Accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - En parvenant à un accord in extremis, nous avons évité le pire. Mais ne nous berçons pas d'illusions : cela reste un compromis perdant-perdant, pour reprendre les mots de Michel Barnier.
Nous avions besoin que l'Europe s'affirme comme un pôle de stabilité et de paix alors que le multilatéralisme recule ; or elle s'est divisée et affaiblie, faisant le jeu de ses concurrents et adversaires. Aucun pays européen n'en sortira gagnant.
Même sans droits de douane, le retour des frontières apporte des frictions et une désorganisation de nos chaînes logistiques. La réduction des échanges risque d'être plus importante que prévu, avec de multiples difficultés pour les entreprises. De nombreuses négociations sectorielles doivent encore être menées, notamment sur la pêche : après 2026, toute possibilité d'accès aux eaux britanniques reste à écrire, et le problème du partage des quotas concédés aux Européens demeure entier.
Il sera essentiel que les vingt-sept restent unis, vigilants et mobilisés. Vous pourrez compter sur le Sénat pour appuyer le Gouvernement dans ce domaine.
La situation reste très sensible en Irlande du Nord, comme nous l'avons vu avec l'épisode des vaccins. L'obligation de déclarer tous les biens passant de Grande-Bretagne en Europe entraînera une véritable séparation commerciale qui risque de raviver les tensions politiques irlandaises et le courant d'opinion en faveur d'une réunification irlandaise.
De même, le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, malgré l'opposition de Boris Johnson, pourrait être relancé. La « Global Britain » pourrait être remplacée par une « Little England ».
En revanche, notre relation bilatérale de défense ne nous inquiète pas trop. Le 2 novembre, nous fêtions les dix ans des accords de Lancaster House et le programme de guerre des mines entrera prochainement en phase de production.
Nous sommes plus inquiets sur la volonté du Royaume-Uni de rester arrimé au cadre sécuritaire européen. Le Royaume-Uni vient d'annoncer vouloir se tourner vers le Pacifique, comme les États-Unis de Barack Obama en son temps : il veut rejoindre les membres de l'Alliance de libre-échange transpacifique.
Monsieur le ministre, quelle est votre perception de l'état d'esprit britannique sur ces sujets ? Les Britanniques jouent-ils la montre ? Attendent-ils une clarification des relations entre les États-Unis, l'OTAN et l'Europe ? Pourraient-ils tourner le dos à la défense européenne, alors que ses intérêts sont largement identiques ? L'Union européenne devra donc alors conquérir son autonomie stratégique en ne s'appuyant plus que sur la France. L'Allemagne semble y être plus déterminée qu'auparavant, avec la Boussole stratégique.
Il faut tirer toutes les conséquences du Brexit. La désaffection à l'égard de l'Europe, nous la devons à la fois à un excès de libéralisme et de bureaucratie. Les citoyens ne savent plus pourquoi nous avons fait l'Europe.
Face aux dégâts sociaux de la désindustrialisation, l'Europe doit enfin sortir de sa naïveté. Le plan de relance européen va vers plus de souveraineté et de solidarité. La stratégie vaccinale, la construction d'une défense européenne vont dans le bon sens.
Le Sénat appuiera ce mouvement vers une Europe plus protectrice et plus réaliste. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Le 23 juin 2016, coup de tonnerre : le Brexit a eu lieu ; c'est un événement inédit qui aura eu au moins le mérite de montrer que nul n'est prisonnier du projet européen.
Les négociations n'ont pas été un long fleuve tranquille mais elles ont montré la solidarité des vingt-sept. Mais c'est bien un accord perdant-perdant, comme l'a dit M. Barnier, qui ne fait que minimiser les pertes.
Le Sénat avait fixé ses lignes rouges l'an dernier. Les Européens sont 3,5 millions à vivre au Royaume-Uni et ce pays représente 15 % des exportations extra-européennes. Cet accord permet une zone de libre circulation, sans quotas ni droits de douanes.
En échange, le Royaume-Uni s'engage à ce que les aides d'État soient encadrées par des principes communs et que le niveau de protection réglementaire soit maintenu jusqu'à la fin de la transition. Cet accord prévoit aussi une clause de non-régression qui évite toute concurrence déloyale.
L'accord sur la pêche est intégré à l'accord final en maintenant un accès aux eaux britanniques jusqu'à fin 2026. C'est fondamental pour nos pêcheurs. Mais quid de l'après 2026 ? Une absence d'accord nous priverait des 650 millions d'euros de prises annuelles.
La coopération est maintenue dans le domaine de la recherche, l'espace ou la sécurité intérieure, notamment la lutte contre le blanchiment. Nous regrettons que le Royaume-Uni se retire d'Erasmus et refuse un cadre pérenne de coopération pour notre politique étrangère et de défense.
Visas, tampons, contrôles aux frontières : tout ce vocabulaire reviendra dans le langage quotidien de nos échanges.
Nous devons faire respecter nos standards pour garantir une concurrence loyale et la sécurité alimentaire. Les services financiers britanniques sont désormais suspendus aux décisions d'équivalence de la Commission.
Même dans les domaines réglés par l'accord, des sujets restent pendants. Je pense notamment aux pêcheurs français qui sont trop nombreux à ne pas encore avoir reçu la licence prévue.
Il faut une symétrie dans les contrôles vétérinaires. Je m'inquiète aussi des différences de contrôle des États membres : certains ports peuvent être tentés de réduire les contrôles pour attirer la marchandise...
Le protocole nord-irlandais a évité le pire mais il engendre de nouvelles tensions. Je crains que la Commission européenne n'ait jeté de l'huile sur le feu en invoquant l'article 16.
Une ligne budgétaire de 5 milliards d'euros est prévue pour compenser les conséquences du Brexit. Comment cette enveloppe sera-t-elle partagée entre les vingt-sept ? Le président Cambon et moi-même préparons une proposition de résolution pour appuyer la position française sur la répartition de cette enveloppe.
N'oublions pas de nous interroger sur ce qui a conduit au Brexit. Comme l'a dit Michel Barnier, il faut rapprocher Bruxelles des citoyens, et leur donner à toucher l'Europe à la maison. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Éric Bocquet . - Presque cinq ans après le vote en faveur du Brexit et après un an de négociations difficiles entrecoupées par la crise sanitaire, un accord a enfin été trouvé. C'est une performance, le gouvernement Johnson, aux abois, jouant son avenir et sa crédibilité. C'est historique : un pays a fait le choix de quitter l'Union européenne, dont il était un pilier. Cela nous oblige à une réflexion sur l'organisation de l'Union européenne.
Il faut bien analyser les causes profondes de ce choix britannique. L'Union européenne est de plus en plus vue comme une machine bureaucratique et un espace de concurrence déloyale. La France n'est pas épargnée : l'ombre d'un Frexit rôde, comme l'a titré Le Monde. Les privatisations de services publics et la gestion erratique de la crise sanitaire n'arrangent rien.
Cet accord nous garantit que nous n'aurons pas à nos portes un concurrent non tenu par des normes, contrairement au souhait de Boris Johnson. Grâce à Michel Barnier, les eaux britanniques ne seront pas fermées, même si la délivrance de licences a trop traîné, notamment pour les pêcheurs des Hauts-de-France. Seize seulement des cent cinquante bateaux de Boulogne-sur-Mer avaient obtenu le précieux sésame il y a quinze jours. Je pense aussi aux pêcheurs artisanaux de Dunkerque, déjà fragilisés par la pêche électrique, et qui risquent de disparaître.
Les Européens ont échoué à mettre en place un mécanisme d'alignement dynamique des normes : les normes britanniques risquent donc de se retrouver en-deçà des normes européennes, laissant apparaître des situations de dumping.
Et quid de l'après 2026 pour les pêcheurs ? Faut-il craindre une reprise en main ? La City reste la plaque tournante de la finance. Boris Johnson a annoncé la création de dix ports francs, comme au Luxembourg et en Suisse, ce qui mettrait à nos portes un véritable Singapour-sur-Tamise.
En outre, la suprématie financière de la City n'est pas entamée sur le fond. Or, l'affaire OpenLux a montré la nécessité d'agir contre les paradis fiscaux au sein même de l'Union européenne. Pendant ce temps, celle-ci fait la chasse aux services publics européens, se refuse à une politique fiscale ambitieuse de taxation des transactions financières et fait preuve d'une indifférence coupable à l'égard des paradis fiscaux.
Cet épisode doit nous conduire à nous interroger sur le fonctionnement de l'Union européenne, à qui le moindre effort de solidarité comme le plan de relance demande d'âpres négociations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Didier Marie applaudit également.)
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 24 décembre dernier, un accord avec le Royaume-Uni était trouvé de justesse, évitant un no deal.
Mais certains aspects de cet accord nous inquiètent. Je pense notamment aux pêcheurs et aux ports du Nord-Ouest français, en particulier normands, dont les acteurs affichent des pertes substantielles.
Avec le Brexit, compagnies et ports transmanche ont dû effectuer de lourds aménagements pour répondre aux nouvelles exigences de la circulation de marchandise. Les ports normands ont dû déjà consentir 8 milliards d'euros d'investissements.
L'Union européenne a proposé un fonds d'ajustement, mais les critères de répartition entre États membres posent question, notamment sur la question de la période de référence.
Les ports et les compagnies devront en outre mettre en oeuvre la directive européenne sur les entrées et sorties. En janvier 2021, les importations de poissons britanniques ont déjà diminué en volume comme en qualité.
Que se passera-t-il pour les pêcheurs au-delà de 2026 ? Je pense aussi à la situation dans les eaux des îles anglo-normandes. Les pêcheurs ont désormais besoin pour s'y rendre d'autorisations temporaires que leur concède le gouvernement de Guernesey, mais pas celui de Jersey. Et encore, seuls 57 bateaux sur 300 en ont obtenu une. Il s'agit de problèmes concrets, issus des acteurs que j'ai rencontrés.
Je salue l'implication sans faille de Michel Barnier, qui aura permis une sortie par le haut. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Pascal Allizard applaudit également.)
M. Didier Marie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous voici réunis autour de l'accord de partenariat obtenu à l'arraché le 24 décembre, en attente de ratification par le Parlement européen en avril. C'est un compromis qui préserve les principes du marché unique et permet à la Grande-Bretagne de sauver la face.
Clauses de sauvegarde, clauses miroirs, clauses de rééquilibrage, clauses de revoyure sont autant d'outils pour préserver des relations équilibrées. Mais où sont la politique étrangère, la défense, l'espace, les services financiers ?
Il faudra d'autres négociations. Il y a aussi ce qui a été acté mais est remis en cause, comme la mise en oeuvre difficile du backstop nord-irlandais.
Restent aussi des inconnues sur les droits des ressortissants européens au Royaume-Uni, sur la protection des appellations d'origine, sur les données personnelles.
Le Royaume-Uni veut suivre son propre chemin. Il faut en être conscient : pour la première fois, il ne s'agit plus d'organiser une convergence, mais de gérer une divergence.
Attention au contrôle démocratique de cet accord. Il est vraisemblable que les États membres aient renoncé, vu l'urgence, à vérifier dans le détail si, comme le prétend la Commission, toutes les clauses relèvent de la compétence exclusive de l'Union. C'est concevable, mais attention à ne pas créer un précédent juridique pour les prochains accords commerciaux, comme celui qui se prépare avec la Chine.
Le suivi de l'accord sera confié à un conseil de partenariat, assorti de comités de fonctionnaires qui échapperont à tout contrôle parlementaire : soyons vigilants.
Michel Barnier a raison, c'est bien un accord perdant-perdant. Cela nous oblige à en tirer les leçons concernant l'adhésion au projet européen de nos concitoyens pour continuer à avancer à vingt-sept.
La présidence française en 2022 pourrait être un tremplin. La posture idéologique libérale n'a pas suffi à nous préserver des maux qui nous affligent : il faudra en tenir compte.
M. Joël Guerriau . - L'Union européenne poursuit le rapprochement entre ses peuples depuis sa création. Le Brexit va à rebours de ce mouvement. Il nous oblige à réfléchir sur certains points dont la règle de l'unanimité, qui devient synonyme de prise d'otage, comme l'ont montré les positions polonaises et hongroises à propos du plan de relance.
Je salue le tour de force de notre négociateur en chef, qui a obtenu un accord dans les derniers instants. Pour la première fois, nous négocions une divergence et non une convergence. Les tensions sont palpables et l'équilibre est fragile, témoins les problèmes qui ont suivi la mise en oeuvre du protocole nord-irlandais.
Les parlements nationaux auront un rôle d'alerte sur les divergences qui pourraient se faire jour avec le Royaume-Uni.
Concernant la pêche, les ports français atlantiques sont très touchés, Nantes-Saint-Nazaire en fait partie. Qu'en sera-t-il aussi des liaisons commerciales ?
La France a subi plusieurs cyberattaques récentes qui rappellent l'importance d'une coopération sécuritaire avec le Royaume-Uni dans ce domaine.
Un mot sur l'asile et l'immigration. France et Royaume-Uni travaillent sur ces questions depuis longtemps : de quoi les prochains mois seront-ils faits ?
Sur la politique étrangère de sécurité et de défense (PESD), les discussions avec le Royaume-Uni ne peuvent plus passer exclusivement par le cadre de Lancaster House. Quelles sont vos pistes de réflexion en la matière ?
Nous devons désormais nous concentrer sur nous-mêmes, Européens. Il faut continuer à créer une valeur ajoutée européenne ; le Brexit est l'occasion pour l'Europe de s'interroger sur elle-même.
« Ce qui est important, ce n'est ni d'être optimisme ni pessimiste, mais d'être déterminé », disait Jean Monet.
M. Jacques Fernique . - En 2016, deux coups durs nous ont frappés : l'élection de Donald Trump et le référendum sur le Brexit. Le repli avait pris le dessus. Aujourd'hui, l'horizon s'éclaircit avec la nouvelle trajectoire des États-Unis et cet accord.
L'Union européenne se trouve diminuée d'un grand pays, celui-ci est plus seul qu'avant. Mais cela n'efface pas la logique de l'histoire et de la géographie, l'échange, la coopération ne sont pas liquidés.
Abandonnant ses propos à l'emporte-pièce, le gouvernement britannique a admis l'intérêt d'un accord. Celui-ci doit cadrer nos relations pour réduire les dégâts collatéraux. C'est à l'usage qu'il fera ses preuves.
Michel Barnier estime cet accord beaucoup plus ambitieux qu'un accord de libre-échange, avec des règles contre le dumping social et fiscal, des exigences environnementales. On nous promet un encadrement robuste pour empêcher des distorsions de concurrence et de régressions environnementales.
Tout est dans l'application. Nos normes environnementales sont amenées à progresser. La clause de non-régression ne suffira donc pas à éviter les divergences dommageables : tout dépendra de la vigilance de la Commission.
L'accord ne va pas assez loin dans le domaine financier : il se borne à rappeler les règles de l'OCDE et ne prévoit rien contre le réseau britannique des zones offshore qui représente pourtant un tiers des dommages causés par les paradis fiscaux - excusez du peu !
L'accès des services financiers britanniques au marché unique est conditionné au strict respect des règles européennes. Nous ne pouvons accepter un Singapour-sur-Tamise, comme le dit Éric Bocquet.
Même vigilance sur la protection des données.
Il faut enfin nous interroger sur les motivations populaires du divorce. Désindustrialisation, délitement des biens communs... les béances qui ont conduit au Brexit sont toujours là. Stella me disait dimanche, du haut de ses dix ans : « Le Brexit, c'est tout pourri ; si on continue comme cela, on se retrouvera chacun tout seul ». À nous de l'éviter ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Richard Yung . - Il faut se féliciter de l'accord que nous avons trouvé, mais le Brexit reste une mauvaise affaire, pour le Royaume-Uni qui voit ses exportations soumises à des contrôles douaniers et sanitaires, comme pour l'Union européenne.
Les liaisons aériennes et maritimes seront moins fluides, le raccordement en réseau électrique devra être renégocié d'ici quelques années.
La vision de Boris Johnson, très XIXe siècle, c'est la Global Britain, qui repose sur des accords bilatéraux avec toutes les régions du monde. Pour l'instant, nous n'en voyons que les prévisions, et il est triste de voir ce grand pays borner son ambition à devenir un petit îlot de libre-échange et de fiscalité avantageuse aux portes de l'Europe.
Le Brexit est une mauvaise affaire aussi pour la France. Les plus optimistes peuvent espérer que l'absence du Royaume-Uni des mécanismes de décision permettra de mettre en oeuvre plus rapidement les politiques européennes.
Les contrôles à la frontière irlandaise se font en réalité à Belfast, avec le concours des douaniers européens. Le gouvernement britannique demande une période « de grâce » - le mot est cruel, mais juste - jusqu'en 2023, tant les difficultés de mise en oeuvre sont importantes.
Autre point dur : les équivalences financières. Les Britanniques voudraient en obtenir davantage mais ne se réjouissent-ils pas in petto de pouvoir développer une législation financière plus attractive que celle de l'Union européenne ?
Le stock existant des appellations d'origine, si important pour la France, est validé mais rien n'est prévu pour les futures indications.
La France doit conserver de bonnes relations avec le Royaume-Uni et faire en sorte que la mise en oeuvre de l'accord se fasse dans de bonnes conditions. C'est dans son intérêt.
M. Jean-Noël Guérini . - Saluons la ténacité de Michel Barnier. Un premier bilan de l'accord obtenu sera dressé dans quelques semaines.
Récemment, monsieur le ministre, vous avez employé le joli mot d'« incomplétudes » pour désigner ce que j'appellerais plutôt les carences de cet accord.
En premier lieu, les questions de défense. Je regrette le départ fracassant du Royaume-Uni de l'Europe, mais rappelons qu'il y eut déjà un départ, sur la pointe des pieds, dans les plaines glacées du Groenland en 1982.
Celui du Royaume-Uni est sans mesure, certes, notamment concernant la défense ; je mesure l'insistance de Michel Barnier d'inclure ce domaine dans les négociations, mais Londres ne l'a pas jugé urgent. Faut-il convoquer les discours sur l'Europe de la paix ? Le rêve d'une défense européenne reste une chimère, alors que 60 % des forces de défense européenne sont franco-britanniques, de même que 80 % des dépenses de R&D dans ce domaine.
Il apparaît clairement que la France ne peut supporter à elle seule le poids de la défense de l'Union européenne et de la dissuasion nucléaire. Les Britanniques ont refusé de participer pleinement à la politique européenne de sécurité et de défense qu'ils avaient pourtant initiée à Saint-Malo en 1998. Alors que les menaces se multiplient, il n'est pas permis d'attendre.
L'Europe des vingt-sept n'est pas seulement un grand marché : elle a une citoyenneté à bâtir et à défendre. Il faut construire cette défense européenne, indispensable à l'heure où le multilatéralisme est à relancer. L'Union européenne ne doit pas rester un tigre de papier. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La sortie du Royaume-Uni est une mauvaise nouvelle pour l'Europe mais il s'agit de la réponse des Britanniques à un pari hasardeux lancé par David Cameron.
Après les aléas, les doutes et les postures, le no deal a été évité de justesse, mais rien ne sera plus comme avant. Le business as usual est terminé, comme l'a dit Michel Barnier.
De chaque côté du Channel, chacun se rassure, personne ne veut perdre la face, même si pour le Royaume-Uni les compromis au cours des négociations n'ont jamais conduit à déroger à l'objectif de restauration de la souveraineté nationale.
Pourtant, le Brexit est une situation perdant - perdant : il affaiblit l'Europe et le Royaume-Uni, à l'heure de la fragilisation des États-Unis et du rapprochement russo-chinois ou russo-turc. Des craintes demeurent sur l'altération de la confiance durant les négociations et les premières heures de l'application de l'accord. Nous l'avons vu avec certains collègues lors d'une visite à Calais et à Boulogne-sur-Mer.
Jusqu'au dernier moment, la question du droit de pêcher dans les eaux du Royaume-Uni a fait obstacle à la conclusion d'un accord. Les nouvelles règles inquiètent toute la filière. Malgré une réduction de 25 % des prises et quelques couacs de début d'année, l'accès aux eaux britanniques est maintenu, mais qu'en sera-t-il dans quelques années, quand l'accord devra être renégocié ? Les pêcheurs britanniques se plaignent des prises perdues ou gâchées en raison des nouvelles contraintes administratives, notamment des licences.
Cette question d'horizon est cruciale en raison de la durée d'amortissement d'un bateau de pêche. La reconversion, même subventionnée, n'est pas souhaitable. La souveraineté alimentaire est un défi du siècle. Qu'en sera-t-il des ports français ? Faire de la France le hub de l'Europe sera difficile. Les ports sont des actifs stratégiques, les Chinois l'ont bien compris, qui investissent massivement dans les opérateurs portuaires et le transport des containers.
Je note avec intérêt la coopération entre les autorités policières et judiciaires du Royaume-Uni et Europol et Eurojust. Face à la criminalité, la lutte contre le blanchiment des capitaux et le terrorisme doit rester une priorité.
Nous devons poursuivre dans l'esprit du traité de Lancaster House qui a récemment fêté ses dix ans : les enjeux opérationnels et industriels sont majeurs.
Nous avons de nombreux intérêts communs avec la Grande-Bretagne. Le bon sens nous commande de poursuivre dans cette voie coopérative. Mais ses relations privilégiées avec les États-Unis et le Commonwealth lui assurent déjà une grande ouverture sur le monde. De plus, le Royaume-Uni entend se rapprocher des économies asiatiques en forte croissance. Il a négocié un accord avec le Japon et augmenté ses capacités de projection.
Les Britanniques voudront-ils investir durablement dans la relation européenne ou se concentrer sur le pivot asiatique ? That is the question... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Cadic . - Le 24 décembre, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont signé un accord de commerce et de coopération. Le groupe UC s'en réjouit.
Nous saluons la défense des intérêts français, la fermeté du Gouvernement et la qualité du travail de M. Barnier.
Face à l'intransigeance britannique, M. Barnier leur a rappelé que l'heure tournait. Boris Johnson a annoncé la conclusion d'un traité à la veille de Noël et n'a laissé que trois jours ouvrables avant sa date d'instauration. Les entrepreneurs ne remercient pas le Premier Ministre britannique. « Hello, Johnson ? We have a problem ! », me disait hier un comptable britannique. Côté anglais, des droits de douane s'appliquent pour des colis de plus de 130 livres sterling. Certaines entreprises ont cessé de commander en ligne en raison de problèmes de TVA payée deux fois.
Quel sera l'impact de l'accord sur les PME françaises ? Avez-vous prévu un accompagnement pour les aider ? Les entreprises françaises établies au Royaume-Uni ne peuvent plus accueillir des stagiaires venant de France. Idem pour les échanges d'étudiants ou les jeunes au pair. Avez-vous entrepris des démarches bilatérales dans ce domaine, comme l'ont fait d'autres pays européens ?
Les services financiers ne font pas partie de l'accord, alors qu'ils représentent 7 % du PIB britannique. Les entreprises anglaises du secteur ont délocalisé vers les places financières de Paris, de Francfort, de Dublin ou d'Amsterdam. Comment fidéliser ces hauts cadres dirigeants ?
Le Brexit fait d'autant plus peur qu'il permet de s'affranchir de règles européennes et instaure une concurrence déloyale. Les grands groupes financiers ont mis leurs oeufs dans différents paniers et implanté leurs activités dans différents pays européens par crainte de voir un autre pays sortir à son tour de l'Union européenne.
De nombreux points sectoriels restent à négocier. C'est comme un oignon : à chaque couche retirée, il y en a une autre qui fait davantage pleurer. (Sourires)
La combinaison Brexit-Covid rend la situation très difficile à supporter pour ceux qui vivent à cheval entre les deux pays. Quand supprimera-t-on la « raison impérieuse » pour passer d'un pays à l'autre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Gisèle Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La défense européenne est-elle affaiblie ou libérée ? L'ambition de l'Europe tient moins à l'argent qu'à sa vision de son autonomie stratégique. Après les années Trump, l'Europe doit être présente sur de nouveaux fronts.
La crise sanitaire a ouvert les yeux des vingt-sept sur la nécessaire indépendance dans les domaines-clés que sont la santé et les technologies d'avenir
Le Brexit a privé les vingt-sept du paravent britannique bien utile pour cacher les divisions et les différences d'approche sur les questions de défense. Qu'est-il ressorti du Conseil européen ? La PESD doit être relancée, voire renouvelée.
L'épisode avorté d'un retour des contrôles à la frontière irlandaise pour surveiller les exportations de vaccins hors l'Union a agi comme un révélateur. Michel Barnier a estimé que l'activation de la clause article 16 était une erreur.
L'accord de retrait de 2019 proposait des relations plus étroites que l'accord commercial signé en décembre 2020. Il faut maintenir un front commun européen sur cette question.
Depuis le 1er janvier 2021, les demandeurs d'asile voulant rejoindre le Royaume-Uni, quels que soient leur âge ou leur situation familiale, doivent emprunter des voies irrégulières et dangereuses, surtout pour les enfants. Le règlement communautaire Dublin 3 a cessé de s'appliquer ; or il permettait de lutter contre les passeurs et les filières criminelles.
Nous n'avons aucune précision sur les dispositions futures. Il est urgent que le Gouvernement mette en place un nouveau mécanisme de réunification familiale, sans quoi, nous aurons de nouveaux drames dans le Grand-Calaisis.
Les traversées de fortune ont été multipliées par dix depuis 2018. La mobilisation des autorités est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'accord de commerce et de coopération résulte d'un processus long et pénible de plus de quatre ans. Il convient de féliciter Michel Barnier pour l'excellent travail réalisé, tant sur l'accord de sortie que sur l'accord de commerce et de coopération. Cependant, c'est un scénario perdant-perdant.
Commercialement, un accord de libre-échange n'est pas une union douanière : la circulation des marchandises est beaucoup moins fluide en raison des contrôles douaniers. Cela ne va pas s'améliorer.
Politiquement, le Royaume-Uni perd des avantages liés aux politiques et programmes de l'Union européenne et au réseau des accords internationaux.
L'Union européenne pèse aussi moins lourd à vingt-sept qu'à vingt-huit et se voit maintenant flanquée d'un nouveau concurrent.
Cet accord a limité les dégâts. Les deux parties se sont fait peur avec un cliff edge : le no deal. L'accord d'association est classique et permet des échanges de marchandises sans droits de douane ni quota.
Je salue un cadre juridique institutionnel unique. Le précédent suisse a montré qu'une série d'accords bilatéraux pose problème politiquement et techniquement. Un saucissonnage aurait été dramatique pour l'Union.
L'accord de retrait réglait déjà la circulation des citoyens européens au Royaume-Uni et britanniques dans l'Union européenne. À l'avenir, l'accès des citoyens européens au territoire et au marché du travail britanniques sera plus difficile mais des garanties minimales réciproques ont été obtenues en matière de visas et de protection sociale.
Le Royaume-Uni continuera à participer, sous conditions, à des programmes européens. Mais sa sortie d'Erasmus+ est une grande déception pour les étudiants.
Autre déception, les garanties d'une concurrence loyale, ce qu'il est convenu d'appeler le level playing field, ne sont pas à la hauteur de ce que nous aurions pu espérer. Le Royaume-Uni tirera profit de sa souveraineté retrouvée en matière réglementaire. L'Union européenne devra être vigilante et ne pas hésiter à protéger ses intérêts.
La pêche a été l'un des dossiers les plus difficiles à négocier. Le compromis trouvé est source de frustration pour nos pêcheurs. Le résultat aurait pu être pire, car le transfert de quotas au profit du Royaume-Uni s'élève à 25 % - quand Boris Johnson demandait 80 %. Mais nous devons être vigilants sur l'échéance de juin 2026, en n'hésitant pas à refermer le marché de l'Union pour les produits britanniques si nous ne sommes pas satisfaits de l'accueil réservé à nos pêcheurs.
Le protocole nord-irlandais, conclu lors de l'accord de retrait, n'est effectif que depuis cette année. Pour éviter le rétablissement d'une frontière visible, il impose des contrôles stricts pour les échanges de l'Irlande du Nord avec le reste du monde, y compris la Grande-Bretagne, et s'en remet aux autorités douanières britanniques pour les exercer. Ce système n'est pas dénué de failles, on l'a vu lorsque l'Union européenne a voulu instaurer des contrôles sur les exportations de vaccins. Pire, son efficacité dépend entièrement de la coopération d'autorités britanniques qui ont fait preuve jusqu'ici de la plus extrême mauvaise volonté.
Cette usine à gaz laisse augurer de sérieux dysfonctionnements dans les prochains mois, avec un risque de répercussion sur la situation politique irlandaise, notamment le fameux accord du Vendredi Saint.
N'oublions pas que nous avons affaire à la « perfide Albion » ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes . - Je suis heureux de répondre à vos interrogations et à vos préoccupations sur cet accord complexe.
Nous devons la sauvegarde de notre unité européenne à Michel Barnier, qui a incarné la fermeté européenne.
Depuis juin 2016, ce fut un long feuilleton. Nous avons dû définir nos intérêts européens communs il y a quatre ans. Le signal d'unité a été donné, alors que les Cassandre prédisaient un délitement de l'Union. Nous avions été clairs sur la nécessité de préserver le marché unique ainsi que la paix et la stabilité en Europe. C'est grâce aux règles européennes que la dissociation entre deux entités politiques et une entité économique en Irlande a permis l'accord du Vendredi Saint, il y a un peu plus de vingt ans.
L'accord de retrait de 2019 a réglé trois sujets : les intérêts financiers de l'Union européenne ; les droits de nos citoyens - 3 millions d'Européens, dont 300 000 Français, résident au Royaume-Uni - et la question irlandaise.
Nous vivrons durablement avec ce protocole complexe. Les difficultés actuelles sont dues au choix britannique et non à ce protocole ; ne nous trompons pas de responsabilité à cet égard.
L'activation de l'article 16, brandi par les Britanniques lorsque la Commission européenne a voulu, maladroitement, contrôler les exportations de vaccin, ne doit pas menacer le protocole. Les Britanniques doivent l'appliquer intégralement. Leur Gouvernement veut prolonger unilatéralement la période de grâce : c'est illégal et inacceptable.
Ce n'est que dans le cadre d'une discussion que le protocole pourrait être assoupli, pas unilatéralement.
Nous avons voulu, fin 2020, négocier l'accord commercial, avec des points sensibles comme la pêche. C'est un accord protecteur des intérêts européens et français. Il protège notamment les intérêts fondamentaux sur la pêche, avec un accès garanti pour cinq ans aux eaux britanniques. Certes, il aboutit à une réduction progressive des quotas et doit conduire à préparer l'après. Après juin 2026, les Britanniques pourraient opter pour un système de décision unilatérale annuelle sur l'accès à leurs eaux. En face, nous avons d'autres leviers de négociation.
Car notre souhait est évidemment que l'accès aux eaux britanniques soit maintenu.
Le level playing field vaut pour tous les secteurs. Pour la première fois, une capacité de vérification et de rétorsion est prévue, avec des mesures de compensation et des délais encadrés. C'est fondamental pour que l'accès au marché unique ne se traduise pas par une stratégie de dumping, un Singapour sur Tamise.
N'ayons pas un romantisme du no deal : il aurait conduit à un risque de délitement, de désagrégation de l'Union européenne ; or nous avons besoin d'une Europe solide et durable.
Troisième élément, le cadre de coopération avec le Royaume-Uni. Nous avons besoin de ce pays dans les décennies à venir, car il reste notre voisin - la géographie est têtue - et notre partenaire et allié - l'histoire est têtue.
Nous entrons dans une période de vérité : l'accord doit être mis en oeuvre et respecté. La question de la pêche est un test, avec notamment la délivrance des licences. Il en manque encore une cinquantaine pour la zone de six à douze milles. Cela prend du temps, mais nous les obtiendrons.
Nous devons aussi être vigilants sur les conditions de la concurrence équitable. La France souhaite un mécanisme d'alerte par les opérateurs économiques sur les écarts et divergences : il nous faut le retour du terrain. La Commission s'est engagée à le mettre en place. La France souhaite aussi des procédures de réaction et de rétorsion au niveau de l'Union européenne.
Si nous réussissons, cet accord pourra servir de modèle.
Il y a aussi ce qui ne figure pas dans cet accord, les « incomplétudes ». Je m'excuse auprès de M. Guérini d'avoir employé ce mot réservé à la psychologie et à l'arithmétique. Parlons donc plutôt de carences ou de manques. Je pense notamment à la sécurité et à la défense. Nous sommes dans une période pendant laquelle nous attendons que la poussière retombe : la négociation a laissé des traces, il faut retrouver des habitudes de travail en commun et sécuriser notre relation, dix ans après les accords de Lancaster House.
Il faudra aussi instaurer un cadre de coopération euro-britannique, alors que le Royaume-Uni a refusé de faire entrer la défense dans l'accord. La France a fait des propositions à cet égard : je songe à l'initiative européenne d'intervention, cadre de coopération informel entre nos armées, qui est déjà à l'oeuvre.
Le Président de la République avait proposé en mars 2019 un Conseil européen de sécurité pour répondre à des crises comme celles que nous voyons en Chine, en Russie ou en Birmanie.
La question de l'asile a fait l'objet d'un accord spécifique, avec un renforcement des financements britanniques pour surveiller la côte des Hauts-de-France. La voie la plus pragmatique serait celle d'un accord bilatéral spécifique, pour calquer les règles de reconduite sur celles de Dublin.
La question de la protection des données et celle des services financiers relèvent de compétences unilatérales de l'Union européenne. C'est donc un levier vis-à-vis du Royaume-Uni. C'est l'Union qui décide d'attribuer les équivalences en déterminant si la législation britannique assure une protection équivalente aux opérateurs européens.
Pour la protection des données, l'équivalence semble pouvoir être acquise. Les choses sont moins claires pour le secteur financier : l'accès au marché européen pourra n'être accordé que produit par produit. Dans ces deux domaines, les décisions européennes pourront être révoquées.
Je regrette aussi que l'accord soit muet sur la coopération étudiante - Erasmus+ et Horizon Europe ; c'était un choix britannique.
Le Brexit aurait pu sonner le début d'un délitement européen. Tel ne fut pas le cas. Au contraire. Il ne faut cependant pas nous rendormir, car le Brexit a été un signal d'alarme ; il a réveillé l'Europe et stimulé notre capacité à imaginer de nouvelles actions, comme le plan de relance européen, qui n'aurait pas été possible, je le crois, si les Britanniques étaient restés dans l'Europe.
Il nous faut maintenant démontrer notre agilité et notre réactivité pour que l'action collective européenne soit une vraie force. Mario Draghi disait récemment devant le Sénat italien qu'il n'y a pas de souveraineté dans la solitude. À l'Union de le démontrer en se réformant et en relevant de nouveaux défis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur diverses travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Michelle Gréaume . - Le maintien d'une exigence en matière de normes environnementales, sociales et fiscales impose un renforcement des contrôles aux frontières. Nous avons évité les embouteillages grâce à des recrutements et aux aménagements des ports, mais le trafic est fortement impacté. En janvier, les exportations ont baissé de 68 % en Grande-Bretagne. Qu'en sera-t-il à plein régime ? Le passage entre l'Eire et l'Irlande du Nord bloque, avec des pénuries dans les supermarchés nord-irlandais.
Nous venons d'inaugurer à Dunkerque une ligne directe de transport poids lourds avec Rosslare. Mais dans un même camion, on peut compter de 300 à 400 produits alimentaires différents... avec autant de certificats sanitaires.
L'Union européenne a rejeté la demande de Londres d'un délai supplémentaire pour normaliser le transit nord-irlandais. Ce sont les Nord-Irlandais qui paient le prix de l'intransigeance de Bruxelles et de Londres. Comment la France peut-elle aider à résoudre ces difficultés ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Début janvier, nous avons constaté un trafic plus faible, mais c'est traditionnellement le cas dans les premières semaines de l'année. À la mi-février, nous sommes revenus au niveau de trafic comparable à l'avant-Brexit, signe que les nouvelles procédures sont mieux connues et mieux comprises.
Nous avons recruté plus de 1 300 personnes supplémentaires pour organiser les contrôles. Les flux entre le Royaume-Uni et la France se passent bien, mieux que dans l'autre sens. La situation pourra se compliquer après le 1er avril et après le 1er juillet, puisque les contrôles britanniques seront alors pleinement mis en place.
De nouveaux itinéraires se développent : ce sont des opportunités pour nos compagnies maritimes. Le comité interministériel des restructurations industrielles est saisi du dossier de soutien de Brittany Ferries.
Mme la présidente. - Il faut conclure.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Sur l'Irlande du Nord, le protocole crée des frictions commerciales, mais il est notre meilleure protection. Il faut le respecter, même si un délai de grâce peut être envisagé.
M. Yves Détraigne . - Dès la prochaine rentrée scolaire, les jeunes européens ne pourront plus étudier au Royaume-Uni et les jeunes britanniques n'auront plus de bourses pour venir sur le continent. Les Britanniques ont considéré qu'ils perdaient trop d'argent avec ce programme.
Boris Johnson a annoncé un programme au nom d'Alan Turing pour permettre la mobilité étudiante britannique dans les universités européennes. Les étudiants européens au Royaume-Uni payeront désormais des frais aussi élevés que ceux des pays tiers, de l'ordre de 10 000 euros par an. Comment le Gouvernement va-t-il faire face à cette défection ? Les étudiants européens ne doivent pas être les sacrifiés du Brexit !
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je regrette ce choix : il pénalise le Royaume-Uni davantage que l'Union européenne, car il accueillait beaucoup d'étudiants européens.
Les étudiants français engagés dans un cursus britannique pourront le poursuivre dans les conditions actuelles.
Nous doublons les crédits budgétaires pour les bourses Erasmus en direction d'autres pays : il y aura donc des solutions pour les étudiants. Et je souhaite que nous relancions les négociations avec les Britanniques sur cette question fondamentale.
M. Gilbert Roger . - L'accord prévoit un système de coopération afin d'échanger des informations sur les évolutions des politiques liées au cyberespace, notamment sur la gouvernance de l'internet, la cybersécurité et la cyberdéfense. Cette coopération a minima fondée sur le volontariat est-elle satisfaisante ?
Le Royaume-Uni risque-t-il de rencontrer des difficultés dans les enquêtes en matière de cybercriminalité ? Quid de la participation britannique aux exercices de cybersécurité en Europe ? Ne craignez-vous pas une coopération moins performante en matière de lutte contre la cybercriminalité ? Le Brexit ne risque-t-il pas de fragiliser la coopération en matière de cyberdéfense ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Sur ce point, l'accord est incomplet ou ambigu : il prévoit des éléments de dialogue en matière de cybersécurité. La coopération prévue est assez limitée. Le Royaume-Uni n'est pas, à ce stade, associé à nos exercices futurs de cybersécurité.
Il faudra construire de nouvelles coopérations en la matière, au-delà de la seule directive Network and Information System Security (NIS). Cela fera partie des incomplétudes à combler dans les mois qui viennent.
Mme Béatrice Gosselin . - Les pêcheurs de la Manche rencontrent des difficultés depuis l'abrogation de l'accord de la baie de Granville, à la suite des accords du Brexit.
Signé en 2000, ce traité entre la France et le Royaume-Uni réglementait la pêche à proximité de Jersey et faisait de ce secteur transfrontalier une entité juridique unique permettant de se partager la mer entre voisins.
Depuis janvier, les bateaux français subissent de nombreuses contraintes. Ce sont de petites unités qui ne peuvent pêcher plus au large. Plusieurs incidents ont émaillé les relations avec Jersey qui délivre les licences. Sur 340 bateaux, 57 ont obtenu leur licence, les autres ne disposent que de licences provisoires expirant au 1er mai.
Cette situation n'est pas tenable et nos pêcheurs ne doivent pas être les grands sacrifiés sur l'autel de l'accord du Brexit. Qu'entendez-vous faire pour remédier à cette profonde injustice qui pourrait déboucher sur une situation sociale et économique explosive ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'important est d'obtenir à court terme le plus de licences possible, aussi complètes que possible ; pour la zone exclusive et les îles anglo-normandes, nous les avons obtenues jusqu'au 30 avril ; nous y travaillons pour la bande des 6 à 12 milles. Au-delà, il faut une licence stable et durable ; nous mettons la pression sur la Commission pour que le système soit défini rapidement.
L'accord de la baie de Granville ouvre deux options : un prolongement ou une renégociation. Nous avons jusqu'à la fin avril pour nous déterminer, l'essentiel était de conserver le même niveau d'accès.
Les mollusques bivalves posent des questions sanitaires spécifiques : les importations de pays tiers à l'Union européenne nécessitent un passage en bassin de purification avant leur commercialisation. Nous recherchons le meilleur moyen de ne pas perturber l'approvisionnement.
Mme Colette Mélot . - Le programme Erasmus+ ne fait pas partie de l'accord commercial, ce que nous regrettons : c'est un symbole de la réussite européenne. Les Britanniques craignaient que le programme ne leur coûte trop cher, sachant qu'ils accueillaient deux fois plus d'étudiants qu'ils n'en envoyaient en Europe. Pourtant, une étude autrichienne de 2018 a montré qu'Erasmus a un impact économique positif pour les pays d'accueil.
Le Royaume-Uni a développé son propre programme, le Turing Scheme, qui concernerait 35 000 étudiants dès septembre mais ne prévoit pas l'accueil d'étudiants étrangers ; les moyens, 100 millions de livres sterling, sont bien inférieurs à ceux d'Erasmus+. L'Écosse et le Pays de Galles semblent vouloir poursuivre avec Erasmus et l'Irlande du Nord aurait trouvé une solution ; pouvez-vous nous éclairer ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Vous avez rappelé l'impact économique positif du programme Erasmus. Notre priorité est de le développer, sans le Royaume-Uni, en doublant son financement.
Le Royaume-Uni a mis sur pied le Youth Mobility Scheme, pour le volontariat international en entreprise et le Turing Scheme pour la mobilité internationale des étudiants britanniques. Aux Britanniques de dire s'ils souhaitent une coopération universitaire avec nous ; nous pourrons l'envisager dans un cadre bilatéral, sur le modèle des bourses Fulbright par exemple.
M. Guillaume Gontard . - Les inconnues sont encore légion. La question migratoire a joué un rôle important dans le Brexit, mais celui-ci ne mettra pas fin à l'immigration sur le sol britannique, car les considérations légales ne résistent pas à la détermination des migrants : il y a eu 9 500 tentatives de passage de la Manche en 2020, quatre fois plus qu'en 2019, et six morts.
Le règlement de Dublin ne s'appliquant plus, qu'en sera-t-il du renvoi des migrants illégaux vers l'Union européenne, du regroupement familial des mineurs non accompagnés, des accords de Sandhurst de 2018 ?
Quels mécanismes de coopération régiront le renvoi de migrants illégaux entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, et entre le Royaume-Uni et la France ? Comment assurer le respect des droits humains fondamentaux ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Si nous conservons nos accords bilatéraux - accords du Touquet, protocole de Sangatte - le règlement de Dublin ne s'applique plus. Soit nous le prolongeons dans une négociation spécifique, soit nous traitons la question en bilatéral : c'est l'option privilégiée.
Priti Patel et Gérald Darmanin ont conclu fin décembre un accord pour intercepter les traversées de la Manche, qui ont quadruplé en 2020 : c'est une réponse efficace et humaine, car elle évite des drames. Nous avons refusé les interceptions en mer, trop dangereuses, mais sommes prêts à développer notre coopération opérationnelle.
M. Guillaume Gontard. - L'accord de novembre 2020 est un échec : les traversées continuent à augmenter. Cette politique ne marche pas. L'Europe fait l'autruche.
M. Ludovic Haye . - Le Royaume-Uni a contribué à la mise en place d'une stratégie européenne de cybersécurité. Son expertise dans ce domaine est reconnue ; il a fourni des experts à Europol et à l'Agence européenne de cybersécurité (Enisa).
Le Royaume-Uni a aussi invité les autres États à désigner les auteurs d'attaques cybercriminelles et à les sanctionner.
Espérons que le Brexit n'affaiblira pas la coopération dans ce domaine, alors que le risque cyber est plus important que jamais. Le Royaume-Uni a-t-il émis la volonté de participer à certaines activités de l'Enisa ? Les Britanniques participeront-ils aux prochains exercices de cybersécurité menés en Europe ?
Quelle est la position de la France sur le fonds d'ajustement de 5 milliards d'euros ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - À ce jour, le Royaume-Uni n'a pas émis le souhait de participer à l'Enisa et n'a pas prévu de prendre part au prochain exercice de cybersécurité en 2022.
À ce stade, le montant du fonds d'ajustement Brexit alloué à la France nous semble insuffisant, au vu de l'impact du Brexit sur la pêche française, qui est notre première priorité. En complément, Annick Girardin a présenté un plan de soutien à ce secteur, qui doit être validé au niveau européen. Nous y travaillons ardemment.
M. Jean-Noël Guérini . - L'accord du 24 décembre comporte des garanties sur la concurrence loyale en matière de commerce et d'investissement : celle de non-régression en matière sociale et de bonne gouvernance dans le domaine fiscal. On ne peut qu'y souscrire, en notant que nous n'en demandons pas autant à la Chine...
Des États membres comme les Pays-Bas et l'Irlande offrent des conditions fiscales de complaisance aux multinationales pour les attirer. Sur le plan social aussi, chacun joue sa propre partition. Ainsi, le salaire minimum est de 312 euros en Bulgarie. Le Parlement européen s'est d'ailleurs prononcé pour un salaire minimum européen.
L'Union européenne est-elle prête à s'attaquer plus frontalement à la concurrence fiscale et sociale au sein de l'Union européenne, comme elle le fait à l'égard du Royaume-Uni devenu un État tiers ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'accord économique et commercial avec le Royaume-Uni comporte des avancées sur le respect des niveaux de réglementation, et devra servir de modèle à nos futurs accords commerciaux.
Il est vrai que le risque de compétition interne demeure. Nous devons renforcer nos standards fiscaux et sociaux. Nous avons livré la bataille avec la directive sur le travail détaché, et j'espère un accord sur le règlement permettant de lutter contre les sociétés dites « boîtes aux lettres ». En matière fiscale, la règle de l'unanimité s'applique, mais je crois à la possibilité d'une convergence fiscale, notamment pour la taxation des entreprises numériques. Le Royaume-Uni est ambitieux sur ce sujet - tant mieux !
M. Jean-Michel Arnaud . - Si la pugnacité de Michel Barnier a évité un no deal, un secteur est oublié par l'accord, celui de l'industrie financière. Créées après la crise des subprimes en 2018, les chambres de compensation, par lesquelles transitent les transactions financières, sont presque toutes basées au Royaume-Uni, désormais pays tiers. Leur supervision pose problème, car elles relèvent du droit britannique, et la faillite d'une de ces chambres londoniennes aurait de lourdes conséquences pour les opérateurs européens. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce point, angle mort de l'accord post-Brexit ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Le sujet des chambres de compensation et des services financiers en général est systémique. C'est pourquoi la décision d'équivalence est toujours provisoire et révocable.
Fin 2020, la Commission européenne a accordé une équivalence aux chambres britanniques jusqu'à mi-2022. Il convient d'encourager leur relocalisation sur le territoire de l'Union, en profitant de cette période de transition, car c'est un élément de souveraineté.
Il faudra aussi déterminer si le Royaume-Uni conserve le même niveau d'encadrement et de régulation des chambres de compensation, condition sine qua non d'un éventuel prolongement de la décision d'équivalence au-delà de l'été 2022.
M. Gilbert-Luc Devinaz . - L'Union européenne voulait une pêche durable, innovante et compétitive. Le caractère inachevé de ce volet de l'accord, qui affecte 600 navires français, inquiète. Les pêcheurs britanniques ont voté à 92 % pour le Brexit : compte tenu de leur volonté de retrouver la totale souveraineté sur leurs eaux, je crains que le secteur de la pêche ne soit sacrifié.
Le 30 juin 2026, c'est le saut dans l'inconnu. Il y a déjà des problèmes d'application : je songe aux îles anglo-normandes. La perte de droits séculaires est un avant-goût de ce qui nous attend... L'accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques sera-t-il réduit ? Où en sont les négociations sur l'accès aux eaux britanniques territoriales et à celles des îles anglo-normandes ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - La pêche a été centrale dans les négociations ; elle le reste dans la mise en oeuvre de l'accord. Nous défendons cette filière avec le même engagement pour l'après 2026. Un no deal ou un mauvais accord aurait signifié sa disparation...
Nous avons préservé les six prochaines saisons, avec certes une baisse progressive des quotas jusqu'à 25 % ; les licences, je l'ai dit, seront obtenues. Il en reste une cinquantaine qu'il est vital d'obtenir.
L'Union européenne a des leviers dans la discussion avec le Royaume-Uni : en cas de fermeture des eaux britanniques, nous pourrions imposer des droits de douane sur les produits halieutiques et sur d'autres ; la coopération énergétique peut aussi entrer dans la négociation. Nous n'attendrons pas l'effet de falaise de l'été 2026, nous avons les moyens de défendre avec vigueur la pêche française.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ce qui pêche, si j'ose dire, c'est l'incertitude à un horizon de moins de six ans.
M. Ronan Le Gleut . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les citoyens français au Royaume-Uni sont plus de 144 000 à être inscrits au registre - en réalité, ils sont plus probablement entre 200 à 250 000. Pour préserver leurs droits, il leur faut désormais obtenir un statut de résident, le settled status, qui garantit le droit au travail, au séjour, aux prestations sociales. La date butoir pour déposer sa demande est fixée au 30 juin 2021.
Le Home Office sera-t-il indulgent pour les retardataires, vu le contexte de crise sanitaire et économique ? Ne peut-on envisager un protocole garantissant une flexibilité pour ces demandes tardives ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Question importante, car elle touche à la vie quotidienne. Environ 150 000 de nos concitoyens sont inscrits au registre consulaire, mais nous estimons à 300 000 le nombre de Français au Royaume-Uni. Nous avons enregistré 200 000 demandes de settled status ou pre-settled status. Nous avons engagé au sein du consulat et de l'ambassade toutes les démarches nécessaires pour informer nos concitoyens : tout est sur le site brexit.gouv.fr, mais nous accompagnons plus particulièrement les plus fragiles.
Repousser la date limite prolongerait encore l'incertitude. Il reste encore quatre mois. Si nous devions constater des difficultés, nous trouverions des solutions le moment venu. Le 30 juin est aussi la date limite qui s'applique aux ressortissants britanniques sur le sol européen. Il est dans notre intérêt de stabiliser la situation de tous.
M. Ronan Le Gleut. - Les remontées du terrain sur l'action de notre ambassade et de nos consulats sont excellentes. Mais seuls 200 000 sur les 300 000 Français résidant au Royaume-Uni ont fait la demande, c'est peu. Il faudra être vigilants, et être indulgents sur les demandes tardives. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Claudine Lepage . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Brexit a été un choc pour les Européens résidant au Royaume-Uni. Désormais, ils doivent faire face aux conséquences de l'accord de commerce et de coopération sur leur vie quotidienne. La demande du nouveau statut d'immigration doit impérativement être formulée avant le 30 juin 2021.
La procédure, entièrement dématérialisée, a été plébiscitée, mais qu'en est-il des personnes vulnérables ou âgées ? L'absence d'attestation confirmant ce nouveau statut est aussi source d'inquiétude.
Pouvez-vous nous éclairer sur les difficultés de nos ressortissants et les moyens de les aider ?
Ma seconde question concernait les étudiants, le Royaume-Uni ayant quitté Erasmus, mais vous y avez déjà largement répondu.
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M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Les autorités consulaires font un travail minutieux pour accompagner au plus près les Français vulnérables au Royaume-Uni. Certains mineurs en famille d'accueil sont aussi concernés. Nous demanderons si nécessaire des flexibilités pour traiter certains cas individuels. N'hésitez pas à faire remonter des problèmes particuliers.
M. Édouard Courtial . - L'accord commercial, qui ne prévoit ni tarifs ni quotas, est le plus ambitieux jamais conclu par l'Union européenne. Une concurrence équitable est plus nécessaire que jamais. Or la fiscalité est absente de l'accord, alors que les Britanniques ont annoncé vouloir mener une stratégie fiscale agressive. Certes, un chapitre encadre les aides d'État, mais quid de l'imposition sur les sociétés ou du principe de non-régression ? Il y a un vrai risque de dumping fiscal.
L'encadrement des aides d'État s'appliquera-t-il aux ports francs ou aux rescrits fiscaux ? Les dépendances de la Couronne - Jersey, Guernesey, île de Man - seront-elles examinées au titre de la liste noire des paradis fiscaux de l'Union européenne ? L'Europe et ses États membres vous paraissent-ils suffisamment armés pour protéger leurs entreprises et répondre efficacement à un éventuel dumping fiscal britannique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'accord comporte un principe de non-régression, y compris en matière fiscale, et l'obligation de respecter les grandes conventions internationales, en matière de lutte contre le blanchiment par exemple.
Le corpus juridique de l'Union européenne pour l'harmonisation fiscale est assez limité, il faut le reconnaître, car la règle de l'unanimité s'applique en la matière.
Le Royaume-Uni sera traité en fonction du respect des règles, comme tout pays tiers. Si des listes devaient être complétées, nous le ferions. Le Royaume-Uni a toujours été actif à nos côtés dans les instances internationales sur les questions de transparence fiscale.
Nous continuerons à travailler ensemble.
M. Cyril Pellevat . - Cet accord peut être qualifié d'historique. Nous n'imaginions pas qu'un État-membre puisse quitter l'Union européenne, mais elle a su s'adapter. Si nous avons évité un hard Brexit, personne n'est gagnant ; nous avons juste ramassé les pots cassés. Nous avons limité les conséquences fâcheuses, mais il n'y a aucun bénéficie à en attendre, ni pour l'Union européenne ni pour la France.
L'accord conclu, il convient d'accompagner les acteurs économiques, déjà impactés par la crise sanitaire, à surmonter les conséquences du Brexit. Le Gouvernement compte-t-il aider les entreprises françaises qui perdront des parts de marché au Royaume-Uni, soutenir les pêcheurs, faciliter les titres de séjour pour les saisonniers dans les stations de ski ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'existence même d'un accord limite les impacts négatifs du Brexit. Sans accord, l'estimation macro-économique était une perte de 0,1 point de PIB en 2021. Certes, par région ou secteur, les situations divergent. C'est pourquoi nous avons sollicité un plan d'aide pour la pêche dès 2021 et nous nous battons pour que les fonds soient disponibles au plus vite.
L'accompagnement à l'export est question de formalités et de soutien financier ; nous y travaillons avec Franck Riester.
L'accord prévoit que tout séjour inférieur à 90 jours n'est pas soumis à un visa. Le régime du détachement de travailleurs perdurera, il peut servir pour les emplois très qualifiés et permet une certaine fluidité.
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes pour ce débat, et tiens à saluer la ténacité de Michel Barnier.
Dans la loi de finances 2021, la contribution française au budget de l'Union européenne s'élève à 28,5 milliards d'euros, dont 26,9 milliards d'euros de prélèvement sur recettes, plus 1,6 milliard d'euros de droits de douane nets. C'est un montant record.
La crise sanitaire a bousculé les négociations entre les 27 ; le plan de relance sera financé par un emprunt dont le remboursement interviendra à partir de 2028.
Les perspectives de recettes sont très dégradées. Comment va évoluer la contribution française ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Au-delà du Brexit, la contribution française au budget de l'Union européenne augmente de 4 à 5 milliards d'euros sur la période 2021-2027.
Notre contribution nette est de 9 milliards d'euros par an, à mettre en regard d'avantages comme la participation au marché unique, sachant que 55 % de nos exportations vont vers l'Union européenne, et surtout le plan de relance européen, pour 40 milliards d'euros sur les trois prochaines années.
L'autre combat que nous menons, dans la perspective des prochaines échéances financières, est celui de la fin des rabais.
M. Marc Laménie. - La sortie du Royaume-Uni, qui contribuait pour environ 7 milliards d'euros, impacte la contribution des autres États membres.
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'absence de droits de douane et de contingent tarifaire aura évité une perturbation massive des flux commerciaux.
Mais le Brexit est avant tout le moyen pour le Royaume-Uni de mettre en oeuvre son projet de Global Britain et de se tourner vers d'autres parties du monde.
Les conséquences pour notre filière sucre risquent d'être catastrophiques. Nos betteraviers exportent 10 % du sucre et 15 % du bioéthanol vers le Royaume-Uni. Or celui-ci a décidé d'importer à bas prix du sucre brut d'autres régions du monde et de le raffiner sur son territoire. Le sucre britannique risque, à terme, de se retrouver sur le marché européen...
Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prévues pour pallier ces difficultés ? Des clauses de sauvegarde peuvent-elles être invoquées en cas de perturbation du marché intérieur ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - L'impact potentiel d'une telle recomposition des flux commerciaux est difficile à évaluer. La filière sucre pourrait en effet être concernée par des importations à bas coût.
Les clauses de sauvegarde, dont une spécifique aux produits de l'agriculture, peuvent être déclenchées en cas de forte pression sur un secteur. Nous pourrions aussi activer des mesures de marché, comme nous l'avons fait pour les viticulteurs. Il n'y a pas à ce stade d'alerte particulière mais nous suivrons ce sujet de près.
Mme Pascale Gruny. - Surveillez-le comme le lait sur le feu, car la filière betteravière est à bout, entre la fin des quotas, la perte de deux sucreries, les néonicotinoïdes, les aléas climatiques et maintenant, le Brexit ! Il faut la défendre - ou alors, dites clairement que vous n'avez rien à faire de l'agriculture et que ce fleuron sera abandonné ! Nous comptons sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.