Union monétaire ouest-africaine
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine.
Discussion générale
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Pour affronter les défis du XXIe siècle, nous devons construire un partenariat nouveau avec l'Afrique, qu'il s'agisse des enjeux sanitaires, environnementaux, migratoires, sécuritaires ou stratégiques que nous partageons d'une rive à l'autre de la Méditerranée. Le Président de la République en a jeté les bases fin 2017 à Ouagadougou. Depuis nous déployons cette politique de manière pragmatique et concrète avec des gestes de rupture et de refondation.
Le nouvel accord de coopération monétaire en est un : c'est une réforme historique qui concerne l'une des trois zones monétaires de la zone franc, celle de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Pour mémoire, les deux autres zones sont régies par des accords spécifiques. Cette réforme, à la demande des huit pays de l'UEMOA, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, leur permettra de réaffirmer leur souveraineté et d'assurer leur croissance et leur attractivité.
Elle entraîne trois évolutions majeures. D'abord, un changement de nom de la monnaie commune, éminemment symbolique. Le franc CFA de l'Afrique de l'Ouest devient l'eco. Ensuite, la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) sera libre de placer ses actifs où elle le veut. Enfin, la France ne nommera plus de représentants aux deux instances dirigeantes.
Le nouvel accord signé le 21 décembre dernier à Abidjan met fin aux polémiques. La parité fixe avec l'euro et le taux de change ne bougent pas, afin de mieux résister aux chocs et de maîtriser l'inflation. La garantie de convertibilité illimitée demeure elle aussi.
Cet accord a aussi une signification régionale, étant le reflet de l'objectif d'intégration monétaire de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEEDEAO).
Renouveler notre cadre de coopération monétaire dans le plein respect des souverainetés nationales et des dynamiques régionales, voilà l'enjeu, pour renouveler les liens qui nous unissent à nos partenaires africains. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cet accord concerne notre coopération monétaire avec huit États de l'Afrique de l'Ouest, dont la monnaie est le « franc CFA d'Afrique de l'Ouest », enjeu symbolique, source de trop de maladresses. Mme Goulet et M. Lurel ont publié en septembre un rapport utile, qui met à mal certaines idées reçues.
Pour faire taire les polémiques, il faut montrer que la France est prête à faire beaucoup avec l'Afrique de l'Ouest. Le Sénat y prend toute sa part, avec les groupes d'amitié présidés par MM. Reichardt et Chevrollier.
CFA a signifié « colonies françaises d'Afrique », puis « communauté financière africaine ».
Sans repentance - je déplore les paroles malheureuses du Président de la République - il convient de reconnaître qu'il n'y a pas eu que des heures glorieuses ni de « temps béni des colonies ».
Les accords monétaires signés en 1973 ont eu des effets bénéfiques : 1 % d'inflation dans la zone CFA, contre 11 % ailleurs dans la région. Excusez du peu ! Cela garantit les investissements et la croissance. Personne ne se plaint de cet ancrage.
Il faut le dire, cette coopération découle d'abord de la volonté des États souverains. On a trop confondu la Françafrique avec ces coopérations bienvenues. Il fallait saisir l'opportunité : le président Ouattara, passé par le Fonds monétaire international (FMI) et la BCAO, avait la confiance de ses homologues. Le momentum est venu et nous le saisissons en nous apprêtant à ratifier le projet de loi, car les accords multilatéraux sont longs à obtenir.
Ces États sont les premiers de cordée ; les autres zones franc suivront quand elles seront prêtes. Ce texte ne nuit pas au projet d'eco. On construit au fur et à mesure des soubresauts.
La confiance dans la démocratie de ces pays est déterminante. On l'oublie trop souvent, mais le respect de la démocratie - c'est-à-dire des échéances électorales fixes - est l'une des données prises en compte par les financeurs.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - En Afrique !
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Pas qu'en Afrique, monsieur le ministre, et je crois que Marlène Schiappa a bien compris la leçon donnée par le rapporteur Bas.
Il est sage que la France ne siège plus dans les instances de gouvernance, ce qui entraînait une défiance.
En cas de crise exceptionnelle - des couvertures de 20 % contre 70 ou 80 % - la France pourra dépêcher un émissaire. Mieux vaut envisager le pire...
Longtemps, le Trésor public français a gagné un peu d'argent sur les dépôts de ses partenaires : 0,75 %. Un tel placement est aujourd'hui une aubaine ! Pour éviter toute polémique, la BCAO choisira désormais ses placements.
Je vous invite à voter ce projet de loi, même s'il reste beaucoup à faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Question préalable
Madame le président. - Motion n°1, présentée par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance n°2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (n 292, 2020-2021).
M. Pascal Savoldelli . - La réforme du système monétaire concerne en premier lieu les pays de l'UMOA, soit 130 millions d'habitants.
Une personne a été vite mise au courant de cet accord : Alassane Ouattara. Mis en place en avril 2011 avec le concours de l'intervention militaire française, il vient de commencer un troisième mandat que nous considérons inconstitutionnel, au prix d'une mascarade électorale et d'une lutte implacable contre ses opposants qui a fait 86 morts. Nous l'avons un peu vite oublié...
Nulle trace de voix parlementaire - sans parler de voix populaire - sur cet accord. Or nulle souveraineté sans Parlement ou sans peuple. C'est inadmissible.
Alors que la zone sterling a pris fin en 1967, il est temps que les pays de l'UMOA retrouvent leur souveraineté monétaire.
Ce système, d'abord colonial, puis néocolonial, n'est pas brillant. Le cordon ombilical va perdurer. La garantie sera surtout pour les multinationales, qui pourront rapatrier leurs profits en zone euro. La parité fixe empêche ces pays de se servir du taux de change pour faire face aux crises : ils sont alors obligés de réduire les dépenses publiques et de se plier à des mesures de libéralisation délétères. L'économiste Ndongo Samba Sylla l'explique bien : « le système CFA empêche toute politique de mobilisation des ressources internes : le freinage de la création monétaire décourage l'activité économique et donc la formation d'une épargne nationale consistante ; le libre transfert favorise la sortie de l'épargne nationale et le rapatriement des profits des entreprises qui ne sont pas tenues de les réinvestir sur place ». C'est absurde.
Le gain en termes de pouvoir d'achat est à relativiser. Ces pays paient les importations 20 à 30 % plus cher que les prix mondiaux. Ce système fait perdurer une économie de traite.
L'exemple du train d'Abidjan, confié à un consortium d'entreprises françaises pour un coût dix fois supérieur à celui prévu par les études, est parlant.
Onze des quatorze pays de la zone franc sont classés par l'ONU parmi les moins avancés. La Côte d'Ivoire a un PIB réel par habitant inférieur à celui des années 1970 ; son indice de développement humain la place au 162e rang mondial.
Selon l'International Trade Center (ITC), le commerce intra-CEDEAO est faible avec 15 % des exportations vers les pays membres et 5 % des importations depuis les pays membres.
Les flux de capitaux entre zones franc sont soumis à des restrictions.
Le système sert les intérêts des multinationales et des élites locales, ultra-minoritaires. Il entretient l'irresponsabilité des dirigeants politiques, défavorable à la démocratie et au développement et participe à ce que l'historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo appelle « l'aliénation sucrée ».
Le texte prévoit la possibilité pour la BCEAO de déposer ses réserves de change ailleurs qu'au Trésor français, l'absence affichée de Français dans la gouvernance de la zone monétaire ainsi qu'un changement de nom.
Concernant les réserves de change, la convention de garantie doit être négociée dans la plus grande opacité. Les Parlements n'auront pas voix au chapitre. Cette convention visera à ce que cette suppression du compte d'opération n'induise aucun changement par rapport à la situation actuelle.
À l'article 4, une personnalité indépendante sera nommée en concertation avec la France. Le pouvoir français sort part la porte et rentre par la fenêtre ! À l'article 8, il est prévu qu'un représentant de la République française revienne en cas de crise.
Le changement de nom est une réappropriation malhonnête. L'eco est un vrai projet, celui de la CEDEAO, à qui on coupe l'herbe sous le pied.
Face à cette OPA hostile, le président du Nigeria a évoqué l'éclatement de la zone. Plusieurs autres pays ont officiellement condamné l'initiative française, qui pourrait aggraver le chaos. Il faut une autre politique.
C'est aux citoyens africains qu'il revient de décider comment assurer l'essor économique, pour favoriser une sécurité pérenne et une amélioration des conditions de vie.
Le projet de loi ne s'inscrit pas dans cette perspective. Je ne doute pas de la sincérité du propos, monsieur le ministre, mais où est le nouveau partenariat, où sont les gestes de refondation ? Cette réforme est un copié-collé des précédentes ! Vous avez évoqué les éléments de continuité, approuvés par de nombreux collègues ici. Pour moi, ce sont des tutelles antidémocratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Richard Yung . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Soyons clairs : je n'ai nullement été « dépêché » par le ministre pour m'opposer à votre motion. Je m'exprime contre, de ma propre initiative, parce que je l'estime discutable. Quel paradoxe : vous critiquez la zone CFA, l'UMOA, la BCEAO, toutes ces manifestations du vieux colonialisme français, mais vous ne proposez pas d'alternative. (M. Philippe Dallier renchérit.)
M. Pascal Savoldelli. - On ne peut pas amender !
M. Richard Yung. - In fine, vous défendez la zone CFA, alors que nous travaillons à la fin de la Françafrique.
M. Pierre Laurent. - Dire cela est malhonnête.
M. Richard Yung. - En outre, vous avez confondu zone CFA d'Afrique de l'Ouest et zone CFA d'Afrique de l'Est... qui n'a rien demandé. Du reste, appartenir à la zone CFA est-il si négatif ? Les pays concernés ont enregistré un taux de croissance de 2,2 % en 2020, quand il reculait de 5 % dans les autres pays de la CEDEAO.
Le projet d'union monétaire, douanière et financière entre les quinze pays de la CEDEAO a été reporté, notamment parce que le Nigeria représente 60 % du PIB de l'ensemble et deviendrait le dirigeant : sa monnaie deviendrait la devise de la CEDEAO. Le Nigeria demande aussi que la parité entre la nouvelle monnaie et la sienne soit constituée par un panier de devises. Nous ne le souhaitons pas.
Laissons les huit pays de l'UMOA mettre en place l'eco, qui pourrait être étendu par exemple au Ghana, dont l'économie est proche de celle de la Côte d'Ivoire.
Dans l'histoire, des pays sont entrés et sortis de l'UMOA. Je pense au Mali. La Mauritanie est sortie. La Guinée Bissau, de langue portugaise, en fait partie. Les pays exercent leur liberté souverainement.
Mon groupe ne votera pas cette motion. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Avis défavorable de la commission des finances. La France n'est pas la seule à avoir des accords monétaires avec des pays d'Afrique : voyez le Portugal.
Mais tous les pays africains qui se développent sans inflation ont une monnaie attachée à l'euro... Cet accord est un premier pas qu'il faut soutenir.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Avis défavorable également. Je suis perplexe : comment prononcer une telle diatribe contre le franc CFA et refuser une réforme qui va dans le sens souhaité par les pays concernés ? Cela m'épate. Je diffuserai largement vos propos auprès des autorités africaines compétentes...
Si quelqu'un fait de l'ingérence ici, c'est vous, pour des motifs de politique intérieure !
Les pays de l'UMOA sont favorables à cette réforme. J'ai assisté au débat universitaire qui a eu lieu à Ouagadougou, avec les étudiants, pour certains sangaristes - une de vos références, je suppose.... Comme le président Kaboré, ils estimaient qu'il fallait une réforme.
Je regrette que vous refusiez cette rupture historique.
Mme Nadine Bellurot. - Notre groupe votera contre la motion. Ce texte constitue une étape importante.
M. Guillaume Gontard. - Le GEST s'abstiendra. Même si nous partageons une partie au moins des propos de M. Savoldelli, le texte contient certaines avancées, et surtout, nous avons besoin de nous exprimer sur un sujet si important pour l'avenir de l'Afrique.
Mme Nathalie Goulet. - Notre groupe votera contre la motion. Nous avons mené en commission des finances un travail important qui trouve ici son aboutissement.
M. Joël Guerriau. - Nous nous opposerons également à la motion, car il faut avancer et répondre aux attentes des pays africains.
M. Jean-Claude Requier. - Le groupe RDSE est opposé par principe aux motions, même lorsqu'il en partage le fond. Ici, il y est opposé sur le fond et sur la forme.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°59 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 266 |
Pour l'adoption | 15 |
Contre | 251 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (Suite)
M. Vincent Éblé . - Le Gouvernement propose de ratifier l'accord de coopération qui réforme le franc CFA. Il ne faut pas en méconnaître l'importance politique : comme l'a rappelé Victorin Lurel devant la commission des finances, la monnaie est un objet politique et de souveraineté.
D'abord, la modification du nom en eco est bienvenue. La monnaie, objet de vie quotidienne, renvoie à une identité et à une souveraineté. Ensuite, la fin de la centralisation des réserves au Trésor français est utile : on ne dénoncera plus un « accaparement » des richesses africaines par la France. Enfin, nous sommes favorables à la fin de la participation française dans les instances de gouvernance de la BCEAO.
La réforme, attendue et nécessaire, reste cependant au milieu de gué en laissant de côté une autre zone du franc CFA, l'Afrique centrale et les Comores, ce qui suscite incompréhension ou ire. La précipitation de l'entreprise interroge, car elle risque de mettre en danger des politiques de convergence entre zones, certains États se sentant ostracisés par la démarche franco-ivoirienne.
L'accord est monétaire mais surtout budgétaire : il engage l'État. Des accords devront intervenir entre la Banque de France et la BCEAO, notamment pour l'impression des billets, car la circulation de la monnaie conditionne fortement la liquidité de ces économies, en raison d'une faible bancarisation.
Nous manquons d'informations pour nous exprimer clairement sur cet accord : trop de lignes budgétaires non documentées, des comptes de concours et de commerce squelettiques. Nous ne pouvons nous contenter de changer le nom et supprimer la centralisation des réserves : rien n'est fait en matière de régime de change pour favoriser la croissance de ces pays. Un régime de changes flexibles répond mieux aux externalités économiques ; la stabilité est plus forte si la monnaie - l'eco - est adossé à une autre monnaie forte, l'euro, mais cela n'est pas gage de croissance. Un panier de devises et un régime de change semi-flexible auraient été préférables.
Nous aurions pu renforcer notre coopération monétaire à l'occasion de cette réforme, y compris avec les autres zones franc CFA.
La Banque centrale européenne et l'Union européenne devront enfin être associées à de futurs accords.
Nous nous abstiendrons.
M. Joël Guerriau . - La disparition du franc CFA a été annoncée il y a un an à Abidjan. Le franc CFA avait conservé sa zone depuis les accords de Bretton Woods en 1945, ce qui a alimenté les fantasmes et les critiques en Europe comme en Afrique. Je rappelle que l'appartenance au franc CFA relève de la liberté des États. Du reste, certains pays l'utilisent sans appartenir à notre espace colonial.
Le changement de nom sera bienvenu, comme la saine séparation des réserves monétaires. L'accord ne remet pas en cause la convertibilité ni la fixité des taux de change : l'éco conserve les avantages du CFA tout en rompant avec l'héritage colonial.
L'éco, avant décembre 2019, était le nom de la monnaie commune du projet de la CEDEAO. Cela présage un éventuel rattachement à l'euro, ce qui ne plaît guère au Ghana, inquiet pour sa rente pétrolière.
Des questions restent en suspens mais notre groupe votera ce texte.
M. Guillaume Gontard . - Je suis embarrassé par cet accord. La méthode interroge : pourquoi des dispositions d'une telle portée n'ont-elles pas été soumises à la commission des affaires étrangères, comme à l'Assemblée nationale, au moins pour avis ?
La fin du franc CFA pose la question de l'organisation monétaire de l'Afrique. Les huit principaux pays concernés veulent-ils retrouver leur souveraineté monétaire ou entrer dans une union monétaire dans le cadre de la CEDEAO ?
La fin du franc CFA pose la question de l'organisation monétaire de l'Afrique. Les huit pays concernés veulent-ils recouvrer leur souveraineté monétaire ou entrer dans une union monétaire avec la CEDEAO ? Celle-ci peut-elle une monnaie rattachée à l'euro ou à un panier de monnaies ?
Cet accord ressemble à une OPA hostile sur le projet de la CEDEAO, il reprend du reste le nom de la monnaie unique envisagée : l'eco.
Aucun peuple n'a été consulté, ni aucun parlement ; aucun président ne s'est exprimé sur le sujet, hormis le président Ouattara. Celui-ci serait-il devenu président du Togo, du Bénin, du Sénégal, du Niger, du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée-Bissau ? Ce silence est assourdissant !
Comment le Sénat peut-il se prononcer dans ces conditions ? Imaginez l'Europe sans l'accord de Maastricht et le référendum. La méthode Ouattara-Macron nous empêche de voter ce texte qui contient pourtant une réforme intéressante. J'ajoute que si les pays de l'UMOA voulaient renforcer leur union monétaire en rattachant leur monnaie à l'euro, alors la BCE serait concernée.
Notre groupe s'abstiendra.
Mme Nathalie Goulet . - Je partage votre analyse, monsieur le ministre. Le rapport que j'ai signé avec Victorin Lurel pour la commission des finances constate que le franc CFA est un irritant entre la France et les pays africains : on lui reproche d'être un outil de propagande.
M. Salvodelli n'a pas tort : ce débat doit se tenir dans les pays africains, ne serait-ce que pour mettre fin aux idées reçues.
La France est parée de tous les péchés d'Israël : en empêchant l'autonomie monétaire des pays africains, en tirant lâchement profit des réserves de change, elle poursuivrait via le franc CFA son oeuvre sournoise de colonisation. Notre rapport montre l'inverse. Dominique Strauss-Kahn, que nous avions auditionné, avait proposé de saisir cette occasion pour refonder la politique monétaire de ces pays.
Il faut le répéter : avec cet accord, les pays concernés pourront déposer leurs réserves de change où ils veulent, casser le lien avec la France s'ils le souhaitent. La balle est dans leur camp !
L'impression des billets est un détail qui préoccupe beaucoup. C'est le moment de faire table rase du passé là aussi : que les pays africains impriment donc eux-mêmes leurs propres billets ! La France n'est pas demandeuse ; là encore, cela mettrait fin aux idées reçues.
Nous sommes passés de la convertibilité en franc français à la convertibilité en euro sans la participation de la BCE ni de nos partenaires européens. C'est maintenant à l'Europe de prendre le relais. La BCE doit s'approprier le sujet, avec ses avantages et ses inconvénients.
Nous approuvons cette convention, qui est une excellente occasion de mettre un terme aux irritants et aux malentendus, à condition de beaucoup communiquer sur le sujet. La France ne mérite pas toutes ces critiques, et la convertibilité a beaucoup servi les économies des pays africains ! (M. le ministre le confirme.)
M. Jean-Claude Requier . - La réforme du franc CFA est un sujet ancien. Alors que notre politique monétaire est décidée à Francfort et non plus à Paris depuis déjà vingt ans, la persistance du franc CFA avec une parité fixe avec le franc, puis avec l'euro, apparaît au mieux comme une survivance exotique du passé, au pire comme un archaïsme.
Le président Macron a souhaité faire évoluer cette situation. Cet accord, conclu fin 2019 avec les huit États de l'Union monétaire ouest-africaine, constitue un jalon vers l'établissement, à terme, d'une zone économique et monétaire unifiée dans la CEAO.
Le franc CFA - pour Colonies françaises d'Afrique - devient l'eco, référence peut-être à l'ECU qui avait brièvement précédé l'euro.
Les réserves de change ne seront plus centralisées sur le compte d'opérations du Trésor français, mais la France reste garante de l'intégrité de la zone monétaire.
L'accord ne concerne que l'Afrique de l'Ouest et non l'Afrique centrale ou les Comores. La parité fixe avec l'euro demeure inchangée, au bénéfice de la stabilité monétaire de la zone mais au détriment de son autonomie par rapport à la zone euro.
En tant que rapporteur spécial de l'aide au développement, je ne peux que souligner le besoin de développement et de stabilité de cette région, notamment de pays tels le Mali ou le Niger, en proie à une pauvreté endémique. Les enjeux géopolitiques sont importants, avec l'omniprésence du Nigeria, géant économique et démographique.
Le risque budgétaire semble limité pour la France : le niveau moyen d'endettement de la zone est plus faible qu'en Europe, la croissance économique est forte, même si la croissance démographique est rapide.
La question monétaire n'est qu'un sujet parmi d'autres. Quels seront les effets sociaux et économiques de la crise sanitaire sur les États ouest-africains ?
Conscients de la portée limitée de l'accord, mais considérant qu'il s'agit d'une étape nécessaire du développement de l'Afrique de l'Ouest, notre groupe votera pour sa ratification.
M. Pierre Laurent . - Ce texte ne crée pas la nouvelle monnaie qu'attendent les Africains. C'est au mieux un ravalement de façade du franc CFA, au pire, une OPA hostile de la France visant à empêcher tout projet d'union monétaire qui échapperait à son contrôle.
La méthode d'adoption de cette convention est humiliante pour les populations des huit pays concernés. Le fait que la commission des affaires étrangères du Sénat n'ait pas été saisie en dit long : pour vous, il ne s'agit pas de politique étrangère, mais d'une affaire intérieure, qui doit rester sous la coupe du Trésor. Jean Gabin aurait dit : « Touche pas au grisbi ! » (M. Philippe Dallier s'amuse.)
Notre rapporteur rappelle qu'il s'agit d'une simple modification des modalités opérationnelles, que la fin de la présence française ne signifie pas la fin du dialogue technique et politique et que « les échanges avec le Trésor public resteront denses ! »
Des instruments financiers et bancaires souverains sont indispensables pour financer le développement de l'Afrique, qui exige une augmentation de la masse monétaire, mais la BCEAO n'a pas les pouvoirs d'une banque centrale.
Avec l'eco, vous ne remplacez pas le franc CFA, vous lui achetez une couverture politique.
La parité fixe avec l'euro et la garantie française préserveraient le pouvoir d'achat des Africains les plus pauvres, nous dit-on. C'est une assurance chèrement payée, au bénéfice des multinationales et des classes aisées africaines. Car maintenir cette parité suppose des taux d'intérêt élevés qui freinent l'investissement et l'emploi.
Cette réforme ne desserre pas le garrot qui affaiblit l'Afrique. Jusqu'à quand laisserons-nous l'Afrique dans le dénuement et la dépendance ? Il faut des instruments de création monétaire nouveaux. Nous soutenons la mise à disposition des droits de tirage spéciaux non utilisés par les pays riches au profit des pays pauvres. Fiscalement, il faut cesser d'avantager les multinationales françaises qui trustent les grands projets.
Nous voterons contre ce texte qui ne vise qu'à perpétuer une tutelle monétaire désastreuse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Richard Yung . - Cet accord remplace celui du 4 décembre 1973. Les pays d'Afrique de l'Ouest avaient montré l'exemple, créant une banque centrale commune aux pays de la région dès 1962, bien avant l'Europe...
Le franc CFA devient l'eco ; les réserves de change pourront être placées où les pays le souhaitent ; la France quitte les instances de gouvernance, sachant que le comité de politique monétaire n'a qu'un rôle de conseil. Le nouveau mécanisme de surveillance des risques va de pair avec le maintien de la convertibilité, garantie par la France ; en cas de crise, le Trésor français pourra dépêcher un représentant.
Il s'agissait, avec cette réforme, de répondre aux critiques et aux accusations de néo-colonialisme qui circulaient depuis longtemps, ne nous en cachons pas. Dans un certain nombre de manifestations, au Burkina Faso ou au Mali par exemple, on pouvait entendre des slogans anti-franc CFA, notamment sur le prétendu enrichissement de la France sur le dos de l'Afrique.
Soit dit en passant, les entreprises africaines seraient bien embêtées avec un taux de change variable... Les pays membres de la zone CFA étaient libres d'en sortir, ou d'y rentrer. Notons que le Cap-Vert utilise l'euro, car il est lié au Portugal. Ce n'est pas un scandale ; c'est leur volonté.
Demeure la question délicate de l'élargissement. La taille du Nigeria poserait problème en cas d'intégration, car son poids économique risque de déstabiliser l'ensemble.
Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Nadine Bellurot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le franc CFA est né en 1945 à l'initiative du Général de Gaulle, après la Conférence de Brazzaville de 1944. CFA a signifié « colonies françaises d'Afrique » jusqu'en 1958, puis « communauté française d'Afrique » jusqu'en 1960, enfin « communauté financière africaine » dans l'Afrique de l'Ouest et « coopération financière en Afrique » dans l'Afrique centrale.
Un euro vaut 655 francs CFA. Cette monnaie est utilisée par quatorze pays répartis entre l'UMOA et le CERAC, et par les Comores. Chaque union monétaire possède une banque centrale commune.
Cette monnaie commune visait à contribuer à la stabilisation monétaire et au développement de ces pays, via un renforcement des échanges. Depuis 2017, les six pays de la CEMAC appliquent la libre circulation des biens, services, capitaux et des personnes. Une coopération a aussi été conclue au sein de l'UMOA.
Ces pays demeurent souverains et n'ont pas l'obligation d'utiliser le franc CFA ; certains l'ont abandonné, d'autres, qui n'étaient pas d'anciennes colonies, l'ont adopté.
L'obligation de placer la moitié des réserves de change sur un compte rémunéré de la Banque de France était critiquée. L'accord n'avait jamais évolué depuis 1973. La volonté des pays concernés d'aller vers plus d'intégration régionale et de viser la création, à terme, d'une monnaie unique a abouti à un accord, conclu le 21 décembre 2019, entre Emmanuel Macron et le président de l'UMOA.
Cet accord, dont la mesure la plus symbolique est la transformation du franc CFA en eco, s'inscrit dans l'approche 3D prônée par le Gouvernement : défense, développement et diplomatie.
La nouvelle monnaie ne concerne à ce stade que les huit pays de l'UMOA. Toutefois, l'eco a vocation à s'étendre à d'autres membres de la CEDEAO. L'intégration du Nigeria posera cependant problème, ce pays représentant à lui seul 70 % du PIB de la sous-région.
L'eco demeurera indexé sur le cours de l'euro, pour éviter toute spéculation ou fuite des capitaux.
La BCEAO ne sera plus tenue de déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France ; la France se retire des instances de gouvernance de l'UMOA, mais reste le garant financier, ce qui suppose un mécanisme ad hoc de dialogue et de surveillance des risques. La BCEAO transmettra des informations techniques et un représentant français pourra être dépêché pourra venir en aide en cas de crise.
Le risque de devoir mobiliser la garantie est faible : cela n'est arrivé qu'une seule fois en soixante ans.
Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Si la commission des affaires étrangères n'a pas été saisie, c'est que le Règlement du Sénat établit que la commission des finances est compétente pour les conventions monétaires.
M. Pierre Laurent. - Elle aurait pu être saisie pour avis !
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - C'est d'ailleurs elle qui avait été saisie de l'accord de 1973 : Robert Schmitt, sénateur de la Moselle, en était le rapporteur.
Les présidents Cambon et Rapin, que j'ai interrogés, n'ont pas jugé utile de se saisir pour avis.
Je ne peux vous laisser dire, Monsieur Savoldelli, que M. Ouattara aurait été placé au pouvoir par l'armée française. Comme un certain président américain, le président sortant avait été démocratiquement élu, mais refusait de céder la place ! C'est pour cela que la France avait apporté son concours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pascal Savoldelli. - Il n'empêche, on ne vote pas avec un fusil dans le dos !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je vous remercie pour la qualité de notre débat et salue le travail du rapporteur, mais j'ai été étonné d'entendre certains propos. Parler d'un « accord Ouattara-Macron » est indigne vis-à-vis des autres chefs d'État de l'UMOA : ce sont eux qui ont mandaté le président Ouattara pour préparer cet accord ! Celui-ci a été signé par le président du conseil des ministres des finances de l'UMOA, M. Wadagni, le ministre des finances béninois, en présence de tous les acteurs. À entendre certaines insinuations, les bras m'en tombent. Au nom de quoi certains se font-ils les porte-parole de la CEDEAO ? Elle s'est prononcée à trois reprises sur le sujet : en décembre 2019, en septembre 2020 et encore le 23 janvier dernier.
Sur le fond, l'essentiel est bien la liberté d'affectation des réserves de change, principal sujet de polémique. La question est résolue : il y a bien un renforcement de la souveraineté.
La garantie française, gage de stabilité, est un facteur de développement. La fixité des taux de change permet de lutter efficacement contre l'inflation. Celle-ci est nettement moins élevée dans les pays de la CEMAC et de l'UMAO : moins de 3 %, contre 9 % dans les États non membres de la zone. De même, la croissance est plus forte là où il y a parité fixe.
Cet accord est un acte politique, bien sûr, tout comme l'est le moratoire sur le service des intérêts de la dette des pays les moins avancés, adopté le 15 avril 2020 à la demande du Président Macron par le G20 et le club de Paris.
Le poids de la dette est en grande partie dû à des acteurs peu regardants... C'est vers eux qu'il faut se tourner pour obtenir des facilités de financement qui permettront aux pays africains de mener la relance économique après la pandémie. En mai prochain, le Président de la République réunira à Paris une conférence sur le financement de l'économie africaine.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Philippe Dallier . - Je comprends que cinquante ans après la décolonisation, ces pays aient envie de tourner la page du franc CFA tout en garantissant la stabilité du nouveau système : couper les ponts, ce serait prendre le risque de l'hyperinflation, qui pénalise avant tout les plus pauvres.
La France sera la garante de cette stabilité, au prix d'un contrôle très allégé par rapport au système actuel : nous n'interviendrons que lorsqu'il y aura le feu. (M. le ministre le confirme.) C'est un risque que nous prenons. Aussi, je trouve les critiques de mes collègues communistes un peu sévères. Sauf cette réserve, je voterai ce texte.
M. Jean-Yves Leconte . - Cette réforme avant tout symbolique est un acte de confiance de la France envers ces pays : même sans réserve, nous maintenons notre garantie.
Hélas, la méthode retenue pour annoncer la réforme justifie notre abstention. (M. le ministre s'en étonne.)
L'Afrique et l'Europe devraient apprendre de leurs expériences respectives. L'Afrique de l'Ouest a depuis longtemps une monnaie commune, qui n'a pas engendré d'intégration politique. Nous aurions dû nous en souvenir en faisant l'euro. Les Africains risquent fort de rencontrer les mêmes problèmes que ceux que nous avons rencontrés !
M. Pierre Laurent . - Nous n'instrumentalisons pas les Africains, monsieur le ministre, mais faisons état du débat politique qui existe dans ces pays et entre ces pays autour de ce projet. Le débat continue, vous le savez bien. La réforme n'annonce pas l'ère nouvelle dont l'Afrique a besoin. Vous vous réjouissez d'un taux de croissance de 2 % dans ces pays, mais de quoi parle-t-on ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Il est de 6 % !
M. Pierre Laurent. - Quand va-t-on sortir l'Afrique de la pauvreté dans laquelle elle est maintenue ? Cette croissance ne profite qu'à une infime minorité !
Il faut changer d'échelle, créer des instruments nouveaux, ce que ne fait pas cet accord. Il ne correspond nullement aux immenses enjeux de développement de l'Afrique, qui concernent le monde entier.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°60 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 263 |
Pour l'adoption | 241 |
Contre | 22 |
Le Sénat a adopté.
Prochaine séance, mardi 2 février 2021, à 14 h 30.
La séance est levée à midi et quart.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication