SÉANCE
du mercredi 20 octobre 2021
9e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Loïc Hervé.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et à celui du temps de parole.
Hausse des prix des carburants
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La reprise de l'économie mondiale et nationale entraîne des tensions sur les marchés, une augmentation du prix des matières premières et des difficultés d'approvisionnement ; la semaine dernière, le diesel a atteint des records historiques, à plus de 1,50 euro le litre.
Durant la crise des Gilets jaunes, le Gouvernement précédent s'était ravisé après avoir annoncé l'extension et l'augmentation du chèque énergie.
Aujourd'hui, nous attendons tous des mesures en faveur du pouvoir d'achat. Elles ne doivent pas viser une ou plusieurs catégories, mais apporter une réponse globale. En particulier, il ne faut pas oublier les classes moyennes, souvent à la limite supérieure des seuils pour bénéficier des mesures de soutien et d'accompagnement.
Depuis quelques jours, des entreprises nous signalent des allongements de délais de livraison en carburant, voire des rationnements. Si cela se confirmait, chacun imagine ici les conséquences pour l'économie du pays.
Quelles mesures envisagez-vous pour limiter la flambée des prix et quelle est la réalité de nos stocks de carburant ? Risquons-nous une pénurie ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics . - Les difficultés des ménages et des entreprises sont réelles. Le problème est mondial et complexe. Depuis vingt ans, toutes les majorités ont dû faire face à des difficultés liées au prix de l'énergie et des carburants et toutes ont eu du mal à apporter une réponse juste, durable et efficace.
L'annonce du versement de 100 euros pour les ménages bénéficiaires du chèque énergie, plus 150 euros en mars 2022, permet d'anticiper la crise.
Ensuite, au cours de l'examen de la loi de finances, j'ai défendu à l'Assemblée nationale un amendement pour moduler la fiscalité sur l'électricité et le gaz. Pour l'électricité, il en coûtera 5 milliards d'euros à l'État pour la seule année 2022.
De plus, Mme Agnès Pannier-Runacher a lancé un cycle de consultations avec les entreprises.
Enfin, je tiens à vous rassurer : il n'y a pas de risque de pénurie des carburants ou de l'énergie nécessaires au fonctionnement de l'économie française. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Déclaration du Président de la République sur le droit d'amendement
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains) Lundi, à Poitiers, les foudres de Jupiter se sont abattues sur les parlementaires. Si j'ai bien compris le Président de la République, l'inflation normative serait de leur faute, de notre faute ! Nous aurions le mauvais goût, en effet, d'utiliser le droit d'amendement, garanti par la Constitution.
Franchement, il fallait oser, alors que les ordonnances se multiplient, comme les amendements de dernière minute, sans contrôle du Conseil d'État ni étude d'impact !
Enfin, qui complexifie à l'envi l'action publique ?
Un seul exemple ; nous venons d'enchaîner deux textes sur la justice et, en même temps, le Président de la République ouvre à Poitiers les états généraux de la justice !
Lundi, monsieur le Premier ministre, vous n'étiez pas aux côtés du Président en raison de votre déplacement auprès du Pape, ce que je ne vous reprocherai pas. (Rires sur diverses travées)
Mais la déclaration de Poitiers, est-ce de l'humour ou une diversion pour faire porter le chapeau au pouvoir législatif en prenant à témoin l'autorité judiciaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC, INDEP et SER)
M. Jean Castex, Premier ministre . - Je reconnais votre talent à faire dire au Président de la République ce qu'il n'a pas dit (vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier applaudit) et d'en tirer de mauvais enseignements politiques.
Voici ce qu'il a dit : « Nous avons collectivement contribué à une inflation législative ». (Murmures indignés sur les mêmes travées)
Je connais ce jeu ; je commence à avoir quelques heures de vol. (On ironise à droite.) J'ai souvenir de critiques du Sénat ou du Conseil d'État sur la loi bavarde, mais enfin, elle est votée par le Parlement !
À Poitiers, le Président de la République a lancé avec le garde des Sceaux les états généraux de la justice. Sujet majeur car, comme le disait Montesquieu, le juge est la bouche de la loi.
La loi est devenue de plus en plus bavarde, et il s'agit d'une responsabilité collective. Mais le Président de la République a également rappelé que le droit d'amendement était un droit légitime du Parlement. (Nouvelles marques d'ironie à droite)
Enfin, pour régler ces problèmes, il faudrait une révision constitutionnelle, qui ne peut se faire sans le Parlement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Bruno Retailleau. - Pour le Président de la République, le souci n'est pas le droit d'amendement, mais le Parlement lui-même. Il a cédé à une vision autocentrée de la Ve République selon laquelle, pour que le Président soit grand, il faudrait que le Parlement soit petit. Non, personne ne gagne à mettre hors-jeu les contre-pouvoirs car d'autres circuits comme la judiciarisation et les réseaux sociaux s'organisent et deviennent une gigantesque cour d'assises. Personne n'y gagne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Loi Climat et droits à construire
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La loi Climat et résilience fixe l'objectif de zéro artificialisation nette des sols d'ici 2050. Les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) prévoient que l'artificialisation sera divisée par deux dans les dix prochaines années.
Ainsi, les territoires qui ont massivement construit et artificialisé ces dix dernières années - principalement les métropoles - pourront continuer de s'étendre, alors que les territoires ruraux plus économes ne pourront plus se développer.
Les bons élèves, comme la Franche-Comté, seraient donc pénalisés, puisqu'ils auraient la moitié de pas grand-chose, c'est-à-dire trois fois rien !
En outre, les directions départementales des territoires (DDT) refusent systématiquement les certificats d'urbanisme aux petites communes ne disposant pas de documents d'urbanisme.
Et que dire des commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) dans lesquelles, bien que détenant la compétence urbanisme, les élus sont minoritaires ?
Vendredi dernier, les maires du Jura, qui se battent contre les DDT et les bureaux d'études, ont exprimé leur ras-le-bol.
Est-ce juste que les territoires économes en terres agricoles soient sacrifiés ? Une évolution de la loi est-elle envisageable pour éviter la révolte des maires ruraux ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées des groupes INDEP et Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement . - L'objectif de zéro artificialisation nette en 2050 est une trajectoire ambitieuse mais nécessaire, fixée par la loi Climat et résilience. Le Gouvernement entend respecter les élus locaux et prendre en compte les efforts passés. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
L'objectif sera de réduire l'artificialisation par deux pendant les dix prochaines années. Une territorialisation est prévue pour tenir compte des efforts passés, qu'il faut récompenser. C'est le sens de la Conférence des SCoT, inscrite dans la loi. (Marques d'ironie à droite)
L'objectif de 50 % est régional et pourra être négocié en infra-régional en fonction des efforts déjà réalisés, des besoins et des trajectoires locales. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Sylvie Vermeillet. - Vous territorialisez à l'envers ! Dans le Jura, les deux tiers de la consommation des terres agricoles sont liés à l'enfrichement, pas à l'urbanisme. À quoi bon les plans de relance si nous n'avons plus de marges de développement en ruralité ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées des groupes INDEP et Les Républicains)
Mobilisation des AESH
Mme Michelle Gréaume . - Hier, les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), profession en grande majorité féminine, se sont de nouveau mobilisés pour l'amélioration de leurs conditions de travail et de leur salaire. Le plan de 2018 pour une école inclusive n'a pas atteint ses objectifs, faute de moyens et de recrutements.
Trop d'enfants ne bénéficient pas de l'accompagnement nécessaire à leur intégration et à leur réussite scolaire. Vous voulez faire plus avec moins !
Les pôles inclusifs d'accompagnement localisés sont devenus des outils de gestion et de mutualisation de la pénurie. En multipliant le nombre d'enfants suivis par un accompagnant, vous avez accentué la précarité de ces femmes et de ces hommes tout en privant les enfants d'un accompagnement indispensable.
Que répondez-vous aux revendications de ces professionnels en termes de recrutement, de formation, de salaire et de statut ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - M. Blanquer, retenu à l'Assemblée nationale, m'a demandé de vous répondre.
L'école de la République est attentive à tous ses élèves et la scolarisation des enfants en situation de handicap est la priorité du Gouvernement, d'où le service public de l'école inclusive avec 3,3 milliards d'euros par an, 60 % d'augmentation du budget depuis 2017, et plus d'élèves dans le second degré que dans le premier.
Le Gouvernement a voulu sécuriser les AESH : 125 000 recrutés en CDD - certains de ces contrats ont été transformés en CDI.
Grâce à la loi pour une école de la confiance de 2019, ils bénéficient d'une nouvelle échelle de rémunération depuis la rentrée, soit un budget de 60 millions d'euros. Les discussions se poursuivent avec les organisations syndicales, les collectivités, notamment sur le temps de travail. (Protestations sur les travées du CRCE) Plus de 1 300 unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) ont été créées, et dans votre département 21 273 élèves en situation de handicap sont aujourd'hui scolarisés, soit 6 % de plus cette année.
Mme Michelle Gréaume. - Votre réponse n'est pas à la hauteur des besoins et des revendications. Le compte n'y est pas. Entendez ces femmes et ces hommes qui crient qu'ils n'en peuvent plus de cette vie de misère ! Respectez leur dignité (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
Soutien au réseau FLAM
M. le président. - La parole est à Mme Cazebonne pour sa première intervention au sein de notre hémicycle. Je lui souhaite le meilleur.
Mme Samantha Cazebonne . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous connaissons votre soutien sans faille, monsieur le ministre des Français de l'étranger, comme celui des sénateurs représentant les Français de l'étranger et des députés de la majorité, aux associations « Français langue maternelle » (FLAM). Leur action permet à de plus en plus d'enfants français résidant à l'étranger de rester francophones et de conserver un lien fort avec la culture française. En effet, les FLAM jouent un rôle essentiel au sein du vaste réseau de l'enseignement français à l'étranger. Ces associations constituent un lien d'apprentissage pour les enfants éloignés des établissements français à l'étranger.
Pendant la crise sanitaire, elles se sont mobilisées pour offrir des services de qualité en ligne.
Leur budget sera augmenté à hauteur d'un million d'euros pour accompagner leur développement. Cette augmentation pourra-t-elle bénéficier à davantage de structures, voire à une extension du réseau ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie . - Je vous félicite pour votre élection au service des Français de l'étranger - ainsi que vos cinq autres collègues également élus.
Vous posez une question essentielle sur le lien de la France avec nos compatriotes éloignés des établissements français à l'étranger. Les plus de 170 associations composées de centaines de bénévoles se mobilisent dans 40 pays depuis 20 ans, auprès de 15 000 jeunes.
Le ministère est à leurs côtés ; les crédits seront doublés pour soutenir davantage les associations FLAM.
Nous souhaitons travailler avec vous et avec la fédération internationale des FLAM, dont je salue la directrice, pour actualiser le règlement d'intervention et aider ces associations à faire face au défi d'une certaine professionnalisation.
Mme Samantha Cazebonne. - Vous pouvez compter sur nous. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Rapport de France Stratégie sur la fiscalité du patrimoine
M. Vincent Éblé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) France Stratégie, organisme placé sous l'autorité de Matignon, vient de confirmer dans un rapport que la réforme du patrimoine de 2018 n'avait pas produit les effets escomptés.
Nous l'avions affirmé dans un rapport parlementaire que j'avais signé avec le rapporteur général de l'époque dès 2019.
Votre cadeau de 1,5 million d'euros par an pour les cent ménages les plus fortunés n'a entraîné aucun ruissellement, aucun effet sur la dynamique économique des entreprises. Pas de croissance supplémentaire, pas d'investissements, aucun effet bénéfique...
Au contraire, on assiste à une forte croissance des dividendes distribués aux plus riches. Ainsi, 0,1 % des contribuables, soit 38 000 foyers fiscaux, touchent les deux tiers des dividendes contre 50 % avant la réforme. Allez-vous enfin reconnaître l'échec de cette politique de cadeaux fiscaux aux plus riches et rétablir un peu de justice et de progressivité, à l'heure où les plus modestes de nos concitoyens payent à la pompe et par leur consommation des contributions croissantes aux charges de l'État ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics . - Le rapport que vous citez examine la situation jusqu'en 2019 : il faut attendre la prise en compte des années ultérieures : toute réforme fiscale doit être en effet mesurée dans le temps. Ce même rapport pointe également des aspects extrêmement positifs de notre politique.
Je vous invite aussi à lire le rapport de la direction du Trésor qui démontre l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages de toutes les catégories de 1,7 % par an, soit cinq fois plus vite que durant la période 2012-2017. En outre, le pouvoir d'achat des 10 % les plus défavorisés a augmenté deux fois plus vite que celui des plus aisés.
Pour la troisième année consécutive, nous sommes le pays le plus attractif de la zone euro pour les investisseurs étrangers.
Notre taux de chômage est revenu à son plus bas niveau depuis 2007. Notre politique économique est donc efficace.
Nous continuons d'oeuvrer au redressement du pays, avec les mêmes leviers. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Vincent Éblé. - Même le président Biden a dit que le ruissellement n'existait pas ! À l'heure des Pandora Papers, -11 000 milliards d'euros, vingt-quatre fois la dette de notre pays, excusez du peu - vous n'écoutez personne, et surtout pas nos rapports ! Je comprends mieux pourquoi le Président de la République cherche à réduire les pouvoirs du Parlement...
Cessez de nier les évidences !
Les contribuables les plus modestes savent compter et ne sont pas dupes des jeux de bonneteau où on leur reprend d'une main le double de ce qu'on leur a donné de l'autre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Avenant 43 en faveur des salariés à domicile
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Appliqué depuis le 1er octobre, l'avenant 43 de l'accord de branche des aides à domicile prévoit une revalorisation de la rémunération de ces salariés, souvent précaires, qui ont été et sont encore en première ligne de la crise sanitaire.
Mais cette mesure bienvenue ajoute une charge supplémentaire aux départements : 435 000 euros dans les Pyrénées-Orientales cette année et 4,4 millions d'euros dès l'année prochaine.
Sur le territoire national, on arriverait à 700 millions d'euros, soit bien plus que les 359 millions d'euros annoncés. Or les finances départementales sont déjà fragilisées, empêchant ces collectivités d'être des acteurs majeurs de la relance économique.
L'État financera 50 % de la mesure, mais il récupérera les charges sociales prélevées sur ces augmentations de salaires en recettes : ainsi, il donne d'une main et reprend de l'autre...
Compte tenu de cette recette nouvelle, entendez-vous soutenir de manière plus importante les départements ? Reverrez-vous avec eux les conditions d'application de l'avenant 43 ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie . - La crise sanitaire a révélé les invisibles, ceux qui sont mal payés. Cela fait des décennies qu'une revalorisation était attendue : elle sera de 13 à 15 % en vertu de l'avenant 43.
C'est un saut qualitatif et vous avez voté une enveloppe de 200 millions d'euros au PLFSS pour 2021, destinée à prendre en charge la moitié du coût dévolu aux départements. Celui des Hautes-Pyrénées sera compensé à hauteur de 70 % des dépenses réelles à partir du 1er octobre puis de 50 % en 2022.
Nous voulons renforcer la dignité et l'attractivité du métier. La loi de finances pour 2022 est l'occasion de créer un tarif minimum garanti de 22 euros de l'heure, la différence de tarif étant compensée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), donc l'État. Je proposerai par amendement une dotation qualité pour aider les départements et les structures cocontractantes à hauteur de 3 euros l'heure.
Il ne suffit pas de parler, ou même de filmer ces salariées, il faut agir : si le Parlement est au rendez-vous, l'État pourra aider les départements. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Maryse Carrère. - Nous en reparlerons lors de l'examen du PLFSS. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Jean-Claude Requier. - Très bien !
Cancer de la prostate, maladie professionnelle chez les agriculteurs
M. Joël Labbé . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le Parlement européen a voté hier la stratégie « De la ferme à la fourchette », soit une réduction de 50 % des pesticides d'ici 2030. Le signal est fort.
La commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture a enfin rendu un avis favorable à la reconnaissance du cancer de la prostate lié aux pesticides comme maladie professionnelle chez les agriculteurs. Ce serait une avancée pour les agriculteurs et les salariés concernés, alors que les études alertent depuis longtemps sur les risques liés aux pesticides, sans même parler du scandale du chlordécone aux Antilles.
Quand allez-vous publier le décret ? (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - La commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture a statué en ce domaine le 12 octobre ; nous venons de recevoir son avis, voté à l'unanimité par les partenaires sociaux. Nous prendrons donc le décret en conséquence, ce qui correspond aux orientations données par le Président de la République pour une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles.
S'agissant de la stratégie européenne Farm to fork, je souhaite rappeler le rôle nourricier de l'agriculture, qui n'est plus jamais évoqué dans les débats, pas plus à la Commission européenne qu'ailleurs. Avec l'évolution projetée, la production agricole de l'Union devrait reculer de 12 à 13 % ; cela m'inquiète. Chacun devrait se mobiliser. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur de nombreuses travées du RDSE et du groupe Les Républicains)
M. Joël Labbé. - Certes, monsieur le ministre, mais je vous renvoie au rapport de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) de 2018, qui démontre que l'Union européenne peut nourrir sa population, sous réserve de changer de pratiques, de modèles et de modes alimentaires.
Le décret devra prévoir une indemnisation de toutes les victimes et ne pas être trop restrictif. À cet égard, un délai d'exposition de cinq ans devra être retenu.
Il faudra également prendre en compte l'impact des pesticides sur l'ensemble de la population.
Enfin, je voulais vous interroger sur le prosulfocarbe, extrêmement volatile, mais ce sera pour une autre fois. (Applaudissements sur les travées du GEST)
La maison individuelle, rêve des Français
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Madame la ministre du Logement, vous avez affirmé que « le modèle à l'ancienne du pavillon dont on peut faire le tour nous mène à une impasse ». Ces propos déconnectés du réel touchent au coeur du rêve français.
La maison individuelle, c'est ce à quoi aspirent 75 % des Français, en particulier les classes moyennes et populaires. La production de 120 000 maisons par an est aussi une formidable source d'activité dans nos territoires.
Faire de l'habitat individuel le principal responsable de l'artificialisation des sols est une erreur totale. Le malthusianisme en la matière conduit indirectement à une politique antisociale.
Quand allez-vous cesser de mettre la pression sur les maires qui ne peuvent plus construire ? De prôner une décroissance purement idéologique, alors que nous manquons cruellement de logements, sociaux et autres, et que vos politiques schizophrènes aggravent la crise du logement ? (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement . - Merci de me donner l'occasion de préciser mes propos. (« Ah ! » à droite) Non, nous n'avons pas l'intention d'en finir avec la maison individuelle. (Exclamations ironiques à droite) C'est le rêve des Français, il est légitime.
Mais les lotissements issus de l'urbanisme des années 1960 et 1970, en périphérie des villes, répondent-ils à ce rêve ? Ils ont eu pour conséquence la désertification des commerces de centre-ville - que le Gouvernement combat avec le programme « Action coeur de ville ». (Protestations à droite)
M. Jean-François Husson. - Cela n'a rien à voir !
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Autre conséquence, l'isolement et la perte du lien social. Les Français attendent un meilleur accès aux transports en commun, plus de services, de lieux de convivialité. Enfin, ces lotissements entraînent la perte de terres naturelles et agricoles - l'équivalent d'un terrain de foot toutes les cinq minutes.
La maison individuelle a sa place dans notre modèle d'urbanisme. Où la construire, et comment ? Pour loger tous les Français, nous avons besoin de toutes les formes d'habitat. Il faut aussi rénover, construire sur les friches. Ce débat important mérite mieux que des caricatures. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du RDPI et du GEST ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit également.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. - C'est vous qui caricaturez... Cessez d'opposer le rural à l'urbain, la croissance à la décroissance, le logement individuel au collectif ! (Mme Sophie Taillé-Pollian s'insurge.) Cessez de vouloir régenter la vie des Français, de les culpabiliser avec votre vision d'élite parisienne écologique éloignée des réalités ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Condamnation de l'État pour inaction climatique
Mme Angèle Préville . - Comment en sommes-nous arrivés là ? Le 14 octobre, le tribunal administratif de Paris a enjoint à l'État de réparer le préjudice écologique et prévenir l'aggravation des dommages. Il avait déjà pointé sa carence fautive le 3 février.
Face aux conséquences dramatiques du dérèglement climatique, face à la détérioration inexorable de la nature, des citoyens ont saisi la justice et ont gagné contre le l'État, dont l'inaction a été condamnée.
Nous n'avons cessé de vous interpeller, de vous faire des propositions plus ambitieuses - en vain. Vous n'avez même pas consenti aux mesures les plus dérisoires, comme la fin de la publicité lumineuse.
Alors que le coût humain et matériel des catastrophes climatiques explose, la loi Climat que nous venons de voter est manifestement insuffisante. Vous avez jusqu'au 31 décembre 2022 : que ferez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité . - Le Gouvernement prend acte de la décision du tribunal administratif de Paris, qui donne jusqu'au 31 décembre 2022 à l'État pour compenser l'excès d'émissions de CO2 constaté entre 2015 et 2018. Elle ne porte donc pas sur la politique actuellement menée...
Pour autant, nous devons effectivement accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous nous en donnons les moyens, dans le cadre de la loi Énergie Climat de 2019 : arrêt des centrales à charbon, développement des énergies renouvelables pour le logement, rénovation thermique avec MaPrimRénov'...
La loi d'orientation des mobilités a engagé la décarbonation massive des transports, avec 13,4 milliards d'euros pour le développement de bornes électriques, les zones à faibles émissions, la prime à la conversion, le bonus écologique, le forfait mobilité durable.
Enfin, le plan de relance finance la rénovation thermique des bâtiments, la rénovation du réseau ferroviaire, la décarbonation de l'industrie, l'investissement dans les énergies vertes... (On s'impatiente, à gauche comme à droite, devant cette énumération.)
Bref, nous proposons un bouquet de solutions.
La vitesse de réduction des émissions a doublé depuis 2017 ; les financements publics en faveur de la transition ont augmenté de 26 milliards d'euros en 2019 à 33 milliards en 2022.
Nous atteindrons les objectifs climatiques pour 2030 - le plan d'investissement France 2030 y concourra - et engagerons la semaine prochaine des concertations pour la décarbonation... (Huées et manifestations d'impatience à gauche, couvrant la voix de la ministre)
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Nous sommes pleinement mobilisés !
Mme Angèle Préville. - Des mesures sont enclenchées, certes, mais le tribunal vous a rappelé à l'ordre. C'est insuffisant ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Hausse des prix de l'énergie (I)
M. Jean-François Husson . - En 2017, je dénonçais les risques d'une hausse brutale de la taxe carbone, peu de temps après l'épisode des bonnets rouges. Les gilets jaunes me donnaient raison à l'automne 2018.
J'ignore la couleur que prendra le prochain mouvement de colère.
Le Gouvernement tergiverse, tâtonne. Chèque essence, chèque énergie, baisse des taxes, bouclier tarifaire ? Les Français pris au piège attendent de lui une action forte et un cap clair.
Quelle est votre stratégie pour répondre à l'urgence ? Quelle action à moyen et long terme ? Et pour quel coût pour les finances publiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics . - C'est un sujet complexe, auquel ont été confrontées toutes les majorités depuis vingt ans. Les modifications de tarif ne sont pas aisées à mettre en oeuvre.
Nous accompagnons les ménages les plus fragiles avec un chèque énergie de 100 euros. La fiscalité sur le gaz et l'électricité sera modulée pour que le tarif du gaz soit bloqué et que celui de l'électricité n'augmente pas de plus de 4 %, grâce à un mécanisme voté par l'Assemblée nationale. Nous travaillons à une réponse juste, efficace et rapide à la hausse des prix des carburants.
Monsieur le Rapporteur général, vous n'avez pas dit quelle était votre proposition. Je suis preneur. M. Barnier appelle à baisser les taxes ; Mme Pécresse estime que c'est coûteux et inefficace... Preuve que le débat agite toutes les familles politiques.
Quant au coût pour les finances publiques, il est de 600 millions d'euros pour le chèque énergie, de 5,1 milliards d'euros pour le mécanisme fiscal sur l'électricité. Nous devons calculer le coût de l'ajustement de la fiscalité du gaz, qui sera activé mois par mois. Enfin, le Premier ministre s'exprimera bientôt sur la question des carburants.
Nous privilégions l'efficacité et la rapidité. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-François Husson. - En Meurthe-et-Moselle, Saint-Gobain Pont-à-Mousson a vu le prix du gaz multiplié par sept, soit un surcoût de 400 millions d'euros !
En 2019, le déficit du commerce extérieur atteignait 60 milliards d'euros, avec une balance énergétique déficitaire à 45 milliards d'euros. Il faut agir ! Nous avons besoin d'un cap clair. Après avoir fermé Fessenheim, vous faites volte-face, à six mois des élections... Soutenez l'énergie nucléaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - C'est ce que nous faisons.
Délocalisation de l'entrepôt H&M du Bourget
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il y a contradiction entre le discours sur la relocalisation et la poursuite de certaines délocalisations.
Des entreprises peu citoyennes, aidées par l'État pendant la crise sanitaire, délocalisent sitôt la crise passée. C'est le cas au Bourget, où H&M ferme son unique centre logistique en France, menaçant 150 emplois.
L'État est-il à ce point impuissant face au cynisme de ces entreprises qui veulent séduire nos consommateurs mais ne plus produire en France ? N'avez-vous pas de moyens de pression sur une entreprise que la Nation a aidée ? Les salariés qui discutent du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) s'entendent dire que l'État ne peut questionner la motivation économique de ces licenciements...
Allez-vous mettre en cohérence votre discours et votre politique ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État, chargé des retraites et de la santé au travail . - Veuillez excuser Mme Borne, retenue au sommet social tripartite européen. Vous m'interrogez sur les entreprises qui ont bénéficié d'aides, en citant l'exemple d'H&M au Bourget. Cette situation n'est pas acceptable, mais c'est celle de l'entreprise. Nous veillerons à accompagner les 153 salariés vers un reclassement. (Mme Éliane Assassi se récrie.)
Cette entreprise n'a pas bénéficié d'aides particulières de l'État ; ce sont les salariés de ses points de vente et de son entrepôt logistique qui en ont bénéficié, entre avril et juin 2020. Notre choix de l'activité partielle a protégé neuf millions d'emplois.
Au Bourget, un PSE va être signé. Je sais que vous suivez la situation ; les instances représentatives du personnel doivent se prononcer ; une réunion a eu lieu sous la conduite du préfet. Mme Borne est particulièrement attentive à ce qui sera proposé aux salariés. (Marques d'ironie à gauche ; M. François Patriat applaudit.)
Mme Éliane Assassi. - Scandaleux !
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci d'avoir qualifié la situation d'inacceptable. Plus largement, quel suivi pour les entreprises qui délocalisent alors qu'elles ont bénéficié d'aides ? Il y a là une forme de cynisme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Fabien Gay. - Il fallait conditionner !
Pénurie de remplaçants dans les écoles et collèges
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans les Yvelines, à Guerville, une classe de CM1-CM2 a vu défiler cinq enseignants différents depuis le début de l'année. Dans le même établissement, une enseignante en maternelle est en arrêt maladie depuis la rentrée ; sa remplaçante aussi... Du 20 septembre au 4 octobre, les enfants ont été répartis dans deux autres classes. Malchance ?
Nous le savons tous, le non-remplacement de professeurs absents perturbe le fonctionnement de l'école.
À Avranches, dans la Manche, un professeur de technologie est absent depuis le début de l'année - soit deux heures par semaine sans cours.
Les parents dénoncent une gestion administrative hasardeuse alors que l'obligation scolaire est un principe de 3 à 16 ans. Si les plus aisés compensent les carences de l'État avec des cours particuliers, les plus précaires sont fragilisés.
Quelles mesures prenez-vous pour tenir la promesse d'égalité dans l'éducation de nos enfants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - L'égalité des chances, la réussite de chacun sont nos priorités. C'est la volonté de tous, familles, élus et associations, que d'aider les enfants. C'est le projet d'une Nation. (Marques d'agacement sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE) Justice sociale, élévation du niveau, retour aux fondamentaux, dédoublement des classes en REP et REP+, en CP et CE1, plafonnement des classes à 24 élèves en grande section, CP et CE1 d'ici 2022...
Mme Éliane Assassi. - Ce n'est pas la question !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Sur le remplacement des professeurs (« Ah, enfin ! »), l'objectif est la continuité du service public. Notre pays a tenu pendant la crise, car les enseignants se sont mobilisés. Nous avons gardé les écoles ouvertes, c'est notre fierté.
Il y a eu des autorisations spéciales d'absence, des congés maladie, des cours à distance, des absences de longue durée couvertes par des enseignants titulaires. Cela dit, il existe des tensions réelles dans toutes les académies, notamment sur la technologie. Pour les absences de courte durée, des solutions existent : cours en ligne, travaux en autonomie encadrés. Tous les leviers sont activés. Le collège La Chaussonnière d'Avranches est pleinement mobilisé.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Enfin, le Grenelle de l'éducation a vocation à améliorer l'attractivité du métier d'enseignant. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Béatrice Gosselin. - Je connais l'engagement des enseignants, mais une anticipation et une organisation structurée et pragmatique leur permettraient de faire convenablement leur métier et à nos enfants, de suivre une scolarité normale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
Hausse des prix de l'énergie (II)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je regrette l'absence de Barbara Pompili.
Depuis plusieurs semaines, les tarifs des énergies explosent et nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à tomber dans la précarité énergétique. Le sage conseil de « mettre un pull » est un peu court...
La libération à l'extrême du marché de l'énergie ne fonctionne pas, et l'Europe de l'énergie est aux abonnés absents. S'il est vrai que le prix de l'énergie doublera dans les vingt prochaines années, il est urgent de réfléchir à un autre modèle.
Vos annonces préélectorales sont court-termistes et insuffisantes. Selon l'Ademe, le chèque énergie devrait être de 710 euros pour être opérant !
Sur les carburants, nous attendons une réelle aide pour les ménages, pas seulement un chèque de l'État au groupe Total.
Il est temps d'agir efficacement, en gardant à l'esprit l'indispensable transition énergétique.
À la veille de la présidence française de l'Union européenne, le Gouvernement a-t-il une stratégie, tant pour répondre à l'urgence que pour réorienter en profondeur la politique européenne de l'énergie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics . - Je risque de me répéter... Pour les ménages les plus fragiles, le chèque énergie augmente de 100 euros, ce qui le porte à 400 euros en année glissante.
Le projet de loi de finances prévoit deux mécanismes, pour ajuster la taxe sur la consommation finale d'électricité (TICFE) et pour geler le prix du gaz jusqu'à la fin de l'année 2022.
Au-delà de ces réponses que vous qualifiez de court-termistes mais qui sont indispensables, nous déployons une stratégie de long terme en matière de production d'électricité. C'est le sens des annonces du Président de la République dans le cadre du plan d'investissement France 2030, avec pour but de garantir à la France une plus grande souveraineté énergétique.
La diminution de la consommation, enfin, passe par l'adaptation de notre économie, par une meilleure isolation - nous avons financé 800 000 dossiers MaPrimRenov' en 2021, et comptons faire autant l'année prochaine grâce à la reconduction de 2 milliards d'euros de crédits dans le projet de loi de finances.
Place de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique
M. Pierre Frogier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, le camouflet de l'annulation du « contrat du siècle » vient nous rappeler le basculement du centre de gravité du monde vers l'Indopacifique. Washington y soutient et mobilise ses alliés pour contrer l'expansionnisme de Pékin. La France doit certes rester une puissance d'équilibre. Mais pour cela, nous avons besoin de donner de la consistance à notre stratégie indopacifique, au-delà des incantations.
Notre voix peut compter dans la conversation stratégique grâce aux collectivités françaises d'Océanie - dont la Nouvelle-Calédonie, qui offre à la France une frontière commune avec l'Australie.
L'indifférence générale de la métropole pendant des années à l'égard de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie confine à l'inconscience.
La neutralité de l'État dont vous avez fait un dogme au-delà de tout pragmatisme réduit la vision de la France à un face-à-face entre les indépendantistes et la méchante puissance coloniale. Qu'allez-vous dire à nos alliés qui s'inquiètent des conséquences de l'indépendance ? (Marques d'impatience à gauche, où l'on signale que le temps de parole est écoulé.)
M. le président. - C'est moi qui décide ! Poursuivez.
M. Pierre Frogier. - Ayons une pensée pour nos compatriotes qui, le 12 décembre, rediront leur amour de la France. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur certaines travées du groupe SER ; M. Stéphane Artano applaudit également.)
M. Jean Castex, Premier ministre. - L'avenir de la Nouvelle-Calédonie et la présence de la France dans cette région du monde sont des enjeux majeurs. Je vous trouve quelque peu sévère envers le Gouvernement. (Murmures à droite) Je n'en suis pas surpris : vous aviez boycotté les consultations que j'ai présidées à Paris entre le 26 mai et le 1er juin, ce qui n'est jamais une bonne chose.
Vous auriez constaté que nous poursuivons la mise en oeuvre des accords de Nouméa, dont vous êtes signataire ; que nous avons réussi à fixer une date pour la troisième consultation référendaire...
Plusieurs voix à droite. - Ce n'est pas la question !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Que les parties ont été éclairées sur les conséquences du « oui » et du « non ».
M. Pierre Frogier. - À la bonne heure !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Nous avons fixé les orientations pour l'après 12 décembre, tout en réaffirmant notre souhait que le choix des Calédoniens soit celui de la France.
Notre stratégie dans l'Indopacifique est forte, quelles que soient les décisions contestables du gouvernement australien. Celui qui s'humilie, c'est celui qui renie sa signature ! (Marques d'ironie à droite)
Non, il n'y a pas d'indifférence à l'égard de la Nouvelle-Calédonie, mais une pleine solidarité, notamment dans le cadre de la crise sanitaire. Le taux d'incidence baisse, la vaccination progresse. La solidarité se manifeste par les trois cents renforts venus de la métropole. Nous allons créer cinq lits supplémentaires grâce à un détachement du service de santé des armées. (Exclamations à droite, où l'on considère que ce n'est pas le sujet.) Le Gouvernement de la République est pleinement mobilisé ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe INDEP)
Commémorations du 17 octobre 1961
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Des crimes inexcusables pour la République » : ainsi s'est exprimé le Président de la République à l'occasion de la commémoration du massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Sujet sensible s'il en est...
L'itinérance mémorielle du Président de la République devient une errance. Ce nouvel acte de repentance sur l'Algérie, sans contextualisation, fracture notre société. Cette propagande victimaire est inconvenante, voire indécente. Pourquoi s'excuser en permanence de notre histoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - Une grande Nation regarde son histoire avec vérité. Je n'ai pas de leçons de patriotisme à recevoir, ayant un grand-père qui a choisi la France.
Une grande Nation fait la vérité pour elle-même, pas pour complaire aux autres.
Le 17 octobre 1961, des milliers de personnes ont manifesté ; il y a eu des centaines de blessés, des dizaines de morts, du fait d'agents publics français. C'est une vérité historique. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER, du GEST et du RDPI) Reconnaître ces crimes, comme l'avait fait Bertrand Delanoë, n'est pas une errance : c'est regarder notre histoire en face, comme nous le demandons à d'autres pays.
Devant la vérité, soyons unis, ne faisons pas de politique politicienne. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du RDSE et du groupe SER)
M. Stéphane Le Rudulier. - Chaque histoire a sa part d'ombre et de lumière. Notre roman national a plus de lumières que d'ombres, nous devons en être fiers.
Voix à gauche. - N'importe quoi !
M. Stéphane Le Rudulier. - La repentance à répétition (Mme Éliane Assassi se récrie.) ouvre la porte à la concurrence des mémoires qui dressent les Français les uns contre les autres selon leur origine. (Huées à gauche)
Le chemin de la réconciliation avec l'Algérie est semé d'embûches. Pour se réconcilier, il faut être deux. Mais la mémoire est ici hémiplégique (Marques d'indignation à gauche) : seule la France fait l'effort là où les torts sont partagés.
« L'anachronisme est le pire péché de l'historien », dit Marc Bloch. Cela vaut aussi pour le Président de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; huées à gauche)
La séance est suspendue à 16 h 20.
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 35.