Gestion de la crise sanitaire (Procédure accélérée)

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la crise sanitaire.

Discussion générale

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Je suis très heureux d'engager ici l'examen d'un projet de loi crucial dans notre combat contre l'épidémie. Je vous remercie d'examiner, dans un délai aussi contraint, un texte aussi important, justifié par une reprise de l'épidémie.

La dernière fois que je me suis présenté devant vous, nous étions confrontés au variant Alpha venu de Grande-Bretagne, ainsi qu'aux variants brésilien et sud-africain. Nous étions loin d'imaginer que le variant Delta, venu d'Inde, se répandrait sur toute la planète. En Europe, il est arrivé en Grande-Bretagne par une vague intense et rapide, puis a été repéré en France, en Italie, en Espagne -  surtout en Catalogne  - et au Portugal -  jusqu'ici relativement épargné  - avec une fulgurance de contamination jamais vue, multipliée par huit. L'Australie a dû confiner plusieurs grandes villes. Le variant est également très présent aux États-Unis.

Le variant Delta est deux à trois fois plus contagieux que le covid initial, avec une charge virale mille fois plus élevée.

La reprise épidémique est une réalité. Nous sommes bien dans la quatrième vague, avec 20 000 cas diagnostiqués par jour, et des taux d'incidence jamais connus dans certains départements comme les Pyrénées-Orientales.

L'épidémie touche en particulier les jeunes, qui ont retrouvé la vie, les relations sociales, et c'est heureux, qui participent à des événements festifs - et qui sont moins vaccinés.

Même si les taux d'hospitalisation et de réanimation sont encore relativement bas, nous observons une hausse des hospitalisations : 900 patients sont en soins critiques ou en réanimation, en augmentation de 72 % cette semaine, alors que les écoles sont fermées et que les Français ont moins d'interactions, une fois passées les retrouvailles en famille. Nos modélisateurs, de l'Inserm, du CNRS ou de l'Institut Pasteur, travaillent sur cette épidémie estivale, une rareté dans l'histoire de la virologie. Ils tiennent compte des évolutions dans d'autres pays, comme l'Inde, de notre système tester-alerter-protéger qui a montré son efficacité notamment dans les Landes.

Nous en sommes à 39,5 millions de primo-vaccinations ; 860 000 injections ont été réalisées aujourd'hui, dont la moitié de primo-injections. Notre objectif était de 40 millions de vaccinés fin août ; nous y serons à la fin de la semaine.

Mais cela laisse 12 millions de vaccinables non vaccinés, dont 5 millions de personnes fragiles -  âgées, atteintes de maladies chroniques exposant à des formes graves  - par refus ou peur du vaccin, ou difficulté d'accès à la vaccination.

Les modèles nous prédisent une vague forte avec un impact hospitalier qui pourrait être très dur à la mi ou à la fin août.

En Angleterre et en Espagne, on observe un frémissement à la baisse depuis 24 ou 48 heures des contaminations, qui se maintiennent à un niveau élevé. Mais cela peut précéder une nouvelle hausse...

Nous devons anticiper. Jusqu'ici, nous avions deux scénarios : confinement pour tous - la distanciation sociale à son paroxysme !  - ou absence de confinement, en tablant sur la couverture vaccinale, choix qui a été fait par certains pays. Mais désormais, une troisième voie s'ouvre à nous : le passe sanitaire.

Je comprends que la philosophie du passe sanitaire puisse heurter un certain nombre de nos compatriotes. (M. André Reichardt le confirme.) Je ne juge, ne critique ni ne stigmatise ceux qui ne veulent pas se faire vacciner. (M. Loïc Hervé le conteste.)

Selon les scientifiques, la fermeture de tous les établissements recevant du public (ERP) a le même impact qu'une fermeture limitée aux seules personnes non vaccinées, car les personnes vaccinées ont un risque faible de se contaminer, et encore plus de faire une forme grave.

Je sais qu'il y a quelques mois, je vous ai dit ne pas être favorable au passe sanitaire dans les bars et restaurants. Je sais que vous ne voterez pas cette mesure de gaieté de coeur. Mais reconfiner tout le pays serait une catastrophe économique, sociale et psychologique - tout comme laisser filer l'épidémie en croisant les doigts.

M. Pascal Savoldelli.  - Personne ne défend cela ! (M. Loïc Hervé renchérit.)

M. Olivier Véran, ministre.  - Si vous avez une quatrième voie, je suis preneur...

M. René-Paul Savary.  - La vaccination !

M. Olivier Véran, ministre.  - Le passe sanitaire, c'est une incitation forte à se faire vacciner, d'abord pour se protéger et protéger ses proches, par sens de la responsabilité collective, mais aussi pour ne pas voir sa vie changer.

Nous n'avons pas attendu la loi pour l'appliquer partout où nous le pouvions. Le décret du 21 juillet étend le passe aux événements réunissant plus de 50 personnes. Nous souhaitons désormais l'étendre à d'autres établissements, qui recoupent des lieux fermés pendant les confinements, dont les centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés. Si l'on ne veut pas avoir à les refermer, les faut en faire des sanctuaires protégés du covid. La clé, c'est le passe sanitaire.

De même, nous souhaitons conserver la capacité de circulation des Français, c'est pourquoi nous soumettons au passe les grands transports, interrégionaux, que nous avions interdit pendant les précédents confinements.

Nous voulons appliquer cet outil au plus tôt pour limiter l'explosion de la vague épidémique, et donc limiter les mesures de freinage, qui peuvent aller jusqu'à des fermetures administratives : dans les Pyrénées-Orientales, les ERP ferment à 23 heures. Mais nous souhaitons en rester à la gestion par le passe sanitaire. Celui-ci disparaîtra le plus tôt possible : lorsque tout le monde sera vacciné et que nous aurons l'immunité collective, ou lorsque l'épidémie aura suffisamment reflué.

M. Loïc Hervé.  - En 2023 !

M. Olivier Véran, ministre.  - On nous accuse d'avoir pris la décision de relâchement trop tôt, trop tard, parfois les deux...

Nous voulons aussi booster la vaccination. Je tire mon chapeau à tous ceux -  agents des collectivités territoriales, médecins, pharmaciens, pompiers - qui ont réussi à maintenir voire à augmenter leur capacité de vaccination, en cette fin juillet. Cette semaine, nous allons battre le record du nombre de vaccinations.

Plusieurs millions de Français vont bénéficier d'une primo-injection dans les prochaines semaines. L'objectif est d'atteindre 45 à 50 millions de primo-vaccinés, sur une cible de 52 millions ; les moins de 12 ans ne peuvent pas l'être faute d'autorisation de mise sur le marché, les études n'étant pas achevées.

Parlons de ceux que nous applaudissions à 20 heures, qui continuent de se battre et nous demandent d'agir : les soignants, qui pour certains, ne sont pas suffisamment vaccinés. Les médecins et les pharmaciens sont vaccinés à 90 % ; les infirmiers à près de 75 %, les aide-soignants entre 60 et 65 %. Le taux de couverture est encore plus faible chez les auxiliaires médicaux et le personnel d'entretien des établissements, moins vaccinés que la population générale.

Sans vaccination, le risque de faire entrer le virus dans un Ehpad ou un hôpital est réel. Or les patients, même vaccinés, y sont plus fragiles, car leur immunité est affaiblie par l'âge ou la maladie. Il faut donc impérativement renforcer la couverture vaccinale de ces personnels. Ce n'est pas une nouveauté : les soignants sont déjà obligatoirement vaccinés contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite ou l'hépatite B. Nous étendons cette obligation à la covid-19.

À partir du 15 septembre, des contrôles seront diligentés. En cas de refus de la vaccination, des procédures disciplinaires pourront être diligentées, comme le droit commun le prévoit déjà s'agissant de la vaccination contre l'hépatite B.

Il n'y a pas de clivage politique : la vaccination contre l'hépatite B a été rendue obligatoire par le gouvernement d'Édith Cresson, et celle du DT polio, par un gouvernement de droite... Chacun, en responsabilité, a eu à prendre cette décision difficile mais nécessaire.

J'ai rencontré les sept ordres professionnels et les huit fédérations d'établissements de santé. Tous se sont engagés par écrit et estiment que la vaccination est une obligation morale, éthique, professionnelle et déontologique.

J'en viens au sujet des isolements contraints. Là aussi, la situation a évolué. Lors des deux premiers confinements, par peur ou sidération, les personnes positives s'isolaient. C'est, depuis, de plus en plus difficile. Nous avons mis en place différentes aides -  visites d'un infirmier, cellule territoriale d'appui à l'isolement, aide administrative -, y compris de l'hébergement alternatif.

Hélas, l'acceptation de l'isolement, chez les cas positifs peu symptomatiques, a chuté. Dans certaines régions, moins de 40 % des personnes contagieuses respectent de l'isolement. L'épidémie ne reculera pas ainsi. C'est pourquoi nous proposons, comme d'autres pays l'ont fait, une mesure d'isolement contraint automatique.

Votre commission propose une démarche en deux temps : un isolement prescrit, et en cas de problème, un isolement contraint avec possibilité d'intervention. Un tel système fonctionne quand il y a 500 cas par jour -  nous l'avons fait pour les personnes revenant de l'étranger, sur arrêté préfectoral  - mais pas 21 000, voire 30 ou 40 000 demain. Déjà, l'assurance maladie n'en a pas les moyens, et c'est une techno-mesure compliquée, même si j'en comprends l'esprit.

C'est pour cela que je vous propose de revenir à la rédaction de l'Assemblée nationale. Il n'y aura pas de policier chez vous si vous êtes diagnostiqué positif, mais des appels de l'assurance maladie et des visites - un médecin, une infirmière, si nécessaire la cellule territoriale d'appui. S'il n'y a pas de réponse, il peut y avoir saisine des forces de sécurité intérieure, qui elles, sont habilitées à entrer chez vous pour vérifier que vous allez bien et que vous respectez l'isolement. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

En cas d'arrêt maladie, si la sortie est libre à certaines heures, vous devez être chez vous aux horaires indiqués par le médecin, et vous pouvez être contrôlé. Si vous n'êtes pas chez vous, vous n'avez plus droit à vos indemnités journalières. C'est le droit commun.

M. Pascal Savoldelli.  - On est où ?

M. Stéphane Ravier.  - Cela concerne trente mille personnes ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Cette mesure date d'un gouvernement d'union de la gauche, je ne pense pas qu'elle soit antisociale.

Reste la question de la durée de ces mesures. À chaque fois que nous proposions une date, vous avez raboté le délai. À chaque fois, il a fallu faire adopter un nouveau texte. Soit : chaque fois qu'il le faudra, je reviendrai devant vous. Si nous n'avons plus besoin de passe sanitaire d'ici le 31 décembre, il sera levé. En général, on nous reproche d'avoir levé les mesures trop tôt. (M. Julien Bargeton le confirme.) Évitons d'avoir à examiner un autre projet de loi en septembre.

M. Loïc Hervé.  - On aime vous voir !

M. Olivier Véran, ministre.  - Moi aussi, même si je vais vous laisser poursuivre avec Brigitte Bourguignon : la semaine parlementaire a été chargée...

La situation ultramarine est alarmante. Nous avons déclenché l'état d'urgence sanitaire en Guadeloupe ; en Martinique, le taux d'incidence est très élevé, le taux de vaccination extrêmement faible et la situation hospitalière très tendue. Tout cela nous mobilisera tout l'été.

Nous débattrons dans un état d'esprit constructif des propositions de votre commission. Vous avez supprimé le passe sanitaire dans les centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés. Il n'y en a pas beaucoup, et nous faisons attention aux zones de chalandise pour ne pas bloquer l'accès aux biens essentiels. Si l'épidémie flambe, attendez-vous à ce que, sans passe, il faille les fermer. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est du chantage !

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La flambée actuelle de l'épidémie justifie des mesures d'urgence et d'exception pour lui donner un coup d'arrêt. Avec plus de 20 000 contaminations journalières, c'est une vague de grande ampleur. Elle ressemble à celles qui ont conduit aux trois précédents confinements.

Faut-il attendre une forte augmentation du nombre de victimes pour agir ? Je ne vous propose pas de prendre ce risque.

Faut-il confiner la France une quatrième fois ? Chacun voudrait l'éviter.

Le Gouvernement propose de combiner trois moyens : le passe sanitaire, l'isolement forcé et la vaccination obligatoire des soignants. Nul ne peut dire que cela sera suffisant. Je vous recommande cependant de donner ses chances à ce dispositif, selon des modalités plus simples, plus claires, plus efficaces et plus respectueuses des libertés.

Je vous propose de prendre position sur six questions essentielles. D'abord, le cadre de l'action des pouvoirs publics. Sommes-nous toujours dans la gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire, ou sommes-nous revenus dans l'état d'urgence sanitaire ? Un régime de pouvoirs exceptionnels justifié par une flambée des contaminations par un variant avec une charge virale mille fois plus élevée suppose le retour à l'état d'urgence. Le passe sanitaire, l'obligation vaccinale et l'isolement sont si exorbitants du droit commun qu'ils ne peuvent se faire que temporairement, dans le cadre d'une urgence sanitaire reconnue et sous un contrôle parlementaire et juridictionnel accru.

Ensuite, la durée de l'habilitation. Nous ne pouvons permettre au Gouvernement de maintenir un tel régime d'exception pendant plus de cinq mois. Cela créerait un précédent dangereux pour le traitement des crises de toute nature. Nous avons une responsabilité pour la pérennité de l'État de droit et pour la protection de la santé des Français.

Je vous demanderai de ne consentir les pouvoirs exceptionnels que jusqu'au 31 octobre prochain, et non jusqu'au 31 décembre. Le 31 octobre, soit le pari aura été gagné et il ne sera pas utile de maintenir à ce degré la suspension des libertés, soit l'épidémie n'aura pas été jugulée, de nouvelles mesures devront être prises et il faudra une nouvelle autorisation du Parlement. (M. Loïc Hervé opine.) C'est au Parlement de décider de déléguer son pouvoir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Troisième point, compte tenu de la gravité de la situation, si le Gouvernement décidait de rétablir le couvre-feu ou le confinement sur tout ou partie du territoire national, il ne devrait pas pouvoir le faire par décret au-delà d'un mois sans autorisation du Parlement. Nous devrons aussi demander au Gouvernement d'évaluer et de rendre publics chaque semaine les résultats de l'action que nous l'autoriserons à mettre en oeuvre ; nous pourrions alors délibérer de manière éclairée.

Quatrième question : comment contrôler et sanctionner l'obligation de présentation du passe sanitaire ? Le Gouvernement propose des sanctions pénales, initialement disproportionnées. Le Conseil d'État y a mis bon ordre. Je préfère un régime de police administrative très simple avec mise en demeure sous 24 heures et éventuelle suspension de l'activité de l'établissement pour sept jours, quatorze en cas de récidive. La sanction pénale ne viendrait qu'après. C'est un dispositif rapide, dissuasif et efficace.

Cinquième interrogation : la peur du gendarme et du juge suffira-t-elle à faire respecter l'isolement ? La solution du Gouvernement, inutilement répressive, donne accès à la police et à la gendarmerie, via les préfectures, au fichier de santé publique dont nous avons autorisé la création pour l'identification et la protection des personnes exposées à une contamination, afin de contrôler l'isolement des personnes contaminées et sanctionner sa violation. C'est un dangereux précédent, (M. Loïc Hervé le confirme.) la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) nous l'a rappelé. Penser que policiers et gendarmes vont pouvoir contrôler massivement le placement à l'isolement, en plus du contrôle du passe sanitaire et de leurs missions ordinaires, est une vue de l'esprit.

M. Loïc Hervé.  - Oui !

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Je vous propose donc une autre répartition des tâches, que vous aviez esquissée : les agents de l'assurance maladie qui gèrent les plateformes de traçage et ceux qui gèrent le contrôle des arrêts maladie procéderont à des contrôles téléphoniques ou sur place. En cas de défaut, ils saisiront l'agence régionale de santé (ARS) pour qu'un arrêté préfectoral de placement à l'isolement soit pris et notifié au commissariat ou à la gendarmerie. Alors seulement, et donc par exception, une procédure répressive pourra être mise en oeuvre sans que les préfectures aient accès au fichier des personnes contaminées.

Dernière question : faut-il rendre la vaccination obligatoire pour tous les adultes ? Ce n'est pas une réelle alternative. Il faut plusieurs mois pour atteindre l'immunité collective : pendant ce temps, l'épidémie exploserait. Et quelle serait l'efficacité d'une contrainte pesant sur des millions de personnes simultanément ? Cette obligation risquerait d'être proclamatoire, étant donné l'impossibilité matérielle de la contrainte.

Il faut réenclencher une dynamique de vaccination massive. Respectons les Français et leur autonomie de décision. Ne les infantilisons pas, ils ne sont pas des délinquants en puissance. L'État est d'abord là pour entraîner et pour convaincre, pas pour punir, sanctionner et contraindre. La réussite passe par le retour de la confiance, profondément altérée par les vagues récidivantes de la crise sanitaire, et par les tâtonnements de la gestion de la crise depuis seize mois.

Nous n'aurons jamais assez de policiers, de gendarmes et de juges pour contrôler et sanctionner la masse immense des situations où les mesures sanitaires seront appliquées. La libre volonté des Français sera déterminante. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales.  - Très bien !

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales .  - Depuis le début juillet, la France fait face à une nouvelle vague épidémique d'une ampleur inédite. Ce risque coïncide avec la diffusion rapide du variant Delta, plus transmissible, et avec un ralentissement du rythme de la vaccination en juin. Je partage donc les constats du Gouvernement : il faut une réaction urgente et la vaccination est notre meilleure arme.

Ne nous leurrons pas : l'extension du passe sanitaire est une incitation puissante à la vaccination en population générale. Certains y voient une vaccination obligatoire déguisée. La commission des affaires sociales soutient sans complexe cette stratégie.

Selon le ministère de la Santé, les non vaccinés représentent 80 % des contaminations en juillet.

Les pouvoirs publics doivent faire preuve de pédagogie et d'exemplarité pour emporter une adhésion massive au seul outil de sortie de crise. C'est un exercice délicat, mais de très nombreux parlementaires sont à vos côtés pour redire que les vaccins contre la covid-19 sont efficaces et sûrs.

L'article 5 prévoit la vaccination obligatoire des professionnels en contact avec des personnes vulnérables. Notre commission y est favorable : il y va du devoir éthique des soignants de ne pas nuire. Nous avons choisi de ne pas modifier le champ des soignants concernés mais avons renforcé le rôle de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la détermination des justificatifs attestant de la satisfaction de l'obligation vaccinale ainsi que sur une éventuelle décision de suspension de l'obligation vaccinale.

À l'article 6, la commission a prévu une période complémentaire, du 15 septembre au 15 octobre, pendant laquelle les professionnels concernés pourront poursuivre leur activité dans l'attente de la seconde dose : ils devront avoir été reçu une première injection et présenter le résultat négatif d'un test virologique. La date du 15 septembre ne doit pas être un couperet punitif.

Nous avons clarifié les conséquences sur l'emploi d'une absence de vaccination. La suspension des fonctions ou du contrat de travail, assortie d'une interruption du versement de la rémunération, est la sanction la plus équilibrée et constitue une incitation puissante à se faire vacciner. En revanche, un licenciement à l'issue de deux mois de suspension semble disproportionné.

À l'article 9, nous avons étendu les cas d'autorisation d'absence pour se rendre à un rendez-vous vaccinal aux salariés et agents publics qui y accompagnent leurs enfants.

Telles sont les modifications apportées par notre commission pour garantir la pleine effectivité du dispositif d'obligation vaccinale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC; M. Alain Richard applaudit également.)

M. Stéphane Ravier .  - Ce passe, ou plutôt cet Ausweiss (Marques d'indignation) sanitaire est le parfait symbole de ce quinquennat, marqué par le mépris pour les Français. Souvenons-nous : « Gaulois réfractaires », « fainéants », « mafieux », « ceux qui ne sont rien », et récemment « capricieux défaitistes »...

Quand le pays réel a dit stop, quand il est descendu sur les ronds-points avec ce gilet jaune de détresse, le Gouvernement a répondu par la plus violente répression qu'un mouvement social ait eue à subir depuis des décennies. Le peuple français est enraciné : il est attaché à son pays, à son histoire, à son identité, à sa liberté.

Incapable de gouverner, le Gouvernement a multiplié les fiascos sur l'hôpital - sacrifié, les masques, le refus de fermer les frontières, les tests... Il s'est donc rabattu sur la seule arme qui lui restait : l'enfermement généralisé, le confinement. Et pendant que la racaille ethnique continue à faire régner le chaos et la terreur, que les islamistes conquièrent chaque jour de nouveaux territoires, le Gouvernement reste impitoyable, mais avec les honnêtes gens.

Aujourd'hui, il fait encore usage de la trique et divise toujours plus pour régner, avec cette vaccination obligatoire et cette société de la surveillance généralisée, où chacun devra sortir son passeport dix fois par jour pour aller acheter du pain ou voir sa famille. Quant aux non-vaccinés, qui ont le droit de n'être pas vaccinés, ils seront des citoyens de seconde zone et ils sont déjà considérés comme des délinquants.

Je demande que le ministre présente ses excuses au corps médical qu'il a essayé de salir : les infirmières, les aide-soignantes, les médecins ne comptent pas leurs morts depuis le début de cette guerre contre le virus, mais le ministre les culpabilise, les diffame, les menace : c'est une honte ! Le seul responsable de cette catastrophe sanitaire, c'est le Gouvernement.

Parce que je ne collaborerai pas à ce flicage de nos concitoyens, je voterai contre ce projet de loi autoritaire qui piétine sans vergogne les valeurs dont vous vous gargarisez, que sont la liberté, l'égalité et la fraternité !

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC) Nous vivions sous le joug d'une dictature, avant qu'une poignée d'héroïques résistants nous ouvrent les yeux ; on nous avait inoculé le DT Polio depuis l'enfance, l'autocrate Agnès Buzyn avait ajouté huit injections obligatoires, Big Brother avait interdit l'école aux enfants qui ne présentaient pas ce que M. Ravier vient d'appeler un Ausweiss -  et notre droit le plus sacré de choisir la maladie plutôt que l'immunité était piétiné depuis Pasteur, les Français eux-mêmes avaient intériorisé la servitude, pensant, comme Hobbes, que seul un Léviathan armé de seringues et d'aiguilles pouvait les sauver.

Heureusement, comme Zorro, Facebook et Twitter sont arrivés, permettant à une avant-garde éclairée de se regrouper contre le fascisme vaccinal. Au douzième vaccin obligatoire, nos yeux se sont dessillés. « Apartheid », « coup d'État », « discrimination généralisée », « étoile jaune » ou « Shoah » - en réalité, la meilleure preuve des progrès de l'humanité, c'est qu'en 2500 ans, nous sommes passés de Socrate sur l'agora à Francis Lalanne sur Facebook. (Sourires et quelques applaudissements au centre).

Quel dommage que les réseaux sociaux n'aient pas existé plus tôt pour défendre contre les dictateurs de la piqûre la liberté de mourir en harmonie avec la nature et ses dons, parmi lesquels nos compagnons de toujours, la variole, la poliomyélite, la peste et le choléra qui ont permis aux plus grands auteurs, Camus, Giono ou Thomas Mann, d'écrire les chefs-d'oeuvre immortels de la littérature de pandémies !

La variole a disparu, le covid, lui, a des chances de survivre grâce à tous les résistants numériques qui exigent le droit d'attraper le virus et de le combattre, comme les Polonais de 1940 contre les chars soviétiques, à la seule force de leurs poitrines et de leurs mains nues, et le seul secours de l'hydroxychloroquine, parfois renforcée par un médicament redécouvert : le Ricard ! (On s'amuse sur de nombreux bancs). Les anciens mourraient sur les barricades, nos héros sont prêts à mourir le poing levé en discothèque au son de Staying alive. (Sourires) Je pense à cette députée appelant, telle la Liberté guidant le peuple, à l'invasion des permanences parlementaires...

Je demande, très sérieusement cette fois, qu'on cesse cette mauvaise querelle sur les libertés. Ce n'est pas le Gouvernement, le pouvoir médical ou les partisans de la vaccination obligatoire qui les restreignent, c'est la pandémie. Loin d'être un viol de notre liberté, les mesures annoncées sont les conditions de son rétablissement.

Vaccination accélérée ou confinement dans deux mois : voilà l'alternative. Le Président de la République n'est pas un dictateur mais un décideur, le Parlement n'est pas une assemblée de tyrans, mais de responsables. (M. Laurent Lafon opine.) Et cette décision est limpide. Le Gouvernement doit proposer le vaccin à tous, le plus vite possible.

Reste le choix de la méthode. La vaccination obligatoire serait simple, mais le temps presse. La charge virale du variant Delta est mille fois plus forte que celle des précédents variants. Le passe sanitaire a l'avantage d'être immédiatement applicable, et il n'interdira pas qu'on en vienne ensuite à la vaccination obligatoire. Dès lors qu'on choisit cette stratégie, ce qui est mon cas, reste à fixer ses contours -  c'est notre rôle au Sénat en tant qu'élus de terrain. Évitons que les terrasses de café ne se transforment en rings de boxe, ou que le train de 8h47 ne prenne deux heures de retard pour cause de contrôle...

M. Loïc Hervé.  - Eh oui !

M. Claude Malhuret.  - En matière de protocole, Courteline n'est jamais loin.

M. André Reichardt.  - C'est pourtant ce qui va se passer !

M. Claude Malhuret.  - La vaccination pour tous, c'est la liberté pour tous. Les droits de chacun doivent être respectés, les contraintes excessives évitées. Mais à condition de ne pas mettre en danger la santé d'autrui et de ne pas oublier que le corollaire de la liberté, c'est la responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, Les Républicains, UC ainsi que sur le banc de la commission)

M. Guillaume Gontard .  - À cette tribune, j'ai toujours tâché de conserver une certaine modestie...

M. Philippe Bas, rapporteur.  - C'est vrai !

M. Guillaume Gontard.  - ...et jamais je ne me suis opposé aux choix du Gouvernement dans la lutte contre le covid. Mais le Président de la République manque singulièrement de modestie : il pense toujours que Stop Covid n'est pas un échec.

M. Loïc Hervé.  - C'est un fiasco !

M. Guillaume Gontard.  - Le Gouvernement fait la preuve de son manque d'anticipation et le Président de la République continue à décider seul, avec morgue et arrogance, de mesures qui menacent gravement les libertés publiques. La défiance atteint des sommets. Nos concitoyens tombent dans les bras des populistes et des complotistes.

Votre passe sanitaire, inapplicable, va monter les gens les uns contre les autres. En écoutant la fin lunaire du discours du Président de la République, on pourrait penser que ce passe est un écran de fumée pour poursuivre la casse sociale, avec la réforme de l'assurance chômage ou celle des retraites. Je ne vous prête pas cette funeste intention, mais les résultats sont là : une population littéralement fracturée.

Or, il faut une acceptation partagée de la stratégie vaccinale. Quand allez-vous enfin engager, via l'assurance maladie, une campagne de sensibilisation, notamment en direction des jeunes et des quartiers populaires ? Les inégalités sociales face au vaccin sont criantes et c'est l'ignorance autant que la défiance qu'il faut combattre.

Élargir aussi rapidement le passe sanitaire est inacceptable. Vous ne laissez pas le temps aux Français de se vacciner et vous écornez le droit du travail. L'obligation vaccinale aurait été plus simple et moins liberticide. Vous n'écoutez ni vos oppositions, ni les collectivités territoriales ; vous ne consultez personne, vous faites semblant.

L'Allemagne enregistre de meilleurs résultats, (Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, le conteste.) sans pour autant s'asseoir sur la représentation démocratique.

Nous appelons le Gouvernement à mettre le paquet sur la stratégie vaccinale, et à lever les brevets sur les vaccins pour favoriser leur diffusion mondiale !

Mettons fin à l'égoïsme occidental. Espérons que le président Macron profitera de son voyage au Japon pour oeuvrer en ce sens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE)

M. Alain Richard .  - Nous devons garder notre attention sur la mutabilité de la situation sanitaire : notre capacité d'anticipation depuis dix-huit mois et très faible. Les chercheurs s'attendent à de nouvelles situations imprévues, il faut donc délibérer avec prudence et pragmatisme. Certes, nous devons délibérer rapidement - c'est le devoir des responsables publics, Parlement et exécutif, que de s'adapter à l'urgence.

Les mesures que nous avons à prendre visent à protéger toute la population tout en maintenant au maximum l'activité sociale dans un contexte évolutif.

Je suis favorable à une large palette de solutions. Mieux vaut prévoir les mesures pour une durée suffisante : le Gouvernement en fera un usage proportionné, sous le contrôle du Parlement.

À l'unanimité, le RDPI approuve l'obligation vaccinale, pour les professions du soin, dans une acception large, et les professionnels en contact intensif avec le public. Cette obligation doit être assortie de sanctions - sans quoi, ce serait reculer devant la responsabilité. Nous devons toutefois les adoucir - je pense notamment aux délais.

Le passe sanitaire est certes une contrainte sociale, mais l'intérêt général, dont nous sommes les gardiens, doit prévaloir : c'est la condition du maintien de l'activité.

Il est vrai que ce choix favorise ceux qui ont précocement opté pour le vaccin. Il faudra donc adapter les dates, car le parcours vaccinal suppose un certain délai...

M. Loïc Hervé.  - Eh oui !

M. Alain Richard.  - Reste que devant la flambée des contaminations, nous ne pouvons plus tergiverser. Soyons pragmatiques.

Philippe Bas a raison de proposer des sanctions administratives plutôt que pénales : cela me paraît plus adapté, d'autant que le contrôle en référé des tribunaux administratifs est quasi immédiat. Cette approche est plus efficace et moins coûteuse que les mesures judiciaires.

Nous en viendrons peut-être à l'obligation vaccinale, que nous connaissons depuis plus d'un siècle avec d'autres vaccins. Je ne pense toutefois pas que le moment soit le bon : il reste une bonne quinzaine de millions d'injections à faire pour atteindre une couverture suffisante. Il est préférable de repousser cette décision à plus tard. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Véronique Guillotin .  - « Il se croyait libre mais personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux » écrivait Camus dans La Peste.

M. Loïc Hervé.  - Les libertés, c'est le plus important.

Mme Véronique Guillotin.  - Aujourd'hui, nous disposons du vaccin, nous avons la chance que des millions de doses soient accessibles gratuitement à nos concitoyens, alors que d'autres pays le réclament ou comptent leurs morts faute de vaccins, comme la Tunisie -  et nous en sommes encore à nous interroger sur l'efficacité du vaccin.

Il faut écouter ceux qui doutent, faire preuve de pédagogie, mais le soin reste fondé sur la confiance et la médecine sur des faits scientifiques. Soyons intraitables avec ceux qui ont franchi la ligne rouge en détruisant des centres de vaccination ou en comparant le fonctionnement du système de santé à la Shoah.

M. Vincent Segouin.  - Tout à fait !

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - Très bien !

Mme Véronique Guillotin.  - Aujourd'hui, tout le monde s'improvise virologue, infectiologue...

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Le Président de la République aussi !

Mme Véronique Guillotin.  - ...et les réseaux sociaux amplifient le phénomène. Or les faits sont là : la vaccination protège - l'immunité collective est un objectif. Il y a urgence à prendre des mesures pour contenir une quatrième vague et éviter un confinement.

Cette pandémie, par sa violence et son extraordinaire résistance, nous impose des ajustements perpétuels. Ces ajustements choquent, parce qu'ils touchent aux libertés, mais l'État a un devoir de protection. Le passe sanitaire doit toutefois, comme l'obligation vaccinale, être assorti de garde-fous.

Je pense en particulier aux délais, qui sont trop courts : peut-on envisager une tolérance temporaire pour ceux qui n'auront reçu qu'une seule injection ? Pour les plus récalcitrants, il faut de la pédagogie. L'obligation vaccinale des soignants n'est pas une stigmatisation : elle existe déjà avec le vaccin contre l'hépatite B. J'y suis favorable et je propose même de l'étendre à d'autres professions.

Je m'interroge également sur le contrôle du passe sanitaire dans les petits établissements, comme les cafés et les petits restaurants : ne peut-on pas faire reposer la responsabilité du passe sur les consommateurs, plutôt que sur les gérants de ces établissements ?

Enfin, les marges de manoeuvre du Parlement sont limitées par des délais si courts. Mais je soutiens ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Alain Richard applaudit également.)

Mme Éliane Assassi - Je conteste la précipitation de ce débat : ce n'est pas sérieux.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - C'est bien vrai !

Mme Éliane Assassi.  - Nous sommes aux limites de l'acceptable. Je déplore profondément le départ de M. Véran de notre hémicycle. (Applaudissements sur toutes les travées à l'exception du RDPI)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Il a siégé jusqu'à 5h45 à l'Assemblée nationale !

Mme Éliane Assassi.  - Vous devez accepter le débat avec ceux qui proposent une autre voie que la vôtre, c'est cela la démocratie, le pluralisme. Chacun doit reconnaître ses erreurs.

La vaccination, rempart contre l'hospitalisation, est un outil formidable, mais elle exige des moyens, en particulier pour aller au plus près de la population non vaccinée souvent par abandon social ou par manque d'information. Informer, convaincre, mobiliser tous les acteurs de la société, voilà les clefs d'une vaccination pour tous. C'était peu ou prou la position du ministre de la santé jusqu'à il y a peu. Pourquoi, soudain, culpabiliser notre population ? M. Véran a refusé les vaccinodromes, opté pour une vaccination progressive, repoussé la vaccination des jeunes, soutenu l'AstraZeneca. Quelle mouche a donc piqué le Gouvernement pour qu'il s'en prenne d'un coup aux libertés publiques ?

Ce texte est un aveu d'échec : notre peuple n'est pas assez vacciné, car le Gouvernement n'a pas mis en oeuvre les moyens nécessaires. Le Président de la République poursuit sa dérive autoritaire, que symbolise l'état d'urgence.

Le passe sanitaire divise. Il est vicié dès le départ, car il est synonyme de contrôle d'identité tout le temps et partout, et même par des personnes non assermentées. Une société de suspicion et de contrôle permanent : est-ce là votre modèle ? Nous optons, nous, pour la confiance.

Le passe sanitaire sera obligatoire pour la vie quotidienne ou le travail. Nous refusons que le licenciement soit la sanction de cette obligation.

Si nous comprenons l'obligation vaccinale pour les soignants, pourquoi les menacer et jeter sur eux la suspicion ?

L'isolement est une mesure de privation de liberté. Or il n'y aura pas eu de décision de justice... Les moins favorisés, qui ne peuvent s'isoler en raison de leurs conditions de logements précaires, sont une fois de plus discriminés.

Nous voterons contre ce texte, attentatoire aux libertés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les sénateurs centristes font de la vaccination leur priorité, mais ils veillent aussi à la défense des libertés. Pour la plupart, ils acceptent le passe sanitaire, mais dans un cadre plus limité.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Très bien !

M. Philippe Bonnecarrère.  - Le virus est là pour longtemps et ne connait pas de frontières. M. Delfraissy nous a présenté les deux thèses des scientifiques : pour les optimistes, la vaccination générale conduirait à un affaiblissement rapide du virus ; pour les pessimistes, les variants se multiplieraient et deviendraient plus durs.

Quoi qu'il en soit, une « normalité » de la présence du virus s'impose. Comment la gérer ? Dans une société de défiance, voire de peur, marquée par l'individualisme, nous nous devons de cultiver une éthique de la responsabilité et du respect des autres.

Les vaccins sont disponibles et gratuits, proposés à tous : à ce titre, nous avons un débat de riches. Il n'y a d'autre solution que de vacciner, car le reconfinement serait un drame et notre société regarde chaque vie comme essentielle.

La vaccination est donc la priorité. Faut-il une vaccination obligatoire générale ? Ce serait égalitaire et pédagogique, mais le souhaitable est-il possible et acceptable ? À terme, nous n'écartons pas cette solution : c'est une question de calendrier, pour éviter un engorgement.

Quant à la vaccination obligatoire des soignants, elle ne fait pas de difficulté pour nous.

Les engagements du 21 mai ne sont plus d'actualité, ce qui n'incite pas à la confiance. (M. Loïc Hervé approuve.)

Le passe sanitaire porte-t-il atteinte aux libertés ? Oui, et même gravement. Il y a banalisation : quatorze périodes d'état d'urgence depuis 2015 ! Cette atteinte est-elle proportionnelle au risque ? Pour le Gouvernement, oui, face à la charge virale.

À l'Assemblée nationale, le passe a été décrit comme un outil de liberté. Mais ce raisonnement a ses limites : le passe sanitaire ne soigne pas, il réduit le brassage social. À trop vouloir l'assouplir et le raboter, il risque de perdre son rôle sanitaire pour n'être plus qu'une incitation à se vacciner, ce qui lui ferait perdre son fondement constitutionnel.

Deuxième axe de notre intervention, la défense des libertés publiques. La commission des lois et la commission des affaires sociales ont proposé un changement de logiciel, soulignant le caractère exceptionnel des mesures que nous propose le Gouvernement, en précisant qu'il s'agit bien d'un état d'urgence sanitaire.

Enfin, madame la ministre, M. Véran a commis une maladresse en insistant sur le désaccord à venir avec le Sénat : j'espère qu'il la corrigera demain, en vue d'une CMP positive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER.) Nous nous apprêtons à délibérer dans des délais excessivement contraints. Le manque d'anticipation du Gouvernement donne une impression de chaos, au moment où il faudrait un cap clair.

Nous en sommes convaincus, vous en viendrez à la solution que nous défendons : la vaccination universelle, par laquelle chacun se protège et protège les siens tout en jouissant de ses libertés. L'Académie nationale de médecine vient de se prononcer pour cette mesure. Souvenons-nous : elle défendait le port du masque à l'époque où le Gouvernement assurait encore qu'il ne servait à rien...

La politique que vous avez choisie est incohérente et liberticide. Elle vous contraint à multiplier les ajustements pour tenter de consolider un édifice de plus en plus bancal.

L'obligation vaccinale limitée à certaines catégories professionnelles risque d'être une usine à gaz ; nous craignons même qu'elle soit contreproductive. Les critères, flous, laissent place à l'arbitraire. Pourquoi policiers et professeurs ne sont-ils pas concernés ? Le Gouvernement a annoncé que les salariés pourraient poser RTT et jours de congé pour éviter la suspension de leur contrat de travail : c'est dire si la mesure initiale était pertinente...

Vous imposez la vaccination généralisée, mais sans le dire. Le courage politique serait au contraire d'expliquer à tous que la vaccination est un devoir de solidarité, de fraternité même ; que l'individu n'est pas un élément isolé, mais un citoyen conscient de sa responsabilité collective.

Un tel courage assurerait la concorde. À l'inverse, votre démarche hasardeuse risque de fracturer la société.

Nous ne voulons pas d'un passe liberticide ; nous voulons atteindre l'immunité collective, soit 90 % de la population vaccinée compte tenu des variants. Pour cela, c'est une politique de santé publique dont nous avons besoin. C'est elle qui nous évitera la dérive vers des pratiques de contrôle social généralisé.

Il faut des tests pertinents, des moyens humains et matériels suffisants, une lutte contre les inégalités territoriales et sociales. L'État doit aller vers les plus éloignés de la vaccination, souvent les plus précaires.

Le pays est prêt à des efforts -  il le montre depuis plus d'un an. Malheureusement, le Gouvernement fait le pire des choix : avancer masqué. Sa démarche trouble suscite un rejet qui compromet non seulement la lutte contre le virus, mais aussi les fondements de notre démocratie.

Nous avons besoin de solidarité et d'unité : cela passe par la vaccination généralisée ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.) Il faut se rendre à l'évidence : alors que le variant Delta accentue sa prédominance, nous sommes confrontés à une quatrième vague, qui n'a pas encore atteint son pic. Les chiffres sont spectaculaires : en une semaine, les hospitalisons ont crû de 70 %.

Ce virus est très retors : tout se passe comme s'il compensait le rétrécissement de sa cible par une contagiosité accrue. Nous n'en avons pas terminé avec la pandémie.

La stratégie vaccinale est essentielle, mais pas unique - j'y reviendrai.

Les dernières annonces du Président de la République ont eu un effet positif - un déclic chez certains de nos concitoyens, auparavant attentistes - et un effet négatif - le raidissement de certains autres, provoquant un vent de colère.

Les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte sont détestables.

M. Loïc Hervé.  - Vous voulez dire catastrophiques !

M. Bruno Retailleau.  - Nos deux commissions n'en ont que plus de mérite d'avoir mené un travail aussi approfondi.

Le Gouvernement nous demande d'entériner des mesures rugueuses dont l'application sera complexe et dont les résultats sont incertains.

Par ailleurs, il ne nous facilite pas toujours la tâche. Car le vent de colère dont j'ai parlé, d'où vient-il ? D'une perte de confiance, causée par les tâtonnements qui ont émaillé la crise : masques qu'on disait inutiles, refus idéologique de fermer les frontières, passe sanitaire qui ne devait pas concerner les activités du quotidien...

M. Loïc Hervé.  - Eh oui !

M. Bruno Retailleau.  - Sans parler d'une communication chaotique, passant de l'euphorie au catastrophisme.

Je ne mésestime pas la difficulté de votre tâche, madame la ministre déléguée. Mais le Gouvernement donne à nombre de nos concitoyens un sentiment d'improvisation.

La vaccination est au coeur de notre stratégie. Nous avons trois ou quatre millions de personnes fragiles : pourquoi ne pas lancer une opération commando, faire du porte à porte téléphonique ? Avec les médecins généralistes, car ce sont eux qui rétabliront la confiance !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - C'est ce que nous faisons.

M. Bruno Retailleau.  - La Vendée, département hautement touristique, fait face à une forte augmentation des contaminations. Or à Noirmoutier, 350 rendez-vous ont été annulés pour la semaine du 2 août ; à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, il y a 500 annulations, et presque autant aux Sables-d'Olonne. Pourquoi y a-t-il moins de doses ? Madame la ministre, nous allons vous accompagner sur le passe, mais il nous faut des doses de vaccin !

Pourquoi ne pas imposer l'installation de capteurs de CO2 dans les salles de classe ? Ils ne coûtent que quelques dizaines d'euros, et nous savons que le virus se propage par les aérosols.

Les mesures d'isolement renforcées, je les demande depuis le début : mieux vaut isoler certains que confiner tout le monde.

Pourquoi notre contribution au séquençage du virus est-elle si médiocre ? Nous ne mettons pas le privé à contribution, alors que, sans séquençage, nous continuerons d'avancer dans le brouillard.

Dans quelques jours, le numerus clausus de médecins réanimateurs sera arrêté. L'an dernier, il est passé de 72 à 74. Cette année, il faut franchir un vrai cap ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe UC)

Tout au long des derniers mois, nous avons recherché le bon équilibre entre responsabilité et exigence. Nous vous avons donné les moyens d'agir pour protéger les Français.

J'ai indiqué dès le 2 décembre dernier à l'Élysée que j'étais favorable à la vaccination obligatoire des soignants. Nous accompagnerons sur ce sujet aussi, avec les précautions prévues par nos deux commissions.

Les interrogations, même si nous ne les comprenons pas toujours, peuvent être légitimes. En tout cas, il faut y répondre autrement que par des injures et des invectives.

Le confinement, le couvre-feu sont pires que tout. Ils touchent non seulement à nos libertés fondamentales, mais aussi à la santé psychique, notamment des jeunes. En outre, une économie bloquée est source de grande souffrance sociale.

Le passe sanitaire est sans doute la moins mauvaise des solutions.

La vaccination obligatoire, je n'y crois pas pour le moment. D'abord, nous n'avons pas les doses nécessaires. Ensuite, comment serait-elle contrôlée ? Dans un pays gravement fracturé, nous prendrions de grands risques.

Le passe sanitaire est un chemin étroit, difficile ; mais nous accompagnerons le Gouvernement, en veillant à ce que la mesure soit proportionnée. Oui au passe sanitaire, non au passe arbitraire !

Une société tient par l'équilibre entre droits et devoirs. Le devoir du Gouvernement est de ne pas blesser nos droits. C'est pourquoi Hervé Marseille et moi-même avons été les premiers à annoncer la saisine du Conseil constitutionnel, pour apporter aux Français toutes les garanties en matière de libertés.

La procédure démocratique, c'est le rendez-vous devant le Parlement. C'est pourquoi le rapporteur a proposé la date butoir du 31 octobre.

Par ailleurs, il faudra aider les restaurateurs et bistrotiers. (MMLaurent Lafon et Alain Richard opinent.) Ils ont été durement frappés par la crise : n'allons pas maintenant en faire des délinquants !

M. Loïc Hervé.  - Tout à fait !

M. Bruno Retailleau.  - La démocratie, c'est aussi le respect des minorités. (M. Claude Malhuret approuve.) Les gouvernants doivent s'astreindre à tenir un discours qui ne blesse, ne stigmatise personne. Quand le porte-parole du Gouvernement oppose deux France, dont l'une serait capricieuse et défaitiste,...

M. Loïc Hervé.  - C'est honteux !

M. Bruno Retailleau.  - ...il me rappelle son prédécesseur qui stigmatisait « ceux qui fument des clopes et roulent au diesel ». Quelques semaines plus tard, nous avions les Gilets Jaunes.

La fraternité, madame la ministre, c'est que nos compatriotes, quel que soit leur statut vaccinal, puissent se rendre dans un hôpital ou un Ehpad pour assister un de leurs proches avant son grand passage. Pouvez-vous nous confirmer que tel sera le cas ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et UC.)

La pandémie nous rappelle à notre devoir de fraternité. Quoi que nous croyions et qui que nous soyons, nous avons partie liée les uns avec les autres. Pour le dire avec les beaux mots de Victor Hugo, « ma vie est la vôtre, la vôtre est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Chacun a rappelé, égrenant les chiffres, la gravité de la crise sanitaire que nous connaissons.

Depuis dix-huit mois, l'exécutif a commis une triple faute. D'abord, en infantilisant les Français, de l'attestation exigée pour se déplacer aux leçons assénées. Ensuite, en cédant à l'autoritarisme : quand le Président de la République parle, ses propres ministres ne savent pas précisément ce qu'il va annoncer... Enfin, en multipliant errements et revirements, qui ont fait fondre la confiance dans votre parole : n'aviez-vous pas assuré que le passe sanitaire ne s'appliquerait jamais aux actes de la vie quotidienne ?

M. Loïc Hervé.  - En effet !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - D'où un triple désastre, sanitaire, démocratique et social.

Sur le plan sanitaire, les soignants sont épuisés et les vaccins manquent.

Sur le plan démocratique, nous sommes contraints à mal travailler, sans recul suffisant pour réfléchir, en dépit de l'esprit constructif de chacun. Puisque l'avis des parlementaires n'est pas tenu en grande estime, je citerai la Défenseure des droits : elle dénonce l'inintelligibilité des règles prévues dans ce texte confus.

Vous découpez l'espace public, opposez les populations, instaurez un contrôle généralisé. Vous portez atteinte à la liberté d'aller et venir, en souhaitant -  c'est quasiment assumé  - une surveillance générale, une France en liberté conditionnelle. (Mme la ministre déléguée proteste.) Vous incitez à l'arrêt du dépistage, car les gens ne voudront pas être isolés.

Sur le plan social, vous allez multiplier licenciements et discriminations à l'emploi, au détriment des plus défavorisés, qui sont aussi les moins vaccinés.

Nous proposons la vaccination universelle. Certains disent : c'est l'étape d'après. Mais pourquoi attendre ? Dans quelques mois, quand vous reviendrez devant le Parlement pour l'instaurer, nous aurons encore pris du retard pour nous sortir de cette crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE ; Mme Nassimah Dindar et M. Loïc Hervé applaudissent également.)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie .  - Ayant le plus grand respect pour les débats parlementaires, je déplore comme vous l'urgence dans laquelle il nous faut travailler.

La crise sanitaire impose des revirements ; il est parfois nécessaire de revenir sur des décisions prises trois ou quatre mois plus tôt.

M. Loïc Hervé.  - Deux mois !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Nous entrerons demain dans le vif des débats. Pour l'heure, je remercie les orateurs -  à une exception près  - pour la mesure de leurs propos.

Je reviens de deux déplacements, dans deux territoires ruraux : j'ai vu un afflux vers les centres de vaccination, une collaboration efficace entre ARS, collectivités territoriales et sous-préfets ; j'ai vu des soignants qui adhèrent. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE)

M. Alain Richard.  - Laissez parler la ministre !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Nous devons accompagner, apaiser, rassurer. Les réfractaires sont plus entendus que les silencieux, mais nous nous en sortirons ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

La discussion générale est close.

Prochaine séance demain, samedi 24 juillet 2021, à 9 h 30.

La séance est levée à 23 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du samedi 24 juillet 2021

Séance publique

À 9 h 30, 14 h 30, le soir et la nuit

Présidence : M. Georges Patient, vice-président, M. Roger Karoutchi, vice-président Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : Mme Patricia Schillinger M. Daniel Gremillet

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la crise sanitaire (discussion des articles) (texte de la commission, n°799, 2020-2021)