Financement de la sécurité sociale (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi, adoptées par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatives aux lois de financement de la Sécurité sociale.
Discussion générale commune
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie . - Pour répondre aux enjeux de la gouvernance des finances publiques, nous voulons franchir un pas de plus vers une meilleure appréhension du champ des finances sociales par le Parlement.
Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte très spécifique : la trajectoire financière du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année prochaine fait apparaître un déficit qui devrait s'établir à 15 milliards d'euros dans les prochaines années. N'en ayons pas honte : il traduit l'effort inouï de la sécurité sociale pour nous protéger dans la crise grâce au système de santé et au filet de sécurité, mais il résulte aussi du décrochage brutal de l'activité. La reprise, qui s'annonce forte, ne suffira pas à effacer cette baisse. Certes, la sécurité sociale est une gigantesque machine assurantielle, mais elle est intimement liée à la vie des Français.
Nous devrons rétablir ses comptes. Nous ne pouvions pas lui administrer une telle purge en sortie de crise. Mais une réforme d'ampleur des lois de financement de la sécurité sociale permettra la reconstruction de celle-ci.
Cette proposition de loi organique améliore en premier lieu l'information du Parlement. Elle introduit ainsi un article liminaire, à l'instar des lois de finances, pour une information lisible sur le solde des administrations de sécurité sociale, soit un périmètre plus large que la loi de financement de la Sécurité sociale.
La proposition de loi organique introduit également un compteur des écarts. Certes, nous ne devons pas abandonner le pilotage de la Sécurité sociale par les soldes. Mais le rattrapage ne devra pas se traduire par une hausse des prélèvements obligatoires.
Au début de chaque mandature, une loi de programmation fixera un cap. Nous rendrons les annexes plus lisibles en privilégiant le « mieux » sur le « plus ».
Deuxième objectif : améliorer la qualité des débats, avec en premier lieu une loi d'approbation des comptes de la Sécurité sociale. Avec celle-ci, vos travaux seront ainsi organisés autour d'un débat sur l'exécution et l'évaluation au printemps et, à l'automne, un débat sur l'actualisation de la trajectoire de l'année en cours et sur la trajectoire de l'année à venir.
Dans le même mouvement, nous voulons rapprocher les calendriers des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale - les deux jambes de nos finances publiques. Une présentation conjointe en conseil des ministres favoriserait une vision panoptique de celles-ci. Nous voulons enfin rendre plus lisibles les relations financières entre l'État et la Sécurité sociale.
Ces deux propositions de lois jettent les bases d'une reconstruction des finances sociales. Vous partagez ces objectifs, ils sont les mêmes que ceux de la proposition de loi organique de M. Vanlerenberghe. Je sais toute la qualité de votre travail législatif et ne doute pas que le débat enrichira ces textes. Mais certaines dispositions introduites par la commission des affaires sociales me semblent difficilement applicables, ce qui a conduit le Gouvernement à déposer des amendements.
Nous sommes ainsi opposés à l'extension du périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale à l'assurance chômage, car cela remettrait en question l'autonomie des partenaires sociaux.
Si la règle d'or est une piste intéressante, les conditions économiques ne sont pas réunies pour la mettre en oeuvre dès aujourd'hui. Nous voulons aussi réviser certains points techniques, qui semblent soit privilégier la quantité sur la qualité, soit rigidifier l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), juste après que la crise de la Covid nous a montré tout l'intérêt de sa souplesse.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales . - Nous examinons deux textes de l'Assemblée nationale réformant la construction, le contenu et l'examen des lois de financement de la sécurité sociale.
Les occasions sont rares en ce domaine : depuis la création de ces lois il y a vingt-cinq ans, c'est la deuxième évolution du cadre qui s'y applique.
Le Sénat aborde ce débat dans un esprit constructif. La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), alors présidée par Jean-Noël Cardoux, m'avait chargé, il y a deux ans, d'un travail en ce sens qui a abouti à un rapport en juillet 2020 et à une proposition de loi organique déposée en mars dernier, cosignée par Alain Milon et René-Paul Savary, président actuel de la Mecss, et par tous les rapporteurs de la commission des affaires sociales.
Nous avons accueilli avec bienveillance la création, par la proposition de loi organique de Thomas Mesnier, d'une loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss), qui figure aussi dans notre texte. Même chose pour l'article liminaire et la réorganisation des annexes : nul ne devrait avoir peur d'une meilleure information du Parlement en matière de finances sociales.
Nous n'avons pas d'opposition aux modifications du calendrier, pourvu que vous nous confirmiez que le projet de loi de financement sera bien connu à la même date que l'avant-projet de loi aujourd'hui, et que le passage en séance au Sénat restera fixé mi-novembre.
Notre proposition de loi organique était cependant plus ambitieuse, d'où nos amendements étendant le périmètre à l'assurance chômage. Il ne s'agit pas d'une attaque contre le paritarisme, auquel je suis très attaché. Les partenaires sociaux doivent conserver la gestion, mais, actuellement, le Gouvernement a un pouvoir prééminent - et je comprends que vous cherchiez à le conserver. (Mme Brigitte Bourguignon le conteste.) Pas moins de 40 % du financement de ce régime est issu d'une recette fiscale : cela implique naturellement un contrôle du Parlement !
Nous sommes à la disposition des partenaires sociaux pour examiner un plan de financement qui leur permettrait de résorber la dette hors covid, mais dans le respect des responsabilités paritaires, telles qu'exercées avec bonheur à l'Agirc-Arrco, par exemple.
Nous le savons tous, la loi de financement de la sécurité sociale n'est pas une loi de finances et nous avons toujours regardé avec méfiance les projets de fusion. Mais pour rester légitime, elle ne doit pas permettre tous les abus.
Les obligations de dépense ne doivent en aucun cas interdire le versement d'une prestation ou le remboursement d'un soin - nous y sommes très attachés. C'est ce qui justifie le terme « objectif de dépenses » figurant dans la Constitution.
Mais le Constituant de 1996 n'a pas voulu que la sécurité sociale soit une caisse de débudgétisation du Gouvernement, qui a multiplié par quarante les crédits de la structure sans autorisation du Parlement - sous prétexte que c'est la sécurité sociale qui paie.
Sans instaurer de crédits limitatifs, nous avons renforcé les procédures de dépassement en prévoyant un avis des commissions des affaires sociales. C'est bien le moins ! Même chose en cas de dépassement du plafond de l'Acoss.
Le diable se nichant dans les détails, nous avons prévu que toutes les données dans les annexes soient transmises dans un format exploitable, pour que nous puissions mener nos propres analyses.
Nous voulons instaurer une règle d'or. L'Assemblée nationale propose un compteur d'écart : c'est un premier pas. Nous proposons que l'équilibre sur cinq ans, déjà voté dans le cadre du projet de loi Dette sociale et autonomie, soit inscrit dans la loi organique.
Un tel dispositif ne serait applicable qu'après la crise, à compter de 2024-2028. Mais nous sommes ouverts à vos propositions si vous jugez l'échéance trop rapprochée ; l'essentiel est d'afficher l'objectif d'en finir un jour avec le trou de la sécurité sociale.
Il serait regrettable qu'un texte portant sur les institutions ne fasse pas l'objet d'un consensus entre les deux chambres. Pour autant, un accord ne peut se faire à n'importe quel prix. Nous ne pouvons pas nous contenter de constater un peu plus tôt dans l'année la dérive du déficit ! Nous espérons un accord en CMP, même si les amendements déposés par le Gouvernement ne nous rendent guère optimistes... (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au cours des débats en commission, une collègue a souligné que ce texte était politique. À mon sens, il est surtout institutionnel, puisqu'il touche aux rapports entre pouvoirs publics, selon l'article 14 de la Constitution : tous les citoyens ont le droit de constater la nécessité de la contribution publique. En ces temps d'affaiblissement du consentement à l'impôt, voire de jacquerie fiscale, mesurons l'importance du sujet : 500 milliards d'euros de dépenses publiques.
Historiquement, ce jeune texte - 25 ans - qu'est la LFSS est le fruit d'un compromis. Après l'accumulation des premiers déficits et le recours plus marqué à l'impôt pour financer la sécurité sociale, l'intervention des pouvoirs publics était bien sûr nécessaire, mais la prédominance d'un financement par cotisation, fondement de la gestion paritaire, ne semblait pas pouvoir laisser de place à un véritable budget de la sécurité sociale. C'est ce qui explique les notions de « prévisions de recettes » et « d'objectifs de dépenses ».
L'intention du Constituant était pour autant très claire : la loi de financement de la sécurité sociale n'est ni une pétition de principe, ni une résolution, ni une loi de programmation ; elle a bien une portée normative qui doit s'imposer à tous. L'Ondam est désormais respecté. Médecins libéraux, entreprises du médicament, fédérations hospitalières et syndicats ne s'y trompent pas : le PLFSS fixe bien des enveloppes sans droit de tirage illimité sur les finances de la sécurité sociale.
C'est pourquoi le compromis des origines exige une actualisation, tant la crise sanitaire a fait apparaître crûment combien cette construction laissait les mains libres au Gouvernement : la sécurité sociale est devenue l'opérateur des politiques sociales de l'État.
Les cotisations représentent moins de la moitié des ressources en 2021. Mais le Gouvernement peut les augmenter sans passer par le Parlement. Quel souverain de l'Ancien régime n'en aurait pas rêvé ? La commission des affaires sociales veut y mettre fin via les clauses de révision.
Sur l'assurance chômage, ne vous trompez pas de combat. Depuis la loi de 1998, c'est le Gouvernement qui la pilote et l'impôt qui la finance à 40 %. Les partenaires sociaux peuvent-ils rétablir 2,4 % de prélèvements sur les salaires et régler sans apports extérieurs une dette de près de 70 milliards d'euros ? Non. Considérons la réalité des mécanismes institutionnels qui, sous couvert de ménager les partenaires sociaux, conduisent de fait à exclure le Parlement.
Nous vous proposons une reconquête démocratique sans nous contenter de la seule loi d'approbation des comptes, par laquelle nous ne pourrons que constater que le Gouvernement n'a pas fait ce que nous avions voté.
Nous n'avons donc pas affaire à un texte technique, mais bien à un texte qui nous permet de poser des actes politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Daniel Chasseing . - La crise sanitaire a entraîné une dégradation durable des comptes publics. Les dépenses ont augmenté très fortement en 2020 et la dette publique atteint 2 600 milliards d'euros. La tendance reste la même en 2021.
Le déficit de la sécurité sociale atteint 40 milliards d'euros en 2020, probablement 35 milliards en 2021. Mais ces dépenses ont permis de mettre beaucoup de ménages et d'entreprises à l'abri de la crise.
Quelle en seront les conséquences sur la soutenabilité de la dette ? Seul le plein-emploi, passant par une vraie réindustrialisation, pourra y remédier.
Ces deux propositions de lois visent à améliorer la cohérence des comptes sociaux.
Le rapporteur veut intégrer le régime d'assurance chômage dans la loi de financement de la sécurité sociale sans remettre en cause le paritarisme. Les annexes seront certifiées et la commission des affaires sociale davantage consultée.
Une loi d'approbation des comptes sera examinée au printemps, sur le modèle des lois de règlement.
Enfin, le pilotage pluriannuel sera facilité par l'ajout d'un article liminaire et d'un compteur d'écart entre les soldes prévus et réalisés. Ces deux dispositions améliorent opportunément le contrôle parlementaire.
Le Parlement aura une semaine supplémentaire pour prendre connaissance du PLFSS.
Le Parlement aura une semaine supplémentaire pour prendre connaissance du PLFSS et sera informé en cas de rupture des équilibres votés.
Un garde-fou a été ajouté par la commission des affaires sociales : la règle d'or, qui garantit l'équilibre des comptes sociaux sur une période de cinq ans, avec des dépassements en cas de circonstances exceptionnelles. Nous y serons favorables.
Ces deux propositions de loi sont le fruit d'un travail important du Parlement et de la Cour des comptes, le groupe INDEP y est favorable. (M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur, et M. Bernard Jomier applaudissent.)
M. René-Paul Savary. - Très bien !
Mme Raymonde Poncet Monge . - Chaque étape de l'intégration de la sécurité sociale dans le champ législatif renforce le paradigme financier de la protection sociale et les outils de la contrainte des dépenses. Ces deux textes poursuivent cette logique d'ajustement des dépenses aux prévisions de recettes, plutôt que d'en élargir l'assiette.
À quand un projet de loi partant de l'analyse des besoins de la population et des territoires, induisant un objectif national de recettes ?
Le rôle de la tarification à l'activité (T2A) dans la crise de l'hôpital public n'est pas questionné : on veut même étendre celle-ci à l'hôpital psychiatrique, déjà sinistré.
Notre amendement prévoyant qu'elle ne peut représenter plus de la moitié des ressources d'un établissement de santé a été jugé irrecevable - preuve que la T2A est bien un outil de limitation des dépenses, et non d'efficience !
La rénovation du cadre organique ne traite que des dépenses.
L'Assemblée nationale avait rejeté un amendement laissant la possibilité de jouer sur le levier des ressources ; la commission a supprimé à jute titre cette hémiplégie de compteur des écarts.
Le GEST portera en revanche un amendement de suppression de la règle d'or, plus performative qu'opérationnelle. Sans préciser les moyens de parvenir à ce résultat, le dispositif poussera, comme toujours, à l'austérité - particulièrement malvenue en période de crise sociale et sanitaire.
Le GEST est aussi opposé à l'extension à l'assurance-chômage du périmètre des LFSS. En imposant, fin 2018, aux partenaires sociaux 4 milliards d'euros d'économie en trois ans, le Gouvernement faisait échouer le dialogue social, pour mieux mettre en oeuvre des mesures inégalitaires et antisociales : dont acte.
Nous sommes également défavorables à l'annexe sur les régimes de retraite complémentaires obligatoires, qui contrevient au principe du paritarisme autonome.
Évaluons plutôt l'effet nocif des exonérations sociales sur l'emploi et la transition écologique...
Malgré les avancées sensibles en matière d'information du Parlement, le GEST votera contre ces deux propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Dominique Théophile . - Le contexte de ces deux textes est exceptionnel, la pandémie ayant entraîné une forte dégradation du solde de la sécurité sociale, faisant plonger le déficit à 38 milliards d'euros en 2020, 34 milliards en 2021.
Plusieurs rapports dont celui du HCFPS, de la Cour des comptes ou de la commission pour l'avenir des finances publiques ont souligné les limites de la LFSS.
Ces textes visent à garantir une meilleure transparence du pilotage des comptes sociaux et à améliorer la qualité de nos débats, compromise par l'engorgement législatif de l'automne, en anticipant d'une semaine le dépôt du PLFSS devant le Parlement et en transférant certaines annexes dans une nouvelle loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. Les observations des caisses et des organismes pourront dorénavant nous être directement transmises.
La commission des affaires sociales a voulu intégrer l'assurance-chômage dans le périmètre de la LFSS. L'Assemblée nationale y a ajouté la dette du service public hospitalier. Notre commission a supprimé cet ajout, en cohérence avec son opposition à la reprise d'une partie de la dette hospitalière par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Le groupe RDPI fera lui aussi preuve de constance en le rétablissant. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales s'en amuse.)
Nous proposerons également de préciser le contenu des annexes, et de supprimer certains ajouts, dans un souci de lisibilité.
Cette réforme, d'apparence technique, vise à améliorer la qualité des débats parlementaires et à assurer la soutenabilité des dépenses sociales. Il faudra aussi panser les plaies, notamment les moins visibles. Je songe aux Assises de la santé mentale.
Renforcer le contrôle du Parlement sur les lois de financement de la sécurité sociale ne mettra pas fin à la défiance envers les institutions mais va dans le bon sens.
Le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur le banc de la commission)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) Ces textes techniques auront sans doute peu d'écho. Le cadre d'examen des LFSS ne brille ni par sa clarté, ni par sa simplicité.
Or ce budget colossal - plus de 500 milliards d'euros - mérite de meilleures conditions d'examen. Simplifier, clarifier, rendre plus efficientes les lois de financement : nous ne pouvons qu'y souscrire.
Au-delà des dispositions financières, la loi de financement est aussi l'occasion de débats sur notre modèle de protection sociale. Je songe à l'allongement du congé paternité, aux mesures annoncées sur le grand âge et l'autonomie dans le prochain PLFSS - à défaut de la grande loi promise...
Tout ce qui facilite l'examen parlementaire est bienvenu, comme l'anticipation d'une semaine du calendrier, le recours facilité aux lois de financement rectificatives où la création d'une loi d'approbation des comptes. Je salue le renforcement du pilotage pluriannuel des finances sociales, ainsi que la création de nouvelles annexes.
Le RDSE proposera des amendements pour que les représentants des fédérations hospitalières participent à la fixation de l'Ondam et pour améliorer l'information sur les dépenses et recettes du secteur du médicament.
En 2020, nous estimions le transfert de la dette des hôpitaux à la Cades injustifié. Le Gouvernement s'était engagé à reprendre une partie de cette dette au nom de l'État. Nous voterons contre l'extension du périmètre de la LFSS à la dette hospitalière.
Le RDSE est pour la rationalisation des dépenses, mais la crise sanitaire, dont nous subissons encore les effets, doit inciter à la prudence. Il est prématuré d'introduire une règle d'or alors que nous ne connaissons pas encore l'issue de la pandémie.
Avec ces réserves, le RDSE votera les deux textes. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
Mme Laurence Cohen . - Ce texte prétend améliorer la transparence et le contrôle du Parlement ; il ne fait en réalité qu'imposer l'austérité, réduire les dépenses sociales, remettre en cause la gestion paritaire des caisses (M. le rapporteur proteste), renforcer l'étatisation de la protection sociale et la mise sous tutelle par Bercy.
Les pouvoirs des syndicats dans l'administration des caisses s'érodent, au profit d'un contrôle parlementaire ; depuis 2005, les dépenses sont verrouillées par l'Ondam.
La création de la CSG a entraîné une fiscalisation des recettes : 100 milliards d'euros en 2021. La moitié des dépenses de la branche maladie sont financées par l'impôt.
S'ajoutent les 200 milliards d'exonérations de cotisations sociales décidées par les gouvernements entre 2011 et 2017. La création de la cinquième branche, entièrement financée par l'impôt via la CSG et la journée de solidarité, est une nouvelle étape dans la transformation de notre sécurité sociale en système de protection sociale.
Le déficit de la sécurité sociale, qui atteint 35 milliards d'euros avec la pandémie, sert d'argument pour fermer le robinet des dépenses, pourtant vitales pour la protection de nos concitoyens.
Le Gouvernement, soutenu par la droite, veut renouer avec l'austérité qui a conduit à la fermeture des hôpitaux de proximité, à la suppression de cent mille lits en vingt ans, à la pénurie de médecins, à l'arrêt des investissements.... Ces textes font fi des leçons qui ont pu être tirées des erreurs commises avant la pandémie.
Et la droite sénatoriale en rajoute, en réintégrant l'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire dans le périmètre de la LFSS, et en imposant la règle d'or. Si cette règle avait été appliquée l'an dernier, le Gouvernement n'aurait pu prendre en charge l'indemnisation chômage des salariés des entreprises fermées pendant la pandémie !
Nous refusons ce texte, étape supplémentaire vers la remise en cause de notre système de sécurité sociale. Nous faisons la proposition alternative d'un système véritablement paritaire, financé par les cotisations, libéré du carcan budgétaire qu'est l'Odam et partant des besoins de santé dans les territoires.
Le groupe CRCE votera contre ces deux textes.
M. Bernard Jomier . - Oui, ce texte est éminemment politique, mais il marque une amélioration de la procédure relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
Toutefois, est-ce son objet essentiel ? N'est-ce pas plutôt l'orientation et la gouvernance de notre système de protection sociale ?
On peut s'étonner, à la lumière de la crise covid, que ce texte n'appréhende les finances sociales que sous le seul angle de la maîtrise de la dépense - en témoigne la règle d'or.
La dépense publique doit être en rapport avec les besoins. Or l'efficacité croissante de l'Ondam a entraîné des désengagements qui ont coûté très cher dans la pandémie. C'est pour des raisons financières et budgétaires qu'on a détricoté la doctrine de constitution des stocks stratégiques d'équipements de protection, et laissé la France sans masques au début de la crise.
Ce ne sont pas des mesures partielles qui remédieront à la rupture avec les professionnels de santé.
Écoutez la demande d'un référendum hospitalier, pour des indicateurs plus proches du réel : qualité des soins, rémunérations, nombre de lits, stocks de matériel médical... Il est proposé que l'ouverture ou la fermeture de lits dans les territoires repose sur une évaluation indépendante des besoins. Écoutez ces propositions ; la dépense sociale se mesure à son impact sur la vie des Français, et doit être à la hauteur des besoins.
Ce texte, sibyllin, modifie par petites touches les règles budgétaires pour en faire un outil au service d'une vision strictement comptable.
L'étatisation de la sécurité sociale est en marche. En incluant les régimes Arcco, Agirc et Unedic dans le champ de la LFSS, cette proposition de loi conduit doucement vers la fin du paritarisme. Comment réclamer des syndicats responsables comme en Allemagne, tout en leur retirant tout pouvoir de gestion ?
Ces textes sont dans la continuité idéologique de ceux d'août 2020 qui ont fait porter la dette covid-19 par les comptes sociaux, alors qu'elle procède des décisions de l'État.
Il aurait été légitime que cette dette soit portée par le budget de l'État. Nul doute que l'on invoquera prochainement le déficit des comptes sociaux pour justifier la réduction du niveau des prestations...
Avec ces textes, le Parlement sera surtout abreuvé d'indicateurs qui nourriront les appels à contraindre la dépense, alors que la crise a montré qu'il fallait investir dans notre système de soins et de solidarité. Le monde d'après ne sera, hélas, pas très social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet-Monge applaudit également.)
M. René-Paul Savary . - En tant que président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), je suis sensible au renforcement du contrôle parlementaire.
Je soutiens la création des lois d'approbation des comptes sociaux qui figurait dans la proposition de loi de Jean-Marie Vanlerenberghe, que j'avais cosignée.
Un rendez-vous spécifique fin juin ou début juillet permettra au Parlement d'examiner en temps utile les documents annexés aux futures lois et de conduire les auditions nécessaires.
Je salue le renforcement des pouvoirs de contrôles de la commission des affaires sociales, comme l'évaluation de l'impact financier des dispositions législatives encadrant les prestations sociales, que les membres de la commission des affaires sociales sont en droit d'obtenir, ou l'obligation de leur transmettre des données dans un format exploitable. Ce détail est en réalité essentiel dans des délais contraints.
Je défendrai un amendement supprimant l'introduction dans la loi organique du « printemps de l'évaluation », par cohérence avec le vote du Sénat sur le texte réformant la LOLF. Il est surprenant de prévoir une telle démarche. Que penseraient les députés d'une telle mesure venant du Sénat ? Plutôt qu'une saisonnalité de l'évaluation, nous proposons son annualité, dans le cadre de la Mecss. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau . - Certains se sont émus que cette proposition de loi organique ne soit pas seulement technique. Mais quoi de plus politique que le rôle du Parlement dans la gestion de la moitié des dépenses publiques ?
Nouveau rapporteur général, je rappelle l'attachement de la commission des affaires sociales à faire de la loi de financement de la sécurité sociale un outil de pilotage de nos politiques sociales.
Certains dénoncent de manière caricaturale un affront fait aux partenaires sociaux, une scandaleuse étatisation des finances sociales. Je salue la persévérance de Jean-Marie Vanlerenberghe, que je sais très attaché au paritarisme. Cessons de regarder la sécurité sociale comme un monument statique depuis 1945, tel un arc de triomphe caché sous les voiles de sa pudeur ! La sécurité sociale assume de plus en plus un rôle d'opérateur des politiques sociales de l'État.
Puisque la sécurité sociale a changé, alors la loi de financement doit évoluer. Nous voulons renforcer son rôle de pilotage des politiques et dépenses sociales - j'assume le mot, car toute politique, même sociale, doit pouvoir être évaluée et recalibrée.
Si la révision constitutionnelle de 1996 a créé les LFSS, aucune ambiguïté n'est admise sur les intentions du constituant. La Constitution nous donne une mission précise. Le PLFSS est bien une autorisation parlementaire de la dépense publique.
Les LFSS offrent une souplesse extrême en matière de gestion des crédits publics. Ne confondons pas souplesse et laxité. Il faut un contrôle du Parlement : ce n'est pas open bar...
Notre commission a donc actualisé la LOLFSS, en instaurant notamment des clauses de retour devant le Parlement.
Alors que quatre collectifs budgétaires ont été discutés au Parlement en 2020, aucune LFSS rectificative n'a été déposée. Relèvement du plafond d'emprunt de l'Acoss de 39 à 95 milliards d'euros, choc de recettes dû à l'activité partielle, envolée des dépenses de santé pour faire face à la pandémie - autant de motifs qui justifiaient le dépôt d'un PLFSS rectificatif.
Mais le Gouvernement a estimé que la loi organique ne l'y contraignait pas. Certes, mais c'était une exigence politique et démocratique.
D'où ces trois clauses de retour devant le Parlement : le relèvement du plafond de l'Acoss ne pourra intervenir qu'après avis de la commission des affaires sociales ; l'avis du Parlement sera recueilli sur tout dépassement de l'Ondam voté ; enfin, en cas de crise, le Gouvernement présentera un rapport détaillant les raisons des dérapages et actualisant les prévisions. Les commissions des affaires sociales devront se prononcer sur les orientations soumises par le Gouvernement.
Il est démocratiquement sain pour un Gouvernement de se confronter au Parlement.
Comment pérenniser la sécurité sociale si elle n'a comme avenir que des déficits transférés à la Cades ?
Comment donner confiance aux nouvelles générations, quand leurs retraites ne sont pas garanties ?
Je crois à la sécurité sociale, à sa fonction d'amortisseur social. Son équilibre financier est le gage de sa soutenabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. René-Paul Savary. - Très bien !
Mme Corinne Imbert . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ces textes s'inscrivent dans la lignée de la proposition de loi organique, autrement plus ambitieuse, cosignée par Jean-Marie Vanlerenberghe, la présidente Deroche, MM. Milon et Savary en mars 2021.
Je m'exprime au nom de mon groupe mais aussi comme rapporteure pour l'assurance maladie.
Le temps est venu de tirer les conséquences de l'évolution des recettes de la branche maladie, entre fin des cotisations salariales et poids croissant de la CSG, et du changement de logique assurantielle, avec la protection universelle maladie (PUMA), la débudgétisation de Santé publique France et le financement des agences sanitaires par l'assurance maladie.
Ces réformes successives ont fait de la CNAM non plus une caisse paritaire mais bien un opérateur de l'État.
La sécurité sociale actuelle est-elle toujours celle de 1945 ? L'Ondam mélange des dépenses d'assurance sociale et d'intervention. Mais cette souplesse ne dispense pas le Gouvernement d'autorisation parlementaire.
Évidemment, il fallait acheter des masques et des respirateurs en urgence. Mais on aurait pu consulter le Parlement ! Idem pour l'augmentation des rémunérations des soignants.
Alors que le Gouvernement annonce en juin un dépassement de l'Ondam de 10 milliards d'euros, nous devrions attendre octobre pour en débattre ? Nous satisfaire de votes non contraignants sur des sous-objectifs qui avoisinent les 100 milliards d'euros, sans marge d'action ?
Ce n'est pas parce que la sécurité sociale paye que le Gouvernement doit décider seul !
La commission des affaires sociales a fait des propositions auxquelles je souscris pour modifier certains sous-objectifs. Oui à la souplesse, mais avec un regard du Parlement.
Nous partageons tous l'attachement de la Nation à l'hôpital. Nous voulons le soutenir et suivre plus finement l'évolution des dépenses d'assurance maladie, incarnation d'une politique publique essentielle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Henno et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)
M. Philippe Mouiller . - Le contexte est singulier. Jamais la sécurité sociale n'a subi de dégradation aussi brutale de ses comptes. Depuis 2017, la perte de recettes liée à la non-compensation par l'État d'exonérations de cotisations s'élève à 5 milliards d'euros.
La crise sanitaire est venue détériorer des comptes sociaux déjà fragilisés. Or la sécurité sociale ne peut être la variable d'ajustement des finances publiques.
Je salue le travail de Jean-Marie Vanlerenberghe. Il faut une règle d'or qui autorise des déficits en cas de circonstances exceptionnelles, tout en imposant un retour à l'équilibre ensuite. Le Gouvernement, dans son projet de loi de réforme des retraites, instaurait d'ailleurs une telle règle, les comptes devant être à l'équilibre pour cinq ans.
Nous saluons l'élargissement à l'assurance chômage du périmètre de la LFSS. C'est une recentralisation du pilotage financier de l'assurance chômage, processus entamé depuis plusieurs années : depuis 2018, le Gouvernement transmet aux partenaires sociaux un document de cadrage et peut refuser un accord interprofessionnel pour fixer lui-même les règles. Le Gouvernement a toujours le dernier mot. Introduire un vote du Parlement est donc particulièrement indiqué. La même logique prévaut en matière de financement, avec le remplacement de la contribution salariale d'assurance chômage par une fraction de CSG. C'est une « bercysation » de la sécurité sociale, qui contrevient à l'esprit du paritarisme de gestion, assis sur des contributions sociales.
Le groupe Les Républicains soutiendra ces propositions de loi bienvenues, telles que modifiées par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Monsieur le rapporteur, l'alignement du calendrier du PLF et du PLFSS améliorera les conditions d'examen par le Parlement. Cette année, nous aurions gagné deux jours de débat !
J'entends votre proposition sur le plafond d'emprunt, mais attention à ne pas renforcer les antagonismes entre sous-objectifs de l'Ondam.
Enfin, nous avons prévu 12,5 milliards d'euros pour le Segur, 3,5 milliards d'euros en plus pour l'autonomie, 15 milliards d'euros de dépenses de crise en 2021. On peut difficilement parler d'austérité !
La discussion générale commune est close.
Prochaine séance, aujourd'hui, mardi 28 septembre 2021 à 9 h 30.
La séance est levée à minuit vingt-cinq.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 28 septembre 2021
Séance publique
À 9 h 30
Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président
Secrétaires : M. Joël Guerriau Mme Françoise Férat
1. Questions orales
À 14 h 30 et le soir
Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente M. Vincent Delahaye, vice-président
2. Suite de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux lois de financement de la sécurité sociale (texte de la commission, n°826, 2020?2021) et de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux lois de financement de la sécurité sociale (texte de la commission, n°827, 2020?2021)
3. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour la confiance dans l'institution judiciaire (texte de la commission, n°835, 2020-2021) et projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour la confiance dans l'institution judiciaire (texte de la commission, n°836, 2020-2021)