avec la prestation de compensation du handicap (PCH) et l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH).
Depuis la LFSS 2020, le CPP peut être fractionné et rendu compatible avec un temps partiel.
Le taux moyen d'utilisation est de 173 jours. Mais 6 % des bénéficiaires ont besoin de plus de 310 jours sur les trois premières années.
La proposition de loi Élimas, amendée par le Gouvernement, a simplement élargi les possibilités de réouverture des droits à l'issue des trois ans, non pas allongé la durée des droits au cours de la période initiale.
Le droit actuel est insuffisant pour des maladies longues comme des cancers pédiatriques.
Cette proposition de loi y répond en permettant de renouveler CPP et AJPP avant la fin de la troisième année, sous réserve d'un nouveau certificat médical et d'un accord du service du contrôle médical.
Ce dispositif coûtera 6,2 millions d'euros par an, pour passer le CPP à temps plein de 14 à 28 mois, avec 620 jours maximum sur trois ans.
Le groupe Les Républicains soutient cette proposition de loi, dont je salue l'initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, INDEP et du RDSE, ainsi qu'au banc de la commission)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Ce texte répondra aux besoins des familles ayant épuisé leurs droits à CPP et AJPP. Le GEST n'a pas déposé d'amendement pour assurer son adoption rapide.
Cette proposition de loi répond aux questions non résolues par la loi du 8 mars 2019. La solidarité entre salariés ne pouvait raisonnablement se substituer à un renforcement du dispositif...
Le CAP est actuellement limité à 310 jours sur trois ans, il n'était renouvelable qu'après les trois premières années. Cette proposition de loi autorise son renouvellement avant ce terme.
Toutefois, les parents ne doivent pas être obligés à recourir à la prolongation du dispositif faute de réponse institutionnelle suffisante.
Il faut améliorer l'information pour réduire le taux de non-recours.
Enfin, nous devons nous interroger sur l'inégalité femme-homme. Dans les faits, le parent ayant l'emploi le plus rémunérateur conserve son activité : 92 % des congés sont pris par les femmes, ce qui a des conséquences sur leur parcours professionnel et leur retraite.
Ce partage inégal est une conséquence des inégalités salariales. Depuis hier, 3 novembre, la rémunération des femmes s'est en quelque sorte arrêtée : l'écart salarial se manifestera jusqu'au 31 décembre.
Plutôt qu'une allocation forfaitaire, il faudrait aller vers un revenu de remplacement ouvrant le choix aux deux parents d'accompagner l'enfant. Ne renforçons pas la persistance de rôles parentaux différenciés. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE et des groupes CRCE et SER)
Mme Laurence Cohen . - Je remercie le groupe INDEP à l'origine de cette proposition de loi. Si le CPP et l'AJPP soulagent des situations familiales complexes et douloureuses, ils comportent des limites.
Ce texte ouvre la possibilité de renouveler le CPP au-delà des 310 jours prévus sur trois ans. Nous irons peut-être plus loin en décembre avec une autre proposition de loi créant un congé spécifique.
Le niveau de l'indemnisation journalière est insuffisant. La revalorisation au niveau du SMIC du montant de l'AJPA et de l'AJPP est bienvenue, mais nous militons pour le rétablissement des cotisations patronales à la branche famille afin de garantir une indemnisation à 100 %. La suspension du contrat de travail pose problème : c'est une perte de droits pour la retraite future. L'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse n'est pas automatique et beaucoup ne font pas la démarche...
Cette proposition de loi fait écho à la saturation des urgences pédiatriques. À Douai, elles ferment le soir à 21 heures, le week-end et les jours fériés, faute de pédiatres... Comment améliorer les conditions de présence parentale quand l'enfant ne bénéficie pas d'un accès aux soins correct ?
Le système craque, et un plan pluriannuel d'investissement massif dans la santé s'impose. Nous en reparlerons lors du PLFSS.
Il faut aussi poursuivre la recherche sur les cancers pédiatriques. À ce titre, je salue l'amendement de 20 millions d'euros adopté, contre l'avis du Gouvernement, à l'Assemblée nationale.
Notre groupe votera ce texte qui améliore la situation des familles. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et INDEP)
Mme Brigitte Devésa . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi d'humanité a recueilli l'unanimité à l'Assemblée nationale. Je salue son auteur, Paul Christophe, et félicite Colette Mélot pour la qualité de son rapport.
Le débat sur les proches aidants est de plus en plus prégnant. Il faut reconnaître leurs besoins et les accompagner financièrement.
Le CPP et l'AJPP sont des mesures pragmatiques pour les parents d'enfants victimes de maladies ou d'accidents graves. La loi de 2017 puis la loi Guidez du 23 mai 2019 sur les proches aidants, et enfin la loi de 2019 sur les cancers pédiatriques ont marqué des avancées.
Quelque 10 000 familles ont bénéficié du CPP en 2019, pour 96 millions d'euros. Leur nombre a augmenté de 70 % entre 2013 et 2020. Nous saluons la volonté du Gouvernement de revaloriser l'AJPP à hauteur du SMIC, et présenterons un amendement au PLFSS pour renforcer encore l'accompagnement financier.
Le renouvellement du CPP et du crédit d'AJPP jusqu'à 620 jours est une avancée considérable.
En revanche, l'impératif d'équité exigeait une extension du dispositif aux agents publics. La détresse des parents ne fait pas de différence entre secteurs public et privé !
Il faudra aussi réfléchir à l'accompagnement des deux parents, et non de l'un ou de l'autre.
Le délai de traitement de l'AJPP dépasse parfois les trois mois. À l'heure du numérique, c'est beaucoup trop long, d'autant que dans ce genre de situation, le temps presse...
Enfin, l'information aux droits devra être plus efficiente.
Le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et INDEP)
M. Jean-Claude Requier . - Je salue ce texte empli d'humanité et de solidarité, et le député qui l'a porté à l'Assemblée nationale.
Le CPP et l'AJPP constituent un soutien pertinent aux actifs parents d'enfants malades ou handicapés nécessitant des soins contraignants.
Le parent peut bénéficier au maximum de 310 jours de CPP par an. Au bout de trois ans, il peut le demander à nouveau, si la gravité de la situation l'exige. Si le taux moyen de consommation est de 173 jours, 6 % des bénéficiaires épuisent tous leurs droits.
Cette proposition de loi apporte une réponse appropriée aux parents qui ont besoin de plus de 310 jours.
Sans remettre en cause le bien-fondé du texte, je tiens à souligner deux points essentiels : il faudrait mieux informer les familles de leurs droits, en orientant systématiquement vers le site monenfant.fr, et surtout étendre le dispositif aux fonctionnaires. J'appelle le Gouvernement à rétablir l'égalité dans les plus brefs délais.
Le RDSE votera cette proposition de loi à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes UC, SER et INDEP)
M. Jean-Luc Fichet . - Le congé et l'allocation journalière de présence parentale, CPP et AJPP, sont des dispositifs essentiels pour les parents qui ont à interrompre leur activité professionnelle pour accompagner de façon soutenue un enfant malade, en situation de handicap ou victime d'un grave accident. Environ 10 000 personnes en bénéficient annuellement.
Versée 22 jours par mois, l'allocation représente 52 euros pour une personne seule et 44 euros pour les membres d'un couple. Quoique précieuse pour les personnes concernées, elle ne suffit évidemment pas à compenser la perte de revenus subie.
Je me réjouis donc que, à la suite de l'adoption d'un amendement du Gouvernement, l'article 32 sexies du PLFSS prévoie la revalorisation annuelle de l'AJPP par référence au SMIC ; il faudra aller plus loin, mais c'est un premier pas.
La loi du 8 mars 2019 sur la prise en charge des cancers pédiatriques a déjà amélioré le recours au CPP. Les démarches des familles ont été simplifiées et les transmissions d'informations aux CAF facilitées.
En outre, le congé parental est désormais pris en compte en totalité pour la détermination des droits à ancienneté.
Depuis un an, il est possible de fractionner le congé parental et de le concilier avec une activité à temps partiel, ce qui pourrait accroître le recours au dispositif. Il s'agit de favoriser le maintien d'activité, donc de préserver le niveau de vie des foyers.
Ces mesures semblent satisfaire la majorité des situations. De fait, les parents prennent en moyenne 173 jours, soit moins que les 310 jours prévus.
Toutefois, les 6 % de bénéficiaires qui utilisent en totalité les 310 jours doivent attendre trois ans pour prétendre bénéficier à nouveau du dispositif. Or cette contrainte n'est pas en phase avec la réalité vécue par les parents dont l'enfant est atteint d'une longue pathologie.
La présente proposition de loi ouvre donc la possibilité d'un renouvellement immédiat du dispositif, sous réserve de l'accord du service de contrôle médical. La durée continue maximale du congé parental à temps plein sera ainsi portée à 28 mois.
Cette mesure d'assouplissement est hautement souhaitable. Elle est accueillie très favorablement par les familles et les associations qui les accompagnent dans leur combat au long cours. Le groupe SER votera donc sans réserve la proposition de loi, en souhaitant sa mise en oeuvre rapide.
Par ailleurs, il faut veiller à réduire le délai d'instruction des dossiers, étendre ces nouveaux droits aux agents publics à la faveur du prochain PLFSS et renforcer l'information des familles sur ces dispositifs encore trop méconnus. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE et du GEST)
M. Xavier Iacovelli . - Améliorer la situation de la famille quand un enfant souffre de cancer ou d'une autre pathologie nécessitant des soins de longue durée, tel est l'objet de cette proposition de loi de notre collègue député Paul Christophe - présent en tribune - que l'Assemblée nationale a adoptée à l'unanimité.
Chaque année, 2 500 enfants et adolescents sont diagnostiqués d'un cancer. Il appartient au législateur de favoriser une présence parentale renforcée auprès d'eux, car elle est plus qu'essentielle : vitale.
Or, le CPP et l'AJPP sont actuellement limités à 310 jours. Le renouvellement n'est possible qu'à l'expiration d'une période de trois ans.
Cette règle n'est pas adaptée à certaines situations. Comment expliquer à un parent dont l'enfant est toujours malade qu'il devra attendre plusieurs mois pour renouveler ses droits ?
La proposition de loi supprime ce délai de trois ans dans certaines conditions. Nous partageons pleinement cet objectif de sécurisation des familles. Les difficultés liées à la maladie ne doivent pas se doubler de difficultés financières ; c'est une question de solidarité et de fraternité.
Je salue le travail des nombreuses associations qui oeuvrent au côté des enfants atteints d'une pathologie grave et de leurs parents.
Je remercie notre rapporteure, qui nous engage à adopter le texte de l'Assemblée nationale sans modification, pour une mise en oeuvre rapide.
N'oublions pas les avancées précédemment réalisées, notamment dans le cadre de la loi du 8 mars 2019 sur la prise en charge des cancers pédiatriques et le soutien aux aidants.
Je remercie le Gouvernement d'avoir, par la voix d'Adrien Taquet, levé le gage de la proposition de loi.
Enfin, je salue les parents qui luttent contre la maladie au côté de leur enfant. J'ai une pensée particulière pour ceux qui vivent en outre-mer et doivent se déplacer dans l'Hexagone, loin de leurs proches, pour de longs traitements.
Le RDPI votera cette proposition de loi avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe INDEP et du RDSE)
M. Jean-Pierre Decool . - Je salue amicalement le député du Nord Paul Christophe, auteur de cette proposition de loi.
J'ai encore à l'esprit le cas d'une famille de Flandre ayant adopté un enfant guatémaltèque qui, à 9 ans, déclara une maladie orpheline finalement mortelle ; à l'époque, un congé de quelques jours avait été refusé à la mère, car les règles étaient trop rigides.
Cette tragédie illustre l'importance de la présente proposition de loi de M. Christophe ; elle est le fruit d'une expérience personnelle et d'un engagement continu en faveur d'une société plus humaine et plus solidaire.
Son adoption marquera une étape supplémentaire dans la révolution culturelle amorcée par la création du congé de proche aidant.
L'allocation journalière liée au congé parental sera désormais revalorisée par référence au SMIC.
Le PLFSS pour 2020 a autorisé l'utilisation fractionnée du CPP, pour plus de souplesse.
Le renouvellement du CPP est actuellement impossible quand les 310 jours ont été consommés avant la fin des trois ans. La proposition de loi remédie à cette imperfection, dont 600 familles ont chaque année à pâtir.
Je félicite Paul Christophe pour sa pugnacité et la rapporteure Colette Mélot pour son travail remarquable.
Le Gouvernement s'est engagé à étendre le bénéfice de cette mesure aux fonctionnaires, notamment aux enseignants, dans le cadre du PLFSS pour 2022.
Les sénateurs du groupe INDEP voteront naturellement ce texte qui fait honneur au Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme la rapporteure applaudit également.) Le congé et l'allocation journalière de présence parentale sont essentiels, car l'enfant malade, en situation de handicap ou victime d'un accident grave a besoin de la présence soutenue de ses parents. La solidarité nationale doit leur venir en aide.
La durée de 310 jours sur trois ans est insuffisante. Dans le cas des cancers pédiatriques, en particulier, le dispositif ne correspond pas à la réalité des besoins. Les formalités sont également trop lourdes.
Devant la détresse des familles, nous ne pouvons que soutenir cette proposition de loi autorisant le renouvellement du congé avant la fin de la période de trois ans.
Cette mesure importante de justice sociale sera bientôt complétée, je l'espère, par un amendement du Gouvernement au PLFSS pour 2022 tendant à revaloriser l'AJPP et à l'étendre aux conjoints collaborateurs des artisans, commerçants et agriculteurs.
Un bémol, néanmoins : l'éparpillement des mesures dans des textes différents nuit considérablement à la lisibilité de la réforme.
Reste le problème de la non-applicabilité de la mesure aux fonctionnaires, que le Gouvernement doit résoudre à la faveur du prochain PLFSS.
Souvent, c'est le parent dont l'emploi est le moins rémunérateur qui prend le congé. Cette situation dégrade son employabilité et culpabilise l'autre parent. Or un enfant malade a besoin du soutien quotidien de ses deux parents.
Les parents d'enfants malades souffrent encore trop souvent d'un manque d'attention dans leur entourage professionnel. L'une de mes proches, interne en médecine, s'est vu refuser un transfert de stage pour être près de son bébé de deux mois atteint d'un cancer ; et ce, au motif qu'il ne fallait pas créer de précédent... De telles réponses sont inacceptables.
La bienveillance doit l'emporter sur l'indifférence ! Votons donc ce texte sans modification pour répondre à la situation d'urgence de certains foyers. À charge pour le Gouvernement d'agir rapidement pour en combler les failles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SER)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Je remercie l'ensemble des groupes pour leur soutien à ce texte.
Madame la rapporteure, l'extension de la mesure aux trois fonctions publiques et aux militaires sera assurée par un amendement du Gouvernement au PLFSS lors de son examen par votre assemblée.
Intervention sur l'ensemble
Mme Nathalie Goulet . - Je salue tout le travail accompli autour de ce texte.
Dans notre maison, il y a statistiquement plus de grands-parents que de parents... (Sourires)
Mme Cécile Cukierman. - Il y a quelques parents tout de même ! (Nouveaux sourires)
Mme Nathalie Goulet. - Quoi qu'il en soit, le désarroi des familles concernées va bien au-delà des parents.
Nous adoptons de nombreux textes, dont parfois l'utilité n'est pas évidente... Cet après-midi, nous allons, à l'unanimité, apporter une valeur ajoutée dans la vie de concitoyens en grande difficulté. Dans une atmosphère nationale difficile, c'est un moment de grâce, qui nous réconcilie tous avec la fonction parlementaire.
Il restera au Gouvernement à apporter les compléments annoncés.
La proposition de loi est adoptée définitivement.
La séance est suspendue quelques instants.
CMP (Nominations)
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée l'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d'école ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Mettre l'administration au service des usagers
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers, présentée par M. Dany Wattebled.
Discussion générale
M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi . - L'administration assure la continuité de l'État, elle fait partie de son identité, en particulier en France, où la Nation a été constituée par l'État, et elle en partage les qualités, les défauts, parfois les archaïsmes.
Tous les usagers doivent bien comprendre son fonctionnement ; à ce titre, le principe appelé « silence gardé par l'administration vaut acceptation » (SVA), introduit par une loi de 2013, est essentiel pour la confiance.
En 2015, le rapport de Jean-Pierre Sueur sur l'application de ce principe pointait déjà une dérive : il y avait deux fois plus de procédures dérogatoires que de procédures relevant du principe général. L'exception devenait la norme. Certaines dérogations sont fondées, d'autres ne sont justifiées que par « des motifs de bonne administration », ce qui revient à laisser les coudées franches au Gouvernement.
Nous devons donc limiter et harmoniser la possibilité de dérogations par voie réglementaire, dans un souci de simplification et de transparence pour les usagers, notamment les entrepreneurs.
Malgré la grande qualité de l'administration (Mme la ministre approuve), les retards et dysfonctionnements sont encore trop nombreux.
Une anecdote : un entrepreneur, dans mon département, a engagé une démarche auprès de l'administration pour un projet. Après plusieurs mois sans réponse, il la relance ; toujours rien. Après une troisième demande sans plus de résultat, il engage le projet - alors seulement l'administration se manifeste, pour le sanctionner ! Les cas sont rares, mais encore trop nombreux pour que nous restions inactifs. C'est encore pire pour les usagers ordinaires, démunis et privés d'aide juridique.
La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) de 2018 a été une occasion manquée : elle ne prévoyait, à son article 72, qu'un rapport sur l'application du principe du SVA. Ce rapport a montré qu'un tiers des procédures respectent le principe général ; l'exception reste donc la norme. La majorité des procédures concerne l'environnement et les études d'impact. Tout porte à croire que la situation va se dégrader. L'enjeu écologique ne doit pas être une entrave.
J'ai donc saisi l'occasion de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) pour déposer deux amendements limitant les possibilités de dérogation, adoptés en séance malgré les avis défavorables du Gouvernement et de la commission. Je vous présente aujourd'hui ces amendements sous une forme retravaillée et charpentée.
Merci au rapporteur Brigitte Lherbier dont les propositions vont dans le sens du texte, avec plusieurs amendements qui en améliorent le cadrage, certes en en limitant la portée. Je m'en remettrai à la sagesse du Sénat pour élaborer un texte pragmatique, au service du quotidien des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)
Mme Nathalie Goulet. - Bravo !
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois - De 1864 à 2013, le principe selon lequel le silence de l'administration vaut rejet (SVR) a prévalu, avec quelques exceptions - notamment les autorisations d'urbanisme. En 2013, à l'initiative du président Hollande, la logique a été inversée pour donner naissance au SVA, sous réserve de nombreuses dérogations.
Les procédures SVA ont ainsi été multipliées par quatre, mais au détriment de la lisibilité du régime du silence de l'administration, prévu par le code des relations entre le public et l'administration. Ainsi, dans l'affaire de la ferme des Mille vaches, il a fallu aller jusqu'à la Cour de cassation pour déterminer si le silence de l'administration valait rejet ou acceptation !
Cela était prévisible, car les faiblesses du SVA sont nombreuses. D'abord, il ne peut s'appliquer qu'aux questions auxquelles l'administration peut répondre par oui ou par non. Ensuite, pour les demandes de versement d'indemnité, le silence ne saurait valoir acceptation de versement. Ce sont des situations auxquelles le législateur ne peut rien.
Deuxième faiblesse, le droit des tiers. Une perte de courrier, une erreur de traitement peut aboutir à une acceptation même si le demandeur ne remplit pas les critères, ce qui crée une inégalité de traitement avec les personnes déboutées. Enfin, il peut y avoir une perte de chance pour les tiers, le silence limitant les possibilités de former des recours.
Nous voulons rendre le système moins compliqué. De trop nombreuses divergences nous ont conduits, en commission, à ne pas adopter le texte, en vertu du gentlemen's agreement en usage pour les propositions de loi des niches parlementaires. Les amendements de la commission qui seront présentés réécrivent le texte en en conservant l'esprit.
Deux principes nous ont guidés : le respect de l'administration dans son fonctionnement et son identité, en sortant d'une vision par trop bilatérale, souvent conflictuelle, de ses relations avec l'usager (Mme la ministre approuve) ; et la nécessité d'un équilibre entre bonne administration et respect des droits du public.
Nous conservons la possibilité de déroger au SVA par voie réglementaire, en précisant les cas. Nous donnerons un avis favorable à l'amendement de M. Sueur à l'article 4 sur le plafonnement des délais.
La recherche d'équité entre l'administration et le public a aussi guidé notre réécriture de l'article 5 : certaines administrations tendent à demander des pièces supplémentaires afin d'allonger le délai, ce qui revient à des manoeuvres dilatoires.
Nous proposerons la suppression partielle ou totale de certains articles souffrant de malfaçon.
Moyennant l'adoption de ses amendements, la commission vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et SER)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques . - Le Président de la République a fixé à chacun de ses ministres l'objectif d'assurer au sein de son administration une culture de la bienveillance au service des usagers, de simplifier les démarches administratives, réduire les délais et établir une relation de confiance. C'est aussi ma feuille de route en tant que ministre de la fonction publique.
Je salue le travail du Sénat sur ces questions et me réjouis d'aborder aujourd'hui les relations entre les citoyens et leur administration.
Vous plaidez pour partir des besoins des usagers et non de ceux de l'administration. Je partage cette vision, et j'ai demandé aux administrations de ne plus prendre leurs décisions en vase clos.
Il faut restaurer la confiance. Nous y avons déjà contribué avec la loi Essoc de 2018, qui impose à l'administration de démontrer la mauvaise foi de l'usager. Depuis, 335 000 droits à l'erreur ont été accordés, et 2 millions d'erreurs détectées proactivement par l'administration ont été réparées sans sanction.
Si des erreurs de bonne foi peuvent intervenir, c'est que la réglementation est souvent complexe. La démarche de simplification dans laquelle je m'engage consiste à en traiter les causes.
En 2021, nous avons simplifié dix démarches et cent formulaires, en partant des remontées des usagers. En voici quelques exemples concrets : les demandes de MaPrimeRénov' sont traitées en moins de quinze jours ; dans les communes de plus de 3 500 habitants, les demandes de permis de construire, d'autorisation d'urbanisme se font en ligne ; les procurations se font en ligne en quelques minutes ; le formulaire de demande du minimum vieillesse a été considérablement simplifié.
La plateforme « Services publics + » permet aux usagers de partager leur expérience des relations avec l'administration, de déposer des avis ou de proposer des améliorations concrètes. Nous avons eu 3 millions d'avis et 3 000 récits d'expériences assortis de propositions. Je veille à ce que les administrations en tiennent compte.
Tout cela porte ses fruits : le taux de satisfaction vis-à-vis de l'administration est passé de 72 % en 2017 à 76 % aujourd'hui ; en mai 2021, 76 % des chefs d'entreprise faisaient confiance à l'administration pour proposer conseils et solutions, soit dix points de plus qu'en 2019.
Mais nous avons une divergence : ce ne sont pas des lois qui amélioreront les rapports avec l'administration, mais une réhumanisation des services publics. Nous voulons une administration qui réponde à chaque citoyen, avec un accompagnement humain.
C'est l'objet des espaces France Services. Dans ce Nord que l'auteur du texte et la rapporteure connaissent bien, il y en a 35, notamment à Loos, Seclin, Roubaix, Ribécourt-Dreslincourt... Nous voulons créer à terme 2 000 lieux de ce type où une réponse individualisée et un accompagnement seront apportés.
Certes, le SVA est complexe, il n'est pas parfait, mais c'est un progrès.
Je souhaite donc que les administrations appliquent leur devoir de réponse ; je m'engage à ce que les cas d'acceptation implicite fassent l'objet d'un accusé de réception à l'avenir.
Il nous reste beaucoup à faire. Je sais que nous pourrons travailler ensemble. Mais n'ajoutons pas une loi, ne rigidifions pas le système ; préférons des réponses concrètes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Guy Benarroche . - Je suis toujours ébahi par les photomatons instantanés des ministres : tout va toujours bien. Merci à vous, madame la ministre, de nous avoir remonté le moral... (Sourires)
Institué en 2013, le principe du SVA reste peu appliqué et il a ses inconvénients, comme les difficultés de recours pour les tiers ou le cas des courriers perdus. Son applicabilité n'est pas claire, avec de nombreuses exceptions et une interprétation différente selon les tribunaux.
Cette proposition de loi permet de ne pas pénaliser l'usager pour un retard de l'administration. L'ambition est sérieuse et louable, mais sa rédaction invite à la prudence. Vous connaissez l'attachement du GEST aux pouvoirs des maires, mais ceux des plus petites communes ont besoin d'accompagnement, à travers un appui technique des administrations centrales.
Je regrette que la rapporteure n'ait pas présenté d'amendements dès le stade de la commission, mais je me réjouis des améliorations proposées dans les amendements de séance par la rapporteure et par M. Jean-Pierre Sueur.
Le GEST votera la proposition de loi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP)
Mme Cécile Cukierman . - « Nul n'est censé ignorer la loi », dit l'adage. Encore faut-il qu'elle soit intelligible. C'est la raison de l'introduction du SVA. Qui ne dit mot consent... Mais les exceptions sont plus nombreuses que les cas où le principe s'applique.
La proposition de loi limite ces exceptions à une liste établie par la loi et en unifie le régime. Nous souscrivons à ce but ; les usagers sont parfois énervés, fatigués de la complexité des procédures.
Mais attention à ne pas complexifier la loi en prévoyant tous les cas, laissons une place au réglementaire. Nous voterons le compromis trouvé dans les amendements de séance.
Un mot cependant sur les raisons structurantes de cette situation. Depuis trop longtemps les usagers subissent privatisations, mutualisations et fermetures de services publics. La réalité est assez différente du joli tableau que vous nous avez présenté des maisons France Services.
Avec l'abandon de pans entiers de territoires, dans la ruralité ou certains quartiers, les citoyens peinent à trouver des interlocuteurs. Investir dans les services publics pour les rendre accessibles, c'est lutter contre les inégalités sociales et territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et INDEP)
Mme Nathalie Goulet . - Le SVA s'applique depuis le 12 novembre 2014 pour l'État et depuis le 12 novembre 2015 pour les autres administrations : établissements publics, collectivités territoriales, sécurité sociale, services publics administratifs.
Mais ce principe est très affaibli par des exceptions réglementaires. Selon le rapport remis par le Gouvernement au Parlement le 1er avril 2019, le taux brut d'application du SVA est de 34% : le principe général est devenu une exception, malgré les dispositions votées par le Sénat dans la loi ASAP, qui n'ont pas prospéré.
Madame la ministre, votre description de l'administration ne correspond pas tout à fait ce que nous connaissons dans nos territoires. Certes, le monde entier nous l'envie, mais elle est capable du meilleur comme du pire, avec des différences de jurisprudence entre les départements.
La numérisation n'est pas la solution à tout, alors que l'illettrisme numérique est toujours important.
Le texte de la commission a amélioré le dispositif, sans ajouter aux normes sous lesquelles l'administration croule. Elle a peu de personnel, beaucoup de messageries...
La confiance doit en effet être à la base des relations entre administration et usagers. Le groupe UC approuve le compromis proposé par la rapporteure et M. Jean-Pierre Sueur.
L'objectif de cette proposition de loi ne peut être que salué ; la commission l'a améliorée et nous la voterons ainsi amendée.
Madame la ministre, vous avez défendu votre action. Il est vrai que le droit à l'erreur a facilité les relations entre administration et usagers.
Cela dit, madame la ministre, il reste des pans entiers des relations entre l'administration et les citoyens qui ne sont pas satisfaisants. Je pense à l'urbanisme, où les choses sont de plus en plus compliquées. Ce n'est d'ailleurs pas la faute des administrations, mais de l'abondance des normes produites.
Ces sujets sont éminemment irritants, surtout dans les territoires ruraux. Toutes les améliorations possibles doivent donc être réalisées.
Nos concitoyens ont besoin de proximité. Or ce que nous vivons au quotidien, c'est que les centres de décision continuent de s'éloigner.
Le groupe UC votera ce texte dans la rédaction résultant de nos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER)
M. Henri Cabanel . - Au début du XXe siècle, Maurice Hauriou et Gaston Jèze ont travaillé sur le silence de l'administration, de même que Jacques Parrical de Chammard, juriste moins connu mais à qui l'on doit une thèse sur le recours contre le déni d'administration - chacun appréciera la formule...
La doctrine était unanime : la manifestation de volonté est l'élément indispensable de l'acte administratif. En 1969, le jeune Conseil constitutionnel confirmait le principe selon lequel le silence de l'administration vaut rejet.
C'est dire le bouleversement qu'a constitué la loi du 12 novembre 2013.
Le principe est clair : le silence de l'administration vaut désormais acceptation. Mais, en pratique, les exceptions admises sont nombreuses, aux mains du pouvoir réglementaire. Au bout du compte, moins de la moitié des procédures sont concernées...
Très tôt, les commentateurs, à l'instar de Paul Cassia, ont souligné qu'il n'y avait plus ni principe ni exception. Ce qui a accru la complexité pour les usagers comme les administrations - en particulier pour les collectivités territoriales.
Il faut admettre que le nouveau régime n'est pas vraiment satisfaisant. L'objectif initial de simplification a été trop perdu de vue.
Je salue donc l'initiative de Dany Wattebled, qui vise à fluidifier les rapports entre l'administration et les usagers.
La tâche est ardue, mais le Sénat ne renonce pas. Si les amendements déposés sont adoptés, le RDSE sera très favorable à la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur . - Madame la ministre, vous ambitionnez donc de « réhumaniser le service public »... Vous pourriez commencer par réhumaniser vos relations avec les sénateurs.
Récemment, nous avons refusé, à une très large majorité, de ratifier une ordonnance, dont les conséquences sont importantes pour l'organisation de l'État républicain. Je vous ai demandé quelles conclusions vous entendiez tirer de ce vote massif du Sénat. Allez-vous enfin trouver quelque chose à répondre ?
Ce matin, par 332 voix, nous avons refusé l'abus des ordonnances et réclamé des ratifications explicites par le Parlement. Dans le cadre de la réhumanisation de vos rapports avec nous, quelles conséquences allez-vous en tirer ?
Sur ces deux textes, allez-vous saisir l'Assemblée nationale ? Ou allez-vous, inflexible, considérer que ce que nous disons n'a aucune importance ? Vous faites un signe de dénégation... Mais, alors, quelles conséquences concrètes allez-vous tirer de nos votes ? La dernière fois, vous n'avez rien répondu : ce n'est pas une façon de réhumaniser les rapports... (Mme Pascale Gruny approuve.)
Le Gouvernement va-t-il continuer à faire des charrettes d'ordonnances ? Allons-nous continuer d'attendre des mois, voire des années, que paraissent les décrets d'application d'autant de lois ?
Mme Pascale Gruny. - C'est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce n'est pas le fait de ce seul Gouvernement. Mais puisque vous voulez réhumaniser le service public, il y a de quoi faire...
Quelque 20 % des lits dans les hôpitaux sont fermés par manque de personnels et de moyens, selon le Conseil scientifique. Comment comptez-vous réhumaniser l'hôpital ? Cette année, 5 700 lits supplémentaires ont été fermés !
Je remercie M. Wattebled et Mme Lherbier d'avoir remis d'actualité la loi de 2013, sur laquelle j'ai rédigé un rapport d'évaluation, en 2015, avec Hugues Portelli. Nous avions bien compris que le nouveau principe ne s'appliquait pas à un grand nombre de cas. Il faut absolument simplifier et préciser.
Ce texte ne résoudra pas tout, mais il contribuera à cette simplification.
Moi, je ne fais pas de grands discours sur la réhumanisation ; je suis et suis un socialiste réformiste, je fus et je reste rocardien. Sur la question du service public, la moindre des choses est de nous répondre, car votre ordonnance ne passe pas !
Je sais bien que le « en même temps » est à la mode. Mais on ne peut pas conjuguer la verticalité perpétuelle avec la réhumanisation dont vous parlez. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains)
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Je salue le travail constant de M. Wattebled pour optimiser les relations de l'administration avec les usagers.
Personne ne peut être contre les objectifs de ce texte, mais il y a un écart entre l'exposé des motifs et la réalité technique du dispositif.
Il s'agit de redonner vigueur et efficacité au principe : le silence de l'administration vaut acceptation. De fait, depuis 2013, les exceptions ont été multipliées, au détriment de la lisibilité de la réforme voulue par François Hollande.
Mais les mesures proposées posent certains problèmes. L'existence de deux listes distinctes pourrait pénaliser les collectivités territoriales et créer de l'insécurité juridique. Les dérogations proposées ne sont pas toutes pertinentes ; l'administration est la mieux placée pour adapter ses réponses.
Certains membres du RDPI voteront contre la proposition de loi, d'autres s'abstiendront.
Néanmoins, il faut poursuivre les réflexions sur ce sujet. De nombreuses démarches ont été entreprises par le Gouvernement pour renforcer l'accessibilité, l'efficacité et la qualité du service rendu.
Ainsi, la loi Essoc consacre et met en oeuvre le droit à l'erreur. Je pense aussi à la simplification des démarches administratives : la part des démarches du quotidien dématérialisée est passée de 63 à 85 %. La plateforme « Services publics + » va dans le même sens ; en un an, près de 3 millions d'usagers ont donné leur avis.
Dans la loi ASAP, le Gouvernement a dispensé les demandeurs de produire un justificatif de domicile pour obtenir une carte nationale d'identité, un passeport ou un permis de conduire.
Samantha Cazebonne, nouvelle sénatrice des Français de l'étranger, m'a dit néanmoins les difficultés des Français de l'étranger pour le renouvellement des titres d'identité auprès des services consulaires. Il faut continuer à agir pour les aider. Je salue le travail de long terme du Gouvernement pour un service de proximité plus simple, toujours au service des usagers. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Je salue le travail de l'auteur et de Mme le rapporteur.
Les relations entre l'administration et les Français, c'est une histoire compliquée ! En 1966, Georges Pompidou, Premier ministre, disait « Cessez d'emmerder les Français » lorsqu'on lui apportait les piles de décrets à signer. (Sourires)
En 2013, sous François Hollande, il y a eu une volonté de simplifier. Hélas c'est le Cid à l'envers : nous partîmes nombreux, mais par un prompt renfort de la technostructure, il ne resta pas grand-chose à l'arrivée. Ce fut un choc de complexité.
Dans les démarches pour obtenir une autorisation de travaux, pour faire curer un fossé, personne ne s'y retrouve plus. Entre la volonté politique de départ et la réalité à la fin, la différence est énorme : la technostructure a repris la main entre-temps.
Cela donne un État lourd, long, complexe, inaccessible. L'État a trop de travail : il produit norme sur norme, décret sur décret ; il faut des gens pour les concevoir, les appliquer, les contrôler, et pour sanctionner.
Cette simplification est urgente. Or si l'on veut réformer l'existant, on finit par le complexifier. Il faudra bien avoir le courage de la page blanche.
Les INDEP voteront cette proposition de loi, premier pas dans la compréhension entre les Français et leur administration. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Patricia Demas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec cette proposition de loi, Dany Wattebled nourrit la bonne intention de donner tout son sens au principe législatif SVA, pour simplifier le rapport à l'administration. Mais les moyens qu'il propose doivent évoluer, c'est ce à quoi la commission s'est employée.
En 2013, le principe SVR en vigueur depuis 1864 a été inversé. Le terme de « révolution juridique » apparaît rétrospectivement un peu fort... Le secrétariat d'État dut dresser une liste exhaustive des 3 600 procédures, dont 1 900 seraient encore éligibles au dispositif. À force d'exemptions, l'administration elle-même ne s'y retrouve plus.
La crise sanitaire a éclairé ce sujet : l'instruction des dossiers communaux par l'État a pris du retard, avec des silences valant refus alors que ces procédures relevaient du SVA et qu'aucun examen n'avait eu lieu.
L'affaire de la ferme des Mille vaches portée devant le Conseil d'État est un autre exemple : les juristes y trouveront matière à réflexion, les pragmatiques une illustration des subtilités paralysantes de notre droit, tandis que les pétitionnaires auront un sentiment d'injustice.
Mettre l'administration au service de l'usager, c'est faciliter le recours aux services publics, souvent dématérialisés. Une dématérialisation de 250 procédures est annoncée pour 2022. Le Secours populaire et d'autres associations s'en émeuvent et dénoncent une bascule trop brusque, qui laisse trop de monde sur le carreau. Trop vite, trop loin ? La transition est mal vécue et elle vide les territoires ruraux.
Il faut une administration au service des usagers, plus humaine, pragmatique. Le couple renforcé préfet-maire, au coeur du terrain, pourrait apporter ce souffle attendu. Sinon, on éloignera encore plus les citoyens des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Dany Wattebled et Jean-Pierre Decool applaudissent également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'auteur de cette proposition de loi, Dany Wattebled, dont le but est d'améliorer le quotidien des Français. Ce sujet important est très complexe.
Nous avons trois fonctions publiques : d'État, hospitalière et territoriale. La crise sanitaire a mis en évidence de nombreux problèmes et dysfonctionnements liés par exemple à la santé ou à la réglementation, révélant de nombreuses inquiétudes.
Le préfet est le représentant de l'État dans les territoires.
Dans les Ardennes, le 15 janvier 2021, madame la ministre, vous avez visité une maison de santé et un lieu de formation des jeunes. (Mme la ministre le confirme.) De nombreux intervenants de l'État étaient associés à ces rencontres. Les maires ont pu identifier ces interlocuteurs de proximité, ce fut utile.
Les usagers ont du mal à s'y retrouver, à trouver à qui parler. C'est une question de personnes.
Les administrations sont de moins en moins présentes sur le terrain, en témoignant la baisse du nombre de trésoreries. La tâche reste immense. Le groupe Les Républicains votera le texte après l'adoption des amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Les chantiers de la relation de confiance et de la simplification ne sont pas achevés, mais nous avons des résultats. Pas d'autosatisfaction : il y a eu des progrès, beaucoup reste à faire.
Non, ce Gouvernement n'a pas fait le choix d'abandonner des pans entiers du territoire. Il est le premier gouvernement depuis vingt ans à avoir choisi de rouvrir 2 000 lieux d'accueil pour qu'à moins de vingt minutes de chez eux, les Français trouvent une aide polyvalente pour leurs démarches.
Quatorze lieux France Services existent dans votre département, madame Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. - Et donc ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous n'abandonnons pas les territoires.
Mme Cécile Cukierman. - Je n'ai pas dit cela.
Madame Goulet, Jean Castex a décidé de réarmer l'État territorial. Il l'a affirmé dans sa déclaration de politique générale. Nous sommes le premier Gouvernement depuis 2008 à assumer le fait de remettre des agents sur le terrain. Nous n'avons fermé aucune sous-préfecture durant le quinquennat.
Vous avez soutenu des expérimentations, nous avons mis en place des dérogations. Nous croyons à la déconcentration, car nous ne pouvons pas gouverner le pays à coups de normes parisiennes. La France est hétérogène. Nous sommes attachés à la proximité.
Monsieur Sueur, ni la réforme de la haute fonction publique ni la réforme de l'hôpital public ne vous satisfont : je vous propose d'en discuter ensemble, dans un autre cadre que cet hémicycle.
Réhumaniser le service public est un objectif. Nous ne voulons pas numériser pour numériser. Un très grand nombre de Français apprécient de faire leurs démarches en ligne. Mais pour les autres, pour les plus fragiles et vulnérables, il y a de très nombreux lieux d'accueil. Il ne s'agit pas de subir la numérisation à marche forcée. Nous voulons à la fois un très bon numérique et un accompagnement très humain.
France services est un réseau de proximité pour ceux qui n'ont pas fait le choix du numérique. Le Gouvernement remet au coeur des territoires des lieux d'accompagnement, collectivement avec les collectivités territoriales et les associations. C'est au coeur de notre stratégie de service public.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet article :
Le code des relations entre le public et l'administration est ainsi modifié :
1° L'article L. 231-5 est ainsi rédigé :
« Art L. 231-5. - Par dérogation à l'article L. 231-1, le principe du silence vaut acceptation peut être écarté par décret en conseil des ministres, après avis du Conseil d'État :
« 1° Lorsque l'accord implique un acte positif de l'administration ;
« 2° Lorsque la demande impose à l'administration un choix entre des options concurrentes ;
« 3° Lorsque l'accord implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la sauvegarde de l'ordre public et la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle ;
« 4° Lorsque l'accord implicite aurait des conséquences négatives pour la sécurité sanitaire ou la protection de l'environnement ;
« 5° Lorsque la demande est liée à une profession réglementée. »
2° Le 4° de l'article L. 231-4 est abrogé.
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la ministre, je vous ai posé une question précise : quelle conséquence tirez-vous du vote massif du Sénat contre la ratification de votre ordonnance sur la réforme de la haute fonction publique ? Je pose la question au Sénat, dans l'hémicycle ! Sauf à considérer que notre vote n'a aucune importance, je ne comprends pas votre mutisme, marque de la verticalité du pouvoir.
Cet amendement se rapproche de celui de la rapporteure. Nous pensons que les dérogations au principe du SVA sont plus claires et précises, néanmoins, dans notre rédaction.
Mme la présidente. - L'article 36, alinéa 8, de notre Règlement impose à l'orateur de ne pas s'écarter du sujet. Votre première minute de discours y dérogeait...
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la présidente, la parole est libre ! J'assume mes propos !
Mme la présidente. - Amendement n°7, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 231-5 du code des relations entre le public et l'administration est ainsi rédigé :
« Art. L. 231-5. - L'application de l'article L. 231-1 peut être écartée par décret en Conseil d'État et en conseil des ministres dans les cas suivants :
« - lorsque la nature d'une demande ne permet pas à l'administration d'y faire droit par sa seule approbation ;
« - lorsqu'une décision implicite d'acceptation de l'administration serait susceptible de porter manifestement atteinte à l'intérêt public ;
« - lorsqu'une demande porte sur l'accès ou l'exercice d'une profession réglementée ;
« - lorsque l'application de l'article L. 231-1 augmenterait significativement le coût de traitement des demandes par l'administration ou porterait spécialement atteinte aux droits des tiers ;
« - lorsqu'une demande n'est pas détachable d'une demande principale pour laquelle l'application de l'article L. 231-1 est exclue. »
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Nous partageons la volonté de l'auteur de la proposition de loi de limiter la marge de manoeuvre laissée au pouvoir réglementaire dans l'aménagement du principe SVA.
À la suppression pure et simple des exceptions réglementaires, nous préférons cependant un encadrement plus étroit des dérogations.
Oui, monsieur Sueur, nos amendements sont proches, mais je crois que le mien fixe plus précisément les critères justifiant de s'écarter du principe SVA. Avis défavorable par conséquent à l'amendement n°1.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La loi n'est pas le meilleur vecteur. Gardons-nous de faire des lois sur des questions de cet ordre. Il faudrait surtout que l'administration réponde. C'est pourquoi je donnerai un avis de sagesse à tous les amendements, ainsi qu'à la proposition de loi. C'est de façon opérationnelle, sur le terrain, qu'il faut agir. C'est en ce sens que les agents et moi-même oeuvrons.
M. Dany Wattebled. - C'est une réécriture totale de l'article principal du texte. Cependant, elle va dans le bon sens. Nous voterons donc l'amendement n°7.
M. Jean-Pierre Sueur. - La ministre, représentante de l'administration, répond aux sénateurs-citoyens, représentants du public, par le mutisme. Je suis pleinement dans le sujet.
Notre amendement et celui de la rapporteure convergent. Nous maintenons le nôtre, mais voterons le sien en repli. Néanmoins, certains alinéas sont bien flous. Que signifie « manifestement » ? Et « significativement » ?
M. Philippe Bas. - Je remercie la ministre de l'avis qu'elle entend donner à tous les amendements. C'est une marque de considération à l'égard du Sénat dont elle reconnaît la sagesse, et elle aura ainsi plus de temps de parole pour répondre à l'excellente question du questeur Sueur : que compte faire le Gouvernement après le vote du Sénat sur l'ordonnance de refonte de la haute fonction publique ? (Mme la ministre s'impatiente ; Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Sueur approuve.)
Mme la présidente. - Par souci d'égalité, je rappelle à nouveau le Règlement.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'amendement n°7 est adopté et l'article premier est ainsi rédigé.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est un amendement de coordination.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Nous souhaitons la suppression de l'article.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sagesse.
Les amendements identiques nos2 et 8 sont adoptés.
L'article 2 est supprimé.
ARTICLE 3
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - L'article 3 est satisfait par l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : « À la demande de l'intéressé, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ».
Mme la présidente. - Amendement identique n°9, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Défendu.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sagesse.
Les amendements identiques nos3 et 9 sont adoptés.
L'article 3 est supprimé.
ARTICLE 4
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 231-6 du code des relations entre le public et l'administration est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce délai ne peut être supérieur à six mois. »
M. Jean-Pierre Sueur. - Si le délai de droit commun pour le principe SVA est de deux mois, l'article L. 231-6 du code des relations entre le public et l'administration permet d'y déroger lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie.
M. Wattebled propose un délai unique de quatre mois pour tous les cas où le délai de droit commun ne s'applique pas. Nous comprenons l'intention simplificatrice, mais l'idée n'est pas totalement réaliste. Certains cas d'urgence nécessitent un délai inférieur à deux mois.
Il paraît plus opportun de prévoir un délai maximal, fixé à six mois.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°4 est adopté et l'article 4 est ainsi rédigé.
ARTICLE 5
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous le retirons au profit de l'amendement de la rapporteure.
L'amendement n°5 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
Rédiger ainsi cet article :
Le code des relations entre le public et l'administration est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du second alinéa de l'article L. 114-3 est supprimée ;
2° L'article L. 114-5 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est supprimé ;
b) Au troisième alinéa, les mots : « Le délai mentionné au même article au terme duquel » sont remplacés par les mots : « Les délais mentionnés à l'article L. 114-3 aux termes desquels » et les mots : « est suspendu » sont remplacés par les mots : « ou acceptée sont suspendus » ;
c) Au dernier alinéa, les mots : « , selon les cas, » et les mots : « ou au troisième » sont supprimés.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - L'article 5 prévoit que le délai permettant l'acceptation tacite d'une demande commence à courir, le cas échéant, à la réception de celle-ci par une administration incompétente.
Une administration pourrait recevoir des demandes pour lesquelles une décision implicite d'acceptation serait déjà acquise. Nous proposons donc un nouveau dispositif pour la computation des délais en cas de demande de pièces complémentaires. Dans les deux cas, les délais seront suspendus dans l'attente des pièces demandées.
Dans le cadre d'une procédure SVA, une demande de pièces suspendrait simplement le délai ayant commencé à courir.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sagesse.
M. Dany Wattebled. - Cet amendement remanie beaucoup l'article, mais il sert le même objectif de simplification du point de vue des usagers. Nous le voterons.
L'amendement n°10 est adopté et l'article 5 est ainsi rédigé.
ARTICLE 6
Mme la présidente. - Amendement n°11, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
Alinéas 4 à 6
Supprimer ces alinéas.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Cet amendement rétablit l'obligation faite à l'usager de formuler une demande de motivation d'une décision implicite de rejet à l'intérieur du délai de recours contentieux. La suppression de cette condition de forclusion pourrait être particulièrement dommageable pour l'administration, qui s'exposerait à des demandes de motivation tardives.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis de sagesse.
L'amendement n°11 est adopté.
L'article 6, modifié, est adopté.
ARTICLE 7
Mme la présidente. - Amendement n°12, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
I. - Alinéa 2, tableau
1° Dernière ligne
Supprimer les mots :
et L. 114-5
2° Compléter ce tableau par une ligne ainsi rédigée :
L. 114-5 |
Résultant de la loi n° du visant à mettre l'administration au service des usagers |
II. - Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
III. - Alinéa 7, tableau
1° Dernière ligne
Remplacer la référence :
L. 232-4
par la référence :
L. 232-3
2° Compléter ce tableau par une ligne ainsi rédigée :
L. 232-4 |
Résultant de l'ordonnance n° 2015-1341 |
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Amendement de coordination.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°12 est adopté.
L'article 7, modifié, est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 7
Mme la présidente. - Amendement n°6, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi entre en vigueur deux ans après sa promulgation.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous proposons que la présente loi entre en vigueur deux ans après sa promulgation. Laissons les choses en l'état entre-temps et donnons à l'administration le temps de préparer sa mise en oeuvre.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°6 est adopté et devient un article additionnel.
Intervention sur l'ensemble
M. Dany Wattebled . - Je me réjouis que nous fassions avancer la simplification de façon concrète, car le renforcement du principe SVA est très attendu des particuliers comme des entreprises.
La commission, dans sa sagesse, a modéré la proposition de loi de façon pragmatique et réaliste, pour en faire un texte équilibré et raisonnable. Je remercie Mme la rapporteure.
Le Sénat envoie un message fort. La balle est dans le camp du Gouvernement, dont je me félicite de l'avis de sagesse. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
Vigilance sanitaire (Nouvelle lecture)
Discussion générale
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie . - (M. Martin Lévrier applaudit.) Avant-hier, nous avons constaté qu'un accord en CMP sur ce projet de loi n'était pas possible.
Les deux assemblées considèrent que la situation sanitaire justifie de prolonger les outils donnés au Gouvernement pour lutter contre l'épidémie de covid-19. Les divergences portaient principalement sur l'échéance à fixer pour la prochaine période de gestion de la crise sanitaire et sur les modifications des prérogatives accordées au pouvoir réglementaire.
Même si le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable laisse augurer un débat bref, je crois utile de rappeler le contexte de ce projet de loi et ce que celui-ci permet.
L'épidémie n'est pas terminée. Il y a un risque de rebond à l'approche de l'hiver.
Le nombre de cas augmente dans quasiment tous les pays européens. La situation est particulièrement préoccupante dans les pays de l'Est.
En France, la circulation épidémique reprend depuis quelques jours. Les hospitalisations et admissions en soins critiques sont en hausse dans plusieurs territoires. La vigilance s'impose, alors que notre système de santé est mis sous tension par d'autres maladies saisonnières.
Nous devons continuer à convaincre de la nécessité de la vaccination, en particulier pour les plus vulnérables. La campagne de rappel doit progresser encore plus vite.
En complément, nous devons conserver la faculté de prendre les mesures de freinage nécessaires. C'est l'objet du présent projet de loi.
L'échéance du 31 juillet prochain est pertinente ; elle a été entérinée par le Conseil scientifique et le Conseil d'État, chacun dans son domaine.
Cette prorogation a pour corollaire le renforcement de l'information du Parlement, avec des rapports d'étape sur lesquels des débats pourront se tenir, en commission ou en séance, en présence du Gouvernement. En outre, des synthèses mensuelles des mesures prises seront élaborées à destination des assemblées.
Le texte améliore aussi les outils de gestion de l'épidémie, sur la base de l'expérience des derniers mois. Le respect de l'obligation vaccinale pour les publics concernés et le contrôle contre les fraudes au passe sanitaire seront renforcés. Les campagnes de dépistage et de vaccination dans les établissements scolaires seront intensifiées.
Sans territorialiser le passe selon un critère unique, nous favorisons une mise en oeuvre strictement proportionnée au risque. Son utilisation sera ajustée si la situation le justifie.
Enfin, nous prorogeons des mesures d'accompagnement en les ciblant.
Ce texte reprend plusieurs dispositions importantes adoptées par le Sénat en première lecture. Je pense en particulier à la prorogation de l'état d'urgence en Martinique. Nous avons repris aussi des propositions de Mme Gruny, rapporteur pour avis, sur le périmètre de l'obligation vaccinale. Enfin, un article accompagne la création d'un système d'information analogue à Sidep en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, à la demande des élus.
Ce projet de loi est équilibré et adapté à la situation. Il concilie l'objectif de santé publique et le respect des droits et libertés. Le Sénat a largement contribué à préciser le cadre d'action lors des précédents rendez-vous législatifs sur ce sujet. Nous restons attachés à la nécessité et à la proportionnalité des mesures, et des recours seront possibles.
En cas de nouvel état d'urgence sanitaire, le Parlement serait saisi pour en autoriser la prolongation au-delà d'un mois.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Encore heureux !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Gouverner, c'est prévoir. Nous nous employons tous les jours à anticiper et à maintenir le bon équilibre. Ce projet de loi nous donne les moyens de continuer à gérer cette crise, avec toutes les garanties requises en matière de libertés publiques.
Je salue la participation du Sénat aux nombreux rendez-vous législatifs ayant permis de gérer la crise. Je ne doute pas qu'il continuera de porter un regard constructif, bien que sévère, sur notre action pour protéger la santé de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi qu'au banc de la commission)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au début de l'épidémie, il y a un an et demi, nous avons été pris au dépourvu : pas de masques, pas de tests, pas de gels hydroalcooliques, pas d'habitude des gestes barrières, pas de pratique massive du télétravail, pas de vaccins, pas de médicaments.
Les autres pays étaient dans une situation ni meilleure ni pire, sauf peut-être en ce qui concerne les masques - la gestion des stocks n'a pas été satisfaisante - et les tests - nous les avons beaucoup attendus.
Ces dispositifs pratiques ne pouvant être mis en oeuvre, il a bien fallu procéder d'une autre manière : ce fut le premier confinement. Le Sénat a répondu présent, car c'était alors la seule option possible.
Les rebondissements furent nombreux, mais l'expérience acquise depuis mars 2020 démontre que la restriction des libertés individuelles n'est pas le seul moyen de lutter contre l'épidémie. Sur tous les points, la situation a changé - même les médicaments, préventifs et curatifs, ont fait des progrès, et d'autres sont annoncés. À certains égards, les restrictions d'aller et de venir sont désormais des solutions de facilité...
Le Sénat de la République a accepté des restrictions inévitables - contraires à son identité profonde, qui est de défendre les libertés - et a toujours accordé au Gouvernement les moyens d'action qui lui paraissaient proportionnés, notamment avec le passe sanitaire. On ne pourra pas dire que le Sénat n'a pas assumé ses responsabilités.
La contrepartie de cet engagement aux côtés de l'État, c'est l'exigence d'un contrôle parlementaire qui adapte les moyens de lutte à la réalité de la situation sanitaire.
L'état d'urgence sanitaire est un régime temporaire, qui peut être activé à tout moment en fonction des circonstances, mais dont les mesures les plus restrictives des libertés ne peuvent être prolongées au-delà d'un mois sans l'accord du Parlement.
Le Sénat ne s'oppose pas à la prolongation des instruments de lutte contre l'épidémie, mais au dessaisissement du Parlement de ses droits de contrôle. La représentation nationale représente toutes les sensibilités des Français, et non une majorité, comme le Gouvernement. C'est pourquoi notre Assemblée a un rôle crucial : elle apporte une voix originale ; son oui est un oui libre, celui d'une assemblée indépendante et non alignée. Cette parole participe de l'acceptabilité des mesures.
Je dois dire ma tristesse et mon étonnement de voir le Gouvernement refuser ce qu'il acceptait il y a trois mois. Qu'est-ce qui a changé ? Serait-ce la perspective de l'élection présidentielle ? Nous ne changerons pas de position, contrairement à vous. Votre intransigeance laisse soupçonner une intention politique...
Nous réprouvons le non-respect des principes fondamentaux de nos institutions. Nous ne pouvons pas admettre qu'il n'y ait pas eu de discussion - car, les députés l'ont avoué, le Gouvernement l'a interdit. C'est déplorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Éliane Assassi . - L'épidémie est toujours là, mais l'urgence n'est plus la même. Rien ne justifie plus de perpétuer un état d'exception qui porte atteinte à des libertés essentielles, qui étend même la police sanitaire aux directeurs d'école.
Pourquoi une telle précipitation ? La France n'est plus à l'arrêt, l'épidémie a reculé, grâce à la vaccination. Les assemblées peuvent se réunir à tout moment pour débattre et voter, y compris pendant la suspension des travaux, pendant la campagne présidentielle.
La gestion solitaire par le Président de la République n'est plus acceptable : nous ne voulons plus de ses Conseils de défense opaques. La santé n'est pas un domaine réservé ! Au Parlement de reprendre ses prérogatives et de décider de chaque étape, démocratiquement.
Il y a pourtant une situation d'urgence qui exige des mesures urgentes : celle de l'hôpital public, menacé d'effondrement. En ne rouvrant pas les milliers de lits fermés, le Gouvernement nous fait courir un risque de grave crise en cas de nouvelle vague.
Le refus de la demande de rapport que le Sénat avait votée à notre initiative sur le sujet est éloquent.
Nous avons dénoncé la volonté de la majorité sénatoriale d'aménager l'état d'urgence et son excroissance, le passe sanitaire, sans renier la logique autoritaire et infantilisante du projet gouvernemental.
Notre groupe se prononce contre l'état d'urgence et le passe sanitaire : la priorité, c'est l'hôpital public. Nous refusons le passage à une société non pas de vigilance mais de surveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
Mme Nathalie Goulet . - M. Bas a déjà décrit la situation. Mais nous ne parlerons plus du sujet jusqu'en juillet ! Donc, profitons-en ! (Sourires)
L'échéance du 31 juillet 2022, qui enjambe deux élections, est inacceptable et injustifiée. Il eût été plus démocratique de ne prolonger un régime aussi dérogatoire que pour trois mois, d'autant que rien n'empêche de convoquer le Parlement pendant la suspension des travaux.
La date de juillet 2022 s'explique sans doute par des raisons politiques.
Le Gouvernement n'a rien voulu entendre sur la territorialisation du passe sanitaire - j'étais moi-même réservée, mais je regrette que toutes les propositions du Sénat aient été balayées.
L'article 4 porte une atteinte grave au secret médical des enfants.
Enfin, comment distinguer la situation sanitaire du pays de celle de l'hôpital ? La demande de rapport du Sénat était parfaitement justifiée.
Les conditions d'un dialogue constructif n'étant pas réunies, nous soutiendrons la question préalable.
Enfin, j'attends avec gourmandise la décision du Conseil constitutionnel sur l'amendement n°90 du rapporteur de l'Assemblée nationale qui rétablit une habilitation à légiférer par ordonnance. Un parlementaire ne saurait se défaire de ses compétences au profit du Gouvernement : c'était à ce dernier de déposer l'amendement !
Le groupe UC votera la motion présentée par la commission.
M. Henri Cabanel . - Il y a des CMP dont l'échec nourrit de profonds regrets. Mon groupe s'était prononcé contre ce projet de loi, y compris dans sa version sénatoriale : cet échec nous laisse donc indifférents.
La territorialisation du passe sanitaire était le minimum attendu.
Mais la reprise du texte de l'Assemblée nationale est inacceptable.
J'entends les arguments du Gouvernement en faveur de juillet : efficacité, performance, optimisation, tout le champ sémantique du management y passe. Pourquoi, dans ce cas, s'encombrer de cette vieillerie, la démocratie ?
Le choix du Sénat d'avancer la date au 28 février était le bon. Il faut savoir garder un cap. Le nôtre est toujours le même : refuser qu'un dispositif d'exception, par définition provisoire et extraordinaire, se pérennise et devienne la norme. Or c'est ce que fait ce projet de loi.
Pourquoi ne pas se réjouir du succès du passe sanitaire pour y mettre fin ? Les Français sont maintenant largement vaccinés et ne sont plus à la traîne. La liberté doit rester la règle et la mesure de police l'exception.
Nous sommes farouchement opposés à la diffusion des informations virologiques dans les écoles.
Le RDSE se prononcera toutefois contre la motion, conformément à son habitude.
Mme Esther Benbassa . - Le Gouvernement fait une fois encore le choix de l'autoritarisme et de la concentration du pouvoir, au détriment du bon fonctionnement démocratique, de nos libertés et du secret médical. Je réitère mon désaccord avec ce texte.
Le virus est là pour longtemps. Le Gouvernement nous condamne-t-il à vivre sous le joug d'une prorogation éternelle de l'état d'urgence ? Il nous faut apprendre à vivre avec le virus ; cela suppose de posséder un système hospitalier fonctionnel, alors que le Conseil scientifique révèle son épuisement, résultat de la politique désastreuse du Gouvernement.
Vivre avec le virus, c'est aussi optimiser les armes que nous avons. Le vaccin a fait ses preuves, mais certains de nos concitoyens restent réticents ; d'autres, précaires, sont exclus du système de vaccination. Il faut redoubler de pédagogie, encourager le recours à la troisième dose et lever les brevets sur les vaccins.
Je déplore la question préalable, mais la voterai néanmoins, face à un Gouvernement qui refuse le débat. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Voici le onzième texte sur la gestion de la crise sanitaire, le premier sur lequel nous ne nous sommes pas accordés en CMP. La position de l'Assemblée nationale nous inquiète. Neuf mois de durée : ce serait comme si nous vivions encore sous un régime voté en février 2021 !
Vous enjambez la campagne présidentielle. Cela signifie que le Gouvernement constitué après l'élection présidentielle - qui n'aura pas obtenu la confiance du Parlement - disposera de pouvoirs exceptionnels. Le Parlement ne peut renoncer à sa mission constitutionnelle de contrôle du Gouvernement, d'autant qu'il s'agit de nos libertés.
Depuis février 2020, les cafouillages sur les masques et les tests ont été particulièrement marqués en France. La gestion de la crise sanitaire a bénéficié du travail du Parlement qui renforce l'acceptabilité des mesures et repousse les fake news.
Mettre le Parlement dans un congélateur pendant neuf mois, c'est prendre des risques importants.
La situation en Europe de l'Est est effectivement inquiétante. Raison de plus pour ne pas mettre en route un pilote automatique.
Nous refusons la communication de données médicales aux directeurs d'école. Violer le secret médical parce que nous n'avons que 900 médecins scolaires pour 12 millions d'élèves, c'est inacceptable.
Nous regrettons que l'Assemblée nationale refuse la territorialisation du passe sanitaire, qui était un moyen de s'affranchir des contraintes là où la vaccination est suffisamment généralisée.
Seul petit sujet de satisfaction, l'évolution de l'Assemblée nationale sur les procurations pour les prochaines élections de l'Assemblée des Français de l'étranger.
Ce texte est prématuré. Quid de la troisième dose de rappel, notamment pour le Janssen ? Nous n'en saurons rien. Tout est laissé au secret du Conseil de défense.
La vaccination est un devoir civique. Le passe sanitaire doit évoluer avec les décisions européennes sur le certificat Covid UE attendues dans les prochaines semaines.
Nous voulons continuer à débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Martin Lévrier . - L'échec de la CMP a mis en exergue les divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat : la refonte des deux régimes - état d'urgence sanitaire et sortie de l'état d'urgence sanitaire - approuvés par les deux chambres et validés par le Conseil constitutionnel ; l'échéance ramenée au 28 février 2022, en dépit de la reprise pandémique ; la territorialisation et la gradation du passe sanitaire.
Trop de Français ne sont toujours pas vaccinés et l'apparition d'un nouveau variant plus contagieux est possible. L'hiver est propice à une circulation accrue du virus, qui alarme l'OMS. L'efficacité du vaccin semble s'affaiblir avec le temps. Le variant Delta est plus contagieux, et nous n'avons pas atteint l'immunité collective. Comment le texte dénaturé proposé par le Sénat aurait-il pu répondre à une nouvelle vague déjà perceptible ?
Dire que le Gouvernement voulait priver le Parlement de ses prérogatives ou enjamber l'élection présidentielle, c'est une figure de style.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est la réalité !
M. Martin Lévrier. - Les mesures les plus lourdes seront toujours soumises à la validation du Parlement au bout d'un mois.
On compte 250 000 cas et 3 600 décès par jour en Europe, les chiffres sont en hausse constante depuis des semaines, et il faudrait baisser la garde ? Le personnel soignant ne l'aurait pas compris.
Le « en même temps » qui allie sécurité sanitaire et libertés individuelles a fait ses preuves. Le contretemps que proposait le Sénat aurait mis en péril les bons résultats obtenus et fragilisé la protection de nos concitoyens.
Je me réjouis du vote à l'Assemblée nationale hier soir. Le RDPI votera contre la question préalable.
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Le temps presse, mais la CMP n'est pas parvenue à un accord. Bien sûr, la situation s'est améliorée. Les Français ont accepté les mesures barrières et nous faisons partie des pays les plus vaccinés au monde.
Mais l'épidémie est loin d'être terminée. La Russie est à l'arrêt jusqu'au 7 novembre et enregistre mille décès par jour. Plusieurs pays européens connaissent une reprise épidémique : 40 000 contaminations quotidiennes au Royaume-Uni, hausse de 40 % des hospitalisations en une semaine en Allemagne. Nous devons maintenir notre vigilance, d'autant que nous constatons nous aussi une hausse des hospitalisations.
Le passe sanitaire a amélioré le taux de vaccination ; certains veulent donc le supprimer, considérant qu'il a rempli sa mission. Mais les anticorps ne sont pas éternels, et une troisième dose sera sans doute nécessaire. Il faudra alors le maintenir.
Si la situation l'exige, le Parlement peut siéger pendant la suspension des travaux, mais la campagne présidentielle est un contexte peu propice à un débat serein. D'un autre côté, confier ces pouvoirs exceptionnels à un exécutif inconnu est préoccupant.
Beaucoup de doutes planent sur les prochains mois. Seule certitude : il va falloir continuer à lutter contre le virus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Stéphane Le Rudulier . - Que de regrets, que d'amertume ! En première lecture, le Sénat avait fait preuve d'esprit de responsabilité, notamment grâce au travail remarquable de son rapporteur, animé par la même exigence depuis le début de la crise : la défense d'un double équilibre, entre préservation de la santé et respect de l'État de droit, entre régime d'exception et libertés fondamentales.
Il a ainsi accepté de confier au Gouvernement des pouvoirs inédits à de multiples reprises, mais à chaque fois pour deux à quatre mois, pas plus.
L'Assemblée nationale n'a rien voulu savoir et a rétabli son texte, y compris sur la prorogation des régimes dérogatoires jusqu'au 31 juillet, l'absence de territorialisation du passe sanitaire et l'accès des directeurs d'école aux données virologiques des élèves.
L'argument du rapporteur de l'Assemblée nationale selon lequel la sortie du régime d'urgence actuel serait source d'instabilité est douteux. Le texte du Sénat maintenait à la main du Gouvernement des pouvoirs exceptionnels de régulation des déplacements ou de mise en oeuvre du passe sanitaire, mais à condition de rendre compte de leur usage devant le Parlement avant la fin février, afin d'en évaluer la proportionnalité à l'aune de l'évolution épidémique.
Contre cette date de rendez-vous, aucun argument sérieux n'a été opposé. La promesse d'un débat ou de la remise de rapports ne remplace pas la discussion d'un projet de loi. J'y vois un nouvel affaiblissement du Parlement.
La gestion de la crise exigerait une prise de décision rapide ? Sénateurs et députés ont montré leur capacité à légiférer vite, en siégeant la nuit et le week-end quand la situation l'exigeait.
De plus, l'urgence n'est pas la même qu'en mars 2020. Nous avons progressé dans de nombreux domaines, y compris dans la connaissance du virus.
En quoi l'approche de grandes échéances électorales empêcherait-elle tout débat serein ?
Enfin, la communication des données virologiques des élèves aux directeurs d'école est une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. La décision du Conseil constitutionnel de juin 2021 sur le secret médical laisse augurer de son inconstitutionnalité.
Le groupe Les Républicains votera la question préalable ; plus encore, ses membres déposeront dans les prochaines heures un recours devant le Conseil constitutionnel pour s'assurer de la constitutionnalité de certaines dispositions qui nous paraissent attentatoires aux droits et libertés fondamentales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Guy Benarroche . - Je ne pensais pas avoir à déplorer encore l'absence du ministre de la Santé. Peut-être est-il encore à Blois ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Il est à l'Assemblée nationale.
M. Guy Benarroche. - Notre pays a subi les décisions solitaires et tardives d'un Président n'écoutant personne si ce n'est un conseil ad hoc, ignorant et outrepassant les institutions existantes quand cela l'arrangeait.
Deux tiers des parlementaires refusent de vous laisser les mains libres pendant huit mois. Vous persistez pourtant dans votre volonté d'enjamber la consultation du Parlement. Après avoir réfléchi trop tard, vous voulez décider trop tôt... Nous refusons de vous accorder un tel blanc-seing, à vous ou à un futur Gouvernement inconnu.
Le GEST vous avait alerté dès le début sur les risques d'une généralisation excessive du passe sanitaire. Son efficacité réelle n'a pas été étudiée ni quantifiée. Elle a surtout consisté à inciter à la vaccination ; notre groupe y a toujours été favorable, mais dans le cadre d'un déploiement efficace qui atteigne les plus précaires. Le passe sanitaire les protègera-t-il ? Seule la moitié des personnes éligibles à la troisième dose l'ont reçue.
Alors que la moitié des personnes complètement vaccinées ont reçu les deux doses avant le 1er juillet, comment ne pas évoquer la baisse de l'immunité de la population, alors que vous voulez imposer le passe sanitaire jusqu'en juillet prochain ? Comment pouvez-vous refuser d'évoquer l'association du rappel vaccinal au passe sanitaire ? Pourquoi ne répondez-vous jamais ?
Le passe sanitaire a un effet pervers : l'illusion de la protection, qui s'accompagne du relâchement des gestes barrières. Ce projet de loi va trop loin en créant un état d'urgence de précaution contre un risque non quantifié. Le GEST votera contre. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
La discussion générale est close.
Question préalable
Mme le président. - Motion n°1, présentée par M. Bas, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire n° 131 (2021-2022).
M. Philippe Bas, rapporteur . - J'ai déposé une motion tendant à opposer la question préalable, pas de gaieté de coeur, mais en raison de l'obstination du Gouvernement à refuser tout dialogue avec le Sénat, à discuter d'amendements raisonnables et constructifs - qui nous laisse sans espoir.
Le travail parlementaire n'est pas un théâtre d'ombres. Nous n'allons pas faire semblant de croire que vous pouvez encore accéder à nos raisons.
Il aurait fallu que nous percevions au moins les prémices de la recherche d'un accord - et des arguments. Or nous n'en avons entendu aucun pour justifier cette demande extravagante de prolonger encore huit mois et demi un passe sanitaire conçu pour durer trois mois et demi.
Certes, rien n'impose d'utiliser le passe sanitaire, mais le Conseil scientifique vous a recommandé d'en préparer la sortie. Nous l'avons pris au mot.
Notre proposition ménage la possibilité de maintenir le passe sanitaire dans les territoires où l'immunisation est insuffisante tout en délivrant les habitants des autres territoires. Comment pouvez-vous vous opposer à cette proposition de bon sens ?
À chaque fois que vous les sollicitiez, le Sénat vous a donné sans hésiter des moyens d'action, après avoir vérifié qu'ils étaient appropriés à la situation.
Vous avez demandé à l'Assemblée nationale que le Président de la République, le Premier ministre et son gouvernement qui seront élus en mai 2022 reçoivent une lettre de crédit pour prendre des mesures de restriction des libertés, à un moment où les paramètres de l'épidémie auront profondément évolué.
S'il y a des signes préoccupants de reprise de l'épidémie, il y en a aussi d'autres montrant que notre manière de l'affronter doit changer. Ce n'est plus aux vaccinés de protéger les réfractaires, mais à ces derniers, qui ont eu toutes les possibilités de le faire, d'assurer leur protection.
Cette chape pesant sur nos libertés est périmée ; il faut se concentrer sur d'autres moyens, tout en se donnant la possibilité de prendre des mesures plus énergiques si l'épidémie l'impose.
Nous ne pouvons pas continuer à animer un débat rendu stérile par votre intransigeance.
Il y a d'autres motifs de voter cette question préalable. D'abord, l'adaptation des instruments de lutte contre le Covid doit prendre en compte l'évolution de la situation.
Ensuite, il y a ce stupéfiant amendement qui permettrait aux chefs d'établissement scolaire de discriminer les enfants selon leur statut vaccinal. Peut-on traiter les enfants différemment des adultes ? Si un salarié est cas contact ou positif, son employeur est-il prévenu de son statut vaccinal ? Non. Au salarié de prendre les mesures qui s'imposent. Un enfant positif doit respecter les mêmes règles, sans en donner les raisons au chef d'établissement qui ne saurait être investi de pouvoirs de police sanitaire.
Le Gouvernement largue les amarres du respect de l'État de droit et s'affranchit du contrôle parlementaire. Nous ne pouvons que rejeter dès à présent vos propositions, non sans avoir tenté de les amender afin de dégager un large consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Yves Leconte . - Monsieur le rapporteur, le groupe SER partage vos inquiétudes sur la durée des dispositions proposées, sur la transmission des données vaccinales aux chefs d'établissement ou sur le refus de territorialisation du passe sanitaire.
Nous regrettons l'échec de la CMP et déplorons le refus de débattre de l'Assemblée nationale, ainsi que l'absence de réponse du Gouvernement sur la dose de rappel.
La ministre elle-même ne sait rien des arbitrages présidentiels. C'est terrifiant, sur un sujet qui nécessiterait l'adhésion de la population.
Nous sommes attachés au rôle du Parlement, et c'est justement pour cela que nous refusons qu'il soit absent des prochaines prises de décision. Il est paradoxal de refuser que le Sénat joue son rôle en nouvelle lecture. Pourquoi ne pas utiliser la possibilité de réécrire ce texte ? Ne désespérons pas, et allons jusqu'au bout de nos prérogatives en nouvelle lecture. Le contexte exige que la population adhère aux mesures qui seront prises.
Madame la ministre, convainquez votre majorité d'obtenir un consensus. Il ne peut y avoir un seul camp qui décide de tout.
Monsieur le rapporteur, même en défendant cette motion, vous n'avez pas résisté au besoin de continuer à essayer de convaincre. Il n'est pas trop tard pour la retirer. Remettons-nous à l'ouvrage pour arriver à un texte acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. - Le CRCE est opposé à ce onzième projet de loi. La réécriture du Sénat ne nous avait pas convaincus, car elle ne remettait pas en cause le principe du passe sanitaire.
Ce projet de loi fait disparaître le Parlement des radars pour plusieurs mois. En première lecture, je vous avais alertés sur l'effet cliquet : des mesures exceptionnelles sont détournées vers d'autres objectifs. Nous en avons un exemple tout récent : l'utilisation, dans la lutte contre les violences conjugales, d'un dispositif introduit dans le code de procédure pénale en 2016 pour les besoins de la lutte antiterroriste. Cela nous interroge, même si l'on ne peut en rabattre pour combattre les violences conjugales.
Le groupe CRCE votera la question préalable, non pour valider la version sénatoriale, ni celle du Gouvernement, mais pour dire que nous ne sommes pas dupes. À l'approche des prochains scrutins, la vérité est ailleurs...
M. Guy Benarroche. - Une fois de plus, le Gouvernement veut faire cavalier seul, sans concertation. Dès la discussion générale, madame la ministre, vous avez confirmé votre détermination à ne pas bouger d'un iota sur l'échéance de juillet 2022 que rien ne justifie.
Le GEST aurait abordé de la même manière cette motion si elle avait été présentée par un autre que le rapporteur. Le Sénat ne s'est pas défilé, depuis le début de cette crise, pour avaliser ou proposer des mesures parfois difficiles. Il faut aujourd'hui dire « Stop ! » à ce mode de fonctionnement. Prenez vos responsabilités et passez en force, ou écoutez-nous. Vous refusez la discussion et nos propositions. Dont acte.
Même si nous ne sommes pas en accord avec la version du texte du Sénat, le GEST votera la question préalable.
Mme Nathalie Goulet. - Le groupe UC votera lui aussi cette motion. Je remercie la ministre de sa présence en séance - ce n'est pas le cas de tous vos collègues !
Vous le savez, nous aimons débattre. Ne pas débattre jusqu'au bout n'est pas un constat d'échec, mais un moyen de vous faire comprendre qu'il ne nous reste que les arguments de procédure pour être entendus. Nous préférerons toujours une CMP conclusive. Ce ne sera pas le cas aujourd'hui, je le regrette.
M. Alain Houpert. - Je vous remercie d'être présente, madame la ministre, vous qui portez un nom qui me rappelle ma région... (Sourires) Cette question préalable n'est pas un mouvement d'humeur du Sénat ; ce mouvement a eu lieu à l'Assemblée nationale, où ce texte n'est passé qu'à une majorité de vingt voix... Vingt parlementaires, sur plus de 900, qui vont imposer ce texte à 67 millions d'habitants.
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°22 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 222 |
Contre | 116 |
Le Sénat a adopté.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Je voudrais dire « merci quand même », pour la qualité des débats et le respect qui a prévalu dans cette assemblée, dans la sobriété et le calme. Ce n'est pas le cas partout ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
Prochaine séance, lundi 8 novembre 2021, à 16 heures.
La séance est levée à 20 h 30.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du lundi 8 novembre 2021
Séance publique
À 16 heures
Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président
Projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 (discussion générale) (n°118, 2021-2022)
Le soir et la nuit
Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président
Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 (discussion des articles) (n°118, 2021-2022)