Solidarité face à la crise
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi d'urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise, à la demande du GEST.
Discussion générale
Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la proposition de loi . - Cette proposition de loi comprend une mesure immédiate de lutte contre l'aggravation de la pauvreté du fait de la crise sanitaire.
Le constat est sans appel. Selon le collectif d'associations Alerte, un million de personnes ont basculé dans la pauvreté en 2020 et plusieurs centaines de milliers dans la grande pauvreté, s'ajoutant aux plus de neuf millions d'avant la crise.
Avant que l'Insee ne mesure le recul du niveau de vie des plus précaires, ces acteurs sociaux nous ont alertés : explosion du recours à l'aide alimentaire, arrivée massive de nouveaux publics comme les jeunes et les indépendants, hausse des demandes de revenu de solidarité active (RSA) et d'aide personnalisée au logement (APL).
Le creusement des inégalités, aggravé par la crise, trouve sa source dans les mesures fiscales et de dérégulation que nous avons dénoncées en leur temps. Il faut renouer avec le progrès social.
Ces ménages ne sont pas suffisamment soutenus par le Gouvernement : ils ne peuvent plus faire face à leurs besoins fondamentaux, voire vitaux. C'est pourquoi nous proposons d'adopter sans attendre une aide d'urgence forfaitaire mensuelle automatisable se fondant sur l'APL.
Dans le même temps, le patrimoine des plus riches s'accroissait alors que les ménages les plus pauvres voyaient leurs revenus diminuer. Les 20 % les plus pauvres ont désépargné ou se sont endettés pour 2 milliards d'euros supplémentaires, pour le seul premier confinement.
Parallèlement, 70 % de l'épargne supplémentaire est le fait des 20 % les plus riches.
La Fondation Abbé Pierre, qui a étudié les conséquences de la crise financière de 2008, nous enseigne qu'en cas de baisse des ressources, les ménages pauvres privilégient le loyer et rationnent leurs autres dépenses, notamment alimentaires et de soins, avec un reste à vivre autour de 9 euros par jour. Les impayés de loyer apparaissent quand la baisse de ressources perdure et que l'épargne est réduite à néant.
Le public allocataire de l'APL vit à 40 % sous le seuil de pauvreté. Quelque 50 % d'entre eux appartiennent aux 20 % des ménages les plus modestes. Ce sont eux que nous visons par cette mesure.
Depuis 2017, l'APL a perdu de son pouvoir d'achat. Cette prestation a le plus fort impact social et redistributif, réduisant de près de 8 points l'intensité de la pauvreté : c'est pourquoi nous l'avons choisie comme support de notre aide de 100 euros par mois, jusqu'à trois mois après la fin de l'état d'urgence.
La compensation financière de cette mesure serait constituée du décalage d'un an de la réforme de la taxe d'habitation pour les plus aisés, qui ont constitué une épargne d'un niveau inégalé pendant la crise. Le gain de pouvoir d'achat, à terme, de cette réforme sera de 18 milliards d'euros, concentrés à 45 % sur les 20 % des ménages les plus aisés. Ce cadeau fiscal, dont les conséquences sur le budget de l'État sont les mêmes qu'une dépense, a été justifié par un principe d'égalité désincarné : il est en réalité inéquitable. Il ne s'agit cependant ici que de le décaler d'un an pour protéger les plus vulnérables en laissant à l'État davantage de marge de manoeuvre. Tel est l'objet de l'article 2.
L'accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine reste incompatible avec la lutte contre la pauvreté. L'urgence sociale nous invite à prendre des mesures immédiates, justes et solidaires : votons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST. M. Joël Bigot applaudit également.)
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances . - Cette proposition de loi comprend deux articles, dont le second est la compensation financière du premier.
L'article premier prévoit le versement d'une aide de 100 euros par mois jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire. Rattachée aux APL, elle est cependant de nature très différente car elle ne tient pas compte des revenus, du patrimoine, du montant du loyer ou de la composition du ménage. Il s'agit donc d'une aide sociale générale, forfaitaire, sans véritable lien avec les dépenses de logement et à l'effet de seuil considérable. Son coût serait de 660 millions d'euros par mois pour 6,6 millions de bénéficiaires, soit 2 milliards d'euros pour trois mois, à comparer aux 17 milliards d'euros d'aides au logement en 2020, dont 13,9 milliards d'euros à la charge de l'État. Cette somme est gagée sur le report de la réforme de la taxe d'habitation.
Si le souhait d'aider les ménages modestes est légitime, cette aide me semble mal adaptée à la diversité de leurs situations. La commission des finances n'a donc pas adopté cet article.
L'article 2 modifie la trajectoire de la réforme de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Il s'agit de financer la mesure de l'article premier. Pour mémoire, en loi de finances initiale pour 2018, le Parlement a adopté un dégrèvement de la taxe d'habitation pour les 80 % des ménages les moins aisés. Ce dégrèvement devrait être total en 2023, en étant transformé en exonération et en prévoyant une exonération progressive pour les 20 % des ménages les plus aisés.
En 2021, le produit de la taxe d'habitation sera reversé à l'État. Les collectivités territoriales bénéficieront de ressources de substitution - part départementale de la taxe foncière ou fraction de TVA.
La commission des finances a critiqué cette réforme en soulignant que son impact sur les collectivités territoriales n'était pas suffisamment évalué : elle a donc voté un décalage d'un an du mécanisme de substitution au bénéfice des collectivités territoriales. Jamais, en revanche, nous n'avons critiqué le principe de la réforme qui s'impose pour des raisons constitutionnelles.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit que l'exonération de la taxe d'habitation soit limitée à 30 % en 2022, à 65 % en 2023 et à 100 % qu'en 2024. Cela n'a pas d'incidence sur les collectivités territoriales car le nouveau schéma est déjà en vigueur. Ne refaisons pas ici le match ; ce n'est pas l'objet de cette proposition de loi.
Cet article générerait une recette supplémentaire pour l'État de 2,6 milliards d'euros en 2022. Mais il ne se justifie pas dès lors que nous avons refusé d'adopter l'article premier.
En outre, le terme de « ménages aisés » est-il adéquat ? Pas toujours. Être dans les 20 % de ménages qui paient encore la taxe d'habitation ne signifie pas que l'on est riche car les seuils retenus sont faibles. Par exemple, un couple sans enfant avec chacun 1 749 euros par mois fait partie de ces ménages aisés ; ce sont 2 256 euros chacun pour un couple avec deux enfants. Il ne s'agit pourtant aucunement de privilégiés !
Ce décalage serait un mauvais signal pour la relance, mais aussi pour la prévisibilité de la loi fiscale.
La commission des finances vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable . - Cette proposition de loi part de différents constats sur lesquels nous nous entendons. Oui, la crise sanitaire a aggravé les inégalités. Elle affecte plus durement les ménages du bas de l'échelle des revenus, compte tenu des secteurs d'emplois - restauration et transports par exemple -, des types de contrats, du moindre recours au télétravail ou des dépenses supplémentaires engendrées par la fermeture des cantines scolaires.
Fort heureusement, le Gouvernement n'a pas attendu pour dresser ce constat et s'attaquer au problème. Quelque deux tiers des aides aux ménages se sont adressés aux 20 % des ménages les moins riches.
La réponse devait être rapide, juste et solidaire : nous l'appliquons. Mais nous divergeons clairement sur la nature des moyens mobilisés. Vous proposez une aide de 100 euros par mois. Cette solution comporte plusieurs limites, déjà ébauchées par le rapporteur.
D'abord, son montant n'est pas nécessairement adapté à la configuration familiale. En outre, l'aide ne concerne pas les bénéficiaires du RSA. Les effets de seuils seraient également délétères. Enfin, le coût serait supérieur à 1,8 milliard d'euros pour trois mois.
Pour financer la mesure, la réforme de la taxe d'habitation serait décalée d'un an pour les 20 % des ménages les plus aisés, or elle a été prévue par la loi de finances initiale pour 2020 à la demande du Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État a estimé qu'un tel impôt méconnaissait le principe d'égalité devant les charges publiques s'il était pérenne. Un tel décalage pourrait être perçu comme un renoncement à la réforme et présenterait un fort risque d'inconstitutionnalité.
Le Gouvernement ne peut soutenir cette proposition de loi. Il a cependant bien l'intention de poursuivre par d'autres moyens sa lutte contre la pauvreté : activité partielle, fonds de solidarité, indemnités journalières, aide exceptionnelle de 150 euros pour les bénéficiaires du RSA et de 100 euros supplémentaires par enfant également pour les bénéficiaires d'aides au logement, aide de 200 euros à 800 000 jeunes précaires, augmentation de 100 euros de l'allocation de rentrée scolaire, aide aux étudiants boursiers. L'investissement dans la cohésion sociale est un pilier de la relance.
Je suis chaque jour en contact avec les associations de lutte contre la pauvreté. Le mois dernier, 100 millions d'euros ont été déployés pour financer 33 projets nationaux et 576 projets régionaux.
Cette mobilisation est exceptionnelle autant que légitime ; nous la poursuivrons.
M. Teva Rohfritsch . - Notre rapporteur a fait référence aux propos de Benoît Coeuré, chargé du suivi et de l'évaluation de la relance, devant notre commission des finances.
Contre vents et marées, le pouvoir d'achat est resté stable en 2020 grâce aux mesures de soutien mises en place par le Gouvernement - même s'il faut manier les grands agrégats avec précaution. Le choc de la crise a été absorbé à 65 % par les administrations publiques, à 31 % par les entreprises et à 4 % par les ménages.
L'emploi n'a reculé que de 1,6 % grâce au dispositif d'activité partielle.
La crise a touché plus durement les plus précaires. Ce constat nous rassemble. Cependant, tenons compte de ce qui a déjà été fait.
Les différents groupes ont relevé en commission des finances les écueils de ce texte. Le dispositif de l'article premier est insuffisamment ciblé et souffre de nombreux effets de seuil. L'article 2 va à contre-courant du vote du Parlement sur la taxe d'habitation, à rebours de l'engagement du Gouvernement de ne pas alourdir la charge fiscale pendant la crise.
La mission solidarité a bénéficié en 2021 de 6 milliards d'euros supplémentaires pour verser diverses aides exceptionnelles pour les bénéficiaires du RSA ou encore les étudiants.
Vous pouvez compter sur notre groupe pour soutenir les plus précaires, mais par souci de cohérence avec la politique gouvernementale et pour toutes les raisons déjà évoquées, nous nous opposerons à ce texte.
M. Christian Bilhac . - Cette proposition de loi cherche à répondre aux conséquences de la crise sanitaire en créant une mesure de soutien exceptionnelle de 100 euros par mois pour les bénéficiaires des aides au logement dès promulgation et pendant trois mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire. Elle serait financée par un décalage d'un an de la réforme de la taxe d'habitation.
La suppression de la taxe d'habitation constitue une erreur financière et démocratique, mais il ne me semble pas judicieux d'y revenir.
Ce texte représente une réponse politique à la baisse de 5 euros des APL. Le groupe RDSE partage l'objectif d'aider les plus modestes, mais l'outil choisi ne nous semble pas adapté.
Une étude de l'Insee de 2016 révélait de fortes inégalités entre les Français, les 10 % les plus aisés touchant 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres, après impôts et prestations sociales. Quelque 9,3 millions de personnes étaient sous le seuil de pauvreté, rejointes en 2020 par un million de personnes supplémentaires.
Comme la commission des finances, je m'interroge sur de nombreux aspects du texte. Il ne garantit nullement que cette mesure qui coûterait 7 milliards d'euros soit utile à la lutte contre les inégalités. Pire, elle s'accompagnerait d'effets de seuils considérables.
Le groupe RDSE, dans sa majorité, ne votera pas la proposition de loi.
M. Éric Bocquet . - Dans un récent rapport, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que « notamment en raison des minima sociaux, les bénéficiaires d'aides au logement pauvres sont aussi pauvres que l'ensemble des personnes pauvres ». Si la tournure de phrase peut paraître déconcertante, elle souligne le niveau de précarité des allocataires d'APL.
La proposition de loi, qui s'appuie sur cette aide, est louable mais insuffisante. Pourquoi une telle restriction des bénéficiaires ?
Cette aide serait inférieure à celle versée exceptionnellement par le Gouvernement. La mesure ne remédierait pas à la précarité d'ampleur qui touche les Français. En outre, elle manque en partie sa cible. Sur les 2,9 millions d'allocataires des APL, seulement 15 % ont moins de 29 ans et seulement 5 % sont étudiants. Il n'y a rien non plus pour les femmes et hommes en proie à la grande précarité.
Le groupe CRCE a proposé de revaloriser les bourses et les minima sociaux, d'élargir le RSA au moins de 25 ans. Quant au logement, nous avons fait adopter, dans cet hémicycle, une proposition de loi pour revenir sur le délai de carence et revaloriser les APL.
Nous voterons l'article premier tout en nous opposant à l'article 2 qui prévoit le simple décalage d'un an de la réforme de la taxe d'habitation, ce qui ne constitue ni une réponse à la crise, ni une mesure de justice sociale. Nous nous sommes opposés à cette réforme favorable aux plus aisés. L'exemple de Maubeuge est parlant : pour les plus aisés qui paient la taxe d'habitation, c'est plus d'un SMIC d'économies par an, alors que la charge retombe sur les plus modestes via la TVA.
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La pandémie a provoqué des mutations économiques, sociales et financières et un accroissement des inégalités auquel la proposition de loi veut remédier. Mais la réponse à ce constat partagé n'est pas adéquate.
L'article premier prévoit le versement aux bénéficiaires d'APL d'une aide de 100 euros par mois pendant trois mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire, sans prendre en compte la situation du ménage. Cela risque de créer un effet de seuil dommageable et de renforcer le caractère inégalitaire des APL, dénoncé par la Cour des comptes.
Cette mesure coûterait 660 millions d'euros par mois aux finances publiques, soit près de 2 milliards d'euros pour trois mois, sur un total de 17 milliards d'euros pour les APL en 2020. Vu les effets escomptés, rien ne justifie un tel effort !
L'article 2 reporte d'un an la réforme de la taxe d'habitation, ce qui générerait 2,6 milliards d'euros pour l'État. On s'attaque à une réforme déjà engagée et l'on abîme la prévisibilité de la loi fiscale.
Je rappelle enfin que les 20 % de ménages concernés par la réforme de la taxe d'habitation appartiennent majoritairement à la classe moyenne. Évitons de nuire à leur pouvoir d'achat et à l'efficacité de la relance.
Le rapporteur l'a bien expliqué : cette proposition de loi apporte une réponse inadaptée à une question parfaitement légitime. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Claude Raynal . - Merci au GEST de nous permettre de débattre des conséquences sociales de la pandémie.
La proposition est raisonnable, tant en termes de coût que de durée d'application.
Le Gouvernement s'est volontairement privé de ressources, ce que l'on peut admettre en période de croissance, mais en 2020, la chute du PIB a été de 8,2 %, sans précédent depuis la dernière guerre !
L'article 2 est pleinement justifié. Je le trouve même modéré. Nulle baisse d'impôt n'a de sens tant que nous n'avons pas retrouvé notre niveau de PIB. Quelque 6,5 milliards d'euros seront distribués à des ménages qui ont thésaurisé pendant la crise et bénéficié de la flat tax, de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou de la taxe sur les dividendes.
Le Gouvernement se prive aussi de 10 milliards d'euros d'impôts de production en réponse à une demande aussi vieille qu'injustifiée. Au total, ce sont donc 16,5 milliards d'euros par an dont nous sommes privés. Encore ne parlerai-je pas, par charité, d'un candidat qui souhaite porter cette baisse à 33 milliards d'euros. Parallèlement, on ne jure plus que par la baisse de la dépense publique au nom de la stabilisation de la dette. Cela ne manque pas de sel !
M. Michel Canévet. - Si !
M. Claude Raynal. - Vous refusez d'intégrer la pandémie dans notre logiciel.
Ni la suppression de la taxe d'habitation pour les plus aisés ni la diminution des impôts de production n'étaient au programme du candidat Macron ; ne dites donc pas que vous tenez vos promesses en la matière.
En période de crise, il existe d'autres priorités. Le déficit à financer pour 2020 s'élève à 206 milliards d'euros. Pour atteindre 3 % de déficit public pour 2027, il faudrait réaliser 65 milliards d'euros d'économies.
Vous n'avez encore annoncé aucune mesure, mais j'ai ma petite idée. En période de crise, l'État providence doit jouer son rôle à plein. Cela passe notamment par la revalorisation des APL le temps de la crise sanitaire, comme le propose le GEST.
Au Sénat, les groupes de gauche ont proposé diverses mesures de soutien en faveur des Français les plus en difficulté. Le CRCE a déposé plusieurs textes ; le groupe SER, par l'intermédiaire de Rémi Cardon, a déposé une proposition de loi créant une dotation d'autonomie pour les 18-25 ans. Les élus de la majorité gouvernementale proposent désormais un revenu d'urgence pour les jeunes. Encore un effort, on y est presque !
Le présent texte apporte une réponse utile ; sans surprise mais avec conviction, nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - « Ce ne sont pas les faits en eux-mêmes qui frappent l'imagination populaire, mais bien la façon dont ils sont répartis et présentés. Il faut que par leur condensation, si je puis m'exprimer ainsi, ils produisent une image saisissante qui remplisse et obsède l'esprit. Qui connaît l'art d'impressionner l'imagination des foules connaît aussi l'art de les gouverner. » Depuis Gustave Le Bon, on sait qu'un mensonge répété de nombreuses fois finit par devenir réalité.
N'en déplaise à Oxfam et compagnie, la France est très loin d'être un parangon d'inégalités.
En 2019, notre coefficient de Gini - cet indicateur compris entre 0 et 1 qui mesure les inégalités - était de 0,29 : beaucoup plus proche de 0 que de 1 et inférieur à la moyenne de l'OCDE. Notre rapport interdécile - le rapport entre les revenus des 10 % les moins riches et des 10 % les plus riches - était de 1 à 7 avant la crise, contre 10 au Royaume-Uni et 19 aux États-Unis.
La France est un pays...
Mme Sophie Taillé-Polian. - ...où tout va bien ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - ...qui ne laisse pas les inégalités se creuser : avec une dépense publique à 60 % du PIB, elle est celui où les transferts de richesses sont les plus importants ! (On le confirme à droite.)
Des mesures exceptionnelles ont été prises avec la pandémie : prolongation des indemnités des chômeurs en fin de droits, augmentation bienvenue des salaires des soignants, baisse des impôts aux entreprises...
L'urgence est maintenant d'inventer de nouveaux modèles économiques pour créer de l'emploi et rembourser la dette astronomique accumulée.
Le groupe INDEP votera contre la proposition de loi.
Mme Sophie Taillé-Polian . - (Mme Esther Benbassa applaudit.) Je viens vous parler de 20 % des Français ; les plus pauvres, ceux qui ont désépargné ou se sont endettés pendant la crise à hauteur de 2 milliards d'euros - pas les 10 % les plus riches qui ont accumulé 25 milliards d'euros en plus.
Ceux qui alimentent les files d'attente devant l'aide alimentaire - que Mme Paoli-Gagin n'a-peut-être pas vus, mais qui existent. Ce sont des jeunes, des familles monoparentales, des travailleurs précaires.
Je sais bien que le Gouvernement va dire qu'il fait beaucoup, qu'il y a le chômage partiel... Mais celui-ci ne protège que 80 % des salariés, dont 20 % sont précaires, et les aides d'urgence ne pèsent que 1 % du plan de relance ! À côté de cela, on annonce encore 7 milliards d'euros supplémentaires d'aides aux entreprises.
Je vous parle de ceux qui ont remis à plus tard non pas leurs sorties, leurs voyages, mais leur rendez-vous chez le médecin.
Certes, ce texte n'est pas le grand soir ; ce n'est pas la taxe sur les dividendes ou l'ISF vert - nous les proposerons, faites-nous confiance... (Murmures désapprobateurs à droite)
Mais c'est un appel par lequel nous vous exhortons, madame la ministre, (Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État, proteste) à faire quelque chose de concret, d'opérationnel, d'efficace, pour aider ces 20 % de Français les plus pauvres.
Le Gouvernement, au contraire, propose de les faire payer, à travers la réforme de l'assurance chômage.
Cessez de mépriser les plus pauvres dans vos discours et vos actes : protégez les plus pauvres autant que les entreprises et les salariés en CDI.
Pour ce faire, nous vous exhortons à adopter cette proposition de loi.
On parle beaucoup des entreprises zombi, mais n'oublions pas les ménages zombi : ceux pour qui toute vie sociale s'arrête, faute d'assurance sur le lendemain... (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie nos collègues du GEST pour cette initiative. Je salue le travail et la pédagogie du rapporteur Charles Guené.
Personnes seules, retraités, étudiants : ces catégories et d'autres vivent des situations particulièrement difficiles.
Le nombre de pauvres a augmenté d'un million pendant la crise sanitaire. Ils rejoignent les neuf millions déjà sous le seuil de pauvreté.
Les bénévoles qui oeuvrent dans les associations sociales, humanitaires, caritatives le confirment. L'évolution du RSA en témoigne également, ainsi que celle des aides sociales délivrées par les centres communaux d'action sociale (CCAS).
Comme l'a rappelé le rapporteur, les APL ont un coût de 17 milliards d'euros en 2020.
Le complément de 100 euros prévu à l'article premier est coûteux : 600 millions d'euros par mois. Ce n'est pas proportionné aux besoins et mal relié aux conséquences de la crise sanitaire.
Quant au report de l'exonération de la taxe d'habitation prévu à l'article 2, il n'est pas souhaitable, car beaucoup de ménages présentés à tort comme aisés attendent cette mesure dont la mise en oeuvre est déjà longue. Il serait par ailleurs inconstitutionnel, créant une inégalité devant les charges publiques.
Le groupe Les Républicains ne soutient donc pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme Isabelle Briquet . - La précarité s'est aggravée avec la crise sanitaire et risque de s'aggraver encore. La réponse proposée par le GEST est ciblée sur le logement. Il est vrai que depuis 2017, le logement est une politique sacrifiée, considérée comme une variable d'ajustement - même pendant la crise.
Les récentes annonces du Premier ministre vont dans le bon sens, mais nous attendons une politique du logement plus ambitieuse. Une hausse de 100 euros des APL soutiendrait plus de 6 millions de foyers, soit 13 millions de nos compatriotes.
Cette réponse d'urgence est perfectible, mais il s'agit d'une proposition amendable et, de toute façon, d'un dispositif temporaire qui permettra des mesures adaptées aux diverses situations.
Le financement proposé par le report d'un an de la suppression de la taxe d'habitation est solidaire et rejoint une proposition que notre groupe avait faite à l'occasion de l'examen du budget pour 2021, malheureusement repoussée par le Gouvernement. Aujourd'hui, il est plus que jamais nécessaire d'allier justice fiscale et justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°125 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 92 |
Contre | 251 |
Le Sénat n'a pas adopté.
ARTICLE 2
Mme Raymonde Poncet Monge . - Nous retirons le texte ; non parce qu'il serait inopportun de prendre 5 milliards d'euros aux 20% des ménages les plus riches, mais parce que c'est l'articulation entre les deux articles qui avait du sens.
Mme la présidente. - Acte est donné du retrait de cette proposition de loi de l'ordre du jour de l'espace réservé au GEST.
La séance est suspendue quelques instants.