Fondation du patrimoine (Deuxième lecture)
Mme le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, en deuxième lecture, sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale en première lecture, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, examinée suivant la procédure de législation en commission.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - La singularité de la France s'exprime à travers la richesse et la diversité de notre patrimoine, élément de notre culture commune, mais qui contribue également à la croissance, à l'emploi et à l'attractivité de nos territoires. Nous devons le protéger et le valoriser.
La loi de finances initiale pour 2021 et le plan de relance lui apportent des moyens exceptionnels.
Le ministère de la Culture peut compter dans sa mission sur les collectivités territoriales et sur la Fondation du patrimoine. Celle-ci a agi, dès sa création, grâce à la délivrance d'un label associé à un avantage fiscal. Elle a aussi contribué au succès du loto du patrimoine, en lien avec Stéphane Bern et les directions régionales de l'action culturelle (DRAC).
Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée des recommandations du rapport de la Cour des comptes. L'élargissement du champ du label a été repris par la troisième loi de finances rectificative pour 2020, ce qui a rendu l'article premier sans objet. La composition du conseil d'administration se rapproche du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique : c'est un point d'équilibre.
Sur la réaffectation des fonds devenus sans objet, la fondation a trouvé une solution : l'article peut donc demeurer supprimé.
Je remercie le Sénat pour son travail sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI)
Mme Sabine Drexler, rapporteur de la commission de la culture . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission.) Cette proposition de loi déposée par Dominique Vérien il y a deux ans achève presque son parcours : une ultime lecture à l'Assemblée nationale sera toutefois nécessaire, en raison des deux coordinations adoptées en commission. Mais sur le fond, notre commission a considéré que le texte de l'Assemblée nationale était un très bon compromis.
Les députés ont adhéré à nos préoccupations, notamment sur le soutien au patrimoine rural. Ils ont dit oui à de nombreuses propositions du Sénat sur l'extension du périmètre géographique ou l'intégration des parcs et jardins. L'Assemblée a aussi précisé deux points : un immeuble non habitable du patrimoine rural peut échapper aux conditions de périmètre géographique de labellisation ; les propriétaires de biens invisibles de la voie publique mais qui s'engagent à les rendre accessibles au public pourront bénéficier des avantages fiscaux.
Elle a validé la réforme du conseil d'administration pour la rapprocher du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique, la moitié des sièges restant réservés aux mécènes et donateurs. Elle a accepté la suppression des prérogatives de puissance publique qui n'ont jamais été utilisées.
Notre seule déception concerne l'article 5 sur la réaffectation des dons devenus sans objet. L'objectif de cette disposition était de permettre à la Fondation de réaffecter plus facilement les 10 millions d'euros qui dorment dans ses caisses, mais elle présentait des difficultés juridiques. La commission s'est ralliée à la suppression de l'article 5 au vu des précisions apportées par la Fondation : un de ses bénévoles contactera les donateurs concernés.
La commission a adopté deux dispositifs de coordination. L'un concerne l'article premier et l'entrée en vigueur de la réforme du label. L'autre, à l'article premier bis, supprime une terminologie obsolète depuis 2005 - l'inventaire supplémentaire aux monuments historiques - dans les parties législatives des codes. Tous les autres articles ont fait l'objet d'une adoption conforme. Même amputé de son article phare, ce texte conserve des dispositions essentielles pour la Fondation du patrimoine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)
M. Jean-Pierre Decool . - Au côté des grands monuments historiques existe une myriade de moulins, fontaines, anciennes manufactures, chapelles, colombiers, bateaux de pêcheurs, lavoirs, qui subissent aussi les affres du temps. La Fondation du patrimoine est un grand hôpital dans lequel des milliers de projets locaux de sauvegarde voient le jour, avec ses vingt-deux délégués régionaux, ses cent délégués départementaux et ses six cents bénévoles sur le terrain. Nous avons vu sa puissance après l'incendie de Notre-Dame de Paris : en quelques jours, elle a levé l'équivalent d'une année de dons. En 2019, elle a mobilisé la générosité de 280 000 donateurs et de 6 000 entreprises mécènes.
Sauver notre patrimoine, c'est transmettre notre histoire à nos enfants et petits-enfants. Mais c'est aussi contribuer au développement de nos territoires.
La proposition de loi vise à améliorer l'efficacité de la Fondation du patrimoine, créée en 1996 sur une initiative sénatoriale, notamment en rénovant sa gouvernance et les conditions de délivrance du label. La disposition portant le seuil de 2 000 à 20 000 habitants a été supprimée car elle figure déjà dans la troisième loi de finances rectificative. La composition du conseil d'administration sera resserrée et associera plus étroitement les mécènes. Je regrette la suppression de l'article 5, même si je ne méconnais pas le risque d'inconstitutionnalité : les 10 millions d'euros de fonds non affectés pourraient être alloués à d'autres projets. Nous avons la responsabilité de sauver de la ruine des édifices exceptionnels comme les églises rurales, véritables joyaux de l'art gothique. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission)
Mme Monique de Marco . - Cette proposition de loi a pour objectif de redonner du souffle à la Fondation du patrimoine. Le groupe écologiste est favorable aux évolutions de sa gouvernance. L'article premier, repris dans la troisième loi de finances rectificative, était également bienvenu. Il est regrettable cependant qu'aucune solution législative n'ait été trouvée concernant l'article 5.
Un point de vigilance : la suppression, à l'article 6, des pouvoirs spécifiques d'acquisition et de gestion de la Fondation du patrimoine, notamment l'expropriation. Ils étaient certes inhabituels et n'ont jamais été mis en oeuvre, mais fallait-il pour autant les supprimer ?
Au moment de sa création, la Fondation du patrimoine devait aussi intervenir en faveur du patrimoine naturel, aujourd'hui sous-financé. Je regrette que cette dimension n'ait pas été remise à l'ordre du jour. Le GEST votera toutefois cette proposition de loi.
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La Fondation du patrimoine est la première actrice de la générosité en faveur du patrimoine. Elle soutient les propriétaires qui s'investissent pour sauver notre patrimoine non protégé, via des dons, des subventions, des aides fiscales, le loto, etc. Au total, quelque trois mille projets sont soutenus chaque année.
Cette proposition de loi porte sur la gouvernance et les outils de la Fondation : c'est un texte bienvenu et nous félicitons notre collègue Dominique Vérien. Nous connaissons l'attachement de nos concitoyens à notre patrimoine mais aussi les difficultés rencontrées par les élus pour sa sauvegarde. Critiqué par la Cour des comptes, l'effectif du conseil d'administration - 25 membres - est réduit. Nous y sommes favorables.
Les porteurs de projets peuvent solliciter des dons, mais certains projets n'aboutissent pas ou avec d'autres financements. C'est pourquoi 10 millions d'euros sont aujourd'hui inaffectés.
Dans le Finistère, la restauration de l'église Saint-Tugdual de ma commune de Saint-Pabu va bénéficier d'un soutien de la Fondation. Ce projet a connu des modifications et une nouvelle étape de restauration démarrera au second semestre 2022. Non loin de là, le phare de l'Île Vierge est le plus haut d'Europe, le plus haut du monde parmi ceux en pierre de taille, et le quatrième plus haut du monde avec ses 365 marches : il sera prochainement restauré et partiellement transformé en gîte. Je vous invite à découvrir ces deux merveilles dans le reportage de l'émission Des racines et des ailes. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La France est riche d'un patrimoine bâti exceptionnel, des châteaux aux pigeonniers en passant par les jardins remarquables. Sa valorisation est essentielle à l'attractivité de nos territoires. La Fondation du patrimoine est devenue un partenaire privilégié, complémentaire de l'État. C'est un outil indispensable, qui soutient quelque deux mille monuments non protégés chaque année. Cela contribue au développement des centres-bourgs, à la transmission des savoir-faire artisanaux et à l'essor du tourisme rural.
Je salue l'investissement de ses six cents bénévoles sur le territoire.
La Fondation doit garder un cap : la défense du patrimoine non protégé et tout particulièrement du patrimoine rural. On ne peut que soutenir l'extension du label délivré par la Fondation, malheureusement restreint par une instruction fiscale de 2005 aux communes de moins de 2 000 habitants.
Le RDSE est favorable à l'élargissement du label au patrimoine rural des communes de moins de 20 000 habitants, qui correspond mieux aux nouveaux contours du monde rural. Nous l'avions déjà voté dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020 et soutenu l'élargissement aux parcs et jardins.
L'objectif de sauvegarde du bâti rural a été amélioré par rapport à la première lecture et le collège des collectivités territoriales élargi aux communes rurales. Cela va dans le bon sens.
La gouvernance de la Fondation sera modernisée et rapprochée du droit commun des fondations d'utilité publique.
Seul regret, l'article 5 permettant la réaffectation des dons a été supprimé par l'Assemblée nationale, en raison de sa fragilité juridique. Le Gouvernement doit réfléchir à une nouvelle base légale.
Doit-on craindre une raréfaction du mécénat des entreprises ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, madame la ministre ?
Ici, dans cette maison des collectivités territoriales, point n'est besoin d'en dire plus sur ce patrimoine du quotidien qui fait le charme des détours sur les routes de France ! Le RDSE votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Pierre Ouzoulias . - La Fondation du patrimoine est née en juillet 1996 de la volonté de créer un outil pour suppléer l'action publique en mobilisant les bénévoles, le mécénat d'entreprises et la générosité privée. Elle demeure un apax parmi les fondations d'utilité publique : elle seule est financée par des recettes domaniales échappant au contrôle du Parlement.
Dans l'euphorie des réflexions sur la réforme de l'État, on l'a conçue comme le parangon d'une collaboration heureuse entre partenaires publics et privés pour le patrimoine rural non protégé. Elle était créée sur le modèle du National Trust britannique qui compte, lui, quatre millions d'adhérents, un demi-milliard d'euros de budget annuel et cinq mille salariés. À côté, la Fondation du patrimoine n'a que six mille adhérents, et un budget de 32 millions d'euros. Les membres qui devaient la financer ont été remplacés par les acheteurs de billets de loto. La Cour des comptes l'a signalé : elle n'a jamais encouragé l'adhésion, craignant de ne pouvoir animer un trop large réseau.
Dépourvue de ressources privées espérées, elle a été sauvée en 2003 par l'attribution d'une fraction des taxes sur les successions en déshérence, représentant 40 % de ses ressources en 2010. Or cette recette domaniale de l'État échappe au contrôle du Parlement, ce qui entre en contradiction avec l'article 51-1 de la loi organique relative aux lois de finances. Il serait légitime que le Gouvernement satisfît à cette obligation d'information.
Cet apport d'argent public a permis à la Fondation de développer ses actions mais a complexifié ses rapports avec l'État : cette ambiguïté a été révélée lorsque la Fondation du patrimoine a fait cesser la collecte de fonds pour la restauration de Notre Dame de Paris, à la grande perplexité de votre prédécesseur - c'était pourtant une décision parfaitement légitime au vu de l'indépendance voulue pour cette fondation.
Cette proposition de loi modifie la gouvernance de la Fondation par rapport au projet d'origine ; c'est de bon sens. Mais fallait-il fixer par la loi les statuts d'un organisme dont les pratiques se sont éloignées des objectifs initiaux ?
Yann Gaillard, en 2002, estimait que la Fondation du patrimoine devait avoir un rôle pilote pour le patrimoine non protégé. Il voulait des ressources pérennes. La Fondation a rempli ses missions à proportion de ses moyens. Mais nous aurions pu ne pas faire l'économie d'une réflexion d'ensemble.
Déjà, en 1987, Serge Antoine soulignait que le patrimoine rural était l'oublié d'une société ingrate envers ses agriculteurs. Trente-cinq ans après, cela me semble toujours d'actualité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs autres travées)
Mme Dominique Vérien . - La Fondation du patrimoine oeuvre pour le petit comme pour le grand patrimoine. Notre patrimoine est riche et porteur de valeurs : l'union de tout un village autour de la restauration d'un lavoir en témoigne.
Élue du village natal de Colette, qui compte une tour ovoïde du XIe siècle, une église du XIIIe et un château du XVIIe pour 930 habitants, vous comprendrez mon attachement non seulement au patrimoine, mais aussi à la Fondation du patrimoine.
Lorsque je déposai cette proposition de loi, je n'imaginais pas la course d'obstacles qu'il lui faudrait subir. Le texte ne serait pas le même sans son premier rapporteur, Jean-Pierre Leleux. Nous devions le voter conforme, mais patatras ! Une erreur dans un amendement exige une seconde lecture. Heureusement que Franck Riester a sauvé l'extension du label aux communes de plus de 20 000 habitants en l'incluant dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020.
La Fondation du patrimoine a pris toute sa part dans la souscription pour Notre-Dame-de-Paris.
Elle veut se doter d'une gouvernance plus légère et efficace suivant la recommandation de la Cour des comptes. Je suis ravie d'y voir rentrer les maires ruraux.
Je remercie le président Lafon d'avoir repris ce texte en législation en commission, ainsi que Mme Sabine Drexler, nouvelle rapporteure, dont le sérieux aurait été salué par M. Leleux.
Madame la ministre, aidez-nous à aller jusqu'au bout de cette réforme. Ce qui est bon pour la Fondation est bon pour le patrimoine ! Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre Monier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis 1996, la Fondation du patrimoine est un acteur incontournable pour la préservation du patrimoine de proximité. Elle accompagne des milliers de pépites locales, fers de lance de collectivités territoriales. Je pense au prieuré de Manthes, devenu un lieu d'éveil artistique, au pigeonnier de Mirmande, au salon chinois de l'hôtel Lagier de Vaugelas à Die...
Nous nous sommes accordés avec l'Assemblée nationale sur la réforme de la gouvernance.
L'élargissement du label nécessitait un soutien financier accru. Après l'adoption anticipée de l'extension du périmètre dans la troisième loi de finances rectificative - accélération dont nous nous félicitons - la principale disposition est la simplification de la gouvernance à l'article 3. Je salue le point d'équilibre trouvé, qui rapproche la Fondation du statut-type des fondations d'utilité publique.
L'article 5 sur la réaffectation des dons faisait courir un risque d'inconstitutionnalité ; sa suppression est une sage décision de l'Assemblée nationale. Mais n'oublions pas le problème pour autant et le travail titanesque qui sera nécessaire pour retrouver les donateurs.
Le groupe SER soutiendra cette proposition de loi pour une Fondation du patrimoine défendant notre patrimoine matériel et immatériel, notamment dans le monde rural et hyper-rural. Nous espérons qu'elle continuera à être soutenue dans la durée par le ministère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Max Brisson . - Madame la ministre, vous avez été confrontée à des textes plus difficiles... (Sourires) Je me réjouis du quasi-consensus que suscite ce texte. Au Sénat, nous aimons le patrimoine ! Et pas seulement parce que la Fondation fut créée à l'initiative d'un sénateur, Jean-Paul Hugot - votre compatriote du Maine-et-Loire, madame la ministre.
La Fondation du patrimoine défend le patrimoine rural, et soutient 3 000 projets par an, principalement dans des petites communes. Elle a protégé 32 000 sites en 25 ans, grâce à un label qui favorise les travaux de restauration par les propriétaires, à des souscriptions populaires comme celle en faveur de Notre-Dame-de-Paris, au loto, et à la mobilisation de ses 600 bénévoles.
Reprenant des recommandations de la Cour des comptes, ce texte étend le périmètre du label, qu'une instruction fiscale avait restreint. Le Sénat a garanti que le patrimoine rural demeurera prioritaire. Les parcs et les jardins seront également concernés. Je salue le travail de Jean-Pierre Leleux.
Le texte réduit l'effectif du conseil d'administration et le rapproche d'autres fondations. Représentants des associations du patrimoine et des collectivités territoriales rurales entreront au conseil d'administration.
La Fondation du patrimoine donne vie à nos trésors, parfois réaffectés à de nouvelles fonctions : la friche industrielle est devenue médiathèque, l'ancienne prison école de photo, le mur d'enceinte un chantier d'insertion.
Elle assure aussi une mission économique et sociale, dans le contexte de crise sanitaire, un vecteur de relance économique, de création d'emplois et de transmission des savoir-faire des artisans et artisans d'art.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi, en espérant voir son adoption définitive avant les calendes grecques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
L'ensemble de la proposition de loi est adopté.
La séance est suspendue quelques instants.