Réponse européenne à la pandémie de Covid-19
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la réponse européenne à la pandémie de Covid-19, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des affaires européennes . - Plus d'un an après son déclenchement, le monde se bat toujours contre l'épidémie. Depuis décembre 2019, le coronavirus a frappé 150 millions de personnes et fait 30 millions de morts, dont un tiers d'Européens.
La principale prophylaxie étant de restreindre les contacts, la première réponse a consisté en des restrictions qui ont eu des conséquences de tous ordres : sur l'État de droit, sur les modes de vie, sur les économies.
La présidence croate du Conseil, dès janvier 2020, a activé le mécanisme intégré de gestion de crise, avant une première réponse coordonnée le 6 mars. La commission des affaires européennes du Sénat a souhaité en débattre.
La crise fonctionne comme un révélateur ou un accélérateur des transformations de l'Union européenne. Elle révèle d'abord la dépendance de l'Europe, avec la pénurie de médicaments et de matériel médical, puis l'incapacité à produire seule des vaccins. Elle montre aussi la nécessité d'une résilience et d'une autonomie stratégique. Certains s'inquiètent d'un protectionnisme déguisé ou d'un découplement avec l'OTAN, mais ces impératifs de souveraineté économique figurent désormais dans les conclusions du Conseil européen et les propositions de la Commission.
Ce ne sont pas seulement des mots : en décembre, la Commission européenne a adopté différents textes sur la régulation des marchés et les services numériques. De même, une ambition industrielle plus large se dessine dans quatorze écosystèmes ciblés.
Il faut remédier aux dépendances stratégiques en relocalisant certaines productions ou, à défaut, en sécurisant et en diversifiant les approvisionnements.
Un mécanisme pour éviter les pénuries de produits critiques est annoncé et le rôle des projets importants d'intérêt européen commun (Piiec) sera réaffirmé, y compris au bénéfice du spatial.
En matière de politique commerciale, la communication de la Commission début mars insistait sur une « autonomie stratégique ouverte » de l'Union pour défendre ses intérêts commerciaux tout en développant des partenariats. Nous y serons attentifs.
Deuxième progrès, une solidarité européenne accrue. Certes, nous avons pu constater, au début, des fermetures unilatérales de frontières, mais la solidarité s'est ensuite manifestée, dans l'entraide des soignants, les transferts de malades, les commandes groupées de vaccins. Le dispositif européen de financement du chômage partiel, SURE, a évité aux Européens de subir de plein fouet les conséquences du choc économique lié à la pandémie : la baisse du PIB a été de 6,5 % en 2020. L'accord politique obtenu en juillet sur un plan de relance assis sur un emprunt commun d'envergure aurait encore été inimaginable quelques mois auparavant.
Troisième révélation, l'Union a montré sa force de frappe en négociant presque aussi vite que les États-Unis pour acheter deux milliards de vaccins. Elle a accéléré les processus d'évaluation des vaccins et prévoit de se doter d'une agence de recherche biomédicale ; elle propose maintenant un certificat vert de libre circulation sur le territoire européen. Certes, elle a sous-estimé le défi que représentait la production de masse d'un vaccin, notamment pour AstraZeneca.
Les difficultés logistiques sont le fait des États membres, pas de l'Union européenne ; celle-ci a facilité la circulation des marchandises et l'accès au fonds social européen (FSE), assoupli les règles sur les aides d'État pour soutenir l'économie jusqu'à fin 2021, suspendu le pacte de stabilité et de croissance, adapté le cadre financier pluriannuel pour y inclure un plan de relance de 750 milliards d'euros.
L'Union européenne n'a ainsi pas démérité dans sa réponse à la crise, mais elle a aussi parfois déçu, ce qui nourrit des interrogations de fond sur le projet européen. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes . - La pandémie de Covid-19 a déclenché une crise inédite. Il est temps de tirer les premières leçons, même si nous ne savons pas tout.
Cette crise multiforme était imprévisible et l'Europe, comme objet politique, n'était pas préparée pour l'affronter.
Beaucoup de chemin a été parcouru. « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », disait Jean Monnet.
Aucun mécanisme de gestion coordonnée d'une telle crise n'était prévu. C'est la France, et le Président de la République en particulier, qui a initié le 10 mars 2020 une réunion des chefs d'État et de Gouvernement pour coordonner les mesures sanitaires et économiques.
Les sommets virtuels se sont ensuite multipliés, à un rythme hebdomadaire, de même que des réunions entre ministres de la santé.
Sur le volet économique, budgétaire et financier, l'Europe, plus outillée, a été au rendez-vous - bien plus que lors de la dernière crise financière, il y a une décennie. En 2020, elle a été plus réactive, plus ambitieuse et plus solidaire.
Dès le 13 mars, la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne ont réagi fortement : cette dernière a suspendu l'application des règles budgétaires et relatives aux aides d'État, ce qui a permis le « quoi qu'il en coûte ».
La France, rejointe par l'Allemagne, a proposé le plan de relance solidaire de 750 milliards d'euros reposant sur une dette commune, ratifié début février par notre Parlement, dont nous espérons la mise en oeuvre cet été.
Sur le plan sanitaire, soyons francs : le bilan est moins favorable.
Cependant, il y a eu une véritable solidarité entre États dès le début de la crise, lorsqu'un tiers des patients transférés l'ont été vers les pays voisins. Cette solidarité a sauvé des vies.
Dès la fin de la première vague, une réserve sanitaire commune a été créée pour faire face à la deuxième vague et fournir des équipements sanitaires - gants, blouses,... - et des tests.
Le rôle de l'Europe dans la gestion des vaccins est souvent mis en cause. L'impatience des Français est compréhensible. Un certain ras-le-bol traverse tout le continent après ces longs mois difficiles.
Depuis fort longtemps, l'Europe a pas suffisamment financé l'industrie et l'innovation - en tout cas moins que les États-Unis et le Royaume-Uni.
Mais sans notre choix d'achat commun - et donc de solidarité - certains pays européens n'auraient pas eu accès aux vaccins. Nous aurions eu à nos portes des usines à variants.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Nous amplifierons la signature des contrats. Nous continuerons dans cette voie de la solidarité européenne.
Mme Laurence Cohen . - Alors que l'Inde et l'Afrique du Sud, rejoints par plus de cent pays, réclament la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins, le silence de la Commission européenne est assourdissant.
Sous prétexte de secret des affaires, les multinationales de la santé défendent leurs brevets. Or seulement 10 % des Français sont vaccinés, et 3,5 % de la population mondiale. Les profits des trois géants Pfizer, AstraZeneca et Johnson & Johnson ont explosé : ils ont versé 21,4 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions. Ces sommes auraient permis de vacciner 1,35 milliard de personnes dans le monde, soit la population de l'Afrique.
La seule réponse du Gouvernement, c'est d'organiser le flaconnage - bien loin du savoir-faire des salariés de Sanofi et des besoins des populations. Quand le Gouvernement soutiendra-t-il la levée des brevets ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Nous entendons faire du vaccin un bien public mondial. La levée des brevets est-elle la meilleure solution ? Si c'est le cas, nous le ferons. Les discussions sont en cours à l'OMC.
Mais cette levée des brevets ne réglerait pas les difficultés de capacité de production, notamment en Afrique - et il faut bien rémunérer l'innovation ; c'est BioNTech qui est à l'origine d'un vaccin, et non un grand laboratoire.
Nous examinons toutes les possibilités, transferts de technologie notamment, pour développer les capacités de production et, via le Covax, nous finançons 42 millions de doses dans 100 pays.
De plus, nous donnons en urgence 100 000 doses - 500 000 d'ici juin - aux pays africains pour vacciner leurs soignants.
Mme Laurence Cohen. - Les brevets limitent les capacités de production. Les salariés de Sanofi ont le savoir-faire pour produire des vaccins. Mais vous n'écoutez que les grands laboratoires qui font des profits colossaux, ce qui est criminel.
La licence d'office existe depuis 1968 : mettez-la en oeuvre pour la première fois.
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Alors que les variants deviennent la norme, je salue le démarrage de l'incubateur Hera.
L'Union européenne a dix jours de retard sur les États-Unis et le Royaume-Uni pour la validation des vaccins, alors que chaque jour compte. Comment Hera peut-il y remédier ?
C'est l'occasion de revoir le partage de compétences entre États membres et Union européenne. Il faut y réfléchir, car ce n'est sans doute pas la dernière pandémie.
Vous n'en serez par surpris, je propose Strasbourg comme siège d'Hera ; ce serait de nature à conforter son statut de capitale européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Deux procédures d'homologation des vaccins sont possibles. La procédure normale prend deux mois et demi à quatre mois ; l'Union européenne, qui a choisi de créer de la confiance pour le premier vaccin en recourant à cette procédure normale pour apporter toutes les garanties scientifiques, n'a donc pas traîné. Mais les États peuvent choisir une procédure d'urgence, comme l'a fait le Royaume-Uni dès avant le Brexit.
Pour les deuxièmes générations de vaccins adaptés aux variants, la procédure sera plus rapide. Hera permettra de financer massivement la recherche et de prendre des risques.
J'ai bien noté l'engouement de Strasbourg, mais cela ne doit pas se faire au détriment du Parlement européen. D'autres villes françaises se sont également déclarées intéressées.
Mme Laurence Harribey . - Le certificat vert intégrera des données personnelles mais le projet de règlement prévoit qu'un acte délégué puisse être suivi d'autres ; nous nous y opposons, car cela revient à donner un pouvoir d'ordonnance. L'acte délégué doit être encadré.
Comment seront conservées, centralisées et traitées les données ? Les autorités compétentes listent les instances habilitées, notamment les prestataires de transport transfrontalier, or rien n'est précisé sur le contrôle de l'utilisation des données. Sera-t-il possible d'héberger un QR code sur les applications de traçage ? Qu'en pense le Gouvernement ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Le dispositif sera conforme au règlement général sur la protection des données (RGPD). La déclinaison française du pass sera soumise à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ces questions pourront être précisées lors de l'examen du projet de loi dédié.
Chaque pays a des applications différentes. Les formats de code devront être lisibles partout grâce à un standard commun. Le pass français adossé à TousAntiCovid sera lisible par les douaniers, en version papier ou numérique. Le lieu de stockage des données est secondaire par rapport à la libre circulation des personnes.
Mme Laurence Harribey. - Cet exercice ressemble à une répétition générale de l'espace européen de la santé. Il faut être très vigilant sur le consentement des patients et l'encadrement des hébergeurs.
Il ne faudra pas que certains États ajoutent des obstacles. Nous sommes loin de la libre circulation...
M. Stéphane Ravier . - Le 9 janvier 2020, la première note du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) alertait sur un risque épidémique élevé et conseillait de stocker des masques FFP2. Cela n'a toutefois pas conduit à la fermeture des frontières préconisée par Marine Le Pen, et il a fallu implorer la Chine pour avoir des masques. Les États et les collectivités locales ont dû se retrousser les manches pour combler les lacunes de l'Union européenne, ce Moloch impuissant, union de faiblesse européenne.
Le Royaume-Uni, libéré du carcan européen, a vacciné 64 % de sa population alors que nous n'en sommes qu'à 27 % avec seulement 14 millions de premières doses injectées. C'est la preuve du naufrage de l'Union européenne face à la puissance d'un État volontaire. Nous avons deux mois de retard sur les États-Unis et la Grande-Bretagne : que de vies perdues !
La Hongrie a eu raison de se tourner vers la Russie et la Chine. Josep Borrell est même moqué par Moscou et n'a pas réussi à négocier leur vaccin : quelle humiliation collective !
L'opacité sur les négociations européennes a entaché durablement la confiance démocratique.
N'est-il pas temps d'impulser enfin une réponse nationale, en particulier sur les traitements, au lieu de tout miser sur les vaccins ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je ne sais par quelle approximation commencer... La fermeture des frontières de l'espace Schengen le 17 mars - du jamais vu - a donné lieu à une concertation européenne.
Nous sommes à 17 millions de premières doses, non pas 14. La situation britannique n'a aucun rapport avec le Brexit. Quant à la Russie, elle n'a honoré que 1 % de ses promesses de vaccins, faute de production suffisante : la Russie a un taux de couverture vaccinale deux fois inférieur au nôtre. Ce n'est donc pas une solution miracle !
Cessons de répéter approximations et contrevérités, et produisons nos propres vaccins en Europe. La solidarité internationale est utile pour notre propre situation sanitaire en raison du risque de variants.
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La couverture vaccinale progresse en Europe. La gestion des contrats d'achat par l'Union européenne doit être évaluée dans la perspective de la future Autorité européenne de préparation et d'action en cas d'urgence sanitaire. Le travail de la task force sur le renforcement de la production de vaccins menée par Thierry Breton est loin d'être terminé. La capacité de production de l'Union européenne sera prochainement de trois milliards de doses annuelles.
La solidarité sera la clé de la sortie de la pandémie alors que les variants se multiplient.
L'incubateur HERA vise à anticiper les futurs variants. Comment s'inscrit-il dans la stratégie européenne ? Comment collaborera-t-il avec les structures équivalentes à l'étranger, comme la Barda, l'Autorité américaine pour la recherche-développement avancée dans le domaine biomédical ? Quelle place aura la France dans cet incubateur ? (M. Franck Menonville applaudit.)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Nous avons besoin d'une structure de même nature que la Barda pour financer notre recherche.
HERA est un projet pilote doté de 200 millions d'euros, préfiguration d'une véritable agence européenne. Ses financements devront être portés à plusieurs milliards d'euros. Nous devons accepter de prendre des risques pour innover.
Les équipes de recherche française sont associées à cette avancée européenne, qui n'en est qu'à ses débuts.
M. Jacques Fernique . - « Le nationalisme, c'est la guerre », affirmait François Mitterrand. Face à la pandémie, c'est la défaite pour tout le monde. Nul ne peut s'en tirer durablement sans les autres, monsieur Ravier. L'arrogance de certains dirigeants - indien, brésilien ou américain - pèse sur nos droits mais pas sur la circulation du virus...
Le choix de commandes communes de vaccins et d'un endettement commun doit être salué. Le certificat européen contribuera à un équilibre entre santé publique et liberté de mouvement ; le Parlement européen a imposé des conditions claires.
La solidarité, c'est aussi notre capacité à aider le reste du monde, notamment les pays pauvres, à se protéger de l'épidémie. La situation en Inde est catastrophique. L'Union européenne est opposée à la levée des brevets sur le vaccin et l'initiative Covax ne permettra pas de vacciner plus de 20 % de la population des pays pauvres. L'Europe est-elle décidée à relancer un élan solidaire à l'échelle mondiale ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je partage votre appel à la solidarité internationale, conforme à nos valeurs comme à nos intérêts. L'Union européenne est le premier contributeur à Covax. Nous avons commandé 2,5 milliards de doses de vaccins, ce qui est suffisant pour vacciner nos populations d'ici l'été. Dans un second temps, nous livrerons le reste du monde, à commencer par l'Afrique pour son personnel soignant. C'est l'honneur de l'Europe de relever ce défi de la solidarité.
M. Ludovic Haye . - Cette crise est un test de crédibilité et d'efficacité pour l'Europe. L'accord pour un plan de relance massif est une réussite. Le rachat d'actifs par la BCE est également à saluer. L'approche commune en matière de dépistage et de vaccins est positive. Les organisations transfrontalières doivent être encouragées, à l'instar des coopérations bilatérales ayant permis les transferts de patients.
L'Union européenne doit favoriser la coordination politique pour prévenir les vulnérabilités. Quelles sont ses actions et ses ambitions de en matière de recherche et d'innovation ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Nous devons renforcer les moyens alloués à la recherche et l'innovation. Dès le début de la crise, l'Union européenne s'est mobilisée et a lancé un appel à projets de 176 millions d'euros pour financer une quarantaine de projets de recherche sur les vaccins et les traitements.
La France participe à une vingtaine de ces projets et en coordonne deux via l'Inserm. L'incubateur HERA est une piste prometteuse, avec 150 millions d'euros pour des projets de recherche et des essais cliniques et 75 millions d'euros pour du séquençage. Il faudra rapidement accroître son financement.
Nous avions déjà des programmes de recherche européens : AstraZeneca et BioNtech ont bénéficié de financements européens.
M. Ludovic Haye. - Implantons l'incubateur HERA à Strasbourg, monsieur le ministre !
Mme Véronique Guillotin . - Le Parlement européen a adopté le principe du certificat vert. Ses règles devront être claires et suffisamment souples pour assurer un large déploiement. L'économie, notamment touristique, en a besoin.
Les données personnelles seront compilées et protégées par chaque État membre. Une liste des entités habilités à les traiter sera définie, et le RGPD sera respecté. Le stockage sera limité à douze mois. Confirmez-vous ces orientations ? Il faut rapidement dissiper les inquiétudes pour assurer une mise en oeuvre efficace.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'objectif du passeport vert, adossé en France à TousAntiCovid, est de permettre les voyages en Europe dès l'été dans des conditions sûres. Le RGPD sera évidemment respecté, la CNIL veillera à la conformité du dispositif en matière de protection des données. Nous y serons très attentifs. L'examen du projet de loi sera l'occasion d'en débattre.
Mme Véronique Guillotin. - Ce pass est essentiel pour les territoires transfrontaliers. Nous devons obtenir l'adhésion des Français.
Mme Catherine Deroche . - Pour susciter l'adhésion, l'Europe doit protéger. L'Union européenne n'est pas compétente en matière de santé, mais elle a coordonné la politique vaccinale, après des débuts un peu difficiles, dans le cadre du marché unique.
En revanche, la recherche et l'innovation sont de sa compétence. La recherche est un pari ; il faut accepter l'échec. L'élan prometteur est hélas retombé. La concurrence est dommageable, et la comparaison avec les Britanniques guère flatteuse... Comment construire une force de frappe européenne en conjuguant nos efforts de recherche ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Le budget européen de recherche et développement va augmenter de 50 % pour la période 2021-2027. Dans ce domaine, il faut accepter de prendre des risques. Trois des quatre vaccins homologués ont été financés par l'Europe. L'incubateur HERA nous permettra de faire encore mieux.
Mme Catherine Deroche. - Au-delà des vaccins, il y a les traitements. Le soutien à l'innovation en santé est essentiel, notamment en oncologie. La recherche française n'est pas dans un état brillant : voyez notre prix Nobel de chimie... Cette crise doit impulser un nouvel élan.
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'Union européenne a été présente, notamment sur le volet économique. Sur le plan sanitaire, le constat est moins bon. Le mécontentement des citoyens européens à l'égard de l'action de l'Union européenne est un fait. Alors que les deux plus grandes démocraties européennes tiendront bientôt leur élection principale, au second semestre 2021 et au premier semestre 2022, l'état d'esprit des Européens n'est pas un sujet secondaire...
Quelle est la priorité de la France pour lutter contre la pandémie ? Quelle sera la priorité de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022 ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - La priorité est de produire plus de vaccins en Europe. Nous serons la première zone de production au monde d'ici à l'été, en passant de 15 à 53 sites de production, pour trois milliards de doses annuelles.
Plus largement, le financement de la recherche médicale devra être amplifié. L'Europe de la santé sera l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne. Cette crise a mis en exergue notre dépendance : nous devrons accroître nos capacités de production et restaurer notre souveraineté industrielle.
M. Philippe Bonnecarrère. - Les laboratoires indépendants comme Pierre Fabre, dans le Tarn, ou Servier et Mérieux dénoncent depuis longtemps la logique de prix bas des médicaments qui vise à limiter le déficit de la sécurité sociale mais empêche les industriels d'investir.
Mme Florence Blatrix Contat . - La pandémie a conduit l'Union européenne à abandonner sa politique libérale, à assouplir ses règles budgétaires et à présenter un plan de 750 milliards d'euros de dépenses, financées en partie par une dette commune. Il s'agit d'une nouvelle étape dans l'approfondissement et l'affirmation de l'autonomie stratégique européenne. Mais certains parlements nationaux tardent à ratifier les décisions sur les ressources propres.
La pandémie a contraint l'Union à repenser ses priorités dans le domaine de la santé. Comment les autres secteurs industriels, comme le transport, seront-ils soutenus ? Pourquoi si peu de moyens pour la rénovation énergétique du logement social ?
Comment justifier dans le plan France Relance des mesures qui pénliseront les plus faibles, comme la réforme de l'assurance chômage ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je partage votre impatience sur le plan de relance européen. Les délais de mise en oeuvre dépendent des décisions de l'ensemble des parlements nationaux. Ce temps démocratique est nécessaire. Nous en sommes à près de vingt autorisations de ratification sur vingt-sept.
Tous les plans de relance nationaux doivent cibler la transition écologique à plus de 33 %. La France atteint 50 %, avec 7 milliards d'euros pour le logement et autant pour l'hydrogène, notamment. La transition numérique doit représenter 20 % des plans de relance ; la France y consacre 25 %.
Mme Florence Blatrix Contat - N'ignorez pas l'urgence sociale. Sinon ce sera un échec.
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise de la covid a été le révélateur des forces et des faiblesses de l'Union européenne. Elle a montré la solidarité des États membres en matière d'équipements de protection et de vaccins, évitant une concurrence mortifère. Mais elle a souligné la naïveté des gouvernements européens qui lui ont abandonné la gestion de la pandémie.
La concurrence internationale s'est exercée sans pitié. L'Union européenne et ses 450 millions d'habitants n'a pas fait mieux que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou Israël. Négocier à vingt-sept aurait dû être une force ; or nous sommes à la traîne, avec un taux de personnes vaccinées deux à trois fois plus faible que dans les pays précités. L'Union n'est pas restée les bras croisés mais les gouvernements, notamment français, ne lui ont pas accordé la souplesse et la réactivité nécessaires.
Tirons-en des enseignements. L'Union européenne n'a que des compétences réduites en matière sanitaire. Ne faudrait-il pas repenser cette politique pour être en mesure de répondre de façon audacieuse, rapide et innovante, aux futures crises ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Trois grands pays démocratiques vont plus vite que nous mais nous rattraperons notre retard d'ici l'été. Les objectifs britanniques ne sont plus si éloignés des nôtres.
Négocier ensemble a eu des avantages : nous avons commandé 2,5 milliards de doses, soit 25 % du total mondial, pour 5 % de la population mondiale. Elles ont certes tardé à être livrées mais le sont désormais. La Commission négocie près de 2 milliards de doses pour d'éventuels rappels vaccinaux dans les mois à venir.
Pourquoi les Britanniques et les Américains étaient-ils en avance de quelques semaines ? En raison de leur culture. Ils ont pris plus de risques pour financer l'innovation et lancer les essais cliniques. Nous n'avons pas fait ce choix collectif. Idem sur les autorisations d'urgence accordées en Grande-Bretagne. Le cadre européen nous protège, mais peut-être faudra-t-il accepter à l'avenir de prendre davantage de risques.
M. Jean-Yves Leconte . - L'Union européenne a fermé ses frontières le 17 mars 2020. Depuis, chaque État membre a fait comme il a voulu, même si aucun pays, sauf la France, n'a fermé ses frontières à ses propres ressortissants. Depuis plus d'un an, la liberté de circulation n'existe plus, avec parfois des quarantaines entre voisins !
Une négociation sur le pass sanitaire est en cours. Mais les situations divergent selon qu'il y a des tests ou non, gratuits ou payants, des vaccins ou non, homologués ou non. Ce pass sera-t-il exigé au sein de Schengen ? Ce serait une négation de la liberté de circulation. Schengen sera-t-il victime de la covid-19 ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je ne le crois ni le souhaite.
Le Conseil d'État a annulé l'exigence d'un motif impérieux pour un retour sur le territoire français.
Nous avons toujours été au rendez-vous pour nos ressortissants, et en avons rapatrié plus de 300 000 au début de la crise. Nous avons été le pays le plus organisé et le plus ambitieux. Nous n'avons jamais laissé tomber nos compatriotes.
Le certificat sanitaire signifie plus d'ouverture ! Ceux qui n'auraient pas accès à la vaccination, ou seulement à des vaccins non homologués, pourront présenter un test négatif. Point de discrimination : il y va de notre sécurité sanitaire collective.
M. Jean-Yves Leconte. - Votre réponse m'inquiète. Quelles perspectives pour la réouverture des frontières ? Comment refaire vivre la liberté de circulation dans l'Union européenne ?
Les motifs impérieux exigés par le Gouvernement ont été annulés par le Conseil d'État, non par le Gouvernement !
Certains de nos ressortissants ont été bloqués à l'étranger. On leur a dit de rester chez eux, ils ont eu le sentiment d'être abandonnés, quoi qu'en dise le Président de la République. Ceux qui ont reçu un vaccin non homologué ne pourront pas rentrer, même depuis l'Union européenne. (M. Damien Regnard applaudit.)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les Européens ont chargé la Commission de négocier l'achat de vaccins, ce qui a évité la concurrence mais a révélé des faiblesses.
Les États-Unis ont investi 10 milliards d'euros dans la recherche, trois fois plus que l'Europe.
La Commission européenne a donné la priorité à des vaccins produits sur le territoire européen, comme AstraZeneca, au détriment de vaccins plus prometteurs comme Moderna. En outre, elle a essayé d'obtenir les prix les plus bas sans vérifier les capacités de livraison des laboratoires.
Face aux retards d'AstraZeneca, la Commission a saisi la justice, le 26 avril, mais le laboratoire a annoncé qu'il se défendrait et ne livrerait pas les 200 millions de doses prévues au contrat. Dans ces conditions, comment arriver à vacciner 70 % des plus de 18 ans d'ici l'été ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Le contrat initial avec Moderna a été amendé pour augmenter les livraisons et les engagements sont respectés.
Ce n'est pas parce que nous avons négocié des prix plus bas que nous avons reçu les doses plus tard. Le contrat avec AstraZeneca a été signé 24 heures avant le Royaume-Uni.
L'action en justice menée par la Commission européenne contre AstraZeneca n'empêche pas la poursuite des discussions.
Au deuxième trimestre, nous avons reçu quatre fois plus de livraisons qu'au premier trimestre, soit 400 millions de doses, ce qui nous permettra de remplir nos objectifs.
Grâce aux livraisons supplémentaires de Pfizer BioNTech, nous avons compensé certaines difficultés. Ce sont 50 millions de doses supplémentaires, dont 8 millions pour la France.
Mme Pascale Gruny. - Avec Laurence Harribey, nous n'avons pas obtenu les mêmes réponses de la Commission européenne...
Pour la recherche, les délais sont courts, les projets s'interrompent au bout de trois à cinq ans, faute de financements de long terme.
M. Bernard Bonne . - Le Parlement européen a validé fin avril le principe du passeport sanitaire, ou certificat vert. Des ambiguïtés et questions demeurent cependant. Il ne serait pas obligatoire pour voyager et n'empêcherait pas les États d'imposer une quarantaine. Quelle est la position française ? Quel sera le calendrier ?
Quel est le coût moyen unitaire réel des vaccins double dose ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Le cadre juridique européen doit être arrêté au début de l'été pour faciliter la réouverture. Actuellement, certains États exigent une quarantaine ; tous demandent un test PCR négatif récent. Le certificat vert est un document simple et harmonisé, pour plus de liberté tout en garantissant la protection sanitaire.
Les forces de l'ordre n'auront pas accès aux données, mais seulement à un indicateur vert ou rouge.
L'assouplissement sera possible mais à ce stade, tous les États exigent un PCR négatif.
Il n'y a pas de coût moyen des vaccins : l'AstraZeneca est à prix coûtant en raison du partenariat avec Oxford ; le Pfizer BioNtech est d'environ dix d'euros par dose en raison de besoins d'amortissement. Les comparaisons sont délicates.
M. Bernard Bonne. - Nous ne connaissons pas la durabilité de l'immunité des personnes vaccinées. Actuellement, seul le test PCR négatif semble véritablement garantir contre la contagiosité.
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question d'un passeport sanitaire se fait pressante en Europe. Son élaboration pose cependant des questions juridiques de protection des données et de non-discrimination. Le sujet divise les vingt-sept.
L'Association internationale du transport aérien (IATA) a élaboré un travel pass ; le 11 mars, Air France a lancé son propre pass. En France, le Gouvernement a annoncé un pass sanitaire pour les vols entre la Corse, les outremers et le continent. La France doit être motrice sur ce sujet, compte tenu de son importance pour notre économie. Quelle est la position du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Nous y sommes favorables. En janvier, ce débat était prématuré. Pour l'heure, la priorité est à la vaccination.
Le moment viendra au début de l'été, avec l'accueil des touristes. Ce pass devrait être adopté définitivement début juin. L'accueil des touristes internationaux se fera dans un deuxième temps, en fonction de la situation sanitaire des pays concernés. Mais nous en discutons d'ores et déjà avec la Commission européenne, afin d'être prêts le moment venu.
Mme Pascale Gruny, en remplacement de M. Cédric Perrin . - L'Union européenne a les yeux rivés sur la vaccination. L'urgence et la gravité de la situation nous ont fait oublier les questions sur l'origine du virus.
Aucune preuve de la transmission de l'animal à l'homme n'a été apportée et le pangolin semble avoir été innocenté. En revanche, l'hypothèse de l'accident de laboratoire n'a pas été suffisamment explorée, dit le directeur général de l'OMS... Le rapport OMS comporte des zones d'ombre : quatorze pays dont les États-Unis, le Japon et le Canada ont déploré le manque de données mises à disposition des experts par la Chine.
Pour pouvoir écarter scientifiquement l'hypothèse de l'accident, chère aux complotistes, il faut pouvoir enquêter sereinement. Quel sera le message porté par la France et l'Union européenne lors de l'assemblée générale de l'OMS ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je rejoins votre préoccupation. Il faut poursuivre les investigations et renforcer la transparence sur les origines de la pandémie afin de tirer les leçons de la crise et éviter de nouveaux incidents.
Mme Pascale Gruny. - L'Union européenne et la France ne doivent pas rester pas passives sur ce dossier. Nous comptons sur vous.
M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Merci à tous les intervenants. Le président Karoutchi, hypocondriaque, a-t-il été rassuré ? (Sourires)
Beaucoup de points positifs sont à relever, comme la solidarité entre les États membres, mais je regrette certains freins, notamment sur le plan de relance que notre commission suit de près.
Les échéances du premier versement ont été repoussées. On évoque désormais septembre... Il faudra nous fournir des explications sur ce retard, sans doute bureaucratique.
Je regrette aussi les réticences dogmatiques persistantes concernant la PAC. Malgré les demandes du Sénat, Bruxelles n'a pas régulé les marchés agricoles défaillants. Cela interroge sur l'avenir de l'Union, alors que le plan américain est bien plus ambitieux - même si les amortisseurs sociaux y sont très différents. Est-elle prête à recouvrer sa souveraineté industrielle et alimentaire ?
La conférence sur l'avenir de l'Europe qui s'ouvrira le 9 mai nous permettra d'engager ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Jacques Fernique applaudit également.)
La séance est suspendue pour quelques instants.