Lutte contre toutes les formes d'antisémitisme
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau et Hervé Marseille, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE) Il y a quarante-et-un ans, le 3 octobre 1980, une bombe explosait rue Copernic, faisant des dizaines de blessés et des morts près d'une synagogue - une première depuis la seconde guerre mondiale. Malheureusement, ce ne fut pas la dernière fois : depuis, les actes antisémites se sont multipliés, avec les crimes abominables de Mohammed Merah et les supplices d'Ilan Halimi, de Sarah Halimi, de Mireille Knoll.
Sept Français de confession juive sur dix disent avoir subi un acte antisémite - sept sur dix ! La question de l'antisémitisme se pose à nouveau, mais dans des termes différents. Hier issu de l'extrême droite, il procède aujourd'hui d'un autre écosystème : des territoires perdus de la République, gagnés par l'islamisme, où l'on ne peut plus enseigner la Shoah, où nos compatriotes se voient cracher au visage ces mots terribles : « sale juif ».
Combien d'élèves juifs restent dans les écoles publiques ? Combien de familles ont-elles dû s'exiler, la peur au ventre ?
Avant la guerre, cette idéologie s'affichait dans des journaux antidémocratiques. Aujourd'hui, elle se cache derrière des discours prétendument antiracistes, renversant de manière stupéfiante les valeurs : les coupables seraient des victimes, car appartenant à des groupes dominés.
Non : hier comme aujourd'hui, un antisémite est un antisémite. Il ne faut rien céder. On ne combat bien que ce que l'on nomme bien : tel est l'objet de cette résolution proposant une définition de l'antisémitisme adoptée par la France et d'autres pays au sein de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA).
Cette définition doit être assez large pour prendre en compte l'ensemble de ces nouvelles expressions. La frontière entre antisémitisme et l'antisionisme n'est parfois pas aussi nette que certains le prétendent. Elle doit être assez stricte pour autoriser la critique de la politique d'Israël : on a le droit, en France comme dans toute démocratie, de critiquer la politique de cet État comme celle de tout autre État.
Cette résolution n'est pas pour nos compatriotes de confession juive : elle est pour la France. Car les actes antisémites sont d'abord dirigés contre la République, contre la France, son projet civique et l'essence même de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Le 11 avril, des habitants de Perros-Guirec découvraient la stèle de Simone Veil recouverte de croix gammées. Une fois nettoyée, la stèle fut à nouveau souillée trois jours plus tard, puis encore - en tout à quatre reprises. Les exemples sont multiples dans tous les départements.
L'antisémitisme s'exprime à visage découvert, dans la rue, sur les pancartes de certains antivax, sur les murs des lieux de culte, sur les réseaux sociaux. Les injures, les intimidations, les discriminations se multiplient. On ne peut accepter que des élèves soient contraints de quitter une école en raison de leur religion.
On a cru la France vaccinée dans les années 1970, mais un nouvel antisémitisme protéiforme a vu le jour depuis, prenant prétexte de la situation au Moyen-Orient et d'un prétendu lobby juif auquel seraient associés tous les juifs de France. Pas moins de 687 faits antisémites ont eu lieu en 2019, soit une hausse de 27 % par rapport à 2018, après une hausse de 74 % déjà par rapport à 2017.
Derrière ces chiffres, l'horreur : Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de l'Hyper Cacher, de l'école Ozar Hatorah de Toulouse, Ilan Halimi. Cette haine barbare, violente et meurtrière est sans précédent.
Depuis la seconde guerre mondiale, on n'avait jamais assassiné des gens parce que juifs. En 1990, la loi dite Gayssot a condamné la négation des crimes contre l'humanité, témoignant de l'engagement de la France. Depuis, de nombreux plans d'action ont complété cet engagement.
Ce nouvel antisémitisme, qui avance souvent sous le masque de l'antisionisme, doit être caractérisé. C'est l'objet de la définition proposée par l'IHRA, dont la France est membre. Cette définition n'est pas contraignante juridiquement et ne touche pas la liberté de la presse. Mais les forces de l'ordre, les magistrats, les enseignants pourront s'en servir pour mieux appréhender le phénomène.
Il ne s'agit pas d'empêcher toute critique d'Israël. La définition de l'IHRA fait clairement la distinction : « une critique d'Israël similaire à celle portée contre n'importe quel autre pays ne peut être vue comme antisémite ».
De nombreux pays, les municipalités de Paris ou de Nice ou encore le Parlement européen ont adopté cette définition.
Alors que certains cherchent à réhabiliter le pétainisme ou dénient aux enfants assassinés le droit d'être enterrés en terre d'Israël, c'est l'honneur du Sénat que d'adopter cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDSE)
Mme Nathalie Goulet . - La période est violente et anxiogène. Les actes antimusulmans se multiplient, mais aussi les actes antisémites, et cela nous inquiète.
Mon père s'est échappé du Vél'd'Hiv grâce à un gendarme français qui a eu pitié de ma grand-mère. Penser qu'en France, au XXIe siècle, on puisse tuer des enfants parce que juifs, cela me glace le sang. Penser que certains abrutis utilisent les symboles de la Shoah pour protester contre le passe sanitaire me donne la nausée. Comment expliquer à certains qui osent utiliser l'étoile jaune que cela porte malheur ? Comment expliquer à nos parents qui l'ont portée ces dérapages insupportables ? Que certains laissent penser qu'il y a de bons et de mauvais antisémites - comme le bon et le mauvais cholestérol - me consterne. Ces faussaires de l'histoire en viennent même à affirmer que Vichy aurait protégé les juifs ? Cela m'horrifie !
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
Mme Nathalie Goulet. - Penser qu'en 2021, en France, terre des Lumières, terre de l'émancipation des juifs, nos synagogues sont gardées jour et nuit, que ma fille a peur d'y emmener ses enfants, me désespère. Je ne vois pas comment inverser la tendance. Mais je remercie le Gouvernement et le ministère de l'Intérieur pour les mesures de sécurité qu'il consacre à la protection des lieux de culte, de tous les lieux de culte. Je remercie les présidents Marseille et Retailleau d'avoir mis cette proposition à l'ordre du jour. Nous vivons avec nos morts et notre histoire tragique. C'est pour éviter qu'elle se reproduise que je voterai avec le groupe centriste cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)
M. Jean-Pierre Corbisez . - « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous », disait Frantz Fanon. La lutte contre l'antisémitisme est un combat permanent. Mireille Knoll, Sarah Halimi, l'Hyper Cacher nous le rappellent. Au sortir de la seconde guerre mondiale, nous aurions pu légitimement penser qu'il était derrière nous, mais l'antisémitisme est encore bien prégnant ; l'augmentation de 27 % des actes de ce type en 2019 en témoigne. Il y a aussi ce que l'on ne relève pas, qui ne fait l'objet d'aucune plainte, sous l'effet de la mithridatisation des esprits : une remarque, une insinuation...
La définition de l'IHRA vise « une certaine perception des juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte ». Cette définition, approuvée en 2019 par l'Assemblée nationale, ne fait pas consensus, y compris chez les intellectuels juifs.
Le RDSE n'a pas de position de principe, mais est attentif aux conséquences sur le droit existant. Celui-ci apporte, avec la loi sur la presse de 1881, la loi Gayssot et la réforme du code pénal en 1992, une réponse pénale suffisante. Cette proposition de résolution n'y ajoutera rien, même si j'en entends l'argument de l'outil éducatif. Le désaccord avec Israël est acceptable, légitime et légal, mais l'amalgame avec l'ensemble d'une population qui n'est d'ailleurs pas seulement juive est inacceptable. C'est pourquoi le groupe RDSE votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains ; MM. Hervé Marseille et Joël Guerriau applaudissent également.)
Mme Esther Benbassa . - De fait, les préjugés antijuifs perdurent en se renouvelant : juifs riches et assoiffés de pouvoir, responsables de tous les maux, y compris le Covid... Les pancartes de certains antivax et antipasse rappellent les accusations médiévales contre les juifs propagateurs de la peste et empoisonneurs de puits. Notre lutte contre l'antisémitisme ne doit laisser place à aucune ambiguïté. Pourquoi dès lors se focaliser sur la critique d'Israël ?
En 2015, après son offensive meurtrière contre Gaza, M. Netanyahou promeut une idée simple : antisionisme égale antisémitisme. Son principal interlocuteur est l'IRHA, qui adopte en mai 2016 sa définition. Non contraignante sur le plan juridique, elle demeure un outil d'intimidation, comme en témoignent les pressions des lobbies pro-israéliens pour la faire adopter par le plus grand nombre possible de municipalités, de partis, d'États.
Le 16 juillet 2017, à la fin de son discours sur la rafle du Vél'd'Hiv, Emmanuel Macron déclarait : « Nous ne céderons rien à l'antisionisme car c'est la forme réinventée de l'antisémitisme. » Voilà le type de confusions qu'entretiennent les exemples accompagnant la définition de l'IHRA.
Cette proposition de résolution est plus claire que celle de l'Assemblée nationale ; le mot antisionisme n'y apparaît heureusement pas. Je la voterai, même si j'aurais préféré la définition de Jérusalem, élaborée par des universitaires et approuvée par des centaines de spécialistes de l'histoire des juifs et de l'antisémitisme dans le monde, qui établit des critères non ambigus et offre de fait les clés pour interpréter la définition de l'IHRA.
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il est des combats qui doivent rassembler - la lutte contre l'antisémitisme en fait partie. Notre combat, c'est la condamnation des appels à la haine et à l'oubli des souffrances liées à l'antisémitisme.
En 1995, quand Jacques Chirac a reconnu « l'acte irréparable » commis par la France que fut la rafle du Vél'd'Hiv, il a grandi la France ; c'est pourquoi, quand j'entends des responsables politiques courir après un polémiste révisionniste qui justifie Vichy, j'ai mal à ma France.
Qu'il vienne de l'extrême droite, du complotisme ou du totalitarisme islamiste, face à l'antisémitisme, il faut bannir tout accommodement, toute complaisance, toute lâcheté. Appartenant à une famille politique qui a l'antiracisme ancré dans son ADN, je salue, au nom de mon groupe, cette proposition de résolution.
Élu du Val-d'Oise, j'étais cette année, comme tous les ans, à Aincourt où un sanatorium fut transformé en un camp d'internement d'où partirent 1 500 hommes, femmes et enfants pour les camps de Ravensbrück et d'Auschwitz.
Le 30 novembre 2015, Bernard Cazeneuve et moi avons inauguré une stèle à Sarcelles, en hommage à Yohan Cohen, assassiné dans l'Hyper Cacher parce que juif. Toute ma vie, je me souviendrai de la douleur de ses proches.
L'antisémitisme est en progrès notable, avec 687 faits commis en 2019, malgré le plan national contre le racisme et l'antisémitisme. Il faut de la pédagogie, mais aussi une justice implacable.
L'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est un délit. Le groupe SER votera unanimement cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)
Mme Patricia Schillinger . - Je salue la tenue de ce débat. L'antisémitisme est une attaque contre le vivre-ensemble et le faire-société.
Deux chiffres me heurtent : 80 % des 18-24 ans de confession juive ont été victimes d'un acte antisémite ; la moitié en milieu scolaire, lieu de la découverte des valeurs d'humanisme. Ces actes imposent une condamnation ferme, mais surtout une action rapide et déterminée.
Les réseaux sociaux et forums de discussion sont les lieux privilégiés de propagation de l'antisémitisme.
Mais j'ai vu aussi un antisémitisme à visage découvert lors de manifestations contre le passe sanitaire, avec des comparaisons abjectes.
Le Prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel, disait : « être indifférent à la souffrance, c'est rendre l'humain inhumain ».
L'antisémitisme est le problème de notre société tout entière. C'est un combat de tous les instants, qui passe aussi par la responsabilité de chaque citoyen. Cela passe aussi par l'enseignement de la Shoah.
Le RDPI salue le travail de l'IHRA qui, en 2016, adoptait une définition dite de travail, non contraignante, pour mieux circonscrire l'antisémitisme. Assortie d'exemples concrets, cette définition garantit la liberté d'expression et n'empêche pas la critique d'Israël. Le Président de la République l'a endossée, le 20 février 2019, lors du dîner du CRIF.
Cette définition doit être diffusée auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires ; ce sera un instrument utile.
Il ne s'agit pas de modifier le code pénal, mais de préciser et raffermir nos pratiques. Le RDPI votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. Joël Guerriau . - L'examen de cette résolution coïncide avec une cérémonie internationale de commémoration de l'holocauste de Babi Yar, à Kiev, en présence du président allemand et du président israélien. Quelque 33 000 juifs y furent exécutés par balle les 29 et 30 septembre 1941 - le plus grand massacre de la Shoah ukrainienne.
Nous aurions pu marquer un moment de silence pour ces innocents, assassinés au nom d'une idéologie barbare. Songeons qu'en Ukraine, le bataillon néonazi Azov parade en toute impunité avec un emblème qui rappelle grandement celui de la deuxième division SS Das Reich...
En France, nous déplorons une spirale d'actes antisémites de plus en plus violents. Mireille Knoll, Ilan Halimi, Sarah Halimi, les victimes de l'école Ozar Hatorah ou de l'Hyper Cacher... La liste de ceux qui sont morts parce que juifs s'allonge. À ces crimes s'ajoutent les profanations et dégradations de sépultures et de lieux de culte, les insultes et les agressions physiques.
L'antisémitisme est un poison portant atteinte à la France et à nos valeurs républicaines. Charles Péguy disait qu'il y a pire que d'avoir une âme perverse : c'est d'avoir une âme habituée. L'insupportable ne saurait se banaliser.
L'IHRA, fondée en 1998, regroupe 31 pays dont la France ; elle propose une courte définition, complétée par une série d'exemples ; il est précisé que les critiques d'Israël ne peuvent être qualifiées d'antisémites.
Cette définition non contraignante vise notamment les lieux scolaires et universitaires ; elle sera utile aux forces de l'ordre et aux magistrats.
Adopter cette proposition de résolution, c'est montrer symboliquement notre détermination collective à lutter contre l'antisémitisme, et par là même, contre tous ceux qui, en paroles et en actes, sèment la haine et l'intolérance. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Je voterai cette résolution, comme beaucoup ici. Mais en arriver là est la marque de l'échec de toutes nos politiques publiques depuis vingt ans.
Après la guerre, après la Shoah, l'abomination, on se disait que les esprits ne pourraient même plus imaginer l'antisémitisme ; on l'a cru pendant trente, quarante ans. Mais depuis vingt, trente ans les choses dérapent. D'abord dans les mots, puis dans les actes.
On s'y est presque habitué : telle année, 23 % d'actes antisémites en plus, telle autre, 17 %... On s'en satisferait presque.
Le premier texte fort a été la loi Gayssot, suivie de toute une série de textes, appels, circulaires, décrets qui n'ont rien changé.
Nous faisons face à un antisémitisme protéiforme : celui, traditionnel, des séides de l'extrême droite néonazie ; celui, insupportable, de ceux qui prétendent que Pétain a livré les juifs étrangers à la déportation pour protéger les juifs français, comme s'il y avait une gradation...
En vérité, ce sont l'éducation et les médias, et non le législateur, qui devraient être en première ligne.
Antisémitisme avoué, inavoué, revendiqué, anonyme, sur les réseaux sociaux, dans la rue... Jusqu'où ?
Cette proposition de résolution est en réalité un appel au Gouvernement. Les textes de loi ne suffisent pas : il faut les appliquer, punir sévèrement les réseaux sociaux lorsqu'ils laissent déborder la haine antisémite. Personne ne doit être inquiété pour sa religion dans ce pays.
Le Sénat, c'est 348 sénateurs, chacun avec son approche - mais c'est aussi, comme l'Assemblée nationale, le garant de l'unité de la Nation, de la démocratie, de la République.
Pas de nation sans autorité de l'État, sans unité, sans destin commun. Voter cette résolution, c'est dire oui à la Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et sur plusieurs travées du RDSE et des groupes SER et CRCE)
M. Guy Benarroche . - Celui qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre. C'est notre rôle de légiférer sur des incriminations pénales, pas de définir des notions contestées. Cette résolution repose sur une définition de l'antisémitisme choisie par l'IHRA qui est loin d'être une référence indiscutable.
L'antisémitisme, c'est ramener quelqu'un à son identité juive. C'est une discrimination, un préjugé, une hostilité, une violence à l'encontre des juifs, bien antérieure à l'État d'Israël et même au sionisme.
Tous, sur nos travées, nous condamnons sans réserve les actes de violence et la haine envers les juifs. L'antisémitisme évolue, dans ses formes, ses justifications inacceptables, toujours empreintes de mauvaise foi. Le révisionnisme d'extrême droite s'exprime par des profanations de cimetières ou de synagogues, par les pancartes abjectes brandies par les complotistes. Tout cela est à combattre.
D'autres aspects appellent plus de nuance.
Rien dans la définition de l'IHRA n'évoque l'antisionisme ; ce sont les exemples publiés dans la déclaration de 2016 qui font le lien entre la critique d'Israël et l'antisémitisme. Le Président de la République a dit vouloir élargir la définition de l'antisémitisme à l'antisionisme. L'IRAH a certes affirmé qu'une critique d'Israël ne peut être assimilée à de l'antisémitisme, mais ce n'est pas si clair.
Les critiques de la politique des gouvernements israéliens ne peuvent être assimilées à l'antisémitisme, au risque d'affaiblir le combat contre celui-ci. Cet amalgame est faux.
Parfois, l'antisionisme est le faux-nez de l'antisémitisme mais ne tombons pas dans le piège. Notre arsenal juridique suffit : la loi sanctionne le fait d'attaquer une personne du fait de son origine, de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Elle fait honneur à la République.
Nous demandons donc le retrait de cette proposition de résolution déséquilibrée ; à défaut, nous nous abstiendrons. Notre groupe déposera très bientôt un texte contre le racisme et les discriminations. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. François Bonhomme. - On a compris...
M. Pierre Ouzoulias . - La haine du juif en France, c'est deux mille ans de mesures d'éloignement, de législations d'exclusion, d'accusations criminelles, de persécutions, de pogromes et de génocides. Léon Poliakov a montré qu'elle trouve son origine dans l'Antiquité puis dans le christianisme naissant, l'antijudaïsme participant de la formation d'une certaine identité chrétienne de l'Occident.
Les juifs de Rouen furent massacrés en 1096, avant que d'autres pogroms ne suivent en 1146. L'abbé de Cluny les justifie ainsi : pourquoi une croisade au bout du monde quand il existe parmi nous des infidèles mille fois plus coupables envers le Christ que les mahométans ?
Il y a un antijudaïsme d'État, dont témoignent de nombreux édits royaux, de Childebert et Dagobert à Philippe le Bel et Charles VI. Jusqu'aux mesures de Napoléon Bonaparte contre l'installation des juifs en Alsace, ciblant leurs « pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société. »
L'antisémitisme contemporain s'inscrit dans l'histoire d'un antijudaïsme millénaire, dont l'exposé des motifs de cette résolution ne dit rien. Or comment ne pas reconnaître dans le complotisme actuel des résurgences des thèses médiévales qui faisaient des juifs les responsables de l'épidémie ? C'est notre première réserve.
Notre deuxième objection porte sur la définition proposée par l'IHRA, qui est imprécise, et dont l'utilisation politique partisane a été dénoncée par Kenneth Stern, l'un de ses rédacteurs.
La définition de la Déclaration de Jérusalem, publiée en 2020, est plus pertinente. Elle rappelle que le combat contre l'antisémitisme ne saurait être dissocié de la lutte globale contre toutes les discriminations raciales, ethniques, culturelles, religieuses ou sexuelles.
Nous regrettons enfin qu'il ne soit pas fait référence au révisionnisme actuel et à la tentative de réhabilitation du régime de Vichy.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. - Rappelons-nous les mots du président Chirac dans son discours du Vél'd'Hiv, le 16 juillet 1995 : « la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. Transmettre la mémoire, reconnaître les fautes du passé, ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est lutter contre les forces obscures sans cesse à l'oeuvre ». Cette déclaration nous honore, nous oblige et nous engage.
Engageons ensemble un travail de fond pour éclairer nos concitoyens sur les deux mille ans d'antijudaïsme qui ont abouti à la Shoah, à partir de la Déclaration de Jérusalem. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur plusieurs travées des groupes INDEP et UC)
M. Pierre-Antoine Levi . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Qu'est-ce que la haine ? Aucune définition ne satisfera notre volonté de comprendre, et notre besoin de consolation restera à jamais inassouvi.
Les images qu'elle laisse dans son affreux sillage hantent nos mémoires. Toulouse, 19 mars 2012, huit heures du matin : devant l'école Ozar Hatorah, un garçonnet terrifié, achevé dans la rue à côté du corps de son père et de son frère, abattus par un tueur en scooter. Puis vient le tour d'une fillette de huit ans, tuée à bout portant - tous coupables d'être juifs. La scène est filmée, car il ne suffit pas de tuer, il faut archiver la tuerie, pour en jouir davantage.
Sainte-Geneviève-des-Bois, 13 février 2006 : un jeune homme de 23 ans est retrouvé à l'agonie aux alentours du RER C. Il s'appelle Ilan Halimi et a été torturé pendant trois semaines - parce que juif.
Des années ne suffiraient pas à feuilleter, crime après crime, le terrible album de la haine antisémite.
Nous voyons renaître dans notre pays la bête immonde de l'antisémitisme, parfois sous des masques qui feignent l'innocence. La violence haineuse peut aussi tuer par la simple parole.
Face à la multiplication des actes antisémites et leur banalisation, la peur pousse certains à fuir la France.
La France doit tout mettre en oeuvre pour bannir la peur et combattre la haine antisémite.
« Je suis faite pour partager l'amour et non la haine », dit Antigone. Faut-il inscrire l'empathie au programme de l'Éducation nationale ? L'utopie n'est sans doute pas la réponse, mais permettez-moi de rêver à une France où le mot antisémitisme n'aurait plus aucun sens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
[M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « Heureux comme un juif en France »... Longtemps cette formule eut cours. Le philosophe Emmanuel Levinas citait son grand-père, évoquant l'affaire Dreyfus et saluant un peuple qui se déchira pour sauver l'honneur d'un petit officier juif : c'est, disait-il, un pays où il faut rapidement aller. Zola, Clemenceau, Anatole France, Jaurès et d'autres furent l'honneur de la France.
N'en déplaise à d'aucuns qui cherchent à minimiser le rôle de Vichy dans la Shoah, notre référence demeure le discours du Président Chirac du 16 juillet 1995. Il nous habite.
Depuis, la France a été le théâtre de plusieurs attentats et crimes antisémites auxquels s'ajoutent les profanations, les violences physiques, les injures gratuites, le révisionnisme.
Toutes les formes d'antisémitisme sont à combattre, d'où qu'elles viennent - extrême droite ou nébuleuse islamiste.
La lutte contre l'antisémitisme doit mobiliser toutes les forces républicaines et tous les pouvoirs publics, l'Éducation nationale, les forces de l'ordre et la justice.
Nos compatriotes de confession juive sont de plus en plus nombreux à se demander si leurs enfants ont encore leur place dans l'école de la République, s'ils ont encore un avenir en France.
Je veux leur dire : « Vous n'êtes pas seuls ! ». Nous renouvellerons ce serment en votant cette proposition de résolution, en conscience, en responsabilité et en fidélité à notre engagement contre toutes les discriminations qui menacent notre pacte républicain.
Inspirés par les résistants anonymes, par les Justes parmi les Nations, par les héros tombés face au péril islamiste, nous le redisons : « vous n'êtes pas seuls ! »
Héritiers d'une histoire et passeurs d'une mémoire, nous sommes dépositaires d'une promesse que la République fait à ses enfants : nul ne doit être inquiété pour sa religion. Hissons-nous à la hauteur de ce que le général de Gaulle appelait « une certaine idée de la France ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC, RDSE et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Sabine Drexler . - Le racisme et l'antisémitisme ont tué en France, rappelait Édouard Philippe en 2018. Ils s'expriment dans la rue, sur les murs des lieux de culte, sur les réseaux sociaux. Ils se traduisent par des injures, des intimidations, des coups.
Quel est le résultat des politiques publiques qui visent à juguler l'antisémitisme ordinaire ?
En Alsace, région où j'ai grandi et dont je suis l'élue, nous avons un passé commun, unique, dense et riche, avec la communauté juive, depuis un millénaire. Nous en trouvons des traces dans notre dialecte et nos chants, notre littérature, notre cuisine, notre patrimoine bâti.
Mais cette histoire commune n'a pas été un long fleuve tranquille. Les juifs ont parfois été accueillis à bras ouverts, parfois chassés, comme au XIVe siècle, au moment de la Grande peste noire, spoliés, comme en 1848 dans mon propre village du Sundgau, et éradiqués pendant la seconde guerre mondiale.
Mais en Alsace-Moselle, le Concordat de 1801 a développé une culture du dialogue et un savoir-vivre ensemble spécifique. C'est ainsi que nous luttons contre les préjugés séculaires. Dans notre région, les affaires religieuses ne sont pas un tabou.
Pour autant, l'Alsace n'échappe pas à la poussée antisémite. C'est pourquoi la Collectivité européenne d'Alsace a installé des « veilleurs de mémoire » pour lutter contre les profanations de tombes.
La lutte contre les relents antisémites passe par la prévention, l'éducation et la culture. Les professeurs ne doivent pas craindre d'aborder la Shoah, dont certains n'osent même plus prononcer le mot.
Notre défi commun est de lutter contre l'indifférence et la banalisation de ces actes, de nous doter d'outils efficaces pour protéger notre nation et ses valeurs.
Je salue le travail de Bruno Retailleau et Hervé Marseille. J'espère que ce premier pas sera suivi d'autres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Paccaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2004, le rapport Obin nous apprenait qu'à l'école, le racisme antijuif avait très nettement supplanté le racisme antimaghrébin ; seuls les enfants juifs ne peuvent être scolarisés dans n'importe quel établissement.
L'antisémitisme n'a jamais cessé de diffuser son venin. Lorsqu'une vitrine est souillée de l'inscription « Juden », que le portrait de Simone Veil est scarifié d'une croix gammée, qu'Alain Finkielkraut est lynché verbalement, c'est le fantôme le plus ignoble de l'Histoire qui ressurgit ; le meurtre de Mireille Knoll, les crimes de Mohammed Merah, les profanations de tombes juives sont autant de résurgences insoutenables d'un passé qui nous remplit d'effroi.
Ce fléau habite notre civilisation. La bête immonde est là, tapie dans l'ombre, mâchoire acérée suintant de haine, prête à bondir - et le ventre toujours fécond. Elle a simplement pris d'autres visages, celui de la folie islamiste ou de l'antisionisme absolu, qui autorise un antisémitisme décomplexé.
L'oubli ne nous menace pas moins. Seul le souvenir engendre la sagesse. L'école est le haut lieu de la transmission des valeurs de la République. Elle doit porter inlassablement le souvenir des crimes antisémites. Le devoir de mémoire et de pédagogie nous oblige.
Les soubresauts de l'affaire Dreyfus perdurent. Souvenons-nous de « J'accuse ! » : les mots d'Émile Zola pourraient être d'aujourd'hui. L'antisémitisme, comme tous les racismes, n'a pas sa place dans la République de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
« Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux », écrit Victor Hugo. Ne rendons jamais illisibles les pages les plus sombres de notre Histoire, veillons à ce que personne ne puisse les réécrire. Votons cette résolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et sur quelques travées du RDSE et des INDEP ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté . - Amos Oz raconte que son père, alors installé en Europe, avait découvert un matin en face de sa maison l'inscription « Juifs, fuyez au Proche-Orient », et c'est ce qu'il fit. Des décennies plus tard, il revint visiter sa ville natale, et découvrit au même endroit l'inscription : « Juifs, hors du Proche-Orient ».
Que l'on dénonce le cosmopolitisme hors-sol des juifs ou au contraire leur enracinement, c'est la même haine ontologique. Nous devons combattre l'antisémitisme sous toutes ses formes, de toutes nos forces.
La réalité est là. Depuis vingt ans, la haine antisémite connaît une poussée préoccupante dans notre pays : menaces, injures, dégradations, inscriptions, agressions. Internet fournit un exutoire et une caisse de résonance à cet antisémitisme qui tue - les victimes ont été nommées à cette tribune.
Un tiers de nos concitoyens de confession juive se sentent menacés ; beaucoup déménagent, évitent certains quartiers, scolarisent leurs enfants dans des écoles privées.
Cet été, 405 faits antisémites ont été enregistrés en quelques mois ; cela représente 40 % des actes racistes, dirigés contre 1 % de la population. Je pense à la profanation de la stèle en hommage à Simone Veil à Perros-Guirec, aux débordements de certaines manifestations. Avec la pandémie, un antisémitisme latent s'est révélé, le fantasme sinistre du complot juif a reparu. C'est inacceptable.
L'antisémitisme n'a pas sa place en France ; nous le combattons avec la plus extrême fermeté. Depuis l'Antiquité, les juifs ont contribué à façonner le visage et les valeurs de notre pays ; ils ont le droit, comme tous les Français, d'y vivre en paix.
Le Président de la République l'a dit en 2019 : « L'antisémitisme est le signe avant-coureur d'autres haines, quand ce n'est pas celui d'une violence de masse ; il concerne la République tout entière ».
L'antisémitisme a évolué. Il existe à l'extrême droite, mais aussi à l'autre extrémité de l'arc politique, où l'on associe facilement les juifs aux dominants et où l'on en veut à Israël d'exister. Il prend aussi le visage de l'islamisme radical.
L'antisémitisme est devenu multiforme. C'est pourquoi il faut le définir, pour mieux le combattre. La définition du travail de l'IHRA est un instrument utile pour ce faire.
L'Assemblée nationale l'a adoptée en 2019 à l'initiative du groupe LaREM (« Ah ! » sur plusieurs travées) et je me réjouis que le Sénat le fasse à son tour.
Je salue l'initiative de MM. Retailleau et Marseille et vous invite, au nom du Gouvernement, à voter cette résolution. Elle ne modifie pas notre droit mais même sans force contraignante, sera utile dans les tâches de prévention comme de répression.
J'insiste : la liberté de critiquer les politiques des gouvernements israéliens est évidemment préservée ! C'est une chose normale en démocratie. Cela n'a rien à voir avec le fait de dénier à Israël le droit d'exister.
Le Gouvernement est totalement mobilisé dans le combat contre l'antisémitisme. Il a durci le ton et dissout de nombreux groupuscules néonazis et islamistes, traqué les infractions antisémites, renforcé la protection des synagogues, intensifié la lutte contre la haine en ligne, renforcé la formation des policiers, des enseignants et des magistrats.
J'ai personnellement signalé à la justice de nombreux propos et actes antisémites, dont ceux dont a été victime April Benhaïm, candidate à l'élection de Miss France... Pharos fonctionne désormais sept jours sur sept et un observatoire de la haine en ligne a été créé grâce à la loi Avia. Notre soutien aux institutions mémorielles a été renforcé.
Nous continuerons à lutter sans relâche contre le racisme et l'antisémitisme. Un plan à cet effet sera adopté dans les mois qui viennent.
Non, la France ne s'habitue pas à la haine et aux passions mauvaises. Résolue à agir, elle demeure unie autour de ses valeurs républicaines. Je soutiens sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
La proposition de résolution est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.