SÉANCE

du jeudi 3 décembre 2020

38e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : Mme Marie Mercier, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 10 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Hommage au Président Valéry Giscard d'Estaing

M. Gérard Larcher, président du Sénat . - (Mle Président, Mmes et MM. les sénateurs et M. le ministre se lèvent.)

C'est avec émotion et tristesse que nous avons appris dans la soirée d'hier la disparition du Président Valéry Giscard d'Estaing.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite rendre hommage, dans notre hémicycle, à un homme d'État au parcours exceptionnel, qui a profondément transformé notre pays.

Valéry Giscard d'Estaing a occupé successivement les plus hautes fonctions de la République, à chaque fois de manière précoce. Secrétaire d'État aux finances de 1959 à 1962, il devient ministre des Finances et des Affaires économiques en 1962, à 36 ans, sous la présidence du général de Gaulle. Il y restera jusqu'en 1966. Il occupe de nouveau ce poste de 1969 à 1974, sous le mandat du Président Georges Pompidou, avant d'être élu à la présidence de la République.

Valéry Giscard d'Estaing incarne alors l'avenir et le changement. Il admire profondément le général de Gaulle, même s'il lui arrivait parfois d'avoir des désaccords politiques ; rappelons-nous le « oui, mais ». N'oublions pas son engagement en 1944 dans la première armée française : il avait 18 ans.

Nous lui devons des slogans comme « le changement sans risque » ou quelques belles formules comme « Je voudrais regarder la France au fond des yeux. »

Président de la République à 48 ans, il entreprend alors une vaste politique de réformes, pour une démocratie renforcée, plus de libéralisme, pour faire entrer notre pays de plain-pied dans le monde moderne.

Il fut à l'origine d'un changement de style. Durant son quinquennat, l'injure au chef de l'État cesse d'être un délit. Il élargit la saisine du Conseil constitutionnel. Ce fut un changement capital, notamment pour les oppositions et les minorités du Parlement, salué par Michel Debré dans ses mémoires.

Il abaisse la majorité à 18 ans, humanise le divorce en introduisant le consentement mutuel, généralise la sécurité sociale à tous les Français, réforme l'ORTF : les organismes de radio et de télévision cessent « d'être la voix de la France ».

La loi Informatique et libertés et la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), c'est lui, avec le Président du Sénat, Alain Poher. Il crée un ministère de la Qualité de la vie, afin notamment d'endiguer l'urbanisation excessive.

Il tente de rassurer une opinion publique inquiète de l'insécurité, avec la loi Sécurité et liberté d'Alain Peyrefitte. Il prend des mesures en faveur des femmes. La création du secrétariat d'État à la Condition féminine, avec Françoise Giroud à sa tête, s'accompagne de l'accès à la contraception qui devient libre et gratuite. Mais surtout la loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG), que Simone Veil défendit avec noblesse et courage. Il manifesta sa résolution mais aussi son esprit d'indépendance.

Sous son septennat, les questions d'actualité au Gouvernement sont créées, pour le plus grand bonheur des ministres. (Sourires)

Européen convaincu, il relance le processus européen avec Helmut Schmidt, et contribue à créer le Conseil européen, réunion des chefs d'État et de Gouvernement, qui se réunit au moins trois fois par an. Jean Monnet reconnut que cela constitua la création la plus importante après le traité de Rome. Il fait adopter le principe de l'élection des élus au Parlement européen au suffrage universel direct. Le choix de Simone Veil comme premier président du Parlement européen à Strasbourg lui doit beaucoup. Il présida la Convention chargée de proposer une Constitution pour l'Europe.

Son échec en mai 1981 lui donne un sentiment d'injustice, exprimé dans son livre Le pouvoir et la vie. Il se tourne alors vers l'Auvergne chère à son coeur. Il y gravit à nouveau tous les échelons : député puis président du conseil régional.

La pensée de Valérie Giscard d'Estaing, dans La Démocratie française, est l'exhortation à l'apaisement politique, pour substituer le dialogue au conflit, la négociation à la lutte. Il nous enjoint à sortir de la bipolarisation.

Le Président Giscard d'Estaing était très attaché au bicamérisme. Il demeure le seul Président de la République à être intervenu au sein même de cet hémicycle, le 27 mai 1975, à l'occasion du centenaire du Sénat de la République.

Évoquant la Troisième République, il affirma : « plus circonspect que la Chambre [des députés], moins sensible qu'elle à la séduction des idéologies non encore éprouvées au contact des réalités, le Sénat a apporté dans la gestion des affaires publiques le concours de l'expérience et de la sagesse », comme un écho au discours de Bayeux du général de Gaulle en 1946.

Nous garderons tous le souvenir d'une personnalité d'une grande intelligence, d'un président moderne et réformateur, militant de la construction européenne. Je lui rendais visite chaque année, et j'étais toujours marqué par son intelligence fulgurante.

À son épouse Anne-Aymone, à ses enfants, à toute sa famille et à ses proches, ainsi qu'à tous ceux qui ont partagé ses engagements et ses combats, je présente mes condoléances.

Ayons ce temps de pensées, de partage de peine mais aussi d'unité. Soyons non pas deux mais trois Français sur trois à croire en la République, en ses valeurs, en la diversité. Alors que nous allons examiner les crédits de la mission outre-mer, je ne peux m'empêcher de souligner l'intérêt que Valéry Giscard d'Estaing portait à l'outre-mer. Il fut le premier Président de la République à se rendre sur l'île de Wallis, et fit organiser le référendum des Comores, avec les conséquences que l'on sait.

Merci à la présidente Laurence Rossignol de lui avoir rendu hommage hier soir au cours de nos travaux, et d'avoir montré que le Sénat était attentif, dans sa diversité, à ce grand homme d'État.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer . - C'est avec beaucoup d'émotion que je m'associe à cet hommage. Le Président de la République s'adressera à la Nation ce soir.

Monsieur le Président, vous avez souligné l'intérêt que Valéry Giscard d'Estaing portait aux outre-mer. Valéry Giscard d'Estaing était « le prince qui a fendu les océans ». Il s'est rendu durant son septennat dans tous les territoires d'outre-mer, sauf la Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il a marqué les Antilles lors d'un déplacement compliqué, durant lequel il a su trouver les mots. Il a mis ces territoires au coeur de la diplomatie en y recevant le président américain Gerald Ford, puis lors d'un sommet avec les dirigeants américain, britannique et allemand.

Il a pris une décision difficile sur les Comores, qui a préfiguré la départementalisation de Mayotte. Son Premier ministre, Raymond Barre, avait un lien charnel avec La Réunion.

Dans le Pacifique, il fut le premier Président de la République à se rendre à Wallis, et y annonça l'arrivée de la radio. Rappelons le rôle du président Valéry Giscard d'Estaing pour la Polynésie, avec ce cheminement sur le statut d'autonomie. En Nouvelle-Calédonie, territoire que je regarde avec tendresse mais inquiétude, il fut le premier président à lancer la grande réforme foncière, le plan Dijoud, premier acte de rééquilibrage en faveur des Kanaks.

Je garde le souvenir d'un homme intelligent, érudit, très drôle, curieux, bienveillant et parfois taquin, passionné par les éoliennes et le nucléaire, et par la place de la France en Europe.

Il a occupé avec plaisir des fonctions exécutives locales, notamment à la présidence du conseil régional d'Auvergne. Je salue son humilité après la présidence de la République, ainsi que son parcours d'homme de lettres - il était académicien. Il n'eut qu'un seul tort, ne pas être sénateur. (Sourires) Cependant, il a défendu le bicamérisme avec passion mais aussi un grand sens de l'équilibre.

(Mesdames et messieurs les sénateurs et le ministre observent un moment de recueillement.)