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Table des matières
Système des ressources propres de l'Union européenne (Procédure accélérée)
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Discussion de l'article unique
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances
Mise au point au sujet d'un vote
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire(Nouvelle lecture)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Ordre du jour du mardi 9 février 2021
SÉANCE
du jeudi 4 février 2021
59e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, Mme Françoise Férat.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Système des ressources propres de l'Union européenne (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom.
Discussion générale
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes . - Aux termes d'une négociation de plusieurs années sur le budget européen pour la période 2021-2027, et de huit mois pour le plan de relance, je suis heureux de vous présenter ce projet de loi de ratification de la décision du Conseil européen du 14 décembre 2020 sur les ressources propres de l'Union européenne. Elle ne sera mise en oeuvre qu'après ratification par tous les États membres. L'article 53 de notre Constitution prévoit que cette ratification passe par une loi, ce qui implique un vote du Parlement.
La décision sur les ressources propres est un exercice traditionnel, qui revient tous les sept ans. Toutefois, ce vote concrétise les résultats historiques d'une négociation extraordinaire, dans laquelle la France a fait avancer des idées qu'elle défend depuis longtemps.
Ce projet de loi met d'abord en oeuvre le volet recettes de notre cadre budgétaire commun. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 est doté de 1 074 milliards d'euros, soit une augmentation de 12 % par rapport au cadre précédent. Avec l'accord obtenu au Parlement européen en novembre 2020, il renforce de manière très importante les moyens de politiques considérées comme prioritaires par la France : la mobilité internationale étudiante, avec 26 milliards d'euros alloués à Erasmus+, soit deux fois plus qu'entre 2014 et 2020 ; la recherche, avec les 95 milliards d'euros d'Horizon Europe, en hausse de 50 % ; le programme spatial européen, renforcé à hauteur d'un tiers ; et enfin un programme spécifique pour la santé, doté de 5 milliards d'euros, qui a permis l'acquisition des premiers vaccins.
Dans le même temps, le budget de la Politique agricole commune (PAC) a été préservé et les moyens des politiques de cohésion renforcés - alors que la première proposition de la Commission européenne, au printemps 2018, prévoyait une baisse de 15 milliards d'euros. Nous avons obtenu la stabilité des paiements directs aux agriculteurs et l'augmentation des fonds aux régions, notamment pour les outre-mer.
Pas moins de 30 % des dépenses iront à la transition énergétique et climatique. Le plan de relance, de 750 milliards d'euros, a été définitivement accepté en décembre, après l'accord des chefs d'État et de Gouvernement du 21 juillet 2020. Fruit de l'initiative franco-allemande du 18 mai 2020, financé par une dette commune européenne - une idée encore taboue il y a un an -, c'est un véritable changement de paradigme. Aucun pays européen ne sortira de cette crise sans ses voisins.
Nous avons compris que les outils budgétaires européens existants étaient insuffisants pour les États membres les plus touchés par la crise ; que les taux d'intérêt faibles permettaient d'emprunter dans des conditions sûres. La discussion franco-allemande et la proposition de la Commission européenne, après négociation collective, ont abouti à un accord unanime, finalisé dans la discussion avec le Parlement européen. Il est désormais soumis aux parlements nationaux dans son volet recettes.
Le plan de relance européenne financera plus de 40 % du plan de relance français, notamment ses mesures en faveur des jeunes, de la formation, des entreprises ou encore de la transition énergétique. Ce vote est donc indispensable à sa mise en oeuvre.
L'accélération des transitions vertes et numériques est également financée, avec un objectif d'au moins 37 % de dépenses pour la transition écologique et de 20 % pour la transition numérique.
La décision sur les ressources propres de l'Union engage leur rénovation profonde, pour la première fois depuis les années 1970, avec la création certes symbolique d'un bonus-malus sur le recyclage du plastique et surtout une feuille de route précise, avec un calendrier de mise en oeuvre, pour dégager de véritables ressources propres nouvelles. C'est la fin de la notion de juste retour, du calcul stérile des soldes nationaux de contribution.
La solidarité européenne est renforcée, et le financement de la relance européenne ne pèsera pas, in fine, sur les citoyens ou les entreprises.
Deux nouvelles ressources propres feront l'objet d'une proposition législative de la Commission européenne au premier semestre 2021 : la taxe sur les services numériques et la taxe carbone aux frontières européennes. Leur mise en oeuvre est prévue au plus tard pour début 2023. Ce sera une priorité de la présidence française de l'Union au premier semestre 2022.
Enfin, le mécanisme de conditionnalité est une avancée pour le respect de nos valeurs. Deux États membres s'y étaient initialement opposés, mais un compromis a été trouvé lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre. L'Europe n'est pas seulement un marché : c'est un projet politique.
À cette date, l'Italie, la Croatie, la Slovénie et Chypre ont ratifié ce texte. Le processus devrait aboutir à la fin mai au plus tard, alors que la ratification du précédent cadre financier pluriannuel avait pris deux ans.
Cette décision d'apparence technique est en réalité primordiale. Par votre vote, je vous invite à manifester votre appui à l'Union européenne, qui a su surmonter ses tabous et ses lenteurs en réponse à une crise dont nous sortirons ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Colette Mélot et M. Didier Marie applaudissent également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat est invité à approuver la décision du 14 décembre relative aux ressources propres de l'Union européenne, qui représente le volet recettes du budget européen pour la période 2021-2027.
Sa grande nouveauté réside dans la mise en place d'un instrument européen financé par un emprunt sur les marchés de capitaux. La réaction était indispensable : loin d'être un choc symétrique, la crise sanitaire a touché plus durement les pays les plus fragilisés, creusant les divergences nées après la crise financière de 2008 et celle de la dette souveraine.
La crise sanitaire a rebattu les cartes de la négociation budgétaire ouverte en 2018, qui peinait à aboutir. Pour la première fois, l'Union s'endette pour financer solidairement des dépenses, à une échéance assez importante pour apporter une stabilisation macro-économique.
La Facilité pour la reprise et la résilience financera ainsi 46 % du plan de relance français, avec un premier versement de 5,2 milliards d'euros à la fin du premier semestre, et une tranche de 17 milliards avant la fin de l'année. Reste à savoir si le plan de relance français pourra être mis en oeuvre dans le timing prévu, compte tenu du rebond épidémique.
Le plan de relance européen, financé par l'emprunt, s'élève à 750 milliards d'euros, dont 360 milliards de prêts et 390 milliards de subventions pour couvrir les dépenses des États. Il est assorti de verrous dans son montant, ses finalités, puisque seules les dépenses liées à la crise sanitaire sont financées, et son calendrier de remboursement, qui s'étalera entre 2028 et 2050.
La transformation de cet instrument temporaire en mécanisme fédéral nécessiterait une décision unanime du Conseil de l'Union européenne et une approbation de chacun des États membres.
Cet instrument de relance a été obtenu au prix de concessions. La contribution nette de la France à la Facilité pour la reprise et la résilience s'élèvera à 0,8 point de PIB sur trente ans, mais compte tenu des retombées attendues, nous devrions tirer notre épingle du jeu ; j'observe également que l'effort de notre voisin allemand est plus de deux fois supérieur.
Le rabais européen n'a pas été supprimé malgré le départ du Royaume-Uni, ce que je regrette. Ceux qui en bénéficient sont les principaux contributeurs nets. C'est une occasion manquée, mais la contribution de la France à ce rabais diminue de 1 %.
Nous faisons un pas en avant pour la construction européenne, mais le succès reste à construire. L'ambition n'est pas seulement de soutenir la demande dans une perspective keynésienne : il faut aussi stimuler la croissance potentielle européenne par des investissements et des réformes, surtout dans les pays les plus fragilisés.
Tout se jouera dans la bonne utilisation des fonds européens, dans la mise en oeuvre des plans de relance nationaux. La gouvernance retenue est le fruit d'un compromis fragile entre les pays frugaux du Nord et les pays du Sud de l'Europe. En cas de dérapages, la Commission européenne devra prendre ses responsabilités et bloquer les financements. Dans l'hypothèse d'un taux de prélèvements obligatoires de 45 % et d'une hausse de l'activité de 2 % du PIB, la contribution de la France serait intégralement compensée.
Seule la création de nouvelles ressources propres pour le budget européen permettra de soulager les budgets nationaux. Sinon, la contribution annuelle de la France au remboursement du plan européen pourrait être de 2,5 milliards d'euros par an à compter de 2028.
Parmi les nouvelles ressources anticipées, la ressource fondée sur le système d'échange des quotas d'émissions semble la plus pertinente : elle existe déjà, elle dégagera des recettes importantes et elle est cohérente avec notre objectif de neutralité carbone. Le mécanisme d'ajustement carbone se justifie par ses rendements élevés, sa conformité à l'esprit du Pacte vert et par le fait qu'il ne se substituera pas à des recettes nationales.
Je serai plus prudent que le ministre à propos de la taxe sur les services numériques : nous ne trouverons de solution efficace qu'au niveau de l'OCDE.
Adopter le projet de loi ne signifie pas accorder un blanc-seing. La commission des finances du Sénat sera attentive à la mise en oeuvre du plan de relance européen, grâce au contrôle budgétaire exercé par M. Mizzon, rapporteur spécial pour la participation de la France au budget de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En mai 2018, la Commission européenne formulait sa première proposition pour le cadre financier pluriannuel, avec un budget de 1 100 milliards d'euros. Le Sénat avait alors pris position sur les priorités qu'il entendait lui imprimer ; puis la covid-19 a imposé à la Commission de revoir sa copie. Une nouvelle proposition était formulée en mai 2020, doublant le budget prévu, et introduisant un plan de 750 milliards d'euros financés par un emprunt commun. Le Sénat a alors adopté une résolution européenne pour apporter son soutien de principe.
Le 21 juillet 2020, le Conseil européen s'est accordé sur les grandes lignes de ce nouveau budget, sans malheureusement supprimer les rabais. Le volet des dépenses a été adopté en décembre, parallèlement à celui des ressources propres qui prévoit un emprunt commun.
Le Sénat se trouve ainsi face à une responsabilité historique : permettre, ou non, le financement de notre plan de relance. La commission des affaires européennes apporte son soutien de principe à ce texte, mais plusieurs questions de fond demeurent.
D'abord, pourquoi une relance européenne financée par un emprunt commun ? La pandémie frappe l'ensemble de l'Union européenne : elle impose une réponse partagée, non au nom d'un quelconque fédéralisme, mais au nom de nos valeurs et aussi, disons-le, d'un intérêt bien compris : la santé économique des uns conditionne celle des autres. Mme Merkel a compris que l'Allemagne ne sortirait pas de la récession sans les autres économies qui sont ses clients et ses fournisseurs. Un plan de relance européen massif et exceptionnel s'impose.
Nous sommes nombreux à préférer éviter toute nouvelle dette, mais comment financer notre plan de relance autrement que par l'emprunt ? La question n'est pas de savoir si nous aurions pu trouver les 46 milliards d'euros que nous apporte l'Europe à de meilleures conditions sur les marchés, mais si jouer en solo est vraiment dans l'intérêt de notre pays.
Pourquoi de nouvelles ressources propres ? Une part des 750 milliards d'euros du plan de relance européen sera délivrée sous forme de prêts aux États. Les 390 milliards restants sont des subventions au remboursement mutualisé.
Le choix est alors entre augmenter la contribution nette de chaque État membre au budget de l'Union et dégager des ressources propres supplémentaires. Notre contribution au budget européen sera augmentée mécaniquement de 7,7 milliards d'euros par an, car le Brexit n'a pas réduit ce budget et la pandémie a réduit les droits de douane perçus au niveau européen.
N'alourdissons pas la charge : il convient d'opter pour de nouvelles ressources propres. La première solution est d'aller chercher une contribution auprès des géants du numérique ; la seconde, d'imposer une taxe carbone aux frontières.
La décision que nous sommes appelés à voter se cantonne à créer une contribution sur les déchets plastiques non recyclés mais elle s'inscrit dans la perspective de mise en place de nouvelles ressources propres dès 2023 : c'est sur leur objet et leur assiette que nous devrons nous mobiliser. La Commission des affaires européennes se tient prête à relever tous les défis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)
Mme Colette Mélot . - Nous vivons un moment historique. Une fois de plus, c'est à la faveur d'une crise qu'une nouvelle étape est franchie dans le projet d'intégration européenne. Le groupe INDEP, résolument européen, votera le projet de loi à l'unanimité, mais l'euro-réalisme nous rattrape : il y a des interrogations légitimes.
D'abord, les rabais sont entérinés une nouvelle fois - la dernière, je l'espère - pour six ans. C'est un échec. De plus, l'article 5 sur la stratégie de gestion de la crise devra faire l'objet d'une information régulière des Parlements nationaux.
L'article 9 prévoit la mise à disposition de ressources par les États membres en dernier recours. C'est notre principale interrogation : certaines ressources propres étaient à l'étude depuis des années, d'autres demandent une réflexion dans l'urgence. Comment ne pas anticiper des tensions, au vu des menaces inadmissibles de veto déjà agitées par la Pologne et la Hongrie ?
Le volet économique doit s'accompagner, cette fois, d'un volet politique. Il en va de notre idée de l'Europe et de notre avenir commun. La réalité de la dette doit être assumée collectivement. Nous avons fait le choix de la solidarité : cela nous honore, mais il faut assumer que nos concitoyens contribuent davantage dans le futur, et aussi que notre contribution soit supérieure à celle d'autres pays. L'argent magique n'existe pas : il faut faire le choix de la clarté et de la sincérité vis-à-vis de nos concitoyens.
Les pistes de ressources propres retenues - la taxe sur les services numériques et la taxation carbone aux frontières de l'Union européenne - sont les meilleures. Trop de pays ne paient pas leur juste part.
Votons cette décision et poursuivons la réduction de nos dépenses publiques. Nous avons contracté une dette qui obère nos marges de manoeuvre ; il convient de recréer de la croissance et de nous désendetter pour retrouver notre souveraineté. L'année 2022 doit déjà être dans notre ligne de mire, avec la Conférence sur l'avenir de l'Europe et la présidence française, qui devra faire aboutir une première décision sur les ressources propres. Enfin, en 2022, nous pourrons évaluer les premiers impacts du plan de relance. Rien n'est impossible aux Européens. Plus que jamais, nous devons faire le choix de l'Europe pour sauver l'avenir de la France.
M. Jacques Fernique . - Comme dans tous les États membres, le Parlement français est appelé à ratifier l'accord permettant le déploiement du plan de relance européen, en modifiant la décision sur les ressources propres pour permettre à l'Union européenne d'emprunter. Les enjeux sont considérables : nous montrer à la hauteur du défi climatique, et éviter l'effondrement. Cet engagement européen solidaire dégage notre horizon, et le GEST prendra ses responsabilités en votant ce texte, comme le groupe écologiste l'a fait au Parlement européen.
Ce vote n'est pas un saut de cabri mais l'expression d'une exigence : amplifier la dynamique européenne dont cette décision est une première étape. La clé de répartition des dépenses entre États membres a été établie en fonction des besoins, celle des remboursements en fonction des capacités : c'est un pas vers plus de solidarité européenne et le fédéralisme budgétaire.
Mais le chemin n'est pas entièrement parcouru. Le GEST ne lâchera pas sur les ambitions. Il faut un plan de relance plus volontariste, à l'image du plan Biden. Il serait inacceptable que l'effet de levier des financements européens soit annulé par le retour à la rigueur budgétaire. Heureusement, la logique de contreparties sous la forme de réformes structurelles est quelque peu affaiblie, mais rien n'est acquis.
Nous veillerons aussi à ce que les dépenses soient effectivement consacrées majoritairement à la transition écologique et que les ressources propres ne se limitent pas à un modeste recalcul sur les emballages plastiques.
Les accords de libre-échange passés depuis des décennies ont réduit les ressources douanières européennes ; les États membres ne font qu'ergoter sur leur contribution, réduisant les capacités d'action, multipliant les rabais et autres chantages.
Il faut un impôt européen : ce sera autant à ne pas débourser pour la relance.
Il convient également de faire contribuer les géants du numérique et d'activer des leviers pour changer la donne au-delà de nos frontières. Certains veulent réduire la TTF et la renvoyer à une proposition de la Commission européenne en 2024 pour une mise en oeuvre après 2026. Nous voulons aboutir dès 2022. Le GEST est favorable à une ratification exigeante de cette décision européenne. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER ; MM. André Gattolin et Pierre Louault applaudissent également.)
M. Ludovic Haye . - Le groupe RDPI est particulièrement satisfait de l'accord trouvé au niveau européen, après d'âpres négociations. Trouver une issue positive en temps de crise était un défi pour le projet européen : il a été relevé avec brio. Le budget européen augmente de 12 % dans le prochain cadre financier pluriannuel en dépit du départ du Royaume-Uni.
Ce texte est la transcription juridique de l'accord intervenu le 21 juillet 2020 entre les États membres : pour la première fois, l'Union européenne empruntera 750 milliards d'euros sur les marchés dans le cadre d'un plan de relance. Personne n'aurait pu l'imaginer il y a quelques mois : c'est historique. C'est une réponse comparable à celle des États-Unis, sans commune mesure avec celle que l'Europe avait apportée à la crise de 2008.
Disons-le : si nous n'approuvons pas cet accord, l'Union européenne ne pourra pas financer les 27 plans de relance - dont le nôtre, qu'elle soutient à hauteur de 40 %.
L'Europe n'a pas été une contrainte mais une force de négociation. La solidarité européenne est notre meilleure chance pour sortir de la crise sanitaire. Si l'Europe se construit dans les crises, comme le disait Jean Monnet, elle vient de franchir un grand pas.
Les nouvelles ressources propres permettront de rembourser à terme cet effort inédit de l'Europe sans peser sur les budgets nationaux - au prix de la mobilisation de tous.
Cela nous permettra aussi d'avancer sur des sujets fiscaux anciens : taxe carbone aux frontières, taxe sur les services numériques, harmonisation de l'impôt sur les sociétés, taxe sur les transactions financières. Ces prélèvements serviront à financer la relance, le renforcement de nos secteurs stratégiques, la transition numérique et le verdissement de nos économies. Encore faut-il en avoir la volonté.
Le rendement de ces taxes dépendra de leurs modalités d'application et de leur assiette. Selon la Commission européenne, une taxe sur les services numériques pourrait rapporter entre 1,6 et 7,8 milliards d'euros par an, selon le taux envisagé.
L'Europe a montré sa capacité à résister, à fédérer, à protéger et à dépasser certains dogmes.
Pour que le plan de relance puisse être mis en oeuvre au bénéfice de nos entreprises et de nos territoires, nous devons adopter ce projet de loi.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Ludovic Haye. - Au-delà de l'aspect économique et financier, il s'agit de ce que nous voulons faire de l'Europe. Le repli sur soi n'est pas une solution. Comme l'écrivait Victor Hugo : « Ce que Paris conseille, l'Europe le médite ; ce que Paris commence, l'Europe le continue. »
Votons ce projet de loi pour que l'Europe puisse continuer à jouer son rôle. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme la présidente. - J'ai été indulgente...
M. Jean-Claude Requier . - La pandémie a plongé l'Union européenne dans une crise exceptionnelle. La réponse devait être à la hauteur.
Avec l'accord du 21 juillet 2020 qui a approuvé un plan de relance de 750 milliards d'euros, le Conseil européen a évité le risque mortifère du chacun pour soi, rendant possible la « solidarité de fait », pour reprendre les mots de Robert Schuman.
La solidarité européenne, illustrée par les 390 milliards d'euros de subventions, permettra de soutenir les pays du Sud encore plus fragilisés par la crise.
Pour engager ces dépenses, il nous faut approuver les recettes. Le groupe RDSE votera sans réserve ce projet de loi.
Certes, il y a un débat entre États contributeurs nets et bénéficiaires nets. Depuis le Brexit, la France n'est pas la mieux placée et voir sa contribution au titre du RNB passer de 15,5 à 22,9 milliards d'euros pour les sept prochaines années. Nous avons donc intérêt à soutenir la diversification des ressources propres.
Nous saluons la réforme de la TVA qui va dans le sens d'une convergence fiscale renforcée, mais regrettons aussi bien l'augmentation des frais de collecte - qui sont un rabais déguisé - que le maintien des rabais au profit des États dits frugaux.
Nous sommes également favorables à la taxe sur les plastiques non recyclés, qui envoie un bon signal.
La redevance numérique, l'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés et la taxe sur les transactions financières sont soutenues depuis longtemps par notre groupe.
La récession déclenchée par la pandémie creuse les inégalités entre les personnes et entre les secteurs. La solidarité entre les agents économiques doit être renforcée, pour un meilleur partage des richesses.
Le groupe RDSE, très attaché au projet européen, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Éric Bocquet . - On a fait grand assaut de communication sur cet accord qualifié d'historique. Mais les faits sont têtus : les Français devront financer 8 milliards d'euros supplémentaires par an sur la période 2021-2027. Ils financeront le Brexit, le plan de relance européen et les effets de la crise sanitaire.
La taxe sur les plastiques, symbolique, rapportera au mieux 14 milliards d'euros, conséquence d'un mécanisme de correction, pour reprendre le jargon bruxellois. L'Italie y échappera, tandis que la France devra s'acquitter d'1,2 milliard d'euros. Difficile en outre de penser l'avenir avec une ressource qui a vocation à disparaître...
Vous refusez de taxer les dividendes et les gros patrimoines et peinez à mettre en place une taxation des géants du numérique ou des transactions financières. Ces projets sont repoussés aux calendes grecques. Sans TTF, nous nous privons de 60 milliards d'euros.
Faire payer les Français relève donc d'un choix politique délibéré.
Des rabais, voire des rabais sur les rabais, ont été accordés aux pays dits frugaux, que la France financera à hauteur de 34 %. Ces corrections forfaitaires bénéficieront à l'Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, à l'Autriche et à la Suède. L'Allemagne augmente son rabais de 3,6 milliards d'euros, payé à hauteur de 1,2 milliard d'euros par la France...
Les droits de douane représentent 15 % des recettes de l'Union européenne. La crise sanitaire et les déboires avec Donald Trump auraient dû nous rappeler qu'ils sont une condition sine qua non de notre souveraineté. Hélas, nous ne cessons de les réduire. Les finances de l'Union sont sacrifiées sur l'autel du libre-échange : d'ici dix ans, les droits de douane avec le Vietnam seront supprimés...
À l'Assemblée nationale, le rapporteur affirmait que les Français ne paieraient pas pour rembourser le plan de relance européen. Il ne faut rien en croire. Engageons enfin un débat autour du rôle de la BCE, qui devrait être au service non des marchés financiers mais des peuples et s'attaquer aux grands défis de la dette, de la transition écologique et des inégalités.
M. Jean-Marie Mizzon . - Pour absorber le choc d'un confinement prolongé, les États membres et la BCE ont ouvert les vannes du déficit budgétaire et de la création monétaire.
Le budget de l'Union européenne a fait preuve de plus de retenue il est vrai. La négociation sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a été chamboulée par la crise, aboutissant à un compromis historique sur un plan de relance européen. L'Union européenne lèvera 750 milliards d'euros d'ici 2026 : 360 milliards d'euros pour octroyer des prêts et 390 milliards pour des aides budgétaires directes. Il s'agit d'un emprunt limité en taille et dans le temps, mais un pas symboliquement important en direction du fédéralisme, ce dont le groupe UC se réjouit.
Les financements européens vont permettre de financer une part substantielle de notre plan de relance national. Jean-François Husson, élu d'un département frontalier et européen convaincu comme moi, a souligné à juste titre que l'autorisation d'un emprunt commun et l'application d'une péréquation pour la répartition des aides sont des ruptures majeures.
Ne soyons pas naïfs pour autant. Le remboursement du capital à la charge de la France devrait s'élever à 2,5 milliards d'euros à compter de 2028 et peser à hauteur de 0,1 % du PIB sur notre déficit public. Ce n'est pas négligeable, compte tenu de l'explosion des comptes publics. La France sera contributrice nette alors qu'elle fait partie des pays les plus durement affectés par la récession. Sa contribution s'élèvera à 207,5 milliards d'euros, soit une hausse de 55,8 milliards d'euros par rapport à la programmation pluriannuelle 2014-2020. D'autres pays voient leur contribution nette baisser via le mécanisme des rabais. La France supportera à elle seule 34 % de l'ensemble de ces rabais, contre 21 % sur la période échue. Cela interpelle sur la question de la solidarité.
Le groupe UC se félicite de la mise en place dès 2021 d'une nouvelle ressource propre sur les déchets plastiques non recyclés, mais elle ne devrait représenter que 1,1 milliard d'euros par an pour la France et son assiette peut être minorée. D'autres ressources propres devront être mobilisées : taxe carbone aux frontières, redevance sur le numérique, TTF, contribution financière des entreprises, nouvelle assiette commune d'impôts sur les sociétés... Elles pourraient être consacrées au remboursement anticipé de l'emprunt européen, sachant que le remboursement du principal commencera en 2028 et s'étalera sur plus de trente ans.
Le plan de relance est vital mais l'argent magique n'existe pas : il faudra bien payer l'addition le moment venu, via l'inflation, l'impôt ou, espérons-le, un recentrage du périmètre d'intervention de l'État.
Le plan de relance est prioritaire au regard de la conjoncture. Nous voterons ce projet de loi tout en nous interrogeant sur l'ampleur et la soutenabilité de la contribution française en l'absence de réformes structurelles. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Patrice Joly . - Cette décision conditionne la mise en oeuvre du plan de relance européen grâce à la possibilité temporaire de recourir à l'emprunt. Un emprunt financera partiellement les 27 plans de relance nationaux à hauteur de 750 milliards d'euros, en deux enveloppes, l'une de prêts, non mutualisée, l'autre de dotations budgétaires mutualisées. La France ne mobilisera pas la première car elle emprunte à de meilleures conditions, mais la seconde financera 40 % de notre plan de relance.
Ce n'est pas la première fois que l'Union européenne contracte un prêt, elle l'a fait en 2008 et plus récemment pour financer le programme SURE (Support to mitigate unemployment risks in an emergency) destiné aux chômeurs.
Mais aujourd'hui, son volume change la nature de l'engagement européen. Un tabou a été levé. Cet emprunt devra être remboursé en partie par des ressources propres - il reste que nous sommes loin du grand soir annoncé...
La réforme tant attendue du système du financement de l'Union européenne arrivera trop tard, notamment au regard des nécessaires politiques en matière de transition écologique, de compétitivité et de solidarité.
Quelque 10 milliards d'euros de rabais - qui n'ont pas été supprimés - vont s'envoler des caisses européennes, au profit de cinq États qui ne sont pas les plus pauvres : Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède.
Le taux d'appel de la ressource TVA augmente, alors que la France demandait sa suppression. Nous souhaitions l'abaissement du taux de frais d'assiette et de perception des droits de douane prélevés par les États membres, c'est l'inverse qui s'est produit, sous la pression de la Belgique et des Pays-Bas.
Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez assuré que les Français ne paieraient pas le remboursement de la dette grâce aux nouvelles ressources propres, mais les perspectives sont fragiles. Seule la taxe sur les plastiques non recyclés, de 14 milliards d'euros par an, a été décidée. Des allégements ont été accordés à dix-sept États membres et elle est appelée à disparaître avec l'accroissement du recyclage.
Les autres pistes de création de ressources propres sont aléatoires. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières rencontre la réticence de plusieurs pays notamment de l'Est. Le travail de conviction est devant nous, monsieur le ministre. Certains, à commencer par les Pays-Bas, ne veulent pas de la taxe sur les géants du numérique. Il faut aussi se coordonner avec les travaux de l'OCDE sur ce sujet. Sur l'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, il faut franchir le pas !
Je suis favorable à la TTF, qui, avec un taux de 0,1 % seulement, rapporterait entre 55 et 60 milliards d'euros par an. Taxer la spéculation relève de la justice fiscale. La Commission européenne souhaite aboutir avant 2022. Où en est-on, monsieur le ministre ?
L'Union européenne a besoin de nouvelles ressources, rapidement, sans quoi la France devra rembourser sur ses fonds propres 75 milliards d'euros, au regard des 40 milliards obtenus.
Le plan de relance est timide, voire indigent, dans la lutte contre les inégalités qui se sont accrues dans la crise. Nos pays sont au bord de l'explosion sociale. Nous savons à qui donne la main invisible du marché...
Il y a urgence. L'enveloppe envisagée sera-t-elle suffisante ? Le plan de relance de Joe Biden, de 1 900 milliards de dollars, et son vaste programme de grands chantiers sont autrement plus ambitieux.
L'examen des plans de relance nationaux s'annonce opaque. La Commission européenne ne risque-t-elle pas de revenir de manière déguisée au pacte de stabilité en exigeant des réformes structurelles libérales ?
Face à l'urgence, le groupe SER votera en faveur de ce projet de loi, mais il sera très vigilant, notamment sur un mécanisme pérenne d'emprunt commun et sur les ressources propres. La présidence française de l'Union européenne aura une responsabilité particulière. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Ronan Le Gleut . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En octobre 2017, Xi Jinping, dans un discours fleuve prononcé place Tienanmen, annonçait l'ambition de faire de la Chine la première puissance mondiale en 2049, cent ans après la naissance de la République populaire. Or la Chine sera la première économie de la planète dès 2030.
À l'image de Sparte et Athènes autrefois, les États-Unis et la Chine sont en concurrence. Nous devons réfléchir à l'échelle continentale et c'est pourquoi la bonne échelle, pour notre plan de relance, c'est le continent européen.
C'est une question de solidarité européenne, mais aussi d'intérêt national bien compris : l'Italie et l'Espagne, durement touchées, sont nos clients n°3 et n°4. La France est le premier fournisseur d'électricité de l'Italie, nos banques y sont très exposées. Si l'Italie s'effondrait, ce serait la crise grecque puissance dix ! En 2019, nos exportations vers l'Italie représentaient 37 milliards d'euros ; vers l'Espagne, 38 milliards d'euros.
En 2020, la chute du PIB a été trois fois plus importante qu'en 2008 ; à l'époque, Nicolas Sarkozy s'était battu pour défendre les intérêts de l'Europe et de la France. En 2011, l'idée des euro-obligations refaisait surface.
Je salue la création d'un fonds européen de défense, que notre commission des affaires étrangères a toujours soutenue, même s'il n'est que de 7 milliards d'euros.
Certains mettent en avant le risque de fédéralisme. Mais n'allez pas croire que nos partenaires européens seraient tous fédéralistes ! Pensez au groupe de Visegràd. La France n'est pas la seule à ne pas vouloir d'une Europe fédérale.
Le plan de relance européen, pour l'instant, n'est pas pérenne : il conviendra de revenir devant les parlements nationaux.
Pour toutes ces raisons, je voterai ce texte, mais j'émets néanmoins quelques critiques. Je regrette que nous ayons concédé des rabais aux pays frugaux. A-t-on bien défendu nos intérêts, jusqu'au bout de la nuit bruxelloise ? A-t-on tout tenté, comme Jacques Chirac à l'époque pour défendre nos agriculteurs, comme Nicolas Sarkozy en 2008 ? (On ironise sur les travées du groupe SER.)
L'Union européenne doit trouver des ressources propres le plus rapidement possible. Une taxe carbone aux frontières irait dans le bon sens en mettant fin à la distorsion de concurrence dont pâtissent nos entreprises ; idem pour la taxe sur les géants du numérique.
Quant aux remboursements, ils auraient pu démarrer avant 2028.
Le Brexit donne à la France une responsabilité nouvelle dans le champ diplomatique. La France est aujourd'hui le seul pays des vingt-sept à détenir un siège permanent au conseil de sécurité de l'ONU et à disposer de la dissuasion nucléaire. La France doit jouer tout son rôle dans la nouvelle l'Union européenne post-Brexit. « Face aux grands périls, le salut n'est que dans la grandeur. » disait le général de Gaulle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Houllegatte. - Il manquait de Gaulle...
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte nous propose d'approuver une décision importante, avec à la clé un plan de relance massif.
Mais il ne faut pas confondre le plan de relance et son financement.
Les questions financières ont été au coeur des négociations européennes ces derniers mois, à juste titre. Au total, le budget 2021-2027 et le plan de relance représentent une enveloppe de plus de 1 800 milliards d'euros mais, comme il n'y a pas d'argent magique, les sommes empruntées devront être remboursées. D'où l'idée de nouvelles ressources propres que la Commission s'est engagée à proposer d'ici juin 2021, pour plus de solidarité financière entre les États membres. Cela pourrait bien jeter les premières bases d'un fédéralisme budgétaire qui ne dit pas son nom.
Une eurodéputée, co-rapporteure de l'équipe de négociation en charge des ressources propres, nous a dit sans ambages être pour une Europe fédérale et pour de nouvelles ressources propres, y voyant « le sens de l'Histoire ». Voilà qui est révélateur d'un état d'esprit... En réalité, il s'agit d'une évolution insidieuse, sous la pression des événements. Sous couvert de mesures techniques, réputées encadrées et temporaires, c'est un nouveau modèle politique qui point.
Un large débat sur la nature de l'Europe que nous voulons pour l'avenir est légitime. Les avocats de ce texte se contredisent d'ailleurs entre eux : certains balaient le risque de fédéralisme, quand d'autres se réjouissent de faire un pas en ce sens !
Les dernières décisions européennes ne sont pas neutres. Les pays frugaux ont su conserver leurs rabais, voire obtenir des rabais sur les rabais ; la France contribuera largement à leur financement. J'espère que lesdits pays s'engageront plus fortement pour la défense et la sécurité du continent, pour laquelle la France est très mobilisée.
En l'absence de nouvelles ressources propres, notre pays aurait à rembourser 2,5 milliards d'euros par an sur trente ans, à compter de 2028 : une « bombe à retardement pour les finances publiques » comme le souligne notre commission des finances.
Tous ces éléments doivent rentrer dans l'équation. Nous sommes dans une politique des petits pas : gare à l'effet cliquet !
La question de déblocage des fonds interroge car la Commission va devoir trouver le bon équilibre entre indulgence et ingérence.
À quand la sortie de crise ? Nul ne le sait. Les mesures envisagées seront-elles suffisantes ? Si la crise sanitaire se poursuivait, que ferions-nous ? Autant de raisons qui me conduisent à m'abstenir, et à vous inviter à faire de même. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Sans entrer dans un débat sur les qualificatifs, jamais nous n'avons discuté d'un plan de relance européen, surtout de cette ampleur, ni d'une dette commune.
A-t-on défendu les intérêts de la France jusqu'au bout de la nuit ? Par la longueur des négociations et le capital politique investi, oui. Les chiffres le montrent. Les intérêts budgétaires de la France ont été pris en compte à tout moment.
Je ne suis pas fanatique de la logique imparfaite du juste retour. Nous sommes le sixième contributeur net rapporté à notre PIB ; nous aurions aimé supprimer les rabais, mais nous ne sommes pas la victime budgétaire de nos amis frugaux - Pays-Bas, Suède, Danemark, Autriche, Allemagne - dont les contributions nettes, en proportion de leur PIB, sont supérieures à la nôtre.
Le pays qui a introduit le ver des rabais dans le fruit, le Royaume-Uni, a quitté l'Union européenne et nous bénéficions de la disparition de son rabais. Les taux d'émission de la dette SURE sur l'emploi de l'Union européenne sont équivalents ou meilleurs que ceux de la France. Les conditions de financement sont donc extrêmement favorables. Comme l'Europe est frappée régulièrement par des crises économiques, ces outils sont indispensables.
L'appartenance à la zone euro et au marché unique favorise des taux d'intérêt très bas pour la France, ne l'oublions pas. Ainsi, sans elle, nous devrions payer 37 milliards d'euros supplémentaires de charge de la dette chaque année. Nous devons aider l'Italie et l'Espagne : si nous ne le faisons pas, nous pénalisons notre économie et le projet européen.
Je déplore le maintien de rabais, mais le combat pour un plan de relance européen primait. Le prochain combat, ce sera le système des rabais. Il a été accepté il y a plus de vingt ans par MM Jospin et Chirac, qui ont défendu jusqu'au bout les intérêts français mais ont dû s'y résoudre.
Nous devrons vivre quelques années supplémentaires avec ce système. Le principe de ressources propres de l'Union européenne a été unanimement accepté en juillet 2020. Ce sera la réponse au remboursement du plan de relance qui représentera, sinon, 17 milliards d'euros par an à compter de 2028. Les solutions les plus mûres en matière de ressources propres sont l'ajustement carbone aux frontières et la taxe numérique ; les deux couvriraient la somme à rembourser.
Nos amis bénéficiaires de rabais savent très bien que la réponse à la hausse automatique de leur contribution réside dans les ressources propres. Ils savent aussi que c'est la seule voie pour avancer ensemble. Sans baguette magique, il faudra rembourser la dette. Mais il y a des impôts justes, à l'instar de l'ajustement carbone, qui peuvent être mis en oeuvre, comme l'estiment les Pays-Bas ou la Suède.
Le débat ne concerne pas le fédéralisme. Il ne s'agit pas de faire payer des contribuables européens mais des entreprises étrangères qui ne paient pas leurs impôts dans l'Union européenne ou exportent vers l'Union sans respecter les normes environnementales suffisantes. Pas moins de huit États membres sont désormais favorables à la taxe numérique et l'ont adoptée au niveau national. Au sein de l'OCDE, 25 pays en approuvent le principe.
Il fait l'unanimité ; mais nous devrions être fixés à la fin de l'année.
Nous allons soumettre à nos partenaires européens un plan de relance pour débattre collectivement de la stratégie d'investissement européenne et des réformes à envisager, pour une bonne gouvernance économique européenne.
Nous avons obtenu qu'aucun pays n'ait de droit de veto sur le plan de relance d'un autre État membre. Les Pays-Bas ne pourraient par exemple empêcher le plan de relance italien financé par l'Union européenne.
Avec Bruno Le Maire, nous nous battons pour des sommes sonnantes et trébuchantes à recevoir rapidement de l'Union européenne.
J'ai perçu dans vos interventions un large soutien, mais aussi, dans différents groupes, des interrogations qui demeurent. Je vois cela comme un encouragement à poursuivre le travail sur les ressources propres et à vous en rendre compte régulièrement.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Jean-Yves Leconte . - Nous ne boudons pas notre plaisir devant une telle évolution de l'Union européenne. Toutefois, en Chine ou aux États-Unis, les plans de relance seront bien plus massifs. Il y a un risque de décrochage de l'Europe, et à l'intérieur de l'Union, de certains États membres. Voyez l'importance du plan de relance allemand...
L'Europe s'endette pour financer des politiques nationales mais aucun moyen financier n'est accordé aux politiques communautaires comme la défense européenne, la coopération ou Frontex ; tout va aux plans de relance nationaux. Je voterai ce projet de loi, mais avec inquiétude.
Il y a trente ans, lors de la création de l'euro, nous avions parié que l'intégration politique irait de soi. Cela n'a pas été le cas. Il est regrettable de considérer que l'Union européenne est seulement un moyen de financement des États membres ; elle doit être un projet à assumer.
Mme Sophie Taillé-Polian . - Je m'abstiendrai. La mutualisation de la dette européenne et les ressources propres sont des avancées majeures, mais des éléments essentiels sont laissés de côté : les rabais subsistent, tout comme le dumping fiscal entre les pays européens. Les avancées dans ce domaine sont renvoyées aux calendes grecques. Je pense notamment au projet Accis qui établirait des bases communes d'imposition des entreprises. De telles mesures permettraient de concrétiser les valeurs de solidarité européenne. La taxe sur les transactions financières pourrait être rapidement effective. On la reporte à plus tard : mais à quand ?
Il y a une mutualisation et une solidarité européenne, mais le flou règne sur les réformes structurelles que la France va proposer à la Commission européenne. Bruno Le Maire mentionne-t-il la réforme des retraites pour satisfaire l'Union européenne, qui attend des réformes structurelles libérales ou néolibérales, synonymes de casse sociale ?
Mme Colette Mélot . - Je suis heureuse que la France ait pris une décision courageuse et que l'Europe ait fait le choix de la solidarité.
L'Union européenne est une chance pour la France et le monde. Je suis fière que le groupe INDEP soit au rendez-vous de l'histoire en votant ce projet de loi, le plus marquant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
M. Ronan Dantec . - Je voterai ce texte, malgré les interrogations soulevées avec raison par notre collègue Pascal Allizard.
Il y a aussi, dans ce plan de relance européen, un rôle clé accordé aux collectivités territoriales et notamment les régions qui gèrent les fonds structurels européens. Or, dans le projet de loi, on ne voit pas quelle est l'articulation entre les plans de relance européen et français et les collectivités locales. J'aimerais des explications sur ce sujet. Comment articuler les priorités du plan de relance européen avec les futurs contrats de relance et de transition écologique ?
L'Association française des communes et régions d'Europe, d'ordinaire modérée, nous a alertés dans un communiqué particulièrement ferme, monsieur le ministre, sur le manque d'association des collectivités territoriales au plan de relance européen.
À la demande des groupes RDPI et INDEP, le projet de loi est soumis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°80 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 279 |
Pour l'adoption | 260 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP ; M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
Accord en CMP
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs est parvenue à un accord.
Accord France-Monaco
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.
Discussion générale
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises . - Le 25 février 2019, la France et Monaco ont signé l'accord sur les dons et legs aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, dans le cadre de notre coopération ancienne. Un tel accord est la manifestation des liens étroits qui unissent la France et Monaco.
Politiquement, ces relations se sont renforcées depuis la signature du traité d'amitié de 2002, symbolisée, depuis le 1er janvier 2006, par l'élévation du consulat français au rang d'ambassade.
La commission mixte franco-monégasque coprésidée par le secrétariat général du ministère des Affaires étrangères et le ministre d'État monégasque se réunira très prochainement. Elle n'avait pu le faire en 2020 en raison de la crise sanitaire.
Les liens entre la France et Monaco sont particulièrement importants pour le développement des Alpes-Maritimes. Environ 35 000 Français travaillent à Monaco, 10 000 y résident et 400 Monégasques vivent en France.
Fiscalement, la convention de 1950 a évité les doubles impositions ; elle a défini également les règles successorales. La convention de 1963 portait sur l'impôt sur le revenu.
Celle-ci concerne les dons et legs à des personnes publiques ou des organismes à but désintéressé. Aucune exonération réciproque n'existait jusqu'à présent pour les dons et legs fait dans l'autre État. Depuis 1969, les exonérations pouvaient être attribuées mais uniquement sur la base de décisions ponctuelles, dès lors que l'organisme était éligible à ces exonérations sur le territoire de l'État de provenance.
Ce projet de loi donne un cadre juridique stable à ces exonérations. Il s'agit de définir des règles claires, comme c'est le cas avec nos autres voisins ou d'autres partenaires. Cela mettra fin à la pratique des décisions interministérielles.
Un texte a été approuvé par les parties en 2018 et signé le 25 février 2019. Il précise les personnes morales pouvant bénéficier de ces dons et legs : « les États parties, leurs collectivités locales et territoriales, des établissements publics d'utilité publique et des organismes à but désintéressé opérant dans les domaines culturel, cultuel, éducatif, charitable, scientifique, médical, environnemental ou artistique et implantés dans l'un des États parties ». Il sécurise le cadre juridique qui leur est applicable.
Il a un effet rétroactif pour les legs de personnes décédées à partir du 1er janvier 2012. Il témoigne également de la volonté de nos deux pays de faciliter le financement de structures qui concourent à l'intérêt général.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances . - La représentation nationale est chargée de la ratification des accords internationaux sans toutefois pouvoir les modifier. Il faut donc en examiner attentivement le contenu.
La principauté de Monaco se singularise par une forte attractivité fiscale. Aussi, deux conventions anciennes permettent d'éviter que des Français ne transfèrent leurs bénéfices ou leur domicile fiscal pour échapper à l'impôt français.
Cet accord comble un vide s'agissant des dons et legs. Depuis 1969, selon une pratique constante, la France et Monaco, hors de toute base conventionnelle, les exonèrent de droits de mutation à titre gratuit lorsqu'ils interviennent dans l'autre État, lorsque le bénéficiaire est une personne publique ou un organisme à but désintéressé.
Les cas sont cependant rares : six demandes de Monégasques depuis 2010 ; en sens inverse, un seul cas, celui d'un Français souhaitant réaliser un legs important au profit d'un hôpital monégasque.
L'accord précise les bénéficiaires des exonérations. L'article 2 pose une condition de stricte réciprocité. Pendant la négociation, toutes les demandes ont été gelées : quatre ont été formulées, concernant 25 millions d'euros de dons et legs, représentant 4 millions d'euros de droits de mutation.
Les pertes de recettes résultant de cet accord devraient être limitées pour la France et son caractère incitatif est difficile à mesurer, car il se substitue à une pratique déjà bien établie.
En tout état de cause, fixer un cadre financier à ces opérations est utile. La commission des finances est favorable à ce projet de loi.
Mme Colette Mélot . - Ce texte concerne surtout les exonérations des droits de mutation pour les dons et legs à une personne morale établie dans l'autre pays. Un tel régime existe déjà, en application de décisions particulières.
Cet accord renforcera la coopération, déjà importante, entre la France et Monaco grâce à la sécurisation des dons et legs au profit de plusieurs secteurs. La France a déjà signé de tels accords pour éviter une double imposition avec la Suisse, l'Autriche, l'Allemagne ou encore l'Espagne.
Le groupe INDEP votera ce texte qui renforce nos liens d'amitié avec la principauté.
M. Paul Toussaint Parigi . - Ce texte entend autoriser l'accord signé entre la France et Monaco sur les dons et legs consentis dans l'autre État. Il sécurise juridiquement une pratique existante et favorise le financement d'entités à but non lucratif.
Il s'insère toutefois dans un contexte problématique. Dans les années 2000, Monaco a été considéré comme un paradis fiscal par le FMI. Depuis, la principauté a coopéré avec Tracfin et elle est sortie de la liste noire de l'OCDE en 2009.
Monaco demeure cependant un simili de paradis fiscal aux portes de la France pour les oligarques russes ou chinois prêts à y résider six mois dans l'année, bien que les Français n'aient plus d'intérêt fiscal, eux, à s'y installer. Les inégalités sont le mal du siècle...
Pour autant, le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Georges Patient . - La France et Monaco entretiennent une coopération de longue date en matière fiscale. La première convention a été signée le 1er avril 1950, améliorée par celle de 1963 pour éviter les abus. Elle instaurait un impôt sur les bénéfices en principauté et assujettissait les Français résidant à Monaco à l'impôt sur le revenu en France, dans les mêmes conditions que s'ils y avaient leur domicile fiscal.
Toutefois, certaines opérations comme les dons et legs n'étaient pas traitées. Ponctuellement, des exonérations étaient décidées ; mais il n'existait pas de règles claires et pérennes.
Cet accord est donc une bonne nouvelle au regard de la transparence, de la lisibilité et de l'universalité de la loi fiscale. Le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Christian Bilhac . - Ce projet de loi s'inscrit dans une longue tradition d'accords fiscaux entre la France et Monaco comprenant les conventions de 1950 - sur les doubles impositions et les règles successorales - et de 1963 sur l'impôt sur le revenu des Français installés à Monaco. Aucun texte ne concernait cependant les dons et legs alors que de tels accords existent entre la France et des pays comme l'Allemagne, la Belgique, l'Italie ou le Portugal.
Des exonérations étaient accordées ponctuellement. En 2016, un Français avait ainsi demandé une exonération pour un don à l'hôpital Princesse Grace.
Avec ses deux kilomètres carrés, Monaco est le deuxième plus petit État européen après le Vatican, mais il est membre de l'ONU depuis 1993 et du Conseil de l'Europe depuis 2004. Il fait en outre partie de la zone euro. Pour les Alpes-Maritimes, Monaco est un bassin d'emploi : 35 000 Français y travaillent. Sans oublier la participation de l'AS Monaco à notre championnat de football...
Souffrant d'une réputation de paradis fiscal, la principauté s'attache à plus de transparence depuis 2009. Cet accord sur les dons et legs sera rétroactif, sans que cela ait de réelle portée. Pour le groupe RDSE, rien ne s'oppose à son approbation.
M. Éric Bocquet . - Selon le général de Gaulle, pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux sens interdits. (Sourires) Ce texte les supprime, afin de ne plus entraver la circulation des capitaux entre la France et le Rocher. Nous allons réduire nos recettes fiscales sur les successions, sous couvert de financement de bonnes oeuvres...
Pourquoi légiférer pour des effets ponctuels et exonérer de droits de mutation une poignée de riches ménages pour leurs dons et legs ?
Nous pourrions certes profiter de l'argent de Monaco ; le département du Nord par exemple...
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cela va venir !
M. Éric Bocquet. - Le projet d'un tel accord conforte encore le développement d'un financement privé du secteur associatif par les entreprises mécènes et de riches particuliers. Ils ont pourtant les moyens de leur générosité... En 2017, les entreprises ont versé 1,7 milliard d'euros au titre du mécénat, et le montant a doublé cette année. Les foyers fiscaux ont déclaré 2,5 milliards d'euros de dons, dont la moitié pour le décile des ménages les plus aisés, grâce aux profits tirés de la multitude d'avantages fiscaux...
Le seul perdant d'un tel accord sera l'État : selon les chercheurs Thomas Depecker, Marc-Olivier Déplaude et Nicolas Larchet, « à travers des avantages fiscaux dont ils font bénéficier des organisations philanthropiques, les États subventionnent et donc soutiennent les stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques ». Notre groupe CRCE s'y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Thierry Cozic . - Monaco a développé au fil des ans un statut de paradis fiscal, avec l'absence d'impôts et la constitution de sociétés écrans. Le laxisme monégasque a créé un État dans l'État pour nos concitoyens les plus fortunés. Il est heureux que des ajustements aient été réalisés, notamment grâce au blocus opéré par le général de Gaulle en 1962.
La vigilance demeure toutefois de mise, alors que la crise a aggravé les inégalités comme le montre le rapport édifiant d'Oxfam. Les milliardaires ont vu leur patrimoine augmenter de 3 900 milliards de dollars entre mars et décembre, soit l'équivalent de ce que les pays du G20 ont dépensé pour faire face à la pandémie.
Thomas Piketty a montré que la composante patrimoniale était prépondérante dans ces inégalités, et que celles-ci ont retrouvé leur niveau d'avant la Première Guerre mondiale. Aussi les politiques fiscales sont-elles cruciales pour y remédier.
Ce texte aurait donc pu susciter des réactions passionnées. Mais une analyse approfondie montre que la rétroactivité ne posera aucun problème car elle est au bénéfice des contribuables. En réalité, ce type d'accord est fréquent, celui-ci n'aura qu'un coût limité pour l'État.
Le groupe SER le votera. Mais comme le proposait la proposition de loi de notre collègue Thierry Carcenac, il convient pour autant de réformer un système fiscal sur le patrimoine qui n'est plus vecteur de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Raymond Hugonet . - Ce projet de loi autorise l'accord signé le 25 février 2019 entre la France et Monaco sur certains dons et legs. Les organismes concernés sont des entités publiques, dont des collectivités locales, mais aussi des établissements d'utilité publique et des organismes à but désintéressé. Dès lors, les dons et legs sont exonérés, sous réserve de réciprocité, des droits de mutations à titre gratuit.
Cet accord conforte juridiquement une pratique existante bien que peu fréquente. Malgré l'absence de convention fiscale, les exonérations fiscales de dons et legs frontaliers entre la France et Monaco étaient possibles sur décision ministérielle au cas par cas après, pour les résidents monégasques, une déclaration de leurs dons au service départemental de l'enregistrement de Nice, conformément à ce que prévoit l'arrêté du 13 octobre 2017 précisé par une instruction de la direction de la législation fiscale.
Depuis 2010, six demandes de Monaco vers la France ont été déposées, et dans le sens inverse une seule, pour l'hôpital Princesse Grace.
Cet accord était attendu depuis longtemps, notamment par le groupe interparlementaire d'amitié France-Monaco présidé par Mme Estrosi Sassone et dont je suis membre ; le groupe Les Républicains votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Delcros . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 25 février 2019, la France et Monaco ont signé un accord sur les dons et legs au profit de certaines personnes publiques et organismes non lucratifs. Le présent projet de loi autorise l'approbation de cet accord.
En effet, les deux conventions fiscales actuelles ne couvrent pas toutes les matières fiscales. Les entités bénéficiaires peuvent donc se trouver dans une situation d'insécurité juridique. Ce texte apportera une stabilité juridique aux contribuables et aux praticiens du droit fiscal. Il sera bénéfique aux organismes non lucratifs français et monégasques dont le financement sera facilité et sécurisé. C'est pourquoi le groupe UC l'adoptera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Colette Mélot applaudit également)
L'article unique, constituant l'ensemble du projet de loi, est adopté.
La séance est suspendue à 13 h 5.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 14 h 35.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Éliane Assassi. - Au scrutin n°72 du mercredi 3 février sur les amendements identiques nos31 et 91 rectifié à l'article 4 bis du projet de loi relatif à la bioéthique, le vote de Mme Marie-Noëlle Lienemann a été enregistré comme favorable, or elle ne souhaitait pas prendre part au vote.
Mme le président. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire(Nouvelle lecture)
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire.
Discussion générale
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles . - Le Gouvernement regrette que l'Assemblée nationale et le Sénat ne soient pas parvenus à un accord en CMP sur ce projet de loi, alors que les deux assemblées estimaient justifiée la prorogation de l'état d'urgence sanitaire au regard de la dégradation de la situation.
Les divergences entre vos deux assemblées ont porté sur le choix des échéances pour la prolongation de l'état d'urgence sanitaire, ainsi que sur des modifications de fond à apporter à ce régime de l'état d'urgence sanitaire qui, aux yeux du Gouvernement, auraient davantage leur place dans le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.
Je ne serai pas long, puisque le vote d'une question préalable devrait interrompre nos débats. Ce texte nous donne jusqu'au début du mois de juin les outils - couvre-feu, obligation du port du masque, limitation des rassemblements - pour éviter la saturation des services de réanimation.
L'épidémie a imposé des mesures de restriction des libertés. Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous demandons aux Français de renoncer à certaines activités de leur quotidien. En tant que secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, je ne connais que trop bien l'effort que cela demande, la souffrance des jeunes étudiants notamment ; mais le virus circule activement, en France comme ailleurs, et des variants dont la contagiosité est supérieure se diffusent : nous n'avons pas d'autre option que de proroger l'état d'urgence sanitaire.
Au-delà des mesures de police sanitaire, nous renforçons la stratégie « tester, alerter, protéger » sur la base de plusieurs principes qui font du système de dépistage français l'un des plus efficaces en Europe.
La gratuité d'abord, et pour tout le monde, ce qui est un cas unique en Europe. (Mme Laurence Rossignol approuve.) En Allemagne, il en coûte 120 euros à une personne asymptomatique de réaliser un test ; au Royaume-Uni, jusqu'à 350 euros.
Proximité ensuite, puisque chacun peut se faire tester à côté de chez lui, dans un laboratoire, une pharmacie, un cabinet médical, infirmier ou dentaire. Au total, on compte plus de 12 000 points de test en France, sans compter les opérations de dépistage en entreprises, écoles ou collectivité, et les aéroports.
En matière de rapidité, 94 % des résultats de test sont rendus en moins de 24 heures. Seule l'Espagne s'en approche. Les tests antigéniques - qui représentent un tiers du total - donnent des résultats en trente minutes.
La traçabilité enfin, est assurée par le système SIDEP. L'assurance maladie et les agences régionales de santé (ARS) retracent les cas contact grâce à ce système d'information dont vous avez fixé les conditions de mise en oeuvre en mai dernier, prolongé grâce à l'article 4 de ce texte.
Notre plus grand défi est d'assurer la compréhension et le respect de l'isolement par les personnes concernées. Nous avons fait le choix de la confiance en ne retenant ni l'obligation ni le contrôle, mais en levant les obstacles financiers. Depuis le 10 janvier, toute personne symptomatique ou simplement cas contact peut se mettre immédiatement en arrêt de travail sur le site de l'Assurance maladie, sans jour de carence.
Depuis la fin janvier, les personnes isolées sont appelées au moins deux fois par l'Assurance maladie. Elles reçoivent également une visite infirmière grâce aux cellules territoriales d'appui à l'isolement mises en place par les préfets et les collectivités - près de 20 000 visites ont déjà eu lieu. Les questions de police sanitaire ne doivent pas occulter l'accompagnement des Français au quotidien.
Le Gouvernement comprend la lassitude du Sénat face aux prorogations successives et votre souci de mieux encadrer le régime de l'état d'urgence. J'entends déplorer un déficit de démocratie, mais depuis fin mars 2020, le Parlement a examiné six projets de loi, plus 3 400 amendements, pendant plus de 160 heures de débats répartis en une vingtaine de lectures. Sans compter douze débats thématiques en séance sur les masques, le déconfinement ou encore Stop-Covid, et les nombreux travaux des deux chambres sur les différentes dimensions de la crise. Le Sénat y a pleinement pris sa part et contribué au bon fonctionnement des institutions.
L'action du Gouvernement demeure directement soumise au contrôle du juge, avec des centaines de référés présentés au Conseil d'État. À chaque fois que celui-ci le demandait, le Gouvernement a fait évoluer sa réponse à la crise.
Nous avons, ensemble, contribué à assurer un fonctionnement plein et entier de la démocratie.
Vous serez amenés à vous prononcer dans les trois prochains mois pour une prolongation éventuelle des mesures au-delà du 1er juin. Le gouvernement, tout autant que vous, veut sortir de cet état d'urgence sanitaire, soyez-en assurés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous pensons, comme vous, que la situation sanitaire justifie malheureusement la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. La loi du 23 mars 2020 crée ce régime pour une durée d'un an ; aussi aurions-nous été amenés, selon toute probabilité, à voter sa prorogation au-delà du 23 mars 2021. Il convenait donc de prolonger le régime temporaire lui-même.
C'est un double système : des pouvoirs d'exception accordés pour une durée d'un an, et leur activation lorsque le besoin s'en fait sentir. Ils ont ainsi été utilisés de mars à mai 2020 pour le premier confinement, puis nous sommes passés dans le régime de sortie, avant le rétablissement du régime initial et un deuxième confinement le 29 octobre, suivi d'un couvre-feu. À cette date, il n'y a aucun doute sur la nécessité de ne pas baisser la garde : il faut prolonger l'état d'urgence sanitaire.
En revanche, la situation n'est pas la même qu'à la veille du deuxième confinement. Certes, le niveau des contaminations est élevé, avec plus de 100 000 tests positifs par semaine. Certes, le nombre d'hospitalisations, d'entrées en réanimation et, hélas, de décès est élevé. Mais, et c'est la grande différence, il n'y a pas d'explosion du nombre de contaminations d'une semaine sur l'autre.
Par conséquent, si nous acceptons de prolonger le régime d'état d'urgence sanitaire, qui devait prendre fin au 1er avril, jusqu'au 31 décembre pour l'activer en cas de besoin, nous nous refusons à consentir par avance à un troisième confinement. La loi du 23 mars 2020 autorise le Gouvernement à le déclencher, mais le Sénat refuse qu'il soit prolongé au-delà de trente jours sans que le Gouvernement y soit autorisé par une loi.
L'impact du confinement est exorbitant sur la vie sociale et affecte profondément le psychisme de nombreux Français, ce qui met des vies en péril. On ne saurait le prolonger à la légère.
En mars dernier, le confinement a été accepté par défaut : il n'y avait pas de masques ni même de doctrine de leur emploi, pas de tests de dépistage, pas de système d'information national pour remonter la filière des contaminations et prévenir les personnes exposées, pas de diffusion dans la société des gestes barrières. Le confinement a aussi été décidé par défaut ; c'était une mesure brutale, rustique, qui ne serait pas acceptée de la même manière aujourd'hui que nous avons masques, tests, gestes barrière et système d'information.
Si la combinaison de ces moyens n'était pas mise en oeuvre efficacement pour freiner l'épidémie, des questions se poseraient sur l'efficience de la politique de santé ; les Français n'auraient pas à en faire les frais.
C'est pourquoi nous vous disons à nouveau, comme en octobre, que si le Président de la République décide un nouveau confinement, nous demandons, et même nous exigeons qu'il ne puisse se poursuivre au-delà de trente jours sans l'autorisation du Parlement.
Qu'est-ce qui vous gêne ? Le Parlement n'a-t-il pas toujours été responsable ? N'a-t-il pas accompagné pas à pas les efforts parfois chaotiques du Gouvernement pour protéger les Français ? Nous ne vous faisons pas de chèque en blanc, nous ne vous donnons pas quitus de votre gestion de la crise.
Nous aurions pu nous entendre avec l'Assemblée nationale, trouver les bonnes dates, le bon équilibre. Nous étions tout près d'aboutir, mais les députés en ont été empêchés car le Gouvernement a refusé de se soumettre au vote du Parlement pour prolonger un éventuel reconfinement. C'est très décevant. Vous avez perdu une occasion de rassembler la représentation nationale. Nos concitoyens ne peuvent accepter de nouveaux sacrifices sans l'assentiment du Parlement.
Soyez assuré de la volonté du Sénat de faire respecter la séparation des pouvoirs et la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Esther Benbassa . - Après l'échec de la commission mixte paritaire, nous examinons une nouvelle fois ce projet de loi.
Le GEST conteste fermement que l'état d'urgence sanitaire ait une utilité contre la covid.
Nous regrettons une gestion solitaire et verticale de la crise ; nous demandons à être mieux associés à la prise de décision, nous voulons plus de transparence du Gouvernement sur sa stratégie gouvernementale. Nous ne pouvons cautionner les coups de canif réguliers de celui-ci contre les prérogatives du Parlement, dont le dernier en date est l'arrêt de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la covid décidé par LaREM.
Écoutons les étudiants isolés, déprimés, précarisés, piégés par une crise qui ne prend pas fin. Les files d'attente de l'aide alimentaire s'accroissent.
Écoutons les départements qui pallient une détresse sociale lente et sournoise.
Écoutons le personnel de santé qui demande non des mesures autoritaires, mais des moyens financiers, matériels et humains.
Écoutons le monde de la culture, les commerçants, restaurateurs et cafetiers, qui se sentent asphyxiés par la léthargie économique et sociale.
Ne nous contentons pas de faire la loi sans entendre les conséquences humaines de la crise. Nous ne serons entendus par les Français que si nous comprenons leur détresse.
Le Gouvernement ne se soucie pas du rôle du Parlement ni des attentes de la population.
Le GEST votera contre ce projet de loi.
M. Thani Mohamed Soilihi . - La CMP du 28 janvier n'a pas trouvé d'accord, ce qui est d'autant plus regrettable que nous nous rejoignons sur l'essentiel. Nous étions d'accord sur la nécessité de proroger le régime général de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 31 décembre ; sur la suppression du régime transitoire, saluée par le Sénat ; sur l'avancement au 16 mai du terme de l'état d'urgence sanitaire décrété par le Gouvernement le 14 octobre dernier.
Les divergences se sont cristallisées sur un point, certes pas le moindre : le confinement. Le Sénat veut une autorisation parlementaire pour un prolongement au-delà d'un mois, ce qui n'est pas compatible avec la situation sanitaire changeante ; cela impliquait de commencer la rédaction du projet de loi de prorogation deux à trois semaines après le début du confinement.
C'est pourquoi l'Assemblée nationale a proposé la tenue d'un débat suivi d'un vote conformément à l'article 50-1 de la Constitution, au bout de six semaines de confinement ; le Premier ministre en était d'accord. Mais M. Bas n'a pas souhaité donner suite à cette proposition, par défiance à l'égard du Gouvernement. Nous sommes tous attachés à la démocratie et le Parlement a de nombreux outils de contrôle du Gouvernement, comme la mission d'information de l'Assemblée nationale, la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la crise, ou encore la mission de suivi sénatoriale qui a remis trois rapports d'étape. La saisine du juge administratif est également possible en référé.
C'est une occasion manquée et l'Assemblée nationale a rétabli son texte, enrichi de deux amendements votés par le Sénat.
Le groupe RDPI considère que le texte est équilibré et permettra au Gouvernement d'agir de façon efficace et proportionnée. Nous aurions souhaité poursuivre le débat et nous prononcerons donc contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Maryse Carrère . - Depuis le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, la situation demeure fragile ; mais notre détermination et notre capacité à agir ensemble restent entières. Je regrette l'échec de la CMP malgré l'accord sur les principales dispositions du texte. C'est une occasion manquée d'affirmer notre unité nationale.
Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que le Parlement serait amené à voter en cas de reconfinement : c'est un premier pas, il faut s'en réjouir. Mais, alors que le contrôle parlementaire du confinement est systématiquement rejeté, pourquoi lui donner l'apparence d'une décision consensuelle ?
Le modèle républicain a des principes auxquels le groupe RDSE est attaché. Le Parlement n'est pas un organe consultatif que l'on sollicite entre deux tirages au sort ! Espérons que l'image de nos institutions n'en sera pas écornée.
Mettons la lumière sur les secteurs les plus sinistrés : étudiants précaires, restaurateurs qui se mobilisent pour ne pas s'enliser, soins à domicile en souffrance, acteurs de la vie culturelle et de l'événementiel, milieu associatif touché de plein fouet... Les corps intermédiaires de la société sont contraints au silence, ce qui aggrave l'isolement. Écoutons Édouard Laboulaye qui écrivait voici un siècle et demi : « C'est l'association qui, dans les pays libres, débarrasse l'État d'une foule de soins qui ne le regardent pas ; c'est elle qui relie les individus isolés et multiplie les forces en les réunissant. »
Si la crise devait durer, il faudra trouver des solutions pour nourrir notre lien social, des moyens de se réunir, de s'associer, de délibérer, de s'entraider, de se cultiver.
Le groupe RDSE ne votera pas la question préalable, ne serait-ce que pour montrer à nos concitoyens que nous sommes là pour continuer à les représenter et à offrir des alternatives démocratiques. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Éliane Assassi . - Une nouvelle fois, l'état d'exception est prolongé pour une longue période, sans contrôle régulier ni réel. Ces prorogations successives banalisent les atteintes à des principes fondateurs comme la liberté d'aller et de venir ou la liberté de réunion.
Nous ne nions pas la violence, ni la gravité de la crise. Nous sommes responsables et lucides. La démocratie, la mobilisation des institutions, l'intervention citoyenne sont des leviers irremplaçables pour lutter contre la pandémie.
Un mot sur les vaccins : en première lecture, Olivier Véran avait contesté avec aplomb les retards que je dénonçais ; mais il faut être factuel : combien de vaccins ont été délivrés en double dose ? Pourquoi pas un vrai débat sur la stratégie vaccinale à l'heure où, faute d'avoir su mettre au point un vaccin, notre pays s'apprête à embouteiller ceux des autres ?
Il faut passer à l'état d'urgence démocratique. La séquence étrange que nous vivons depuis quelques jours réclame une réorganisation en profondeur. La communication du Gouvernement ne laissait guère de doute quant à un reconfinement ; après une réunion avec le Premier ministre jeudi dernier, le Président de la République réunissait vendredi son officine du conseil de défense, au terme duquel le Premier ministre est apparu pour donner lecture d'une décision qui a pris beaucoup de monde à contre-pied.
Soyons clairs : je ne me prononce pas sur le bien-fondé du confinement, mais je conteste les conditions de la prise de décision et le manque de transparence.
Allons-nous longtemps subir l'avalanche de décisions ? La gestion de la crise par un seul homme ?
La crise est toujours là, mais nous ne sommes plus dans l'urgence. Le groupe CRCE s'abstiendra sur la question préalable de la majorité sénatoriale qui met en scène un désaccord alors qu'elle soutient la prorogation de l'état d'exception. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC est favorable à la question préalable. Nous sommes peu convaincus par cette douzième décision proclamant l'état d'urgence en cinq ans et demi.
Nous partageons les arguments du rapporteur sur la situation sanitaire ainsi que sur les différences entre mars 2020 et février 2021, que ce soit sur les moyens disponibles ou l'état de la société.
Nous estimons que tout confinement devrait être soumis au Parlement - a fortiori sa prolongation au-delà d'un mois. Car, pour le bon fonctionnement de nos institutions et l'acceptabilité sociale des mesures de restriction, l'intervention du Parlement est nécessaire.
Plutôt que l'état d'urgence, nous préférerions nous prononcer, en urgence, sur les mesures sanitaires souhaitées par le Gouvernement.
Nous ne partageons pas l'enthousiasme de certains sur l'article 50-1 de la Constitution, simple déclaration du Gouvernement dépourvue de caractère normatif. Une simple consultation du Parlement ne saurait suffire : le Parlement doit autoriser précisément le Gouvernement à prendre telle ou telle mesure. Le Sénat, gardien des territoires et des libertés, doit être consulté.
Notre Constitution est présidentielle, encore plus avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, mais on bascule dans l'excès avec la pratique actuelle des conseils de défense et de l'état d'urgence en continu. L'efficacité sanitaire tient à l'acceptabilité des mesures et donc au partage de la prise de décision. Il est paradoxal de faire appel à l'esprit de responsabilité des Français et de ne pas faire appel à leurs représentants.
La crise sanitaire écrase, dans les esprits, toutes les autres crises - économique, financière, sociale, culturelle, psychologique... Nous souhaitons que le travail sur l'après Covid-19 démarre dès à présent, car cette crise sera d'autant mieux gérée que nos concitoyens auront une vision claire de l'après.
Le groupe UC est clairement favorable à la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'état d'urgence sanitaire permet au Gouvernement de mettre en oeuvre des restrictions de libertés inégalées en temps de paix. Leurs conséquences économiques, sociales, psychologiques seront très lourdes.
Le Parlement les autorise a priori mais son rôle s'arrête là. Cela n'est pas acceptable. L'Assemblée nationale a refusé d'aller plus loin dans le contrôle de l'exécutif par le Parlement : il est donc heureux que la CMP n'ait pas abouti.
La situation sanitaire est préoccupante. Sommes-nous plus mauvais que nos voisins ? Si je salue l'absence de fermeture des écoles et le caractère non obligatoire de l'isolement, qui limite les stratégies d'évitement des tests, je pense néanmoins à notre jeunesse.
Le Président de la République décide tout en conseil de défense, laissant le Premier ministre discuter avec les élus. Le Parlement est confiné par le Gouvernement et le Gouvernement est confiné par le Président de la République. C'est un vrai problème institutionnel.
Il faudra intégrer l'état d'urgence dans notre Constitution pour renforcer le contrôle parlementaire.
Le SIDEP n'est pas adéquat pour suivre l'évolution des variants : nous ne pouvons pas piloter la stratégie au plus près du risque et territorialiser les restrictions comme il conviendrait. Or les Français ont besoin de comprendre en quoi la restriction de leurs libertés est utile : il y a un besoin de collégialité, de responsabilité. Le Parlement a un rôle à jouer. Malgré ce qui s'est passé cette nuit, nous ne désespérons pas du Sénat. Débattons pour faire évoluer les députés !
La fermeture des frontières a été durcie la semaine dernière. Le Conseil d'État a pourtant jugé que le droit d'entrer sur le territoire était une liberté fondamentale pour un ressortissant français, de même qu'il s'est prononcé contre le gel de la délivrance des visas de regroupement familial. Le Gouvernement fait fi de ses avis.
La décision gouvernementale n'était pas sanitaire mais politique : faute de confinement, il fallait annoncer quelque chose, d'où cette fermeture des frontières. Mais nous ne sommes pas une île et sans concertation européenne, l'efficacité de la mesure est très relative.
Aucun territoire représenté au Sénat n'a perdu 90 000 Français en un an, sauf les Français de l'étranger, durement frappés par l'épidémie. Il faut leur permettre de rentrer en France et de bénéficier de l'assurance maladie sans délai de carence.
Quand le Gouvernement reviendra-t-il au respect des droits fondamentaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - L'évolution de la situation sanitaire est de plus en plus incertaine. Vendredi dernier, des mesures plus strictes ont été annoncées.
Tout doit être mis en oeuvre pour améliorer la situation sanitaire, limiter les décès et sortir au plus vite de la crise.
La CMP a mis en lumière des convergences entre nos deux assemblées, mais n'a pas abouti à un texte commun. Je le regrette.
Le principal désaccord portait sur l'indispensable contrôle démocratique par le Parlement. Il est pourtant de notre devoir de contrôler si la prolongation de mesures restrictives des libertés est pleinement justifiée.
Je salue la qualité des travaux de notre rapporteur Philippe Bas et soutiens sa proposition.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Merci.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Nous partageons le même constat face à cette crise, avec chaque jour le même mantra : sauver des vies.
Nous sommes ici tous porteurs d'une exigence démocratique. Le confinement est la plus sévère des mesures de l'état d'urgence sanitaire. Dans un État de droit, aucun confinement ne saurait excéder trente jours sans autorisation explicite par la loi. Cela protège aussi le Gouvernement, monsieur le ministre ! Nous ne pouvons accorder de blanc-seing sans nous départir de nos prérogatives élémentaires.
Esquiver la question de la démocratie, c'est fragiliser ce qui fait Nation. Pour notre liberté, notre liberté chérie, le groupe INDEP votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En mars dernier, puis en mai, juillet, novembre, à quatre reprises, le Sénat a accepté d'accorder des pouvoirs extraordinaires au Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire.
Ces derniers jours ont été riches en rebondissements et confusions. La semaine dernière, nous avions bon espoir de trouver un écho chez les députés mais les divergences entre les deux chambres ont été trop fortes. C'est regrettable quand il s'agit de la santé et des libertés fondamentales et nos concitoyens.
Le Sénat a depuis l'origine manifesté sa circonspection vis-à-vis du régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire et préféré le principe de prolongation et d'application de celui-ci.
Dans ses travaux très fouillés, le rapporteur a dressé le constat d'une situation sanitaire qui demeure préoccupante. Il n'y a pas d'explosion des contaminations comme en octobre dernier, mais l'appareil hospitalier reste fortement sollicité et les décès cumulés s'accroissent : 2 567 décès la troisième semaine de janvier 2021 contre 1 318 avant le confinement d'octobre.
La grande différence, c'est la vaccination. L'objectif a été fixé par le Président de la République il y a deux jours : que la totalité de la population française qui la souhaite soit vaccinée avant la fin de l'été. Pour cela, il faudra accepter les offres de service des collectivités territoriales, des médecins de ville, des pharmaciens.
Or le rationnement du vaccin risque d'enrayer la campagne vaccinale. À ce jour, seules 150 000 personnes sont définitivement vaccinées... Cette situation risque de vous conduire à proposer de nouvelles restrictions des libertés fondamentales. Un débat au titre de l'article 50-1 de la Constitution semble envisagé : j'espère qu'il s'agit là d'un commencement de contrôle parlementaire.
Nous ne souscrivons pas à l'emploi tous azimuts d'outils autorisés sans un contrôle parlementaire fin. Les juges constitutionnels et administratifs doivent s'assurer de la proportionnalité des mesures prises.
Nous voulons un retour devant le Parlement avant le début mai. M. Véran a invoqué les contraintes de l'agenda parlementaire mais depuis le début de la crise, le Parlement a montré qu'il savait agir vite.
La CMP a achoppé sur le dispositif spécifique d'encadrement du prolongement d'un éventuel confinement. Le projet de loi nous est revenu vidé de l'essentiel de nos principales modifications - je pense notamment à la possibilité de territorialiser les mesures relatives à l'ouverture des commerces, balayée d'un revers de la main par l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, rapporteur. - C'était pourtant le bon sens !
M. Stéphane Le Rudulier. - Plutôt que faire durer une discussion qui s'enlise, le rapporteur Bas a préféré la question préalable. Nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Question préalable
Mme. le président. - Motion n°1, présentée par M. Bas, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire (n° 327, 2020-2021).
M. Philippe Bas, rapporteur . - Les faits sont là. Nous avons un désaccord unique, alors que tous les autres points auraient pu faire l'objet d'un compromis, mais il est très important : nous voulons un contrôle du Parlement étroit et régulier sur toute mesure de reconfinement.
Les restrictions aux libertés n'ont jamais atteint un tel niveau, même lors de l'activation de l'état d'urgence à la suite des attentats terroristes de 2015.
Le temps a passé depuis le premier confinement, les moyens d'action du Gouvernement se sont progressivement accrus et la situation sanitaire, si elle reste préoccupante, est moins grave que par le passé.
Un nouveau confinement serait un terrible échec. S'il devait toutefois avoir lieu, les Français devront avoir l'assurance que le Gouvernement n'utilise pas ces moyens exceptionnels sans frein. Cela n'a rien d'exorbitant : nous devons nous assurer que nous sommes toujours en démocratie et en état de droit.
Le Gouvernement se dit prêt à organiser un débat sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, voire un vote à l'issue d'une déclaration gouvernementale de politique sanitaire. Est-ce équivalent au vote sur une loi autorisant la prolongation du confinement ? Évidemment, non ! Les conséquences ne sont pas les mêmes.
Ce serait un marché de dupes que d'échanger une loi contre un débat, un vote sur la politique sanitaire contre un vote sur les restrictions des libertés des Français. Nous ne pouvons pas l'accepter.
Notre rôle est de dire au Gouvernement que s'il souhaite être efficace, il doit renforcer l'acceptabilité de ses mesures et donc demander aux représentants des Français de les approuver. Ainsi, le Gouvernement ne sera plus seul devant les Français.
Nous avons toujours assumé nos responsabilités.
Si nous ne sommes pas parvenus à convaincre, c'est sans doute que nous n'avons pas trouvé les mots justes, mais aussi que le Gouvernement ne veut pas nous entendre. Alors à quoi bon discuter à nouveau ? Le débat est fini. C'est pourquoi la commission des lois m'a demandé de vous présenter cette motion de question préalable. Tournons avec regret cette page qui signe la mise à l'écart du Parlement dans la gestion de la crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je vais tenter de vous convaincre de ne pas voter cette motion.
Depuis le 11 mars, le Sénat assume son rôle de manière exigeante, avec le concours de tous les groupes. Nous avons à chaque fois réduit la durée de l'état d'urgence, posé des conditions, limité les demandes d'habilitations à légiférer par ordonnance.
Nous ne contestions pas l'utilité d'un état d'urgence, mais exigions son encadrement strict et renforcions la place du Parlement, convaincus que les mesures pénibles sont mieux acceptées si les Français sont associés à la décision, et qu'il ne fallait pas laisser la bride sur le cou du Gouvernement.
La majorité gouvernementale semblait avoir évolué et souhaiter un accord ; l'importance du lien avec les citoyens semblait faire son chemin.
La démocratie a été confinée, le Sénat a délibéré dans des conditions inédites, le Gouvernement a bénéficié de pouvoirs exorbitants depuis onze mois.
Il y a un paradoxe inouï à vouloir à tout prix que le Parlement ait un pouvoir et simultanément à en éluder la possibilité. Le vote de cette motion signifie que nous en aurons terminé : nous ne réaffirmerons pas nos exigences, sur la durée de l'état d'urgence ou sur les modalités de contrôle.
Nous avons pourtant, parfois, pu introduire des avancées malgré une Assemblée nationale peu attentive à nos propositions. Je ne me résous pas, en tant que parlementaire, à ce que le Parlement ne joue pas son rôle.
Cette question préalable est une motion du renoncement ; c'est la négation du bicamérisme. Notre groupe votera contre. Poursuivons le débat, n'éludons pas nos responsabilités, réaffirmons nos positions.
« Vivre, c'est ne pas se résigner », écrit Albert Camus dans Noces. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Le Gouvernement regrette le dépôt de la motion et en prend acte. Avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. - Monsieur le rapporteur, nous sommes en désaccord. Nous ne voulons pas simplement améliorer le contrôle des pouvoirs exceptionnels du Président de la République et du Gouvernement : nous les contestons !
On peut lutter contre le mal sans état d'urgence sanitaire, dans le plein respect de la démocratie.
Monsieur le rapporteur, vous avez-vous-même interpellé M. Véran sur les restrictions de libertés et lui avez rappelé qu'il n'avait rien à craindre d'un contrôle parlementaire. Nous ne souhaitons pas limiter le rôle du Parlement au contrôle mais lui rendre la faculté d'élaborer la loi.
Emmanuel Macron écarte le Parlement et s'isole dans son pouvoir personnel, jusqu'au paroxysme. L'état d'urgence lui-même est un danger pour la démocratie ! Pourquoi persévérer dans ce jeu de dupes ?
Nous nous abstiendrons, car le désaccord que vous mettez en scène ne porte pas sur l'état d'urgence lui-même. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Esther Benbassa. - Nous regrettons que certaines dispositions du Sénat aient été retirées du texte en CMP, comme la consultation du Parlement pour prolonger le confinement au-delà d'un mois. Dommage : notre institution malmenée aurait pu retrouver toute sa légitimité...
Le Sénat a renouvelé son intention de participer à la gestion de l'état d'urgence sanitaire mais il a reçu une fin de non-recevoir. Ce texte en l'état ne peut nous convenir : c'est un affront à notre assemblée. Le Gouvernement n'est pas prêt à la discussion : c'est une maladie chronique de la Macronie.
Mais cette motion est révélatrice d'une surenchère politicienne à l'approche des élections. Le GEST ne s'y associera pas et s'abstiendra sur la motion.
La motion n°1 est adoptée.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Prochaine séance, mardi 9 février 2021, à 9 h 30.
La séance est levée à 16 heures.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mardi 9 février 2021
Séance publique
À 9 h 30
Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
. 36 questions orales
À 14 h 30
Présidence : M. Gérard Larcher, président M. Vincent Delahaye, vice-président
. Débat sur l'« Opération Barkhane : bilan et perspectives » (demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées)
. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d'abrogation des cartes communales dans le cadre d'une approbation d'un plan local d'urbanisme (PLU) ou d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d'occupation des sols (POS), présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°305, 2020-2021) (demande du groupe Les Républicains)
. Débat sur les mineurs non accompagnés (demande du groupe Les Républicains)
À 21 h 30
Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président
. Débat sur l'avenir de la Métropole du Grand Paris (demande du groupe Les Républicains)