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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi
M. Jean Hingray, rapporteur de la commission de la culture
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
Nommer les enfants nés sans vie
Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article unique
« Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »
M. Joël Giraud, secrétaire d'État, chargé de la ruralité
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe Les Républicains
« Quelle portée de l'intervention du Parlement dans l'élaboration du projet de loi de finances ? »
M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics
Ordre du jour du lundi 14 juin 2021
SÉANCE
du jeudi 10 juin 2021
106e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
Secrétaires : M. Pierre Cuypers, M. Loïc Hervé.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Ticket restaurant étudiant
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine Levi et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.
M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je suis heureux de vous présenter ma première proposition de loi depuis le début de mon mandat. Quel que soit son sort, elle aura au moins le mérite de mettre le doigt sur les inégalités dans la restauration étudiante.
En tant que premier adjoint de Montauban puis sénateur, j'ai été comme vous sollicité par de nombreux jeunes qui n'arrivaient plus à manger à leur faim, et j'ai été frappé par les files d'attente pour obtenir une aide alimentaire.
Il n'est pas tolérable que de nombreuses familles de la classe moyenne peinent à subvenir aux besoins de leurs enfants étudiants. La France dispose pourtant du système d'aide généreux et performant des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), avec des bourses, des logements et de la restauration. Mais les effets de seuil ont pour effet de priver certains étudiants « trop riches » de ce dispositif. Les services des Crous ne peuvent pas non plus être présents partout. Ils couvrent en priorité les campus universitaires et moins les BTS, écoles d'ingénieurs, de commerce ou d'infirmières, ou les classes préparatoires. C'est un constat, non une critique.
Mais pouvons-nous nous satisfaire qu'aucun service de restauration ne soit proposé dans certains territoires ?
Le repas à 1 euro est une excellente initiative - dont je félicite le Gouvernement - mais elle ne règle pas le problème de l'absence de restaurant universitaire ou de restauration le soir et le week-end.
Tel est le sens de la proposition de loi, qui n'attaque nullement le travail du Crous - contrairement à ce que certains esprits de mauvaise foi ont prétendu. Inspiré du modèle du ticket restaurant des entreprises, qui a fait ses preuves, le ticket restaurant étudiant sera payé 3,30 euros par les étudiants, l'État prenant la même somme à sa charge.
Faut-il le territorialiser ? Il semble préférable de le réserver aux étudiants n'ayant pas accès à la restauration universitaire. Au Sénat, nos collaborateurs peuvent accéder au restaurant du Sénat, tandis qu'en circonscription, ils bénéficient de tickets restaurant.
Nous devons cette mesure à nos étudiants qui souffrent de la précarité.
La question du coût est légitime, mais elle doit être mesurée à l'aune de notre devoir moral de combattre une précarité étudiante qui n'a été qu'aggravée par la crise. Cela ne créera aucun surcoût pour le Crous, puisque cela répond à un droit non exercé.
D'aucuns évoquent un coût farfelu de 5 à 6 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons avoir une vision seulement comptable du sujet.
Madame la ministre, qu'est-ce qui est le plus cher ? La création d'un restaurant universitaire pour 50 étudiants en BTS ou des tickets restaurant pour ceux qui en sont privés ?
J'espère que cette mesure obtiendra le soutien du Gouvernement : il a celui de plus de 80 sénateurs, de tous bords politiques.
N'infantilisons pas les étudiants : ils n'iront pas acheter de la junk food ; et il est aussi possible de mal manger au restaurant universitaire...
Je vous exhorte à soutenir ce texte en faveur de nos jeunes. Je remercie la députée Anne-Laure Blin, qui a déposé une proposition de loi similaire, et mes collègues du groupe UC qui ont inscrit la mienne dans cette niche. Ce texte ne doit pas rester dans un tiroir. Je vous remercie pour les étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Arnaud Bazin applaudit également.)
M. Jean Hingray, rapporteur de la commission de la culture . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comme notre collègue vient de le démontrer, cette proposition de loi entend redonner du pouvoir d'achat aux étudiants éprouvés par la crise sanitaire.
Le ticket à 1 euro en restaurant universitaire est une bonne chose, mais elle ne peut suffire, car il n'existe pas de restaurant universitaire partout. Cette solution amplifie même l'inégalité entre les étudiants des grands campus et les autres. Il ne constitue pas non plus un modèle économique viable, puisque le coût réel d'un repas est sept à huit fois supérieur.
Mme la ministre n'est pas en mesure de nous dire si cette mesure sera prolongée, mais nous avons toutes les raisons de penser qu'elle ne le sera pas. C'est dans ce contexte qu'intervient cette proposition de loi permettant à tous les étudiants de se nourrir.
Certains ont critiqué ce mécanisme et son coût, en versant dans la caricature. Certains ont prétendu que nous mettions en concurrence le Crous et la restauration privée. Le ticket restaurant ne remet pas en cause la restauration universitaire, mais apporte un peu de souplesse.
Je ne puis laisser dire non plus que nous jetterions les étudiants dans les bras des fast-foods, alors qu'ils pourront faire leurs courses dans des supérettes. Le risque d'un recours à la malbouffe peut d'ailleurs être évité par des moyens techniques.
En tant que rapporteur, j'ai écouté toutes les parties.
Les huit cents points de restauration des Crous sont inégalement répartis sur les territoires. Dans les zones blanches, les étudiants ne peuvent matériellement bénéficier du ticket à 1 euro. Avec Pierre-Antoine Levi, nous avons proposé à la commission de réserver le ticket restaurant à ces étudiants-là. Ce ciblage écarte tout risque de déstabilisation du réseau des oeuvres universitaires.
L'offre de restauration ne sera ainsi plus cantonnée aux grands pôles universitaires. Cette solution mettra fin à une iniquité territoriale.
L'Angleterre et la Suède ont montré que le ticket restaurant était une alternative pertinente, techniquement adaptée.
Le Gouvernement ne peut détourner le regard de cette jeunesse qui souffre et qui attend des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Je salue l'initiative du groupe UC. Cette proposition de loi a le mérite d'aborder le problème de la précarité alimentaire des étudiants, aggravée par la crise sanitaire qui a limité les stages rémunérés et les petits jobs.
La communauté universitaire et le Gouvernement ont agi dès mars 2020 via les Crous et les associations étudiantes notamment par la vente à emporter, la livraison, la distribution de colis alimentaires.
Le Gouvernement a également versé des aides exceptionnelles, augmenté les bourses, gelé les frais d'inscription, les loyers des Crous, financé la distribution gratuite de protections périodiques, créé 20 000 emplois étudiants.
La création d'un ticket à 1 euro - pour les boursiers au 1er septembre et élargi à tous les étudiants, deux fois par jour, au 1er janvier - est emblématique de la mobilisation du Gouvernement et de l'engagement des Crous, que je salue.
Ceux-ci se sont mobilisés fortement, en un week-end, pour mettre en place rapidement cette mesure et venir en aide aux étudiants. Imaginez le travail qu'il faut pour délocaliser certains sites et changer les chaînes de production ! Le service public a été aux rendez-vous de la crise. Près de dix millions de repas ont déjà été servis.
Aucun pays européen ne s'est engagé à ce point. Il faut cependant tirer les leçons de la crise et améliorer durablement les conditions de vie étudiante, qui déterminent largement la réussite et donc l'émancipation de chacun.
Nous souhaitons un parcours d'accompagnement coordonné avec les Crous, les étudiants, les collectivités territoriales et les associations. À chaque instant, l'étudiant doit être considéré comme un jeune adulte. La vie étudiante n'est pas un supplément d'âme ; c'est un objectif de premier plan.
Aussi, je salue l'initiative du Sénat qui se saisit du sujet à travers cette proposition de loi comme avec la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante. Il faut envisager la vie étudiante dans l'ensemble de ses facettes.
La proposition de loi vise d'abord à adapter l'offre de restauration étudiante. Les étudiants ont besoin d'une alimentation de qualité, gage de santé et de bien-être. Dans ce domaine, les Crous ont beaucoup amélioré leur offre. De fait, 80 % des étudiants s'y rendent pour bénéficier d'un repas de qualité et varié - avant la crise, la fréquentation croissait de 5 % chaque année. L'offre des Crous est également créatrice de lien social. Je sais que vous reconnaissez pleinement la valeur ajoutée des Crous et que vous ne voulez pas les déstabiliser.
Le véritable enjeu est celui de l'égalité d'accès à la restauration universitaire. Actuellement, grâce aux 750 points de vente dans 221 villes, 2,3 millions d'étudiants sur 2,8 millions ont accès à un site de restauration dans leur environnement immédiat.
Sur 190 sites supplémentaires, les Crous ont noué des partenariats avec des collectivités et des associations pour ouvrir des points de restauration aux étudiants. Il demeure, il est vrai, des zones blanches, tandis que la pression étudiante dans les grandes villes peut aussi peser sur l'offre.
Cette proposition de loi pose une question centrale, mais le travail doit se poursuivre pour trouver une solution globale, mobilisant tous les leviers disponibles dans les territoires.
Je ne crois pas que le ticket restaurant soit suffisant, même s'il peut être utile. Il n'existe pas de titre de paiement réglementé à ce jour, sauf à ce que les entreprises se positionnent.
En outre, le ticket restaurant n'implique pas une équité sociale entre étudiants : certains ne peuvent payer au-delà du forfait. Je crois davantage aux partenariats avec les collectivités territoriales qui mettent à la disposition des étudiants des cantines administratives ou hospitalières - qui répondent aux mêmes exigences que les restaurants universitaires.
Dieppe, Draguignan, Guéret, Mende, Morlaix, Saint-Lô : de nombreuses villes s'engagent dans des solutions concrètes.
Dans le cadre de la loi de programmation sur la recherche, vous avez voté la contractualisation entre collectivités territoriales, étudiants et Crous.
Des solutions ont été trouvées dans 190 sites universitaires ; 15 demeurent encore en zone blanche. Sans doute faudrait-il envisager un accès plus simple des cantines conventionnées aux denrées des centrales d'achat du Crous : partout où c'est nécessaire, nous y pourvoirons.
Les principales organisations étudiantes, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) et l'Union nationale des étudiants français (UNEF), ont pris position, plutôt contre la mesure. J'espère trouver un point d'équilibre pour trouver des solutions pour nos étudiants.
Nous voulons tous leur offrir des conditions de vie favorables à leur réussite. Cela concerne également la réforme des bourses sur critères sociaux.
Nous pouvons prolonger le débat dans le cours de l'examen des amendements. Des outils existent pour couvrir les besoins. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. le rapporteur applaudit également.) La crise sanitaire a profondément aggravé les conditions de vie étudiante - troubles psychologiques, perte de revenus d'appoint, décrochage - et a conduit à des situations matérielles difficiles. L'été dernier, le Gouvernement a instauré des repas servis à 1 euro pour les boursiers.
Mais les auteurs de la proposition de loi - dont Véronique Guillotin et André Guiol, du RDSE - soulignent que cela exclut les boursiers éloignés des campus et des centres-villes.
La proposition de loi initiale était trop large et aurait mis en concurrence Crous et restauration privée. En outre, il est difficile de trouver un repas équilibré et complet pour 6,60 euros.
La commission a recentré la proposition de loi sur les zones blanches privées de restaurant universitaire. Le coût budgétaire en sera atténué, autour de 1 à 2 milliards d'euros. Le ticket restaurant servira à se restaurer ou à acheter des denrées alimentaires dans des établissements conventionnés - selon quelles modalités ?
Cette solution écarte tout risque de déstabilisation de la situation financière des Crous. Elle créera un cercle vertueux avec les restaurateurs.
Le groupe RDSE votera ce texte avec enthousiasme, mais il faudra trouver des sources de financement pour pérenniser les repas à 1 euro, faute de quoi nous fragiliserons les autres missions du Crous, comme le logement ou l'accueil social. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. le rapporteur applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias . - (Applaudissements à gauche) Je partage l'émotion collective qui s'exprime dans notre hémicycle. Un grand pays comme le nôtre ne peut accepter que ses étudiants souffrent de la faim et ne trouvent leur pitance qu'auprès d'associations caritatives.
C'est le symptôme d'une situation ancienne qui s'aggrave, sur laquelle se penche la mission d'information sur la vie étudiante dont vous m'avez fait l'honneur de me confier la présidence - et je vous en remercie.
Les images d'étudiants dans les files d'attente des soupes populaires ne doivent pas nous faire oublier l'engagement des Crous. Nous devons saluer collectivement l'extrême mobilité de tous leurs agents qui ont adapté en permanence leurs services pour offrir aux étudiants repas, accueil et chaleur humaine dans leurs restaurants et cités universitaires. De nombreux drames ont ainsi été évités.
La baisse du prix du repas à 1 euro pour les boursiers, puis pour tous, est une mesure d'humanité et de salubrité qu'il convient de pérenniser. Madame la ministre, vous devez nous assurer céans que la charge budgétaire supplémentaire pour le Crous sera compensée dans le projet de loi de finances rectificative et sa pérennisation assurée par le projet de loi de finances.
Malgré ses 400 restaurants, l'offre des Crous ne peut être partout.
Les 175 étudiants de l'antenne de l'université de Perpignan à Mende, en Lozère, par exemple, devraient plutôt avoir accès à la restauration collective des organismes publics, grâce à une convention avec les collectivités territoriales.
Ce n'est qu'en absence d'une offre des Crous et d'une offre partenariale que cette proposition de loi doit contribuer à l'extension du service public de la restauration universitaire.
L'action coordonnée des Crous et collectivités territoriales est essentielle. Madame la ministre, vous devez donner aux Crous les moyens de développer une politique d'agrément, pour assurer le service public de restauration universitaire sur tout le territoire.
Il n'appartient qu'à vous que les 175 étudiants de Mende puissent accéder à la restauration collective dès la rentrée prochaine. Je crois que vous y avez donné un avis favorable et je vous en remercie. (Applaudissements à gauche et sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sabine Van Heghe . - Je remercie les collègues de l'UC pour leur initiative et salue le travail de qualité du rapporteur.
Les étudiants n'ont pas tous accès à la restauration universitaire. L'utilisation d'un ticket restaurant est souple. Cette proposition de loi nous semblait frappée au coin du bon sens. Mais à y regarder de plus près, nous sommes plus sceptiques.
De nombreux étudiants craignent une « fausse bonne idée ». Son coût, sujet qui n'est ici qu'effleuré, dépasserait 1 milliard d'euros par an. Où ira l'argent ? Vers les enseignes de restauration rapide et non aux étudiants.
Pourquoi ne pas aider directement les étudiants en accédant à leur demande d'une aide de 1,5 milliard d'euros ?
Le groupe SER est également favorable à un RSA jeune, pour les 18-25 ans, surtout en période de crise.
Attention aux risques de malbouffe.
Cette proposition de loi fait l'impasse sur le sujet budgétaire. Qui prendra en charge le complément du ticket restaurant : l'État ou les collectivités territoriales ? C'est le grand flou. Ces dernières craignent une augmentation de leurs charges. En outre, les plus précaires des étudiants ne peuvent payer 3,30 euros. Pourquoi conserver le repas à 1 euro - à moins que cette mesure ne disparaisse ?
Les étudiants vont subir encore longtemps les conséquences de la crise, notamment dans le logement et l'emploi.
Je crains que le ticket restaurant étudiant affaiblisse, au bénéfice de la restauration privée, les restaurants universitaires qui ont aussi une mission de socialisation et de repérage des étudiants en difficulté. La restauration représente 30 % du chiffre d'affaires des Crous. Vous risquez de mettre à mal les autres missions des centres. Leur dotation - 367 millions d'euros en 2021 hors plan de relance - est très faible et ne permet de couvrir que 10 % du coût du ticket restaurant. Le risque de fermeture de sites est important.
Cette proposition de loi est fondée sur l'individualisme et le renvoi vers le secteur privé, alors que la solution serait plutôt d'augmenter les moyens des Crous pour multiplier les partenariats avec les collectivités territoriales.
Le rapporteur n'a agi que sur la géographie mais le flou demeure concernant les financeurs. Les risques d'un manque à gagner important pour un service public perdurent également.
Les sénateurs socialistes s'y opposeront. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Personne n'ignore la précarité étudiante. Durant les auditions de la mission d'information, la crise sanitaire a fonctionné comme une loupe pour montrer les difficultés économiques des étudiants.
Quelque 56 % d'entre eux ont souffert de difficultés dans la gestion de leurs dépenses alimentaires et 25% n'ont pas pu manger à leur faim, contre 6 % avant la pandémie.
Face à cette situation, le ticket restaurant est bienvenu pour les étudiants les plus éloignés des grands centres et je salue le travail du rapporteur Hingray. Certes, le repas à 1 euro fut une initiative louable mais cette solution n'est pas viable budgétairement et ne résout pas le problème géographique d'accès aux restaurants universitaires.
Le ticket restaurant ne doit toutefois pas précipiter les étudiants vers la restauration rapide au détriment de leur santé. La vente de ticket restaurant par lots risque aussi de poser problème aux étudiants qui ne pourront pas tous faire une telle avance de trésorerie. Il ne faut pas non plus placer les Crous, qui rivalisent d'efforts pour adapter leurs offres aux besoins, en concurrence avec le secteur privé.
Le coût du dispositif initial était évalué entre 2 et 3 milliards d'euros. Aussi, je salue le recentrage opéré par le rapporteur vers les zones blanches, pour éviter de déstabiliser les Crous.
Je salue aussi les associations d'aide alimentaire, qui ont distribué plus de 40 000 paniers repas aux étudiants d'Île-de-France. En votant cette proposition de loi, le Sénat leur prouverait que leurs efforts ne sont pas vains et que la représentation nationale prend la mesure des difficultés rencontrées par la jeunesse de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Avec cette proposition de loi, un ticket restaurant à 6,60 euros serait financé pour moitié par l'État ; il serait utile dans la lutte contre la précarité des jeunes.
La disparition de nombreux emplois ou stages rémunérés les a plongés dans une situation de grande fragilité financière. Un programme d'aide d'urgence du ministère complète les repas à 1 euro.
J'ai personnellement cosigné cette proposition de loi, mais non sans réserves : l'absence de ciblage risquait de fragiliser les Crous, dont 30 % du chiffre d'affaires proviennent de la restauration. En outre, le coût était estimé à près de 3 milliards d'euros.
La commission de la culture a ciblé le dispositif sur les étudiants établis en zones blanches. J'approuve cet ajustement.
Cette proposition de loi interroge sur le maillage des établissements d'enseignement supérieur, parfois éloignés des grands centres urbains. Les services étudiants et les prestations d'accompagnement doivent être adaptés à cette délocalisation.
Complétons les dispositifs dans les zones éloignées d'où le Crous est absent.
La suppression de cotisation à la sécurité sociale depuis 2018, la hausse des bourses sur critères sociaux, la construction de 60 000 logements étudiants d'ici 2022, le relèvement des montants des bourses sont des actions positives du Gouvernement. Mais il faut aller plus loin.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La précarité des étudiants ne fait que s'aggraver. Le logement représente les deux tiers de leur budget. Si 36 % d'entre eux sont boursiers, ils doivent souvent travailler à côté - ce qui est la première cause d'échec.
La crise a aggravé les difficultés des étudiants : 20 % ont eu recours à l'aide alimentaire en 2020. Selon la Fondation Abbé Pierre, 50 % ont rencontré des difficultés à régler leurs repas et leur loyer.
Je salue l'initiative de M. Levi, mais c'est une fausse bonne idée : le montant du ticket restaurant est trop faible pour assurer l'accès à une alimentation de qualité, et il risquerait de favoriser les chaînes de restauration rapide.
Trouvons une solution en accord avec les besoins des étudiants. D'après une enquête du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), 59 % des étudiants vont au restaurant universitaire pour ses repas équilibrés et sains, et ils apprécient, en sus, le développement d'une offre bio et végétarienne. Ce sont aussi des lieux d'échanges, où l'on peut repérer les plus fragiles.
Avec ce texte, une dépense publique favoriserait la consommation dans le secteur privé.
La version initiale de la proposition de loi fragilisait les Crous. Le rapporteur a donc limité sa portée aux zones blanches, mais cela ne résout pas tous les problèmes. D'autres solutions sont possibles.
Il faut déployer plus de restaurants universitaires dans les zones blanches, élargir leur ouverture le soir et le week-end, développer des partenariats avec les hôpitaux et les Ehpad.
Le revenu universel d'autonomie (RUA) pour tous les jeunes, évoqué en 2019 par le Gouvernement, est un espoir déçu - un de plus.
Le GEST votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Julien Bargeton . - Cette proposition de loi a un objectif louable : lutter contre la précarité alimentaire des étudiants. Certains sont éloignés des Crous ; les plages d'ouverture sont insuffisantes ; les files d'attente sont longues ; certains aspirent à une offre plus diversifiée. Les besoins évoluent, appelant de nouveaux modes de consommation.
Le RDPI partage le constat, mais pas la solution proposée par le texte. Il faut, en effet, renforcer et non fragiliser les Crous, qui ont mis en place avec succès les deux repas à 1 euro par jour. Les restaurants universitaires jouent aussi un rôle important de socialisation.
Des émetteurs de tickets restaurant classiques m'ont dit qu'ils avaient déjà distribué des tickets à des étudiants en grande détresse sociale.
L'UNEF et la FAGE ne sont pas très favorables à ce texte. Ce n'est pas un obstacle dirimant, mais comme on me dit souvent qu'il faut davantage prendre en compte les corps intermédiaires... (Sourires)
Il faut améliorer la qualité de la restauration collective, et continuer les efforts engagés en ce sens.
La commission a modifié substantiellement le dispositif qui est plus ciblé et moins coûteux, même s'il reste difficile de connaître par avance le coût d'un dispositif « à la demande ».
Il faudrait peut-être davantage de concertation pour l'affiner encore. Le rapporteur a réalisé un travail intéressant ; sans doute faut-il aller plus loin.
Le RDPI s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur le banc de la commission)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi qu'au banc de la commission) Avec le logement, l'alimentation représente la principale charge des étudiants, et devient une variable d'ajustement - en qualité ou quantité.
La crise sanitaire a particulièrement affecté les étudiants ne bénéficiant pas d'un soutien familial, et a accentué les inégalités au sein de cette population très hétérogène. Les confinements et la fermeture des restaurants universitaires ont souvent privé les jeunes d'un repas équilibré quotidien. Certains n'ont pas toujours mangé à leur faim. La hausse de la fréquentation des épiceries sociales et solidaires et l'affluence constatée lors de la distribution de colis alimentaires témoignent de l'aggravation de la précarité étudiante.
En janvier, le Gouvernement a mis en place le repas à 1 euro pour tous dans les restaurants universitaires. Mais du fait de zones blanches, trop d'étudiants en sont exclus. Les étudiants peuvent télétravailler, mais pas télémanger, aime à rappeler Pierre-Antoine Levi. En Vendée, la faculté d'Angers propose une formation en L3 aux Sables-d'Olonne : le Crous le plus proche est à la Roche-sur-Yon, à trente kilomètres.
Cette proposition de loi vise à améliorer l'accès à une restauration au tarif étudiant, en créant un ticket restaurant étudiant. L'idée n'est pas nouvelle : notre jeune collègue Jean Hingray la défendait déjà sur les bancs de l'université avant de la défendre sur ceux du Sénat. Elle devient cependant urgente au regard des conséquences de la crise. Cette mesure élargira l'offre de restauration accessible aux étudiants éloignés de toute structure collective ; ils pourront utiliser les tickets au restaurant ou pour faire leurs courses.
La clarification apportée en commission par le rapporteur évitera tout abus comme tout risque de déstabilisation du réseau des Crous. Je salue le travail mené par Pierre-Antoine Levi et Jean Hingray au bénéfice de nos étudiants affectés par la crise.
Le groupe UC votera unanimement cette proposition de loi. Entendez cet appel, madame la ministre, et faites en sorte que ce texte prospère rapidement ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et sur le banc de la commission)
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) La détresse de nombreux étudiants depuis le début de la crise sanitaire a été illustrée par les images de files d'attente lors des distributions de repas gratuits. Pour certains, se nourrir et se loger devient un véritable parcours du combattant.
Cette proposition de loi crée un ticket restaurant destiné aux étudiants, pour estomper leur précarité alimentaire. Je salue le travail de Jean Hingray qui en a mesuré les écueils, à commencer par un risque de déstabilisation du réseau des Crous, qui subissent déjà des pertes financières auxquelles vont s'ajouter les surcoûts liés à la loi EGalim.
La commission a limité la mesure aux antennes universitaires non pourvues de restaurant universitaire, ces zones blanches où chacun doit se débrouiller. Je salue une judicieuse territorialisation. Le décret d'application précisera le périmètre et l'usage de ce ticket restaurant étudiant
Il subsiste toutefois certaines interrogations, voire certains griefs - mais quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage.
Le coût de la mesure me parait très surévalué. L'assiette, si j'ose dire (sourires), sera réduite par la territorialisation et la concurrence avec les Crous doit être relativisée - seuls 50 % des étudiants les fréquentent.
Je ne crois pas non plus que les étudiants se précipiteront dans les chaînes de restauration rapide, au mépris de toute considération diététique. Cette mesure pourrait aussi venir soutenir des restaurateurs durement éprouvés par la crise ! Et les étudiants sont de jeunes adultes responsables, sensibilisés à ces sujets.
Faudrait-il, du reste, contrôler la façon dont sont dépensées les aides sociales, établir un mode d'emploi ou une autorisation de décaissement ? Je ne le crois pas.
Le groupe Les Républicains fait confiance aux étudiants et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur le banc de la commission)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°1, présenté par Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Sabine Van Heghe. - Même restreint, ce dispositif va conduire l'initiative privée à se substituer partiellement au service public de restauration universitaire, sur fonds publics.
Cela risque d'entraîner une moindre fréquentation des restaurants universitaires et donc une baisse de leurs moyens, qui menace la pérennité du réseau.
La participation des financeurs est floue, et la garantie d'exigence de qualité nutritive des repas absente. Enfin, le reste à charge ne sera pas négligeable, ce qui pénalisera les plus précaires.
Il aurait mieux valu rediriger les fonds publics prévus pour financer ce ticket restaurant vers le renforcement des aides sociales.
M. Jean Hingray, rapporteur. - Avis défavorable, naturellement... J'aurais préféré un amendement proposant des critères sociaux, dont nous aurions pu discuter.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je remercie le Sénat pour son soutien au Cnous et aux Crous. Le personnel y sera sensible.
Je remercie aussi l'auteur du texte, le rapporteur et la commission d'avoir mis en lumière ce sujet bien réel, et salue la qualité du débat. Sagesse.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Sabine Van Heghe. - Il s'agissait d'un amendement de coordination, il n'a plus de raison d'être.
L'amendement n°2 est retiré.
L'article 3 est adopté.
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
La séance est suspendue quelques instants.
Nommer les enfants nés sans vie
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Mme Anne-Catherine Loisier.
Discussion générale
Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi . - Cette proposition de loi est le fruit d'échanges avec des familles éprouvées par la perte d'un enfant né sans vie. Elle vise à donner à l'enfant un nom de famille pour accompagner le deuil et inscrire dans la loi les premiers éléments d'une reconnaissance sociale.
Elle n'ouvre pas de droits supplémentaires mais permet aux familles et à ceux qui les accompagnent de s'appuyer sur un cadre juridique à même de faire évoluer les pratiques et de réduire les inégalités territoriales.
Je remercie les juristes et sociologues que j'ai sollicités de leur éclairage, et attire votre attention sur le rapport Périsens (Périnatal, Statut, Enregistrement, Statistiques).
Le nombre d'enfants nés sans vie est estimé à 8 000 par an, mais certains parents ne les font pas enregistrer.
En l'absence de personnalité juridique, il n'y a pas de reconnaissance sociale des enfants nés sans vie, ni du deuil périnatal.
Cette proposition de loi permet d'attribuer un nom de famille et crante dans la loi le choix d'un prénom, rendu possible par la circulaire du 19 juin 2019 mais non prévue par l'article 79-1-2 du code civil. Le tout sans créer de personnalité juridique, ni de lien de filiation.
Est-ce parce qu'il n'a pas de personnalité juridique que l'enfant né sans vie doit être considéré comme l'enfant de personne ? Pourquoi ni nom ni lien de filiation, quand l'enfant a un prénom et figure sur le livret de famille ? Qui porte un prénom sans avoir de nom ? D'autant que l'acte d'enfant sans vie doit énoncer l'identité des père et mère...
Cette proposition de loi est une étape dans la prise de conscience juridique de ces situations et dans l'accompagnement des familles, qui reste à construire ; une avancée sur le chemin de la reconnaissance des enfants nés sans vie.
Nom et prénom individualisent l'enfant, lui donnent une place officielle dans la famille et aux yeux de l'administration. C'est un pas de plus vers la reconnaissance sociétale de cette épreuve et vers une uniformisation de l'accompagnement.
Je vous invite à soutenir cette proposition de loi humaniste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et CRCE)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi a un objet volontairement circonscrit : donner un nom aux enfants nés sans vie pour mieux accompagner les familles.
La notion d'enfant sans vie est issue de la loi du 8 janvier 1993, qui les distingue des enfants nés vivants et viables qui ont une personnalité juridique.
Malgré l'absence de personnalité juridique des enfants sans vie, le législateur autorise déjà un enregistrement à l'état civil, directement dans le registre des décès. Cet acte est facultatif et sans limite de délai. Les parents sont désignés dans l'acte comme « père » et « mère », ce qui est paradoxal car l'enfant demeure sans filiation.
Cette proposition de loi donne l'apparence d'une personnalité juridique et d'une filiation, mais qui ne sont que mémorielles. C'est un « accompagnement bienveillant » par le droit, un accommodement raisonnable.
Depuis 2008, l'acte d'enfant sans vie est conditionné à la production d'un certificat médical d'accouchement, ce qui exclut les fausses couches et les interruptions de grossesse du premier trimestre. Par trois arrêts, la Cour de cassation a écarté l'obligation pour l'officier de l'état civil d'appliquer les seuils de viabilité de l'OMS, soit un poids de 500 grammes et 22 semaines d'aménorrhée. Ce sont les médecins qui constatent s'il y a eu accouchement ou pas.
Depuis 2008 également, un livret de famille peut être délivré aux couples non mariés dont le premier enfant est mort-né.
La circulaire du 19 juin 2009 reconnaît aux parents le droit de donner un prénom, d'organiser des funérailles et de bénéficier de droits sociaux - congé de maternité, de paternité ou de deuil.
Mme Loisier veut limiter la portée de l'attribution d'un nom au seul acte d'enfant sans vie, pour éviter tout « effet de bord ».
Souhaitons-nous aller plus loin dans la reconnaissance de l'enfant sans vie ? La commission des lois a estimé légitime d'aller au bout du processus d'identification de l'enfant sans vie et de matérialiser symboliquement le lien de filiation du père, qui n'a pas le même rapport charnel avec l'enfant que la mère.
Donner un nom rendrait plus cohérente la reconnaissance symbolique de l'enfant sans vie, selon la même logique compassionnelle qu'en 1993. Les familles ne comprennent pas l'entre-deux actuel.
Mais ce pas supplémentaire doit rester symbolique, sans entraîner une reconnaissance de facto de la personnalité juridique. Les professeurs de droit estiment qu'en droit français, seul le fait d'être né vivant et viable confère la personnalité juridique.
Pour éviter tout risque de construction prétorienne, la commission a précisé que cette inscription « n'emporte aucun effet juridique », ce qui écarte aussi l'application de la loi sur la dévolution du nom de famille ainsi que toute conséquence en matière de succession.
La rédaction de la commission affirme aussi plus clairement le caractère optionnel de cet acte.
Je vous propose d'adopter cette proposition de loi ainsi modifiée, avec l'assentiment de son auteur. il s'agit seulement d'un accompagnement pour des familles pleines de larmes. Aidons-les à faire cet impossible deuil de l'avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - En 2020, 740 000 enfants sont nés en France. Parfois, hélas, le chagrin est au rendez-vous. Je pense à la peine des parents, des familles ne pouvant entendre le premier cri de cet enfant attendu, né sans vie.
En 2020, 8 747 actes d'enfants sans vie ont été dressés. Derrière ce chiffre, des douleurs immenses. Le deuil nécessite accompagnement et beaucoup d'empathie.
La loi du 8 janvier 1993 a introduit l'acte d'enfant sans vie, qui permet de reconnaître cet enfant.
L'article 79-1 du code civil distingue deux hypothèses. Lorsque le certificat d'accouchement atteste que l'enfant est né vivant et viable mais qu'il est décédé avant l'établissement de l'acte de naissance, l'officier d'état civil dresse à la fois un acte de naissance et de décès. L'enfant a été une personne, un bref instant, et bénéficie de tous les attributs qui y sont attachés.
Lorsque l'enfant n'était pas viable, il est seulement enregistré sur les registres des décès, avec indication du nom de ses père et mère - alors même que la filiation n'est pas juridiquement établie.
Les enfants sans vie sont les enfants mort-nés et les enfants décédés peu après la naissance car non viables.
Mme Loisier souhaite donner un nom de famille à ces enfants pour accompagner le deuil des parents. Je salue l'humanité de sa démarche et partage son objectif d'aider ces familles frappées par la douleur, auxquelles j'adresse une chaleureuse pensée.
Cette proposition de loi fait oeuvre utile en posant le débat et en faisant connaître des situations trop souvent ignorées. La demande d'un traitement digne et respectueux de ces familles et de ces enfants est légitime.
Les ministères de la Justice, de la Santé, de l'Intérieur et de la cohésion des territoires s'emploient avec détermination à améliorer l'accompagnement des familles.
Plusieurs réponses ont été apportées. D'abord, l'inscription dans l'histoire familiale par un acte officiel : l'acte d'enfant sans vie. Le prénom de l'enfant peut être inscrit dans le livret de famille avec mention du père et de la mère ; des funérailles peuvent être organisées, même sans acte d'enfant sans vie. Enfin, un prénom et un nom de famille peuvent être inscrits sur la sépulture, le code général des collectivités territoriales n'imposant pas que les mentions figurant sur le monument funéraire soient identiques aux données de l'état civil.
La mise en oeuvre de l'article 79-1 du code civil ne donne lieu à aucune difficulté d'application. Le Gouvernement est vigilant sur ce point.
Instruction a été donnée de faire preuve d'humanité dans l'appréhension des situations. L'accompagnement des familles a été renforcé : la Haute Autorité de Santé (HAS) a défini des recommandations générales sur la prise en charge du deuil périnatal ; des recommandations régionales sont également prévues ; les familles sont informées des possibilités qui sont ouvertes en matière de droits aux prestations sociales ou aux congés parentaux.
Enfin, le droit actuel tient compte de toutes les sensibilités. Chacun est libre de son choix.
Faut-il aller plus loin ? Je me dois d'émettre deux réserves, mesurées, à l'encontre de ce texte, dont je respecte la motivation.
L'inscription du nom de famille pourrait rigidifier les règles, applicables en matière d'état civil : actuellement, chacun peut faire son deuil comme il l'entend face à cette épreuve terrible. Certains souhaitent oublier.
Nous risquons aussi de déplacer les équilibres posés par le code civil sur le droit des personnes. Comment justifier la dévolution du nom sans filiation ? Donner un nom à l'état civil tout en déniant toute personnalité juridique ?
Le travail de la commission a cadré la portée du texte mais, j'insiste, le nom de famille est un attribut de la personnalité juridique : seules les personnes ont un nom de famille.
Nous risquons de créer de la confusion quant au cadre juridique applicable. Ces équilibres sont fragiles, n'y touchons que d'une main tremblante ! Le coeur a ses raisons que la raison juridique ne connaît pas forcément.
Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et RDSE, ainsi que sur le banc de la commission ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Éliane Assassi . - Depuis 1993, l'article 79-1 du code civil définit le cadre juridique des enfants nés sans vie, qui les distingue des enfants nés vivants et viables, dotés de la personnalité juridique.
Deux décrets en 2008 et une circulaire en 2009 ont précisé le dispositif en conditionnant l'acte d'enfant sans vie à un certificat médical d'accouchement, spontané ou provoqué.
Mme Loisier va plus loin dans l'individualisation de l'enfant sans vie en permettant l'inscription d'un nom de famille dans l'acte, pour lui donner une reconnaissance symbolique. La commission des lois a précisé que cette inscription n'emporte aucun effet juridique, notamment en matière de filiation et de succession.
C'est donc un symbole, un accompagnement bienveillant des familles endeuillées.
Cette reconnaissance d'une filiation symbolique est bienvenue. La Cour européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt du 2 juin 2005, a estimé que refuser le lien de filiation entre un parent et un enfant mort-né constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale.
Attention toutefois à ne pas ouvrir la voie à une éventuelle remise en cause du droit à l'IVG, même si l'IVG et l'interruption spontanée de grossesse au premier trimestre sont explicitement exclues par le décret de 2008. Attention aussi aux arguments réactionnaires de la commission sur le nom de famille qui traduisent une vision patriarcale de la filiation. (Sourires) Qu'en est-il si le nom de la mère uniquement est choisi ? Si les parents ne demandent pas de livret de famille ? Quid des parents homosexuels ? Le droit de la filiation évolue, prenons-le en compte dans tous les textes.
Cela dit, le CRCE partage la lettre de ce texte et le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et GEST et sur le banc de la commission)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue l'initiative d'Anne-Catherine Loisier qui clarifiera le statut ambigu des enfants nés sans vie : 8 747 enfants mort-nés naissent chaque année, quelle antinomie dans cette phrase !
Cette proposition de loi permet une reconnaissance mémorielle de ces enfants, à travers la possibilité de leur donner un nom, conformément à la proposition du Médiateur de la République en 2005. C'est déjà le cas aux Pays-Bas, en Allemagne, en Irlande ou au Royaume-Uni.
Dans notre droit, l'officier d'état civil établit l'acte d'enfant sans vie si l'enfant est mort-né ou né vivant mais non viable ; l'acte précise l'identité du père et de la mère, qui peuvent donner un prénom à l'enfant.
Donner aussi un nom, comme le prévoit ce texte, complète la reconnaissance symbolique de l'enfant, pour aller plus loin dans son individualisation.
Cette attribution, dénuée d'effet juridique, n'aura qu'une portée limitée à l'état civil. Elle n'aura aucun effet sur le plan successoral, fiscal ou social.
La commission a précisé et sécurisé le texte. L'enfant mort-né pourra s'inscrire plus complètement dans l'histoire familiale. Cette évolution s'inscrit dans la logique compassionnelle qui a présidé à l'introduction, en 1993, de l'article 79-1 du code civil.
Je remercie notre rapporteur pour son écoute et son implication sur un sujet difficile. Je ne doute pas que le Sénat adoptera ce texte humaniste pour un meilleur accompagnement des familles endeuillées.
Le groupe UC le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Parfois, le Parlement fait oeuvre d'humanisme. C'est le cas ici. Il ne s'agit pas d'une révolution juridique, mais de la poursuite d'un travail engagé depuis trente ans pour une meilleure reconnaissance de la douleur des parents.
La loi du 8 janvier 1993 a permis l'inscription des enfants nés sans vie sur un document officiel, facultatif. Elle a été suivie de nouvelles évolutions en 2005 et 2009.
Le garde des Sceaux et la rapporteure l'ont rappelé : les situations sont diverses - enfants nés sans vie, enfants vivant quelques heures, enfants décédés in utero. La durée de la grossesse est évidemment prise en compte : il faut cantonner le périmètre du texte aux enfants qui auraient pu naître.
Cette démarche honore le Sénat. Espérons que ce texte ira jusqu'à l'adoption définitive.
Nous avons beaucoup débattu du problème complexe de la personnalité juridique et de ses conséquences. Le groupe SER a déposé deux amendements. Le premier est une demande de rapport sur l'accompagnement des parents dans les différents territoires et sur la formation des soignants. Le second remplace les termes « père » et « mère » par celui de « parents », comme en d'autres endroits du code civil. Une famille homoparentale ne souffre pas moins de la perte d'un enfant...
Le groupe SER est favorable à ce texte, limité dans son objet mais utile à l'accompagnement de la souffrance des familles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur plusieurs travées des groupes CRCE et UC)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Pendant longtemps, les enfants nés sans vie ont été qualifiés de pièces anatomiques, de déchets hospitaliers ou de débris humains. On les incinérait dans les services hospitaliers ad hoc avec les pièces opératoires. Ce traumatisme ajoutait à la douleur sans nom des parents.
La reconnaissance de cette naissance est une démarche nécessaire pour le travail de deuil, d'autant que l'on sait désormais représenter, de manière visuelle ou sonore, la vie du foetus, ce qui rend d'autant plus douloureuse la perte de celui-ci.
L'initiative de notre collègue, qui poursuit dans cette voie, est honorable.
Déjà, la loi du 8 janvier 1993 a créé un acte d'enfant sans vie, dont la portée a été élargie par un décret de 2008 qui prévoit la production de l'acte sur la seule foi d'un certificat médical d'accouchement ; puis par une circulaire de 2009 autorisant les couples non mariés à inscrire l'enfant dans le livret de famille.
L'établissement d'un acte d'enfant sans vie permet aux parents de récupérer le corps pour organiser des funérailles, s'ils le souhaitent, et d'obtenir un congé de maternité et de paternité.
Cette proposition de loi est une étape supplémentaire : les parents pourront attribuer un nom de famille à l'enfant né sans vie, sans pour autant créer de filiation ou de personnalité juridique.
Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)
Mme Esther Benbassa . - Devenir parent est un long processus qui débute lors de la rencontre de deux personnes.
Elles décident de construire une famille : moment de réflexion et d'enthousiasme, parfois de doute, où l'on se projette dans l'avenir. Devenir parent, c'est aussi prendre la responsabilité d'aimer inconditionnellement un enfant avant qu'il ne vienne au monde ; c'est dévouer à un autre être une partie de soi.
C'est pourquoi la perte d'un enfant ne peut être vécue sans grande douleur. Chaque année, 7 000 familles, soit une sur cinquante, sont confrontées à ce drame.
Selon le code civil, sans acte de naissance, l'enfant né sans vie n'a ni filiation, ni personnalité juridique.
Je salue donc cette proposition de loi qui permet aux parents de donner un nom de famille, comme cela est possible en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Suisse. Il s'agit d'une filiation symbolique et mémorielle, l'enfant est inscrit dans l'histoire familiale.
Cette proposition de loi touche à l'affect ; elle apporte un peu de paix dans la douleur des familles. Le GEST la votera. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes CRCE, SER et UC et du RDSE)
M. Xavier Iacovelli . - Prendre en compte la douleur des familles en facilitant le deuil, tel est l'objet de cette proposition de loi.
Depuis un arrêt de la Cour de cassation, un acte d'enfant sans vie peut être délivré sur la production d'un certificat d'accouchement ; une circulaire du 19 juin 2009 permet aux parents de donner un prénom à l'enfant sans vie.
Ce texte va plus loin en autorisant les parents à lui attribuer un nom de famille. L'enjeu était de trouver un équilibre, sans porter atteinte aux principes du droit relatifs à la personnalité juridique. C'est pourquoi la commission des lois a utilement précisé que l'inscription de l'enfant n'emportait pas d'effet juridique.
L'enfant né sans vie sera ainsi mieux inscrit dans l'histoire familiale. Nous nous interrogeons cependant sur les éventuels effets de bord de la mention indéterminée d'un « nom ». Les précautions prises par la commission sont-elles suffisantes ?
Le rôle de l'État est de mieux accompagner les parents en simplifiant leurs démarches. Adrien Taquet et Amélie de Montchalin ont annoncé un plan d'action pour les familles endeuillées. Au vu de l'importance du sujet, il convenait de dépasser le champ symbolique.
Le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Maryse Carrère . - Face à la mort d'un enfant à la naissance, un tabou nous empêche de nommer la situation des parents, cette injustice profonde. Toute mesure d'accompagnement est bienvenue.
Aussi je salue l'initiative de notre collègue, qui fait suite aux recommandations du Médiateur de la République et aux évolutions intervenues en 2008 et en 2009. Le Sénat avait alors publié une étude de législation comparée particulièrement éclairante.
La proposition de loi va plus loin en permettant aux parents d'attribuer un nom de famille à l'enfant, renforçant son individualisation. Elle a été utilement encadrée par la commission des lois.
Toutefois, ne fallait-il préférer le terme générique de « parents » à ceux de « père » et « mère » pour prendre en compte toutes les situations familiales ? Cette réserve n'enlève rien à l'intérêt du texte que le RDSE votera à l'unanimité. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes SER et UC)
M. Marc Laménie . - Je remercie l'auteure de la proposition de loi sur ce sujet hautement sensible. Je salue aussi le travail de la commission des lois, réalisé aux côtés des familles et de juristes.
Il convenait de compléter la reconnaissance mémorielle de l'enfant né sans vie en accordant aux parents le droit de lui donner un nom. L'acte d'enfant sans vie, créé par la loi du 8 janvier 1993, accompagne le deuil des parents. Le garde des Sceaux a rappelé les chiffres, éprouvants : 8 747 actes délivrés en 2020.
Deux décrets du 20 août 2008 et une circulaire de juin 2009 ont complété le dispositif sans toutefois créer de lien de filiation. La proposition de loi va plus loin en autorisant l'inscription d'un nom de famille. Le volet mémoriel et la filiation symbolique, notamment avec le père qui n'a pas le même lien charnel avec l'enfant que la mère, sont essentiels.
Cette proposition de loi fait consensus. Au nom du soutien aux familles, des valeurs humanistes, le groupe Les Républicains la votera avec force et conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Avant l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur la protection sociale auxquels des parents d'enfants nés sans vie, tels que le congé maternité et le congé paternité, les arrêts de travail, l'allocation forfaitaire versée en cas de décès d'un enfant, la prime à la naissance ou encore le nombre de parts reconnus lors de la déclaration de revenus. Ce rapport devra également informer des mesures mises en place en faveur de l'accompagnement des parents.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Défendu. J'ai déjà présenté cet amendement lors de la discussion générale.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Avis défavorable à cette demande de rapport. Nous avons d'autres moyens de contrôle. Cependant, les pratiques sont hétérogènes et la prise en charge des funérailles peut varier en fonction des communes.
Les mots « enfant né sans vie » ne vont pas ensemble. Ces familles ont besoin d'être accompagnées. Le silence est le linceul des tout-petits.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Tous les textes examinés par le Parlement comportent ce type d'amendement. C'est légitime, mais l'article 24 de la Constitution, qui précise que le rôle du Parlement est de contrôler l'exécutif, me semble suffisant. Je suis prêt à vous communiquer la liste des droits. Avis défavorable.
Mme Anne-Catherine Loisier. - L'information circule mal et reste trop hétérogène. Monsieur le garde des Sceaux, il convient de mieux la diffuser auprès des agents de l'État et des collectivités, qui sont confrontés à des situations difficiles. Je suivrai l'avis de la rapporteure.
L'amendement n°3 rectifié bis n'est pas adopté.
ARTICLE UNIQUE
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
I. - Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.... - À la deuxième phrase du second alinéa de l'article 79-1 du code civil, les mots : « des père et mère » sont remplacés par les mots : « du ou des parents ».
II. - Remplacer les mots :
des père et mère
par les mots :
du ou des parents
et les mots :
du père, soit le nom de la mère
par les mots :
du parent, de l'un des parents
Mme Esther Benbassa. - Du code civil au code de la santé publique, notre droit ignore souvent la diversité des modèles familiaux en utilisant des termes genrés.
Si la famille avec un père et une mère est majoritaire, les familles homoparentales méritent d'être validées. Je l'ai dit, ce texte touche à l'affect, il apporte un peu de paix aux familles. N'invisibilisons pas la souffrance de certaines d'entre elles et donnons une existence juridique et une légitimité sociale à toutes. C'est l'objet de cet amendement qui remplace « père » et « mère » par « parents ».
M. le président. - Amendement identique n°2 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
I. - Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.... - À la deuxième phrase du second alinéa de l'article 79-1 du code civil, les mots : « des père et mère » sont remplacés par les mots : « du ou des parents ».
II. - Remplacer les mots :
des père et mère
par les mots :
du ou des parents
et les mots :
du père, soit le nom de la mère
par les mots :
du parent, de l'un des parents
Mme Michelle Meunier. - Tirons les conséquences des évolutions législatives récentes sur la diversité familiale. C'est une question d'égalité sociale et de respect des principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination devant le service public.
Mme Marie Mercier, rapporteure. - Très sensible aux évolutions sociétales, je m'étais moi-même interrogée sur l'opportunité de remplacer les termes « père » et « mère » par celui de « parent ».
J'ai cependant repris la rédaction initiale de l'article 79-1 du code civil. La douleur intime, profonde, que représente la naissance d'un enfant sans vie ne s'effacera jamais.
La PMA pour toutes n'est pas encore autorisée en France. Ce n'est pas le débat aujourd'hui. L'article 31 du projet de loi relatif à la bioéthique, qui reviendra au Sénat le 24 juin, prévoit, par voie d'ordonnance, une mise en cohérence du code civil sur les termes employés. Conservons en attendant les jolis mots de « père » et « mère ». Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je suis moi aussi attaché à l'égalité entre familles hétéroparentales, monoparentales, homoparentales. Le code civil comprend de nombreuses occurrences des mots « père » et « mère ». La notion de parentalité est plus large.
Le 17 avril 2013, après le vote de la loi pour le mariage pour tous, le Conseil constitutionnel a estimé que ces mots ne posaient pas problème dès lors que l'article 6-1 du code civil proclame l'égalité de tous les enfants.
Dès que le projet de loi relatif à la bioéthique sera adopté, le code civil sera adapté en conséquence. Il sera possible de délivrer un acte d'enfant sans vie portant la mention de deux mères ; idem pour le livret de famille. Avis défavorable à ces amendements.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le Sénat va rejeter cette demande et distinguera encore une fois familles hétéroparentales et homoparentales - au détriment de ces dernières - sous un prétexte que je n'ai pas compris. La PMA pour toutes n'est pas le sujet !
Si le Sénat refuse cette modification, il confirmera que décidément, les familles homoparentales n'ont pas droit à la même considération à ses yeux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Annick Billon. - Ce n'est pas ce qui a été dit !
M. Xavier Iacovelli. - Je partage l'avis de Mme de la Gontrie. La loi bioéthique n'a rien à voir avec ces amendements. Puisque cette proposition de loi est plus symbolique que juridique, allons plus loin et votons-les.
Mme Esther Benbassa. - Dans le cas d'un couple homosexuel, les mots « père » et « mère » ne disparaissent pas !
Les couples homoparentaux voudraient simplement exister. Le Sénat s'y oppose pour des raisons que je ne m'explique pas et laisse une partie de la société en dehors du texte.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je n'accepte pas, madame de La Gontrie, cet anathème que vous lancez, en nous accusant d'apprécier différemment la douleur selon la situation familiale. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie proteste.) Je ne vous demande pas de commenter ce que je dis ; je vous fais savoir que je n'accepte pas ce que vous dites.
Je fais mien l'argumentaire du garde des Sceaux, juridiquement clair et précis. Chacun sait que le projet de loi relatif à la bioéthique sera voté. Une disposition règlera le problème dans l'ensemble de nos textes et codes.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Il n'y a pas de traitement différencié des familles dans ce texte. Le droit sera uniformisé après l'adoption de la loi bioéthique.
Les amendements identiques nos1 rectifié et 2 rectifié ne sont pas adoptés.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté à l'unanimité.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, INDEP et RDPI)
La séance est suspendue à 13 h 15.
présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président
La séance reprend à 15 h 15.
« Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? » à la demande du groupe Les Républicains.
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. - La revitalisation des centres-villes, mais aussi des centres-bourgs, est un enjeu de société qui doit dépasser les clivages politiques.
Le constat fait dès mai 2017 conjointement avec Martial Bourquin dans notre rapport était sans appel : nos coeurs de ville et de bourg se meurent.
Les vacances commerciales atteignent 20 % dans de nombreuses villes, voire 30 % comme à Calais. Au total, nous avions recensé près de 700 villes et plusieurs centaines de pôles de centralité en grande difficulté
À la différence du programme gouvernemental « Action coeur de ville », centré sur le volet financier, nous avons voulu avec notre proposition de loi prendre le problème à la racine. Il n'y aura de solution que structurelle ou systémique.
Douze de nos trente recommandations sont désormais en vigueur, intégrées à la loi ELAN. Je suis particulièrement attaché à leur suivi.
Nous avions modifié la composition des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) pour y intégrer les représentants des chambres consulaires. Est-ce bien le cas ?
Nous avions aussi conditionné les autorisations d'implantations commerciales à l'absence d'impact négatif sur le tissu économique et commercial existant en centre-ville, en exigeant une analyse d'impact du projet commercial par un organisme indépendant. Pouvez-vous dresser un bilan de ces mesures ?
Nous voulions également que le préfet veille à éviter la prolifération des friches et puisse prononcer un moratoire sur les demandes d'autorisation d'exploitation commerciale, sur demande motivée d'une commune ou d'un EPCI. Cette compétence est-elle utilisée ?
La levée des compensations financières liées à la crise sanitaire va menacer la survie de nombreux petits commerces. L'encadrement des implantations commerciales doit être d'autant mieux assuré. En effet, malgré tous nos efforts, la dévitalisation se poursuit.
Ainsi, Bourges subit une désertion commerciale de son centre-ville. La FNAC, locomotive commerciale pour les commerces du centre, compte en effet abandonner le coeur de ville pour un centre commercial en périphérie. Le directeur stratégique vantait pourtant naguère le rôle sociétal de son groupe dans la redynamisation d'un coeur de ville...
Il est urgent de conduire une réflexion pour réguler les grandes enseignes de centre-ville tentées de le quitter de la sorte - parfois parce que les loyers sont trop élevés, la fiscalité trop importante, ou les places de parking trop rares.
Les dispositifs d'accompagnement à la rénovation de logement comme le Pinel-Denormandie ou le Denormandie ancien ne pourraient-ils être étendus à la rénovation de locaux commerciaux, pour bonifier nos coeurs de ville et de bourg ?
Enfin, on ne peut faire abstraction de la concurrence des grandes entreprises de commerce électronique, qui bénéficient de conditions fiscales iniques par rapport aux commerces physiques. La pandémie a renforcé la distorsion de concurrence.
Nous avons tenté de rééquilibrer la situation avec une taxe sur les livraisons, ou l'assujettissement des entrepôts à la Tascom, mais nous avons oublié de soumettre l'implantation des entrepôts du e-commerce à l'avis de la CDAC. Ne pourrait-on pas prioritairement installer ces entrepôts dans des friches à réhabiliter ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État, chargé de la ruralité . - La revitalisation des centres-villes et centres-bourgs est au coeur de l'action que nous menons avec Jacqueline Gourault. La géographie et l'histoire nous invitent à ne pas opposer ville et ruralité, mais à en penser les complémentarités. Les villes et les bourgs sont l'armature du monde rural et irriguent les territoires environnants. Les centralités traversent de vraies difficultés depuis des décennies. Le commerce en est le marqueur le plus emblématique.
Le commerce de détail recule depuis le début des années 1990 : chaque année, le nombre de boucheries baisse de 3 %, celui des boulangeries, de 1,5 %. La vacance commerciale en centre-ville est passée de 7 à 12 % entre 2008 et 2019. Parallèlement, les zones commerciales de périphérie se sont multipliées : on en compte 1 800.
En cause, le déplacement des habitants vers la périphérie, la démocratisation de la voiture, la baisse du temps consacré au parcours d'achat, la paupérisation...
Le coût de rénovation des bâtiments en centre-ville, logements ou locaux commerciaux, empêche d'équilibrer le budget, ce qui justifie pleinement l'intervention de la puissance publique.
La revitalisation des centres-villes est un enjeu écologique, car le développement des surfaces commerciales de périphérie et l'étalement pavillonnaire conduisent à l'artificialisation des sols. La densification des centralités est aussi un enjeu social, une façon de lutter contre l'isolement ; un enjeu culturel enfin, puisque notre civilisation s'est bâtie, depuis l'Antiquité, sur le modèle de la ville.
Dès 2018, le Gouvernement a lancé le programme « Action coeur de ville » qui cible 222 villes moyennes. Doté de 5 milliards d'euros, dont la moitié a déjà été engagée, malgré la crise sanitaire, il s'adosse aux opérations de revitalisation du territoire (ORT) prévues dans la loi ELAN. La dispense d'autorisation commerciale, l'accès prioritaire aux aides de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'éligibilité au Denormandie dans l'ancien ou le renforcement du droit de préemption sont quelques-uns des outils concrets utilisés.
Cette logique a été déclinée dans le programme « Petites villes de demain », destiné aux villes de moins de 20 000 habitants et intégré à l'Agenda rural. Plus de 500 conventions d'adhésion ont déjà été signées sur les plus de 1 600 villes sélectionnées.
La volonté de soutenir les centralités ne se limite pas aux incitations. Le Gouvernement a aussi prononcé, en septembre 2020, un moratoire sur les surfaces commerciales de périphérie. L'article 52 de la loi Climat consacrera le principe d'interdiction des surfaces commerciales artificialisant les sols.
Il faudrait 500 millions d'euros par an pour résorber toutes les verrues urbaines. Le fonds Friches a été créé pour financer des actions en ce sens. Initialement doté de 300 millions d'euros, il sera réabondé de 350 millions d'euros.
Le fonds de restructuration des locaux d'activité, en lien avec le programme « Cent foncières » de la Banque des territoires, contribuera à la réhabilitation de 6 000 commerces sur tout le territoire en finançant le déficit des opérations.
Plus généralement, le Gouvernement mène une politique de réarmement des territoires, avec la délocalisation dans des villes moyennes de services d'administration centrale, la mise en place des maisons France Services, la création de 2 500 postes dans les services déconcentrés ou encore la lutte contre les déserts médicaux.
Le projet de loi 4D permettra de conclure plusieurs ORT sur le territoire d'un même EPCI, et fait passer le délai de préemption des biens sans maître de trente à dix ans.
Nous partageons la volonté de défendre les centres-villes et les centres-bourgs, pour atteindre nos objectifs environnementaux et d'équité des territoires.
Enfin, cinq villes ont fait usage de la nouvelle compétence permise par la convention ORT : Blois, Saint-Dié, Montargis, Moulins et Limoges.
M. le président. - Gardez-en pour les réponses aux questions, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Moga . - Ce débat me tient particulièrement à coeur, en tant que rapporteur de la proposition de loi Bourquin-Pointereau. Nous connaissons les conséquences dévastatrices du sentiment de déclassement, voire d'abandon dans certains territoires. C'est notre socle républicain qui est fracturé.
Mais les élus locaux innovent, et font aussi de leurs territoires des laboratoires de l'action publique.
Plus encore que les financements, la question de l'ingénierie est essentielle.
Quelle orientation prendra la réforme du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) prévue par ordonnance dans le projet de loi 4D ?
Dans quelle mesure le projet de loi Climat apporte-t-il des réponses concrètes et non de nouvelles menaces pour la revitalisation de nos territoires ruraux ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Votre question nous permet de prendre le débat par le bon bout. Les projets de revitalisation doivent être globaux et cohérents. L'ingénierie est à cet égard fondamentale. C'est ce qui a présidé à la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Grâce au programme « Petites villes de demain », une centaine de territoires bénéficient d'un chef de projet ; ils seront 600 à la fin de l'année.
La loi 4D facilitera l'accès à l'expertise du Cerema, en in house, sans mise en concurrence, grâce à une ordonnance en cours d'élaboration. C'est un travail d'orfèvre, car il faut sécuriser juridiquement le dispositif - et donc les marchés passés par les collectivités territoriales.
Le projet de loi Climat consacre l'objectif de diviser par deux la consommation d'espace dans les dix prochaines années. Sa philosophie est bien d'allier développement économique et transition écologique. Il interdira toute création de commerce en périphérie qui artificialiserait les sols.
Mme Martine Filleul . - Pendant les confinements, 60 % des villes ont connu une fermeture de 70 à 90 % de leurs commerces. On peut craindre, avec les faillites à venir, une multiplication des friches commerciales, mais aussi industrielles en centre-ville.
Ces friches enlaidissent et stigmatisent les territoires ; elles freinent les nouvelles implantations et font baisser la fréquentation des centres-villes. Je salue le doublement du fonds Friches annoncé par le Gouvernement, mais sera-t-il pérennisé au-delà de la période de relance ? Sans subvention publique, la plupart des projets de réhabilitation seraient tués dans l'oeuf.
La réponse aux appels d'offres est compliquée pour les petites collectivités, faute d'ingénierie juridique pérenne. Comment le Gouvernement compte-t-il rendre plus efficient le recours aux aides ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le Gouvernement actionne de nombreux leviers pour lutter contre les friches : programme « Action coeur de ville » ; fonds Friches, dont le montant double pour atteindre 650 millions d'euros ; fonds pour la requalification des cellules commerciales, doté de 60 millions d'euros.
La Banque des territoires a débloqué 800 millions d'euros pour les foncières commerciales, le développement d'une politique d'animation et de diversité commerciale en centre-ville.
L'ingénierie et la raison d'être de l'ANCT. Les communes du programme « Petites villes de demain » bénéficieront de chefs de projets financés à 75 % par l'État, dans la limite de 45 000 euros par an, pour bénéficier d'un appui juridique non pas au coup par coup, mais dans la durée.
Le plan de relance prévoit 1 milliard d'euros pour la rénovation thermique des bâtiments des collectivités : je souhaite qu'un maximum de petites communes en bénéficient. Pour toutes ces actions, l'ingénierie est clé.
Mme Martine Filleul. - Oui, la ville est un enjeu social, culturel et économique de taille. Vos réponses ne sont pas à la hauteur. Le compte n'y est pas, ni financièrement ni en matière d'ingénierie. L'ANCT n'offre qu'un accompagnement ponctuel, au coup par coup. J'ai la nostalgie de l'établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), qui apportait un soutien pérenne aux collectivités territoriales.
M. Bruno Rojouan . - Le rapport sénatorial de 2017 pointait la dégradation du bâti dans les petites communes.
La rénovation est déterminante pour l'attractivité de nos communes, mais les bailleurs préfèrent souvent construire sur un terrain vierge en périphérie, plutôt que de se lancer dans des travaux de rénovation coûteux et incertains. On le voit dans l'Allier, et plus généralement dans la ruralité, où il n'existe pas d'incitations juridiques et financières à rénover l'ancien.
Les frais de notaires sont sept fois plus élevés pour rénover de l'ancien que construire du neuf en périphérie ! C'est dissuasif, tant pour les collectivités que pour les particuliers. Nous avons donc tout intérêt à soutenir la rénovation, d'autant que la loi Climat fixe un objectif de zéro artificialisation nette des sols.
Comment aider nos petites communes rurales à rénover leurs centres-bourgs ? (M. Yves Bouloux applaudit.)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Oui, nos centres-villes sont à la croisée de tous les enjeux du moment. Le Gouvernement encourage au maximum la rénovation en centre-bourg, à travers le programme « Petites villes de demain » par exemple, qui concerne 1 600 communes dont la moitié a moins de 3 500 habitants.
L'ORT rend éligible au Denormandie dans l'ancien, un dispositif d'investissement locatif pour les ménages qui achètent un bien pour le rénover. En avril 2021, 252 opérations ont été signées par 411 communes bénéficiaires. Elles seront généralisées en zone rurale ; plusieurs pourront être signées dans une même intercommunalité. Enfin, les communes pourront plus aisément récupérer des biens abandonnés en coeur de ville.
Les programmes de l'ANCT encouragent une stratégie de rénovation de l'habitat, avec les programmes d'intérêts généraux ou les opérations programmées d'amélioration de l'habitat. Le plan de relance augmente aussi les aides à la rénovation thermique : 2 milliards d'euros supplémentaires pour MaPrimeRénov'. Enfin, quand vous faites de la rénovation globale, les frais de notaire sont réduits.
M. le président. - Monsieur le ministre, demandez à vos collaborateurs d'écourter quelque peu les réponses qu'ils vous rédigent, plutôt que de vous forcer à parler à une telle allure !
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Les centres-villes et centres-bourgs sont le coeur battant de nos petites communes. Leur revitalisation est essentielle pour redynamiser notre ruralité.
Le programme « Petite villes de demain » est un outil de transition - car la crise doit être transformée en accélérateur des transitions. La vitalité de la ruralité dépend de ces évolutions.
La massification de l'autoconsommation d'énergie à l'échelle des petites villes est une piste. Dans le Grand Est, des initiatives combinent production d'énergie verte, stockage, interconnexion et consommation entre pairs. À la clé, une baisse de la facture énergétique pour les ménages.
L'éco-circularité est positive au plan économique, environnemental et social. Comment multiplier ces initiatives ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les programmes « Action coeur de ville » et « Petite villes de demain » n'imposent pas de solution générique. Nous partons des besoins locaux et des projets des élus pour définir collectivement les meilleures réponses.
L'échange entre pairs est favorisé au sein du club « Petites villes de demain ». Rencontres digitales, infolettre, de nombreux outils d'information et d'échange sont mis en place.
Les réseaux d'énergie intelligents ne sont pas un gadget, de nombreuses innovations locales en démontrent la pertinence. Ces démarches font sens quand elles s'intègrent dans une stratégie globale. C'est le sens du soutien à l'ingénierie et à l'approche intégrée.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Merci pour cette réponse étayée.
M. Daniel Salmon . - La crise sanitaire et les confinements ont redonné une certaine attractivité aux villes moyennes à taille humaine.
Reste que la tendance de fond est à la dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs depuis plusieurs années. Les plans lancés en 2018 freinent cette tendance mais ne s'attaquent pas aux causes profondes.
Il faut dire stop à l'étalement urbain et à l'anarchie commerciale en périphérie, principaux facteurs de cette dévitalisation. Le phénomène s'aggrave avec l'implantation d'entrepôts de e-commerce démesurés.
Le modèle Amazon est destructeur pour l'emploi, pour le commerce de proximité, pour l'environnement. Selon Mounir Mahjoubi, Amazon détruit plus d'emplois qu'il n'en crée. Pourquoi continuer de refuser à réguler le e-commerce ? Le double discours de l'exécutif devient intenable !
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le recul du commerce de détail n'est pas nouveau, mais la concurrence du e-commerce est incontestable : celui-ci génère 112 milliards d'euros de chiffre d'affaires, contre 84 milliards il y a trois ans et représente 13,4 % du commerce de détail en 2021, contre 9,8 % en 2019.
Il faut partir de ce qu'est la société actuelle, des nouveaux modes de consommation. Le commerce en ligne est aussi une chance pour les commerces de proximité, qui peuvent élargir leur zone de chalandise.
Pour accompagner cette évolution, la Banque des territoires soutient la création de plateformes digitales locales.
S'agissant de la régulation du e-commerce, le projet de loi Climat prévoit que les SCOT définiront les secteurs d'implantation privilégiés, et l'évaluation de l'artificialisation des sols sera un préalable à toute installation d'entrepôt.
La société a besoin d'équilibre sur ces sujets.
M. Daniel Salmon. - France Stratégie l'a confirmé : le e-commerce détruit des emplois. Mais Cédric O refuse tout contrôle et dénonce une paranoïa française... Il faut cesser cette schizophrénie et mener une politique volontariste contre cette concurrence déloyale.
Mme Nadège Havet . - Pendant des années, l'époque était à la métropolisation, avec des transferts massifs au détriment des zones périphériques. Ce logiciel est aujourd'hui remis en cause, les urbains aspirent à s'installer dans la ruralité. Un changement de paradigme s'impose à nous : refaire la ville sur la ville, en densifiant les centralités pour stopper l'artificialisation.
Le dispositif « Petites villes de demain » est très apprécié des élus locaux, les services déconcentrés jouent un rôle de facilitateurs. Des montages originaux se mettent en place dans le Finistère, notamment dans le pays des Abers.
Le fonds Friches suscite un engouement important, au point que son enveloppe a été doublée. Ne peut-on pas en évaluer les externalités positives en vue de le renforcer encore ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le fonds Friches, créé par France Relance, a été initialement doté de 300 millions d'euros. Le retour d'expérience du programme « Action coeur de ville » montre que la requalification des friches change le regard sur les centres-villes.
Les chiffres traduisent une vraie dynamique, c'est un véritable succès. Le premier ministre a donc annoncé un nouvel abondement de 350 millions d'euros. Une pérennisation est envisagée. Je suis étroitement l'emploi de ce fonds, qui fera l'objet d'un bilan.
Mme Nadège Havet. - Merci pour cette réponse.
M. Jean-Claude Requier . - Mon groupe est de longue date un défenseur passionné des territoires ruraux. En 2018, le RDSE a été à l'origine de la loi créant l'ANCT.
Le programme « Action coeur de ville », doté de 5 milliards d'euros sur cinq ans, et le programme « Petites villes de demain », doté de 3 milliards d'euros sur six ans, n'apparaissent pas suffisants compte tenu des enjeux, notamment après la pandémie qui a affecté l'activité dans les villes petites et moyennes.
Dans le cadre du second plan de relance, comment le Gouvernement compte-t-il accroître les moyens alloués à ces politiques ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - C'est la première fois qu'un Gouvernement déploie une action aussi concentrée, en activant tous les leviers : rénovation de l'habitat, réimplantation des commerces et des services publics, relocalisation des activités économiques, amélioration des espaces publics et du cadre de vie.
Les moyens sont importants - 5 milliards d'euros et 3 milliards d'euros respectivement pour « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain ». Les crédits ne sont pas tous consommés. Il faut en outre ajouter à cela MaPrimeRénov', pour 2 milliards d'euros, les 60 millions d'euros du fonds de restructuration des locaux d'activité, la création de Cent Foncières, mais aussi le fonds Friches, qui assurera l'équilibre économique de projets qui ne pourraient pas voir le jour en son absence étant donné l'atonie du marché.
Pas moins de 70 % des crédits vont aux collectivités engagées dans les programmes de l'ANCT. Les moyens sont là ; reste à les mobiliser.
Mme Michelle Gréaume . - Le programme « Action coeur de ville » ne vise que 222 villes moyennes. Mais beaucoup plus de communes souffrent. Il faut recréer du lien social, un rapport de proximité entre les citoyens, les élus et l'État.
La métropolisation a fait péricliter les centres-villes et dénaturé les paysages. Le recul des services de l'État sur le territoire - suppression de 535 trésoreries et de 75 services des impôts depuis 2013, de 40 % des maternités en vingt ans - aggrave cette tendance. Dans le Nord, on annonce la fermeture de 64 trésoreries supplémentaires.
Les conséquences de l'éloignement des services publics sur des jeunes filles de milieu populaire en zone rurale ont été démontrées par la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy. Que leur répondez-vous ?
Les Maisons France Service coûtent cher aux collectivités. Le désengagement de l'État aggrave les inégalités territoriales, la mise en concurrence des projets locaux a remplacé l'accompagnement d'ingénierie territoriale.
Comment comptez-vous améliorer l'accessibilité des dispositifs pour les petites collectivités ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Si « Action coeur de ville » ne cible que 222 villes moyennes, le programme « Petites villes de demain » en concerne 1 600, sur l'ensemble du territoire.
Notre méthode est partenariale et interministérielle, elle met fin aux silos. Le Gouvernement a mis un frein à la fermeture des services publics dans les territoires ruraux et travaille à réarmer l'État dans les territoires, notamment avec 2 500 emplois dans les services déconcentrés. La réforme de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) donne plus de stabilité aux services publics en rompant avec la logique de baisse au coup par coup. (Mme Martine Filleul se montre sceptique.)
Oui, la priorité doit être donnée à la jeunesse, notamment aux jeunes filles en zone rurale. J'ai décidé de m'investir tout particulièrement sur deux thématiques qui ne figuraient pas à l'Agenda rural : l'égalité hommes-femmes et les droits des LGBT en milieu rural.
Nous avons créé les volontaires territoriaux en administration, des jeunes à bac+2 minimum qui sont aujourd'hui les collaborateurs des collectivités territoriales.
M. Jean-Marie Mizzon . - Le Sénat défend de longue date la revitalisation des centres-villes. Hélas, dans la plupart des territoires, les centres-villes sont désertés au profit des zones périurbaines, plus commodes - parkings spacieux, proximité des grandes surfaces, loyers et prix de l'immobilier moindres.
Pour autant, nos territoires savent réagir et s'adapter. En Moselle, Thionville a lancé une action ambitieuse, mais se heurte à des complexités techniques. Pour chacune des 80 opérations retenues, il faut remobiliser l'ingénierie technique et financière afin d'obtenir les financements des différents partenaires, ce qui est chronophage et coûteux. Comment simplifier les dispositifs existants ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Nous ne cessons d'oeuvrer à la simplification, à la demande notamment des associations d'élus. Dès 2018, l'ANCT a développé les transversalités. On ne peut appréhender la vacance commerciale sans prendre en compte l'habitat, les mobilités... Le sujet appelle une réponse ambitieuse et collective. À Thionville, le programme de revitalisation a été poursuivi malgré la crise sanitaire.
Le montage des projets est souvent complexe en centre-ville, où les bâtiments sont souvent classés. Le soutien de l'ex-Epareca, désormais intégrée à l'ANCT, est ouvert à tous les territoires en ORT, et non plus aux seuls quartiers de la politique de la ville. Le Gouvernement mobilise 60 millions d'euros pour financer les déficits des opérations de réhabilitation de 6 000 commerces, dans le cadre du programme Cent foncières de la Banque des territoires. Nous visons la plus grande efficacité.
M. Jean-Marie Mizzon. - La simplification est complexe... Elle doit être une préoccupation de chaque instant.
Si les journalistes écrivaient comme certains hauts fonctionnaires, plus aucun journal ne se vendrait !
Mme Angèle Préville . - De trop nombreuses petites villes perdent de leur substance avec la fermeture des administrations et des commerces, et la pandémie, qui a favorisé le développement du commerce en ligne, risque d'aggraver la tendance.
Les villes seront des communautés vivantes ou ne seront plus. La ville, c'est du collectif, des liens. Elle doit être conçue pour tous. Or les besoins ont changé : nous devons trouver des alternatives au tout voiture, au tout béton et au tout numérique, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger la biodiversité.
Lorsqu'il n'y a plus ni école, ni médecin, la ville devient un « squelette absurde », comme l'écrit le philosophe Robert Maggiori dans Libération.
Les situations ne sont pas simples et doivent être adaptées à chaque cas. Comment comptez-vous accompagner les maires ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Votre question est très large. Les petites intercommunalités peuvent se saisir de la loi d'orientation des mobilités (LOM) pour résoudre les questions de transport au plus près.
Il y a un bon et un mauvais côté à la numérisation. Le plan de relance soutient les communes en difficulté, accompagnant le changement de paradigme dans les campagnes. Le numérique est aussi une solution de proximité ! Nous voulons faire du « cousu main », selon l'expression de Jacqueline Gourault. C'est ainsi que la ruralité gagnera.
Mme Angèle Préville. - Nos villes sont affectées par la crise. Agir est vital. Où est l'âme des villes ?
M. Yves Bouloux . - Le manque d'attractivité des centres-villes n'est pas nouveau et les solutions sont complexes.
Le plan « Action coeur de ville » consacre 5 milliards d'euros à 222 villes sur cinq ans ; le plan « Petites villes de demain », 3 milliards d'euros à 1 600 villes sur six ans. Dans la Vienne, Poitiers et Châtellerault bénéficient du premier et quatorze communes du second.
Le besoin d'ingénierie est considérable et les élus, s'ils saluent les financements, doutent de la faisabilité du plan « Action coeur de ville » d'ici 2022. Sera-t-il reconduit ? Les financements du plan « Petites villes de demain » seront-ils au rendez-vous d'ici 2026 ?
Il faudra tenir compte des conséquences économiques de la crise sanitaire.
Ces politiques ne peuvent être envisagées sans action en faveur des services publics et des mobilités : à quoi sert un centre-ville sans médecin, sans centre des impôts et sans accès ferroviaire ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Ces plans sont transversaux : transports, services, culture, commerces ... Ils sont également pluriannuels.
L'ingénierie est considérablement aidée via l'État, l'ANCT et la Banque des territoires dans le cadre du plan « Petites villes de demain ».
Les collectivités territoriales y ont répondu avec enthousiasme. Certains projets ont pris du retard compte tenu de la difficulté à recruter un chef de projet, mais les financements seront au rendez-vous.
M. Franck Montaugé . - En 2015, Auch intégrait la politique de la ville. Je proposais une politique de peuplement du centre-ville, mais il a fallu six ans pour débuter sa mise en oeuvre. Est-ce normal ?
Le transfert de l'Epareca à l'ANCT n'a pas servi le projet de déplacement du centre commercial du Garros, à la différence du plan « Action coeur de ville ».
Seulement, les règles de protection du patrimoine complexifient la réhabilitation de logements dans les centres-villes, les rendant même insurmontables à Auch.
Pensez-vous en simplifier les règles pour rendre possible une réhabilitation massive des centres anciens ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Il faut préserver le patrimoine des centres, facteur d'attractivité. Cela demande des expertises complémentaires, vécues comme longues et contraignantes.
L'ANCT a conservé les moyens de l'Epareca pour mener ces expertises dans les centres anciens.
Les règles ont été simplifiées dans les QPV.
Il faut déminer les problèmes en amont, cela facilite tout, comme lorsqu'on va voir l'architecte des bâtiments de France avant de déposer son permis de construire. C'est le rôle de l'ANCT.
M. Franck Montaugé. - Nous sommes prêts à négocier avec l'ANCT, mais il faudrait autoriser la construction de logements neufs derrière les façades anciennes. Le projet de loi 4D pourrait le prendre en compte.
M. Jérôme Bascher . - La mise en oeuvre des programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain », dotés respectivement de 5 milliards et 3 milliards d'euros, prennent du temps. À quand un plan « Charmants villages d'autrefois » ? (Sourires)
Qui prendra en compte tous les freins qui font obstacle à ces opérations ? Il faut lever ces entraves pour gagner du temps.
Autre sujet clé : le déficit en parkings, peu rentables mais pourtant indispensables aux commerces. On ne va pas toujours faire ses courses de bouche en trottinette, surtout à Briançon !
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - En période de Covid, les parkings ont eu des déficits marqués, compensés par l'État.
Les propositions que vous mentionnez doivent être mises en oeuvre rapidement. Pour cela, il faut savoir les adapter, d'où un grand nombre d'avenants.
Nous sommes désormais plus performants. Je partage votre position sur les parkings ; je m'en suis fait la réflexion récemment dans une petite ville de Savoie où je prenais le train, Moûtiers. On peut mobiliser beaucoup de dotations de soutien à l'investissement local (DSIL). Il faut cependant veiller à ne pas étendre l'artificialisation des sols.
M. Jean-Raymond Hugonet . - La dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs est une préoccupation majeure dont témoigne la progression de la vacance commerciale. Elle a de multiples causes : dégradation du bâti, difficulté d'accès et de stationnement, baisse de la population et paupérisation, fuite des services et attraction des grandes surfaces en périphérie.
Pour éviter ces installations, ne serait-il pas utile de réintégrer les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les chambres des métiers et de l'artisanat (CMA) dans les CDAC en tant que membres à part entière, et non comme simples personnalités qualifiées ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - L'implantation de grandes surfaces est soumise à autorisation. Les CCI et les CMA ne peuvent plus être membres des CDAC, car le droit européen les considère comme juges et parties.
Aussi, la réglementation a dû changer via les ORT. La loi ELAN a fourni des outils pour revitaliser les centres-villes. Il faut une volonté municipale marquée pour que cela fonctionne. Depuis septembre 2020, nous avons décidé un moratoire, conformément au souhait de la Convention citoyenne pour le climat.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je compte sur vous pour indiquer au Président de la République le nombre de règles européennes que nous subissons au détriment de notre démocratie. Gare au moment où les Français s'en rendront compte...
M. Guillaume Chevrollier . - La dévitalisation des centres-villes comporte des enjeux économiques, sociaux, environnementaux. Le programme « Petites villes de demain » va dans le bon sens. Les petites communes ont besoin de moyens et d'ingénierie.
Les collectivités, au comportement financier exemplaire - 10 % seulement de la dette publique, contre 80 % pour l'État - veulent une simplification de la tuyauterie de financement pour que les crédits du plan de relance soient effectivement utilisés.
Quel est le seuil des projets du programme « Petites villes de demain » ?
Les CRTE ont vocation à regrouper les différents programmes, mais il ne faudra pas que certains en pâtissent.
Les élus sont également inquiets de la perspective d'une deuxième vague de contrats de Cahors. (M. Jérôme Bascher applaudit.)
M. Rémy Pointereau. - Très bien !
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les « Petites villes de demain » sont des bourgs assurant un rôle de centralité et présentant une fragilité. Il n'y a pas de plancher ; nous sommes descendus à 220 habitants dans certains territoires ruraux.
Les territoires non retenus sont également soutenus par le plan de relance et l'ANCT qui a accompagné, à la demande des préfets de département, 513 projets depuis sa création, dont 91 revitalisations commerciales ou artisanales.
M. Serge Babary . - Le débat est récurrent car les politiques se succèdent sans résultat apparent. Mais la crise a accru le désir de proximité et l'envie de redonner du sens à sa consommation.
De grandes enseignes se sont réinstallées en centre-ville. Il faut les aider en matière de logistique, notamment pour entreposer les stocks.
Il faut aussi simplifier les règles applicables aux commerces éphémères.
Il faut enfin trouver des solutions pour certains commerces, comme les bars-épiceries, dont une partie seulement de l'activité a été affectée par la crise. Pourquoi ne pas confier l'instruction des dossiers aux CCI si les préfectures ne peuvent s'en charger ?
Les programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain » ne suffiront pas. Quelle aide envisagez-vous ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le lien entre commerce digital et commerce physique permet d'étendre la zone de chalandise. Nous avons lancé un plan de numérisation en novembre 2020, avec le chèque France Num pour les très petites entreprises.
Le ministre délégué aux PME a aussi prévu des aides pour les commerces multi-activités qui n'ont pas perdu 50 % de leur chiffre d'affaires - dans les Alpes, il y en a beaucoup !
Les villes hors programmes peuvent bénéficier du fonds Friches ou des outils budgétaires et fiscaux de France Relance.
Je vous répondrai précisément plus tard sur les boutiques éphémères, après consultation de Bercy.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie l'ensemble des intervenants et le groupe Les Républicains pour avoir inscrit ce débat à son ordre du jour réservé. Le Sénat est force de proposition sur ces sujets.
La revitalisation exige une vision et une action structurelles, transversales et pragmatiques, qui passe notamment par des simplifications normatives et des outils de financement souples.
Je remercie Hervé Maurey, Martial Bourquin, Rémy Pointereau mais aussi Philippe Bas et Mathieu Darnaud, Françoise Gatel et Serge Babary pour leur engagement sur ces sujets.
L'ingénierie, la maîtrise du foncier, le rééquilibrage des rapports entre commerce physique et en ligne, le retour des investisseurs privés, la fiscalité innovante et la mobilité, sans oublier les parkings chers à M. Bascher, sont autant d'enjeux cruciaux. L'État, longtemps affecté par un tropisme métropolitain, envoie maintenant des signaux positifs aux territoires. Je salue notamment le fonds Friches, l'ANCT et son directeur général, Yves Le Breton. Mais il reste du travail.
Il faut s'assurer que les aides fiscales ne sont pas versées à quelques communes au détriment des communes non retenues.
Reste la problématique de la multiplicité des appels à projets, parfois complexes et rebutants pour certains territoires. (Mme Françoise Gatel le confirme.) Les chefs de projets devront être polyvalents. Le volontariat territorial en administration cher à M. le ministre sera utile.
N'oublions pas le rôle culturel et sociétal des centres-bourgs : allions le beau et l'agréable à vivre.
Il faut agir efficacement, collectivement et dans la synchronisation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et du RDSE)
La séance est suspendue quelques instants.
« Quelle portée de l'intervention du Parlement dans l'élaboration du projet de loi de finances ? »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelle portée de l'intervention du Parlement dans l'élaboration du projet de loi de finances ? », à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) La Constitution de 1958 consacre un déséquilibre entre un exécutif renforcé, dominé par un Président de la République aux pouvoirs considérables, et un pouvoir législatif aux compétences réduites. Dénoncé par certains - dont nous étions - dès le début, ce déséquilibre démocratique s'est renforcé au fil des ans. L'hyperprésidentialisation, de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron, est aujourd'hui un fait.
Au fil des ans, le pouvoir du Parlement a été réduit, raboté, en un mot, « rationalisé ». Qui, sur nos travées, ne s'en plaint pas ? Le Président du Sénat lui-même a dû s'élever contre la tentative de remise en cause de la navette en 2018. « Le coeur du métier de parlementaire, c'est le travail législatif », dit-il ; comment en serait-il autrement de la loi de finances, texte qui détermine la politique de la Nation ? La déchéance du Parlement en matière budgétaire est le symbole de sa déliquescence.
Chaque jour, les citoyens constatent l'impuissance de ceux qu'ils ont élus ; une impuissance inversement proportionnelle au pouvoir de l'Union européenne. Le maître mot est « euro-compatible ». C'est la souveraineté populaire qui est en jeu. TVA, impôt sur les sociétés, taxe sur les transactions financières (TTF) : on n'y touche pas ! Le chantage à la fuite des premiers de cordée empêche toute modification de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu.
L'article 40 de la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), que nous proposons d'assouplir, accompagnent cette montée en puissance de l'Union européenne. Quand nous examinons une loi de finances, elle a déjà été validée par la Commission européenne ; le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes ont vérifié qu'elle ne sortait pas des clous.
La déferlante d'irrecevabilités financières et la réduction de notre temps de parole posent un problème démocratique grave.
Nous voulons réhabiliter les prérogatives budgétaires du Parlement dans une démarche critique et constructive. Cela suppose de changer l'Europe, de changer la Constitution et notre Règlement.
Avec nos collègues députés, nous opposons un projet de modernisation des finances publiques alternatif à celui défendu par les principaux groupes à l'Assemblée nationale, de LaREM au groupe Les Républicains.
Certains aspirent à la règle d'or. (M. Vincent Delahaye le confirme.) Nous mettons surtout en avant le degré d'utilité sociale de chaque dépense. (M. Vincent Delahaye ironise.)
M. Gérard Longuet. - Et comment la mesurez-vous ?
M. Pascal Savoldelli. - Le peuple doit retrouver confiance dans les décisions budgétaires.
Le Conseil constitutionnel a censuré en 2006 un plafonnement des avantages fiscaux, qui n'était pas suffisamment clair et risquait de léser les contribuables.
Après un travail de simplification, il faudra consulter les citoyens.
Pourquoi ne pas laisser les contribuables décider des grandes orientations fiscales en s'exprimant sur des plateformes numériques populaires. ? Je verse cette proposition au débat.
Les idées minoritaires peuvent devenir majoritaires. Je pense à l'augmentation du taux et à l'élargissement de l'assiette de la taxe sur les transactions financières. C'est l'avenir de la démocratie qui est en jeu.
Revenons à la lettre de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, qui a été dévoyé par la Constitution et la LOLF - elles ont scellé notre impuissance collective.
Il y a, de fait, deux projets qui s'opposent : toujours plus de rigueur, c'est le vôtre (M. Vincent Delahaye le confirme), ou toujours plus de services publics et d'efficacité - c'est le nôtre.
Quand, monsieur le ministre, instaurerez-vous un droit d'initiative financière pour les parlementaires ?
Rénovons la pratique parlementaire dans l'examen des lois de finances. Il y va de la confiance dans l'action politique, dans nos institutions et dans notre avenir commun ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Rémi Féraud . - Cette question s'inscrit dans un débat plus large sur le rôle de nos assemblées. La marge de manoeuvre du Parlement en matière budgétaire est très réduite. Sans verser dans la caricature facile, la technocratie conserve la prévalence sur les politiques, surtout en matière financière ; chacun connaît le poids de Bercy dans notre pays.
La LOLF a apporté des évolutions bienvenues mais elle contraint beaucoup l'initiative parlementaire. Je pense en particulier à la fongibilité asymétrique. Le Gouvernement a la main sur les choix d'orientation budgétaire.
Illustration de cet état de fait : le report de près de 40 milliards d'euros de crédits entre 2020 et 2021. Le Gouvernement demeure parfaitement libre de ne pas engager pleinement les autorisations que nous votons. Cela devrait donner plus d'importance à l'examen de la loi de règlement. (M. Gérard Longuet renchérit.)
Le débat sur le plan de relance a bien montré les limites de notre rôle. C'est parce que la somme d'une seule mission était exceptionnellement importante que nous avons eu des marges de manoeuvre. Mais notre action n'a guère eu de conséquences réelles.
Le manque d'information est parfois remplacé par son trop plein. La proposition de loi organique de MM. Saint-Martin et Woerth dresse le même constat que moi : les milliers de pages des jaunes, des bleus, des oranges et autres questionnaires budgétaires compromettent la lisibilité politique.
Le rapport Arthuis recommande des critères financiers très stricts, que nous ne pouvons pas approuver. Alors que le pacte de stabilité européen est suspendu, il faut résister à la tentation d'instaurer un pacte de stabilité français.
Nos débats déjà très contraints doivent-ils l'être encore davantage ? Pourquoi cette volonté d'évacuer toute discussion sur la dette publique ? Le contexte économique et social nécessite au contraire de faire émerger de nouvelles solutions.
S'il y a un déficit à combler rapidement, c'est le déficit démocratique. Les échéances électorales de 2022 en seront l'occasion. (M. Claude Raynal applaudit.)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le rôle du Parlement serait restreint dans l'élaboration des lois de finances ? C'est vrai, mais je vais tenter de démontrer que ce rôle est loin d'être anodin.
Historiquement, le Parlement décidait de l'impôt, conformément aux articles 13, 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, mais petit à petit, le fait majoritaire l'a effacé. Christian Poncelet le soulignait dès 2001 au cours d'un colloque sur le rôle du Parlement dans le processus budgétaire, tout en entrevoyant pour le Sénat une mission de contrôle de l'adéquation des moyens aux missions.
La LOLF a réaffirmé le rôle historique du Parlement ; mais il a fallu attendre la loi organique de 2009 pour que les évaluations financières soient publiques. Elles doivent même être élaborées avec le « plus grand soin » si l'on en croit la circulaire - ce qui n'est pas toujours le cas quand on les regarde dans le détail...
Quinze ans après l'entrée en vigueur de la LOLF, j'écrivais cet édito : « Il s'agit de mon troisième projet de loi de finances, duquel se dégage l'impression forte de voir rejouer la même mauvaise pièce que les années précédentes : un Sénat constructif, des débats riches, des amendements adoptés à l'unanimité, puis... plus rien ! »
La majorité des amendements adoptés par le Sénat en lois de finances sont effectivement supprimés par l'Assemblée nationale. Lors de l'examen de la dernière loi de finances, sur 600 amendements adoptés par le Sénat, 147 ont été repris, mais principalement rédactionnels.
Notons que certains ministres sont absents lors des débats sur leurs missions - ce reproche ne vous est pas adressé, monsieur le ministre délégué, car nous sommes très heureux de vous voir souvent...
L'article 40 de la Constitution nous limite fortement, mais aussi l'article 42, qui nous impose d'examiner le texte du Gouvernement et non celui de la commission, comme c'était le cas sous les IIIe et IVe Républiques.
La réforme de la Constitution de 2008 a élargi le rôle du Parlement, mais pas sur les lois de finances.
Le Sénat, toutefois, joue un rôle d'aiguillon et l'ancien rapporteur général, Albéric de Montgolfier, aimait à dire qu'il avait souvent raison trop tôt. De même en 2018, Jean-François Husson, alors simple sénateur de Meurthe-et-Moselle, prédisait le mouvement des gilets jaunes. Selon Pascal Perrineau, c'est parce que les sénateurs entretiennent des liens très étroits avec leur territoire et peuvent donc y sentir ce qui s'y passe.
Parmi les nombreux exemples d'avancées précoces du Sénat, le carry back, qui sera pris en compte prochainement par le Gouvernement. (MM. Gérard Longuet et Jérôme Bascher le confirment.)
Nos concitoyens peuvent avoir le sentiment d'une perte de temps. Mais notre travail de contrôle doit s'effectuer tout au long de l'année. L'examen de la loi de règlement doit être renforcé... sans toutefois retomber dans les travers anciens : la loi de règlement de l'exercice 1915 n'avait pu être votée qu'en 1936 ! (Sourires)
Tout n'est donc pas à jeter, dans le cadre actuel... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - La crise semble s'éloigner avec l'arrivée des beaux jours, l'assouplissement des mesures sanitaires et une prévision de croissance à 5 % en 2021. Mais c'est un effet de perspective : nous ne retrouverons pas notre niveau de richesse d'avant la crise et, avec une dette publique à 120 % du PIB, notre situation financière reste très préoccupante. Encore une fois, nous comptons sur nos enfants pour payer demain ce que nous dépensons aujourd'hui.
Discuter méthode pourrait paraître anecdotique dans ces circonstances. En fait, le débat est essentiel : il s'agit de savoir qui doit déterminer la stratégie de la nation en matière de réduction de la dette. Or le rôle du Parlement est minime dans le domaine financier. Pourtant le vote du budget et le contrôle de l'exécution budgétaire sont l'une de nos missions premières. Avec 80 % des textes d'initiative gouvernementale, c'est le Gouvernement qui prend l'initiative de la loi, et le Parlement qui l'évalue.
Le Sénat est, des deux chambres, celle qui a le rôle le plus ingrat. L'Assemblée nationale détricote trop souvent le travail que nous accomplissons toujours avec sérieux, et parfois avec un excès de sérieux.
En effet, les amendements parlementaires sont très strictement encadrés par l'article 40 de la Constitution, qui nous force à recourir à des gages de facilité par pure commodité légistique. Conséquence : une augmentation drastique du coût du tabac, dû à un usage excessif des articles 575 et 575 A du code général des impôts...
Les irrecevabilités opposées par notre commission des finances reposent sur une interprétation particulièrement stricte de cet article - et parfois impénétrable pour les autres sénateurs. Cela laisse à penser que le Sénat bride ses propres initiatives.
Nous devons jouer tout notre rôle au service d'une vraie stratégie de réduction des déficits.
Mme Sophie Taillé-Polian . - Je remercie le groupe CRCE pour ce débat démocratique fondamental. La Ve République visait à mettre au pas le parlementarisme au nom de l'efficacité et de la stabilité. On peut douter des résultats en la matière, mais une chose est sûre : le Parlement s'est bien affaibli, et les deux dernières années nous en ont donné l'amère leçon.
En 2018, nous avions averti, sur plusieurs bancs, que la transition énergétique devrait reposer sur l'équité fiscale ; c'était quelques jours avant la crise des gilets jaunes, conséquence de la violence sociale et de l'injustice des choix fiscaux du Gouvernement. Le Parlement, au plus près des territoires, est une caisse de résonance de ces colères.
De nombreuses propositions de loi adoptées à l'unanimité au Sénat - contre l'évasion fiscale, par exemple, à l'initiative d'Éric Bocquet et d'Albéric de Montgolfier - n'ont pas été mises en oeuvre.
La logique de performance issue de la LOLF produit nombre d'effets pervers, car elle est purement quantitative, au lieu de considérer les politiques à l'aune de l'utilité sociale.
Depuis des mois, nous vous avertissons : le retour de la contrainte serait une grave erreur. Nous refusons l'alternative simpliste entre les irréalistes et les responsables, dessinée par la proposition de loi d'Éric Woerth et Laurent Saint-Martin ou le rapport Arthuis qui prétend fixer une norme de dépense sur cinq ans. Derrière cela pointe le serpent de mer du verrouillage budgétaire.
Ne dépolitisons pas la question budgétaire avec une règle d'or qui serait une camisole de force pour les parlementaires et qui aggraverait le fossé avec nos concitoyennes et concitoyens.
Allons-nous refaire les mêmes erreurs qu'en 2010 en choisissant l'impasse austéritaire ? Nous en avons vu les conséquences, en matière d'inégalité et d'inaction climatique.
Il faut débattre d'une réforme de la LOLF à partir de l'axe majeur qu'est l'entrée dans l'anthropocène. Le réalisme est de notre côté. La discussion budgétaire doit être menée à cette aune. N'étouffons pas cet enjeu sous un masque technocratique.
M. le président. - Il faut conclure !
Mme Sophie Taillé-Polian. - Un débat parlementaire renforcé et de meilleure qualité serait un atout. (M. Rémi Féraud applaudit.)
M. Julien Bargeton . - C'est sur le sujet budgétaire que se sont constituées les principales démocraties parlementaires. En 1215, la Grande Charte contraignait le souverain anglais Jean Sans Terre à demander l'approbation du Grand Conseil pour lever l'impôt. Cinq siècles plus tard, la Révolution américaine est née de cette revendication : « No taxation without representation ». En France, en 1789, avec un État en banqueroute, il fallut convoquer les états généraux pour financer les guerres. Puis les représentants refusèrent de quitter l'Hôtel des Menus plaisirs. On connaît la suite...
Ensuite, le Parlement a pris une importance croissante dans les finances publiques. Sous la IIIe et sous la IVe République, on n'arrivait plus à voter le budget. Mme Lavarde l'a rappelé, la loi de règlement du budget de 1915 a été votée en 1936... Il fallait passer par les décrets-lois. Les commissions des finances étaient particulièrement puissantes, parce qu'elles construisaient le budget.
Sous la IVe, on votait des douzièmes provisoires, ce qui était de plus en plus problématique avec les guerres d'indépendance.
La rationalisation du parlementarisme opérée en 1958 a notamment visé la procédure d'adoption des lois de finances, désormais encadrée par des délais et assortie de contraintes pour les parlementaires, particulièrement pour le vote de charges.
La LOLF, à rebours de cette tendance, a revalorisé le rôle du Parlement en permettant les redéploiements à l'intérieur d'une mission budgétaire.
Ce gouvernement s'inscrit dans ce mouvement : il a réduit les réserves de précaution (M. Jérôme Bascher fait « non » du doigt) et drastiquement limité les décrets d'avance, seulement repris pour faire face à la crise. En outre, la loi de règlement ne comprend plus de mesures fiscales.
Comment donner plus de tonus démocratique aux débats budgétaires, et faire honneur au contrôle citoyen prévu par l'article 15 de notre Constitution ? Soit l'on sort de la Ve République, mais ce n'est pas le débat de cet après-midi, soit l'on améliore les choses dans le cadre actuel. Le travail de MM. Saint-Martin et Woerth va dans ce sens. Ils proposent en particulier la simplification des indicateurs.
On pourrait aussi imaginer un débat global sur les recettes liant les aspects sociaux et financiers et une commission commune d'évaluation associant les commissions des finances et des affaires sociales, afin de donner du peps à la loi de règlement.
Des pistes sont sur la table. Mais la majorité doit aussi pouvoir faire aboutir les politiques pour lesquelles elle a été élue. Cela relève d'un principe démocratique.
M. Jean-Claude Requier . - Je remercie le groupe CRCE pour cette initiative. Voter le budget est la raison d'être du Parlement depuis la Magna Carta de 1215. En France, selon l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
L'objectif de la loi de finances est de lever l'impôt pour fournir les ressources nécessaires aux politiques publiques. Elle s'ouvre, à l'article premier, par le rappel du principe de consentement à l'impôt.
Après les recettes, le Parlement examine les crédits. Notre assemblée a rejeté, cette année, plusieurs missions ; mais l'Assemblée nationale a le dernier mot. Jamais sous la Ve République un budget n'a été rejeté, même si en 1979, les dissensions entre le RPR et l'UDF ont entraîné le rejet du volet recettes par l'Assemblée nationale.
De fait, la Constitution réserve toujours la possibilité de reconduire le budget précédent : pas de risque de shutdown en France.
Le droit d'amendement reste au coeur de l'action parlementaire. Or la révision constitutionnelle de 2008 a maintenu, pour la loi de finances, le privilège gouvernemental en matière d'établissement du texte. Surtout, l'encadrement par l'article 40 et la LOLF est parfois perçu comme implacable et obscur. L'exécutif, lui, n'est pas soumis à ces contraintes et peut déposer des amendements à tout moment, ce qui n'est plus justifiable - d'autant qu'il n'existe pas de recours possible contre l'irrecevabilité.
J'espère que l'assouplissement récent de la commission des finances en la matière sera durable. Le mécanisme de la fongibilité asymétrique des crédits contraint notre initiative en matière de dépenses.
Associer le Parlement plus étroitement à l'élaboration de la stratégie budgétaire serait un bon début. En matière d'amendement, nous devrions, de notre côté, préférer la qualité à la quantité. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Éric Bocquet . - Il n'y a pas que les centres-bourgs qu'il faut revitaliser... Le débat budgétaire aussi ! Peut-on encore considérer le vote du budget comme un acte démocratique ? La question, rhétorique, est de Jean-François Kerléo, auteur d'un « Plaidoyer en faveur d'une réforme de l'article 40 de la Constitution ».
Une telle réforme est devenue indispensable. Nous ne pouvons que difficilement modifier une ressource publique et augmenter une dépense.
Les parlementaires ont essayé de se ménager des marges de manoeuvre, sans froisser le Conseil constitutionnel, mais la contrainte du gage demeure.
En réalité, notre marge est très réduite. C'est la cause et la conséquence du déséquilibre des relations entre Gouvernement et Parlement.
Paul Reynaud, au sortir de la guerre, disait: « Les parlementaires deviendront des économes devant un Gouvernement dépensier. » Tout était écrit ! MM. Migaud et Arthuis, anciens présidents des commissions des finances, demandaient en 2008 la libération du droit d'amendement. Le même Jean Arthuis semble avoir oublié sa parole de liberté et la confiance qu'il avait alors dans les élus... (M. Jérôme Bascher approuve.)
L'article 40 est devenu une machine à créer de la dépense fiscale, accréditant l'idée dangereuse que celle-ci n'a pas le même impact que la dépense budgétaire. Notre seule possibilité est de retrancher de l'impôt à ceux qui le paient, ce qui aggrave le démantèlement de l'État.
Sur nombre de sujets, comme la TVA, nous ne sommes plus souverains, mais observateurs des décisions bruxelloises. L'Europe s'impose comme la seule échelle pertinente des politiques fiscales ; devons-nous nous y résigner ? Il conviendrait plutôt de restaurer la capacité du Parlement à proposer des idées nouvelles, en allégeant la procédure des irrecevabilités financières. C'est de notre ressort : il ne tient qu'à nous de le décider. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Vincent Delahaye . - Je remercie le groupe CRCE pour ce débat sur un sujet important : l'argent est le nerf de la guerre...
Le titre choisi me surprend néanmoins : pour moi, l'élaboration du projet de loi de finances relève du Gouvernement et surtout de l'administration fiscale, dont le poids est souvent prépondérant au point, selon Frédéric Tristram, de briser les velléités de réforme.
Le rôle du Parlement est d'adapter, d'adopter et de contrôler le budget, avec rigueur - pour ma part, madame Taillé-Polian, je revendique cette exigence. On ne peut gérer l'argent public que rigoureusement.
Le contrôle parlementaire est surtout un contrôle d'opportunité budgétaire. Le Parlement matérialise le consentement du citoyen à l'impôt, conformément à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Notre rôle de sages de la République est d'adapter le budget aux besoins de nos concitoyens et d'assurer sa gestion en bons père et mère de famille.
En Allemagne, la construction du budget part des recettes. En France, c'est l'inverse : Bercy part des dépenses, puis évalue le déficit à l'aune des recettes attendues...
Au moins, l'article 40 nous oblige à la responsabilité ; je ne m'en plains pas, c'est le bon côté du parlementarisme rationalisé. La contrepartie devrait être de donner de véritables moyens au contrôle.
Or ils sont insuffisants, en particulier l'information. À titre d'illustration, j'ai mis plus d'un an à obtenir le montant des dépenses protocolaires et celui de la communication des différents ministères depuis le début du quinquennat - 1,5 milliard d'euros tout de même, crise sanitaire comprise.
Ensuite, nous n'échangeons pas assez avec le Gouvernement : quelques débats comme celui-ci dans l'année, c'est insuffisant.
Même si c'est difficile, le Sénat devrait établir un contre-budget au lieu de se bercer de l'illusion que ses amendements prospéreront. Nous pourrions ainsi proposer un budget moins dépensier pour le contribuable : pas plus que de l'argent magique, il n'y a de l'argent public. Il n'y a que l'argent du contribuable.
Nous apprenons en général les premiers arbitrages au mois de septembre, par voie de presse. Ce fut le cas pour la suppression de la taxe d'habitation.
Le Gouvernement devrait aussi davantage nous écouter. Souvenez-vous de la taxe carbone, pour laquelle nous avions fait des propositions d'apaisement.
Nous passons trop de temps sur le budget virtuel, pas assez sur le budget réalisé. Le Parlement risque de devenir une chambre d'enregistrement. C'est pourquoi il conviendrait de réduire de deux mois le délai de clôture des comptes publics, en l'avançant de juin à avril. Une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale devrait permettre une révision du calendrier en ce sens.
Pour donner au budget le tonus démocratique qu'évoquait Julien Bargeton, nous avons besoin d'un travail collectif. Pour ma part, j'y suis prêt. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Claude Raynal . - Ce débat pourrait surprendre puisque les lois de finances sont nécessairement d'initiative gouvernementale et que l'article 40 de la Constitution contraint fortement l'initiative parlementaire - même s'il ne frappe d'irrecevabilité que 4 % des amendements.
En vertu de l'article 7 de la LOLF, seule une disposition gouvernementale peut créer une nouvelle mission. L'article 47 de la Constitution encadre fortement les délais : le Sénat ne dispose que de vingt jours de séance publique, contre quarante à l'Assemblée nationale. Il faudrait doter le Parlement de nouveaux pouvoirs pour conforter son rôle en matière budgétaire.
Les amendements parlementaires peuvent inspirer le Gouvernement ; je pense au carry back pour les entreprises, d'abord refusé par celui-ci. Mais cela dépend toujours de l'adhésion de la majorité.
En matière de dépenses, les règles de recevabilité financière encadrent, voire entravent, le Parlement. Il faudra y revenir. Pour autant, toute l'année, les rapporteurs spéciaux émettent de nombreuses recommandations, parfois suivies par le Gouvernement. Ainsi, sur la demande de Philippe Dallier, le budget du logement d'urgence a été abondé. Je songe également aux propositions de Thierry Cozic et Frédérique Espagnac sur l'évolution des missions de la Direction générale du Trésor.
Le débat d'orientation budgétaire très tardif - en juillet - et l'absence d'informations sur le détail des crédits montrent que le Gouvernement ne veut pas dévoiler, ou pas trop tôt, ses arbitrages.
L'amendement de crédit reste le seul outil permettant de soumettre au débat et au vote un choix budgétaire. Il est bien plus pertinent que le décret d'avance, sur lequel le Parlement ne peut donner qu'un avis non contraignant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jérôme Bascher . - J'aime la Constitution du général de Gaulle, et je constate avec plaisir que Julien Bargeton y vient. Encore un effort !
Tout bon sénateur a sur sa table de nuit l'ouvrage de référence de mon illustre prédécesseur, Philippe Marini, sur l'article 40. C'est une contrainte, mais nous pouvons l'admettre.
Le vrai problème est que le projet de loi de finances, après son passage à l'Assemblée nationale, nous arrive augmenté de nombreux articles, sans parler de ceux que le Gouvernement introduit au fil de la discussion.
Concernant la réserve de précaution, j'invite Julien Bargeton à en reprendre l'historique...
La pratique du Gouvernement consistant à déposer sans cesse de nouveaux amendements au cours des débats met à mal la discussion budgétaire. Les délais limites... sont plus que limite, en particulier pour le PLFR que nous allons examiner. Le premier président de la Cour des comptes, M. Moscovici, s'en est ému. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), lui, a noté qu'il n'avait pas eu les moyens de l'évaluer. Il convient de respecter les instances démocratiquement créées.
J'invite les parlementaires à respecter l'article 40. J'aime beaucoup, également, la règle d'or. Savez-vous qu'en 2020, la sécurité sociale a une dette plus importante que les collectivités territoriales ?
Voilà où nous en sommes, après des dizaines d'années de pratique budgétaire marquées par la défiance du Gouvernement vis-à-vis du Parlement et celle de Bercy à l'égard des ministères dépensiers. J'ai été sur le même banc que vos collaborateurs, monsieur le ministre, et je constate que rien n'a changé depuis un quart de siècle... Grâce à cela, nous avons le déficit le plus élevé depuis l'après-guerre.
Ce n'est pas l'article 40 qui a créé le déficit, mais le manque de courage politique. Le responsable de programme a vu ses marges de manoeuvre se réduire au point de ne plus être qu'un simple comptable. C'est une trahison de l'esprit de la LOLF.
Le sujet majeur est celui de l'évaluation fiscale, mais nous manquons d'informations pour le mener. Le HCFP est un outil utile. Faut-il élargir son rôle à la dette ? Je n'en suis pas convaincu, mais cette opinion n'engage que moi.
Le Sénat n'a pas le dernier mot, mais lorsqu'il se prononce à l'unanimité, l'Assemblée nationale et le 139, rue de Bercy gagneraient à l'écouter davantage. Combien de petites économies de court terme ont engendré de lourdes dépenses de long terme ? Nous gagnerions tous à travailler ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics . - Le sujet de notre débat est d'actualité puisque vous examinerez prochainement un projet de loi de finances rectificative. Je remercie le groupe CRCE d'en avoir pris l'initiative.
Les articles 37 et 47 de la Constitution définissent le rôle du Gouvernement et du Parlement en matière budgétaire. M. Debré les expliquait ainsi, le 27 août 1958 devant le Conseil d'État : « La loi, le budget et toutes les affaires qui sont de la compétence du Parlement ne sont pas, pour le Parlement, un monopole. L'intervention des assemblées est un contrôle et une garantie. Il ne faut pas, cependant, qu'un Gouvernement accapare les travaux des assemblées au point que l'opposition ne puisse plus manifester sa présence. Si elle ne doit pas pouvoir faire obstruction, elle doit pouvoir interroger. »
Le Parlement amende, vote et contrôle le budget préparé par le ministère de l'économie, qui doit traduire une politique.
Il est souvent reproché à la Ve République de réduire la discussion budgétaire à la formule d'Edgar Faure : litanie, liturgie, léthargie... Ses pouvoirs se sont cependant étendus, notamment grâce à la LOLF, véritable outil d'émancipation qui a donné la possibilité aux parlementaires de déposer des amendements de crédit. L'article 40 n'a, lui, pas été modifié depuis 1958. Grâce aux orientations données par les présidents de commissions des finances, le gage s'est parfois réduit à sa plus simple expression. Résultat : de 1 845 amendements en 2006 en première lecture, nous sommes passés à 4 719 amendements en 2019.
La LOLF a aussi amélioré l'accès aux informations budgétaires : le Parlement est désormais éclairé par les « bleus » et les « jaunes » budgétaires, ainsi que par l'annexe sur les voies et moyens. Les documents de politique transversale apportent d'utiles compléments.
Le Parlement est associé au PLF dès l'été, avec le débat d'orientation budgétaire ; à cette occasion, il peut en théorie se prononcer sur les objectifs et sur les moyens alloués aux ministères mais la pratique montre que les parlementaires débattent davantage de la trajectoire des finances publiques à cette occasion.
La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a renforcé les pouvoirs budgétaires du Parlement. L'OCDE a souligné, dans un rapport de 2018, la qualité de l'information et de la documentation délivrées aux parlementaires français et du contrôle réalisé par la Cour des comptes et le HCFP.
Notre Gouvernement poursuit les efforts réalisés en matière de transparence, de lisibilité et de sincérité du budget. Nous avons aussi établi la première mondiale qu'est le budget vert, grâce à la contribution de la députée Bénédicte Peyrol.
Nous poursuivons depuis 2017 un travail de sécurisation des PLF et des PLFR grâce à des financements mieux calibrés, en évitant, hors période de crise, les décrets d'avance, trop souvent utilisés pour pallier l'insincérité du budget initial. Nous ne pratiquons plus guère la mise en réserve de crédits, dont le niveau est passé de 8 % en 2017 à 3 % en 2019.
Ces avancées confortent le rôle du Parlement. Nous essayons également d'anticiper la présentation des textes budgétaires : le programme de stabilité 2021-2027 a été présenté le 14 avril en Conseil des ministres, avec deux semaines d'avance.
Nous sommes attentifs aux propositions parlementaires pour améliorer la gouvernance des finances publiques. Il est sain que le Parlement contrôle l'action du Gouvernement grâce à des informations précises. À cet égard, le HCFP pourrait éclairer les débats.
La pluriannualité contribue à la sincérité, à la lisibilité et à la clarté de la politique budgétaire. Je considérerai avec un oeil bienveillant les initiatives confortant le rôle du Parlement en matière budgétaire. Je remercie le groupe CRCE pour ce débat, ainsi que les différents intervenants qui l'ont animé. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Organisation des débats
M. le président. - Pour l'organisation de la discussion générale sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, au regard de l'ampleur de ce texte et du nombre d'articles - 125 ! - délégués au fond à la commission des affaires économiques, nous pourrions accorder un temps de parole de douze minutes à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de dix minutes à la commission des affaires économiques.
Il en est ainsi décidé.
Prochaine séance, lundi 14 juin 2021, à 16 heures.
La séance est levée à 18 h 15.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du lundi 14 juin 2021
Séance publique
À 16 heures et le soir
Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président M. Laurence Rossignol, vice-présidente
. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte de la commission, n°667, 2020-2021)