L'Agence nationale de la cohésion des territoires, un an après sa création
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat portant sur l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), un an après sa création, à la demande du groupe RDSE.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Deux ans après l'examen de la proposition de loi qui la créait, un an après sa création juridique, le RDSE a souhaité que le Sénat, chambre des territoires, puisse s'exprimer sur l'ANCT.
Cette agence a été mise en place après le constat d'une carence de l'ingénierie territoriale sur des pans entiers du territoire, avec le désengagement de l'État. Cette carence accentue la fracture territoriale.
Notre pays doit s'engager résolument dans la transition écologique, énergétique et numérique des territoires qui doivent révéler leur potentiel.
Face à la crise sanitaire, les élus locaux veulent accroître la résilience économique mais aussi durable de nos territoires, garante d'une relance pérenne. Que demandent-ils ? De l'équité et les mêmes chances de développement pour tous, pour répondre aux besoins de nos concitoyens. Rien de plus, rien de moins que l'application de l'article premier de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Pour cela, l'État doit soutenir l'autonomie des collectivités territoriales, intervenir là où cela est strictement nécessaire. Le principe d'action de l'ANCT doit donc reposer sur la subsidiarité, afin de passer d'un État Léviathan à un État protecteur et facilitateur qui renforce la décentralisation grâce à la déconcentration.
Nous ne voulons pas plus d'État ni moins d'État mais mieux d'État !
Le deuxième élément de diagnostic était la complexité administrative. À défaut de réussir la simplification des normes ou des circuits de financement, ce guichet unique devrait permettre de rompre avec la verticalité et le cloisonnement des services administratifs. Cela supposait de revenir sur la perte de 30 % des effectifs des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) entre 2012 et 2018.
Hélas, elles sont encore en difficulté. Josiane Costes et Charles Guené recommandaient dans leur rapport de juillet dernier de mettre en place un tel guichet unique, « en confortant les moyens des services déconcentrés et en association avec les partenaires locaux ».
Il fallait aussi - comme Jacqueline Gourault l'avait annoncé en novembre 2019 - sortir de la logique des appels à projets, auxquels ne peuvent répondre que les collectivités, toujours les mêmes, disposant de services techniques et de moyens financiers.
Lors du PLF pour 2020, le groupe RDSE avait fait voter un amendement doublant les crédits consacrés à l'ingénierie territoriale. Je me réjouis qu'il soit reconduit dans le PLF pour 2021.
L'ANCT, qui n'est ni indépendante ni inscrite dans l'architecture classique de l'administration, suppose un changement de culture administrative.
La transformation de l'action publique ne peut se faire en un an, encore moins dans un contexte de crise, et il ne faudrait pas dresser un bilan prématuré, mais il est temps d'engager ce changement de modèle et de travailler en mode projet.
Nous ne sommes pas en guerre - contrairement à ce que certains disent. Toutefois, je citerai Georges Clemenceau (Sourires), le Tigre, alors président du Conseil et ministre de la guerre, qui disait dans sa célèbre circulaire du 13 décembre 1917 : « Les services du département de la Guerre ne sont pas tous suffisamment dégagés de certaines méthodes de travail dont la lenteur ne correspond pas aux nécessités de l'heure présente. Les errements du temps de paix continuent. Il est urgent qu'une chasse obstinée soit faite à tous les temps morts qui ralentissent encore la machine administrative : l'intérêt des pays l'exige ». (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité . - Merci au groupe RDSE pour ce débat. Certes, l'ANCT n'a pas tout à fait un an, puisqu'elle n'a été juridiquement créée que le 1er janvier 2020, et sa mise en place a nécessité plusieurs mois de travail. Merci aux services de l'ANCT mis à ma disposition dans le cadre de la politique de développement des territoires ruraux qui m'a été confiée par le Premier ministre et le président de la République.
À ce titre, je suis chargé de la mise en oeuvre de l'agenda du rural : les avancées du dernier comité interministériel du 14 novembre ont été saluées de toutes parts et démontrent tout l'intérêt de l'ANCT. Nous avons initié un nouveau dispositif : le volontariat territorial en administration (VTA), sur le modèle du volontariat territorial en entreprise (VTE). Il permettra à 800 jeunes, à terme, de fournir un apport précieux d'ingénierie aux collectivités, dans un partenariat gagnant-gagnant au service des territoires et de la jeunesse.
En lien avec le ministère de l'Agriculture, les projets alimentaires territoriaux (PAT) en sont un autre exemple : ils bénéficient de 80 millions d'euros, dont 5 millions d'euros dédiés à l'ingénierie.
L'Agence a aussi pour objectif de simplifier les relations entre l'État et les élus locaux. L'ANCT est déconcentrée, les préfets étant les délégués départementaux dans les territoires. Les commissariats de massif sont également des relais territoriaux de l'Agence. Les associations d'élus entre autres sont membres du conseil administratif de l'agence, présidée par Caroline Cayeux, maire de Beauvais.
Ainsi, l'ANCT, bras armé de la politique de cohésion des territoires, agit à travers plusieurs programmes : Action coeur de ville, avec 222 villes accompagnées à hauteur de 1,4 milliard d'euros depuis deux ans, à terme de 5 milliards d'euros, Petites villes de demain, avec 170 communes sélectionnées dans trois régions, Territoires d'industrie. L'Agence soutient l'ingénierie en dehors de tout programme, avec 20 millions d'euros en 2021.
Le doublement des crédits à l'ingénierie était une demande forte du ministère, pour aider toutes les collectivités à monter leurs projets, notamment à travers les crédits de la relance.
Comme le Premier Ministre, je crois que la relance se fera par les territoires. Plusieurs chapitres du plan de relance concernent l'ANCT, qui assurera la gestion des fonds de subvention d'investissements mis en place par l'État pour la rénovation des bâtiments, des réseaux d'eau potable et d'assainissement, soit 180 millions dont 60 millions d'euros sur les deux premières années.
L'ANCT sera présente sur l'ensemble du champ de l'action publique : industrie, transition écologique, mobilités, jeunesse, numérique mais aussi culture. Forte de son exemple de contractualisation, elle aidera à la mise en place des contrats de ruralité et de transition écologique dans les territoires ruraux.
L'Agence est pleinement opérationnelle pour remplir les missions que lui a confiées la loi.
M. Guy Benarroche . - L'ANCT est née d'une demande forte d'accompagnement des élus locaux ; les projets ont dû s'effacer devant la gestion de la crise sanitaire, mais la relance devra les mobiliser, notamment avec une visée écologiste voulue par les nouvelles équipes municipales.
Avec une bienveillance naturelle pour un nouveau-né, je poserai deux questions : quelle sera l'évaluation du service rendu par l'Agence, en termes de gains de temps ou de baisses des coûts ?
Certaines collectivités territoriales sont parfois enfermées dans un modus operandi ; comment doper le réflexe ANCT auprès des élus ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les élus locaux sont très impliqués dans les projets de l'Agence : son conseil d'administration compte de nombreux représentants d'associations, d'élus et de parlementaires. En tant que parlementaire, j'avais insisté pour qu'y siège un représentant des élus de montagne.
Au niveau local, même chose. L'ANCT intervient en appui des collectivités en concertation avec les préfets. Ces projets sont ensuite financés grâce à des crédits déconcentrés mis à disposition de préfets. C'est donc une logique inverse à ce qui se fait habituellement. Les programmes seront suivis de façon précise par les objets de la vie quotidienne (OVQ).
M. Bernard Buis . - Merci au RDSE pour ce débat. L'une des premières missions de l'ANCT est d'accompagner les collectivités les plus fragiles, qu'elles soient urbaines, périurbaines, rurales ou ultramarines.
À cet effet, elle disposait de 54 millions d'euros. Le PLF pour 2021 porte cette subvention à 61 millions d'euros. Avec un tel budget et avec 300 ETP, comment entend-elle participer à la mise en oeuvre du plan de relance ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La philosophie du plan de relance est territorialisée, en parfaite concordance avec la démarche de l'Agence. Plusieurs de ses programmes seront mobilisés : ACDV, PVDD, Territoires d'industrie, Nouveaux lieux, nouveaux liens, Inclusion numérique, divers programmes de la ville... Pour Territoires d'industrie, ce sont 400 millions d'euros pour 2020-2022 qui sont inscrits dans le plan de relance.
La contractualisation avec les collectivités territoriales créera un effet de levier sur les crédits de l'État. Les crédits supplémentaires permettront aux préfets de département de mobiliser pleinement l'ingénierie locale disponible.
Mme Guylène Pantel . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Les missions de l'ANCT la rendront incontournable, notamment pour les territoires hyperruraux comme la Lozère.
Nous voyons les premiers effets de l'ingénierie locale, mais cela ne suffit pas à compenser le retrait des services de l'État.
Les propositions 15 et 16 du rapport de Josiane Costes et Charles Guené portent sur la création d'une plateforme numérique centralisant les moyens d'ingénierie publique et la diffusion des bonnes pratiques.
Quelle est la stratégie de l'ANCT en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La loi donne pour mission à l'ANCT de s'assurer de la disponibilité en ingénierie, qui est actuellement morcelée entre différents acteurs et inégalement accessible sur le territoire. Différentes plateformes ont été développées : annuaires, guides, boîtes à outils, retours d'expériences abondent. Plutôt que de développer un outil propre, l'ANCT a souhaité s'appuyer sur la plateforme Aides-territoires, développée par le ministère de la transition écologique. Ce portail internet référence les aides pour tous les territoires. Cela permet de faire un état des lieux des aides publiques disponibles sur un territoire et d'améliorer la communication.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Il y a un an, le Parlement votait la création de l'ANCT à la suite du rapport Morvan. Elle suscitait une vague d'espoir, les élus espérant financement et accompagnement, eux qui subissent le désengagement du Gouvernement tant pour l'ingénierie que pour les services publics de proximité et les dotations.
Face à ce constat, l'ANCT peine à convaincre : elle renforce les pouvoirs des préfets, et n'a été sollicitée que pour 81 projets locaux hors programmes nationaux, dont 70 opérations de restructuration commerciales déjà en cours.
Seuls 20 millions d'euros sont affectés aux nouveaux projets d'ingénierie, une somme dérisoire. Les opérateurs de l'État en matière écologique vont perdre 800 postes, ce qui pénalisera l'Agence. Quelle est sa véritable valeur ajoutée ?
Comment faire toujours plus avec toujours moins, monsieur le ministre ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Vous êtes un peu dure avec l'ANCT, nouveau-né que vous jetez déjà avec l'eau du bain !
Cette agence a été créée pour multiplier les partenariats avec les autres agences de l'État qui vont mutualiser leurs moyens au bénéfice des collectivités territoriales. Le dialogue entre maires, collectivités territoriales et préfets a fait ses preuves, notamment durant la crise sanitaire.
Nous mettons des moyens d'ingénierie centraux : l'Anah, la Cerema ou d'autres agences peuvent intervenir pour créer du « cousu main », plus accessible aux territoires.
Les VTA vont permettre à 800 jeunes diplômés vont développer les projets avec l'ANCT et les préfets.
Les territoires reprennent leur droit à exister au travers des projets que nous lançons.
Mme Françoise Gatel . - Je salue l'initiative du groupe RDSE qui a permis la création de l'ANCT. La délégation aux collectivités territoriales s'est intéressée à cette Agence. Le rapport Guéné-Costes a formulé treize propositions. Qu'en pensez-vous ?
Comment éviter que l'Agence ne soit le bras armé de l'État pour aider les collectivités à répondre à des appels à projets ? Comment l'articuler avec des agences départementales ?
Notre Délégation aux collectivités territoriales pourra-t-elle suivre l'efficacité et le travail de l'ANCT par le biais d'un tableau de bord ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Madame Gatel, je suis donc invité à venir voir la Délégation aux collectivités territoriales ! (Sourires)
Pour 2021, l'ANCT dispose de 20 millions d'euros de crédits d'ingénierie, mais elle fait aussi office de mécano pour rassembler tous les acteurs autour des projets. Ancien président d'un comité de massif, j'ai eu recours à cette méthode.
L'ANCT est aussi un pourvoyeur de bonnes pratiques. Sa doctrine d'intervention repose sur trois principes : la complémentarité, avec l'intervention des acteurs locaux, notamment les départements ; la déconcentration, avec le préfet comme premier interlocuteur ; la simplification, avec les conventions entre l'ANCT et les grands opérateurs de l'État.
Mme Françoise Gatel. - Notre délégation sera ravie de vous recevoir. Il faut que ce nouveau-né grandisse vite et bien, et que les élus locaux puissent saisir l'Agence rapidement car il y a un vrai besoin d'ingénierie dans nos territoires, notamment juridique.
M. Joël Bigot . - Je remercie le groupe RDSE pour ce débat. L'affaiblissement de l'État territorial a renforcé les inégalités entre territoires, notamment en matière d'ingénierie.
Les collectivités territoriales les plus fragiles se focalisent sur une logique où l'investissement opérationnel prime sur les études en amont, alors que celles-ci permettent de faire des économies en aval.
L'ANCT serait une fabrique à projets à la main de préfets pour venir en aides aux territoires les plus vulnérables. Pour le moment, c'est plus une espérance qu'une réalité. Le programme Petites villes de demain vient d'être lancé, comme le plan de relance.
Quelle complémentarité envisagez-vous entre ingénierie nationale et locale : mutualisation contractualisation, labellisation ? Pouvez-vous nous fournir une cartographie précise des moyens d'ingénierie publics existants ? Qui attribuera les crédits in fine ? L'ANCT, le DGCL ou les comités locaux de cohésion des territoires ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Des dispositifs d'appui à l'ingénierie locale ont été déployés dans plusieurs départements.
L'offre de l'ANCT n'a pas vocation à entrer en concurrence avec l'existant, mais bien à être complémentaire. C'est pourquoi chaque préfet décide de la composition des comités locaux de cohésion territoriale.
Une collectivité territoriale qui a un besoin pouvant aisément être satisfait devra pouvoir bénéficier de l'aide de l'ANCT.
L'Agence propose une offre d'ingénierie sur mesure pouvant combler des manques locaux grâce à la mobilisation d'opérateurs comme l'Ademe, l'Anru, le Cerema, la Banque des Territoires, mais aussi ceux des collectivités territoriales.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Un an après sa création, il y a eu quelques retards dans le démarrage de l'ANCT. Mais je salue la présidente Caroline Cayeux et le directeur général Yves Le Breton pour leur travail.
Il faut mieux faire connaître l'action de l'ANCT en matière d'accompagnement des territoires et son rôle pivot de mutualisation des ressources locales et d'ingénierie, dont les crédits ont doublé en 2020. Évitons aussi que les grandes agglomérations aspirent l'essentiel des financements au détriment des territoires le moins outillés : proposons du cousu main.
Il faut garantir le rôle de l'ANCT dans la territorialisation du plan de relance - je m'inquiète de l'absence de référence à l'Agence dans la circulaire du Premier ministre.
J'espère que 2021 montrera l'efficacité de l'Agence : dans l'esprit du rapport que j'avais écrit en 2016 avec mon collègue Hervé Maurey, il faut savoir « qui fait quoi ».
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Je salue votre rôle dans la création de l'Agence ; vous étiez le rapporteur du texte au Sénat...
Vous avez raison sur le cousu main : évitons que les grandes agglomérations aspirent l'essentiel des crédits du plan de relance ou de la DSIL.
La déconcentration permet d'avoir un dialogue avec le préfet, interlocuteur unique des collectivités territoriales, ce qui est plus simple et qui permet de mieux coordonner les opérateurs de l'État.
Les 800 VTA sont un élément important de l'agenda rural, que suivent le député Labaronne et le sénateur Joly. L'ingénierie sera placée au sein des collectivités territoriales de base, grâce à ces jeunes diplômés. J'en ai fait l'expérience localement. Un jeune motivé aide au développement de ces projets.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci de votre vision très positive. À défaut de Dieu (Sourires), j'espère que les services vous entendront pour une bonne coordination des actions de l'Agence.
M. Pierre Médevielle . - Lors de la campagne pour les sénatoriales de cette année, j'ai noté inquiétudes et espoirs au sujet de l'ANCT. Les relations avec les Dreal et les ARS semblent se dégrader, perçus par les élus plus comme des censeurs que des partenaires.
L'ANCT doit faire face à la crise sanitaire. Les nouveaux élus locaux voient les difficultés s'accumuler et leurs demandes se diversifient.
L'ANCT doit améliorer l'ingénierie territoriale. La territorialisation du plan de relance place cet Agence comme acteur principal. La confiance dans son bon fonctionnement est donc essentielle.
Il faut renforcer le pouvoir des préfets, pour profiter pleinement du concept séduisant de « guichet unique ».
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Dans votre département, le comité local de cohésion territoriale a été installé le 4 novembre. La feuille de route a été tracée : il s'agit de faire connaître les apports en matière d'ingénierie territoriale, d'identifier les projets concrets qui pourraient bénéficier de cet appui et les éventuels partenaires. Enfin, il convient de rappeler les priorités : zéro artificialisation des terres, gestion en eau, souveraineté alimentaire et énergétique.
Voici quelques projets retenus : opération de revitalisation du territoire de Saint-Gaudens, accompagnement du projet de territoire à Fronton, méthaniseurs à Boulogne-sur-Gesse...
La délégation mettra en place des webinaires de présentation avec les maires dès décembre prochain.
La mission de l'ANCT va dans le sens du développement local.
M. Pierre Médevielle. - Il faut normaliser les relations entre l'administration et les collectivités territoriales ; évitons d'ouvrir les parapluies quand il fait beau et relançons sur les territoires ruraux les investissements et l'activité économique.
M. Jean-Paul Prince . - La création de l'ANCT apparaît d'autant plus justifiée dans le contexte de crise sanitaire et économique. Les collectivités territoriales sont aux avant-postes. La distanciation sociale, les achats de matériels ont eu un coût important, surtout pour les petites communes.
À l'avenir, il faudra prévoir des dispositifs de test des eaux usées, pour détecter le virus. La politique de prévention et de lutte contre les épidémies sera remaniée tant au niveau national et local. Certes, il ne faut pas faire reposer toute la charge sur l'État et encore moins sur l'ANCT, mais il faudra aider certaines collectivités en difficulté.
L'ANCT prévoit-elle un dispositif spécifique d'aide aux collectivités territoriales dans la lutte contre le risque épidémique ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le compte Covid propose des dispositifs avec l'étalement des dépenses sur cinq ans.
Autorité de coordination inter-fonds, l'ANCT pilote les conditions opérationnelles de mobilisation des fonds européens, notamment contre la covid-19.
Face à l'épidémie, plusieurs niveaux sont sollicités. Le règlement du Feader du 30 mars permet de mieux répondre aux crises dans le domaine sanitaire et le FSE participe à l'achat de matériels médicaux.
Des travaux ont été menés entre Régions de France, les autorités de gestion des fonds européens, les services de l'État et les services de la Commission européenne. Les problématiques ont été bien identifiées.
Mme Martine Filleul . - La crise sanitaire a révélé que l'inégal accès au numérique renforce les injustices. Travailler, étudier, se soigner est difficile pour beaucoup.
Quelque treize millions de Français sont exclus du numérique, chiffre qui serait sous-évalué. Cet échec - car il faut l'appeler ainsi - est lié à l'absence de rationalisation de l'action publique, à la dispersion des ressources et la multiplication des niveaux de décision. Conséquence, le Pass numérique par exemple est faiblement utilisé.
Certes, 250 millions d'euros de l'ANCT sont prévus pour l'appropriation du numérique par tous, mais c'est insuffisant, il faut aussi que cet argent soit bien utilisé. Nous avons besoin d'un chef d'orchestre, l'ANCT pourrait le devenir, est-elle prête à cela ? Si oui, comment ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Vous avez raison de poser cette question. L'accès au numérique est essentiel, la crise sanitaire l'a bien montré. L'ANCT travaille sur le sujet. Quelque treize millions de Français sont en difficulté vis-à-vis du numérique, pour diverses raisons, niveau d'études, âge, pauvreté, territoire,...
Jacqueline Gourault et Cédric O ont annoncé mercredi, à l'ouverture de l'édition 2020 du forum Numérique en commun(s), les principales mesures du plan de relance en faveur du numérique. Il s'agit de donner un coup d'accélérateur afin de mener une vraie politique publique, que vous appelez de vos voeux, avec 250 millions d'euros. Quelque 4 000 conseillers numériques France Services seront recrutés et déployés sur le territoire avec 200 millions d'euros pour leur formation, et 40 millions d'euros permettront de financer des kits d'inclusion numérique.
M. Mathieu Darnaud . - Nous rejoignons votre ambition pour la ruralité. Mais les élus ont besoin d'une agence agile et rapide, qui maîtrise les fonds du plan de relance pour les employer au plus tôt. L'ANCT ne doit pas réinventer l'eau chaude !
Pourriez-vous vous engager à ce qu'il n'y ait aucune forme de concurrence avec les services d'ingénierie existants, syndicats mixtes ou même Cerema ?
Il y a une forme de désespérance des élus territoriaux, qui ne sont pas entendus sur la téléphonie ou les axes de mobilité interdépartementaux, comme je le vois en Ardèche.
L'Agence doit également être une caisse de résonance des difficultés des élus sur le territoire, avec une juste articulation avec les autres structures.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Je tiens à la complémentarité des services qui interviennent sur le territoire, dont l'ANCT. Celle-ci a aussi vocation à écouter et faire remonter les éventuelles difficultés locales : vous pouvez saisir mon cabinet, notre porte est ouverte, si vous constatez un raté local. Car nul n'est parfait... heureusement ! (Sourires)
La complémentarité avec le Cerema, dont le conseil d'administration souhaite renforcer la part de son activité destinée aux collectivités territoriales, me semble intéressante : le centre s'inscrit en appui de l'ANCT, dans ses domaines d'expertise. Il peut effectuer gratuitement trois à cinq jours d'intervention auprès d'une collectivité territoriale et, au-delà, intervenir sur la base d'une convention. Sur son programme d'expertise touchant les ponts, j'invite les collectivités territoriales à utiliser ses compétences.
M. Mathieu Darnaud. - Nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour vous faire un retour sur ce qui se passe, notamment en Ardèche. L'agilité est fondamentale pour la nouvelle agence.
M. Gilbert-Luc Devinaz . - L'ANCT a vocation à travailler avec les acteurs existants, dont le Cerema, point d'appui pour développer ses politiques, comme le rappelait la ministre de l'Écologie hier lors de son audition. Or le centre voit ses moyens humains et financiers se réduire, à rebours des discours gouvernementaux. Il a perdu 188 postes en deux ans. Ses agents ressentent une perte de sens et une surcharge de travail, une dégradation de leur performance opérationnelle. La communication entre l'ANCT et le Cerema ne prévoit aucune participation financière de l'une à l'autre. Comment allez-vous préserver le Cerema ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le Cerema est un partenaire majeur de l'ANCT ; il est cité à trois reprises dans la loi de 2019 de création de l'agence, et il est représenté à son conseil d'administration et à son comité national de coordination.
Les échanges entre eux sont réguliers. Le Cerema, avec ses 2 600 agents qui sont des experts reconnus, est l'établissement de référence sur la gestion des risques - on le voit dans la vallée de la Roya -, les mobilités, l'aménagement rural et urbain. Ses outils sont nombreux. Il a par exemple conçu Cartofriches, une cartographie bien utile pour l'intervention du fonds de réhabilitation des friches. Un programme doté de 40 millions d'euros permettra aussi de mettre son expertise sur les ouvrages d'art à disposition des collectivités territoriales. Il s'agit d'un vrai partenariat au bénéfice des collectivités.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Cependant, augmenter la charge des services et « en même temps » diminuer leurs effectifs, c'est comme accroître les efforts sur un arbre en réduisant son diamètre : ça finit par casser !
M. Stéphane Sautarel . - L'ANCT, même si sa création avait été annoncée dès la Conférence des territoires, est fille du grand débat qui a suivi la crise des Gilets jaunes. L'Agence est encore une coquille plutôt vide ; il est encore difficile de mobiliser les ressources d'ingénierie des administrations centrales et des opérateurs nationaux en complément des préfectures et services déconcentrés.
C'est une réponse encore trop verticale et centralisée aux besoins d'ingénierie locale. Le diagnostic est juste et l'ambition légitime, mais la réponse pas suffisamment pragmatique. Il faut ajouter aux 3D annoncés le C de confiance ! Le comité local de cohésion territoriale présidé par le préfet ne pourrait-il pas être coprésidé par le président du conseil départemental ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le plan de relance est une réponse territorialisée à la crise. L'Agence est l'opérateur dédié à l'accompagnement des projets des collectivités territoriales. Elle n'a pas été créée ex nihilo : elle a été instaurée pour regrouper et coordonner des structures existantes. Il n'y a plus d'électrons libres !
L'action de l'Agence mobilisera des crédits inscrits dans le plan de relance, programmes de densification et de renouvellement urbain, de réhabilitation des friches, etc. La volonté d'agir en synergie est là et certains présidents de conseil départemental coprésident déjà avec le préfet des comités locaux de cohésion territoriale. Cette double gouvernance ne pose donc aucun problème ; il suffit de la mettre en oeuvre localement.
Mme Marta de Cidrac . - Les dirigeants de l'ANCT, Caroline Cayeux et Yves Le Breton, ont été auditionnés au Sénat en juin dernier par la délégation aux collectivités territoriales. Ils ont été interrogés sur le soutien aux communes des territoires fragiles. Ma question, dans le prolongement des propositions du rapport d'information de Josiane Costes et Charles Guené, porte sur le programme « Petites villes de demain ». Entre 800 et 1 000 communes de 20 000 habitants donnent des signes de fragilité, devenus depuis le premier confinement des signes de grande vulnérabilité. Les élus locaux sont en première ligne, mais ils attendent un soutien de l'État. Les répercussions économiques des deux confinements seront-elles prises en compte dans ce programme ? Quels seront les critères de sélection?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le programme « Petites villes de demain » concerne les villes-centres ou les bourgs-centres de moins de 20 000 habitants, mais sans plancher. À ce stade, trois régions sont concernées : La Réunion, Sud PACA et Centre-Val de Loire. Dans les Combrailles par exemple, en Puy-de-Dôme, il y a trois anciens chefs-lieux de canton en souffrance : c'est le deuxième critère, la fragilité au regard des responsabilités de centralité. Les candidatures peuvent donc être regroupées au sein d'une intercommunalité. Les fragilités économiques constatées du fait de la crise ont été prises en compte dans les critères finaux. Les propositions faites correspondent à 99 % au sentiment des maires et des populations.
Mme Marta de Cidrac. - Vous n'avez pas répondu précisément à ma question. Je retiens que les conséquences des confinements seront prises en compte sur la base du critère de centralité, mais il méritera d'être précisé.
M. Édouard Courtial . - A-t-on encore la liberté d'habiter à la ville ou la campagne ? Les territoires ruraux ont des difficultés, mais aussi des atouts !
L'ANCT avait suscité des réserves lors de sa création. Transformer cette agence en machine technocratique serait contreproductif. Elle ne doit pas nuire aux collectivités territoriales en accaparant des ressources et en se substituant à leur action. Sinon, elle risque de créer des déceptions. Il faut se garder d'alimenter la défiance des élus locaux, alors que le sentiment d'être dépossédés de leurs compétences et de leurs moyens n'a jamais été si fort, tandis que les demandes de leurs administrés augmentent.
Quel rôle pour eux dans les discussions avec l'Agence, à l'occasion du plan de relance ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les élus locaux sont très impliqués dans la vie et les projets de l'ANCT. Son conseil d'administration est composé notamment d'élus, avec quatre parlementaires et dix associations d'élus. Au niveau local, les comités de cohésion territoriale associent très largement les élus locaux. C'est le bon moyen pour prendre en compte les réalités du terrain. L'Agence fournit un appui sur-mesure aux collectivités territoriales et accompagne les élus sur la base de leurs souhaits et de leurs besoins, sans imposer de cadres prédéfinis à Paris : j'en suis le garant, comme élu d'un territoire très spécifique !
M. Charles Guené . - J'ai publié avec Josiane Costes, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, un rapport d'information avec 25 propositions. Nous avons voulu mettre en parallèle les ambitions de l'ANCT et les besoins d'ingénierie sur le terrain, en rappelant la volonté originelle du législateur. Nous avons instauré un dialogue fructueux avec l'administration qui mettait en place l'agence. Nous insistions sur le sur-mesure nécessaire dans l'accompagnement de projets.
Nous sommes assez confiants sur la mission de l'agence, qui est de réorganiser l'action de l'État et la conduite des politiques territoriales. Cependant, malgré les difficultés liées à la pandémie, où en êtes-vous sur cette démarche ? Un état des lieux s'impose.
Nous avons constaté une grave sous-consommation des crédits du logement en outre-mer, qui serait liée à un manque d'ingénieurs sur place : où en est le déploiement de l'ANCT outre-mer ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les territoires ultramarins sont une priorité d'intervention pour l'ANCT. La situation étant très dégradée sur place, le déficit d'ingénieurs criant, des mesures d'accompagnement spécifiques sont nécessaires dans toutes les phases des projets. Des travaux sont en cours avec les opérateurs partenaires de l'ANCT, ainsi qu'avec l'Agence française de développement (AFD) et la direction de l'outre-mer, pour mettre en exergue une feuille de route adaptée à ces territoires et établir des projets prioritaires, en particulier les programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain ».
M. Éric Gold, pour le groupe RDSE . - Nos débats illustrent les attentes et les inquiétudes que suscite l'ANCT. Réforme cosmétique ? Lourdeur administrative supplémentaire ? Les principes d'action de l'agence interrogent. J'espère que la période de flottement, constatée depuis la création, ne durera plus. Le législateur avait pourtant été clair sur les objectifs !
Le rapport de nos collègues Guené et Costes mettait l'accent sur le sur-mesure : c'est essentiel pour éviter le saupoudrage. Le pouvoir réglementaire doit définir des circuits efficaces de décision, comme l'a recommandé le Conseil d'État.
L'Agence doit également être dotée de ressources suffisantes. Les critères de sélection des projets et le rôle des différentes instances mériteraient également d'être précisés.
Les préfets, en tant que délégués territoriaux, sont pour les élus des portes d'entrée vers l'agence, mais ils ont bien d'autres attributions, et des moyens réduits. Pourquoi ne pas nommer des sous-préfets à la cohésion territoriale et redéployer en priorité dans les départements ruraux une partie de l'administration centrale ?
Merci, monsieur le ministre, pour les précisions que vous nous avez apportées et pour votre visite dans le Puy-de-Dôme.
Je vous invite à mettre en oeuvre les recommandations du rapport de nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
La séance, suspendue à 18 h 5, reprend à 18 h 10.