SÉANCE
du jeudi 4 novembre 2021
16e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Georges Patient, vice-président
Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Loïc Hervé.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Mise en place d'un Agenda rural européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution demandant la mise en place d'un Agenda rural européen présentée, en application de l'article 34 - 1 de la Constitution, par M. Patrice Joly et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution . - Vienne, Rome, Prague, Madrid, la liste est longue des belles capitales européennes, dont fait partie, bien sûr, Paris. Ah, Paris ! Ville lumière, villes des arts, écrin de Notre-Dame, du Louvre, de la Tour Eiffel... Pour Jules Renard, une ville à laquelle il ne manquait que deux lettres pour être un paradis.
Mais la France n'est pas seulement Paris et le monde entier nous envie aussi nos campagnes : Leben wie Gott in Frankreich, dit-on en allemand, pour vanter notre art de vivre, nos paysages, nos terroirs.
Et pourtant, notre pays a occulté trop longtemps cette richesse que nos compatriotes ont redécouverte pendant les confinements et à la faveur de vacances sur le territoire national.
La confiscation de la beauté, dans l'imaginaire collectif, par certaines villes a entraîné une forme de déclassement territorial, un mépris de classe envers des zones jugées trop banales, trop motorisées, trop supermarchisées.
L'État participe à cette ségrégation des territoires : le ministère de la Culture dépense 139 euros par Francilien, et seulement 15 euros pour les habitants des autres régions !
Pourquoi l'Europe ne soutient-elle pas le patrimoine et la vie artistique des territoires ruraux ? Pourquoi ne pas promouvoir des « campagnes européennes de la culture », sur le modèle des « capitales européennes de la culture » ?
Les représentations que nous avons des territoires déterminent les politiques publiques.
Qu'est-ce que la ruralité ? 80 % du territoire, 30 % de la population. Qu'a-t-elle été ? Oubliée, au profit d'une métropolisation inconsidérée. Que demande-t-elle ? Une juste considération.
En 2015, était adopté un Agenda urbain européen. Il est désormais urgent d'agir de la même façon pour les territoires ruraux, proches d'un point de rupture.
Accès aux soins, à la mobilité, aux études supérieures, au numérique ou à la culture : les fractures territoriales se creusent.
Malgré des résultats supérieurs à la moyenne nationale au bac, les jeunes ruraux sont deux fois moins nombreux à être diplômés de l'université que les urbains.
Conséquence de la désertification médicale des campagnes, l'espérance de vie y est inférieure de deux ans par rapport aux villes. Rien d'étonnant, quand six millions de ruraux habitent à plus de trente minutes des urgences - sans parler des fermetures des maternités, qui mettent femmes et enfants en danger en allongeant les temps de trajet.
Quant à la mobilité, quelle alternative à l'auto-solisme, quand neuf ruraux sur dix sont dépendants de la voiture ? Pour une part importante de nos concitoyens, surtout les plus fragiles, l'absence de transports s'apparente à une assignation à résidence.
Face à ces fractures, nous ne nous résignons pas et prônons une politique ambitieuse pour nos campagnes. « L'inaccompli bourdonne d'essentiel », comme aurait dit René Char.
Il s'agit d'offrir une vision à long terme pour les territoires ruraux, en agissant pour le bien-être social, la préservation de la nature et de la qualité de vie. Ce sera aussi l'occasion de mesurer et valoriser les services écologiques qu'ils rendent à la société tout entière.
Espérer, c'est démentir l'avenir. Cet Agenda rural européen doit démentir l'avenir que certains prédisent à nos campagnes, à savoir de vivre à la remorque des métropoles.
Nos territoires vivent dans leur temps et ont tous les atouts pour contribuer à la relance, à la reconquête de nos souverainetés. Ils peuvent assurer à l'Union les ressources nécessaires aux transitions qu'elle devra mener et participer à la construction du « monde d'après ». Ils sont une réponse à la question posée par Bruno Latour : Où atterrir, pour une meilleure habilité du monde ?
L'avenir de la France et de l'Europe passe par la coopération entre des territoires d'égal intérêt, d'égale dignité. Abandonnons les logiques centre-périphérie au profit de l'organisation en réseau.
À travers cet Agenda rural européen, nous voulons que l'Europe prenne en compte la ruralité au-delà de la PAC. Un tel agenda doit être l'affirmation de l'ambition européenne pour ces territoires et l'occasion d'un grand plan d'action.
Même si l'Agenda rural français de 2019 reste incantatoire, car financièrement modeste, il peut être une trame pour un Agenda rural européen.
À l'heure où les Européens manifestent un désir de campagne, la future présidence française devra sensibiliser la Commission sur la nécessité de ruraliser l'Europe. Notre pays, qui dispose du plus vaste et du plus bel espace rural d'Europe, a toute légitimité à agir.
Il s'agit d'un enjeu de considération pour des populations longtemps délaissées, qui se détournent d'une Europe jugée trop lointaine.
Montrons que le Sénat est bel et bien la chambre des territoires, de tous les territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, Les Républicains, UC et du RDSE)
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien !
Mme Patricia Schillinger . - « Unis dans la diversité ». Cette devise rappelle que c'est en se nourrissant de sa diversité que l'Union européenne oeuvre pour la paix et la prospérité.
Cette proposition de résolution invite l'Union à prendre conscience de la diversité de ses territoires en donnant toute leur place aux régions rurales. Avec 137 millions d'habitants, soit 30 % de sa population, la ruralité fait certes partie des préoccupations de l'Union mais n'a jamais fait l'objet d'une politique transversale et ambitieuse.
Cette proposition de résolution demande au Gouvernement de porter cette ambition au niveau européen à l'occasion de la présidence française de l'Union, en se dotant d'un Agenda rural européen. Qui mieux que la France peut le faire ? N'a-t-elle pas été le premier pays à se doter d'un Agenda rural national, en septembre 2019 ? Depuis, 92 mesures ont été réalisées, 77 autres sont en cours.
Cet agenda a permis des avancées substantielles dans la couverture numérique, pour la jeunesse et l'égalité des chances, pour l'école - avec la prise en compte des classes multi-âges - et dans le soutien aux collectivités locales. L'opération « 1000 cafés », le programme « Petites villes de demain », le plan « Avenir Montagne » ou les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) en sont des exemples.
Le déploiement des maisons France Services fournira à tous les habitants un socle de services publics à proximité de chez eux.
L'accès aux soins est une des problématiques majeures des territoires ruraux. Nous avons consacré un rapport, avec Philippe Mouiller, aux initiatives mises en oeuvre par les collectivités territoriales en la matière. La télémédecine, soutenue par les pouvoirs publics, a connu un grand essor durant la crise : il faudra pérenniser ces pratiques.
Dans tous ces domaines, la France a su agir en faveur non de la ruralité, mais des ruralités. Il faut saisir les spécificités de nos territoires pour dynamiser leur économie et améliorer la vie des Français qui y vivent, en vertu du principe républicain d'égalité. Conformément à l'Agenda rural, chaque cabinet ministériel, chaque administration centrale, chaque préfecture a désigné un référent ruralité.
Le groupe RDPI est persuadé que nous pouvons amplifier cette action grâce à la puissance de l'Union européenne. Nous voterons cette proposition de résolution et faisons entière confiance au Gouvernement français pour porter cette ambition au niveau européen. (MM. Bernard Jomier et Patrice Joly applaudissent.)
M. Bernard Jomier. - C'était presque parfait : il y avait juste une phrase en trop ! (Sourires)
M. Daniel Chasseing . - Je félicite les auteurs de cette proposition de résolution. Comment penser la ruralité mieux qu'à l'échelle européenne ? L'Europe est jalonnée de territoires ruraux et hyper-ruraux où vit un tiers de sa population. La Commission européenne s'est d'ailleurs dotée d'une vision de long terme pour les zones rurales à l'horizon 2040. Un Agenda rural européen permettrait d'accompagner le dynamisme de leurs habitants.
Notre agriculture est un atout. Donnons-lui les moyens de se diversifier, d'effectuer progressivement ses transitions et de maintenir l'aménagement du territoire.
La stratégie européenne Farm to Fork n'est pas satisfaisante. Nous ne devons pas sacrifier une agriculture forte sur l'autel de la transition écologique, dont elle est l'un des meilleurs vecteurs. Notre souveraineté alimentaire en dépend. Si nous devions importer davantage en provenance de pays plus pollueurs, nous perdrions sur tous les tableaux. Nous devons relancer notre agriculture qui a perdu des parts de marché depuis quinze ans.
Revitaliser notre ruralité, c'est aussi revitaliser nos petites villes, villages et centres-bourgs. Je regrette les propos de la ministre du logement, Mme Wargon : non, les maisons individuelles ne sont pas un non-sens écologique ! Ce modèle attire de nouveaux habitants dans les campagnes, ne les décourageons pas. La rénovation et la construction de bâtiments neufs doivent certes respecter les règles environnementales, mais ne condamnons pas la maison individuelle...
La pandémie a révélé le désir des Français de vivre à la campagne. Nous devons travailler sur l'accès au numérique, la création d'emploi, la réindustrialisation, le développement du tourisme. De même, il est crucial d'améliorer l'accès à la santé et à l'éducation.
Pour tout cela, nous avons besoin de l'Union européenne et surtout de moyens. La Commission doit faire des propositions financières pour le développement des zones rurales. L'excellent rapport de Colette Mélot comporte deux recommandations essentielles : la mise en oeuvre d'une ingénierie locale pour que les fonds soient bien répartis sur le territoire et la nécessité d'écouter les acteurs de terrain. La diversité de nos territoires fait la beauté de notre pays !
Les Indépendants voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. Jean-François Rapin . - Merci au groupe SER pour son initiative opportune. La ruralité fait partie de l'ADN de l'Europe. Ses politiques communes lui sont liées : la PAC et la politique de cohésion, malgré les baisses, représentent toujours 60 % du budget communautaire.
Mais il faut aussi admettre que les résultats sont décevants et les perspectives inquiétantes. Désagrégation du tissu industriel et artisanal, rentabilité déclinante de l'activité agricole ou recul continu des services de base : chacun connaît les difficultés rencontrées par les régions rurales. S'y ajoute une lente paupérisation, avec un PIB par habitant qui plafonne à 70 % de la moyenne européenne, contre 120 % dans les zones urbaines. Le tableau est sombre.
Les objectifs fixés par les traités ne sont pas atteints. La population agricole devrait avoir un niveau de vie équitable et l'écart de développement entre villes et campagnes être significativement réduit. Or nous voyons croître la détresse d'un monde rural qui se sent abandonné, méprisé par des urbains qui voient les campagnes comme un musée naturel à ciel ouvert plutôt que comme un bassin de vie et d'activité.
Après l'Agenda urbain de 2016, il est temps que l'Europe se dote d'un Agenda rural. La Commission a proposé le 30 juin dernier une « vision à long terme pour des zones rurales plus fortes, plus connectées, plus résidentes et plus prospères », preuve que le sujet est pris au sérieux. L'observatoire rural est bienvenu, de même que le test rural qui analyse l'effet de chaque politique européenne sur ces espaces.
Le budget européen étant fixé jusqu'en 2027, les plans de relance nationaux étant ficelés, les marges de manoeuvre sont bien minces : le pacte rural s'appuiera donc sur les réseaux existants. Le plan d'action rural se contentera d'outils de dialogue, de retours d'expérience et d'échanges de bonnes pratiques. L'ensemble reposera sur une boîte à outils, avec un simple recensement des instruments financiers existants.
Aucun fonds nouveau, aucun outil robuste n'est donc proposé. Quel sera l'impact réel ? Espérons que cette vision proposée par la Commission ne sera qu'une première étape. C'est pourquoi nous souscrivons à cette proposition de résolution de Patrice Joly.
Enfin, évoquons l'agriculture. La stratégie « de la ferme à la table » de la Commission européenne, censée accélérer la transition agro-écologique, entraînera une baisse de production de 10 à 15 % - avec des conséquences négatives sur le prix, le bilan carbone des produits que nous devrons importer, sur notre souveraineté alimentaire et sur le revenu des agriculteurs.
Outre la politique environnementale, il nous faut développer une politique commerciale et de concurrence adaptée aux réalités de l'agriculture. Nous serons attentifs aux initiatives que portera la présidence française de l'Union européenne.
La crise sanitaire a confirmé qu'un retour au rural est possible en Europe. Mais il faudra l'accompagner pour que les habitants bénéficient d'opportunités, de revenus et de services suffisants pour y construire leur avenir. (MM. Patrice Joly et Jean-Claude Anglars applaudissent.)
M. Joël Labbé . - Je remercie le groupe SER d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour. Les territoires ruraux sont une vraie richesse, nous en sommes convaincus. Ce sont des viviers d'innovation sociale, notamment pour la transition écologique et solidaire.
La crise sanitaire a créé une envie de ruralité nouvelle, mais les inégalités persistent. Ces territoires connaissent des difficultés pour l'accès aux soins, aux services publics, au numérique, aux commerces, aux transports, à l'emploi - source d'un sentiment d'abandon et de relégation. Les fonds européens consacrés au développement rural n'atteignent pas leurs objectifs. D'où l'intérêt d'un Agenda rural européen.
Les axes de travail de la proposition de résolution sont très intéressants : revitalisation des centres bourgs, lutte contre la pauvreté et inégalités entre les femmes et les hommes, interconnexion avec les espaces urbains, soutien aux initiatives locales, préservation du patrimoine...
L'économie sociale et solidaire a un rôle important à jouer : épiceries solidaires, cafés associatifs, tiers lieux, magasins de producteur...
Le soutien au logement doit respecter les exigences environnementales, via le soutien à rénovation de logements vacants et à la revitalisation des bourgs.
La nouvelle PAC ne va malheureusement pas dans le sens d'un développement rural équilibré. La relocalisation de l'alimentation est pourtant un levier majeur pour un développement rural reposant sur une agriculture paysanne dynamique. Plutôt que d'encourager l'agrandissement des fermes par les aides à l'hectare, il faut promouvoir une PAC plus écologique, liée aux terroirs, à l'alimentation, aux marchés locaux.
L'accueil de migrants en milieu rural est aussi un sujet très important. Il nous faudra accueillir ces migrants : plutôt que de les cantonner dans les périphéries des villes, planifions un accueil humaniste, régulé, sur l'ensemble du territoire national. Ces populations, d'origine rurale, contribueraient à la revitalisation des bassins de vie et d'emploi.
Nous voterons très favorablement pour cette résolution. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Marie-Claude Varaillas . - Les inégalités entre ruraux et urbains sont criantes. Les écarts d'espérance de vie se creusent : de trois mois en 1990, il est aujourd'hui de deux ans.
La résolution rappelle que 92 % des Français trouvent le rural attractif, grâce à la beauté des paysages et à un patrimoine exceptionnel. Cela n'empêche pas le chômage, la désertification, le sentiment d'abandon, terreau du mouvement des gilets jaunes.
Point positif, l'accent mis sur la prise en compte de la situation particulière des femmes en milieu rural, objet d'un récent rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
Mme Nathalie Goulet. - Excellent !
Mme Marie-Claude Varaillas. - La proposition de résolution évoque quelques mesures concrètes, notamment l'accès à un socle universel de services à moins de trente minutes via un plan de soutien au commerce rural et au logement - mais seulement dans son exposé des motifs. Elle passe sous silence les causes profondes de ces inégalités, à commencer par le totem de la concurrence libre et non faussée et l'impératif de réduction de la dépense publique imposés par Bruxelles.
La métropolisation a renforcé la concurrence entre territoires et fragilisé les zones rurales : le ruissellement attendu n'a pas eu lieu.
Les politiques de rétraction de la présence l'État ont accentué le sentiment de relégation, nourrissant le vote extrême.
L'Agenda rural de 2019 ne changera pas la donne. Les maisons France Services ne sont qu'un pis-aller face à la fermeture des services publics.
Après deux lois EGalim, les revenus agricoles n'ont toujours pas augmenté.
Malgré les efforts des élus, l'accès à la santé reste très problématique.
Les zones de revitalisation rurales (ZRR) devront être pérennisées pour faciliter l'installation de médecins et d'entreprises.
Le monde rural est en souffrance. Il est pourtant source de solutions et d'innovation, ce qui implique de revoir intégralement notre politique d'aménagement du territoire et d'augmenter les dotations de fonctionnement pour redonner une place centrale à l'échelon communal.
Nous plaidons pour le retour de services publics sous maîtrise publique. Cessons de sacrifier nos campagnes sur l'autel du libéralisme économique ! Sans quoi, cet Agenda rural européen ne servira à rien.
Nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution.
M. Bernard Delcros . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voilà une proposition de résolution opportune, à quelques semaines de la présidence française de l'Union européenne. C'est un moment clé pour porter l'idée que l'espace rural peut apporter des réponses aux défis environnementaux, économiques et de cohésion sociale du XXIe siècle. La ruralité est une chance à saisir !
La Commission européenne a publié sa vision à long terme pour des zones rurales « plus fortes, mieux connectées, résilientes et prospères » à l'horizon 2040.
Avec la crise sanitaire, la ruralité est apparue comme un choix de vie durable possible, grâce au numérique.
La valeur ajoutée de l'espace rural, sa créativité et son agilité, pourtant considérables, sont largement sous-exploitées. Pire, les inégalités s'accroissent dans l'accès aux services d'intérêt général et aux infrastructures de base.
Les services offerts dans la ruralité ne sauraient être des services au rabais ! Nous devons y bâtir une offre de services structurante et de qualité : accès aux soins, mobilités, éducation, accès aux nouvelles technologies et à la culture. C'est ainsi que les ruralités répondront pleinement aux attentes et aux nouveaux enjeux.
La France est en situation de défendre cette volonté politique à l'échelle européenne. La prochaine présidence du Conseil est une occasion unique de promouvoir un Agenda rural européen ; elle a toute la légitimité nécessaire, grâce à son Agenda rural national.
Nous voterons cette proposition de résolution, qui s'inscrit dans cette perspective, de même que les événements que M. Joly et moi-même préparons ensemble, à Bruxelles et à Strasbourg, avec l'association Nouvelles ruralités. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. Christian Bilhac . - Cette proposition de résolution appelant à la mise en place d'un Agenda rural européen est bienvenue.
En 2018, le Parlement européen adoptait une résolution en vue d'une feuille de route pour les territoires ruraux. Le 30 juin dernier, la Commission européenne présentait sa vision à l'horizon de 2040.
Les objectifs sont ambitieux, en matière de connectivité, de transports, de résilience au changement climatique ou de développement des circuits courts ; la valorisation des zones rurales est abordée de façon transversale, de l'agriculture au tourisme en passant par la culture.
Les intentions sont bonnes, mais que de temps perdu ! Depuis la mise en place de l'Agenda urbain, en 2015, 30 % de la population européenne a été laissée de côté.
Des déserts médicaux aux zones blanches numériques, les fractures territoriales sont autant de handicaps au développement de nos territoires, malgré les efforts des collectivités territoriales. Ces difficultés, nous les connaissons bien : pour résumer, on paie à la campagne pour ce qui est gratuit en ville ! (Mme Nathalie Goulet renchérit.)
En 2014, notre ancien collègue Alain Bertrand avait proposé un pacte national en faveur de l'hyperruralité, appelant à une troisième phase de décentralisation et à une démétropolisation ; les territoires ruraux, constatait-il, vivent un déménagement davantage qu'ils ne bénéficient d'un aménagement... Nombre de ses recommandations sont transposables à l'échelle européenne.
Avec la crise sanitaire, les territoires ruraux ont retrouvé une forte attractivité. De nombreux Européens reviennent au vert, à la recherche d'air pur et d'une meilleure qualité de vie. Par ailleurs, la fonction nourricière des campagnes, trop longtemps oubliée, est revenue au premier plan.
L'interdépendance entre territoires urbains et ruraux, leur complémentarité, ne sont plus à démontrer. Que seraient les métropoles sans les territoires ruraux de leur périphérie ? Il faut en tirer les conséquences en Europe sur la réorientation des fonds structurels et de la politique agricole commune.
Notre siècle a 20 ans : fixons sans tarder un cap, assorti de moyens financiers, pour faire vivre la ruralité du XXIe siècle. En France comme en Europe, il ne doit exister nulle part de sous-territoires et de sous-citoyens !
La présidence française de l'Union européenne est une opportunité pour agir plus vite.
Nous sommes habitués à transposer en droit français les directives européennes. Eh bien, transposons aussi les normes, trop souvent d'essence urbaine, pour qu'elles ne nuisent pas au développement des territoires ruraux !
Le RDSE attend du Gouvernement des engagements fermes, notamment autour du plan de relance européen. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Jean-Jacques Lozach . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte appelle à renforcer le fil ténu entre l'Union européenne et les ruralités. C'est un moyen de restaurer l'image d'une institution plus concrète et plus citoyenne et de renforcer sa crédibilité dans l'opinion.
Le modèle européen de développement durable doit reposer sur l'attention portée aux réciprocités entre métropoles et espaces ruraux et aux aménités offertes par le cadre de vie rural.
À l'évidence, la transition écologique ne se fera pas sans l'implication des territoires.
En 1996, la commissaire européenne chargée de la politique régionale et de la cohésion écrivait que, face aux disparités régionales, il fallait aider les régions les moins prospères, pour que l'ensemble des citoyens européens tirent pleinement parti du marché intérieur et de l'Union économique et monétaire. Déjà à l'époque, le diagnostic était clair : la compétitivité de l'espace européen dépend de la lutte contre les discriminations territoriales.
L'approche des ruralités varie selon les États membres. Beaucoup continuent d'assimiler la ruralité à l'agriculture... Or si cette dernière est la toile de fond économique de nos territoires, ils ne s'y réduisent pas.
Si l'équilibre ville-campagne n'est pas au coeur de nos politiques, le risque est grand de voir les campagnes se déliter. Les fonds de relance post-Covid de l'Union européenne doivent être employés en ce sens.
Le monde rural a plus conscience de lui-même ; sa volonté de jouer un rôle central dans la cohésion nationale s'est fortifiée. La redécouverte de la ruralité par certains urbains pourrait bien redessiner la carte de France. Le temps serait-il venu du « réenchantement du territoire », pour reprendre la formule de Jean Viard ?
L'Union européenne a un rôle clé à jouer, en matière d'inspiration comme de financement, dans le respect du principe de subsidiarité. La liberté d'action des autorités locales est essentielle. Il faut encourager aussi la contractualisation et la participation des citoyens.
Les territoires ruraux restent trop éloignés des projets de recherche, alors qu'ils sont des pôles d'innovation, et parfois d'excellence, dans des domaines très divers, des énergies vertes aux technologies appliquées. De même, les représentations typologiques et cartographiques restent trop inspirées des approches urbaines.
En France, les CRTE et les programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain » rompent avec la logique unilatérale du ruissellement métropolitain. La philosophie des contrats de réciprocité doit maintenant être déclinée à l'échelle de l'Union européenne.
Pour répondre aux défis des transitions environnementale et énergétique, l'Union européenne doit être au rendez-vous.
Le mouvement des gilets jaunes a mis au premier plan une France hors les murs, la France des périphéries. Le développement rural est une affaire d'État et la consolidation des territoires, une condition pour que l'Europe tienne son rang dans le monde.
Voilà pourquoi nous avons besoin d'un Agenda européen, c'est-à-dire d'un programme d'actions concrètes. Puisse ce texte inspirer rapidement des décisions sources de renouveau pour nos campagnes et leurs villes petites et moyennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Claude Anglars . - Un Agenda rural européen offrirait la vision de long terme pour les territoires ruraux que le Parlement européen appelait de ses voeux en 2018.
Il n'y a pas de divergences partisanes sur ce sujet. Tous, nous sommes conscients qu'il y a urgence à développer les mobilités, résorber les zones blanches ou reconquérir les centres villes. Par ailleurs, la ruralité n'est plus une politique sectorielle : elle concerne toutes les politiques publiques.
Il faut encourager la mise en place d'un Agenda rural européen, fondé sur les spécificités des espaces ruraux, sans approche dogmatique. Son efficacité supposera d'éviter l'éparpillement des mesures.
La 5G est cruciale, mais, dans l'Aveyron et tout le Massif central, il y a des priorités moins médiatiques, comme l'entretien des lignes téléphoniques en cuivre et la garantie du service public universel pour tous... N'oublions pas les besoins concrets et immédiats de la population.
Il faut des annonces claires. Quand le Gouvernement assure avoir achevé 60 % des mesures annoncées, c'est très discutable, d'après mon expérience de terrain...
L'action en faveur des territoires ruraux doit être durable et planifiée.
Comme le préconise la mission Agenda rural, il faut en particulier développer commerces et services publics et améliorer l'accès aux soins. Nous avons besoin aussi d'une agriculture diverse, compétitive et à taille humaine.
Renforcer la formation et l'emploi et encourager la réindustrialisation rendront les territoires ruraux moins dépendants des villes. La jeunesse rurale doit être spécifiquement soutenue, en matière d'éducation, de logement et de mobilité.
Le pragmatisme et la simplification doivent primer. L'expérience du programme Leader montre que l'action publique doit partir de l'échelle locale, avec le minimum de critères et de conditions.
Très diverse en France, la ruralité l'est plus encore en Europe. Partir du local permet de tenir compte de cette diversité.
Nous voterons cette proposition de résolution, en appelant de nos voeux une ruralité heureuse en France et en Europe ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER)
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans La Société hyper-industrielle, Pierre Veltz évoque une nouvelle géographie fondée sur l'archipélisation de pôles urbains interconnectés. La polarisation des territoires s'accentue, l'essentiel des flux étant concentré par des hubs dont les ruralités forment l'un des arrière-pays.
Il en résulte une montée des inégalités sociales et territoriales. Le Brexit illustre le divorce entre centre et périphérie : la métropole londonienne a voté à l'inverse du reste du pays...
L'Europe a vite compris que la politique rurale ne pouvait se limiter à la PAC et affirmé la nécessité d'une politique de développement rural et de cohésion dès 1988. Depuis 1991, les programmes Leader, fondés sur une approche territoriale, consacrent le développement rural comme second pilier, néanmoins encore trop timide, de la PAC.
Le nécessaire rééquilibrage entre zones rurales et urbaines commande d'aller plus loin. Il faut diversifier les activités des campagnes, notamment pour en faire des laboratoires de la transition énergétique et lever les freins au développement que sont les déserts médicaux et numériques.
Le groupe UC soutient cette proposition de résolution, en insistant sur la subsidiarité et le cofinancement nécessaires dans la mise en oeuvre de la politique européenne de la ruralité.
L'attractivité des villes moyennes s'accroît ; c'est une opportunité pour la relocalisation d'activités et la revitalisation des centres villes.
Dans mon département, j'ai rédigé une charte de la ruralité. Les ruralités ne sont pas un problème, mais des relais de croissance et des leviers de rééquilibrage des activités !
Une action nationale couplée à une initiative européenne, voilà la stratégie gagnante. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER)
M. Christian Redon-Sarrazy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Trop longtemps oubliés des politiques nationales et européennes, les territoires ruraux bénéficient depuis le début de la pandémie d'un regain d'intérêt.
Ce nouveau mouvement migratoire révèle à quel point ces campagnes, petites villes et villes moyennes souffrent de manques : accès à la formation et aux soins, territorialisation des règles d'urbanisme, difficulté d'accès à l'emploi.
L'attractivité des territoires ruraux n'a jamais été si forte. Les urbains qui s'y installent massivement cherchent un meilleur cadre de vie et une alimentation saine et durable ; ils sont animés par une envie de faire revivre ces territoires.
Ce contexte doit servir de tremplin à une politique de développement adaptée à la diversité des situations. Représentants de ces territoires qui veulent être acteurs des mutations en cours, nous devons maintenant transformer l'essai !
Politique européenne emblématique, la PAC doit favoriser la diversification des pratiques agricoles et lutter contre la spécialisation à outrance de certains territoires. Nous défendons une agriculture familiale et extensive, vitale pour l'équilibre de nombreux territoires ruraux, de montagne et de piémont.
Enfin, la forêt, essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique, doit bénéficier d'une gestion durable et cohérente. L'augmentation des exportations souligne la nécessité d'une politique européenne de protection. La forêt doit être un pilier du développement rural et de la préservation de la biodiversité, sans que ses enjeux économiques soient négligés.
Il est urgent que la Commission européenne élabore une feuille de route stratégique pour les territoires ruraux, trop longtemps oubliés. Il y va de l'égalité entre les citoyens. À l'heure où nos concitoyens redécouvrent le potentiel de la ruralité, il nous revient d'accompagner ces dynamiques bénéfiques pour le plus grand nombre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Cédric O, secrétaire d'État, chargé de la transition numérique et des communications électroniques . - Je suis heureux de représenter le Gouvernement pour la discussion de cette proposition de résolution, et vous prie d'excuser Joël Giraud, secrétaire d'État à la ruralité. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
Initié par le Comité européen des régions et la déclaration de Cork 2.0, le concept d'Agenda rural européen s'est inscrit dans le débat public. Le 2 octobre 2018, le Parlement européen appelait officiellement l'Union européen à se doter d'un tel agenda.
La France a été le premier État à se saisir de cet appel et à écrire un Agenda rural à l'échelle nationale sur la base d'un rapport écrit par cinq élus de terrain.
Les territoires ruraux abritent un tiers de la population française ; leur dynamisme attire les Français, dont 92 % pensent qu'il est agréable d'y vivre. Ils sont toutefois confrontés à de nombreux défis : accès aux services publics, santé, éducation, égalité des chances...
Pour y améliorer la vie quotidienne, le Gouvernement a présenté le 20 septembre 2019 les 181 mesures de l'Agenda rural français. Depuis 2019, 92 de ses mesures ont été réalisées et 67 sont en cours de réalisation, soit un taux de mise en oeuvre de 90 %.
Dans quatre domaines, les avancées sont déjà sensibles : la transition numérique, la jeunesse et l'égalité des chances, le soutien aux projets des collectivités locales et l'accès aux services publics.
La fibre optique et la 4G accompagnent la vie quotidienne de nombreux Français, en particulier dans les territoires ruraux. Le Gouvernement a fait du déploiement des plans France très haut débit et New Deal mobile ses priorités, avec des objectifs de couverture intégrale par la 4G en 2022 et par la fibre optique en 2025 qui sont à notre portée.
En matière d'égalité des chances, le Gouvernement a lancé le volontariat territorial en administration pour aider les collectivités à faire émerger leurs projets de développement et donner à de jeunes diplômés la possibilité de s'engager en faveur de la ruralité. Citons aussi les Campus connectés et les Cordées de la réussite.
En matière d'accès aux services publics, 1 745 maisons France services ont été labellisées à ce jour, 1 600 Petites villes de demain, 66 Campus connectés, 288 Fabriques des territoires.
Trois comités interministériels sur la ruralité se sont réunis, et des référents ruralité ont été installés dans chaque cabinet ministériel, chaque administration centrale et chaque préfecture de département.
Pionnière, la France doit aussi être un moteur au niveau européen. La présidence française de l'Union européenne nous en donne une occasion unique. Le Parlement rural français organisera en février 2022 un événement « Ruralisons l'Europe » que le Gouvernement soutient pleinement.
Lors de la réunion interministérielle sur l'avenir de la politique de cohésion des territoires, le Gouvernement portera la question de l'amélioration des conditions de vie et celle de l'Agenda rural européen. Il ne s'agit pas d'imposer aux États membres des solutions qui ne sont pas forcément adaptées à la diversité des régions.
La Commission européenne, dans son document « Vision à long terme pour les zones rurales », plaide pour un Pacte rural accompagné d'un plan d'action, pour assurer une meilleure synergie entre les acteurs, rendre les zones rurales plus connectées et diversifier l'activité dans les territoires. Cela illustre une prise de conscience.
Vous n'avez ici que des convaincus. Un Agenda rural européen apporterait une réponse à cette demande de sur-mesure. Le Gouvernement est très favorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe SER)