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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Modification de l'ordre du jour

Accord en CMP

Fondation du patrimoine (Deuxième lecture)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Mme Sabine Drexler, rapporteur de la commission de la culture

M. Jean-Pierre Decool

Mme Monique de Marco

Mme Nadège Havet

M. Bernard Fialaire

M. Pierre Ouzoulias

Mme Dominique Vérien

Mme Marie-Pierre Monier

M. Max Brisson

La dette publique à l'aune de la crise économique

M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

M. Emmanuel Capus

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Didier Rambaud

M. Bernard Fialaire

M. Pascal Savoldelli

Mme Nathalie Goulet

M. Claude Raynal

M. Serge Babary

M. Michel Canevet

Mme Monique Lubin

M. Philippe Dallier

M. Patrice Joly

M. Laurent Duplomb

Mme Christine Lavarde

M. Sébastien Meurant

M. Vincent Segouin

M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains

« Comment construire plus et mieux en France ? »

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement

M. Daniel Salmon

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Éric Gold

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Pierre Louault

Mme Viviane Artigalas

M. Philippe Dallier

M. Franck Menonville

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Denis Bouad

M. Marc-Philippe Daubresse

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Laurent Somon

M. Bruno Belin

M. Laurent Burgoa

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains

Échec en CMP

« La réforme en cours de l'éducation prioritaire »

Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Julien Bargeton

M. Bernard Fialaire

M. Jérémy Bacchi

Mme Annick Billon

Mme Marie-Pierre Monier

M. Max Brisson

M. Jean-Pierre Decool

M. Thomas Dossus

Mme Sonia de La Provôté

Mme Sabine Van Heghe

M. Olivier Paccaud

Mme Sabine Drexler

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l'éducation prioritaire

Situation et devenir de l'économie sociale et solidaire

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

M. Éric Gold

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Florence Blatrix Contat

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Daniel Chasseing

M. Daniel Salmon

Mme Nadège Havet

M. Michel Canevet

M. Joël Bigot

Mme Frédérique Puissat

M. Rémi Cardon

Mme Corinne Imbert

Mme Marta de Cidrac

M. Gilbert Favreau

M. François Bonhomme

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

Annexes

Ordre du jour du mercredi 3 mars 2021




SÉANCE

du mardi 2 mars 2021

65e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Jacques Grosperrin.

La séance est ouverte à 14 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté sous les réserves d'usage.

Décès d'un ancien sénateur

Mme le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean-François Voguet, qui fut sénateur du Val-de-Marne de 2004 à 2011.

Modification de l'ordre du jour

Mme le président.  - Le débat à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes se tiendra mercredi 24 mars à 16 h 45. En conséquence, le débat préalable au Conseil européen se tiendra le mardi 23 mars au soir.

Accord en CMP

Mme le président.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l'élection du Président de la République est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Fondation du patrimoine (Deuxième lecture)

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, en deuxième lecture, sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale en première lecture, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, examinée suivant la procédure de législation en commission.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture .  - La singularité de la France s'exprime à travers la richesse et la diversité de notre patrimoine, élément de notre culture commune, mais qui contribue également à la croissance, à l'emploi et à l'attractivité de nos territoires. Nous devons le protéger et le valoriser.

La loi de finances initiale pour 2021 et le plan de relance lui apportent des moyens exceptionnels.

Le ministère de la Culture peut compter dans sa mission sur les collectivités territoriales et sur la Fondation du patrimoine. Celle-ci a agi, dès sa création, grâce à la délivrance d'un label associé à un avantage fiscal. Elle a aussi contribué au succès du loto du patrimoine, en lien avec Stéphane Bern et les directions régionales de l'action culturelle (DRAC).

Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée des recommandations du rapport de la Cour des comptes. L'élargissement du champ du label a été repris par la troisième loi de finances rectificative pour 2020, ce qui a rendu l'article premier sans objet. La composition du conseil d'administration se rapproche du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique : c'est un point d'équilibre.

Sur la réaffectation des fonds devenus sans objet, la fondation a trouvé une solution : l'article peut donc demeurer supprimé.

Je remercie le Sénat pour son travail sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI)

Mme Sabine Drexler, rapporteur de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission.) Cette proposition de loi déposée par Dominique Vérien il y a deux ans achève presque son parcours : une ultime lecture à l'Assemblée nationale sera toutefois nécessaire, en raison des deux coordinations adoptées en commission. Mais sur le fond, notre commission a considéré que le texte de l'Assemblée nationale était un très bon compromis.

Les députés ont adhéré à nos préoccupations, notamment sur le soutien au patrimoine rural. Ils ont dit oui à de nombreuses propositions du Sénat sur l'extension du périmètre géographique ou l'intégration des parcs et jardins. L'Assemblée a aussi précisé deux points : un immeuble non habitable du patrimoine rural peut échapper aux conditions de périmètre géographique de labellisation ; les propriétaires de biens invisibles de la voie publique mais qui s'engagent à les rendre accessibles au public pourront bénéficier des avantages fiscaux.

Elle a validé la réforme du conseil d'administration pour la rapprocher du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique, la moitié des sièges restant réservés aux mécènes et donateurs. Elle a accepté la suppression des prérogatives de puissance publique qui n'ont jamais été utilisées.

Notre seule déception concerne l'article 5 sur la réaffectation des dons devenus sans objet. L'objectif de cette disposition était de permettre à la Fondation de réaffecter plus facilement les 10 millions d'euros qui dorment dans ses caisses, mais elle présentait des difficultés juridiques. La commission s'est ralliée à la suppression de l'article 5 au vu des précisions apportées par la Fondation : un de ses bénévoles contactera les donateurs concernés.

La commission a adopté deux dispositifs de coordination. L'un concerne l'article premier et l'entrée en vigueur de la réforme du label. L'autre, à l'article premier bis, supprime une terminologie obsolète depuis 2005 - l'inventaire supplémentaire aux monuments historiques - dans les parties législatives des codes. Tous les autres articles ont fait l'objet d'une adoption conforme. Même amputé de son article phare, ce texte conserve des dispositions essentielles pour la Fondation du patrimoine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)

M. Jean-Pierre Decool .  - Au côté des grands monuments historiques existe une myriade de moulins, fontaines, anciennes manufactures, chapelles, colombiers, bateaux de pêcheurs, lavoirs, qui subissent aussi les affres du temps. La Fondation du patrimoine est un grand hôpital dans lequel des milliers de projets locaux de sauvegarde voient le jour, avec ses vingt-deux délégués régionaux, ses cent délégués départementaux et ses six cents bénévoles sur le terrain. Nous avons vu sa puissance après l'incendie de Notre-Dame de Paris : en quelques jours, elle a levé l'équivalent d'une année de dons. En 2019, elle a mobilisé la générosité de 280 000 donateurs et de 6 000 entreprises mécènes.

Sauver notre patrimoine, c'est transmettre notre histoire à nos enfants et petits-enfants. Mais c'est aussi contribuer au développement de nos territoires.

La proposition de loi vise à améliorer l'efficacité de la Fondation du patrimoine, créée en 1996 sur une initiative sénatoriale, notamment en rénovant sa gouvernance et les conditions de délivrance du label. La disposition portant le seuil de 2 000 à 20 000 habitants a été supprimée car elle figure déjà dans la troisième loi de finances rectificative. La composition du conseil d'administration sera resserrée et associera plus étroitement les mécènes. Je regrette la suppression de l'article 5, même si je ne méconnais pas le risque d'inconstitutionnalité : les 10 millions d'euros de fonds non affectés pourraient être alloués à d'autres projets. Nous avons la responsabilité de sauver de la ruine des édifices exceptionnels comme les églises rurales, véritables joyaux de l'art gothique. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission)

Mme Monique de Marco .  - Cette proposition de loi a pour objectif de redonner du souffle à la Fondation du patrimoine. Le groupe écologiste est favorable aux évolutions de sa gouvernance. L'article premier, repris dans la troisième loi de finances rectificative, était également bienvenu. Il est regrettable cependant qu'aucune solution législative n'ait été trouvée concernant l'article 5.

Un point de vigilance : la suppression, à l'article 6, des pouvoirs spécifiques d'acquisition et de gestion de la Fondation du patrimoine, notamment l'expropriation. Ils étaient certes inhabituels et n'ont jamais été mis en oeuvre, mais fallait-il pour autant les supprimer ?

Au moment de sa création, la Fondation du patrimoine devait aussi intervenir en faveur du patrimoine naturel, aujourd'hui sous-financé. Je regrette que cette dimension n'ait pas été remise à l'ordre du jour. Le GEST votera toutefois cette proposition de loi.

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La Fondation du patrimoine est la première actrice de la générosité en faveur du patrimoine. Elle soutient les propriétaires qui s'investissent pour sauver notre patrimoine non protégé, via des dons, des subventions, des aides fiscales, le loto, etc. Au total, quelque trois mille projets sont soutenus chaque année.

Cette proposition de loi porte sur la gouvernance et les outils de la Fondation : c'est un texte bienvenu et nous félicitons notre collègue Dominique Vérien. Nous connaissons l'attachement de nos concitoyens à notre patrimoine mais aussi les difficultés rencontrées par les élus pour sa sauvegarde. Critiqué par la Cour des comptes, l'effectif du conseil d'administration - 25 membres - est réduit. Nous y sommes favorables.

Les porteurs de projets peuvent solliciter des dons, mais certains projets n'aboutissent pas ou avec d'autres financements. C'est pourquoi 10 millions d'euros sont aujourd'hui inaffectés.

Dans le Finistère, la restauration de l'église Saint-Tugdual de ma commune de Saint-Pabu va bénéficier d'un soutien de la Fondation. Ce projet a connu des modifications et une nouvelle étape de restauration démarrera au second semestre 2022. Non loin de là, le phare de l'Île Vierge est le plus haut d'Europe, le plus haut du monde parmi ceux en pierre de taille, et le quatrième plus haut du monde avec ses 365 marches : il sera prochainement restauré et partiellement transformé en gîte. Je vous invite à découvrir ces deux merveilles dans le reportage de l'émission Des racines et des ailes. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La France est riche d'un patrimoine bâti exceptionnel, des châteaux aux pigeonniers en passant par les jardins remarquables. Sa valorisation est essentielle à l'attractivité de nos territoires. La Fondation du patrimoine est devenue un partenaire privilégié, complémentaire de l'État. C'est un outil indispensable, qui soutient quelque deux mille monuments non protégés chaque année. Cela contribue au développement des centres-bourgs, à la transmission des savoir-faire artisanaux et à l'essor du tourisme rural.

Je salue l'investissement de ses six cents bénévoles sur le territoire.

La Fondation doit garder un cap : la défense du patrimoine non protégé et tout particulièrement du patrimoine rural. On ne peut que soutenir l'extension du label délivré par la Fondation, malheureusement restreint par une instruction fiscale de 2005 aux communes de moins de 2 000 habitants.

Le RDSE est favorable à l'élargissement du label au patrimoine rural des communes de moins de 20 000 habitants, qui correspond mieux aux nouveaux contours du monde rural. Nous l'avions déjà voté dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020 et soutenu l'élargissement aux parcs et jardins.

L'objectif de sauvegarde du bâti rural a été amélioré par rapport à la première lecture et le collège des collectivités territoriales élargi aux communes rurales. Cela va dans le bon sens.

La gouvernance de la Fondation sera modernisée et rapprochée du droit commun des fondations d'utilité publique.

Seul regret, l'article 5 permettant la réaffectation des dons a été supprimé par l'Assemblée nationale, en raison de sa fragilité juridique. Le Gouvernement doit réfléchir à une nouvelle base légale.

Doit-on craindre une raréfaction du mécénat des entreprises ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, madame la ministre ?

Ici, dans cette maison des collectivités territoriales, point n'est besoin d'en dire plus sur ce patrimoine du quotidien qui fait le charme des détours sur les routes de France ! Le RDSE votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Pierre Ouzoulias .  - La Fondation du patrimoine est née en juillet 1996 de la volonté de créer un outil pour suppléer l'action publique en mobilisant les bénévoles, le mécénat d'entreprises et la générosité privée. Elle demeure un apax parmi les fondations d'utilité publique : elle seule est financée par des recettes domaniales échappant au contrôle du Parlement.

Dans l'euphorie des réflexions sur la réforme de l'État, on l'a conçue comme le parangon d'une collaboration heureuse entre partenaires publics et privés pour le patrimoine rural non protégé. Elle était créée sur le modèle du National Trust britannique qui compte, lui, quatre millions d'adhérents, un demi-milliard d'euros de budget annuel et cinq mille salariés. À côté, la Fondation du patrimoine n'a que six mille adhérents, et un budget de 32 millions d'euros. Les membres qui devaient la financer ont été remplacés par les acheteurs de billets de loto. La Cour des comptes l'a signalé : elle n'a jamais encouragé l'adhésion, craignant de ne pouvoir animer un trop large réseau.

Dépourvue de ressources privées espérées, elle a été sauvée en 2003 par l'attribution d'une fraction des taxes sur les successions en déshérence, représentant 40 % de ses ressources en 2010. Or cette recette domaniale de l'État échappe au contrôle du Parlement, ce qui entre en contradiction avec l'article 51-1 de la loi organique relative aux lois de finances. Il serait légitime que le Gouvernement satisfît à cette obligation d'information.

Cet apport d'argent public a permis à la Fondation de développer ses actions mais a complexifié ses rapports avec l'État : cette ambiguïté a été révélée lorsque la Fondation du patrimoine a fait cesser la collecte de fonds pour la restauration de Notre Dame de Paris, à la grande perplexité de votre prédécesseur - c'était pourtant une décision parfaitement légitime au vu de l'indépendance voulue pour cette fondation.

Cette proposition de loi modifie la gouvernance de la Fondation par rapport au projet d'origine ; c'est de bon sens. Mais fallait-il fixer par la loi les statuts d'un organisme dont les pratiques se sont éloignées des objectifs initiaux ?

Yann Gaillard, en 2002, estimait que la Fondation du patrimoine devait avoir un rôle pilote pour le patrimoine non protégé. Il voulait des ressources pérennes. La Fondation a rempli ses missions à proportion de ses moyens. Mais nous aurions pu ne pas faire l'économie d'une réflexion d'ensemble.

Déjà, en 1987, Serge Antoine soulignait que le patrimoine rural était l'oublié d'une société ingrate envers ses agriculteurs. Trente-cinq ans après, cela me semble toujours d'actualité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs autres travées)

Mme Dominique Vérien .  - La Fondation du patrimoine oeuvre pour le petit comme pour le grand patrimoine. Notre patrimoine est riche et porteur de valeurs : l'union de tout un village autour de la restauration d'un lavoir en témoigne.

Élue du village natal de Colette, qui compte une tour ovoïde du XIe siècle, une église du XIIIe et un château du XVIIe pour 930 habitants, vous comprendrez mon attachement non seulement au patrimoine, mais aussi à la Fondation du patrimoine.

Lorsque je déposai cette proposition de loi, je n'imaginais pas la course d'obstacles qu'il lui faudrait subir. Le texte ne serait pas le même sans son premier rapporteur, Jean-Pierre Leleux. Nous devions le voter conforme, mais patatras ! Une erreur dans un amendement exige une seconde lecture. Heureusement que Franck Riester a sauvé l'extension du label aux communes de plus de 20 000 habitants en l'incluant dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020.

La Fondation du patrimoine a pris toute sa part dans la souscription pour Notre-Dame-de-Paris.

Elle veut se doter d'une gouvernance plus légère et efficace suivant la recommandation de la Cour des comptes. Je suis ravie d'y voir rentrer les maires ruraux.

Je remercie le président Lafon d'avoir repris ce texte en législation en commission, ainsi que Mme Sabine Drexler, nouvelle rapporteure, dont le sérieux aurait été salué par M. Leleux.

Madame la ministre, aidez-nous à aller jusqu'au bout de cette réforme. Ce qui est bon pour la Fondation est bon pour le patrimoine ! Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Pierre Monier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis 1996, la Fondation du patrimoine est un acteur incontournable pour la préservation du patrimoine de proximité. Elle accompagne des milliers de pépites locales, fers de lance de collectivités territoriales. Je pense au prieuré de Manthes, devenu un lieu d'éveil artistique, au pigeonnier de Mirmande, au salon chinois de l'hôtel Lagier de Vaugelas à Die...

Nous nous sommes accordés avec l'Assemblée nationale sur la réforme de la gouvernance.

L'élargissement du label nécessitait un soutien financier accru. Après l'adoption anticipée de l'extension du périmètre dans la troisième loi de finances rectificative - accélération dont nous nous félicitons - la principale disposition est la simplification de la gouvernance à l'article 3. Je salue le point d'équilibre trouvé, qui rapproche la Fondation du statut-type des fondations d'utilité publique.

L'article 5 sur la réaffectation des dons faisait courir un risque d'inconstitutionnalité ; sa suppression est une sage décision de l'Assemblée nationale. Mais n'oublions pas le problème pour autant et le travail titanesque qui sera nécessaire pour retrouver les donateurs.

Le groupe SER soutiendra cette proposition de loi pour une Fondation du patrimoine défendant notre patrimoine matériel et immatériel, notamment dans le monde rural et hyper-rural. Nous espérons qu'elle continuera à être soutenue dans la durée par le ministère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Max Brisson .  - Madame la ministre, vous avez été confrontée à des textes plus difficiles... (Sourires) Je me réjouis du quasi-consensus que suscite ce texte. Au Sénat, nous aimons le patrimoine ! Et pas seulement parce que la Fondation fut créée à l'initiative d'un sénateur, Jean-Paul Hugot - votre compatriote du Maine-et-Loire, madame la ministre.

La Fondation du patrimoine défend le patrimoine rural, et soutient 3 000 projets par an, principalement dans des petites communes. Elle a protégé 32 000 sites en 25 ans, grâce à un label qui favorise les travaux de restauration par les propriétaires, à des souscriptions populaires comme celle en faveur de Notre-Dame-de-Paris, au loto, et à la mobilisation de ses 600 bénévoles.

Reprenant des recommandations de la Cour des comptes, ce texte étend le périmètre du label, qu'une instruction fiscale avait restreint. Le Sénat a garanti que le patrimoine rural demeurera prioritaire. Les parcs et les jardins seront également concernés. Je salue le travail de Jean-Pierre Leleux.

Le texte réduit l'effectif du conseil d'administration et le rapproche d'autres fondations. Représentants des associations du patrimoine et des collectivités territoriales rurales entreront au conseil d'administration.

La Fondation du patrimoine donne vie à nos trésors, parfois réaffectés à de nouvelles fonctions : la friche industrielle est devenue médiathèque, l'ancienne prison école de photo, le mur d'enceinte un chantier d'insertion.

Elle assure aussi une mission économique et sociale, dans le contexte de crise sanitaire, un vecteur de relance économique, de création d'emplois et de transmission des savoir-faire des artisans et artisans d'art.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi, en espérant voir son adoption définitive avant les calendes grecques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

L'ensemble de la proposition de loi est adopté.

La séance est suspendue quelques instants.

La dette publique à l'aune de la crise économique

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la dette publique à l'aune de la crise économique actuelle, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains). À l'initiative de Bruno Retailleau et Jean-François Husson, le groupe Les Républicains a demandé ce débat, parce que la dette est partout : elle a cru de quinze à vingt points de PIB en un an ! Une hausse historique, à la mesure de la crise que nous traversons.

Le débat mérite mieux que des « y'a qu'à » : cette formule magique, comme toutes les magies, n'est fondée que sur l'illusion. La commission Arthuis et la Cour des comptes devront nous éclairer.

Ce débat mérite mieux aussi que des approximations, comme celle du Haut-Commissaire au plan expliquant la semaine dernière qu'il fallait repousser la dette Covid, c'est-à-dire faire des différés d'amortissement, en oubliant que l'essentiel de notre dette se paie in fine, sans amortissement. Étonnant de faire des propositions aussi absurdes... (Applaudissements sur quelques travées à droite)

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. C'est à nous, parlementaires, de parler « en responsabilité », comme dirait le Premier ministre, de ce qui sera fait.

Je ne propose pas de solutions définitives - s'il y en avait, cela se saurait...

Il y a plusieurs dettes : celles de l'Unedic, de la SNCF, de nos collectivités. Elles appellent des solutions différentes. De même, la question des retraites à venir n'est pas celle de la dette de l'État.

Un ménage surendetté n'arrive plus à vivre. C'est notre cas : notre déficit public primaire permanent relève du surendettement !

Notre stock de dette est quasi équivalent à nos actifs, mais le premier croît rapidement, alors que les seconds sont immobiles. Pour une entreprise, cela signifierait la banqueroute à court terme.

Notre dette n'est pas une dette d'avenir : c'est une mauvaise dette ! Nous faisons payer toujours plus aux générations futures pour notre propre confort : tout le contraire de la logique du développement durable.

Certains prétendent qu'on pourrait annuler la dette. C'est la nouvelle formule magique. Comme si l'on pouvait toujours dépenser plus sans que cela porte à conséquence... Je vois un rapprochement étonnant entre le « quoi qu'il en coûte » de M. Macron et certains discours à gauche. (Murmures à gauche) Je me garderai bien de leur jeter la pierre, car en 2008, il y a eu parfois un phénomène similaire à droite.

M. Claude Raynal.  - Ah !

M. Jérôme Bascher.  - Personne en Europe ni dans le monde ne songe à annuler la dette : nous sommes les seuls à proposer cette martingale.

M. Philippe Dallier.  - Pas nous !

M. Jérôme Bascher.  - La dernière fois que nous avons fait défaut, c'était sur les assignats - un épisode de sinistre mémoire.

Faut-il cantonner la dette Covid ? L'exemple de mauvaise gestion de la Cades n'y incite pas : c'est une dette plus chère.

Pour rallonger la dette, encore faut-il que quelqu'un l'achète  - or nous n'avons pas de fonds de pension qui achètent des livres sterlings, comme en Angleterre.

Faut-il augmenter les impôts, réduire les dépenses ? Faut-il plus de croissance, comme le souhaite M. le ministre ? Mais on n'a jamais réduit la dette avec la croissance ! Reste l'option de l'inflation.

Réagissons vite, car les taux d'intérêts remontent et la banqueroute est proche ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC, tandis que M. Claude Raynal s'exclame.)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance .  - Nous traversons une crise économique inédite dans son ampleur comme dans sa durée. Le président de la République a choisi de protéger les Français et nos entreprises, quoi qu'il en coûte. Notre dette publique atteint 120 % de la richesse nationale, un niveau inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La moitié de cette hausse de vingt points résulte pour moitié de la dégradation du déficit, mais pour l'autre moitié de la diminution du PIB qui a baissé de 8,2 % en 2020.

L'augmentation massive de la dette publique était le seul choix responsable pour faire face à la crise, protéger les salariés, éviter le chômage de masse et un tsunami de faillites. Il nous permettra de rebondir vite et fort dès cette année.

Oui, en 2021, l'économie française repartira vite et fort ! Car les fondamentaux de notre économie restent sains.

Reste que ce niveau d'endettement ne doit pas devenir une vulnérabilité pour la France. Pour cela, il faut être clair : la France remboursera sa dette ! Nous devons la stabiliser, puis engager sa réduction.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous avons d'abord une dette chronique, liée à des dépenses publiques les plus élevées de tous les pays développés au monde. Entre 2007 et 2019, notre dette a explosé, passant de 64 à 98 % de notre richesse nationale.

Pour la première fois depuis vingt ans, notre majorité avait réussi à ramener le déficit sous les 3 % du PIB, faisant sortir la France de la procédure pour déficit public excessif. Nous l'avons fait tout en baissant massivement les impôts, de 45 milliards d'ici à fin 2021, baisse répartie à égalité entre entreprises et ménages.

Pour réduire cette dette chronique, nous devons optimiser l'efficacité de la dépense publique.

Ensuite, il y a la dette choisie, qui protège notre économie. Responsable et nécessaire, elle nous permettra de rebondir rapidement. On a déploré 31 000 faillites en 2020, contre 50 000 en 2019 : l'Unedic attendait 900 000 suppressions d'emplois en 2020, 360 000 auront été constatées.

Aurons-nous un problème de financement de la dette ? Non. La France a la confiance des investisseurs et la gardera en étant claire sur sa stratégie de remboursement.

M. Philippe Dallier.  - Pourvu que ça dure ! (Sourires)

M. Bruno Le Maire, ministre.  - En 2020, alors que la dette augmentait, sa charge a baissé compte tenu des taux bas. En 2020, la charge des intérêts était inférieure à 30 milliards, alors qu'elle était de 39 milliards en 2019. Nous avons emprunté en 2020 à un taux moyen inférieur de 20 points de base au taux moyen de 2019.

Garant de la confiance des investisseurs dans la signature de la France, je le répète, nous rembourserons notre dette suivant une stratégie et un calendrier convaincants pour les marchés.

La hausse du taux évoquée par M. Bascher est naturelle et limitée. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé qu'elle maintiendrait des conditions de financement favorables.

Mme le président.  - Il faut conclure.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je répondrai sur les modalités du remboursement ultérieurement, mon temps de parole étant épuisé. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Emmanuel Capus .  - La dette française a atteint 250 % du PIB au sortir de la Seconde Guerre mondiale ; au début des années 1950, elle était tombée à 30 %. La rapidité avec laquelle elle a été résorbée laisse rêveur...

La situation est cependant très différente aujourd'hui : l'économie doit repartir vite, mais le pays n'est pas à reconstruire.

La dette publique n'a jamais été aussi élevée mais l'épargne privée également. C'est une opportunité pour financer la reprise. Le Gouvernement ne peut plus diriger l'épargne, mais il peut l'orienter vers des investissements stratégiques.

Monsieur le ministre, je lis dans la presse que vous vous êtes emparé de la question. Quels outils le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour l'orienter ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Pour rembourser la dette publique, j'exclus toute augmentation d'impôt. Ce serait une erreur politique et une faute économique ! (Applaudissements sur quelques travées au centre et à droite)

Il faut jouer sur trois leviers : croissance, maîtrise des finances publiques, réformes de structure.

En premier lieu, nous voulons inciter les Français à mettre leur épargne au service de la relance. Je pense aux fonds labellisés Relance pour nos PME, un grand succès ! Le 1er mars, les 150 fonds ayant reçu ce label ont levé 25 milliards d'euros qui vont financer l'économie.

En deuxième lieu, je suis favorable à une règle pluriannuelle de stabilisation de la dépense publique et à un examen approfondi de ces mêmes dépenses. Nous attendons les propositions de la commission Arthuis.

Enfin, les réformes de structure doivent se poursuivre, notamment pour sauver notre système de retraite. Vous connaissez ma conviction : il faudra que les Français travaillent plus longtemps pour le financer. (M. François Patriat applaudit.)

M. Emmanuel Capus.  - Le groupe Les Indépendants a fait une proposition pour mobiliser l'épargne privée via des fonds souverains régionaux. J'espère que nous pourrons en débattre bientôt.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Vous disiez il y a un instant qu'il y a deux dettes, la bonne et la mauvaise. En réalité, il y en a trois, la troisième étant la dette écologique... (Murmures désapprobateurs sur certaines travées du groupe Les Républicains) Et personne ne peut savoir ce qu'elle va nous coûter.

Vous comptez sur la croissance pour rembourser la dette, mais vous tablez sur n'importe quelle croissance ! Il faut nous diriger vers une croissance verte et mettre un terme aux dépenses brunes.

Comment allez-vous prendre en compte la dette écologique ? Comment éviter que votre traitement de cheval n'entraîne une catastrophe sociale et un effondrement des services publics ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.  - Le plan de relance flèche un tiers des crédits vers la transition écologique, soit plus de 30 milliards d'euros. Toutes les politiques en faveur de la transition écologique voient leurs moyens augmenter.

Les dépenses sont désormais évaluées en fonction de leur coloration verte ou brune. Avec les parlementaires, nous nous efforçons de prendre en compte de plus en plus les dépenses fiscales dans le cadre de ce budget vert.

Enfin, le Gouvernement a annoncé la trajectoire de sortie des avantages et garanties de l'État accordés jusqu'à présent aux investissements défavorables à l'environnement.

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Parler de l'assurance chômage comme une solution pour réduire la dette est totalement déconnecté de la réalité sociale de notre pays.

M. Didier Rambaud .  - Le « quoi qu'il en coûte » - 106 milliards d'euros de mesures d'urgence - a permis aux entreprises et aux Français de faire face à la crise.

Le soutien a un coût : la dette est passée de 98 à près de 120 % du PIB. Mais le phénomène est généralisé dans l'OCDE. Il faut distinguer l'annulation, qui serait une faute politique et un non-sens économique, du cantonnement de la dette qui mérite notre attention. Peut-on isoler la dette Covid ? La France a su isoler sa dette sociale avec la création de la Cades qui a permis de la réduire de 260 à 100 milliards d'euros en 2019 et qui l'aurait apurée en 2024 sans le Covid.

Quelles solutions privilégier pour rembourser cette dette ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Sur le principe du remboursement, le Gouvernement est clair : oui, cette dette doit être remboursée. La question, c'est quand et comment. Je viens de présenter une stratégie claire. Rien ne serait plus dommageable pour l'économie que d'appuyer à la fois sur le frein et sur l'accélérateur : il faut attendre que la croissance soit de retour avant d'engager le rétablissement des finances publiques. On l'a vu lors de la précédente crise avec un essoufflement de l'activité économique.

Vous avez déjà voté le cantonnement de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à la Cades. La dette Covid s'élève à 215 milliards d'euros : 75 milliards d'euros pour la sécurité sociale, 140 milliards pour l'État. Je suis favorable à son cantonnement, en réfléchissant à des ressources spécifiques pour son remboursement.

M. Bernard Fialaire .  - L'ampleur de la crise a nécessité une action budgétaire résolue, le fameux « quoi qu'il en coûte ».

En mars 2020, la Commission européenne a suspendu le seuil d'endettement maximal de 60 % du PIB sans provoquer de panique sur les marchés, grâce à la politique expansionniste de la BCE.

Le retour de la croissance doit permettre le remboursement de la dette. Le Haut-Commissariat au plan a proposé un cantonnement ; mais ne faut-il pas aussi réviser les règles européennes d'encadrement des finances publiques, qui paraissent obsolètes ? La dette privée vous inquiète-t-elle ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Nous pouvons faire face à la crise parce que les conditions d'emprunt de la France sur les marchés sont favorables. Au Gouvernement de maintenir la crédibilité de la signature française. La BCE, par sa politique monétaire et les rachats de titres, mais aussi le plan de relance européen, nous permettent, collectivement, de faire face à la crise.

Nous travaillons avec la Commission sur le décaissement du plan de relance à l'échelle européenne. Il faudra aussi déterminer les nouvelles ressources propres du budget européen.

Ensuite viendra le temps du débat sur les indicateurs.

M. Bernard Fialaire.  - Quid de la dette privée et d'une éventuelle bulle ? Ne risque-t-elle pas de mettre à mal la relance publique ?

M. Pascal Savoldelli .  - Cantonner la dette publique n'est pas le sujet puisque c'est un enjeu structurel et le fruit de décisions politiques. Ma question est simple. Un jour on blâme la dette publique, un autre on l'encourage, un jour elle est responsable, un autre irresponsable... L'endettement a justifié toutes les réformes austéritaires. Comprenez-vous que cet endettement vient de la perte de recettes que vous avez infligée aux finances publiques ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - L'augmentation de la fiscalité est exclue. Le choc fiscal subit par les ménages en 2009 et 2010 n'a pas provoqué de croissance, pas plus que celui subit par les entreprises en 2012 et 2013. Fin 2021, les impôts auront baissé de 45 milliards d'euros, pour moitié au profit des entreprises et pour moitié au profit des ménages - 22,5 milliards d'euros concentrés sur la suppression de la taxe d'habitation et la baisse de l'impôt sur le revenu sur les deux premières tranches. Nous sommes loin des caricatures.

Oui, il y a une dette acceptable, celle qui construit l'avenir. Celle qui finance des dépenses courantes est problématique.

M. Pascal Savoldelli.  - Qui se priverait de son salaire pour ensuite se lamenter sur ses créances ? Tout cela, ce sont des choix politiques idéologiques !

Vous baissez de 20 milliards d'euros les impôts de production, l'impôt sur les sociétés passe de 33 % à 25 % - soit un manque à gagner de 4 milliards d'euros - sans compter la suppression de l'ISF, la privatisation de la Française des Jeux et j'en passe. Si l'État avait gardé ses recettes, sa dette de 2012 aurait été inférieure de 22 points ! La crise aurait pu être abordée tout autrement...

L'État n'est rien d'autre qu'une victime résignée des marchés financiers... (M. le ministre sourit, tandis que M. Philippe Dallier s'exclame.)

Mme Nathalie Goulet .  - J'ai rapporté le budget des engagements financiers de l'État ces trois dernières années. Je veux rendre hommage à l'Agence France Trésor et à son directeur.

Pour la fraude à la TVA, on attendait un logiciel de détection précoce. Pour la fraude sociale, le Gouvernement a un plan ambitieux. Enfin, en matière de fraude fiscale, les ambitions semblent faire défaut, selon la Cour des comptes. Je pense notamment à un abus de droit impliquant le Luxembourg dont un journal du soir s'est fait l'écho.

Quels sont les moyens engagés par le Gouvernement dans ces domaines ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je veux vous rassurer : plus nous soutenons les entreprises, plus nous renforçons les contrôles. Ce fut le cas pour le fonds de solidarité : nous avons ainsi pu éviter 2 milliards d'euros de versements indus.

Je profite de l'occasion pour répondre à M. Savoldelli, s'il veut bien m'écouter ! La stratégie de votre groupe, c'est toujours plus de taxes et d'impôts, qui laissent les Français et les entreprises exsangues, ce qui explique d'ailleurs l'effondrement industriel français. Quand les impôts de production français sont sept fois plus élevés qu'en Allemagne, les entreprises ferment et les ouvriers se retrouvent au chômage.

Notre stratégie, c'est de baisser les impôts sur l'industrie de 10 milliards d'euros pour créer de l'emploi et de l'activité. Ce sont deux stratégies différentes. Je préfère la nôtre.

Mme Nathalie Goulet.  - Merci d'avoir répondu à M. Savoldelli... et pas à ma question. (Sourires)

Qu'en est-il du logiciel de détection précoce de la fraude à la TVA ? Les réponses décalées, c'est de la cavalerie parlementaire... (Exclamations amusées)

Le Luxembourg est pourtant un vrai sujet. Il faudra mettre à l'ordre du jour de la révision constitutionnelle la règle d'or chère à Alain Lambert.

M. Claude Raynal .  - Le message est toujours le même : contraindre nos dépenses publiques pour contenir notre dette. Les Français ne comprennent pas qu'un taux d'endettement jugé inquiétant à 98 % en 2019 devienne soutenable à 120 % en 2020... Comment s'étonner qu'ils ne comptent pas en payer le prix, d'autant que le Gouvernement évoque à nouveau la réforme des retraites ?

La BCE a soulagé l'État d'un risque de remontée des taux d'intérêt pour 25 % de sa dette : c'est un soutien considérable.

Mais il y a les perdants : les chômeurs d'aujourd'hui et de demain, ceux qui verront diminuer leur protection sociale.

Plutôt que de vouloir rééquilibrer nos comptes publics, ne faut-il pas s'interroger sur la répartition des efforts à demander et aux besoins économiques, sociaux et environnementaux à couvrir ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - La politique budgétaire, depuis un an, a pris le relais de la politique monétaire de la BCE. Nous avons engagé des centaines de millions d'euros pour que nos ingénieurs aéronautiques conservent leurs compétences qui résultent de décennies d'investissements.

Le moment de rétablir les comptes publics viendra quand la croissance sera de retour. Le pilotage du calendrier est crucial, d'où la nécessité d'une stratégie claire.

La question n'est pas : faut-il ou non rembourser la dette publique ? Si j'annonçais que la France ne rembourserait pas, les taux d'intérêt exploseraient. Ce serait irresponsable. La vraie question politique, c'est l'efficacité de la dépense publique.

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le niveau de la dette est astronomique : un milliard d'euros emprunté par jour en 2020 ! Qui mettra la main à la poche pour la rembourser, quand, comment ? Les Français s'angoissent face à cette bombe à retardement.

La délégation sénatoriale aux entreprises est très sollicitée par des chefs d'entreprises inquiets. Il faudra réduire graduellement la perfusion, sans l'arracher brutalement.

Les entreprises manquent de visibilité et craignent une double peine : devoir rembourser leurs propres dettes et celle de l'État via l'impôt. Les impôts de production commencent à décroître, et c'est heureux, mais l'État ne sera-t-il pas tenté par un rattrapage fiscal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je le redis avec fermeté : j'exclus toute augmentation d'impôt, pour les ménages comme pour les entreprises. Les Français sont échaudés, je le comprends, mais nous tiendrons nos engagements.

Les TPE, PME, les indépendants, touchés par la crise, seront soutenus aussi longtemps que nécessaire qu'il s'agisse de l'hôtellerie, de la restauration, du sport, de la culture, de l'événementiel... La décrue des dispositifs sera progressive.

D'autres secteurs redémarrent déjà : dans le BTP, l'agro-alimentaire, la haute technologie, les investissements repartent. Pour eux, nous proposerons des prêts participatifs sous la forme de quasi fonds propres. Je présenterai le dispositif jeudi prochain.

M. Serge Babary.  - Il faut dire clairement aux entrepreneurs quel sera l'impact de la dette publique sur le pays et quelles sont les perspectives pour les entreprises. Nos concitoyens sont très sceptiques et un travail de pédagogie s'impose.

M. Michel Canevet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La dette préoccupe nos concitoyens.

Aujourd'hui, nous bénéficions de taux d'intérêt très attractifs - l'année dernière, ils étaient même négatifs - à 0,59 % pour une levée de fonds à cinquante ans. Ne convient-il pas d'allonger la maturité de la dette, qui est en moyenne de huit ans, pour éviter d'être pénalisés par une éventuellement remontée des taux ? Aux États-Unis, c'est le cas.

Cette dette, il faudra bien la rembourser. Augmenter la taxe sur les transactions financières, qui a rapporté 1,8 milliard d'euros l'an dernier, est une piste. Qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Nos conditions d'emprunt sont extrêmement favorables : si la dette a augmenté, le service de la dette a diminué, passant de 39 à 36 milliards d'euros.

Nous connaissons une très légère remontée des taux, qui étaient de moins 0,30 % fin 2020 et tangentent désormais le niveau zéro en raison de tensions inflationnistes liées notamment au plan de relance américain.

Une partie importante de la dette française est garantie par la BCE. Il n'est donc pas nécessaire d'allonger la maturité de notre dette. Nous préférons diversifier nos créanciers et nos durées d'emprunt.

L'augmentation de la taxe sur les transactions financières serait contradictoire avec notre stratégie de non-augmentation des impôts. Cette discussion devra avoir lieu dans un cadre européen.

M. Michel Canevet.  - Il faut restaurer la confiance, ce qui passe par une sécurisation. Évitons un emballement du coût de la dette. Nous soutenons votre action en faveur de la croissance, mais il faut aussi lutter contre la fraude qui mine la confiance, comme l'a dit Nathalie Goulet.

Mme Monique Lubin .  - Le « quoi qu'il en coûte » pèse lourd sur les comptes sociaux. Vous avez ainsi choisi de cantonner une partie de la dette Covid au sein de la Cades, qui recourt à la CRDS mais aussi à la CSG : la sécurité sociale est ainsi privée de recettes courantes.

Le « quoi qu'il en coûte » permet certes de soutenir les secteurs économiques en souffrance mais il risque d'être payé in fine par les salariés et les plus modestes.

Le cantonnement de la dette ne change rien à vos réformes, avec la baisse des APL, la réforme des retraites ou celle de l'assurance chômage. Or il faut financer l'hôpital public, la cinquième branche, les revalorisations dans le secteur sanitaire et social...

Envisagez-vous de dégager la sécurité sociale du remboursement de la dette Covid ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - La dette sociale reste de la dette publique. Nous avons choisi de reporter sur la Cades le déficit constaté en 2020 et les déficits prévisionnels de 2021, 2022 et 2023. Ce cantonnement permet à l'Acoss de continuer à travailler sereinement.

La dette sociale n'est pas liée à un désengagement de l'État. Tous les dispositifs que nous avons adoptés dans les différents projets de loi de finances rectificative - hausse des dépenses médicales de 20 milliards d'euros, exonérations de cotisations sociales, mesures pour les plus fragiles... - ont été intégralement compensés par l'État.

Les déficits de la sécurité sociale résultent de la perte de recettes due à la baisse de l'activité, même si celle-ci s'est mieux maintenue que prévu.

Nous allons poursuivre notre politique sociale, avec notamment le congé paternité, que vous avez tous salué. Je conteste donc votre affirmation sur la remise en cause de notre modèle social.

En outre, il faut être précis : l'Unedic n'a rien à voir avec la Cades.

Mme Monique Lubin.  - M. Le Maire nous serine qu'il faudra réduire la dépense publique. Qui cela concernera-t-il ? Toujours les mêmes !

M. Philippe Dallier .  - Avant la crise, la dette des collectivités territoriales représentait 11 % de la dette publique ; aujourd'hui, c'est autour de 8,5 %.

À l'automne 2017, lors de la négociation des contrats de Cahors, le Gouvernement avait imaginé une règle d'or renforcée pour limiter la capacité d'endettement des collectivités : cette idée pourrait-elle réapparaître ?

Les maires sont en début de mandat, les élus régionaux et départementaux seront renouvelés en juin : ils ont besoin de visibilité. Doivent-ils s'attendre à un nouveau tour de vis sur les dotations de l'État ? À des limitations en termes de dépenses de fonctionnement ou d'emprunt ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Une règle encadrant la capacité de désendettement avait effectivement été envisagée en 2017, avant d'être abandonnée à l'issue des discussions avec les associations d'élus. Sa reprise n'est pas à l'ordre du jour.

Avec la crise sanitaire, les collectivités territoriales ont vu leurs recettes baisser de 1,3 %, soit 3,8 milliards d'euros. Cette perte sera en partie compensée par le mécanisme de garantie des recettes.

Leurs dépenses de fonctionnement stagnent à 0,2 %, avec une hétérogénéité selon les strates, les départements et les grandes villes ayant été les plus touchés.

La capacité de financement de la section d'investissement reste importante, à plus de 31 milliards d'euros, tout comme le niveau de trésorerie, à 48 milliards.

Avec le maintien des dotations et des perspectives de recettes en 2021 moins dégradées que ce que nous craignions, la baisse de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sera inférieure à 2 %. Les collectivités territoriales vont conserver une forte capacité d'investissement, ce qui est de bon augure pour accompagner la reprise. (M. François Patriat applaudit.)

M. Philippe Dallier.  - Les élus locaux ont besoin de visibilité. Les collectivités territoriales les plus touchées ont été les villes. Une étude de France urbaine évalue à 500 000 euros le surcoût de la crise Covid pour une ville de 25 000 habitants de Seine-Saint-Denis, et les capacités d'autofinancement net vont se dégrader. Il faut en tenir compte car vous aurez besoin des collectivités territoriales dans le cadre du plan de relance. Hors dépenses militaires, elles réalisent 70 % de l'investissement public. Il faut les accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrice Joly .  - La dette française dépasse les 120 % du PIB, à 2 700 milliards d'euros. On n'en connaît pas vraiment les détenteurs. Selon la Banque de France, ils sont de deux catégories : les créanciers institutionnels français et les non-résidents, qui détiendraient 53,6 %. Selon le FMI, la part des non-résidents serait détenue à 47 % par des investisseurs privés non bancaires, et à 53 % par des institutions publiques ou des banques étrangères. Les non-résidents non européens seraient majoritaires.

La France est donc majoritairement endettée auprès de l'extérieur. Certes, la dette circule, mais nous devrions néanmoins pouvoir bénéficier régulièrement d'informations sur les détenteurs de nos titres publiques, ne serait-ce que pour éviter la spéculation et ajuster notre stratégie de financement et de remboursement.

Mme le président.  - Vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Patrice Joly.  - Est-ce un problème pour la souveraineté de la France ?

Mme le président.  - Merci de respecter les règles, et vos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - La réponse est dans la question. Abstraction faite du soutien de la Banque de France via la BCE, notre dette est détenue à 65 % par des investisseurs non-résidents et à 35 % par des résidents.

Nous pouvons financer notre dette dans des conditions très favorables et nous avons le choix de nos créanciers. Je salue le travail de l'Agence France Trésor : à chaque fois qu'elle émet une obligation à dix ans, son taux de couverture est au moins de 2,5. Cela nous permet de veiller à la diversité des investisseurs, au profil de nos créanciers et nous place dans une situation favorable.

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 16 janvier 2020, je vous conseillais, monsieur Le Maire, de retenir le chiffre 100 : 100% de dette, 100 milliards d'euros de déficit, dix fois 100 milliards d'euros pris dans les poches des contribuables. Vous m'aviez répondu que vous feriez tout pour stabiliser la dette française, mais vous n'avez rien tenu et la dette s'est envolée.

Vous vous vantez d'avoir limité les faillites, mais la crise est loin d'être terminée. Comment croire à vos prédictions optimistes ? La réalité des chiffres est têtue : nous avons 82 milliards d'euros de déficit commercial, quand l'Italie a un excédent de 63 milliards !

Souvenez-vous de la fable de la Cigale et la Fourmi : vous chantiez au temps chaud, les Français vont danser maintenant ! Vous resterez, monsieur le ministre, dans les annales comme le ministre de la Ve République qui aura accumulé le plus de dettes ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; marques d'agacement sur les travées du RDPI)

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Dans quel monde vivez-vous ?

M. Laurent Duplomb.  - Dans celui des gens qui travaillent et se lèvent tôt !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Pour l'instant, vous êtes assis au Sénat...

La France a connu la crise économique la plus grave depuis 1929, la récession la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes fiers d'avoir protégé les Français, évité les faillites. Nous sommes fiers d'avoir protégé l'emploi et les compétences, d'avoir évité une crise sociale massive, d'avoir soutenu les restaurateurs, les indépendants, les patrons de bar, les hôteliers. Vous les auriez laissés tomber ? Nous sommes fiers d'avoir soutenu nos grandes entreprises de l'aéronautique ou de l'automobile, fiers d'avoir aidé les étudiants, les plus fragiles. Nous avons évité une crise sociale et politique : c'est notre fierté. Vos propos sont une honte ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Laurent Duplomb.  - Aux innocents les mains pleines... Je suis agriculteur avant d'être sénateur et je me lève à 6 heures du matin.

Tous les pays ne se sont pas endettés comme nous l'avons fait ! Notre addiction à la dette ne date pas d'hier, mais vous l'avez amplifiée. Tout cela se paiera un jour ou l'autre. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Christine Lavarde .  - En janvier 2020, la Commission européenne a suspendu le pacte de stabilité et de croissance pour lutter contre la pandémie. En février, elle a engagé un travail de refonte de ce pacte, et les ministres des finances de l'Eurogroup souhaiteraient son rétablissement en 2021. Quelle est la position française ? Le Président de la République avait estimé, naguère, que le débat sur les 3 % était d'un autre siècle... Faut-il passer à un objectif relatif en fonction de la situation de chaque pays ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Toutes nos décisions s'inscrivent dans une perspective européenne. Je pense notamment au plan de relance européen qui apportera 40 des 100 milliards d'euros de notre plan de relance. Le premier décaissement doit avoir lieu avant l'été : c'est la priorité.

Dans un second temps, nous étudierons les meilleurs indicateurs, en fonction de la nouvelle situation. Tous les États membres ont connu une augmentation massive de leur dette. Il faudra peut-être une approche différenciée mais l'objectif doit rester le même : que la dette reste soutenable et les taux bas. Ne rouvrons pas trop vite ce débat car la priorité absolue est la relance.

Mme Christine Lavarde.  - Nous reparlerons de ces sujets, notamment à l'occasion de l'examen parlementaire du pacte de stabilité.

Votre réponse me semble un peu floue, peut-être pour ne pas contredire le Président de la République... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - Il n'y a pas d'argent magique et pourtant la dette publique explose, conséquence de la lâcheté des gouvernements successifs.

Certains espèrent que les taux négatifs rendront le remboursement indolore ? Non, cela passera soit par une hausse des impôts, soit par l'inflation - bref, par une spoliation des Français, notamment des épargnants. Or sans épargne, pas d'investissement ; sans investissement, pas d'emploi.

Les mêmes rêvent d'un revenu universel - mais un revenu est toujours lié à un travail. Nous vivons dans un monde de plus en plus virtuel, où l'investissement privé est déconnecté de l'épargne, l'investissement public déconnecté de l'effort fiscal, le revenu déconnecté du travail ! Ce modèle de développement n'est pas durable.

Revenons à une gestion de bon père de famille. Cessons de croire qu'une chose ne coûte rien sous prétexte que « c'est l'État qui paye », comme le prétendait François Hollande, et comme le laisse croire aujourd'hui son disciple, théoricien du « quoi qu'il en coûte » !

Que ferez-vous quand les taux repartiront à la hausse ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Je ne suis pas sûr que nous partagions la même définition de ce qu'est une politique raisonnable. Les mesures mises en oeuvre depuis le début de la crise ont permis d'éviter défaillances et suppressions d'emplois et de maintenir l'activité.

C'était opportun, car on a vu qu'à chaque déconfinement, l'activité repart : croissance de 18 % au troisième trimestre 2020, avec 400 000 créations emplois, rebond de la consommation en décembre, quasi-maintien des investissements des entreprises au quatrième trimestre, ce qui a permis de réviser les prévisions de récession, de 11 % à 8,2 %.

Nous aurons à accompagner les secteurs qui seront affectés sur la durée, comme l'aéronautique, et à débrancher progressivement les aides d'urgence. Une fois sortis de la crise, nous devrons rétablir les comptes publics, affronter la dette, bien la gérer. Nous sommes relativement confiants car notre signature est garantie et reconnue, et la politique monétaire bien orientée.

M. Sébastien Meurant.  - Vous ne m'avez pas répondu : que ferez-vous si les taux repartent à la hausse ? Si l'inflation repart en Allemagne, vous serez obligés d'obéir à la BCE.

On peut asservir les peuples par les armes ou par la guerre. Vous asservissez les Français par la dette, que notre jeunesse devra porter comme le Christ le péché du monde !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Elle ressuscitera !

M. Vincent Segouin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À entendre le Gouvernement, tout va bien... Nous n'avons jamais été capables de baisser le poids de la dette, même quand la croissance était de 1,5 %, car nous sommes incapables de réduire les dépenses de l'État ! Seule façon d'assurer le fonctionnement : augmenter les impôts, ou recourir à la dette.

Nous en payons les conséquences en termes de compétitivité, de balance commerciale, d'emploi. L'Allemagne fait chaque année des réserves financières car elle l'a inscrit dans sa loi fondamentale, pas nous. Le couple franco-allemand n'existe pas en matière financière.

Comment rembourser cette dette sans augmenter les prélèvements ou nous endetter encore - ou reportez-vous cela sur les générations futures ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Décidément, vous avez un problème avec la réalité ! Je suis le ministre qui a le plus baissé les impôts depuis vingt ans ! Nous les avons diminués de 45 milliards d'euros sur quatre ans, moitié pour les ménages, moitié pour les entreprises. Je préfère entendre la gauche me le reprocher : au moins le débat est-il fondé sur les faits !

Nous avons maintenu cette politique avec constance. Comme nous nous y sommes engagés, nous baissons l'impôt sur les sociétés à 25 % en 2022, nous supprimons la taxe d'habitation, nous réduisons les impôts de production de 10 milliards d'euros au 1er janvier 2021 et d'autant au 1er janvier 2022.

Pas de couple franco-allemand, dites-vous ? La plus grande réalisation européenne depuis dix ans, c'est l'émission de dette commune voulue par Angela Merkel et Emmanuel Macron. Revenez à la réalité ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bruno Sido.  - Très bien.

M. Vincent Segouin.  - Vous baissez les impôts, mais sans financement, en augmentant la dette ! Vous nous conduisez dans l'abîme. Changez enfin de politique ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains .  - Il existe deux motifs légitimes d'endettement : investir pour l'avenir et soutenir le tissu productif en cas de choc économique, pour atténuer celui-ci et éviter que la croissance ne soit trop durablement pénalisée.

Pour reprendre la distinction de Mario Draghi entre la bonne et la mauvaise dette, un consensus existe pour considérer que la dette d'avant-crise était de la « mauvaise dette ». La majorité n'a pas profité de l'embellie du début du quinquennat pour réduire le déficit structurel. La comparaison avec l'Allemagne à cet égard serait cruelle. La hausse continue de l'endettement depuis les années 1980 a financé des dépenses courantes.

À l'inverse, la dette Covid est de la « bonne dette » : sans soutien de l'État aux entreprises et aux ménages, l'explosion des faillites aurait grevé les recettes publiques et compromis la capacité de remboursement en sortie de crise.

La dette Covid a été contractée à taux négatif. Gardons-nous des débats sur le cantonnement ou l'annulation d'une dette qui demeurera gratuite pendant des années encore.

En revanche, les avis divergent sur la stratégie budgétaire. La crise n'est pas terminée. Soutenir à court terme les ménages et les entreprises est nécessaire pour éviter de casser l'appareil productif et la reprise.

Une fois la crise surmontée, viendra le temps du redressement des comptes publics. Avec une croissance de 2,5 % et un endettement de 120 %, il faudrait ramener le déficit autour de 3 % du PIB - contre 5 à 5,5 % en sortie de crise, c'est-à-dire économiser 50 à 60 milliards d'euros.

Pour ce faire, il faudra maîtriser la dépense et non augmenter les prélèvements obligatoires, déjà au plus haut. Il convient de réfléchir dès à présent aux réformes structurelles, comme celle des retraites, dont nous avons toujours rappelé la nécessité. Enfin, s'il importe de réduire les dépenses inefficaces, il faudra préserver les dépenses utiles à la croissance. Alors que notre dette climatique atteint 150 % du PIB, chaque euro dépensé pour le climat est positif ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme le président.  - Merci de respecter les temps de parole pour ne pas décaler les débats.

« Comment construire plus et mieux en France ? »

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment construire plus et mieux en France ? » à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les craintes que nous exprimions au sortir du premier confinement sont devenues réalité. La crise sanitaire a aggravé la crise du logement et de la construction : 90 000 logements sociaux ont été agréés en 2020, contre 120 000 en 2016 ; les permis de construire ont diminué de 16,3 % en un an, et 44 000 logements de moins ont été mis en chantier.

Quelles en sont les causes ? Selon le Gouvernement, les coupables seraient les maires, peu enclins à construire avant les élections, et le virus. Pourtant, en 2014, année électorale, on comptait 106 000 agréments de logements sociaux, hors ANRU, contre 87 000 aujourd'hui. Les maires ne sont donc pas en cause. Et si le virus a bien sûr grippé la machine, il ne saurait expliquer la baisse des courbes depuis 2017.

De fait, il y a des causes structurelles, liées à la politique du Gouvernement, et plus particulièrement les ponctions sur les bailleurs sociaux et sur Action Logement.

Votre prédécesseur a reconnu que baisser les aides personnalisées au logement (APL) avait été une erreur. Reconnaissez que la réduction de loyer de solidarité (RLS) a été tout aussi délétère.

Le Gouvernement mène une politique malthusienne : il n'y aurait pas de crise du logement, mieux vaudrait rénover que construire, point besoin de financement public puisque les taux sont bas... Depuis quatre ans, cette petite musique sape la dynamique de la construction et du logement social.

Les aides au logement ont reculé de 2,2 % du PIB en 2010 à 1,6 % en 2019, soit 14 milliards d'euros de différence, selon la Fondation Abbé Pierre ! Les prélèvements sur le logement sont deux fois supérieurs aux aides, à 80 milliards d'euros. Le mal-logement frappe quatorze millions de personnes, il y a plus de deux millions de demandes de logements sociaux pour 450 000 attributions. La crise du logement n'est pas une lubie. Construire plus et mieux est une absolue nécessité.

Pour cela, il faut aider, libérer et densifier.

Aider les bailleurs d'abord : la mobilisation de 1,2 milliard d'euros d'Action Logement à travers le plan d'investissement volontaire (PIV) ou l'annonce de 42 000 nouveaux logements par CDC-Habitat confirment ce besoin. Aider les maires aussi, car la non-compensation des exonérations de taxes locales fait obstacle au développement du logement social : sur 500 millions d'euros de dégrèvements, seulement 16 millions sont compensés !

Libérer, ensuite, en allégeant les contraintes. J'ai proposé un Ségur de la simplification de l'urbanisme, pour réduire délais et coûts. Il faut aussi ouvrir le débat sur quelques vaches sacrées, comme le Pinel, qui empêche de développer le logement intermédiaire ou de créer un statut du bailleur privé.

Enfin, il faut densifier, pour construire plus et mieux et pour limiter l'étalement urbain. Cela suppose de convaincre nos concitoyens rétifs et d'aider les maires bâtisseurs qui portent des projets qualitatifs, où densité rime avec solidarité et proximité des services. La « ville du quart d'heure » de Carlos Moreno est un concept intéressant. Concevons la ville du XXIe siècle ! C'est vital, pour loger les Français, pour notre économie, pour imaginer un futur meilleur. Construire est un acte de foi en l'avenir, un bien essentiel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe CRCE)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement .  - Je salue l'engagement et le travail du Sénat sur les politiques du logement.

« De tous les actes, le plus complet est celui de construire », disait Paul Valéry. Il englobe la façon dont nous vivons la ville et le territoire et recoupe les sujets de mixité sociale, d'équilibre entre espaces bâtis et naturels.

Les efforts en matière de construction ont commencé bien avant la crise sanitaire. En 2018, 460 000 logements ont été autorisés, 400 000 mis en chantier. C'est un niveau supérieur à celui de la décennie précédente. Certes, en 2020, il n'y a eu que 382 000 autorisations et 341 000 mises en chantier en raison de la crise sanitaire et du renouvellement des exécutifs municipaux...

M. Philippe Dallier.  - Pas seulement !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - C'est facile !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - ... qui a duré quatre mois de plus que prévu. (M. Julien Bargeton le confirme.)

Non, la construction n'a pas été oubliée. L'effort a porté particulièrement sur le logement social. Deux millions de Français sont en attente, et la crise accentue la demande. J'ai donc proposé aux grands partenaires de l'État - Union sociale pour l'habitat (USH), Action Logement, Caisse des dépôts et consignations - une mobilisation générale pour porter l'objectif à 250 000 logements sociaux en deux ans. Nous signerons la semaine prochaine le protocole d'engagement.

En 2021, la CDC mobilisera 300 millions d'euros pour souscrire des titres participatifs auprès des bailleurs sociaux, la CDC-Habitat s'engage à produire 42 000 logements sociaux nouveaux...

Mme Sophie Primas.  - Et les maires ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Action Logement débloquera 500 millions d'euros de subventions exceptionnelles et Action Logement immobilier a prévu 70 000 logements sociaux nouveaux sur deux ans. Avec le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), ce sont 2 milliards d'euros de fonds propres qui seront déployés pour le logement social en 2021-2022.

Nous soutenons également le logement privé en améliorant la lisibilité du prêt à taux zéro (PTZ) et du Pinel pour développer un parc à loyer maîtrisé.

Il faut aussi densifier le foncier. À cet égard, 650 millions d'euros sont mobilisés dans le plan de relance pour la viabilisation des friches et 350 millions d'euros sur deux ans soutiendront les maires bâtisseurs.

Nous simplifions les procédures avec la dématérialisation des documents d'urbanisme - le dispositif sera prêt dès le 1er juin - et la suppression de l'agrément préalable pour les logements locatifs intermédiaires. Un arrêté simplifie l'agrément pour les logements sociaux.

L'État ne peut pas faire seul. Les maires et élus intercommunaux déterminent les règles d'urbanisme et délivrent les permis de construire. Or les professionnels nous alertent sur les cas de blocage ou de remise en cause de projets...

Le véritable danger, c'est de refuser d'accueillir des populations nouvelles, de ne répondre qu'aux besoins des habitants en place et non à ceux des jeunes qui décohabitent, des familles qui déménagent, des personnes en mobilité professionnelle. (Marques d'impatience à droite et au centre) Il faut défendre l'intérêt de ceux qui ont besoin d'un logement comme de ceux qui en ont déjà un. Cela nécessite la mobilisation de tous. J'ai signé avec les associations de collectivités territoriales un pacte pour la relance de la construction durable et je salue l'engagement de certaines villes qui le déclinent localement, comme Dijon.

Mme Sophie Primas.  - Comme par hasard !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Les préfets sont mobilisés pour soutenir les projets.

Il faut se projeter vers l'avenir, dans une logique d'aménagement du territoire. Nous devons donner plus de visibilité sur la loi SRU au-delà de 2025 : ce sera l'un des objets du projet de loi 4D. Nous maintenons le niveau d'exigence mais tenons compte des situations locales, en nous appuyant sur les propositions de la commission nationale SRU présidée par Thierry Repentin.

Il faut construire mieux : proposer des logements confortables et performants sur le plan environnemental, densifier pour limiter l'étalement urbain et l'artificialisation. J'ai proposé de mettre en valeur une centaine de démonstrateurs, dans une démarche que j'appelle « Habiter la France de demain ». Les nouvelles normes de construction, comme la RE2020, ont été aménagées en février.

Mme Sophie Primas.  - Magnifique !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Je me félicite de ce débat, que j'aborde dans une posture d'écoute, d'accueil et de partenariat. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. Daniel Salmon .  - Le secteur du bâtiment est au coeur de la transition énergétique, puisqu'il est responsable de 19 % des émissions de dioxyde de carbone et de 60 % des tonnes de déchets produits. Des mesures fortes sont indispensables pour favoriser l'écoconstruction, aux bénéfices multiples.

Les habitations consomment moins grâce à des matériaux biosourcés, souvent locaux - briques de terre cuite, bois de nos forêts.

Le confort thermique est inégalable, en particulier pour un air plus frais l'été, et les matériaux sont biodégradables : c'est un cercle vertueux ! Un mur porteur en béton de chanvre, c'est quatre fois moins d'énergie grise qu'un mur en béton armé.

Comptez-vous favoriser la création de véritables filières locales d'écoconstruction et faciliter la labellisation des matériaux biosourcés?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Je soutiens fortement l'écoconstruction et j'ai poussé le projet de nouvelle règlementation, RE2020, qui favorise le développement des matériaux biosourcés avec trois objectifs : sobriété énergétique, moindre impact carbone, fraîcheur en cas de fortes chaleurs.

Nous allons réduire de 30 % la consommation d'énergie sur le cycle de vie du matériau, à partir de 2022. Cela obligera à construire différemment. Le bois de chanvre et d'autres isolants naturels vont être favorisés.

La nouvelle réglementation entrera en vigueur progressivement : elle nous permettra de prendre des initiatives pour soutenir les filières agricoles et industrielles et structurer une véritable filière du bois de construction.

M. Daniel Salmon.  - RE2020 aurait dû être en place... en 2020. Le report à 2022 est lié aux pressions des géants du BTP. Il ne faut rien rabattre des ambitions : tenez bon !

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Construire plus et mieux : c'était l'objectif de la loi ELAN.

Le 2 février, vous avez fixé un nouvel objectif de 250.000 logements sociaux sur les deux ans à venir. Les territoires d'outre-mer font face à des besoins croissants dans ce domaine, à cause de la crise, à cause des flux migratoires grandissants, à cause d'une préférence pour l'habitat individuel,... Outre-mer, 80 % des ménages sont éligibles au logement social, contre 66 % en métropole ; et près de 70% de ceux-ci peuvent prétendre à un logement très social, contre 29 % dans l'Hexagone.

Quelle part des 250 000 logements sociaux à construire sera attribuée aux territoires ultramarins, confrontés à la pénurie ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Vous avez rappelé les particularités des outre-mer, que l'État soutient spécifiquement. Je salue votre délégation aux outre-mer qui place cette année le logement au coeur de son programme de travail.

Nous avons créé les établissements publics fonciers et d'aménagement en Guyane et à Mayotte, afin de produire les terrains aménagés nécessaires pour développer l'offre de logements.

Le ministère finance chaque année sur la Ligne unique la construction ou la réhabilitation de 10 000 logements -  locatifs sociaux ou en accession sociale. Les crédits correspondants sont en hausse. Cette dynamique a été maintenue en 2020 malgré le contexte, et elle doit l'être en 2021 et les années suivantes.

Le plan d'investissement volontaire d'Action Logement prévoit 1,5 milliard d'euros pour l'outre-mer. La territorialisation du plan doit être approfondie ; Sébastien Lecornu et moi-même y veillerons.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth.  - La population guyanaise attend beaucoup des pouvoirs publics dans ce domaine ! Ce sont souvent les occupants illégaux de squats qui obtiennent un logement.

M. Éric Gold .  - La crise et le confinement ont révélé les défauts des logements actuels. Le domicile doit désormais répondre à des usages multiples, travail, école, sport à domicile... L'habitat doit donc être réinventé : luminosité, aménagement, modularité, extérieur-intérieur.

Pour citer la présidente de l'Ordre des architectes d'Île-de-France, nous ne pouvons plus imaginer des logements obsolètes avant même d'être construits...

Ces nouveaux logements auront un coût. Quelles sont les attentes du Gouvernement sur le référentiel qualité qui est actuellement en réflexion ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La qualité du logement est un enjeu essentiel - et l'on a bien vu les inégalités entre Français, dans la période récente.

On connaît les conclusions du rapport de Pierre-René Lemas sur la qualité des logements sociaux : les logements ont perdu en moyenne 10 mètres carrés dans les dernières décennies, et ils sont à la fois trop petits, trop peu modulaires, souvent dépourvus d'un espace extérieur.

J'ai mandaté François Leclercq, architecte, et Laurent Girometti, aménageur : ils devront établir un référentiel simple pour des logements de qualité.

Ce ne sera pas une nouvelle norme, mais un point de repère partagé pour les professionnels.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Surprise : la stratégie bas carbone est fondée sur des hypothèses de baisse démographique continue... donc de baisse du volume de constructions neuves jusqu'à 2050. Mais nous y sommes déjà ! La production n'a pas attendu le Covid pour chuter. Et dans le même temps, les coûts et les prix continuent d'augmenter.

Or nous avons massivement besoin de logements à prix abordables. Pour cela, il faut des aides à la pierre et une régulation des prix.

Mme Sophie Primas.  - Exactement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Les maires qui veulent construire ne doivent pas être bloqués. (On renchérit à droite.) Pour cela, il faut compenser l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) à un taux sérieux et non à 3 % comme aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Mouiller.  - Bravo !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - À 50 %, cela ne représenterait que 200 euros par logement et par an.

Le logement procède de la solidarité nationale ; ce n'est pas aux collectivités territoriales de payer ! (Applaudissements à gauche)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La chute de la production est conjoncturelle ; elle deviendra structurelle si nous ne mettons pas en place des outils - ensemble, car la responsabilité est partagée. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe Les Républicains) C'est pourquoi j'ai lancé le défi volontariste de 250 000 logements sociaux par an, en partenariat avec Action Logement. Le logement intermédiaire doit être développé, ce qui pose la question du modèle économique des exonérations foncières.

Oui, il faut soutenir les élus qui veulent construire. Une mission se penche sur les solutions alternatives à l'exonération de foncier bâti pour le logement intermédiaire, nous allons étendre ses travaux à tout le logement social.

Mais les élus ne construisent pas seulement en fonction de considérations fiscales. Beaucoup sont les héritiers des maires bâtisseurs ; ils veulent construire. À nous de trouver le bon modèle économique, fiscal, social, environnemental.

M. Pierre Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Beaucoup de gens veulent vivre à la campagne mais ne le peuvent pas. Les préfets refusent les permis en l'absence de plan local d'urbanisme (PLU). La loi ALUR, qui visait à juste titre à réglementer un urbanisme périurbain galopant, a hélas bloqué du même coup l'urbanisation des territoires ruraux.

Dans ces territoires, de vieux bâtiments pourraient être transformés en logements, en habitats locatifs. Mais aucune aide n'existe. La loi ALUR condamne les territoires ruraux à une mort lente et certaine. Comptez-vous modifier le code de l'urbanisme, fait pour les villes et le périurbain ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - L'urbanisme rural doit permettre l'arrivée de nouveaux habitants. La question relève de discussions entre élus locaux, dans le cadre des PLU, PLUi, SCoT, avec les services de l'État en appui.

En matière d'artificialisation, la loi Climat et résilience permettra des stratégies différenciées en fonction des besoins.

Nous avons mis en place des outils spécifiques pour la rénovation de certains villages et centres-bourgs avec Action Coeur de Ville, Action Coeur de Bourg, Petites Villes de demain. Nous manquons peut-être d'outils pour la remise de bâtiments rénovés dans le parc social : nous pouvons y travailler. Enfin, MaPrimeRénov' est un outil budgétaire très puissant pour aider ceux qui s'installent à rénover leur logement à prix raisonnable.

M. Pierre Louault.  - L'artificialisation, en zone rurale, est réservée aux routes, aux TGV et aux aéroports. Je répète que la loi ALUR verrouille le système pour les territoires ruraux ! Je déposerai prochainement une proposition de loi pour lever ce verrou. (Applaudissements à droite)

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il faut tenir compte des spécificités locales pour construire vite et mieux. En outre-mer, l'intervention publique doit être repensée, davantage territorialisée et mieux coordonnée. Le logement très social doit être priorisé.

Le plan Logement outre-mer 2015-2019 a été un relatif échec. Comment comptez-vous assurer le succès du nouveau plan ? (Même mouvement)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Il faut une politique spécifique pour l'outre-mer. Le plan Logement outre-mer pour 2019-2022 est concret. Il repose sur 177 mesures déclinées au plan territorial, au plus près des acteurs locaux. Une enveloppe ingénierie permet d'épauler les collectivités territoriales.

Nous travaillons aussi à la simplification des normes, par exemple en réécrivant la réglementation thermique et acoustique. Ainsi, nous tiendrons la trajectoire ambitieuse du plan Logement outre-mer.

Mme Viviane Artigalas.  - Le ministère du logement doit être le chef de file et territorialiser davantage son action, en renforçant l'action des conseils départementaux de l'habitat et de l'hébergement.

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après les mauvais chiffres de l'an dernier, vous affichez un objectif très ambitieux. Mais vous n'avez aucune chance de l'atteindre... Pour prolonger le propos de Mme Lienemann, je vous le demande : quel maire va construire avec zéro recette fiscale en face, surtout quand les dotations de l'État baissent ? Le logement social est concerné, mais aussi le logement intermédiaire.

Pas besoin de réunir une commission ni de lancer une mission : le problème est connu, on sait déjà tout ! Allez-vous agir ? (Applaudissements à droite)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - L'objectif est ambitieux, en effet ; dans le cas contraire, on me l'aurait reproché... Pour cela, il faut des moyens et des investissements, que nous trouvons dans des partenariats avec Action Logement et la Caisse des dépôts.

Il y a la question du modèle fiscal, mais il faut surtout que les maires accueillent des projets. C'est donc une question de volonté politique. La loi SRU doit être appliquée avec fermeté mais aussi discernement. Je peux envisager plus de contractualisation.

Le Gouvernement remettra prochainement un rapport sur la compensation des exonérations fiscales sur le logement intermédiaire. Je suis prête à ce qu'il concerne aussi le logement social. Cela servira de base au débat du PLF.

M. Julien Bargeton.  - C'est parfaitement clair.

M. Philippe Dallier.  - Vivement l'automne ! Mais vous aurez perdu un an.

Ne jetez pas la pierre dans le jardin des maires : ceux qui ne veulent pas construire sont minoritaires. Aidez les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - Le défi est double : construire plus pour répondre à une demande croissante, et construire mieux pour répondre aux exigences environnementales.

La loi ELAN a été bien accueillie, mais elle tarde à porter ses fruits : c'est dans la lenteur des autorisations que le bât blesse.

L'État a rehaussé ses exigences environnementales, très bien, mais attention à ne pas créer encore des normes, simplifions plutôt celles qui existent.

LA RE2020 est un pari sur l'avenir : certaines exigences nécessitent une révision du process et des matériaux et un accompagnement des métiers du bâtiment.

Que comptez-vous faire pour que l'ambition environnementale ne freine pas la dynamique de construction ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La loi ELAN a dématérialisé les autorisations d'urbanisme ; ce sera une réalité au 1er janvier prochain.

Un décret relatif aux mesures de simplification en matière d'urbanisme est devant le Conseil d'État. Il étend le régime de la déclaration préalable.

En matière de décarbonation, nous avons prévu une entrée en vigueur progressive, afin de laisser aux filières le temps de s'adapter, avec des jalons jusqu'en 2031, et des souplesses sur la mixité des matériaux. Le ministère de l'industrie et le mien accompagneront ces filières. Je ne crois pas que les prix de la construction augmenteront.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Je salue la valorisation des matériaux biosourcés dans la construction, avec une méthode de prise en compte du bilan carbone tout au long du cycle de vie.

Cependant les coûts risquent d'augmenter pour les entreprises, ce qui plaide pour une mise en oeuvre très progressive.

Pour réaliser le saut technologique nécessaire, il faut aider la filière bois beaucoup plus qu'aujourd'hui. Comment relever ce défi industriel, et produire des logements à des coûts supportables pour l'ensemble de nos concitoyens ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La construction bois est un levier important dans notre trajectoire climatique ; elle a une place particulière dans la RE2020.

Il faut maintenant accompagner les filières ; nous sommes en retard sur le bois lamellé croisé - ou CLT - et les autres matériaux innovants.

Le 18 février, j'ai lancé un appel à manifestation d'intérêt de 20 millions d'euros pour des projets innovants de mixité des matériaux dans le cadre du PIA4. Un deuxième sera lancé sur la filière bois pour construire une industrie purement nationale.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - La France possède la ressource bois pour relever le défi mais elle n'a pas l'outil de transformation. Il est urgent d'accompagner les industriels, notamment dans la maîtrise des coûts.

M. Denis Bouad .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pas moins de deux millions de Français attendent un logement HLM. Il faut produire plus, mais en songeant à la répartition territoriale, à la mixité sociale et à la qualité du logement.

Les bailleurs sociaux ont un rôle à jouer dans la relance économique, et dans la poursuite de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or la décision de 2018 sur les APL a affecté la capacité d'autofinancement de ces organismes. Les recettes locatives de l'office HLM gardois que j'ai longtemps présidé sont de 60 millions d'euros ; l'impact de la décision a été de 6 millions d'euros ; la capacité d'investissement a baissé de 20 %.

Que comptez-vous faire pour corriger cela ? Y aura-t-il une clause de revoyure ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Certes, il y a la question du volume mais aussi celle de la répartition sur le territoire. Nous allons réfléchir au rôle des commissions intercommunales d'attribution, dans le projet de loi 4D.

Le rendement de la réduction du loyer de solidarité (RLS) était de 600 millions d'euros en 2018, 890 millions d'euros en 2019 et 1,3 milliard d'euros sur 2020-2022. La RLS a été accompagnée par des financements de la Caisse des dépôts et consignations, 1,5 milliard d'euros d'Action Logement et une TVA ramenée à 5,5 % pour certaines catégories de logement et pour les prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI). La RLS est désormais, selon les études, absorbée par le secteur, et les bailleurs ont à nouveau des capacités d'investissement.

Le plan de relance consacre 500 millions d'euros de crédits à la rénovation des logements sociaux. Le plan d'investissement volontaire prévoit une clause de revoyure en 2022 ; je suis très attachée à l'équilibre social et économique des bailleurs.

M. Marc-Philippe Daubresse .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je vais enfoncer le clou après mon collègue Dallier : les maires ont bon dos ! Depuis la loi ELAN, construire est devenu un parcours du combattant avec le racket financier des offices HLM, les lourdeurs administratives et les contraintes environnementales malthusiennes.

Il faudrait des incitations financières et une baisse des contraintes administratives. Et une large compensation de l'exonération de TFPB, comme le dit Mme Lienemann.

Les chiffres de 2020 sont terribles : 16,3 % de baisse pour les permis de construire et un recul de 11,3 % des mises en chantier. Lorsque j'étais ministre du logement, j'ai réussi à passer de 330 000 à 486 000 constructions neuves par an. C'est donc possible !

Mais pour cela, il faut une vraie relance : sera-t-elle à la hauteur de l'enjeu ? (Applaudissements sur les mêmes travées)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Je respecte la libre administration des collectivités territoriales. Mais l'État ne saurait se dédouaner de sa responsabilité : fixer le cadre réglementaire et les objectifs de construction.

En 2017, 493 000 logements ont été autorisés ; 460 000 en 2018 et encore 450 000 en 2019.

M. Philippe Dallier.  - Ça baisse...

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - L'année 2020 a été particulière, la crise du Covid a stoppé les chantiers et le cycle - allongé - des élections municipales a gelé des décisions de construction.

L'enjeu porte donc sur l'année qui vient. C'est un défi collectif, mais je vous mets en garde contre les anticipations auto-réalisatrices négatives...

M. Julien Bargeton.  - Le pire n'est jamais certain !

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Il y a une différence de traitement entre métropoles et communes rurales, celles-ci étant victimes d'un urbanisme restrictif.

Il faut apporter une réponse différenciée aux communes, en assouplissant les règles d'urbanisme. Retrouvons de la confiance, au lieu de présupposer les excès des élus.

La question de la récupération du bâti vacant, en zone rurale, est cruciale. Car le seul effet positif de la pandémie, c'est que les ménages souhaitent sortir des villes et s'installer à la campagne. À nous d'améliorer l'attractivité de nos territoires ruraux. Comment aider les petites communes ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La crise du Covid a incité nos concitoyens à vouloir quitter les métropoles. C'est une chance pour les territoires ruraux, et nous travaillons à développer les réhabilitations avec les opérations de revitalisation des territoires (ORT), tandis que l'ANAH rénove les centres-villes et lutte contre les logements vacants, pour accueillir ces populations. Un AMI a été lancé sur ce sujet : 250 communes se sont positionnées. L'ANAH a bénéficié d'une augmentation de ses crédits dans le cadre du plan de relance.

J'ai rencontré à Cahors un maire très volontaire qui reprend le bâti ancien, le rénove et le remet en location.

Les aides comme MaPrimeRénov' accompagnent aussi des projets de revitalisation. Installation ne rime pas toujours avec étalement et artificialisation.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise économique appelle une relance volontariste. Les obstacles sont nombreux.

La commission des affaires économiques a créé un groupe de travail sur le zéro artificialisation nette. Nous vous ferons des propositions !

Il y a toujours plus de contraintes réglementaires, même si vous proposez des espaces de discussions au niveau régional et des solutions dans les SCoT.

Mais il faut aussi un effort financier. La fiscalité de l'aménagement a un rendement insuffisant. Comment allez-vous soutenir ces élus locaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Le bâtiment, c'est 12 % des emplois en France. Nous avons soutenu la rénovation par les particuliers, ce qui a maintenu l'emploi et développé l'apprentissage : les perspectives sont positives en 2021, à tel point qu'il y a ici et là des pénuries de main-d'oeuvre.

La lutte contre l'artificialisation ne peut se faire qu'avec les collectivités territoriales. La loi Climat et résilience prévoit une réduction de 50 % des artificialisations nettes dans les dix ans.

Cet objectif, modéré, sera décliné par région dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Straddet).

En outre, un fonds Friches de 350 millions d'euros fonctionne par contractualisation au niveau régional. Nous verrons si nous pouvons le réabonder. L'aide aux maires densificateurs vise à inciter les communes à construire sans étalement.

M. Jean-Baptiste Blanc.  - Dont acte pour le logement social. Il faut aussi adapter les Sraddet, les schémas de cohérence territoriale, les PLUi, les PLU : comment absorber ce coût supplémentaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Somon .  - La compétence du bloc communal se réduit. Or « plus une politique devient technique, plus la démocratie régresse », disait Edgar Morin. Les objectifs de réduction de l'artificialisation ont pourtant été atteints, passant de 35 000 hectares en 2010 à 18 000 hectares en 2016.

Sur le terrain, les acteurs font état de règles qui alourdissent les dossiers et sont parfois contradictoires. Je pense notamment à la RE2020. Pourquoi interdire le chauffage au gaz alors qu'on pourrait mettre en place un cercle vertueux : déchets-méthanisation-gaz ?

Seriez-vous prête à mettre en place comme en Angleterre un permis déclaratif là où des permis similaires ont déjà été délivrés ? Une déclaration de complétude au bout de vingt jours, comme en Belgique ? Ou une instance d'arbitrage pour réduire le nombre de recours, comme en Suisse ? Quelles mesures adopter sur les logements vacants, pas moins de 8 000 à Amiens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La loi ALUR a permis une prise de compétence par les EPCI, à la bonne échelle. Les services de mon ministère ont fait un tour de France des PLUi afin de partager les bonnes pratiques. Quelque 700 PLUi sont adoptés ou en cours d'adoption : 476 sur tout le territoire de l'intercommunalité et 235 sur une partie.

Je ne comprends guère votre proposition sur le permis déclaratif, mais je suis favorable à une délivrance de permis plus automatique là ou un PLUi a déjà été adopté - même si cela ne me semble pas faire consensus chez les maires... Je suis prête à examiner cette question avec les élus intéressés. Si c'est votre demande, je serai ravie de l'instruire.

M. Bruno Belin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est essentiel. Pas d'avenir sans bâtir.

Il faut bâtir plus car nous manquons de logement, notamment pour les étudiants et pour le grand âge, et cette carence pousse les prix à la hausse.

Mais comment mieux construire ? Il faudra de nouvelles méthodes et de nouveaux matériaux. Or je n'entends pas beaucoup d'annonces sur la recherche et la formation, indispensables dans ce domaine.

Et où construire ? Les projets sont urbains. Les PLUi bloquent la construction dans les territoires ruraux. Or les Français ont envie d'espace, comme nous l'avons vu cet été ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Le grand âge et l'adaptation au vieillissement sont une des dimensions de notre vision. Il existe des aides en partenariat avec Action Logement pour l'adaptation - comme le remplacement d'une baignoire par une douche - mais aussi pour l'habitat inclusif, avec des aides à la vie partagée. Je visite de plus en plus de tels projets.

Pour construire mieux, le ministère soutient la recherche sur les matériaux, dans le cadre du PIA. Il n'y a pas de filière tabou : ciment, béton, acier, matériaux biosourcés, terre cuite... (Murmures) Mais si, la terre cuite est un matériau très efficace et très écologique ! (M. Laurent Duplomb ironise.)

Comment construire partout ? Poursuivons notre débat sur cette question.

M. Bruno Belin.  - Je m'étonne que l'on ne parle pas plus des artisans. Pour construire demain, nous aurons besoin de la transmission des entreprises, des savoir-faire du maçon de village. Les aides de l'ANAH pour le grand âge relèvent du parcours du combattant. Avant de les obtenir...

Mme Sophie Primas.  - On est mort !

M. Bruno Belin.  - Demandez aux préfets par circulaire de ne plus bloquer les projets ruraux au motif qu'un PLUi est en cours de constitution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les maires ne sont pas vos ennemis mais ils ne sont pas non plus les agents de l'État.

À Milhaud, dans le Gard, la justice administrative a annulé une décision du maire qui refusait un branchement électrique pour un maset de 80 mètres carrés dans une garrigue sans réseau d'assainissement, et où le risque de feu de forêt est élevé.

Les élus avaient raison de se méfier : le propriétaire s'est fait livrer des Algeco et ses travaux de toiture et de fenêtres seront subventionnés par l'État ! (M. Michel Savin s'en scandalise.) C'est une cabanisation en zone naturelle, qui est loin d'être anecdotique dans le Gard. À quoi sert-il, dans ces conditions, d'avoir un PLU ?

Quand allez-vous faire confiance aux maires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Les maires ne sont pas mes ennemis, ni des agents de l'État : je travaille en partenariat avec eux. Je connais bien Milhaud pour y être passée cet été : c'est magnifique. (Murmures à droite)

Je ne connais pas le dossier que vous évoquez et je ne commenterai pas une décision de justice. Je vais toutefois examiner la question des subventions que vous soulevez.

Nous devons poursuivre notre travail sur la question des PLUi car l'échelon intercommunal est souvent le bon. Il doit se concilier avec le rôle du maire.

M. Laurent Burgoa.  - Nous le savons depuis Odilon Barrot : pour frapper juste, en urbanisme comme dans d'autres domaines, il faut raccourcir le manche du marteau. (Sourires) À force de vouloir être partout, l'État n'est plus nulle part. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie tous les orateurs, ainsi que la ministre. Après l'année noire de 2020, la relance de la construction est essentielle.

Retenons trois idées. Tout d'abord, les procédures doivent être simplifiées. Il faut rouvrir le chantier de la simplification, au-delà de la seule dématérialisation, comme l'avaient proposé dans leur rapport Dominique Estrosi Sassone et Annie Guillemot. Nous devons nous résoudre à adopter une loi d'exception pour sortir de la crise, comme nous l'avons fait pour les Jeux olympiques ou Notre-Dame de Paris : il n'est pas trop tard.

Ensuite, les ressources des communes doivent être renforcées. Avec la suppression de la taxe d'habitation et l'exonération de taxe foncière des logements sociaux et maintenant des logements intermédiaires, elles fondent. Les maires ne sont pas des jambons, comme le dirait Philippe Dallier. (Ce dernier applaudit.) Et ils savent compter ! En outre, ils ont besoin de moyens pour accueillir les nouvelles populations.

M. Michel Savin.  - Très bien !

Mme Sophie Primas.  - Enfin, il faut réfléchir à l'acceptation des nouvelles constructions par nos concitoyens. Il est difficile de diversifier dans nos territoires. Vous évoquez des maires nouvellement élus ayant arrêté des programmes de construction : mais ils ont été élus pour cela !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Dommage !

Mme Sophie Primas.  - Soutenez les maires bâtisseurs ! Mais ne sous-estimez pas le vrai problème démocratique que posent les grands programmes, qui nécessitent souvent plus d'un mandat pour aboutir.

Voilà les trois chantiers que je vous propose d'ouvrir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Échec en CMP

Mme le président.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

« La réforme en cours de l'éducation prioritaire »

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La réforme en cours de l'éducation prioritaire », à la demande du groupe CRCE.

Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste .  - Le groupe CRCE porte le débat sur l'une des rares politiques nationales qui vise à lutter contre les inégalités sociales. Mais elle présente bien des carences, comme l'a montré le rapport de nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas en réseau d'éducation prioritaire, REP ou REP+.

Ce dispositif doit être revu. L'éducation prioritaire, ce sont des moyens supplémentaires mais surtout un travail en réseau. D'après l'article premier du code de l'éducation, le service public de l'éducation « contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. »

Mais la réalité est tout autre : la France est en queue du peloton dans le domaine de la réduction des inégalités. Des fermetures de classes en réseau d'éducation prioritaire sont incompréhensibles. Le maillage REP est insuffisant. Les écoles rurales en sont exclues. Il n'y a pourtant pas lieu d'opposer les écoles de quartier et celles des campagnes.

Comme le pointe le rapport Mathiot-Azéma, l'éducation prioritaire a fait l'objet d'un recentrage, au détriment des zones rurales. Même en ville, de nombreuses écoles en sont exclues car leur collège de secteur ne remplit pas les critères : ce sont des écoles orphelines.

Vous prévoyez une expérimentation sur trois académies, mais nous craignons que le remède soit pire que le mal. Comment obtenir un meilleur maillage à moyens constants ? Sanctuariserez-vous au moins les moyens des REP+ ? La révision de la carte des REP sera-t-elle à nouveau reportée, comme 2019 ?

La contractualisation prévue nous interpelle : l'application commune des critères est souvent très technocratique ; les écoles conserveront-elles le dédoublement en cas de non-reconduction du contrat après trois ans ? Malheureusement, poser la question, c'est y répondre...

La durée du contrat est-elle suffisante pour engager une dynamique positive ? La contractualisation porte en outre les germes d'une mise en concurrence ; je l'ai vu dans mon département de la Seine-Maritime avec un refus de label « école numérique » à une école rurale car elle était en classe unique. Comment donner plus à ceux qui ont moins ? Cela passe par des moyens supplémentaires.

Les enseignants se préparent à faire cours à des classes de plus de 28 élèves en collèges et lycées. Les heures supplémentaires ne sont pas effectives. Dans le Val-de-Marne, un collège en REP attend le remplacement d'un professeur d'histoire dont l'absence doit durer jusqu'en juillet !

Un élève de Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an de scolarité, faute de remplaçants.

Moins de 3 % des 2 milliards d'euros consacrés à la formation des enseignants concernent les REP : c'est inversement proportionnel aux besoins.

Il n'est pas pertinent de fondre la prime REP dans la prime d'activité. Il faut relancer le processus de l'éducation prioritaire en ciblant les écoles des quartiers de la politique de la ville et les communes qui reçoivent la dotation de solidarité urbaine ou la dotation de solidarité rurale. La formation des enseignants doit être renforcée. Une pluriannualisation de la gestion des postes permettrait d'éviter les décisions couperets. Il faudrait plus d'infirmières, d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et d'assistants d'éducation.

La crise sanitaire mute en crise sociale. Plutôt que de tuer l'éducation prioritaire, donnez-lui un nouveau souffle ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Julien Bargeton .  - La lutte contre les inégalités sociales en matière scolaire est très importante pour ce Gouvernement ; preuve en est la création de votre poste, madame la ministre de l'Éducation prioritaire, intitulé de fonctions ministérielles inédit dans la Ve République. Au-delà du symbole, c'est un véritable signe de volonté politique (M. Didier Rambaud le confirme.). Le Gouvernement a dédoublé les classes en REP pour 300 000 élèves de CP et CE1, avec un succès certain.

Par ailleurs, le dispositif des « devoirs faits » bénéficie à la moitié des collégiens en REP. Il faut renforcer les compétences pédagogiques de nos professeurs en français et mathématiques.

Les résultats en termes de réduction des inégalités ne sont pas à la hauteur, certes. Il faut lutter contre les ghettos. Les dispositifs ne corrigent pas suffisamment les inégalités. Comment renforcer la mixité sociale ? Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le maire préfère que les élèves aillent dans les arrondissements voisins plutôt que de construire un nouveau lycée...

Le rapport Azéma-Mathiot a dénoncé la concentration des lycées dans certains quartiers. L'Éducation nationale est aussi le réceptacle d'une réalité sociale, mais il y a des trous dans la raquette.

Les contrats locaux d'accompagnement (CLA) permettent le sur-mesure et l'équité. À partir d'une analyse de la situation, ils permettent la différenciation chère au Sénat. Il faut du dialogue social et de la concertation pour les réussir.

Cette expérimentation sera évaluée par un comité de suivi : aucun risque, donc, de perturber les actions actuelles. Madame la ministre, sans doute pourrez-vous nous rassurer sur ce point.

Les zonages ne seront pas modifiés avant 2022, date d'évaluation de l'expérimentation. Il ne s'agira pas de réaffecter des moyens.

Attaquer les inégalités à la racine, c'est donner plus à ceux ayant moins, mais aussi instaurer de la progressivité pour éviter le « tout ou rien », qui fait jusqu'à présent qu'on est en REP ou on ne l'est pas. Voilà ce que fait le contrat local d'accompagnement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Après quarante d'existence, la réforme propose un changement de paradigme pour l'éducation prioritaire. Le rapport Mathiot-Azéma appelle en effet à réduire les effets de seuil. Des CLA de trois ans doivent être expérimentés dans trois académies à la rentrée. Ils pourraient à terme remplacer les REP, avec plus de souplesse et d'efficacité et une meilleure différenciation des moyens selon les besoins locaux.

Cette avancée majeure rompt avec le pilotage national ; 70 % des enfants défavorisés ne sont pas scolarisés en REP et 25 % des enfants de REP ne devraient pas s'y trouver...

Les REP recouvrent des situations très différentes. Les zones rurales en décrochage économique et des établissements isolés pourront bénéficier de cette réforme, comme les écoles orphelines.

Les critères d'attribution ne vont pas changer, mais de nouveaux leviers comme le climat scolaire et le taux de décrocheurs seront pris en compte, de même que le turn over des enseignants.

Madame la ministre, la réforme sera financée par des moyens spécifiques, mais lesquels, et au détriment de quels programmes ? Revaloriser les bourses scolaires serait également essentiel au regard de la situation catastrophique des étudiants. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Jérémy Bacchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) La réforme de l'éducation prioritaire pose de nombreuses questions. Nous doutons de la pertinence des réponses du Gouvernement. Difficile d'avoir une vue complète sur l'expérimentation annoncée. Dans les Bouches-du-Rhône, qui font partie d'une académie test, les retours sur les CLA sont inquiétants : seulement 39 des 72 écoles pouvant être sélectionnées seront concernées. Pourquoi ? Comment les moyens seront-ils répartis ? Les syndicats n'ont pas obtenu de réponses.

Comme l'indique Marc Douaire, de l'Observatoire des zones prioritaires, passer d'une logique territorialisée à une logique d'établissement représente un bouleversement profond. Or il faut prendre en compte l'aspect social de l'éducation prioritaire.

Des établissements REP déjà en difficulté risquent de perdre leur label. Les nouveaux critères inquiètent les professeurs et les parents. Le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc), pourtant classé plutôt à droite, demande déjà le retrait de la réforme.

Le rectorat prendra-t-il en compte les aides extérieures ? Comme s'en inquiète Jean-Yves Rochex, ne risque-t-on pas de favoriser le clientélisme ? Évitons de concentrer les jeunes enseignants dans les zones difficiles. Attention à ne pas donner de nouveaux cadeaux à l'enseignement privé, qui n'est pas, loin s'en faut, un champion de la mixité. Certains établissements pourraient échanger des remboursements de frais aux familles contre la manne de l'État.

S'il faut rapatrier dans le dispositif 70 % des élèves qui n'y sont pas, au détriment de 25 % de ceux qui y sont mais ne devraient pas y être, cela ne pourra pas se faire à moyens constants.

Vous devriez être plus claire : vous avez annoncé au Sénat une réforme à moyens constants, puis avez indiqué devant l'Assemblée nationale une voie « parallèle » avec des moyens propres. Attention à ne pas déshabiller certains établissements pour en habiller d'autres.

L'année dernière, pour quinze postes supprimés dans les Bouches-du-Rhône, dix concernaient les sections d'enseignement général professionnel adapté (Segpa) et cinq des REP+. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quarante ans après les premiers REP, 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. La Cour des comptes dénonce un cadre trop rigide et des effets de seuil.

En 2019, Jean-Yves Roux et Laurent Lafon avaient plaidé pour une politique départementale de l'enseignement prioritaire, concertée avec les élus.

Les CLA qui seront le socle de votre expérimentation se veulent plus adaptables, et devraient résoudre le problème des établissements au seuil des REP et des établissements ruraux. L'expérimentation sera une première réponse aux 500 écoles dites « orphelines » accueillant des élèves boursiers des catégories défavorisées et présentant un fort taux de redoublement : leurs 51 000 élèves ne peuvent pas actuellement bénéficier des mesures REP comme le dédoublement des classes, pourtant particulièrement utile pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Cette expérimentation permettra de prendre en compte les besoins spécifiques des écoles en zone rurale, jusqu'ici trop souvent oubliées.

Les difficultés ont été aggravées par la crise sanitaire. Comment comprendre les fermetures de classe dans ces territoires ? Dans la commune de Petosse en Vendée, une fermeture de classe est prévue alors que les élèves sont en difficulté socialement et scolairement.

Sur les trois régions choisies, les Pays de la Loire sont retenus pour l'expérimentation. Nous serons donc particulièrement attentifs à ses résultats. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Marie-Pierre Monier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'éducation prioritaire est au coeur de la promesse républicaine. Alors que le Sénat s'apprête à examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République, il faudrait se souvenir que l'école concourt puissamment à la lutte contre les séparatismes. Le ministère a prévu une ambitieuse réforme de ce dispositif créé en son temps par Alain Savary.

Je remercie le groupe CRCE de ce débat qui nous permettra, je l'espère, de mieux comprendre l'articulation avec la politique de la ville, la mixité, le sort des écoles orphelines, la revalorisation des salaires du personnel à la hauteur de leur investissement et la prise en compte des établissements ruraux.

La carte scolaire se fait dans la douleur : dans la Drôme, la rentrée est à moyens constants ; il faudra trouver ailleurs les enseignants pour le dédoublement en REP. J'espère une prise de conscience de la nécessité d'aider à la fois les REP et les écoles rurales.

La temporalité de l'expérimentation, un an, semble trop courte, alors que les CLA dureront trois ans. Pourquoi une telle précipitation à la fin du quinquennat ? Il faut une concertation sur le temps long.

Quel en sera le financement ? Vous annoncez un budget de 3,2 millions d'euros. Comment évaluerez-vous si ce montant est adapté ? Selon quels critères ? Sur quel budget le prendrez-vous ? Comment les établissements retenus seront-ils choisis ?

Il y a un risque de dilution des critères sociaux, avec l'adoption de nouveaux critères. Cela rompra l'égalité entre les territoires. Les acteurs de terrain doivent être mieux consultés, certes, mais il ne faut pas pour autant négliger le cadre national.

Le groupe SER propose de retourner le problème : consultons le terrain avant de constituer la carte nationale de l'éducation prioritaire, en adaptant les moyens aux besoins.

Madame le secrétaire d'État, saisissez cette opportunité ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie le groupe CRCE pour ce débat.

« Le français, la morale, le calcul » disait Jules Ferry, insistant sur l'école primaire. Puis l'école a suivi le besoin de spécialisation et de qualification, devenant un vecteur de l'ascension sociale, conformément au principe d'égalité des chances.

C'est ainsi qu'en 1981 est née l'éducation prioritaire. Mais quarante ans après, elle n'atteint pas ses objectifs de mixité et de réduction des écarts.

Un élève de lycée français coûte 30 % plus cher que la moyenne de l'OCDE, tandis qu'un élève de primaire coûte 20 % moins cher. L'éducation prioritaire a souffert du non-respect de son caractère temporaire : ce marquage au fer des établissements a engendré le départ des familles et le turn over des enseignants.

Soyons clairs : cette politique était indispensable, mais nous devons débattre de la modestie de ses résultats.

La réduction des effectifs des classes est insuffisante, les enseignants contractuels trop nombreux. L'absence d'autonomie des établissements et de marge de manoeuvre des chefs d'établissement pèse également.

Les dérogations à la carte scolaire ont réduit la mixité sociale.

Madame la ministre, détournez-vous d'une politique centralisée. Ne vous limitez pas à une réforme paramétrique.

Pour réussir l'éducation prioritaire, il faut adapter les modalités de gestion, former et stabiliser les équipes, affecter des enseignants chevronnés. Il faut augmenter le nombre de postes à profil, adapter l'école à la diversité des territoires, mieux rémunérer les enseignants. Il faut rentrer dans une école du contrat, contrairement à ce qui a été dit avant moi.

Vous devez aussi échanger avec les élus sur leurs attentes, leurs difficultés, leurs idées et même leurs revendications.

Pour réussir, faites du sur-mesure au plus près des établissements. Desserrez l'étau de la centralisation, et permettez aux équipes de terrain de prendre une part active à l'école républicaine de demain. Voilà le chantier de l'éducation prioritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Decool .  - L'éducation prioritaire, initiée par Alain Savary en 1981, devait être temporaire. Il s'agissait de limiter à 10 % les écarts de niveau entre les zones les moins favorisées et les autres. Quarante ans plus tard, les différences sont de 20 % à 35 % selon les établissements.

En 2017, le REP couvrait 1 000 collèges, dont 356 en REP+ et 7 000 écoles, dont 2 500 en REP+, pour un coût de 1,6 milliard d'euros.

Les critères pris en compte - taux de boursiers, CSP, redoublement - sont pertinents, mais les moyens manquent souvent leur cible, avec des effets de bord importants.

L'éducation prioritaire s'accompagne aussi d'une stigmatisation, facteur d'évitement des familles les plus aisées et des enseignants expérimentés - les titulaires sont moins nombreux, les taux d'arrêt maladie et de mutations élevés - ce qui annule les effets positifs du dispositif.

Le dédoublement des classes de CP, de CE1 et de grande section est moins flexible que le dispositif « maître plus », alors que les deux sont complémentaires.

La revalorisation des salaires des enseignants et l'augmentation de leur nombre sont également indispensables à la réussite du dispositif.

La mise en place des classes coopératives donne de bons résultats pour favoriser l'apprentissage du vivre ensemble et régler les problèmes de vie scolaire. De la même façon, le dispositif « devoirs faits » déployé depuis 2017 dans les collèges du réseau est très demandé.

Le Gouvernement a annoncé en novembre la mise en place de CLA dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille. Cette expérimentation donnera des moyens supplémentaires à certains établissements, notamment en zone rurale.

Une réforme globale de l'éducation prioritaire est indispensable, avec un maillage plus souple et une dissociation entre collèges et écoles. Les cinq cents écoles orphelines, ou rattachées à des collèges hors REP alors qu'elles répondent à tous les critères REP, pourraient ainsi être intégrées au réseau.

Dans Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry s'interrogeait sur l'avenir d'un enfant né dans la misère : « Ce qui me tourmente, c'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné »...

Concentrons-nous sur le plus jeune âge, en leur donnant le sésame qui ouvre ensuite vers tous les autres apprentissages. (Mme Marie Mercier et M. Marc Laménie applaudissent.)

M. Thomas Dossus .  - Je remercie le groupe CRCE pour ce débat.

La France est l'un des pays de l'OCDE où le lien entre la condition sociale de l'élève et sa performance scolaire est le plus fort. Notre système éducatif est ainsi particulièrement reproducteur des inégalités sociales. Regardons la réalité en face : il est en panne !

Le 25 janvier, et pendant dix-sept jours, deux enseignants de la région lyonnaise, à Givors, ont entamé une grève de la faim courageuse pour demander un rattachement de leur collège au REP+.

Les écarts de niveau de la troisième sont de l'ordre de 35 % pour la maîtrise du français entre collèges Éclair - écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite - et collèges hors éducation prioritaire. Face à ce constat, votre Gouvernement a décidé une réforme et seuls les REP+ devraient être pérennisés. La contractualisation avec les établissements sera de mise.

La réforme prévue prévoit-elle des financements nouveaux ? Vous vous êtes contredite sur le sujet, madame la ministre. Il risque d'y avoir des gagnants et des perdants. Nous refusons la mise en concurrence entre les établissements !

La contractualisation peut aggraver les inégalités entre les territoires et ouvrir la voie à l'arbitraire.

Le privé assèche certains établissements et certains territoires. Comment concevoir que ces établissements accèdent aux fonds réservés à des établissements en difficulté ? On ne résoudra pas les problèmes en faisant des cadeaux au privé !

Comme en matière d'urbanisme, il faut assurer une vraie mixité sociale à l'école pour s'attaquer efficacement aux inégalités. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE)

Mme Sonia de La Provôté .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quarante ans après la création de l'éducation prioritaire, une réforme est nécessaire, sans déstabiliser l'existant. Une expérimentation est proposée dans cette logique. Les situations culturelles, sociales, familiales sont très diverses. Une approche plus territorialisée est souhaitable pour éviter les effets de frontière liés au zonage.

La perte de label REP fait perdre le statut prioritaire aux dépens des élèves : c'est absurde. Ne perdons pas de vue les élèves : le véritable enjeu, c'est l'accompagnement individualisé !

Le premier écueil de cette expérimentation réside dans la répartition des moyens des contrats locaux. Les caractéristiques des établissements devront être bien ciblées pour ne pas diluer les crédits. Les problématiques des territoires ruraux et celles des quartiers ne sont pas les mêmes : il ne faudra donc pas aborder ces questions de manière uniforme.

Deuxième interrogation : qui évaluera cette expérimentation ? Si elle est prometteuse, il faudra absolument l'étendre.

Les territoires éducatifs ruraux privilégient une approche transversale qui a fait ses preuves pour accompagner le parcours des enfants. Si les moyens restent constants, des arbitrages seront inévitables.

Enfin, l'accompagnement individualisé des enfants impose de revoir les rapports avec les collectivités locales. Or elles n'ont pas les mêmes moyens en fonction de leurs tailles et de leurs ressources, notamment dans les zones rurales. La réforme ne pourra reposer sur elles.

On a trouvé des postes pour dédoubler les classes ; il faudra en trouver aussi pour territorialiser et individualiser. La réforme doit réussir : c'est un objectif prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Sabine Van Heghe .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci au groupe CRCE pour son initiative. Le zonage REP ne couvre que 30 % des élèves en difficulté. Beaucoup d'écoles, notamment rurales, ont besoin de moyens supplémentaires ! C'est spécialement le cas dans le Pas-de-Calais qui a récemment subi des chocs sociaux. Je songe notamment à Bridgestone Béthune.

Depuis votre annonce de novembre sur l'expérimentation, les inquiétudes sont nombreuses, d'autant que la politique d'éducation prioritaire est la seule politique nationale de lutte contre les inégalités sociales, comme l'a rappelé la Cour des comptes en 2018.

Pourquoi ne pas réviser la carte des REP et des REP+ qui laisse de côté 70 % des élèves défavorisés ?

Le financement de votre expérimentation semble incertain. Lors de la précédente révision des zones d'éducation prioritaires, en 2014, la majorité de gauche d'alors avait dégagé 350 millions d'euros de budget supplémentaire dont 100 millions pour les indemnités de personnel.

Le regroupement d'établissements et des fermetures d'écoles sont à craindre ; ainsi que des transferts de moyens des ghettos urbains vers les zones rurales. Les écoles rurales ont besoin de moyens, mais aussi d'une prise en compte de leurs spécificités.

Les interrogations se renforcent en raison du lancement en janvier d'une autre expérimentation, les territoires éducatifs ruraux, sur les académies d'Amiens, de Nancy-Metz et de Normandie. Les expérimentations se chevauchent, et les inquiétudes sont fortes.

Je m'interroge aussi sur le choix des académies tests : pourquoi les outre-mer en sont-ils exclus ?

Avec mon groupe, je m'opposerai à toute tentative de détricotage d'une politique en faveur des élèves les plus défavorisés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Paccaud .  - La République théorique, c'est l'égalité des droits. La République idéale, c'est l'égalité des chances. École et République sont consubstantielles, depuis la IIIe République et la création de l'école gratuite et obligatoire par Jules Ferry. C'est l'école qui, métamorphosant ses élèves en citoyens instruits et éclairés, a profondément enraciné la République jusqu'à nos jours, hormis la sinistre parenthèse de Vichy.

Le fameux âge d'or de la Ille République doit être nuancé. Après l'école primaire, la poursuite des études était rare. L'Ancien Régime et les privilèges avaient été effacés, mais les castes et les classes perduraient. Selon que vous étiez puissant ou misérable, les portes s'ouvraient ou restaient closes.

La scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans en 1959, la création du collège unique en 1975, ont eu pour objectif l'égalité des droits et des chances. Mais les résultats des élèves sont restés très inégaux et largement liés à l'origine sociale.

D'où l'éducation prioritaire, créé en 1981, pour favoriser les défavorisés, selon le principe de discrimination positive. Elle bénéficie à 20 % de nos enfants pour un coût, un surcoût en réalité, de 1,5 milliard d'euros.

Ses modalités doivent être réformées pour que le système soit plus juste et plus efficace. Est-il juste aujourd'hui ? Non, puisque 70 % des enfants défavorisés sont hors de l'éducation prioritaire. Nous connaissons tous des écoles ou des collèges accueillant un public fragile et qui mériteraient des moyens supplémentaires, notamment en milieu rural. L'expérimentation des territoires éducatifs ruraux est bienvenue, mais modeste.

Ainsi, dans l'Oise, où plus de la moitié des habitants sont ruraux, deux collèges et leurs écoles de campagne, inclus en REP ou REP+ jusqu'en 2014, ont disparu. Pourtant, les difficultés de la population perdurent voire empirent.

Il faut passer d'une logique de réseau à une logique d'écoles d'éducation prioritaire, car un même secteur peut recéler des situations variées. Faisons confiance aux territoires pour mieux répartir les moyens !

Le dédoublement des classes de CP, CE1 et grande section est une réponse appréciable, mais certains enseignants pointent une perte d'autonomie des élèves. Sans compter la frustration de certains parents d'élèves qui voient leur enfant dans une classe de 28 élèves alors qu'à quelques kilomètres de là, ils ne sont que 12 par classe.

Nous n'avons pas parlé d'une catégorie d'élèves : les lycéens. Ceux qui habitent dans les zones rurales partent tôt le matin pour rentrer tard le soir. Peut-on parler d'égalité des chances alors qu'ils passent deux à trois heures par jour dans les transports ?

Mme le président.  - Il faut maintenant conclure. (M. Olivier Paccaud tente de poursuivre mais Mme le président coupe son micro.)

Mme Sabine Drexler .  - La politique d'éducation prioritaire, créée en 1981 pour donner plus à ceux qui ont le moins, devait faire réussir tous les élèves. C'est ce défi qui m'a donné, la même année, le goût d'enseigner, ce que j'ai fait jusqu'à l'an dernier dans un Rased.

Je connais la détresse des enseignants et des parents dans des zones rurales particulièrement défavorisées. Vers qui se tourner, lorsque la première antenne de soins médico-psycho-pédagogique se trouve à plus d'une heure de route et qu'il faut deux ans pour un rendez-vous ? La fracture est devenue béante entre l'école des villes et l'école des champs. L'éducation prioritaire a été calquée sur la politique de la ville, au détriment des territoires ruraux. L'école en milieu rural sert de variable d'ajustement à la politique de la ville depuis quarante ans. Ceux qui en font les frais sont les élèves vivant dans des territoires moins bien dotés en équipements culturels et socio-éducatifs.

Les professionnels sont épuisés ; ils n'ont pas les moyens de répondre aux problèmes.

Davantage de moyens humains sont nécessaires dans toutes les écoles, et pas seulement dans les zones dites sensibles, d'autant que les troubles du comportement explosent depuis une dizaine d'années.

La détresse scolaire porte en germes les détresses sociales de demain : rétablissons l'égalité à l'école, là où notre avenir, et pas seulement celui de nos enfants, se joue !

Mme le président.  - Je le répète une fois de plus : il faut respecter les temps de parole !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l'éducation prioritaire .  - Merci d'avoir organisé ce débat. Il me donne l'occasion de lever des doutes, en commençant par l'intitulé, la « réforme de l'éducation prioritaire ».

Or ce n'est pas une réforme, mais une expérimentation. Je ne touche pas à l'existant : les mots sont importants. Expérimenter, c'est simplement essayer quelque chose de nouveau.

M. Bargeton l'a rappelé, ce secrétariat d'État est une première et c'est loin d'être anecdotique : le Président de la République veut en effet donner à tous nos élèves un égal accès à la réussite.

Mon action n'est pas de casser, mais de renforcer, d'élargir les moyens et les dispositifs pour mieux accompagner élèves, familles et professeurs.

Je porte depuis toujours deux convictions fortes : la protection de l'enfance et la lutte contre les inégalités. Mes travaux parlementaires sur les violences sexuelles, le handicap ou les enfants aidants en témoignent. J'ai porté une proposition de loi, votée par le Sénat à l'unanimité, sur la prise en charge des cancers pédiatriques.

J'ai d'abord été cadre, puis auto-entrepreneur, puis professeur des écoles en éducation prioritaire. Je connais les difficultés de ces territoires et l'engagement sans faille de nos professeurs.

Depuis 2017, Jean-Michel Blanquer a réalisé le dédoublement des classes de CP et de CE1 ; nous dédoublons aussi les classes de grande section et réduisons les effectifs de toutes les autres classes à 24 élèves.

Citons aussi « devoirs faits », un vrai accompagnement pour nos élèves en difficultés et une mesure de justice sociale.

Mais il y a aussi des biais, que j'ai constatés lors de mes nombreux déplacements : bon nombre des élèves ruraux et de territoires enclavés - notamment en zones de montagne - ne peuvent bénéficier de cette aide aux devoirs parce qu'ils dépendent d'un transport scolaire. Nous y répondons par « devoirs faits à distance ». Dans ce contexte sanitaire, c'est important.

Il y a également les cités éducatives - monsieur Paccaud, j'en ai inauguré une récemment à Beauvais.

Madame de La Provôté, nous construisons de vraies alliances éducatives dans les territoires ruraux pour accompagner l'ensemble de nos élèves. Je pourrais citer les 240 internats d'excellence qui sont à l'étude pour accueillir 13 000 élèves supplémentaires, sans oublier les 20 000 élèves des « cordées de la réussite ».

Beaucoup de questions ont porté sur les CLA. Ils sont nés de mes constats, du rapport Azéma-Mathiot, celui de Salomé Berlioux, celui de la Cour des comptes. Ils montrent les effets de seuil du zonage qui laissent 70 % d'élèves défavorisés à l'écart des REP et REP+. Il existe une zone grise et des écoles orphelines.

Les lycées professionnels, grâce aux CLA, entreront dans les moyens de l'éducation prioritaire. Trop souvent celle-ci est perçue sous le prisme des quartiers prioritaires de la ville et des zones urbaines.

Ces constats m'ont déterminée à lancer cette expérimentation. Sans concertation ? Faux ! J'ai tenu une trentaine d'audiences avec les organisations syndicales. En outre, je travaille avec tous les élus. Cette expérimentation a été annoncée, travaillée, préparée avec eux.

Depuis novembre, nous avons installé un comité de pilotage avec trois académies expérimentatrices : Nantes, Lille et Aix-Marseille.

Le comité de pilotage national comprend mon secrétariat d'État, l'administration centrale et les académies. J'ai demandé à ces dernières d'être attentives aux écoles orphelines, aux lycées professionnels et aux territoires ruraux : ainsi, 172 établissements sont présélectionnés pour faire partie de cette expérimentation, qui ne touche pas au zonage existant, ni aux moyens alloués. Elle reçoit un budget spécifique dédié de 3,2 millions d'euros.

Avec plus de 2 milliards d'euros, les moyens de l'éducation prioritaire ont augmenté de 30 % depuis 2017. Le comité de pilotage se double, dans les académies, de comités de suivi incluant le personnel de l'Éducation nationale, les cadres et, j'y insiste, les élus.

Cette expérimentation rompt avec le zonage et la logique du tout ou rien pour mieux allouer les moyens, répartis en fonction des besoins réels : ici des crédits pédagogiques, là une diminution du nombre d'élèves par classe, ou encore un renforcement des fonds sociaux.

Une expérimentation ne vaut que si elle est évaluée. Nous élaborons un protocole. Selon vous, j'aurais annoncé une généralisation en 2022 ? En aucun cas ! L'expérimentation commence en septembre et, si cela est jugé nécessaire après évaluation, elle sera élargie à quelques autres académies en 2022, avec une ligne budgétaire dédiée dans le projet de loi de finances. Il y aura une trentaine de lycées professionnels et une trentaine d'établissements ruraux sur les 172 retenus pour l'expérimentation.

J'ai entendu que les outre-mer n'étaient pas concernés par l'expérimentation. Mais nous travaillons avec eux à un projet adapté à leurs particularités, l'éducation prioritaire y étant très présente.

Un rappel s'impose sur les fermetures de classes : comme s'y est engagé le Président de la République, pas de fermeture d'école sans accord du maire pour les communes de moins de 5 000 habitants ; pendant la crise du Covid, les fermetures de classes ont elles aussi été soumises à cet accord.

Malgré les 65 000 élèves en moins ces dernières années, nous n'avons cessé d'augmenter les moyens, plus spécifiquement dans le premier degré, afin de consolider les fondamentaux « lire, écrire, compter, respecter autrui ».

Les CLA sont la réponse à la différenciation que plusieurs d'entre vous réclament. L'éducation prioritaire reste une politique nationale ; nous laissons cependant une latitude aux académies, qui ont elles-mêmes élaboré la liste des 172 établissements.

Nos lycées professionnels recrutent beaucoup dans les REP, mais n'ont plus de moyens spécifiques car ils ont été exclus du champ de l'éducation prioritaire.

Je travaille à une restructuration de nos fonds sociaux, sous-consommés dans beaucoup d'établissements. Le taux de non-recours aux bourses reste trop élevé. Dès la fin de l'année scolaire, nos cadres solliciteront les familles en difficulté. Avec Olivier Dussopt, nous envisageons l'automatisation de la notification du droit à la bourse.

Trop d'élèves arrivent à l'école le ventre vide : ils étaient 250 000 à 300 000 il y a trois ans quand nous avons mis en place les petits-déjeuners. Avec Olivier Véran, nous réfléchissons à un nouveau mode de distribution dans les établissements.

Certains d'entre vous trouvent qu'un an pour les CLA, c'est trop court. Mais c'est le principe de l'expérimentation et du tâtonnement : l'évaluation dans un an vise à améliorer et ajuster le dispositif. Les contrats d'accompagnement sont conclus pour trois ans, et je ne sais pas encore si cette clause de revoyure sera nécessaire.

Il n'y a nul hasard, ni clientélisme : les établissements ont été choisis avec rigueur et méthode.

Je conclurai avec une citation de Pythagore : « Un homme n'est jamais si grand que lorsqu'il est à genoux pour aider un enfant ». C'est ce à quoi je m'emploie. (M. Julien Bargeton applaudit.)

La séance est suspendue à 20 h 30.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 22 heures.

Situation et devenir de l'économie sociale et solidaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « situation et devenir de l'économie sociale et solidaire », à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'économie sociale et solidaire (ESS) regroupe l'ensemble des structures économiques basées sur les principes de solidarité, d'équité et d'utilité sociale, dont l'objectif est l'insertion et la cohésion sociales. Il s'agit principalement d'associations, de mutuelles et de coopératives, avec une gestion participative et démocratique. L'utilisation de leurs résultats financiers est encadrée - pas de profits personnels, réinvestissement des bénéfices.

Beaucoup de nos concitoyens ont affaire à des entreprises de l'ESS sans le savoir. Ce déficit de notoriété est préjudiciable, d'autant que tous ne brandissent pas leurs principes originels en étendard : ils ne sont pas toujours bien connus des nouvelles générations et des décideurs. Le défaut de reconnaissance induit un défaut de connaissance.

C'est pourquoi nous souhaitons faire mieux connaître l'ESS, alerter sur la fragilisation des structures pendant la crise sanitaire mais aussi sur leur rôle dans la relance.

Les acteurs de l'ESS se sont structurés peu à peu. Parmi les organisations les plus représentatives, citons le Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (CNCRESS), le Mouvement associatif, Coop FR, le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), la Fédération nationale de la mutualité française, le Mouvement pour l'économie solidaire, la Fédération des entreprises d'insertion...

L'ESS représente 2,4 millions de salariés, dont 68 % de femmes, 22 millions bénévoles, 10,5 % de l'emploi, 10 % du PIB, 22 150 établissements en milieu rural et 10 600 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

La coopérative est l'un des rares modèles économiques qui concilie performance économique, respect de l'humain, gouvernance démocratique, création d'emplois durables et innovation. Citons Railcoop, ou Scop-TI, issue de la reprise de l'usine Fralib-Unilever. En 2018, 1,3 million de salariés étaient employés par 22 600 entreprises coopératives.

La loi de 2014 a enfin fixé les règles de gouvernance de l'ESS et de financement et elle a prévu un agrément « entreprise solidaire d'utilité sociale » (ESUS). Il ne faut pas toucher à ce socle légal.

La crise sanitaire a frappé ce secteur, notamment dans l'action sociale, l'éducation et les services à la personne. Le Gouvernement a mobilisé un fonds d'urgence de 30 millions d'euros pour les structures de moins de dix salariés - mais le plan de relance ne flèche que 1,3 milliard d'euros pour un secteur qui représente un emploi sur dix...

La loi de 2014 reconnaît les acteurs du niveau régional - les chambres régionales d'économie sociale et solidaire (Cress) - comme national (ESS France). Elle fixe leurs missions essentielles, en contrepartie desquelles l'État apporte un financement de 60 000 à 130 000 euros, selon la taille des Cress... Il faudrait leur donner les mêmes moyens qu'aux chambres de commerce. La part des crédits déconcentrés de l'État reste également assez faible. Les Cress ont contractualisé avec les conseils régionaux mais il faut les renforcer, notamment financièrement, et ouvrir de nouvelles actions d'accueil, d'information et d'orientation.

Il faudrait établir un état des lieux périodique du financement de l'ESS, avec des données en open data et une analyse comparative des aides accordées au secteur concurrentiel et à l'ESS.

Il est nécessaire de garantir aux entreprises de l'ESS l'accès aux dispositifs ouverts aux entreprises commerciales, y compris sans agrément ESUS. Or le Mouvement associatif fait état d'un fort taux de non-recours, lié à des difficultés d'accès à l'information et à un manque d'ingénierie. Nous proposons de prévoir dans les appels à projets une aide ou un financement permettant l'accessibilité à l'ensemble des structures.

Les fonds propres des petites entreprises de l'ESS doivent également être restructurés. Pour favoriser l'innovation sociale, la reprise d'entreprises doit être encouragée, notamment en cas de départ à la retraite de l'employeur. Cela suppose, là encore, d'accorder plus de moyens aux Cress. Pourquoi ne pas instaurer un partenariat avec l'agence chargée du recouvrement des avoirs saisis et confisqués, à des fins de réutilisation sociale ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Cathy Apourceau-Poly, ainsi que M. Joël Bigot, applaudissent également.)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - Je tiens à remercier le GEST pour ce débat sur le devenir de l'ESS. Cela fait des années qu'un tel débat n'avait pu se tenir, faute de ministre dédié...

Il était légitime de faire revenir l'ESS à sa vocation première, l'économie, et donc à Bercy. La crise sanitaire, qui s'est vite muée en crise économique, met ce secteur à rude épreuve. Privées d'activité, ces structures doivent puiser dans leur trésorerie, or leurs fonds propres sont structurellement fragiles, elles ont un accès limité aux financements bancaires et font trop peu appel aux aides de l'État.

Ce manque de connaissance et de reconnaissance, pour reprendre votre expression, m'a conduit à répondre avant tout à l'urgence en luttant contre le non-recours.

Depuis juillet, nous avons édité un guide et recensé tous les appels à projets dans le cadre du plan de relance. Nous avons aussi prévu que le numéro vert à destination des entreprises puisse répondre aux questions des acteurs de l'ESS : mon cabinet y veille.

Depuis le début de la crise, nous ne cessons de rappeler que ces structures sont des acteurs économiques à part entière, donc éligibles à toutes les mesures de droit commun. Mais ces dernières sont parfois mal calibrées ou insuffisantes - et surtout mal connues du secteur, d'où un non-recours important.

J'ai obtenu, lors du dernier projet de loi de finances, une hausse de 30 % des moyens alloués au dispositif local d'accompagnement (DLA) qui aide notamment les acteurs à répondre aux appels à projets dans les territoires.

Un fonds d'urgence de 30 millions d'euros a été voté dans le collectif budgétaire pour les petites structures employeuses. Son accès est le plus simple possible, avec un guichet unique géré par France Active et des subventions allant de 5 000 à 8 000 euros, en fonction des besoins. Chaque jour, nous recevons 300 demandes. Fin février 7 373 structures avaient fait une demande sur le portail Urgence-ESS.fr, 4 534 sont en cours d'instruction, 1 600 structures ont déjà perçu une première tranche. Il s'agit, pour les deux tiers, d'acteurs jusque-là inconnus de France Active. C'est un sujet d'inquiétude mais aussi de satisfaction, car notre combat contre le non-recours commence à porter ses fruits. Le « quoi qu'il en coûte » doit s'appliquer aussi à l'ESS !

J'ai obtenu qu'1,3 milliard d'euros du plan de relance soit fléché directement vers le secteur ; s'y ajoutent 3,9 milliards d'euros destinés à des domaines où l'ESS est fortement représentée, comme l'économie circulaire, le médico-social ou le soutien à l'emploi des personnes en situation de handicap.

Les pratiques de l'ESS essaiment dans notre économie, on le voit en matière de gouvernance, de prise en compte de l'impact écologique et social, de limitation des profits. C'est cet impact que je souhaite aider l'ESS à valoriser. Il y a une appétence pour les contrats à impact que j'ai lancés : nous avons reçu 28 candidatures. C'est pourquoi, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), nous avons décidé de tripler le montant d'aides prévu.

Aidons l'ESS à passer la crise, pour qu'elle nous aide à dépasser la crise !

M. Éric Gold .  - L'ESS et l'économie circulaire se rejoignent dans leurs valeurs : optimiser l'utilisation des ressources, c'est servir l'utilité sociale. Le sujet de la consommation durable est à l'intersection de ces modèles économiques.

Lors du débat sur la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique, le Gouvernement a proposé de soumettre les produits d'occasion reconditionnés à la redevance copie privée. Cela entraînerait pour l'économie circulaire française une perte de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le reconditionnement présente pourtant de nombreux avantages, à la fois économiques et environnementaux. Quelle est la position du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Merci de souligner l'importance de la filière du reconditionnement, exemple même de croissance verte. Le projet de loi Climat et résilience va encourager la réparation en imposant la mise à disposition de pièces détachées. Je vous confirme le plein soutien du Gouvernement à ce secteur, où s'illustrent plusieurs start-up françaises. C'est un vrai marché, pourvoyeur d'emplois, notamment dans le domaine de l'insertion. L'électronique reconditionné pourrait créer quelque 20 000 emplois dans les prochaines années. Et un téléphone reconditionné, c'est 30 kilogrammes de CO2 évités !

La question juridique de la redevance pour copie privée n'est pas encore tranchée, la réflexion suit son cours. Je serai solidaire de la position du Gouvernement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Je remercie le GEST d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. L'ESS est touchée par la crise mais elle est aussi une solution pour en sortir. À côté du pilier que sont le secteur privé et le secteur public, notre économie a aussi besoin de ce tiers-secteur.

Les coopératives sont une opportunité pour la réindustrialisation de notre pays. Je pense notamment à la production de médicaments jugés peu rentables par les grands laboratoires, qui pourrait être assurée par des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) ; cela s'est vu aux États-Unis.

La crise risque d'accélérer le départ de nombre de chefs d'entreprise, il faut donc favoriser la reprise par les salariés - ce qui suppose de les informer en amont pour qu'ils préparent le projet de reprise.

Le Gouvernement est-il prêt à s'engager sur ces deux sujets ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - L'ESS est une économie ancrée dans nos territoires, je le constate au quotidien lors de mes déplacements.

Oui, c'est une partie de la solution de sortie de crise. Les appels à projets, disponibles sur le site de Bercy, sont de mieux en mieux connus de l'ESS, mais ce secteur est plus à l'aise avec l'appel à manifestation d'intérêt. C'est pourquoi j'ai augmenté le DLA de 2,8 millions d'euros.

Les coopératives d'activités et d'emploi (CAE) et les SCIC, consacrées par la loi de 2014, doivent être consolidées au plan juridique. D'ici la fin avril, un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) me sera remis, je le partagerai avec vous. J'ai bien l'intention de consolider ce modèle auquel je crois.

M. Jean-Michel Arnaud .  - La dimension sociale et écologique doit être prise en compte. Le poids de l'ESS ne fait que croître. Je le constate dans mon département des Hautes-Alpes où la proximité, la solidarité et la production locale de biens et de services reposent sur des organisations coopératives, mutualistes et associatives : l'ESS y représente 20 % des emplois privés et même 25 % dans mon agglomération.

Les aides que vous avez annoncées sont disparates et peu actionnables pour les acteurs : pourquoi ne pas créer un fonds d'investissement unique spécifiquement dédié à ce secteur ?

Vous avez annoncé une enveloppe de seulement 100 millions d'euros pour les associations de lutte contre la pauvreté. Vu l'impact social de la crise, c'est insuffisant. Qu'allez-vous faire ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - J'ai conscience que certains acteurs n'ont pas connaissance des aides auxquelles ils sont éligibles. J'échange régulièrement avec ESS France : la tête de réseau doit faire passer le message à ses adhérents, notamment via les Cress.

Avec les départements et les régions, je n'ai de cesse de travailler pour faire connaître aux acteurs les dispositifs auxquels ils ont droit. Pas moins de 90 % des 100 millions d'euros destinés à l'hébergement d'urgence sont réservés aux associations.

Mon cabinet est à votre disposition pour chercher des solutions à la situation que vous évoquez dans votre département, et qui m'étonne : les appels à projets sont publiés et le DLA vise à aider les structures de lutte contre la pauvreté à y répondre.

Mme Florence Blatrix Contat .  - L'ESS obéit à des règles de gestion singulières. Elle peine à trouver des financements, malgré des dispositifs ciblés. Ceux-ci sont parfois méconnus et manquent en partie leur cible. Le secteur bancaire connaît mal les spécificités de l'ESS et il y aurait besoin de règles prudentielles particulières.

Comment aider les acteurs à maîtriser les outils de financement existants ? Comment sensibiliser le secteur bancaire aux besoins de l'ESS et orienter vers celle-ci une partie de l'épargne privée qu'on dit surabondante depuis le début de la crise ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - La question du financement est centrale, car les fonds propres des acteurs sont faibles -  cela découle par essence de leur lucrativité limitée. Sur les 14 milliards d'euros qui ont été décaissés du fonds de solidarité, 200 millions d'euros ont bénéficié aux associations. Je m'efforce, comme vous tous, d'amener les acteurs à y recourir davantage.

Nous menons un travail transpartisan sur cette question car il s'agit de l'économie de nos territoires. Et je vois beaucoup de bonnes initiatives.

La Cress de Provence-Alpes-Côte d'Azur a mis en place un fonds régional qui accompagne le développement des structures, en complément des systèmes nationaux. C'est un bel exemple.

J'ai demandé à la Banque de France et à la Fédération bancaire française de faire preuve de bienveillance. Cette demande a été entendue. Le médiateur du crédit accompagne les acteurs de l'ESS. Beaucoup reste à faire, mais les lignes bougent !

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les acteurs du secteur méritent un profond respect. Leur rôle est vital dans le contexte actuel et, dans le Vaucluse, j'ai pu constater un élan de solidarité en milieu rural, notamment pour vacciner nos concitoyens.

Mais la crise n'est pas finie, et les signaux envoyés aux associations sont négatifs depuis des années : fin des contrats aidés, baisse des subventions publiques, suppression de la réserve parlementaire, inadéquation du fonds pour le développement de la vie associative, diminution des dons en raison du prélèvement à la source.

On a l'impression que le modèle de l'ESS est malmené, comme l'écrit Jean Gatel. Ce que vous annoncez sera-t-il suffisant ? Nous entendons surtout des cris de détresse... C'est notre pacte social qui est en jeu !

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Le plan d'urgence fonctionne : nous avons décaissé 10 millions d'euros en un mois pour 1 600 structures. Les 30 millions d'euros prévus devraient avoir été décaissés d'ici la fin avril. C'est le meilleur moyen d'obtenir plus de Bruno Le Maire et de Jean Castex - qui, en bon ancien élu local, est très attentif à ce secteur.

Le DLA est important pour accompagner les structures dans la réponse aux appels à projets. J'oeuvre avec coeur pour faire mieux connaître et reconnaître ce secteur qui pèse 10 % de notre PIB et 14 % de nos emplois salariés !

M. Daniel Chasseing .  - Le Gouvernement veut doubler le nombre de places en entreprise adaptée pour faciliter l'insertion des personnes en situation de handicap, et une plateforme Parcours Handicap a été lancée.

Certaines transitions restent toutefois complexes, notamment pour passer d'un foyer de vie à une entreprise adaptée. Comment comptez-vous fluidifier ces parcours ? Les entreprises adaptées ont besoin d'aide. Que prévoit le Gouvernement pour augmenter leurs investissements ?

Par ailleurs, pourquoi les travailleurs reconnus handicapés par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) sont-ils refusés par Pôle emploi pour travailler en entreprise adaptée lorsqu'ils ont travaillé, même partiellement, en milieu ordinaire ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Je vous fournirai des éléments d'ici la fin de la semaine sur le dernier point, car je n'ai pas la réponse.

Avec Sophie Cluzel, nous travaillons pour améliorer le quotidien des personnes en situation de handicap et de leurs proches. Le plan France Relance comporte une aide à l'embauche - jusqu'à 4 000 euros - pour les associations et entreprises, quelle que soit leur taille, qui recrutent un travailleur handicapé, et ce, jusqu'au 30 juin 2021.

Ce plan de 300 millions d'euros, qui a bénéficié à 7 000 entreprises dont 800 entreprises adaptées, a été augmenté de 20 millions d'euros en décembre, preuve de son efficacité. Nous espérons ainsi créer 40 000 emplois d'ici 2022 dont 27 000 en 2021.

M. Daniel Salmon .  - L'économie sociale et solidaire est un gisement colossal d'emplois durables. En plaçant l'humain au coeur de l'économie, on peut apporter des réponses pertinentes aux crises actuelles.

Je ne peux que saluer votre engagement, mais il faut structurer cet écosystème, avec des têtes de réseau, pour mieux accompagner les structures, notamment les plus petites, concernant la levée de fonds ou la prospection commerciale.

Les associations sous-consomment les dispositifs mis à leur disposition. Pourquoi ne pas imaginer un centre de formalités des entreprises spécifique, géré par les Cress ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Il est vrai qu'il y a beaucoup à faire... J'ai signé cet automne une convention avec la Caisse des dépôts et consignations pour soutenir le développement de l'économie sociale et solidaire dans les territoires, à hauteur de 300 millions d'euros, soit 90 millions de plus que ce qui était prévu, preuve que les dirigeants de la Caisse - et notamment son président Éric Lombard - sont attentifs aux besoins du secteur. C'est aussi le cas des banques, de la Banque de France et de la BPI.

Je mobilise les élus et les représentants de l'État pour promouvoir les outils existants, comme les 2 000 prêts d'honneur de Bpifrance qui représentent quelque 130 millions d'euros.

Ensemble, poursuivons le travail en utilisant les structures existantes !

Mme Nadège Havet .  - Le guichet d'urgence et le fonds dédié ont été créés à la suite de la chute de l'activité de l'économie sociale et solidaire, qui a beaucoup souffert de la crise - 52 000 emplois auraient disparu et 11 000 structures sur les 220 000 que compte le secteur n'apparaissent plus dans les fichiers ; 7 % des associations ont disparu, dans les secteurs de l'art et du spectacle, de l'hébergement et de la restauration et du sport.

Le fonds de 30 millions d'euros est une réponse importante que nous avons soutenue. L'objectif de 5 000 structures aidées avant le printemps sera probablement atteint : 1 500 d'entre elles ont déjà reçu des fonds. Pourra-t-on en aider davantage ? Comment améliorer l'identification du guichet unique ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Je tiens d'abord à vous féliciter pour votre mission temporaire sur la commande publique : c'est un secteur important pour les petites structures et ce point fera l'objet de l'article 15 du projet de loi.

Oui, il faut mieux faire connaître le fonds d'urgence, notamment auprès du monde associatif. Nous craignons la disparition de 10 000 associations...

J'ai beau aimer Cioran, je suis néanmoins adepte de l'optimisme de volonté : le fonds de solidarité va sauver plusieurs milliers d'associations et aider à en créer d'autres ! Nous avons reçu 7 400 demandes de structures qui, à 60 %, n'avaient pas eu accès au fonds de solidarité. Quelque 1 620 primes ont déjà été attribuées pour 10 millions d'euros, dont beaucoup pour des associations sportives et culturelles, qui bénéficient en outre de fonds sectoriels des ministères de la culture et des sports.

M. Michel Canevet .  - La Bretagne est une terre d'ESS, riche de nombreuses coopératives, fondations, mutuelles et associations.

Nos concitoyens épargnent beaucoup en ce moment. Cette épargne populaire devrait être orientée vers l'ESS et le développement des territoires. Quelles mesures le Gouvernement prévoit-il à cet égard ?

Par ailleurs, quel rôle ce secteur peut-il jouer dans la formation de nos jeunes, dont beaucoup reste en marge du système scolaire ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - La Bretagne est le premier écosystème d'ESS en France et je lui ai consacré mon premier déplacement ministériel.

Quelque 600 millions d'euros sont prévus pour l'emploi dans l'ESS, dont 200 millions pour les Parcours emploi compétences (PEC). Il s'agit d'embarquer des jeunes dans ce modèle coopératif qui les attire parce qu'il incarne une économie qui fait sens. Un guide simple a été rédigé avec Élisabeth Borne pour aider les structures à activer ces parcours ; il sera très prochainement publié.

La Banque de France suit l'évolution de la quote-part de l'épargne orientée vers l'ESS. Cette quote-part pourrait être relevée de 5 à 10 %.

M. Michel Canevet.  - Je suis très satisfait que le Gouvernement se préoccupe de cette question d'épargne. Pour les jeunes, il faut mettre en place des solutions simples. N'oublions pas les classes de mer, dont le carnet de commandes est vide.

M. Joël Bigot .  - Je salue l'initiative du GEST. La crise a lourdement impacté le secteur : 800 emplois ont été détruits en Maine-et-Loire en un an, 3 500 dans les Pays de la Loire.

Au niveau européen, l'ESS représente vingt millions d'emplois, soit 9 % de la population active. Un sommet sur l'ESS aura lieu à Mannheim les 26 et 27 mai, afin d'examiner l'insertion de ce secteur dans le Green Deal voulu par Ursula Von der Leyen.

Ce secteur est en concurrence avec le secteur lucratif qui ne partage pas les mêmes valeurs. Vous vous êtes engagée, dans un entretien au Monde de novembre 2020, à défendre ce modèle économique au niveau européen : quelles démarches avez-vous entreprises ? Comment la Commission européenne a-t-elle accueilli vos propositions, notamment sur le financement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Je peux vous le confirmer : un plan d'action européen est en cours d'écriture et devrait voir le jour à l'automne.

J'ai rencontré le 15 décembre dernier le commissaire Nicolas Schmit, qui en est chargé. Nous avons insisté notamment sur la reconnaissance du statut, des acteurs, et sur la lucrativité limitée, sur le renforcement du groupe Banque européenne d'investissement (BEI) dans le financement, et sur un accompagnement financier et un point d'entrée dédié pour les acteurs.

Les propositions françaises ont fait l'objet d'un « non-papier » qui a reçu un bon accueil. Le commissaire Schmit porte un intérêt réel aux social bonds, après les green bonds. Je défends ainsi le modèle du contrat à impact qui pourrait bien être répliqué par l'Union européenne.

M. Joël Bigot.  - Le modèle de l'ESS est une solution pour le monde d'après. Il faut le promouvoir en Europe. J'espère que la France sera à la hauteur des enjeux !

Mme Frédérique Puissat .  - Je remercie le GEST. Nous avons porté un texte sur l'insertion par l'activité économique pour les chômeurs de longue durée : le Sénat n'est pas en reste.

Les conseils régionaux jouent un rôle important dans le soutien à l'ESS. En Auvergne-Rhône-Alpes, sans atteindre le niveau de la Bretagne, ce secteur représente 10 % de l'économie. Le label French impact qui vise à fédérer les acteurs attend toujours le milliard d'euros promis. Qu'en est-il ?

Allez-vous mieux soutenir les Cress qui ne disposent pas des mêmes aides que les autres chambres régionales, comme M. Benarroche l'a souligné ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Si la Bretagne est la première région pour l'ESS, la région Auvergne-Rhône-Alpes est aussi très active. À chacun de mes déplacements, j'échange avec les Cress et je plaide pour une hybridation des financements de l'État et des régions. Celles-ci contribuent fortement au plan de relance. Le non-recours concerne aussi les fonds régionaux.

Le milliard d'euros pour French impact est prêt, pour financer les projets de l'ESS sur les territoires. En temps de crise, nous devons nous concentrer sur les financements à impact, plutôt que de nous disperser. J'y crois et prendrai une initiative de place dans les prochains mois.

M. Rémi Cardon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'ESS est au coeur de la transformation de notre économie. Il faut soutenir l'action de ces entreprises qui incarnent un modèle résiliant, fort de ses principes démocratiques.

La présence de l'ESS dans le secteur des déchets a permis de développer les tonnages de la collecte, multipliant par trois celle du textile par exemple - le secteur gère 36 centres de tri sur les 63 existants. Pourquoi ne pas les faire bénéficier d'une baisse de la TVA à 5,5 % ? On estime qu'un vélo sur cinq par an est détruit, parce qu'il est trop cher de le réparer. Sept pays de l'Union européenne ont prévu un tel dispositif : pourquoi pas la France ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour l'examen du projet de loi Climat et résilience. En outre, des dispositifs fiscaux ont été adaptés dans le cadre du dernier projet de loi de finances. Beaucoup a déjà été fait. Peut-être faut-il aller plus loin... Je compte sur la créativité des parlementaires.

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je souhaite aborder l'ESS par le prisme du logement, qui est un élément important de nos politiques publiques, avec des conséquences directes sur l'éducation, l'intégration et l'insertion professionnelle. L'ESS a toute sa place dans l'accompagnement dans le logement, auprès des acteurs et des bénéficiaires.

Trois cent mille personnes sont aujourd'hui sans domicile fixe, soit deux fois plus qu'en 2012. Si ce sujet est régulièrement évoqué et pris en compte par les décideurs publics, nous n'avons pas encore trouvé de baguette magique pour mettre un terme à ce triste constat

En 2007, une association, Toit à Moi, a été créée pour venir en aide au SDF. Elle s'est constitué un petit parc immobilier qu'elle met à disposition des sans-abri pour une période de trois ans, à l'issue de laquelle ils évoluent vers une autonomie durable. Comment aider ces associations, dont le développement constitue un véritable projet entrepreneurial ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Je connais cette association qui est soutenue par French Impact à hauteur de 400 000 euros sur deux ans. En plus d'être une économie, l'ESS est souvent très ingénieuse. Le plan de relance prévoit 100 millions d'euros pour les associations de lutte contre la pauvreté : cela irrigue le tissu associatif. S'y ajoutent 100 millions d'euros pour les structures d'hébergement temporaire, avec notamment 30 millions d'euros pour le rachat d'hôtels et leur transformation en résidences sociales. Des associations comme Toit à Moi doivent pouvoir candidater aux appels à projet du plan de relance, le cas échéant, avec l'aide du DLA.

Mme Marta de Cidrac .  - (Mme Frédérique Puissat applaudit.) L'insertion professionnelle des jeunes est un des piliers fondateurs de l'ESS. Le plan de relance reconnaît ce fait puisque la moitié des sommes engagées pour le secteur sont dédiées à l'insertion. Dans les Yvelines, 40 structures d'insertion par l'activité économique représentant 900 salariés oeuvrent dans ce secteur. Mais ce sont des structures fragiles.

L'effort du Gouvernement est réel mais il y a aussi des trous dans la raquette, en raison du manque de trésorerie mais aussi de la difficulté à attirer des jeunes qualifiés pour bénéficier de leurs compétences.

Comment comptez-vous renforcer le lien des structures de l'ESS avec les services de l'emploi, notamment les missions locales, pour améliorer l'insertion professionnelle des jeunes ? Et comment renforcer les structures de l'ESS pour renforcer l'insertion des jeunes ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Les missions locales bénéficient de 190 millions d'euros du plan de relance.

On me critique souvent dans les territoires sur les abréviations portées par l'IAE, sources de complexité. L'IAE renvoie aux compétences des départements avec l'insertion et des régions avec le volet économie. Il faut favoriser les emplois qualifiés dans l'ESS, mais utilisons déjà les 40 000 parcours emplois compétences du plan de relance.

Mme Marta de Cidrac.  - Ma question était très simple : comment conjuguer ESS et emploi des jeunes ? Au-delà de ces sigles, j'aurais aimé que vous alliez un peu plus loin...

M. Gilbert Favreau .  - Une chose est certaine : l'ESS a le vent en poupe, comme en témoignent tous les chiffres cités : 14 % du secteur privé, soit 2,4 millions de salariés...

L'Éducation nationale semble faire aujourd'hui de l'ESS un objet de découverte plutôt qu'un élément de programme : ainsi, du 22 au 27 mars prochain sera organisée la semaine de l'ESS à l'école. Mais il s'agit plus d'une initiation. Ne serait-il pas préférable d'en faire un enseignement de base au lycée, afin de susciter des vocations ?

L'article 2 de la loi sur le climat dit que l'éducation à l'environnement prépare les élèves à devenir des citoyens responsables. On pourrait faire de même pour l'ESS.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Les deux approches ne me semblent pas contradictoires : nous pouvons éveiller l'esprit des plus jeunes, mais aussi faire connaître ce secteur et ses emplois aux lycéens.

Je soutiens l'initiative de la semaine de l'ESS à l'école. Cette sensibilisation à l'ESS et au développement durable dès la 6e me semble importante, même s'il importe sans doute d'en renforcer l'enseignement au lycée.

M. François Bonhomme .  - Les recycleries et les ressourceries vont connaître des difficultés financières importantes.

Or, elles participent à la préservation des ressources et à la réduction des déchets tout en créant du lien social et des emplois, notamment pour des travailleurs précaires ou en insertion. Elles sont ainsi au carrefour de nombreuses politiques publiques.

Le ministère et l'Ademe ont mis en place un plan de soutien pour les petites structures, mais les ressourceries et les recycleries les plus grandes en sont exclues. Pouvez-vous nous éclairer et rassurer les acteurs du secteur ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - La loi de février 2020 a prévu la création d'un nouveau fonds qui sera alimenté par les éco-contributions et qui bénéficiera à ces structures. Les critères d'attribution sont fondés sur la proximité, même si les entreprises ne relèvent pas de l'ESS. J'entends les craintes des acteurs associatifs. Je poursuis les discussions avec le ministère de la Transition écologique sur le fléchage de ce fonds de réemploi. Ce fonds fonctionne désormais comme un guichet unique plutôt que par appel à projet : c'est beaucoup plus simple.

Nous ferons le point dans quelques mois.

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Je remercie mes collègues pour la richesse de leurs interventions.

L'ESS est un facteur de transformation important de notre modèle économique et social : c'est un vrai modèle alternatif !

Les administrations publiques centrales en France, mais aussi à l'étranger, ont du mal à répondre aux besoins de l'ESS. Comment faire de I'ESS un levier majeur d'une certaine relance économique, celle du « monde d'après », dans une logique de résilience, d'innovation et de coopération ?

Les valeurs portées par ce secteur sont essentielles pour toucher les publics fragiles : il faut veiller à les préserver dans toutes les entreprises de l'ESS. L'encadrement des salaires et le réinvestissement des bénéfices sont des éléments de ce nouveau paradigme. Ces structures contribuent à la sécurité alimentaire, à l'échange de bonnes pratiques, au développement économique local, à l'innovation sociale.

L'ESS, c'est vert, durable et humain !

Ces structures sont ancrées dans leur territoire ; elles créent des emplois décents et oeuvrent pour le développement local.

Pour réduire la pauvreté et lutter contre le changement climatique, il faut promouvoir des modèles alternatifs orientés vers l'humain et la planète. Les politiques publiques qui visent à renforcer l'ESS sont décisives pour transformer notre société.

Les Cress et ESS France veulent voir leur rôle reconnu, sur le modèle des chambres de commerce et d'industrie, et leurs moyens accrus.

Il faudrait aussi permettre aux collectivités territoriales d'acquérir des titres de ces structures. Le développement de l'ESS est essentiel à la construction d'une économie plus durable et plus performante ! (Applaudissements à gauche)

Prochaine séance, demain mercredi 3 mars 2021, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 40.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mercredi 3 mars 2021

Séance publique

À 15 heures et à 16 h30

Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente

Secrétaires : M. Martine Filleul - M. Daniel Gremillet

1. Questions d'actualité au Gouvernement

2. Débat sur l'accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne (demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes)

3. Débat sur les conclusions du rapport : « Mobilités dans les espaces peu denses à l'horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd'hui (demande de la délégation sénatoriale à la prospective)