Pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal, à la demande du groupe GEST.
Discussion générale
Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Les pandémies questionnent notre rapport à l'animal sauvage ou domestique, autant que notre modèle agricole et notre système de santé.
Ce n'est pas sans fierté que je présente cette proposition de loi qui répond à une prise de conscience grandissante des conditions parfois déplorables de l'élevage animal dans notre système agricole.
Ce texte a reçu le soutien de nombreuses associations de défense des droits des animaux, mais aussi de sénatrices et de sénateurs membres de six groupes différents ; c'est dire la résonance de ces préoccupations au-delà des clivages partisans.
En France, 80 % des animaux sont dans un élevage intensif - c'est 95 % pour les porcs, 80 % pour les poulets de chair et 68 % pour les poules pondeuses.
Dans les fermes-usines, les animaux subissent des traitements cruels et leur confinement dans des cages induit chez eux des troubles du comportement. En outre, les élevages intensifs asphyxient la production locale par des prix bas, contribuant lourdement au mal-être du monde agricole.
Il est donc nécessaire d'accompagner la transition vers un élevage et un abattage éthiques.
À cet égard, il convient d'accompagner ceux qui dépendent de l'élevage intensif pour faire évoluer leurs pratiques. Selon une enquête de janvier 2021, 85 % des Français se déclarent opposés à l'élevage intensif. Nous devons cette évolution de l'opinion aux lanceurs d'alerte et aux associations.
La directive européenne 98-58-CE pose le cadre du bien-être animal dans les élevages, mais laisse une grande marge aux États membres pour la mise en oeuvre. La commission des affaires économiques a rejeté cette proposition de loi en prenant prétexte de cette directive ; je le regrette, car la France accuse un grand retard dans sa législation.
En Autriche, 97 % des animaux sont élevés hors cage ; 92 % en Suède, 86 % en Allemagne, 83 % aux Pays-Bas et 69 % en Belgique. La France ne pointe qu'au 17e rang européen avec 25 % - derrière la Roumanie, la Croatie et la Hongrie.
Un étiquetage transparent et détaillé doit indiquer le mode d'élevage, pour que le consommateur décide en toute connaissance de cause ; nos agriculteurs doivent être préservés de leurs concurrents qui ne respectent pas les mêmes normes, par exemple par une taxation.
Les agriculteurs aiment leurs bêtes ; ils voudraient bien leur donner une « bonne » mort, sans souffrance. Faute de temps, la proposition de loi n'aborde pas la question de l'abattage, mais l'abattage de proximité a nos faveurs.
À l'article premier, nous proposons des dispositifs d'accès au plein air obligatoires d'ici 2040 et des densités maximales.
L'article 2 limite à huit heures le transport quotidien des animaux sur le territoire national.
L'article 3 interdit l'élimination des poussins mâles et des canetons femelles qui, broyés, gazés, étouffés, vivent aujourd'hui un cauchemar industriel ! L'Allemagne est pionnière, là encore, puisque le Bundestag vient d'interdire cette pratique à compter de 2022. Le sexage in ovo sera pratiqué entre le 9e et le 14e jour. Il existe aussi une technique française faite par spectrophotométrie, encore inaboutie.
Le ministère de l'Agriculture promet l'interdiction de l'élimination des poussins pour fin 2022 ; la promesse sera-t-elle tenue ? Nous demandons une interdiction dès janvier 2022.
Il faut aussi accompagner les agriculteurs en développant l'abattage de proximité ; leurs investissements pourraient être financés par des prêts à taux zéro ou des prêts garantis par l'État.
Notre pays connaît une urgence sociale, sanitaire, environnementale, mais aussi éthique ; nos jeunes qui défilent pour le climat nous le rappellent. Engageons sans délai la démarche vers un modèle plus respectueux du vivant. (Applaudissements prolongés sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Merci au GEST de nous donner l'occasion d'un débat de société. Tous les parlementaires partagent votre préoccupation du bien-être animal ; le secteur, les filières le veulent. Le sujet est consensuel, comme le montre l'adoption large d'une résolution du Parlement européen sur le transport des animaux. Il faut assurément trouver une solution alternative au broyage des poussins. Nous partageons donc l'objectif, mais contestons les moyens que vous proposez pour les atteindre, ainsi que les effets qu'ils induisent.
J'ai tout d'abord une pensée pour les éleveurs, dont le bien-être est lié à celui des animaux. Comment se lever si tôt tous les matins si c'est pour perdre de l'argent ? La décapitalisation du cheptel se poursuit, menaçant notre souveraineté alimentaire. Nous importons déjà 45 % du poulet, 25 % du porc, 55 % des ovins et un tiers des produits laitiers consommés en France.
En perdant notre élevage, nous perdrions un levier d'aménagement du territoire, de stockage du carbone, de réduction de notre vulnérabilité aux aléas climatiques, de biodiversité.
Il faut être à l'écoute de nos éleveurs, qui ne comprennent pas pourquoi ils sont toujours voués aux gémonies.
Il y a des abus, je ne le nie pas, mais comme dans toute profession. L'élevage hors cage des poules pondeuses est cependant devenu majoritaire ; 94 % des vaches laitières et 67 % des vaches allaitantes ont accès à l'extérieur ; 20 % des poules pondeuses sont élevées en plein air : dans ce domaine, la France est première en Europe - le second pays n'étant qu'à 5 %.
Le titre de la proposition de loi ignore cette réalité : en plaidant pour un élevage éthique, il sous-entend qu'il n'existerait pas en France aujourd'hui. Cela est inexact.
La proposition pose aussi des problèmes pratiques. Ainsi, l'article premier interdit toute construction de bâtiments d'élevage sans accès à l'extérieur à partir de 2026 ; pour les filières, cela pose un problème de biosécurité : le « tout plein air » expose les animaux au risque épidémique, notamment les volailles, comme on l'a vu avec l'influenza aviaire.
Pour le porc, passer au tout plein air en 2040 couvrirait une surface foncière équivalente à un département français ; pour les poules, on aurait besoin de la superficie de la ville de Paris...
De même, le plafonnement des temps de transport est une fausse solution au vrai problème de l'insuffisance du maillage du territoire pour les abattoirs et les couvoirs. Une réglementation française plus stricte rendrait l'approvisionnement auprès d'abattoirs étrangers plus intéressant. Cela interdirait tout élevage de volailles et de lapins en dehors des régions de l'Ouest, où sont aujourd'hui concentrés les abattoirs pour ces animaux.
Pour la commission des affaires économiques, l'échelon d'action pertinent est le niveau européen : à défaut, les importations augmenteront et le bien-être animal n'y gagnera pas - avec, en prime, une perte de souveraineté alimentaire et un mauvais bilan carbone.
Le sexage dans l'oeuf est une technique bientôt mûre ; mais l'imposer dans huit mois, c'est condamner les petits couvoirs. En allant trop loin, nous inonderions notre marché d'ovoproduits polonais. (Mme Sophie Primas le confirme.) Laissons faire la recherche et les filières.
L'Union européenne doit nous faire évoluer ensemble, pour éviter les distorsions de concurrence. Le Gouvernement est-il prêt à porter ces évolutions ?
J'ai moi-même eu le sentiment que le texte était équilibré en première analyse ; mais les surcoûts induits sont colossaux : 13 milliards d'euros pour le porc à 100 % en plein air ; 64 millions d'euros pour les poules pondeuses, soit 4 % du chiffre d'affaires du secteur. Or l'agriculture n'a reçu que 1,2 milliard d'euros dans le plan de relance...
Pour toutes ces raisons, la commission vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises . - Veuillez excuser l'absence de Julien Denormandie, qui participe à la négociation finale de la PAC à Bruxelles.
Les éleveurs français sont trop souvent pointés du doigt ; mais ce sont les premiers à souhaiter plus de bien-être animal. Le Gouvernement, qui agit avec méthode et pragmatisme, fait le pari de la modernisation des structures d'élevage et d'abattage. Cela nécessite un accompagnement, pas des bouleversements radicaux.
Madame Benbassa, soyez assurée que nous partageons vos objectifs : il faut répondre aux impératifs biologiques des espèces, lutter contre la maltraitance animale et garantir des produits sains et de qualité.
Même si l'on peut comprendre le souhait de nombreux citoyens que l'élevage se fasse en plein air, il faut tenir compte des enjeux sanitaires, économiques, fonciers, dans un débat trop souvent passionnel.
L'élevage français est à taille humaine et c'est l'un des plus durables au monde. Les plans de filière, mis en place à compter de 2017, y contribuent.
La lutte contre l'antibiorésistance, par exemple, est bien engagée, avec une baisse de 37 % des utilisations d'antibiotiques depuis cinq ans.
Le tout plein air - 5 % de la production aujourd'hui - en 2040 n'est pas tenable. Cela signifierait de repenser 90 % de l'élevage des poulets de chair. La richesse de notre élevage, c'est sa diversité.
Il faut une ambition à l'échelle du marché unique ; il faut des transitions adaptées au temps de l'agriculture.
Le débat sur le transport d'animaux vivants doit s'inscrire dans cette réflexion, pour éviter les distorsions de concurrence. La Commission européenne travaille avec son programme Farm to fork à l'amélioration des conditions de transport maritime.
Le plan de relance permettra de moderniser les abattoirs. La filière oeufs a bien intégré les attentes des citoyens en matière de broyage des poussins. Mais qui paie le coût de la transition ? Un modèle pérenne ne peut reposer sur le seul État. Inscrire l'interdiction dans la loi ne permet pas d'accompagner financièrement les filières.
Les contraintes se sont accumulées sur les éleveurs. En 2012, les éleveurs de poules pondeuses ont investi massivement pour se mettre aux normes. Ils ne peuvent assurer seuls les transitions. La loi EGalim interdit toute nouvelle installation d'élevage en cage ; 53 % de l'élevage est déjà dans un système alternatif. La clé réside dans la montée en gamme, seule à même de réconcilier attentes sociétales et revenu des agriculteurs.
Les États généraux de l'alimentation ont contribué à la structuration des filières, autour des chartes de bonnes pratiques et des signes de qualité. Les plans de filière responsabilisent les professionnels. Une véritable transition est en marche !
Le plan de relance consacre 300 millions d'euros à la modernisation de nos élevages et abattoirs et à la structuration des filières.
Mais les injonctions des citoyens doivent se traduire dans l'acte d'achat, en mettant fin à la guerre des prix bas. C'est le sens des travaux de Serge Papin sur la contractualisation et la pluriannualité et de la proposition de loi EGalim 2 portée à l'Assemblée nationale.
Cette transition repose aussi sur l'évolution des mentalités.
Soyez rassurés : le Gouvernement a l'intention d'inscrire à l'ordre du jour de vos travaux avant la fin de l'année la proposition de loi, votée à l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale.
À la stigmatisation, nous préférons les mesures concrètes. Je salue les travaux d'Henri Cabanel et de Françoise Férat sur la détresse dans la profession d'éleveur.
Rejetez une radicalité qui mettrait fin à l'élevage français. Faites preuve de raison et de bon sens : ambition, pragmatisme, confiance dans nos éleveurs sont les clés d'une transition réussie. La question de la rémunération des éleveurs doit être au centre des discussions.
Refuser cet état de fait, c'est condamner les éleveurs.
M. Henri Cabanel . - (M. Joël Labbé applaudit ; rires à gauche) Une proposition de loi peut-elle changer le monde ? Le débat d'aujourd'hui relève de ce fantasme. Comment être contre toutes ces bonnes et nobles intentions ? Mais je m'interroge sur l'opportunité de légiférer alors que le mal-être des agriculteurs est à son comble ! Deux agriculteurs se suicident chaque jour ; ne les oublions pas.
Il faut de la nuance. Avec Françoise Férat, notre rapport sur la détresse des agriculteurs a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires économiques, loin des partis pris idéologiques et des réseaux sociaux qui réduisent les débats à néant.
L'agriculture focalise les tensions, les incompréhensions et les fausses informations. Or elle est au coeur de nos vies alors qu'elle clive souvent via des modèles opposés. Il faut réunir toutes les parties prenantes et appréhender le sujet de façon globale, loin des passions et des fantasmes.
L'agriculture, c'est un faisceau d'enjeux - économiques, sociaux, environnementaux - à traiter de façon transversale. Je m'inquiète des effets de lois qui n'auraient d'impact que sur les seuls agriculteurs français : il faut travailler au niveau européen, pour éviter la concurrence déloyale entre les États membres.
Je prône les circuits courts et les signes de qualité, mais nos agriculteurs travaillent en moyenne 55 heures par semaine pour 1 036 euros par mois, soit 4,7 euros de l'heure. Avez-vous analysé l'impact de vos propositions sur le bien-être animal ? Les consommateurs risquent de se fournir en produits étrangers élaborés selon des normes différentes.
C'est une évolution des mentalités, pas une loi, qui changera le monde : il faut accompagner le consommateur, par l'étiquetage notamment.
Des avancées seront proposées dans le titre V du projet de loi Climat. Ce véhicule législatif est plus légitime et nous pourrons l'amender.
C'est pourquoi notre groupe RDSE s'abstiendra dans sa majorité. Conscience et raison ont aussi force de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)
M. Fabien Gay . - La question du bien-être animal comporte de multiples dimensions et transcende les clivages politiques. Nos concitoyens y sont de plus en plus sensibles.
La maltraitance dans certains abattoirs, l'élevage en batterie, le broyage des poussins nous interrogent car c'est un miroir sombre de notre société. Songeons aussi à la violence subie par les personnels des abattoirs ! Maltraiter l'être, c'est créer un précédent dans la violence et l'aliénation, c'est vouloir détruire l'altérité.
L'alimentation est une nécessité, un plaisir, un moment de convivialité, mais il faut aussi envisager sa dimension éthique et repenser le rapport de l'humain à la nature.
Il faut sortir du débat pour ou contre la viande. Nous devons repenser notre modèle hyperproductiviste d'élevage qui concerne 80 % du secteur. Le nombre d'éleveurs s'est effondré en trente ans, alors que les cheptels augmentaient : l'agriculture paysanne a perdu face aux fermes de mille vaches et les rémunérations ne cessent de diminuer comme le relevait le CESE en 2019. La multiplication des accords de libre-échange est une pression supplémentaire pour nos agriculteurs.
La proposition de loi du GEST vise à trouver un équilibre, pour de meilleures conditions d'élevage, sans stigmatiser les éleveurs. La plupart des réglementations et cahiers des charges nationales et européennes visant à protéger les animaux sont fondés sur les cinq libertés recensées dans le rapport Brambell de 1965, soit l'absence de faim et de soif, d'inconfort, de douleur, de blessures et de maladie, de peur et de détresse, et l'assurance d'un espace suffisant et la compagnie d'autres congénères.
Ces critères ne sont pas contraignants et il manque des moyens pour assurer les contrôles. Aussi, le fonds créé par l'article 4 est-il intéressant.
Il faut passer d'un élevage intensif, industriel et destructeur à un élevage respectueux de l'environnement, de l'humain et de la planète. C'est pourquoi nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST)
Mme Françoise Férat . - Le développement de nombreuses associations de défense des animaux et les actions coups de poing qu'elles mènent parfois montrent combien la question du bien-être animal est importante pour l'opinion publique. Nous ne sommes pas insensibles aux images qui nous viennent de certains abattoirs.
Les éleveurs, dans leur très grande majorité, réprouvent les traitements ignobles et se préoccupent du bien-être animal, en respectant les normes européennes et nationales.
Les manquements au bien-être animal doivent être sanctionnés.
Mais les solutions prônées par cette proposition de loi ne répondent pas aux préoccupations de la filière et elle risque de mettre nos éleveurs à genoux. Les dispositifs proposés ne sont pas applicables. Le tout plein air n'est pas possible, ne serait-ce que par manque de foncier. N'oublions pas la rémunération du producteur ! Sans consentement des consommateurs à payer plus cher, une telle mesure encouragerait les importations.
En outre, plein air n'est pas toujours synonyme de bien-être animal : pensons à la neige ou aux fortes chaleurs ! Et que dire du risque d'épidémies ou de contacts avec la faune sauvage ?
Si nous limitons à quatre heures les transports d'animaux dans l'Hexagone, comment éviter des détours par l'étranger ? Avec quelle conséquence carbone ? Les solutions proposées ne sont pas réalistes.
Pour réduire les durées de transport, il convient de développer des abattoirs de proximité, viables financièrement et sanitairement fiables.
En outre, le tout plein air pour la filière porcine coûterait 13 milliards d'euros ! À titre de comparaison, le plan de relance prévoit 100 millions d'euros pour l'ensemble de la biosécurité et du bien-être animal.
Ces restructurations auront un prix pour les éleveurs qui subiront la double peine : investissements accrus et prix en hausse alors que les produits français sont déjà peu compétitifs. Sachant qu'un Français sur sept se prive déjà de repas pour des raisons financières, il achètera du porc espagnol qui coûte deux fois moins cher que le français.
Des solutions se développent, comme l'interdiction du broyage des poussins. La France travaille avec l'Allemagne pour parvenir à une solution viable pour la filière d'ici fin 2021.
N'oublions pas non plus tous les efforts de l'agriculture en faveur de l'environnement : la ferme France est la meilleure du monde et ne mérite pas cet agribashing agressif !
Travaillons pour assurer des rémunérations décentes pour nos agriculteurs, sur la base de prix de vente également décents. C'est pourquoi le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST) Depuis le néolithique et l'apparition de l'élevage, l'homme a évolué et connu des relations complexes avec l'animal.
Depuis l'Antiquité, considérée comme l'âge d'or du lien entre l'homme et l'animal, cette relation s'est construite sur le plan religieux, moral, économique... Ce fut un long cheminement, avec notamment le Traité des animaux de Condillac. Deux concepts ont alors émergé : celui du « droit de l'animal » et celui du « bien-être animal ».
Je remercie le GEST qui veut faire avancer concrètement le bien-être animal. La loi de 2015 a reconnu que l'animal était un être vivant, doué de sensibilité, ouvrant la voie au fondement juridique de la notion de bien-être animal, concept auquel nous souscrivons. Mais on ne peut prétendre aujourd'hui que les éleveurs ou les industriels ne s'en soucient pas.
Je sais la relation affective d'un éleveur responsable à ses bêtes : les jours où on les emmène à l'abattoir sont difficiles. Ceux qui gèrent les abattoirs savent qu'il faut être irréprochable. La société est exigeante sur ces sujets. L'image, la marque, le chiffre d'affaires peuvent être affectés par d'éventuelles dérives.
Monsieur le ministre, il est de votre rôle d'assurer les contrôles et de sanctionner les fautifs. La loi EGalim semble insuffisante à cet égard.
Un plan en six axes pour le bien-être animal avait été présenté en janvier 2020 par le Gouvernement : où en est-on ? Quel est son bilan ? C'est le flou complet. C'est pourquoi le groupe SER voudrait insérer un article additionnel avant l'article premier, demandant au Gouvernement un bilan des actions de la France en faveur du bien-être animal. Afin d'avoir un débat apaisé, nous devons savoir objectivement d'où nous partons.
Nous rappelons notre attachement à l'élevage, et à ce qu'il représente dans nos territoires - je viens du Gers, département qui souffre beaucoup - et aux éleveurs dont le métier est si difficile, pour une rémunération de plus en plus misérable !
Quelles seront les conséquences de la prochaine PAC ? EGalim 2 est aussi attendu, même si nous n'y croyons guère !
Des accompagnements psychologiques pour les agriculteurs doivent également être proposés : nous avons déposé un amendement en ce sens à l'article 4. Ils ont besoin de considération. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)
M. Franck Menonville . - Je tiens à saluer le travail d'Esther Benbassa, en lien avec Marie-Christine Chauvin.
Cette proposition de loi permet d'ouvrir un débat important. Nous partageons vos préoccupations pour valoriser le travail des éleveurs et améliorer le bien-être animal, mais nous ne voterons pas ce texte.
Je salue les efforts continus de nos agriculteurs pour adapter leurs méthodes de travail : toutes ces évolutions vont dans le bon sens et prennent en compte les attentes des consommateurs en matière sanitaire et de bien-être animal. Le mouvement est d'ailleurs européen.
L'agriculture française est l'une des plus durables au monde, mais elle doit aussi rester compétitive pour conquérir des marchés à l'international et contribuer à notre souveraineté et sécurité alimentaires. Aussi, ne faut-il pas raisonner sur le sujet à l'échelle franco-française.
Soyons cohérents et n'importons pas ce que nous ne nous autorisons pas à produire !
Lors du dernier budget, nous avons soutenu la modernisation des élevages et des abattoirs dans le cadre du plan de relance. N'oublions pas le bien-être des éleveurs dont le métier est difficile et exigeant. Il leur faut beaucoup de passion pour l'exercer. Qu'il leur soit rendu hommage dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)
M. Joël Labbé . - (Applaudissement sur les travées du GEST) Je tiens à saluer l'initiative d'Esther Benbassa : il est des débats nécessaires qui ne s'arrêteront pas à la discussion de ce soir. Le bien-être animal est un enjeu majeur : nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à souhaiter consommer de la viande de qualité, issue d'élevages respectueux du bien-être animal.
C'est aussi un enjeu environnemental et territorial. C'est enfin un enjeu pour les éleveurs qui ont du mal à trouver leur équilibre économique. Mais quid des éleveurs dits intégrés qui n'ont pas le choix ? Je pense à trois projets d'usines d'élevage dans le Morbihan avec un emploi à temps plein (ETP) pour 80 000 poulets... Comment accepter cela ?
Il nous faut agir collectivement pour donner aux éleveurs les moyens de la transition. Tel est l'objet de cette proposition de loi.
Nous devons également veiller à rester compétitif en travaillant au niveau européen mais aussi au niveau des traités internationaux, en imposant des clauses miroir ou en sortant les produits alimentaires des accords de libre-échange.
À l'échelle nationale, il faut valoriser les circuits courts d'abattage, les projets alimentaires territoriaux, la restauration collective. Hélas, le plan de relance est loin d'être suffisant en ce domaine.
Nous devons rémunérer les externalités positives des élevages respectueux de l'environnement, afin d'améliorer les revenus de nos agriculteurs.
Nous devons réussir la transition vers un élevage éthique, respectueux des éleveurs, des animaux et de l'environnement.
Nous parlons beaucoup de fractures dans notre pays ; elles existent aussi dans le monde agricole, entre ceux qui défendent la poursuite de l'industrialisation de l'agriculture et ceux qui pratiquent une agriculture paysanne respectueuse des climats, de la biodiversité, des animaux et des humains. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)
Mme Marie Evrard . - La proposition de loi vise un élevage éthique et soucieux du bien-être animal. La commission des affaires économiques l'a rejeté, en désaccord contre la méthode et la temporalité proposées. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions...
Dès son titre, ce texte jette le soupçon sur les éleveurs. En tant qu'agricultrice, je puis témoigner de l'attachement de la très grande majorité des éleveurs à leurs animaux. Ils font souvent passer le bien-être de ceux-ci avant le leur. On ne doit pas se servir de quelques cas particuliers de maltraitance pour discréditer toute une profession.
Le texte n'est qu'une suite de nouvelles interdictions et restrictions : condition d'élevage, durée du transport, élimination des poussins mâles et des canetons femelles en filière ponte. Il fait fi des efforts déjà réalisés en matière de bien-être animal et se limite à l'échelle nationale, alors que le cadre d'action devrait être européen. Il ne se préoccupe pas non plus de ses conséquences néfastes sur les agriculteurs.
Avec cette proposition de loi, c'est comme si le Gouvernement n'avait rien fait pour améliorer la condition animale. Or, des mesures ont déjà été prises comme les interdictions de la castration à vif des porcelets et, à terme, de l'élimination des poussins mâles. Les moyens prévus par le plan de relance pour moderniser les élevages et les abattoirs répond à l'article 4. J'ai pu mesurer des progrès ainsi financés dans l'Yonne.
Notre groupe s'abstiendra sur ce texte ; pour ma part, je voterai contre.
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains) Comment prendre la parole quand ce sera ici la seule parole d'un éleveur ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. - Je le suis aussi !
M. Laurent Duplomb. - C'est vrai, nous sommes deux. Comment parler de ma passion après ce qui a été dit ?
Il ne faut pas confondre le bien-être animal et la maltraitance animale - condamnable.
On ne peut pas se contenter de parler d'élevage sans rappeler les évolutions conduites depuis des années en faveur du bien-être animal.
Quand je me suis installé, mes bovins étaient attachés six mois de l'année. Ils sont désormais en stabulation libre, ventilés à 23° et brossés.
Les éleveurs s'interrogent sur l'éthique de notre société.
J'entendais récemment à la radio un animateur qui souhaitait acheter une urne funéraire d'occasion. Son vendeur, sur Leboncoin, lui explique qu'il s'agit en réalité de celle de sa belle-mère, dont il a vidé les cendres, sa femme l'ayant quitté (Rires sur diverses travées). Comment un éleveur peut-il comprendre cette dichotomie de la société ? Elle exige de lui de nouveaux efforts sans réagir à l'histoire que je viens de vous raconter. Quid du sens de l'humain ?
Bien sûr, nous pouvons ouvrir le débat sur l'intégration, sur l'élevage intensif, mais on ne peut continuer à stigmatiser, à faire des amalgames, au risque de faire disparaître l'élevage dans notre pays, si important pour nos paysages et la vie de nos campagnes.
Notre élevage, que vous condamnez (On le conteste sur les travées du GEST), est majoritairement resté familial : il faut le défendre et le préserver.
Nous n'y arriverons pas en stigmatisant une profession qui mérite plutôt notre respect. Soyons fiers de nos éleveurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur divers bancs du groupe UC)
M. Arnaud Bazin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà longtemps que nous n'avons pas débattu de tels sujets éthiques, certainement depuis les articles de la loi EGalim sur les poules pondeuses et les vidéos dans les abattoirs - ce qui prouve tout l'allant du Gouvernement sur ce sujet puisque seuls quatre abattoirs sont dotés de tels systèmes vidéos, sur les dix prévus.
Il faut donc remercier le GEST d'avoir suscité ce débat, surtout que le Gouvernement ne semble pas pressé d'inscrire à notre ordre du jour la proposition de loi sur le bien-être animal, pourtant issue de sa propre majorité.
Qui pourrait être opposé à un élevage respectueux des animaux associé à une rémunération décente des éleveurs ? Il est convenu de parler du bien-être animal, mais il y a dans ce terme une grande hypocrisie qui me gêne, c'est un autre débat. Il faut surtout respecter les besoins fondamentaux des animaux que nous élevons pour les consommer ou consommer leurs produits - ce sera déjà bien.
On ne peut en rester aux « Y'a qu'à interdire » et « Faut qu'on subventionne l'adaptation », sans prendre en compte l'environnement européen et les conséquences économiques avec un double risque : une alimentation à deux vitesses, l'une pour bobos et l'autre pour prolos, et la ruine de beaucoup de nos éleveurs, sans bénéfice pour les animaux, mais avec des conséquences sérieuses pour nos territoires.
Ajoutons à cela une dissonance cognitive : le comportement du consommateur n'est pas toujours celui du citoyen qui répond à la question du sondeur. Les Français se disent prêts à payer 15 % plus cher leurs denrées alimentaires mais, dans les faits, au-delà de 7% à 8 % de surcoût, le consommateur ne suit pas. Le bien-être animal doit relever d'une démarche scientifique déclinée en critères compréhensibles.
Il faut aussi revoir nos accords commerciaux européens et internationaux pour éviter l'exportation de conditions d'élevage que nous n'accepterions plus chez nous. Sinon, les animaux seront maltraités, mais loin de chez nous : cachez cet élevage que je ne saurais voir... belle avancée pour les Tartuffe !
Un élevage éthique représente un progrès moral pour l'espèce humaine, ce qui suppose un grand travail d'éducation sur plusieurs générations.
Ce texte est d'appel. Le Gouvernement doit se saisir du sujet : éducation à l'alimentation, modification de l'alimentation, protection des éleveurs contre la concurrence déloyale, étourdissement préalable obligatoire des animaux, surveillance vétérinaire des abattoirs, mise en oeuvre de contrôles appropriés.
Cette proposition de loi nous invite à l'action. L'alimentation doit retrouver toute son importance et s'inscrire dans le nécessaire progrès moral de l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article premier
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant un état des lieux exhaustif de l'ensemble des démarches engagées en faveur du bien-être animal en France. Il dresse à la fois les actions mises en oeuvre dans le monde de l'élevage mais aussi celles impulsées ou portées par la société civile ou les entreprises. Ce panorama précis permettra aux pouvoirs publics mais également à l'ensemble des acteurs mobilisés sur cette question, de savoir réellement où la France se situe en matière de bien-être animal et en conséquence, les mesures à mettre en oeuvre pour accompagner et accélérer ce mouvement.
M. Franck Montaugé. - J'ai présenté mon amendement dans la discussion générale. Nous avons besoin d'un état des lieux et d'une étude comparée pour progresser efficacement et collectivement sur le sujet. On ne pourra progresser que si l'on part d'un constat partagé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le Gouvernement pourrait-il nous répondre ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. - Dans un souci de cohérence avec son rejet du texte, avis défavorable de la commission, même si la philosophie de l'amendement apparaît stimulante.
Les questions que vous posez sont essentielles, mais un rapport au Parlement n?est pas le meilleur vecteur pour y répondre. Il faut que le Gouvernement s'engage à réfléchir sur ces sujets et en présente un grand panorama.
M. Alain Griset, ministre délégué. - L'identification des pratiques en faveur du bien-être animal est menée par le Gouvernement. Le ministère de l'Agriculture travaille sur les alternatives aux pratiques douloureuses. La loi EGalim comporte des mesures de lutte contre la maltraitance animale.
Enfin, le plan de relance consacrera 100 millions d'euros au bien-être animal. Votre amendement est satisfait. (M. Franck Montaugé en doute) Retrait ou avis défavorable.
M. Joël Labbé. - Nous savons que le texte sera rejeté, mais cet amendement a sa raison d'être. Un tel rapport serait dans l'intérêt de tous, y compris des éleveurs.
S'il ne reste que cela du texte, ce sera toujours un progrès...
M. Arnaud Bazin. - L'article 69 de la loi EGalim prévoyait un rapport dans un délai de dix-huit mois sur la spectrométrie pour éviter le broyage des poussins et des canetons et sur les conditions de transport des animaux. Il ne nous a pas encore été remis...
M. Fabien Gay. - Nul besoin d'être agriculteur pour parler d'agriculture, monsieur Duplomb. Le groupe CRCE a ainsi un avis très tranché sur l'ISF, alors qu'aucun d'entre nous ne l'a jamais payé... (Sourires à gauche ; Mme Esther Benbassa applaudit.)
Ce rapport serait certes insuffisant. Beaucoup de propositions de loi ont été déposées sur ce sujet de société. Nous avons envie d'en débattre.
Ici, il n'y a pas eu de polémique sur la proposition de loi de LaREM à l'Assemblée nationale sur le bien-être animal. La seule polémique a été entretenue par le Gouvernement et la majorité qui ont prétendu dans un journal du dimanche que le Sénat bloquerait toute évolution... Le Sénat ne bloque rien ! Si vous voulez déposer ce texte, nous en débattrons.
M. Franck Montaugé. - Je ne retirerai pas mon amendement dont tous les groupes soutiennent l'esprit, même si la droite refuse le texte.
Votre réponse est surréaliste, monsieur le ministre. Faites-moi passer les éléments que vous évoquez : je ne suis pas certain qu'ils existent, ou de façon très partielle.
M. Daniel Salmon. - Ce rapport aurait été l'occasion de travailler sur une définition plus précise du bien-être animal. Je sais bien que les éleveurs ne maltraitent pas leurs animaux par plaisir. Mais un grand amour partagé entre 80 000 volailles, cela ne fait pas beaucoup d'amour par volaille...
Notre élevage industriel doit évoluer. On est toujours débordé par le moins-disant.
Il faut protéger nos élevages et trouver des moyens de lutter contre la concurrence déloyale. Ce rapport est un premier pas.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - On peut se faire plaisir en votant cet article, mais le texte ne sera pas adopté...
Mme Esther Benbassa. - Pourquoi ?
Mme Sophie Primas, présidente de la commission. - Nous n'avons pas déposé d'amendements de suppression des articles, par égard pour Mme Benbassa, mais ils seront tous rejetés. Mme le rapporteur est donc fondée à émettre un avis défavorable au nom de la cohérence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Duplomb. - Très bien.
M. Ronan Dantec. - Même si tous les articles sont rejetés, on peut tout de même voter l'article additionnel !
M. Guillaume Gontard. - On peut aussi s'arrêter de discuter tout de suite. (Applaudissements ironiques à droite) J'ai l'impression que le sujet ne vous intéresse pas. (On le conteste à droite.) Il faut donc respecter le travail réalisé. S'il ne reste que cette disposition, il restera au moins celle-ci. (M. Joël Labbé applaudit.)
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté, non plus que les articles 2 et 3.
ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article 4
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Guiol et Requier.
Avant l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En cas de confiscation du cheptel d'un agriculteur à l'issue d'un contrôle par les services vétérinaires de l'État, l'accompagnement social et psychologique relevant de la cellule de prévention pluridisciplinaires de la mutualité sociale agricole est automatiquement déclenché au bénéfice de l'agriculteur concerné, dans des conditions définies par décret.
M. Henri Cabanel. - Il faut tenir compte du bien-être des agriculteurs. L'amendement prévoit de déclencher automatiquement le dispositif d'accompagnement social et psychologique de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour les éleveurs dont le cheptel a été confisqué à la suite d'un contrôle.
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. - La confiscation du cheptel est très traumatisante.
Cette idée mérite d'être étudiée, comme le préconise le rapport Férat-Cabanel, notamment dans le plan d'action du Gouvernement et dans la convention d'objectifs de gestion avec la MSA.
Ce dispositif peut être mis en oeuvre dès demain, sans vote d'une loi. J'aimerais entendre le Gouvernement. Par cohérence, avis défavorable à l'amendement puisque nous appelons à rejeter le texte.
M. Alain Griset, ministre délégué. - L'accompagnement social et psychologique des éleveurs dont le cheptel est saisi est une nécessité. Les corps de contrôle doivent informer les agriculteurs sur les aides dont ils peuvent bénéficier et un référent départemental être identifié. Une loi n'est pas nécessaire, le Gouvernement se mobilise à travers le plan d'action. Avis défavorable.
L'amendement n°3 rectifié bis n'est pas adopté.
ARTICLE 4
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces aides visent également à mettre en oeuvre des mesures de soutien et d'accompagnement psychologiques pour les agriculteurs et les acteurs de l'abattage afin de leur apporter une écoute et leur proposer des mesures améliorant leur bien-être au travail.
M. Franck Montaugé. - Cet amendement prolonge les travaux de M. Cabanel et de Mme Férat qui font désormais référence.
Les opérateurs d'abattoir travaillent dans des conditions extrêmement difficiles : ils sont confrontés quotidiennement à la mort, ils la donnent ; ils évoluent dans un cadre qui, d'autres que moi l'ont dit, s'apparente à l'univers concentrationnaire. J'ai, comme beaucoup d'entre vous, visité des abattoirs. Je me rends compte de ce que cela représente. Un accompagnement spécifique doit leur être proposé.
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. - Toujours par cohérence, avis défavorable. Le lien établi entre bien-être animal et bien-être des éleveurs et des opérateurs d'abattoir est toutefois très juste. Le Gouvernement peut agir dès aujourd'hui sans une nouvelle loi.
M. Alain Griset, ministre délégué. - La prévention du mal-être et du risque suicidaire est un enjeu majeur de la politique de santé au travail.
Un plan d'action en matière d'accompagnement des agriculteurs sera prochainement présenté par le ministère de l'Agriculture.
Le plan de relance et de modernisation des abattoirs est aussi une opportunité pour améliorer à la fois les conditions de travail et la protection animale - les deux ambitions sont intimement liées.
Avis défavorable même si le Gouvernement rejoint les préoccupations exprimées.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Si cet article n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été supprimés.
Quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote ?
M. Yves Bouloux. - Le groupe Les Républicains suivra la rapporteure. Les éleveurs français sont les premiers soucieux du bien-être de leurs animaux. Les méfaits de certains ne doivent pas jeter l'opprobre sur toute la profession.
Toutes les filières ont engagé un effort d'amélioration des conditions d'élevage. L'interprofession porcine Inaporc a ainsi lancé le socle de base du porc, avec des exigences minimales en matière de lumière ou d'abreuvement.
De nombreux progrès ont été accomplis, sans recourir à la loi. Les élevages alternatifs représentent désormais 53 % des poules pondeuses, contre 19 % en 2008.
L'échelle européenne est la bonne pour prendre certaines décisions, notamment en matière de transport ou d'abattage.
Enfin, nous sommes soucieux du bien-être de nos agriculteurs, confrontés à un agri-bashing insupportable.
La grande majorité des membres du groupe Les Républicains votera contre le texte ; quelques-uns s'abstiendront.
Mme Esther Benbassa. - Je regrette que le Sénat se montre si éloigné des demandes de la population, des jeunes, des consommateurs.
Ce texte est pionnier mais la France est en retard par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne. M. Labbé, M. Salmon et moi-même avons fait un travail en phase avec la société. Ces questions se poseront de plus en plus à l'avenir.
En refusant ce texte, avez-vous eu peur du débat ? Notre assemblée aurait dû ouvrir la voie pour l'avenir, au lieu de rester enfermée dans le conservatisme. D'autant que notre texte se montrait également soucieux du bien-être des agriculteurs et des consommateurs !
M. Daniel Salmon. - Je partage le regret de ma collègue. Nous manquons une occasion de faire évoluer notre système agro-industriel.
Notre texte était équilibré et nuancé, à mille lieues de l'agri-bashing.
C'est vous qui préférez l'amalgame au débat ! Avec un horizon fixé à 2040, nous nous donnions du temps. En refusant de faire évoluer notre modèle d'élevage, chers collègues, vous le condamnez car il ne pourra pas se défendre contre la viande de synthèse. Quelle est la qualité gustative du poulet de six semaines, de cette viande spaghetti, qui s'effiloche, comme on en trouve aux États-Unis ? À force de produire de la viande sans muscles, autant élever directement des cellules, en laboratoire ! Si nous n'évoluons pas, l'élevage français mourra.
M. Guillaume Gontard. - Je m'étonne d'entendre parler de stigmatisation, d'amalgame, d'agri-bashing... Mais avez-vous lu notre texte ? (Mme la présidente de la commission s'insurge.) Nous connaissons tous les difficultés des petits élevages de plein air, qui peinent à survivre.
Monsieur Duplomb, c'est cette production locale que notre texte promeut : pas l'élevage industriel qui n'est pas créateur d'emploi, qui n'a pas d'impact local, mais la production locale dont les paysans sont fiers, et que les consommateurs recherchent !
Je ne comprends pas que nos collègues ne l'aient pas compris.
Les petits élevages en plein air sont les plus résilients envers les maladies comme la grippe porcine ou la H1N1 - or on axe les mesures sanitaires sur l'agriculture industrielle !
Défendons l'élevage de proximité, c'est ce que tout le monde attend ! Je regrette donc votre vote dogmatique. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Arnaud Bazin. - L'objectif, nous le partageons tous : un élevage respectueux des animaux et qui assure un revenu décent aux agriculteurs. Simplement, la commission a démontré que cette proposition de loi n'est pas opérationnelle. La question est complexe.
Mme Esther Benbassa. - Tout est complexe !
M. Arnaud Bazin. - Il faut prendre en compte l'échelon européen, le temps long nécessaire à l'évolution des comportements alimentaires. Ce n'est pas en quatre articles que la question sera réglée ; cela suppose un projet ambitieux, porté par le Gouvernement, assorti de moyens.
Nous ne sommes pas dogmatiques mais pragmatiques. Cette proposition de loi ne fonctionne pas (Mme Esther Benbassa le conteste) mais l'objectif doit être poursuivi avec acharnement et détermination ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Fabien Gay. - On reproche souvent aux écologistes de prôner une écologie radicale, punitive ; ce n'est pas mon cas. On ne réussira pas la transition agro-écologique sans les agriculteurs ni contre eux. On leur a imposé un modèle hyper-productiviste qui ne leur garantit pas un revenu décent. L'article premier interdit l'élevage intensif - à l'horizon 2040 ! Quelle serait la bonne perspective, pour vous ?
Mme Esther Benbassa. - Un siècle !
M. Fabien Gay. - L'article 4 propose un fonds d'accompagnement des agriculteurs : ce n'est ni radical, ni punitif !
Nos collègues disent partager l'objectif, tout en votant contre. C'est tout le problème des propositions de loi déposées par les groupes d'opposition.
Le débat commence alors que la société a déjà évolué sur ces questions. Il va se poursuivre. Le rapport à la nature, aux animaux change et pas seulement en matière d'alimentation. Voyez par exemple notre rapport aux animaux dans les cirques, aux animaux de compagnie. (Mouvements sur les travées du groupe Les Républicains)
Ce débat de société plus large se poursuivra. En attendant, monsieur le ministre, nous attendons la proposition de loi En Marche ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Laurent Duplomb. - L'article premier de ce texte n'est tout simplement pas applicable.
Mme Esther Benbassa. - Pourquoi ?
M. Laurent Duplomb. - Sortir tous les porcs en plein air supposerait de mobiliser la surface d'un département. L'élevage de porcs en plein air, c'est le labourage complet de de la parcelle, c'est l'érosion à chaque orage, c'est la disparition totale de la surface de terre ! Ce n'est pas du dogmatisme, c'est la réalité. Si l'on pose une telle obligation, il n'y aura plus de porcs élevés en France, sinon pour une minorité de consommateurs fortunés : nous mangerons du porc élevé à l'étranger, selon des méthodes bien pires ! (M. Daniel Salmon s'exclame.)
M. Fabien Gay. - C'est pourquoi il faut refuser le Ceta et le Mercosur !
M. Laurent Duplomb. - Quand je fais pâturer mes vaches laitières, je distingue deux catégories, début de lactation et fin de lactation : donc 50 vaches sortent, 25 restent dedans, remplacées au fur et à mesure qu'elles sortent. Votre texte l'empêcherait ! (On le conteste sur les travées du GEST) C'est pourtant bien ce qui est écrit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Sollogoub. - Les éleveurs de la Nièvre tentent de survivre en exportant leurs broutards en Italie, je leur briserais le moral en votant cette proposition de loi...
Je m'étonne en outre que ce texte n'aborde pas la question majeure de l'abattage des bêtes sans étourdissement. Parler de bien-être animal sans évoquer ce sujet, c'est énorme ! (Mme Esther Benbassa proteste.)
M. Franck Montaugé. - À l'ère de l'Anthropocène, toutes les filières économiques, toutes les populations, sur toute la terre, sont contraintes d'évoluer. Ce texte contient des propositions, des orientations.
L'agriculture n'est pas le problème ; elle est la solution, à condition d'être accompagnée dans l'évolution de certaines de ses pratiques.
Mais je ne suis pas sûre que l'action du Gouvernement soit à la hauteur des enjeux et de l'urgence.
Nos éleveurs souffrent ; leur horizon c'est la semaine, le mois prochain. Il faut aller beaucoup plus fort que nous ne le faisons.
M. Guy Benarroche. - Nous sommes tous d'accord sur le constat, à une variante près : les mesures en faveur de l'élevage éthique, c'est maintenant qu'il faut les prendre ! Ce ne sont pas les amalgames qui ont mis l'élevage dans la situation qu'il connaît, mais les modes d'élevage imposés aux éleveurs par notre modèle de société.
Cette loi n'est qu'un premier pas, certes. Mais pourquoi n'avez-vous pas tenté de l'amender, au lieu de la rejeter ? Je regrette que vous ayez refusé l'obstacle, plutôt que d'avancer ensemble pour sauver l'élevage français. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Olivier Rietmann. - Les désaccords sont plus profonds que vous ne le dites. Cela fait plus de trente ans que les agriculteurs modifient leurs pratiques. Ils n'ont pas attendu la loi pour se lever à deux heures du matin afin d'aider une vache à vêler !
Toutes les études montrent que le stress des animaux est maximal au chargement et au déchargement. J'ai participé à ces études. Après 45 minutes de transport, les animaux retrouvent un pouls normal. L'enjeu, ce n'est pas la durée du transport mais la formation des bouviers et des chauffeurs ainsi que les conditions de transport.
Je ne peux pas voter cette loi, parce qu'elle contient des contrevérités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission - Merci à la rapporteure pour son travail. Monsieur Gontard, vos propos sont désobligeants : nous ne découvrons pas ce texte. Nous l'avons travaillé en commission, Mme Benbassa a travaillé avec Mme Chauvin.
Nous avons des désaccords sur le fond. Pour des raisons pratiques et non idéologiques, nous pensons qu'il faut le rejeter. Les dispositifs proposés ne sont pas conformes à la situation de l'agriculture européenne ; sur le sexage des poussins et des canetons, par exemple, des solutions plus respectueuses émergent.
Il y a donc des désaccords ; entendez-les, et ne nous reprochez pas de ne pas travailler ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
A la demande du GEST, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°126 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 252 |
Pour l'adoption | 33 |
Contre | 219 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés, je constate qu'il n'y a plus de texte. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Prochaine séance, demain, jeudi 27 mai 2021 à 10 h 30.
La séance est levée à 20 h 15.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 27 mai 2021
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
Présidence :
Mme Laurence Rossignol, vice-présidente Secrétaires : Mme Martine Filleul Mme Corinne Imbert
1. Proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises (n°311, 2020-2021)
2. Proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles (n°426, 2020-2021)
De 16 heures à 20 heures
Présidence :
M. Roger Karoutchi, vice-président
3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs (texte de la commission, n°611, 2020-2021)
4. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques (texte de la commission, n°613, 2019-2020)
À la suite de l'espace réservé au groupe RDPI et, éventuellement, le soir
Présidence :
M. Vincent Delahaye, vice-président
5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (procédure accélérée) (texte de la commission, n°622, 2020?2021)