Lutte contre l'illectronisme et inclusion numérique
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « lutte contre l'illectronisme et inclusion numérique ».
M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen . - L'illectronisme ne disparaîtra pas d'un coup de tablette magique. Tel était le titre du rapport de Raymond Vall de la mission d'information sur l'illectronisme et l'inclusion numérique.
Le groupe RDSE a souhaité un débat sur les conclusions de ce rapport. L'illectronisme mérite qu'on s'y attarde, car c'est une nouvelle forme d'exclusion dans notre monde hyper-connecté.
La fracture numérique exacerbe les fractures économiques, sociales et territoriales, disait Sébastien Soriano, président de l'Arcep, il y a encore quelques jours.
L'illectronisme est la difficulté ou l'incapacité à utiliser les appareils ou les outils numériques. Synonyme de progrès et d'innovation, le numérique peut accroître les inégalités.
La mission d'information, après trois mois d'investigations et 31 auditions, a émis 45 propositions.
Commençons par le constat : quatorze millions de Français sont éloignés du numérique, un Français sur deux n'est pas à l'aise avec les outils numériques. On y trouve souvent les personnes en situation de handicap, les détenus, les aînés.
Or avec la dématérialisation généralisée des services publics, la maîtrise du numérique conditionne de plus en plus l'accès au droit. Cela fait économiser 450 millions d'euros à l'État mais laisse de côté trois Français sur cinq, incapables de réaliser des démarches en ligne.
Comme le dit Sébastien Soriano : « Tout s'est compliqué à partir du moment où l'on a commencé à fermer les guichets physiques. Or l'enjeu, c'est d'abord de s'adapter à la vie des Français en prenant en compte leurs usages qui, en effet, passent de plus en plus par les canaux numériques, mais pas exclusivement », d'autant que l'ergonomie des sites publics est à la traîne.
Souvent, certains renoncent à leurs droits ; 12 % des demandeurs d'emploi ne maîtrisent pas le numérique. Cela les freine dans leur accès au marché du travail, encore plus dans la période actuelle de télétravail.
Or nous manquons d'outils et de financements. Le Gouvernement a octroyé 10 millions d'euros en 2018, 30 millions d'euros en 2019 pour le déploiement du Pass numérique, fer de lance de sa stratégie nationale pour un numérique inclusif. Certes, 250 millions d'euros seront alloués sur deux ans pour la formation de quatre millions de personnes en situation d'illectronisme. Mais il faudrait 1 milliard d'euros pour rattraper le retard ! Cette somme serait rapidement amortie car la résorption de la fracture numérique engendrerait 1,6 milliard d'euros de bénéfices par an.
Le Pass numérique est intéressant car il déploie une offre de formation mais il a peu séduit.
La commission a formulé 45 propositions autour de sept axes. Il faut affiner l'étude de l'Insee en matière de numérique et systématiser l'évaluation. Il faut passer à une logique 100 % accessible, proclamer l'inclusion numérique comme priorité nationale, créer un fonds de lutte contre l'exclusion numérique.
Pour épauler les collectivités locales, il est nécessaire de couvrir tout le territoire de Hubs France connectée d'ici 2022. La stratégie nationale doit se déployer au plus près des besoins de chaque bassin de vie.
Il nous faut utiliser l'école et l'entreprise pour repérer l'illectronisme, construire une « éducation nationale 2.0 » et prévoir un test de repérage lors de la Journée défense et citoyenneté.
Un choc de qualification au numérique des salariés est nécessaire. La norme ISO 26000, relative à la responsabilité sociétale des entreprises, peut être mobilisée, ainsi que le mécénat de compétence ou encore un crédit d'impôt pour les TPE-PME. La crise a montré que, pour les entreprises, le numérique n'était plus une option mais une condition de leur développement, voire de leur survie. Nous devons donc les soutenir dans cette voie, sans oublier les artisans, commerçants et autoentrepreneurs qui peuvent se sentir isolés face à de tels défis.
L'aménagement numérique du territoire et l'équipement informatique sont indispensables, mais la formation est encore plus nécessaire.
Cette mission d'information appelle à des investissements massifs pour ne laisser personne au bord du chemin. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques . - Nous vivons une période de grande transition. À la fin du XIXe siècle, nos sociétés agraires sont devenues industrielles, avec des conséquences sur les rapports économiques, la société et les institutions.
Avec le numérique, la révolution technologique bouleverse toute l'économie. On le voit avec l'émergence de très grandes entreprises, mais c'est vrai aussi dans le domaine du travail, dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Le numérique est l'épine dorsale de notre économie et de notre société. Il remet même en cause la démocratie, comme l'illustre la récente suspension des comptes du président Trump.
Ces grandes transformations sont particulièrement violentes dans nos sociétés. Dans ces périodes de « clair-obscur », comme le dit Antonio Gramsci, il y a des opportunités, mais aussi des risques importants, notamment de fracturation de notre société. La mobilisation des gilets jaunes, le Brexit illustrent la montée de la colère d'une classe moyenne qui se sent délaissée.
Les pouvoirs publics ont l'obligation d'accompagner cette grande transition pour éviter que les « inutiles » se révoltent. Entre treize et quatorze millions de Français - un sur six - se sentent éloignés du numérique et un Français sur trois manque de compétences de base.
Cela s'ajoute aux inégalités d'accès aux services publics et privés. Durant le confinement, certains ne pouvaient même pas télécharger ou imprimer leur attestation de sortie. On comprend la différence de vécu entre ceux qui sont connectés et les autres.
Le problème fondamental n'est pas l'inégalité de droit, mais de grammaire. Certains ne comprennent plus comment ce monde évolue. C'est une question sociale mais surtout démocratique : tous les Français doivent être des citoyens émancipés et autonomes.
C'est pourquoi le Gouvernement a fait de l'inclusion numérique une priorité. Entre 2017 et 2020, le budget de l'inclusion numérique est passé de 350 000 euros à 250 millions d'euros - alors que le problème n'était pas nouveau !
Nous avons plusieurs objectifs : accompagner les personnes en difficulté et les collectivités territoriales, financer la formation et structurer le secteur de la médiation numérique. Nous devons déployer les politiques publiques et mettre en réseau tous les acteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et UC ; M. Éric Gold applaudit également.)
Mme Michelle Gréaume . - En octobre 2017, le comité Action publique 2017 prônait des services publics totalement dématérialisés pour économiser quelque 450 millions d'euros par an. Mais pour quel accès aux services publics ? Jacques Toubon, alors Défenseur des droits, estimait que 20 % des Français ne pouvaient faire leurs démarches en ligne.
Selon l'institut CSA, 36 % des personnes âgées de plus de 60 ans dans les Hauts-de-France étaient en situation d'exclusion numérique en 2018.
Que devient alors le principe d'égalité d'accès aux services publics ?
Comment assurer un droit effectif aux aides sociales, alors que les plus précaires sont touchés par l'illectronisme ? Quelles sont les voies de recours ? Enfin, si l'école doit lutter contre celui des enfants, d'autres dispositifs doivent être déployés pour les autres catégories de population : les initiatives locales de médiation sont, en ce domaine, intéressantes.
La perspective dessinée par CAP 2022 de disparition à terme des accueils physiques pose problème. À cet égard, l'axe 2 du rapport est intéressant : la cohabitation permanente entre le numérique et l'accueil. Les citoyens ont besoin d'un accueil physique. Le Gouvernement prévoit-il une dématérialisation à marche forcée des services publics ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - La dématérialisation n'est pas forcément une mauvaise chose, notamment pour l'accès aux droits. Je m'explique : le patron de la CAF de Bayonne m'a indiqué voici un an que la dématérialisation des démarches d'actualisation des droits avait divisé par trois le taux de non-recours.
Je n'ai aucune difficulté à admettre que les gouvernements successifs sont allés trop vite dans la dématérialisation. Avant de se poser la question de l'équipement, il fallait former et insister sur la qualité de la dématérialisation.
Les sites internet sont trop compliqués, on s'y perd. Le travail du Gouvernement a été de déployer France Services pour plus de services publics, de toujours conserver un guichet physique, de réintroduire des numéros de téléphone - Amélie de Montchalin y est très attachée - et de simplifier le vocabulaire administratif des sites.
M. Jean-Marie Mizzon . - L'usage du numérique est devenu vital pour notre économie et notre société. Selon l'Insee, 17 % de la population est concernée par l'illectronisme, et 50 % ne sont pas à l'aise avec le numérique.
L'équipement des ménages explique parfois les inégalités. Le taux brut de non-équipement est de 8 % en zone urbaine mais de 13 % en zone rurale. Cela s'explique notamment par le coût des équipements et des abonnements. Le rapport d'information de Raymond Vall propose plusieurs axes d'amélioration, dont la création d'un fonds contre l'exclusion numérique pour financer un chèque équipement. Quelles solutions pour équiper les ménages modestes ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - L'exclusion numérique tient à trois éléments : la connexion, les usages et l'équipement.
Le Gouvernement a choisi de se concentrer sur les usages. Par le passé, de nombreux conseils départementaux ou régionaux ont financé l'acquisition de tablettes ou d'ordinateurs pour les élèves. Malheureusement, ces outils ont parfois été laissés de côté, voire mis en vente sur internet... D'où l'intérêt de s'intéresser d'abord aux usages, d'autant que les collectivités territoriales investissent déjà dans l'équipement et bénéficient en outre souvent de dons de matériel par les entreprises.
M. Éric Kerrouche . - La pandémie est un révélateur de nos faiblesses, comme celles de l'université. Le tout numérique a mis à nu les inégalités sociales ; la précarité des étudiants est aussi une précarité numérique.
Les digital natives, démotivés, ont décroché.
Peut-on envisager des forfaits préférentiels pour les étudiants ? Quelle formation au numérique pour enseignants et étudiants ?
La crise sanitaire a certes accéléré la transformation numérique des universités, mais dans l'urgence, sans réflexion critique sur l'acceptabilité.
Les drames récents de la jeunesse étudiante montrent que l'enseignement ne saurait se réduire à un espace virtuel, dans une solitude monacale.
Comment mettre la politique numérique de l'enseignement supérieur au service de l'avenir de la jeunesse ? En quoi consisterait, à vos yeux, une numérisation vertueuse de l'université ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Avec Frédérique Vidal, pendant le premier confinement, nous avons porté une attention particulière aux étudiants et notamment à leurs forfaits internet. Nous aurions souhaité que la connexion aux sites des universités soit exclue de la consommation mais le principe général de neutralité du Net interdit le zero rating.
Cette rentrée dématérialisée a été très difficile pour les étudiants. Nous devons trouver le juste milieu entre cours en présentiel et dématérialisation.
Les 4 000 conseillers numériques seront aussi là pour les étudiants.
M. Patrick Chaize . - Illectronisme et inclusion numérique sont à la croisée des chemins entre culture, social et aménagement du territoire.
Priorité a longtemps été donnée à la couverture numérique du territoire et non à la maîtrise des usages, souligne Raymond Vall. La fracture numérique est territoriale, mais aussi sociale et culturelle.
Quelles réponses aux défis de l'inclusion numérique ? Le rapport Vall a identifié un manque criant de médiateurs labellisés dans certains territoires, et un manque de clarté dans les différents labels.
On oublie trop souvent un acteur : il est cité à la proposition n°30 ; c'est La Poste - identifiée par tous, disposant d'un maillage territorial unique. Qu'attendez-vous pour en faire le bras armé d'une politique publique pour l'inclusion numérique ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Comment assurer le déploiement de la médiation numérique sur tout le territoire ? Les 250 millions d'euros du plan de relance visent à répondre au manque de médiateurs.
Nous doublons leur nombre en déployant 4 000 conseillers numériques sur le territoire. C'est un saut quantique !
Nous discutons avec plusieurs acteurs, dont Emmaüs Connect et le groupe La Poste qui souhaite faire de l'inclusion numérique un axe fort de sa politique des années à venir.
M. Pierre-Jean Verzelen . - Merci aux membres de la mission d'information.
Nous encourageons la formation au numérique mais nombre de nos concitoyens, vu leur âge, leur parcours de vie, leur situation individuelle, sont voués à rester à l'écart. Or ces gens ont besoin de services publics, il faut donc les accompagner. Les services publics doivent avoir une ligne téléphonique, avec au bout des gens qui décrochent.
Les collectivités territoriales vont assurer un certain nombre de services publics dans les maisons France Services - sans doute rendront-elles un excellent service, car elles ont la connaissance du terrain, mais un tel transfert de compétences devrait s'accompagner d'un transfert de moyens de l'État, or le compte n'y est pas : 30 millions d'euros seulement ! Une aide financière de l'État s'impose. Pourquoi ne pas transférer des agents de l'État ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Concernant l'enveloppe consacrée aux maisons France Services, je vous renvoie à Jacqueline Gourault...
Vous avez raison, la moitié des treize millions à quatorze millions de Français éloignés du numérique ne pourra être formée. Il faut donc garder des guichets ouverts, des lignes téléphoniques, développer le « faire à la place de ».
Nous avons mis en place des kits d'inclusion numérique et une partie des 250 millions d'euros ira à l'outillage numérique, notamment dans le cadre du dispositif Aidants Connect, qui permet de réaliser, de manière sécurisée, des opérations numériques à la place de ceux qui ne le peuvent, sans passer par les listes d'adresses e-mail, d'identifiants et de codes d'accès que doivent aujourd'hui constituer les travailleurs sociaux.
J'appelle à créer un grand service public du numérique assurant une mission de formation, s'appuyant sur l'Éducation nationale, pour les enseignants et pour les élèves, qui doivent apprendre à être critiques des contenus qu'ils rencontrent sur les réseaux sociaux. Il faut un investissement massif, qui s'appuie aussi sur l'éducation populaire.
Le secteur numérique doit être non une filière mais un service public, une construction citoyenne face à des multinationales aussi puissantes que des États mais guère soucieuses de démocratie.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Nous cherchons à structurer ce secteur en injectant de l'argent public. Si je parle de filière et non de service public, c'est que beaucoup d'acteurs interviennent : collectivités territoriales, associations, entreprises de l'économie sociale et solidaire...
Nous finançons, via la Banque des territoires, des hubs territoriaux pour un numérique inclusif qui outillent les acteurs et les mettent en relation. Nous travaillons à des standards pour évaluer l'illectronisme ; ainsi nous avons investi dans Aptic et dans la coopérative La MedNum et nous finançons des conseillers numériques qui seront embauchés non par l'État mais par les collectivités ou par Emmaüs Connect.
Le rôle de l'État n'a pas été de faire mais de mettre en relation. Le numérique est une grammaire qui s'apprend, et il faut former les jeunes.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Je ne demande pas des milliers de postes de fonctionnaires et je ne méconnais pas le rôle des acteurs associatifs et de l'ESS, mais l'Éducation nationale doit servir de cadre, y compris hors du temps scolaire, pour éduquer au numérique, aux outils et aux contenus. L'investissement n'est pas encore à la hauteur.
Mme Nadège Havet . - La captation de notre attention, ressource très prisée, a un coût cognitif pour les usagers et un coût écologique pour la planète, ai-je dit hier lors du débat sur l'empreinte environnementale du numérique. Il y a l'excès - et l'insuffisance.
Le travail de Raymond Vall rappelle que le Sénat est aussi la chambre du numérique, indissociable de l'aménagement du territoire.
Jean-François Lucas, sociologue de la ville numérique, souligne que le confinement et la crise actuelle n'ont fait qu'accélérer la place prise par le numérique dans notre société et amplifier les risques d'exclusion.
L'illectronisme, qui a des conséquences dévastatrices sur le pacte social, a longtemps été sous-estimé. Priorité a été donnée à la couverture numérique du territoire et non à la maîtrise des usages.
Où en est-on du déploiement des référents numériques dans les intercommunalités, et de la formation des médiateurs numériques et médiateurs sociaux au numérique ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Vous évoquez la dérégulation du marché cognitif. Je vous conseille à ce sujet la lecture du livre de Gerald Bronner, Apocalypse cognitive.
Nous avons annoncé le déploiement de 4 000 conseillers numériques. Les collectivités territoriales pouvaient postuler sur une plateforme gouvernementale ; elles sont plusieurs milliers à l'avoir fait. J'ai signé une première convention avec l'Allier pour déployer trente conseillers. Nous nous appuyons sur les départements compte tenu de leurs compétences sociales. Nous visons la simplicité et la rapidité. Fin 2021, plus de 2 500 conseillers numériques seront sur le terrain.
Mme Maryse Carrère . - Ce sujet est important pour le groupe RDSE. Chacun doit avoir accès aux outils informatiques. Je salue les collectivités territoriales qui ont distribué des terminaux aux jeunes lors du confinement. L'ensemble de la population doit disposer d'une connexion à haut ou très haut débit.
C'est d'autant plus important que dès demain, les plus de 75 ans devront s'inscrire via la plateforme Doctolib pour se faire vacciner. J'ai peur que cette solution n'aide surtout ceux qui ne sont pas affectés par la fracture numérique.
La dématérialisation présente d'indéniables avantages, mais il faut veiller à préserver les relations avec les usagers. Quel bilan faites-vous du label e-accessible ? Comment améliorer le service public en ligne ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Les centres de vaccination pourront recourir à Doctolib, à KelDoc ou à Maïa : chacun est libre de choisir son système de réservation. La réservation pourra également se faire par téléphone, via un numéro indiqué sur le site sante.fr. En Allemagne, on constate que les réservations se répartissent à parts égales entre téléphone et plateformes.
Quant au label e-accessible, il a été supprimé, faute d'efficacité. Nous déployons, avec le soutien des associations de patients, une stratégie numérique très inclusive qui accorde une attention particulière à l'accompagnement des patients dans les usages numériques.
Mme Nassimah Dindar . - L'illectronisme touche 14 millions de Français, 50 % ne sont pas à l'aise avec le numérique. La situation est pire encore dans les outre-mer où la fracture générationnelle est plus précoce et plus prononcée. À La Réunion, comme ailleurs, la crise sanitaire a accéléré la généralisation du télétravail et du numérique comme outil de continuité pédagogique.
À La Réunion, mais aussi à Mayotte, l'illettrisme se conjugue à l'illectronisme ; de plus, seuls 13 % des sites sont accessibles aux personnes en situation de handicap.
Les 250 millions d'euros pour l'inclusion numérique seront-ils alloués en priorité à la simplification des démarches en ligne pour ces dernières ? Combien au titre d'Aidants Connect ? Combien de conseillers numériques pour La Réunion ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Nous accordons une attention particulière aux outre-mer. Après la Guyane, je serai fin février à La Réunion, pour évoquer l'inclusion numérique mais aussi les start-up. Je ne puis encore vous dire combien de conseillers seront déployés outre-mer. Le problème de l'illettrisme est une réalité aussi dans l'Hexagone : 17 % dans l'Aisne...
La question du handicap est particulière. Pour les personnes en situation de handicap physique, la dématérialisation peut être facteur de simplification, et elles sont d'ailleurs demandeuses. Lors du Conseil national du handicap, j'ai annoncé que d'ici 2022, les sites de l'État respecteraient 80 % du référentiel général d'amélioration de l'accessibilité.
Mme Viviane Artigalas . - Les cours à distance ont révélé une carence des compétences numériques chez nombre de d'enseignants et d'étudiants. La dématérialisation des services publics souligne les inégalités entre territoires.
Le numérique est un écosystème global ; le besoin d'accompagnement est incontournable.
Le rapport Vall préconise de créer une filière professionnelle de médiateur du numérique. Il convient que ces emplois soient pérennes et bien rémunérés afin d'attirer des profils compétents. Pourquoi ne pas en faire des agents du service public ? Leur financement doit être pris en charge par l'État. À cet effet, le Sénat a proposé un fonds d'un milliard d'euros, quatre fois plus que l'effort prévu dans le plan de relance. Il faut un plan national de formation et une meilleure reconnaissance du métier de médiateur numérique.
Le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre ces propositions ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Le Gouvernement développe la validation des acquis de l'expérience pour les médiateurs numériques en poste. La médiation est un vrai métier.
Le Pass numérique a connu des problèmes de temporalité : entre la signature du conventionnement et le déploiement sur le terrain est intervenu le confinement. À terme, nous voulons en faire un moyen de financement des lieux de médiation numérique.
C'est un outil qui peut s'avérer très efficace dans la lutte contre l'exclusion numérique.
Mme Viviane Artigalas. - Abonder les crédits alloués à l'inclusion numérique serait la meilleure preuve de votre volonté. La dématérialisation des services publics, c'est votre Gouvernement qui l'a voulue.
Mme Pascale Gruny . - La numérisation transforme notre économie, obligeant les PME à s'adapter pour survivre. Or un tiers des dirigeants de TPE-PME se disent mal à l'aise avec les outils numériques. Cette pénurie de compétences explique aussi qu'il y ait 191 000 postes à pourvoir.
L'illectronisme exclut et freine l'insertion professionnelle. Il est urgent d'accompagner les TPE-PME dans le défi du numérique, en encourageant la formation au numérique qui garantit l'employabilité.
Compte tenu de l'importance du capital humain, ne pourrait-on considérer les dépenses de formation au numérique comme un investissement, en permettant aux TPE-PME de les amortir ou de bénéficier d'un crédit d'impôt ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - La France est en retard en matière de digitalisation de ses TPE-PME, elle se classe seizième sur les Vingt-sept. Cela tient en effet à une forme d'illectronisme des dirigeants comme des salariés. D'où la nécessité d'un accompagnement, car la digitalisation est une question de survie, on le voit avec les confinements.
Avec Alain Griset, nous verrons comment les 4000 conseillers numériques pourront aussi répondre à la demande de ces entreprises. Souvent, on s'aperçoit de la situation d'illectronisme d'un dirigeant d'entreprise lorsqu'il se présente au guichet d'une Maison France Services ou d'une mairie.
Nous n'avons pas prévu pour autant de transformer les crédits de formation au numérique en crédits d'investissements pour les entreprises ; cela relèverait en l'espèce de la ministre du Travail.
Mme Pascale Gruny. - Vous ne répondez pas à ma question ! J'ai commis un rapport sur le sujet pour la délégation aux entreprises. Vos 4 000 conseillers ne suffiront pas pour aider tout le monde ! Le numérique, c'est demain, pas dans dix ans, et l'enjeu de l'employabilité est énorme.
Je salue l'initiative du conseil départemental de l'Aisne contre l'illettrisme et l'illectronisme. Mon département est le berceau de la langue française, la patrie de Jean de La Fontaine, de Jean Racine, d'Alexandre Dumas, mais au premier rang pour l'illettrisme ! Les entreprises ne s'y installent pas car elles ont besoin de personnes formées. Autant dire que j'attendais une autre réponse que vos 4 000 conseillers !
Mme Martine Filleul . - Ma question rejoint celle de M. Chaize. La Poste, avec ses 17 000 points de contact et ses postiers, peut jouer un rôle dans la lutte contre l'illettrisme. Ses agents sont en contact régulier avec les publics les plus éloignés du numérique et peuvent détecter les besoins. La Poste a déployé dès 2019 un plan pour l'inclusion numérique, avec du matériel en libre-service, des formations coup de pouce... Elle pourrait rapidement former un million de personnes.
Son président, Philippe Wahl, veut en faire un acteur de la politique publique d'inclusion numérique. Votre Gouvernement est-il prêt à l'inclure dans ses missions de service public et à lui octroyer les moyens nécessaires ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - N'en déplaise à Mme Artigalas, ce Gouvernement n'a pas lancé la dématérialisation : il n'a fait que la porter de 60 % à 70 % dans les services publics. La charge est donc largement partagée avec la majorité précédente.
En effet, La Poste peut participer à l'inclusion numérique en travaillant à la détection et à la formation ; nous y travaillons avec Philippe Wahl. La SNCF, Enedis, les banques, les mutuelles peuvent aussi être mobilisées dans le cadre des Points information médiation multiservices (Pimms). C'est ensemble - public, privé, société civile - que nous apporterons une réponse à la hauteur.
Mme Martine Filleul. - Le nouveau contrat d'entreprises entre l'État et La Poste serait l'occasion de généraliser les expérimentations menées par le groupe dans les quartiers de la politique de la ville et outre-mer.
M. Cyril Pellevat . - Le confinement a mis en lumière les dangers du tout-numérique.
Le Défenseur des droits recommandait, en 2019, de préserver plusieurs modalités d'accès aux services publics pour assurer l'accès aux droits des personnes éloignées du numérique. C'est particulièrement important pour les territoires de montagne, où la couverture numérique est encore lacunaire. Le déploiement des maisons France Services contribue à la préservation des guichets physiques tout en assurant un accompagnement de qualité.
La formation aux outils du numérique doit être adaptée à la diversité des publics.
La dématérialisation fera économiser 450 millions d'euros par an à l'État, mais elle doit être conduite de façon graduée et ne laisser personne de côté. Peut-on flécher une partie des économies ainsi réalisées vers la lutte contre l'illectronisme et l'accessibilité ? Plusieurs modalités d'accès aux services publics seront-elles préservées ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Oui, il y aura plusieurs modalités d'accès.
Il a été envisagé de réinjecter les ressources dégagées par la dématérialisation vers la formation numérique ; j'avais même envisagé un système pollueur-payeur, mais nous y avons renoncé car cela aurait créé une usine à gaz.
Nous avons préféré une enveloppe de 250 millions d'euros pour accompagner les collectivités territoriales et cartographier l'offre de médiation numérique.
Le besoin d'inclusion est très divers ; nous veillerons à une forme de péréquation entre les territoires.
Mme Else Joseph . - Internet a facilité les démarches et encouragé l'accès aux services publics dans nos territoires, et le confinement a renforcé l'usage du numérique.
Pour combler les retards, l'Éducation nationale a un rôle à jouer. Or il y a aussi, pour certains élèves et enseignants, des difficultés qu'il convient de cartographier. Il faut aussi recenser les infrastructures, les zones blanches, les compétences des élèves comme des enseignants. Une expérience en ce sens a été menée dans les Ardennes, en lien avec l'Observatoire communal de la lecture publique.
Ne tombons pas dans l'illusion de la digitalisation béate. Celle-ci doit simplement améliorer l'accessibilité des services.
Le Gouvernement va-t-il accompagner cette démarche, en particulier auprès de l'Éducation nationale ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - L'Éducation nationale a en effet un rôle central à jouer dans la lutte contre l'illectronisme sous toutes ses formes. On ne naît pas avec un téléphone portable dans la main.
Utiliser Facebook ou Instagram et faire une démarche en ligne, ce n'est pas la même chose. Demander à un jeune de faire suivre son CV, c'est lui dire deux mots qu'il ne comprend pas.
C'est pour cela que le ministère de l'Éducation nationale mène, avec Jean-Michel Blanquer, un travail important d'éducation numérique, avec une heure et demie de cours par semaine en seconde, l'identification des élèves en difficulté et l'accompagnement par les enseignants. Il y a encore beaucoup à faire mais c'est un sujet qui tient à coeur au Gouvernement.
M. Bruno Rojouan . - La stratégie française s'est longtemps concentrée sur les infrastructures en oubliant la fonction, et mis la charrue avant les boeufs. Nos concitoyens en payent le prix. Des actions ont pourtant été menées par des associations ou des collectivités territoriales pour lutter contre la fracture numérique, grâce à la familiarisation avec l'outil numérique dès le plus jeune âge à l'école, et à la formation des personnes en situation d'exclusion, notamment dans l'Allier, département où vous êtes à nouveau annoncé samedi, Monsieur le ministre.
Un changement de cap doit s'opérer sur cette question de la formation. Il faut passer d'une logique d'assistance à une logique d'autonomie numérique.
L'inclusion numérique est essentielle pour mener une vie normale. Comment les actions de formation lancées par le Gouvernement vont-elles évoluer à long terme ? Prudence, avant de substituer systématiquement le numérique à l'accueil !
M. Cédric O, secrétaire d'État. - J'ai décliné notre vision du numérique lorsque je me suis rendu dans l'Allier, au tiers-lieu du Mazier, dans le bocage numérique de Bourbon L'Archambault, pour signer les accords sur les conseillers numériques avec le président Claude Riboulet. Notre volonté à long terme est forte. Au-delà des 250 millions d'euros du plan de relance, nous voulons donner aux collectivités territoriales et aux associations les moyens d'embaucher des conseillers numériques, des médiateurs numériques, pour mettre en réseau les acteurs qui font un travail remarquable. Nous devons professionnaliser et structurer ce secteur à long terme.
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
Mme Patricia Demas . - Les conclusions du rapport de Raymond Vall montrent que la facture numérique s'aggrave. Les causes de l'illectronisme sont multiples. Il faut passer un cap pour bâtir une politique de l'inclusion numérique. Reste la question des moyens, qui demeurent insuffisants.
Les 4 000 conseillers numériques seront financés par l'État pour deux ans. Comment seront-ils recrutés ? Il serait utile pour les collectivités candidates que les délais de quinze jours accordés pour contractualiser puissent être étendus à un mois.
C'est l'intérêt in fine des recrutés. La question cruciale de la pérennisation de ces contrats à leur terme se pose, dans l'optique de la professionnalisation du secteur.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Une fois que la collectivité a candidaté, nous nous adapterons, même si nous souhaitons aller assez vite. Quelque 350 heures de formation sont en effet prévues et il faut que les conseillers soient rapidement opérationnels.
Les 250 millions d'euros pour l'inclusion numérique sont prévus pour deux ans et nous avons conscience que la question de l'illectronisme n'aura pas disparu...
Il y a quatre ans, 350 000 euros étaient prévus, aujourd'hui ce sont 250 millions d'euros ; nous sommes passés à une autre échelle. Bien sûr, cela ne s'arrêtera pas dans deux ou trois ans, mais nous faisons en sorte que les conseillers numériques soient déployés sur le terrain et c'est cela l'enjeu prioritaire.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen . - Je remercie l'ensemble des intervenants à ce débat. Le numérique irrigue tous les aspects de notre vie quotidienne. C'est une chance pour les citoyens, une opportunité pour revitaliser les territoires mais parfois aussi un handicap ou un facteur discriminant.
Le principe d'accessibilité aux services publics doit rester notre priorité.
Le groupe RDSE est vigoureusement attaché au principe d'égalité devant les services publics. Les personnes les plus fragiles sont souvent victimes d'exclusions administratives. Cela concerne toutes les générations. C'est pourquoi le programme Action publique 2022, qui prévoit de dématérialiser les 250 démarches administratives les plus courantes, nous préoccupe, sachant que 40 % des Français ne seraient pas à l'aise avec les démarches en ligne.
Nous ne sommes bien entendu pas opposés à la modernisation de l'administration, mais il faut respecter le principe de mutabilité des services publics.
Comme le disait Gaston Jèze, le pape des finances publiques, « L'organisation d'un service public proprement dit est susceptible d'être modifiée à tout instant. »
La dématérialisation - correctement préparée - est un véritable progrès. L'information doit être intelligible pour les usagers. Le numérique doit rester complémentaire des canaux traditionnels. Comme le soulignait notre ancien collègue Pierre-Yves Collombat : « la dématérialisation des démarches doit être pensée en fonction de l'usager réel et non de l'usager rêvé ».
Notre ambition collective ne doit pas se résumer à pallier la disparition des services publics sur les territoires. La dématérialisation ne doit pas être l'ennemie de l'aménagement du territoire, comme le préconisait le Défenseur des droits dans son rapport en 2019. Le recul de la présence humaine aux guichets et la dématérialisation ont été la source de nombreuses ruptures d'égalité entre les usagers.
La transformation numérique de l'État ne doit pas l'exonérer de l'exigence de simplification préalable des démarches ! La reconnaissance du droit à l'erreur est indispensable.
L'inclusion numérique est pour nous une priorité : passons des annonces aux actes, monsieur le ministre !
Espérons que les propositions de notre mission d'information éclaireront l'action du Gouvernement ! (Applaudissements)
La séance, suspendue à 20 heures, reprend à 20 h 20.