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Table des matières
Financement de la sécurité sociale pour 2021 (Suite)
Mises au point au sujet de votes
Débat sur l'alimentation durable et locale
M. Frédéric Marchand, pour le RDPI
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Nouvelle lecture)
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des finances
M. Cédric O, secrétaire d'État
Ordre du jour du mercredi 18 novembre 2020
SÉANCE
du mardi 17 novembre 2020
24e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Financement de la sécurité sociale pour 2021 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes puis un scrutin public ordinaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Explications de vote
M. Stéphane Ravier . - Avec un solde négatif de 49 milliards d'euros en 2020 et un déficit annoncé de 27 milliards d'euros en 2021, les dépenses de la branche maladie explosent. Si vous aviez pris des mesures structurelles pour préparer l'avenir, nous pourrions le tolérer, mais ce n'est pas le cas.
Les recettes se sont effondrées en raison d'un ralentissement économique majeur engendré par un confinement économiquement suicidaire. Notre pays impose à ses entreprises des mesures de plus en plus drastiques et incohérentes. Par exemple, les fleuristes pourront vendre des sapins en extérieur, mais les foires à santons, aussi en extérieur, sont interdites. Vous menacez 400 emplois !
Pour redresser les comptes sociaux, il va falloir retrouver la raison et la liberté de travailler, sinon d'autres conséquences seront à déplorer. Santé Publique France a publié un rapport alarmant sur la santé mentale des Français qui s'est sensiblement dégradée entre septembre et novembre. Nous sommes dirigés, non par un président mais par le premier soviet entouré de son politburo. (Exclamations sur toutes les travées) Vladimir Emmanuelovitch Macron décide de tout ! (Même mouvement) L'heure de sortie et de retour à notre domicile, où nous pouvons nous déplacer, qui a économiquement le droit de vivre ou de mourir, jusqu'à l'endroit où nous pouvons prier...
Le tout sans rendre compte au Parlement ! Votre Gouvernement contrôle le peuple plutôt que l'épidémie. La République soviétique française est en marche !
J'ai déposé une proposition de loi afin de reverser le montant des amendes pour non-respect du confinement aux hôpitaux, soit 165 millions d'euros, et en ai cosigné une autre imposant d'indiquer le lieu de fabrication des médicaments. Réorientons les dépenses de santé vers des médicaments français, il y va de notre souveraineté et de notre sécurité sanitaire !
La Macronie a créé un million de pauvres et 100 000 sans domicile fixe supplémentaires en trois ans. Voilà le nouveau monde antisocial d'Emmanuel Macron ! Tout ne peut pas être mis sur le dos du pangolin.
Il est temps de mener une véritable politique s'appuyant sur la priorité nationale à l'embauche et de lutter contre la fraude sociale et fiscale.
Je refuse de cautionner cette gestion court-termiste. (Protestations)
M. le président. - Il faut conclure !
M. Stéphane Ravier. - Mon vote sera défavorable.
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires sociales a entrepris l'examen du PLFSS en responsabilité. Le Sénat a approuvé certains choix du Gouvernement, s'est opposé à d'autres et a alerté sur ceux de demain. En responsabilité, il a accepté des déficits historiques et un endettement record, afin de tout faire pour éviter l'effondrement économique, et mené une opération vérité sur les dépenses qui relèvent de l'État et celles qui relèvent de la sécurité sociale. À l'État, la reprise de la dette hospitalière, les dépenses de Santé Publique France et les mesures de compétitivité et de pouvoir d'achat.
Ce débat n'est pas théorique : il faut qu'une future hausse des cotisations soit commandée par l'équilibre des comptes de la sécurité sociale et non un transfert des dépenses de l'État.
Le réveil sera douloureux. Après-demain, nous devrons redresser la barre. Nous avons besoin d'une réponse massive pour faire face à la crise mais les vannes ne doivent pas être totalement ouvertes.
C'est en responsabilité également que nous avons accepté l'accès précoce aux médicaments et le développement des maisons de naissance mais nous avons fait part de nos interrogations sur le congé paternité ou la cinquième branche. Prenez garde aux promesses non tenues !
La fraude aux prestations comme aux cotisations sape les fondements de notre contrat social. Le Sénat a substantiellement enrichi ce volet.
La nécessité d'une réforme des retraites demeure d'actualité : elle devra être menée un jour car la crise n'a fait qu'amplifier le problème.
Je rappelle que le texte transmis au Sénat sur le système universel de retraite n'a pas été retiré.
La crise a montré les forces et l'excellence du système de santé, mais aussi ses rigidités et ses cloisonnements. Nous restons très attachés au modèle social à la française qui a fait ses preuves durant la crise.
Le groupe Les Républicains votera le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Valérie Létard et M. Olivier Henno applaudissent également.)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Ces débats ont été l'occasion de dresser un premier état des lieux de notre système de santé à l'occasion de la crise de la covid.
Nul ne pouvait la prévoir mais nous avons la responsabilité partagée de réparer ses dommages. Nous le devons à toutes les victimes, malades, soignants mais aussi tous ceux qui subissent les effets de la crise. Ses répercussions économiques et sociales appellent un financement exceptionnel.
L'Ondam 2020 est revalorisé de 10 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent 2,4 milliards d'euros votés à l'Assemblée nationale et 800 millions d'euros au Sénat.
Une contribution exceptionnelle des organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) sera mise en place avec un taux différencié selon le caractère lucratif ou non de l'organisme, à l'initiative du Sénat. Ces contributions sont justifiées, les OCAM ayant réalisé 2 milliards d'euros d'économie du fait de la crise sanitaire.
La prolongation des indemnités d'activité partielle et l'exonération des charges pour les secteurs fermés administrativement, très attendues, ont été adoptées. Des conclusions du Ségur de la santé ont également été intégrées, sur la revalorisation des salaires du personnel soignant ou l'enveloppe de 200 millions d'euros pour la prime versée au personnel de l'aide à domicile.
Nous saluons également la dotation du Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé de 6 milliards d'euros dont le champ des bénéficiaires a été étendu aux cabinets libéraux.
Nous sommes en revanche sceptiques sur la création d'un forfait payant de 18 euros, destiné à désengorger les urgences et à remplacer le forfait de réorientation, jamais appliqué. Il pourrait conduire à des renoncements de soins et à l'aggravation de l'état de santé des plus précaires. Nous saluons l'exonération pour les personnes atteintes d'affections de longue durée, mais aussi l'adoption par le Sénat, à l'initiative de notre groupe, d'une expérimentation sur le développement des téléconsultations préalables au passage aux urgences.
Alors qu'en 2019, les violences faites aux femmes ont augmenté de 16 %, nous saluons la création d'une dotation finançant une mission d'intérêt général dédiée à la prise en charge des femmes victimes de violences.
Saluons également d'autres mesures adoptées par le Sénat, telles que celles qui favorisent l'installation des médecins dans les territoires ou la poursuite d'activité au-delà de l'âge légal de départ à la retraite dans les déserts médicaux, le doublement du congé de paternité, l'avancement du versement de la prime de naissance et la généralisation des maisons de naissance.
Nous saluons aussi les avancées sur l'autonomie, mais attendons la loi sur le grand âge et les propositions sur son financement. Quelque 6 milliards d'euros sont attendus pour faire face aux besoins.
Nous regrettons que le Sénat ait supprimé la reprise de la dette hospitalière par la Cades, pour 13 milliards d'euros. Nous sommes enfin dubitatifs sur l'adoption des mesures sur la retraite. Si nous sommes favorables à un recul à 63 ans, le contexte ne rendait pas ce vote opportun.
Une large majorité de notre groupe s'abstiendra, d'autres voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. François Patriat applaudit également.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Le PLFSS 2021 repart du Sénat sans réponse aux défis sanitaires et sociaux mais lesté d'amendements régressifs. Je salue le vote de l'allongement du congé paternité, malgré des tentatives pour en restreindre l'accès. Ce PLFSS a moins que jamais préparé l'avenir.
Comme d'habitude, le Gouvernement détermine l'enveloppe fermée des ressources et refuse d'en desserrer l'étau par une taxation plus juste des revenus et du patrimoine.
La politique d'exonération des cotisations sociales connaît une explosion inédite. Le soutien de l'État à l'économie, nécessaire, devrait être modulé. Nous regrettons que la crise sociale n'ait pas été au coeur de nos débats alors que nombre de nos concitoyens basculent dans la précarité. Nos amendements sont déclarés irrecevables quand ils engendrent des dépenses mais les nouvelles ressources que nous proposons sont rejetées pour des raisons dogmatiques. Les travailleurs de première ligne du social et du médico-social resteront des invisibles, oubliés du Ségur.
Rien n'est fait pour lutter contre la marchandisation de notre système social et médico-social.
Au titre des avancées, nous saluons la différenciation des taxes selon le statut des organismes complémentaires, la lutte contre le non-recours aux aides sociales, la suppression du transfert vers la sécurité sociale du financement de l'allocation supplémentaire d'invalidité, ou encore celle de la surcotisation salariale des sapeurs-pompiers.
Cette crise inédite rend encore plus inacceptable le refus de lutter contre l'évasion fiscale, notamment Amazon pour qui le confinement est une incroyable aubaine de réaliser des profits faramineux.
Pour la majorité du Sénat, on comblera le trou de la sécurité sociale en rognant sur les droits sociaux. Or, les partenaires sociaux et une majorité de Français refusent la réouverture inopportune voire indécente du dossier de la réforme des retraites, tout comme du recul de l'âge de départ, véritable obsession idéologique de la majorité du Sénat ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Face à cette contre-réforme, les écologistes défendent un système par répartition et par annuité, soutiennent la réduction du temps de travail, s'opposent à l'allongement de l'âge légal du nombre des trimestres et souhaitent que la différence d'espérance de vie en bonne santé entre ouvriers et cadres - de presque dix ans - soit prise en compte dans le calcul de la pénibilité. Sans peur du tabou, nous soutenons une réforme qui s'appuie sur la contribution des revenus du capital. (Protestations à droite et applaudissements à gauche)
C'est l'une des clés essentielles de l'équilibre des branches de la sécurité sociale.
M. le président. - Il faut conclure !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le GEST votera contre. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE)
M. Xavier Iacovelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI) J'ai d'abord une pensée pour nos concitoyens touchés par le virus, pour leur famille, pour les salariés des secteurs exposés et pour les deux millions de professionnels de santé mobilisés pendant cette deuxième vague.
Une crise sans précédent a bouleversé notre société. Ce PLFSS est exceptionnel à bien des égards : 1,8 milliard de professionnels de santé bénéficieront d'une réévaluation salariale inédite et tant attendue. Le Ségur de la santé a aussi alloué 19 milliards d'euros de crédits d'investissement qui rendront le système de soins plus efficient et moderne. L'ambition des mesures sociétales de ce PLFSS est exceptionnelle, avec notamment le doublement de la durée du congé paternité de 14 à 28 jours. Cela répond à une demande de la société. Malgré des débats vifs, nous mettons en place un outil efficace de promotion de l'égalité homme-femme. Le passage de 10 à 16 semaines du congé des familles adoptantes ainsi que la pérennisation des maisons de naissance sont d'autres belles avancées de ce texte.
L'amendement porté par notre groupe RDPI sur la privation de pension de réversion pour le conjoint violent est une avancée : nous nous réjouissons de son adoption.
Nous saluons aussi le remboursement des capteurs de glycémie pour les enfants insulinodépendants.
Promesse de longue date maintes fois repoussée, la nouvelle cinquième branche sur l'autonomie est enfin créée - première branche créée depuis 1945 - et dotée de financements gérés par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour répondre à des espoirs et des attentes légitimes. Le dispositif de soutien, par des exonérations supplémentaires, aux entreprises du secteur dit « S1 » est également essentiel.
Par ses avancées multiples, le texte répond à la gravité de la situation. Il reste toutefois des désaccords. Plusieurs mesures sont regrettables, comme la suppression de l'expérimentation de la pratique de l'IVG instrumentale par les sages-femmes, recul non négligeable, ou l'encadrement de la reprise partielle de la dette des établissements de santé assurant le service public hospitalier.
La majorité sénatoriale a clivé, sur un sujet controversé, le report de l'âge de la retraite à 63 ans, auquel nous sommes opposés. Elle profite de la crise pour défendre sa réforme, qui nécessiterait une large concertation. Nous nous interrogeons sur la temporalité de ce vote, en pleine crise. Des discussions sont en cours avec les partenaires sociaux. Le moment est particulièrement inopportun. La période actuelle appelle plutôt un devoir de responsabilité vis-à-vis de nos entreprises, de nos soignants et de nos jeunes.
Pour ces raisons, le groupe RDPI s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP) C'est un PLFSS bien différent des précédents que nous achevons d'examiner, en raison de la crise sanitaire et économique.
Le groupe RDSE salue la sincérité des comptes de la sécurité sociale. Il prend acte des comptes douloureux et inédits présentés par le Gouvernement - 49 milliards de déficit, chiffre vertigineux -, en raison d'une chute spectaculaire des recettes et d'une augmentation tout aussi spectaculaire - mais nécessaire - des dépenses, après l'embellie de ces dernières années.
C'est donc un PLFSS de responsabilité, de crise, qui, pour autant, ne renonce pas à tout. Quelque 8,8 milliards d'euros seront consacrés à la revalorisation des rémunérations dans les établissements de santé et médico-sociaux, avec notamment une augmentation de 15 % pour les aides à domicile et de 183 euros par mois pour les personnels hospitaliers et des Ehpad. Cette mesure était attendue, comme l'allongement du congé de paternité, dont nous pouvons être fiers. La vision patriarcale a vécu. Outre les bienfaits pour le développement de l'enfant, cette mesure va dans le sens de l'égalité femme-homme.
Nous saluons aussi le développement des maisons de naissance et le renforcement du soutien aux entreprises, y compris agricoles et viticoles, touchées par la crise, avec les aides pour les travailleurs occasionnels, les jeunes agriculteurs et l'allégement de cotisations sociales pour les salariés viticoles.
Nous avons été nombreux à soutenir un amendement, adopté, qui réduit d'un an le report de la convention médicale actuelle entre l'assurance maladie et les médecins libéraux. Les appels à replacer les généralistes au coeur du système se multiplient, à juste titre. Les liens ville-hôpital sont les garants du bon fonctionnement de notre système de soins. Repousser les négociations n'enverrait pas un bon signal.
Je salue l'instauration d'un stock minimal de quatre mois pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. La responsabilité de l'État et des laboratoires ne doit pas être occultée. Les pénuries de vaccins et de médicaments sont inquiétantes et je me réjouis que le Sénat tienne bon sur ces sujets.
À titre personnel, je m'abstiendrai mais la majorité du groupe RDSE votera contre le texte en raison de la création d'un forfait « urgences », qui ne fera qu'accroître le reste à charge pour les patients, et, surtout, de l'introduction d'une réforme des retraites par la majorité sénatoriale. Certes, il y a un problème structurel mais nous défendons tous les bienfaits de la concertation. Le moment est mal choisi.
Nous nous félicitons de la création de la cinquième branche mais nous nous interrogeons sur son financement.
En outre, l'État persiste à ne pas compenser ses exonérations de charges, contrairement à la loi Veil de 1994, et ne propose guère de mesures structurelles pour notre système de santé : l'Ondam augmente, certes, mais c'est conjoncturel.
Dans prochains mois, nous espérons une nouvelle réforme du système de santé qui réponde aux attentes des Français, des professionnels et des élus. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
Mme Laurence Cohen . - Après cinq jours de débats, notre groupe est déçu et en colère. Ce PLFSS, discuté en l'absence, jusqu'au bout, du ministre de la Santé, n'est pas à la hauteur des besoins et des attentes. Il ne règle aucun problème.
Les 8 milliards d'euros du Ségur et les 4 milliards de la covid-19 ne sont que conjoncturelles : lorsque la crise sera terminée, vous serrerez à nouveau les boulons.
Les grands groupes du CAC40 peuvent dormir sur leurs deux oreilles, elles ne sont pas davantage mises à contribution. Sanofi peut allègrement distribuer des dividendes indignes tout en fermant des sites et en licenciant à tour de bras.
Vous refusez d'organiser une politique publique du médicament et préférez créer un forfait « urgences » de 18 euros au lieu d'ouvrir les lits nécessaires en amont et en aval. Ce forfait est une absurdité économique qui pose un problème de santé.
Il n'est pas non plus question de recruter davantage de soignants, seul moyen d'améliorer leurs conditions de travail.
Rien pour la psychiatrie ou la pédopsychiatrie, sinistrées, pour la stratégie tester/tracer/isoler ou la prise en charge des masques dès l'âge de 6 ans. C'est la T2A, toujours la T2A...
Hormis l'allongement du congé paternité, ce PLFSS est un rendez-vous manqué.
Le Gouvernement reste sur les orientations politiques qui ont conduit le système de santé là où il est aujourd'hui. Vous refusez d'investir pour la santé sous prétexte de ne pas alourdir la dette pour les générations futures, mais vous faites tout pour que le jour d'après soit pire. Le système de santé va dans le mur.
La majorité sénatoriale a suivi cette voie mortifère en introduisant dans le texte le sujet des retraites. C'est totalement indécent quand les plans de licenciements explosent et que les jeunes se préparent à s'inscrire à Pôle Emploi.
Le groupe CRCE dit non aux mesures proposées par ce texte !
Non à un budget insuffisant, décalé ; non au manque de reconnaissance des professionnels de santé ; non à l'absence de formation et de recrutement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Une autre sécurité sociale est possible pour l'avenir : nous avons des propositions pour préparer la santé de demain à une pandémie prochaine sans obliger un nouveau confinement.
En annulant les allègements de cotisations pour le CICE ou les bas salaires, nous pourrions récupérer 50 milliards d'euros pour prendre en charge à 100 % les soins, recruter 100 000 soignants et revaloriser de 300 euros les salaires. C'est ainsi qu'on prépare la société de demain.
Alors que nous fêtons les 75 ans de la sécurité sociale, je conclurai par les propos d'Ambroise Croizat : « La sécurité sociale est la seule création de richesse sans capital. La seule qui ne va pas dans la poche des actionnaires mais est directement investie pour le bien-être de nos citoyens. Faire appel au budget des contribuables pour le financer serait subordonner l'efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières. Ce que nous refusons ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; quelques applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Catherine Deroche applaudit également.) L'examen du PLFSS s'achève, nous laissant un peu sonnés. Est-ce le manque de sommeil, la valse des milliards, l'intensité des échanges ?
« Mieux vaut une amère vérité qu'un doux mensonge », dit un proverbe russe. L'épidémie aurait nécessité un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative.
Le fait marquant de ce PLFSS est sans doute cet abyssal déficit de 49 milliards d'euros.
Une contribution des organismes complémentaires en santé a engendré, dès les débuts des débats, un manque à gagner de 400 millions d'euros.
Ce PLFSS prend également en considération les nécessaires revalorisations salariales adoptées dans le cadre du Ségur. Avec Élisabeth Doineau, nous vous avons alerté sur ceux que les accords ont oubliés. Les applaudissements des Français valaient pour chacun des acteurs de la chaîne humaine. Le « quoiqu'il en coûte » doit être notre planche de salut.
Nous soutenons les exonérations de charges pour les entreprises viticoles et le dispositif TO-DE.
Des questions demeurent sur la création et le financement de la cinquième branche, que le rapport Libault envisageait à l'extinction de la dette sociale désormais lointaine. Nous nous interrogeons aussi sur le transfert de l'AEEH à la nouvelle branche.
Des mesures intéressantes ont également été adoptées s'agissant des hôtels hospitaliers, des maisons de naissance et du congé paternité. Sur ce dernier point, j'ai exprimé ma crainte de voir le fossé entre les salariés et les autres s'accroître.
Sur de nombreux autres sujets, le Sénat a fait des propositions utiles.
En revanche, nous déplorons le peu d'ambition s'agissant de la lutte contre la fraude sur laquelle notre collègue Nathalie Goulet est très investie. L'atonie des débats sur ce point révèle-t-elle la banalisation de la fraude ? Il faut une volonté. Madame la ministre, les Français vous attendent sur le sujet.
Derrière nos demandes de rapports, ce sont des sujets qui ne sont pas entendus. Ainsi de la prise en charge de la mélatonine pour aider les enfants autistes à dormir et leurs parents à se reposer. Mais comment se faire entendre quand le ministre de la santé ne siège pas ?
Le groupe UC votera ce texte.
Je terminerai par les mots du Nivernais Romain Rolland : « L'équilibre est la règle souveraine des plus grands comme des plus petits ». (Applaudissements sur les travées des groupe UC et Les Républicains)
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Écrire une LFSS conforme à la réalité serait une gageure quand nul ne sait ce que le coronavirus, qui a fait 45 000 morts en France, réserve pour 2021. Ce PLFSS écrira sûrement un record d'imprécision.
Il n'en reste pas moins un rendez-vous manqué, notamment pour la gouvernance de l'hôpital ; un rendez-vous inachevé, partiel, conjoncturel. Les urgences sont toujours abordées sous l'aspect financier. Les aides à domicile devront se contenter de bien peu. La démocratie sanitaire est oubliée, marginalisée.
Si l'ajout de 100 millions d'euros aux ARS doit être salué, rien ne dit qu'ils seront dépensés en associant mieux les acteurs du territoire.
Congé paternité, maisons de naissance, lutte contre le non-recours, dispositif TO-DE, stock de quatre mois pour les médicaments majeurs, renforcement de la protection en psychiatrie, retour de l'Agence nationale de santé publique dans le budget de l'État : des mesures intéressantes existent dans ce texte - et nous y avons contribué - mais cela ne suffit pas. Vous avez chargé la barque de la sécurité sociale, l'endettement s'accroît. Les conditions d'examen de ce texte sont éloquentes : introduction tardive, absence d'étude d'impact, temps d'examen trop court, modifications substantielles par le Gouvernement en cours d'examen... Tout ceci aurait pu être évité par un PLFSSR cet été.
L'État fait du paritarisme un façadisme comme les modalités de gouvernance de la cinquième branche le montrent.
Le temps des crises doit être celui des changements ; cette crise n'est pas un accident de l'histoire. Demain, il ne s'agira pas de reprendre la trajectoire de maitrise des comptes sociaux, comme certains discours le laissent entendre. La crise nous appelle à réaliser une réforme structurelle de notre politique de santé et à repenser notre protection sociale.
Or les silos que nous connaissons continueront leur vie. L'État central actuel a présenté des failles inquiétantes, ainsi que la gouvernance de notre santé publique. La décentralisation est absente de ce texte.
Le ministre de la Santé ne nous a pas fait l'honneur de sa présence.
L'amendement n°201 porte un privilège rare : il disqualifie le texte à lui seul, et envoie un message dramatique, demandant à nos concitoyens, en particulier les plus pauvres, de travailler plus longtemps, pour des retraites plus faibles, alors que la majorité sénatoriale refuse avec constance une contribution des plus riches à la situation exceptionnelle que nous vivons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido protestent.)
C'est votre choix devant la Nation mais pour le groupe SER, c'est non à ce budget social qui est un budget d'injustice sociale. Nous voterons contre ce texte.
(Applaudissements sur les travées des groupes SER et sur quelques travées des groupes CRCE et GEST)
L'ensemble du PLFSS est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°26 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Pour l'adoption | 190 |
Contre | 106 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. - Je remercie la ministre, la présidente de la commission Catherine Deroche, le rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe et les rapporteurs pour avis, ainsi que tous les participants à ces débats, ainsi que vous-même, madame la ministre déléguée, même si nous regrettons l'absence de M. Véran, autant que ce soit dit. (Applaudissements sur la plupart des travées, à l'exception de celles du groupe RDPI)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - Merci de ces échanges. J'ai un profond respect pour le travail parlementaire, auquel j'ai participé pendant des années, même si j'ai reçu ici mon baptême de la Haute Assemblée... (Sourires)
Nos débats ont été francs et intéressants. Votre vote est souverain, et le travail se poursuivra en commission mixte paritaire avec les députés.
Je salue quelques avancées majeures, introduites ou entérinées au Sénat, comme le relèvement de 800 millions d'euros de l'Ondam, après 2,4 milliards supplémentaires obtenus à l'Assemblée nationale, pour financer la stratégie de tests et les surcoûts d'équipements de protection pour les professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux.
Je salue votre soutien à l'allongement des congés de paternité, ouvrant une démarche essentielle, vers une nécessaire égalité de carrière des femmes et des hommes.
Je pense aussi à la revalorisation des salaires dans les Ehpad, à la suite du Ségur de la santé, et à la prime pour les services d'aide à domicile, mobilisés auprès de nos concitoyens en perte d'autonomie.
Nous voulons accompagner les départements dans ce virage domiciliaire que nous appelons de nos voeux. La branche cofinancera une revalorisation des aides à domicile, même si je regrette un arrêt à mi-chemin, alors qu'il s'agit de la compétence des départements.
Je suis sûre que le dialogue avec l'ensemble des Parlementaires des deux chambres aboutira à un équilibre. Je suis très attachée à ce dialogue : poursuivons-le ensemble en bonne intelligence ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC)
La séance est suspendue à 15 h 40.
présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
La séance reprend à 15 h 50.
Mises au point au sujet de votes
M. François Patriat. - Sur le scrutin public n°24, sur l'amendement n°26 rectifié bis du PLFR4, le groupe RDPI souhaitait voter pour.
Mme Frédérique Puissat. - Sur le scrutin n°22, Muriel Jourda souhaitait voter contre.
M. Jean Hingray. - M. Pierre-Antoine Levi et moi-même souhaitions nous abstenir sur l'amendement n°201 au PLFR4.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Sur le scrutin n°23 du 14 novembre 2020, je voulais voter contre.
Mme la présidente. - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des scrutins.
Débat sur l'alimentation durable et locale
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'alimentation durable et locale à la demande du groupe RDPI.
M. Frédéric Marchand, pour le RDPI . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI). Cette crise sans précédent a mis en lumière l'alimentation, ce bien commun ; sans conteste celui des mois et des années à venir sur lequel il est urgent de ne pas transiger, en prenant des engagements forts et le plan de relance comporte des mesures significatives à cet égard, monsieur le ministre.
La sécurité alimentaire est essentielle, comme le rappelle Stéphane Linou dans son ouvrage Résilience alimentaire et sécurité nationale, qui a inspiré une proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde que je salue. Je rappelle aussi le rapport élaboré pour la délégation sénatoriale à la prospective par Jean-Luc Fichet et notre ancienne collègue Françoise Cartron, que j'ai également plaisir à saluer ici.
Il est temps de faire de l'alimentation un secteur d'importance vitale, conformément à l'article R. 1332-2 du code de la défense, sans se cantonner à la seule dimension sanitaire.
La solidarité avec nos agriculteurs, producteurs, maraîchers, très impactés par le premier confinement, est essentielle : ils ont su se réorganiser et ont toujours été au rendez-vous, comme ils le sont depuis le début du deuxième confinement.
La réorganisation des filières autour de circuits courts se développe.
La qualité se renforce, la saisonnalité est davantage respectée. Donnons le top départ d'une résilience alimentaire partagée par tous ! Nous ne pouvons plus déléguer notre souveraineté alimentaire, comme l'indiquait le Président de la république le 12 mars dernier.
Nous nous sommes longtemps inspirés du modèle américain mondialisé, avec beaucoup d'intrants, d'énergie, d'azote du Brésil pour nourrir des animaux que nous exportons ensuite vers le Moyen-Orient, à un coût considérable pour la PAC. Or nous ne produisons que 50 % de ce que nous mangeons en légumes et 40 % de nos besoins en fruits.
Nous importons de nombreuses viandes bon marché pour la restauration collective. Il faut des contrats alimentaires territoriaux pour réussir une transition agricole, alimentaire, écologique et territoriale, partagée par le plus grand nombre.
Ces contrats existent déjà, mais ils sont facultatifs et le peu de moyens qui y sont consacrés atténuent leur portée, même s'ils ont de belles réussites à leur actif. Dans la Communauté d'agglomération du Douaisis, le programme alimentaire territorial (PAT) a été un succès, comme vous avez pu le constater sur place, monsieur le ministre, au mois de septembre.
Portons l'ambition de contrats alimentaires territoriaux (CAT) conclus à l'échelle intercommunale à une échéance raisonnable, pour assurer le primat d'une alimentation durable. Ils doivent être obligatoires et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), véritables bassins de vie, sont le bon échelon.
Ils doivent aussi être intégrés dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et compatibles avec les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et autres plans locaux d'urbanismes (PLU).
La mise en place d'indicateurs de résilience - pourcentage d'autonomie alimentaire territoriale, développement de circuits alimentaires de proximité... - est nécessaire. Des moyens financiers nouveaux et redéployés devront être mobilisés.
L'accès à une alimentation durable et de qualité est une priorité. C'est une question de moyens et de volonté et je sais que vous n'en manquez pas, monsieur le ministre. Les EPCI devraient être les autorités organisatrices de l'alimentation saine, durable et locale. N'attendons pas pour repenser notre alimentation !
Le CAT peut en être l'outil pour cultiver ensemble notre jardin. J'ai travaillé ce sujet avec notre ancienne collègue Nelly Tocqueville. Je suis frappé, par l'inventivité et l'envie de tous les acteurs concernés, mais aussi par le manque de volonté, les incompréhensions ou méfiances que l'on rencontre parfois, comme si l'envie collective faisait défaut. Monsieur le ministre, soyez le grand assemblier de ces énergies qui foisonnent et feront de notre pays celui d'une alimentation durable et locale pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Je remercie le groupe RDPI d'avoir choisi cette question cruciale pour nos concitoyens. Ce sujet a été travaillé par nombre d'entre vous. Mais il a été remis en avant par la crise car le premier médicament c'est l'alimentation, comme le disait Hippocrate. Je suis le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation : il s'agit donc d'assurer la santé nutritionnelle de nos concitoyens.
Pour cela nous avons besoin d'une agriculture forte et d'une sécurité agroalimentaire. Je crois en l'agriculture française qui est l'une des meilleures et des plus durables : nous pouvons être fiers d'elle ! Elle a remarquablement tenu pendant le confinement. Elle continuera pendant ce nouveau confinement...
MM. Frédéric Marchand et Ludovic Haye. - Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. - Je crois profondément dans les agriculteurs et les éleveurs français, ces entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple français, comme je les ai qualifiés ici même il y a quelques jours : quel noble métier que celui de la grande famille agricole française, qui est d'assurer la santé nutritionnelle de nos concitoyens !
L'agriculture française fait face à d'immenses défis et peu de secteurs ont autant évolué, pour répondre aux demandes sociétales. Les agriculteurs sont les acteurs de cette mission nourricière et protectrice qui nous permet de faire société.
Mais pour cela ils doivent être rémunérés à la juste valeur de leur travail.
Il faut débloquer l'accès aux produits frais et locaux. C'est meilleur pour la santé ; c'est nécessaire d'un point de vue environnemental mais aussi économique et c'est, contrairement à certaines idées reçues, plus doux pour le portefeuille aussi ! Il ne faut pas opposer les types d'agriculture, entre agriculture exportatrice et agriculture de proximité. C'est le sens d'un accord signé récemment.
Comme l'appelle de ses voeux Frédéric Marchand, nous devons partir des territoires et des filières pour améliorer les circuits de distribution. C'est précisément l'objet des PAT et ça marche !
Quelque 190 PAT existent, mais comment les démultiplier ? Vous envisagez des CAT ; je propose, dans le plan de relance, 80 millions d'euros pour le financement des PAT dans les deux prochaines années, alors qu'ils n'avaient reçu que 6 millions d'euros ces quatre dernières années. C'est 25 fois plus !
Enfin, nous devons avec humilité et honnêteté appréhender la question de l'inégalité alimentaire qui perdure dans notre pays. Pendant le premier confinement, en tant que ministre du Logement, j'ai dû éditer des bons alimentaires... pour la première fois depuis la guerre !
Les cantines sont le premier lieu de lutte contre les inégalités alimentaires, mais cela nécessite que l'État accompagne les collectivités territoriales. Pourquoi y voyons-nous des yaourts locaux, mais pas de carotte ni d'oignon ? Parce qu'il faut passer des heures à les éplucher ! À problème concret, réponse concrète : au titre du plan de relance, nous mettrons donc 50 millions d'euros dans les cantines, pour financer des actions très concrètes, comme des légumeries, qui existent et marchent bien dans de nombreux territoires.
Je crois dans notre agriculture et dans notre alimentation et suis ravi d'en débattre avec vous. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et UC)
Débat interactif
Mme Martine Berthet . - La restauration collective sert chaque année plus de trois milliards de repas. Elle permet d'accéder aux bons produits pour tous, meilleurs pour l'environnement comme pour la santé, grâce aux produits locaux.
Pour cela, l'attribution des terrains agricoles libérés est cruciale. Or la Safer répartit les terrains aux seules exploitations existantes. Il faudrait que d'autres terrains libérés puissent être attribués selon des préemptions partielles à des cultures de plein champ.
Monsieur le ministre, quelles mesures pensez-vous mettre en oeuvre pour que les conseils départementaux puissent jouer leur rôle de pilote, reconnu et légitime, de l'organisation d'une production alimentaire locale pour les cuisines centrales ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Votre question montre votre grande connaissance du terrain.
Les plans et les contrats territoriaux ont été nombreux, mais les PAT font consensus : ça marche, car cela permet de structurer la filière de l'aval à l'amont. Je crois en ces PAT et je me suis battu pour que le plan de relance les finance massivement.
Quel rôle pour les départements ? Je souhaite consolider les 190 PAT existant, sans en modifier la gouvernance. Cela peut passer par les EPCI, par des communes regroupées, ou par les départements.
De nombreux PAT sont consolidés au niveau des contrats de plans État-Région (CPER). Ce peut être une bonne porte d'entrée. Nous nous appuierons sur les territoires.
M. Jean-Pierre Decool . - Dans mon territoire, dans la commune de Nordpeene, en Flandres, un boulanger engagé montre la voie du circuit « ultra-court » : il a acheté un moulin pour moudre le blé de l'agriculteur voisin. Sa farine préserve les oligoéléments et le gluten grâce à un procédé plus lent que dans le circuit industriel et une température ne dépassant jamais les 40°C.
Pour les produits pâtissiers, il achète le lait à un laitier de la commune et les fruits à un maraîcher qui respecte la saisonnalité. La saveur de ses produits attirent les clients locaux et à plusieurs kilomètres, voire dizaines de kilomètres à la ronde.
Ces circuits ultra-courts, pragmatiques, recréent du lien social dans nos territoires qui en ont tant besoin et permettent de diminuer l'empreinte carbone des ménages, dont un quart provient de l'alimentation. Les Français sont soucieux de ce sujet. La convention citoyenne sur le climat a proposé un score carbone sur les produits de consommation et de service.
Votre ministère a lancé un appel à candidature pour l'affichage du poids carbone dans le cadre de la lutte contre le gaspillage. Quelles sont vos pistes de réflexion en la matière, pour encourager les pionniers tels que mon boulanger des Flandres ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Je salue votre boulanger des Flandres et je soutiens son action. Il ne faut pas opposer les systèmes agricoles français : l'agriculture de proximité a un bénéfice nutritionnel, économique et environnemental.
Mais comment en informer le consommateur ? Plusieurs expérimentations sont en cours et nous travaillons aux niveaux national et européen sur ces questions d'étiquetage.
Mais attention à l'excès d'étiquetage, qui doit rester simple. Dans les rayons des produits laitiers, c'est excessif : une bannière « Plus près de chez vous, plus près de vos goûts » sera apposée à compter du début de l'an prochain. Faisons confiance à l'intelligence des consommateurs qui en déduiront que les émissions carbone de ces produits sont évidemment moindres ! Cette bannière sera en place au début de l'an prochain. Continuons aussi à travailler sur l'étiquetage, mais en ayant à l'esprit que nos concitoyens ont besoin de messages clairs : consommez des produits frais locaux, c'est meilleur pour votre santé, l'environnement et souvent aussi pour votre portefeuille !
M. Joël Labbé . - Je crois à l'intelligence du consommateur lorsqu'il est informé. Une récente enquête réalisée avec le laboratoire de toxicologie de l'hôpital Lariboisière fait apparaître la présence de cadmium dans les engrais phosphatés, les pommes de terre et dans les urines humaines.
L'Agence nationale de sécurité sanitairede l'alimentation, de l'environnementet du travail (Anses) nous avait déjà alertés sur les dangers du cadmium, métal lourd, classé comme cancérigène certain !
Or de nombreux engrais importés dépassent les recommandations de l'Anses. Les trois cinquièmes d'entre eux affichent des seuils supérieurs à ce qui sera autorisé dans un an et 21 % des analyses d'urine montrent des taux critiques, avec des risques de toxicité osseuse, voire rénale.
Les agriculteurs sont aussi impactés via la concentration de cadmium dans leurs sols. Que comptez-vous faire pour préserver l'alimentation des Français de cette pollution?
M. Julien Denormandie, ministre. - C'est un sujet important pour la santé et pour l'environnement. Le cadmium est un élément présent à l'état naturel dans les sols, mais aussi les engrais minéraux, via les impuretés présentes dans les roches phosphatées qui les constituent.
Les risques que vous évoquez sont réels, il faut donc trouver des solutions. C'est une problématique importante en termes de santé : nous avons tous intérêt à limiter notre exposition au cadmium, consommateurs, citoyens mais aussi agriculteurs.
Un projet de décret limitant les apports de cadmium, tous usages confondus, est en cours de concertation et ce décret pourrait être publié à l'été 2021 : tel est l'objectif fixé après les phases de consultation du public et de notification européenne.
M. Joël Labbé. - Je vous remercie de votre réponse.
Les industriels pourraient dépolluer leurs engrais pour un surcoût limité à 3 %. Et il existe aussi des alternatives à l'usage des engrais phosphatés. Le modèle agricole biologique peut s'en passer. Nous importons 30 % de produits bio, faute de production française suffisante. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Nadège Havet . - Le 20 mai, la Commission européenne a présenté sa stratégie « de la ferme à la fourchette », dans le cadre du pacte vert européen, avec de nombreuses mesures pour bâtir une chaîne alimentaire bénéfique aux producteurs, aux consommateurs, à l'environnement et au climat. Elle prévoit 25 % de production bio à échéance 2030.
En France, à la suite de la Convention citoyenne pour le climat, le Gouvernement a lancé un plan de relance ambitieux.
C'est ce qu'ont souligné plus de 140 acteurs de la transition agro-écologique dans une tribune parue le 9 octobre dernier : « Accélérer la transformation de notre modèle agricole... Pour une agriculture du vivant » !
La question de notre indépendance protéique se pose cruellement. Le plan de relance prévoit 1,2 milliard d'euros pour financer des actions. Quelle sera l'articulation entre cette politique nationale et les collectivités territoriales, via les PAT ? Les sous-préfets à la Relance interviendront-ils également sur ces sujets ?
Les élus auront besoin de pouvoir identifier précisément les aides auxquelles ils peuvent prétendre dans la mise en oeuvre de leurs propres feuilles de route.
M. Julien Denormandie, ministre. - Cette question est essentielle. Nous aurons besoin dans l'avenir d'une France plus forte, et nous ne l'aurons pas sans une agriculture forte. J'ai obtenu qu'un montant significatif aille à l'agriculture dans le plan de relance. Ce plan doit ensuite irriguer nos territoires, afin que chaque agriculteur y ait accès : 135 millions d'euros pour l'agroéquipement, 250 millions d'euros pour l'accompagnement des élevages et des abattoirs, 150 millions d'euros pour le reboisement - du jamais vu depuis l'après-guerre.
Et les collectivités locales, demandez-vous ? Il faut utiliser tous les canaux : il existe déjà des PAT définis par des contrats de plans État-régions (CPER) mais portés par les collectivités territoriales, comme les abattoirs. Les élevages sont cofinancés avec les régions au titre du Feader. Des outils existent : utilisons-les.
Et soyons innovants ! Remplacer les appels à projets par des catalogues pourrait simplifier les démarches. Mon rôle, c'est de simplifier, en bonne intelligence avec les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Henri Cabanel . - Durant le second confinement comme au printemps, les agriculteurs nourrissent les Français. Les états généraux de l'alimentation (EGA) ont abouti à la loi de 2018 qui oblige la restauration collective à proposer 50 % de produits sous signe de qualité, dont 20 % de produits bios d'ici 2022.
Il faut pour cela une volonté politique dans les territoires. Or les PAT peinent à décoller. Comment les rendre plus efficients et inciter les élus à s'engager ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Les PAT fonctionnent sur de nombreux territoires. Le PAT du Douaisis ou les deux PAT que j'ai visités tout récemment dans le Jura se portent très bien ! Ces exemples diffusent autour d'eux le modèle, qui pâtit néanmoins de ce sigle atroce et de l'accumulation des plans et des contrats au niveau local.
Il faut regarder où sont les failles. Ne nous leurrons pas, il y a besoin de plus de moyens : 6 millions en quatre ans, cela ne suffisait pas. Nous passons donc à 80 millions d'euros en deux ans.
Je salue la grande famille agricole, famille de passionnés très bien organisés, avec laquelle nous travaillons à la mise en oeuvre du plan de relance. Les chambres d'agriculture jouent un rôle fondamental. J'ai d'ailleurs préservé leur budget dans le PLF.
M. Henri Cabanel. - Vous aviez un objectif de 500 PAT en 2020 ; vous espérez désormais un PAT par département... (M. le ministre fait un geste de dénégation.)
Le bouche-à-oreille fonctionne, c'est bien, mais cela ne remplace pas les moyens engagés, au-delà d'un PAT par département.
M. Fabien Gay . - Nous remercions le groupe RDPI pour ce débat.
Notre groupe CRCE défend depuis longtemps une agriculture paysanne, biologique, respectueuse de l'homme et de la planète, hélas menacée par le libre-échange qui aggrave aussi le réchauffement climatique.
Le meilleur exemple en est le CETA, signé entre l'Union européenne et le Canada, négocié durant dix ans, provisoirement mis en place en 2017, qui devait encore être ratifié. L'approbation a été votée en catimini par l'Assemblée nationale au coeur de l'été. Or ce traité prévoit la fin des barrières douanières mais aussi non tarifaires, comme les normes sociales, environnementales ; il s'en prend aussi aux services publics. Des tribunaux arbitraux privés feront primer la loi des entreprises sur celle de l'État.
Quand comptez-vous inscrire la loi de ratification à l'ordre du jour du Sénat, pour que le Parlement puisse enfin avoir un débat démocratique sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Julien Denormandie, ministre. - J'ai le souci de toujours faire des réponses précises...
M. Fabien Gay. - Mais cette fois ce ne sera pas le cas !
M. Julien Denormandie, ministre. - C'est que je ne suis pas maître de l'ordre du jour des assemblées et que celui-ci a été cette année quelque peu chamboulé.
Votre question est fondamentale pour les agriculteurs qui se battent pour une production de qualité et voient au supermarché des concombres ou des poulets beaucoup moins chers. L'Europe a fait preuve de naïveté pendant trop longtemps.
Je me bats, comme un certain nombre de mes homologues européens : et pour la première fois, la PAC a fixé dans le premier pilier un socle environnemental de normes à respecter. Il reste à faire confirmer cette avancée par le trilogue, mais dès lors qu'elle est acquise, elle doit être transcrite dans la politique commerciale européenne. Le Mercosur, par exemple, ne respecte pas nos normes. Alors le Mercosur, c'est non !
M. Fabien Gay. - On ne peut pas entendre cela : combien de temps allons-nous accepter l'application de la CETA sans que le Sénat ne l'ait rectifié ? Cela fait trois ans !
Vous n'avez pas la majorité du peuple français pour vous soutenir, et vous n'avez pas la majorité du Sénat. L'ensemble des groupes devrait interpeller le Gouvernement pour obtenir un débat démocratique ! (Applaudissements à gauche)
Mme Anne-Catherine Loisier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue votre engagement auprès de nos agriculteurs, monsieur le ministre. The Economist a jugé par trois fois le modèle français comme le plus durable. Soyons-en fiers !
Envisagez-vous des périmètres de PAT concentriques, afin qu'un grand nombre de produits soient disponibles sur le territoire ? Une coopération entre des PAT complémentaires, afin de parvenir à fournir en denrées diverses la restauration collective ?
Comment assumer une alimentation locale et durable dans les cantines à un prix raisonnable ? Les impayés s'y multiplient.
Enfin, les démarches Haute Valeur Environnementale (HVE) se développent sur nos territoires. Seront-elles suffisantes pour atteindre les objectifs fixés dans la loi EGAlim ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Mon objectif est le développement des PAT. Le Sénat pourrait en faire la promotion auprès des élus locaux, je suis à votre disposition pour participer à des présentations !
La question du coût est importante, mais plus encore celle de la faisabilité. De la ferme ou du supermarché, les yaourts arrivent selon le même conditionnement. Mais les carottes du producteur ne sont pas épluchées et coupées comme celles livrées par la grande distribution ! La création de légumerie et des conserveries y pourvoira, afin que la logistique des cantines ne devienne pas un casse-tête en cas d'approvisionnement local. L'État investira massivement. Ainsi le coût des repas ne se sera pas renchéri.
Je crois beaucoup à la HVE : un crédit d'impôt HVE sera créé par le PLF 2021.
M. Hervé Gillé . - Merci au groupe RDPI pour ce débat. Nous avons 43 jours d'autonomie alimentaire en Europe contre 9 mois en Chine. Qu'en est-il de la France ? Avec la mondialisation et la crise, comment envisagez-vous l'évolution du plan national pour l'alimentation durable ? Quid des plans protéines à l'échelle européenne ?
Vous avez déjà abandonné l'idée d'une loi sur le foncier agricole... Une nouvelle dynamique est nécessaire pour les PAT : quelle articulation avec les SCOT et les Sraddet prévoyez-vous ? Les PAT pourraient-ils être inclus dedans ?
M. Julien Denormandie, ministre. - L'agriculture française doit regagner en autonomie. C'est crucial. Les accords conclus depuis cinquante ans ont placé l'Europe et la France dans une dépendance protéinique face à l'Amérique du nord puis du sud. J'annoncerai dans les prochains jours le déploiement du plan protéines sur lequel je travaille avec l'interprofession.
Déjà, 190 PAT existent. Il faut accélérer, mais c'est aux territoires de décider. Une connexion avec les SCOT et les Sraddet, j'en vois l'intérêt. Mais si je vous proposais une intégration, vous y seriez hostiles !
Je veux d'abord et surtout financer les PAT, au-delà d'un par département, je le précise. Si une coordination s'avère nécessaire, pourquoi pas. Pour l'instant, je veux mettre du diesel dans le tanker, pour booster l'agriculture. (Sourires)
M. Hervé Gillé. - Il ne s'agit pas de contraindre à cette intégration, mais d'y inciter, car la maitrise foncière est essentielle. Cela créerait aussi un effet de levier, par la contractualisation avec les collectivités territoriales.
M. Stéphane Ravier . - Mangeons local, mangeons français ! Retrouvons les saveurs de notre terroir !
Cela fait cinquante ans que nos agriculteurs se battent contre la concurrence déloyale et les fonctionnaires de Bruxelles. Ils s'épuisent et sombrent dans le désespoir : un suicide tous les deux jours. Nous en sommes réduits à consommer du poulet aux antibiotiques américain ou du soja transgénique asiatique, alors que nous étions un grand pays agricole.
Il faut manger local dans nos cantines et imposer 70 % de repas locaux. Prenons exemple sur la commune de Châteauneuf-le-Rouge dans les Bouches-du-Rhône. Qu'avons-nous à faire d'accords internationaux rédigés par des bureaucrates et signés par des énarques ?
Votre Gouvernement ne comprendra jamais les paysans, qui ne sont ni en marche, ni hors-sol, mais enracinés ! Ils travaillent pour faire pousser le blé et non pour faire du blé. Ils protègent nos terres fragiles et précieuses. Ces paysans, nous les entendons dans nos campagnes. La France est le plus beau pays du monde.
Comme le dit Maupassant, « j'aime ce pays, et j'aime y vivre car j'y ai mes racines, ces profondes et délicates racines qui attachent un homme à la terre où sont nés ses aïeux ».
Ce n'est pas une question que je vous pose mais une déclaration d'amour au monde paysan que je vous invite à faire, dans vos actes.
M. Julien Denormandie, ministre. - Je ne suis pas énarque mais ingénieur agronome, et pourtant je suis macroniste. Quant à vous, vous attaquez les fonctionnaires mais vous aviez fait dans votre jeunesse le choix de la fonction publique, il me semble ? Nous avons du reste bien besoin de la fonction publique et ce bashing est malvenu dans la période actuelle.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. - L'amour des paysans ne se décrète pas, il se prouve. Ces femmes et de ces hommes ardents au travail n'attendent pas des discours d'estrade mais du travail et des résultats.
Vous avez une vision tronquée de l'agriculture. Pour avoir une agriculture forte, il faut exporter. Nous sommes loin de votre vision simpliste des circuits courts ! Nous vivons dans un monde de compétition. Nous avons besoin d'une agriculture qui exporte et d'une agriculture de proximité : c'est peut-être le « en même temps » macronien, et c'est très bien ainsi ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Loïc Hervé. - Bravo !
M. Laurent Duplomb . - Un bon Gouvernement doit assurer à son peuple une alimentation durable et locale. Certes, mais les définitions peuvent varier. Pour moi, la durabilité c'est l'autosuffisance alimentaire - chez moi, on dit « pour être sûr d'en avoir assez, il faut en avoir trop ». (Rires) Et le local, c'est le français. Nos territoires ont des productions différentes : la Haute-Loire produit 430 millions de litres de lait pour 230 000 habitants, heureusement que nous en livrons à Marseille ou ailleurs...
S'il y a assez, c'est-à-dire s'il y a trop (Sourires), on peut exporter, et gagner de l'argent. Si en 2010 l'excédent commercial français atteignait encore 12 milliards d'euros, il est tombé à 3,9 milliards d'euros et ce n'est pas terminé. Nous avons perdu sur les céréales, le vin, les fruits et légumes. On ne peut pas continuer ainsi.
Il faut une politique offensive.
Mme la présidente. - Votre temps est dépassé !
M. Laurent Duplomb. - Demain, nous serons 10 milliards sur la terre et les populations viendront chez...
Mme la présidente. - Merci !
M. Julien Denormandie, ministre. - Je crois comme vous que notre agriculture doit exporter. Ce fut jadis mon métier que d'aider à cet objectif.
Un plan de relance des exportations a été travaillé avec Business France dont 40 % de l'action concerne l'agroalimentaire. Mais il est parfois difficile de gagner de nouveaux marchés. Ce que je supporte le plus mal, c'est que l'Allemagne nous ait dépassés dans les exportations agricoles, malgré l'excellence de nos productions.
L'approche démographique est essentielle. Hervé Le Bras, dans ses Métamorphoses du monde rural, écrit que le monde agricole est passé d'une agriculture de propriétaires ruraux à des « entrepreneurs du vivant ».
L'eau importée, incluse dans la production végétale, est un sujet massif, géopolitique. L'Europe a un rôle à jouer. De même pour la PAC, l'essentiel est de définir où nous voulons amener notre agriculture dans sept ans.
Mme Évelyne Perrot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La crise sanitaire éclaire d'un jour nouveau l'alimentation durable et locale. Nous sommes à un moment crucial. La transition est commencée. La stratégie européenne « de la ferme à la fourchette » comprend une réduction de 50 % l'usage des pesticides chimiques et une transformation de 25 % des surfaces en bio, d'ici 2030.
Hubert Védrine considère que le concept de « compétitivité écologique » va bientôt s'imposer. Quelle vision la France va-t-elle défendre dans les grands rendez-vous européens autour de la PAC, du budget unique et de cette stratégie « de la ferme à la fourchette » ?
La Commission européenne prévoit un calendrier jusqu'en 2024. Est-ce adapté ? La France souhaite-t-elle avancer les échéances ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Où voulons-nous amener l'agriculture européenne dans sept ans ? Une agriculture plus souveraine, plus autonome en protéines, plus engagée dans la transition écologique, qui doit être financée. Mais d'abord, il faut arrêter les injonctions contradictoires stériles...
Le diable est dans les détails. Le plan Stratégie nationale est décliné par chaque État membre. Je me bats - et je profiterai de la présidence française de l'Union européenne le 1er janvier 2022 - pour que ces documents stratégiques soient examinés par les ministres, et non réalisés en bilatéral, avec des niveaux d'ambition inégaux. C'est la condition d'une convergence entre les pays européens. Vous pouvez compter sur mon engagement politique fort.
Mme Évelyne Perrot. - Dans mon secteur de grandes cultures, le cycle est infernal. Certains se sont regroupés pour une agriculture bio, pour faire prévaloir cette intelligence collective que vous prônez.
M. Jean-Jacques Michau . - La crise sanitaire nous conduit à interroger la qualité de notre alimentation, nouvel enjeu de développement durable pour les territoires. Les collectivités territoriales s'engagent dans des PAT pour construire de nouveaux projets territorialisés.
En Ariège, le PAT du pays des Pyrénées cathares a été mis en place dès mai 2018. Nous mobilisons du foncier pour installer de nouveaux agriculteurs. Malgré le confortement du droit de préemption des Safer, les achats de terres par certaines entreprises étrangères suscitent des inquiétudes.
Des milliers d'hectares sont achetés pour des exportations, et prouvent l'inefficacité de nos outils de régulation.
En 2017, vous annonciez une grande loi financière. Quand sera-t-elle débattue au Parlement, et comment empêcher le contournement du droit de préemption des Safer ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Oui, il faut se pencher sur la question foncière, ce qui va de pair avec la nécessité d'améliorer le statut de l'agriculteur, du fermage, de la régulation, sujets sur lesquels nous avons tous, collectivement, beaucoup travaillé.
Vous connaissez ma franchise : vu le temps parlementaire contraint, en partie du fait de la crise sanitaire, je ne crois pas que nous aurons la fenêtre de tir pour faire une grande loi foncière dans ce quinquennat - mais peut-être dans le suivant si vous le désirez ? (Sourires)
Rien ne nous empêche de travailler dès à présent sur le foncier, d'autant que les sujets réglementaires sont nombreux.
L'amélioration de la gouvernance des Safer - vous me comprenez - ne passe pas par la loi. Le portage foncier ne nécessite pas de modifications législatives non plus. Comment se fait-il que nous ne tirions aucun avantage compétitif du faible coût de notre foncier ? Probablement en raison du poids des emprunts de nos jeunes agriculteurs : il faut travailler cette question, donc celle de la retraite et de la transmission.
Souvent, la retraite des agriculteurs est financée par la vente du foncier. Pour éviter l'endettement des jeunes agriculteurs, il faut régler la question de la retraite des agriculteurs.
Mme Kristina Pluchet . - Nous alimenter de façon saine et durable est une préoccupation essentielle de nos concitoyens. Autant d'enjeux sanitaires, économiques et écologiques.
L'article 24 de la loi EGAlim prévoit que 50 % des produits servis en restauration collective publique seront durables, de qualité, dont 20 % en bio. Mais nous n'avons pas assez de producteurs. Pourtant le respect du green deal européen décidé le 20 mai dernier exige l'installation de nouveaux producteurs.
Quelque 190 PAT ont vu le jour, contre 500 prévus initialement. Quelle est votre stratégie pour accélérer leur développement ? Quelles positions défendra la France pour la future PAC, dans l'objectif de concilier transition écologique et difficultés économiques de nos agriculteurs ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Pour accélérer, il faut des moyens. Le plan de relance prévoit 80 millions d'euros. Les chambres d'agriculture peuvent jouer un rôle pour accompagner les agriculteurs. Actuellement, 8,5 % de la surface agricole utile (SAU) est consacrée au bio ; ce n'est pas suffisant, il faut développer les produits sous signes d'identification de la qualité ou de l'origine (SIQO). Je lance à cette fin le crédit d'impôt HVE.
Qu'est-ce qu'un produit local ? Peut-il voyager jusqu'à 60, 80 kilomètres ? Difficile à définir ! C'est pourquoi la loi ne le précise pas ! Je partage pour ma part la définition du sénateur Duplomb. Le PAT est à peu près à la même échelle. Chacun voit, au fond, ce qu'est un produit local.
La transition agro-écologique a un coût. Pour faire, il faut aussi rémunérer les agriculteurs sont les premiers acteurs de ce mouvement.
Soyons pragmatiques, pour espérer convaincre les agriculteurs, entrepreneurs du vivant, à attirer des jeunes.
M. Serge Mérillou . - Le travail de nos éleveurs fait notre fierté collective. Malheureusement, des filières sont en danger, notamment les abattoirs de proximité.
Celui de Ribérac en Dordogne, qui emploie 21 personnes, est en train de plonger : 1 200 bêtes abattues contre 4 000 il y a quelques années. Le retrait de la société Arcadie lui a porté un coup fatal. Il a 700 000 euros de dettes dont 200 000 euros de redevances dues à la commune.
Or ces abattoirs sont essentiels pour favoriser les circuits courts et pour maintenir les emplois dans des territoires en difficulté. S'ils disparaissaient, le label « veau sous la mère » - qui fait notre fierté en Dordogne - sera menacé.
Le plan de relance a prévu 250 millions d'euros pour l'élevage, dont 130 millions d'euros sont dédiés à la modernisation des abattoirs et outils de première transformation.
Que comptez-vous faire, monsieur le ministre ? Comment inviter les acteurs privés à investir dans ce secteur ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Je connais bien la situation. L'abattoir a été repris par Carnivor, après une procédure douloureuse.
Si l'abattoir n'existe plus, l'indication géographique protégée (IGP) tombe. C'est pourquoi j'ai consacré une enveloppe dans le plan de relance pour accompagner les abattoirs de proximité, soutenus par les collectivités territoriales mais peu rentables.
Faites remonter les projets avec les préfectures pour que nous puissions les financer. Il faut favoriser à la fois le développement économique et le bien-être animal.
M. Édouard Courtial . - Je dédie cette question à Laurent Darras, agriculteur décédé dans un accident sur son exploitation à Villers-Saint-Frambourg-Ognon dans l'Oise.
Sur-enchevêtrement du coût du travail, violences, complexité administrative, surtransposition, problème de succession, la liste des problèmes est longue.
Pour y faire face, l'État n'est pas à la hauteur. La loi EGAlim a suscité bien des espoirs, douchés par la signature des traités commerciaux.
C'est la même chose avec l'interdiction des néonicotinoïdes : le Parlement a de justesse arraché une dérogation dont nous vous savons gré, car il n'y avait pas d'alternatives.
Or l'agriculture est le ferment du développement local. Nos agriculteurs sont les premiers écologistes, eux qui aiment leur territoire. Notre agriculture est sans doute l'une des plus durables au monde. À quand une campagne de sensibilisation pour défendre et valoriser nos agriculteurs ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Merci beaucoup pour votre question. Monsieur le sénateur, vous avez ô combien raison de valoriser ce beau métier d'agriculteur et d'éleveur. J'en appelle à la jeunesse de France : ces métiers recrutent.
Ce sont des métiers de passion, du vivant et de la terre, mais aussi d'innovation, contrairement aux idées reçues, avec le machinisme, la gestion raisonnée des intrants, les outils de transformation. La France en est l'un des leaders mondiaux.
Ce sont, enfin, des métiers qui ont l'une des plus grandes finalités qui soit : celle de nourrir l'ensemble de nos concitoyens et de contribuer à la confiance dans la santé nutritionnelle.
Aujourd'hui, ces métiers font face à un défi majeur : un agriculteur sur deux va partir à la retraite dans les dix prochaines années. Pour y répondre, nous avons un actif considérable : nos lycées agricoles qui forment à ces métiers de passion, d'innovation et de noblesse. Il faut y attirer les jeunes : c'est mon ambition et je ne lâcherai pas.
Dans le plan de relance, nous consacrons 10 millions d'euros à la campagne de communication qui sera lancée très prochainement. Pas d'agriculture sans agriculteurs : c'est une question de souveraineté nationale.
Mme Laurence Muller-Bronn . - Le développement des circuits courts se confirme, à l'occasion de la crise sanitaire. Une politique de soutien économique et fiscal doit confirmer cette évolution. Au-delà des mesures d'urgence, nous devons conforter l'avenir de ces filières. La loi EGAlim n'a pas porté ses fruits : l'offre n'a pas été structurée et les revenus des agriculteurs restent insuffisants.
La signature d'accords avec la grande distribution ne me semble pas être la solution : nos agriculteurs doivent rester indépendants, tout en étant capable de répondre aux attentes des consommateurs. Ils participent à la revitalisation de notre France rurale. Quelles mesures structurelles envisagez-vous pour soutenir les filières locales ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Ces accords avec la grande distribution ne sont exclusifs d'aucune autre action. Il faut effectivement pérenniser la tendance, encouragée par le premier confinement, à l'achat de produits frais et locaux dans les supermarchés.
Nous soutenons les filières via le plan de relance, avec 60 millions d'euros pour la structuration de filières, 80 millions d'euros pour les plans d'alimentation territoriaux et 50 millions d'euros pour la restauration collective. Nous travaillons aussi avec les commerçants, qui depuis longtemps valorisent les produits locaux. Il faut jouer sur tous les terrains.
L'export et les circuits courts doivent être développés dans toutes leurs facettes, je m'y emploierai avec force.
Mme Vivette Lopez . - Beaucoup a déjà été dit... Notre débat est opportun. Cette thématique a pris un relief particulier à la faveur de la pandémie.
Chaque Français a pu constater à quel point la souveraineté alimentaire et les circuits courts étaient importants. La mise en place de maisons des producteurs locaux est intéressante, avec 37 départements partenaires et plus de 2 500 marchés, qui sont aussi des outils d'animation et de développement des territoires. Il s'agit, dans un bassin de vie, de mettre des locaux ou du foncier à disposition des producteurs ayant signé une charte de bonnes pratiques. Mais ces maisons se heurtent à des problèmes de financement, avec des budgets contraints et trop peu de lisibilité. Elles reposent sur des partenariats entre les producteurs, la chambre d'agriculture et les collectivités territoriales, qui, tous, ont des budgets contraints. L'aide de l'État est nécessaire.
Toutes les initiatives sont intéressantes mais les professionnels et les consommateurs s'y perdent... Mutualisons les forces. Les Français ont toujours manifesté un attachement historique et culturel à leur alimentation. Quelle aide de l'État à ces maisons de producteurs ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Je crois beaucoup à ces maisons de producteurs et à tous les marchés de gros sur notre territoire, au-delà de celui de Rungis. Je suis donc prêt à soutenir ces maisons. Les plans d'alimentation territoriaux pourront les financer sans problème.
Quand l'État mettait 40 000 à 50 000 euros par plan, ce n'était pas suffisant et il n'était pas certain que les collectivités territoriales utilisent cette somme pour ces projets mais désormais, nous mettons 25 fois plus : 6 millions d'euros sur quatre ans versus 80 millions d'euros sur deux ans. Nous aurons les moyens d'une ambition plus forte.
Je vous remercie, madame la présidente, pour votre présidence, et je remercie tout le monde.
Mme la présidente. - Ce débat m'est cher.
M. Frédéric Marchand . - Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Nous pouvons tous dire, unanimes, que l'accès à une alimentation durable est une priorité.
C'est une question à la fois sociale et de santé, dans laquelle les territoires ont un rôle essentiel. Création de circuits courts, lutte contre le gaspillage, ils ont un rôle clé d'assemblier pour aller vers la transition écologique, vers des modèles plus résilients. La demande en produits locaux ne fait que confirmer ce besoin.
Monsieur le ministre, le grand dessein que vous incarnez ne réussira qu'en s'appuyant sur la dynamique locale de tous les acteurs, dont les agriculteurs au premier chef.
Il faut aussi relocaliser la production, développer les circuits courts et définir de nouvelles relations, grâce à l'économie sociale et solidaire, pour des liaisons heureuses. Ce doit être une priorité, pour développer l'emploi local et réduire l'empreinte environnementale de l'alimentation. Il s'agit d'amplifier la dynamique de retour à la terre, en milieu rural comme urbain, qui se manifeste depuis la crise.
Dans le Nord, beaucoup de communes et intercommunalités ont fait de l'alimentation durable et locale un objet politique. Je ne compte plus le nombre d'élus en charge du dossier...
L'accès de nos concitoyens les plus modestes à cette alimentation saine, locale, durable et de qualité doit être une priorité.
Je citerai Brillat-Savarin et son traité de physiologie du goût, sûrement votre mantra quotidien : « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ».
M. Julien Denormandie, ministre. - Je remercie le sénateur Marchand d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour. Il ne peut se penser, dissocié des autres.
L'alimentation, c'est la santé, qui ne peut être réduite à la santé humaine. Une approche holistique du monde vivant est extrêmement pertinente, mais la complexité de la nature rend nos chemins encore plus difficiles. (M. Frédéric Marchand applaudit.)
La séance est suspendue à 17 h 50.
présidence de M. Georges Patient, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Accord en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Échec en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.
Discussion générale
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques . - Ce projet de loi comporte des dispositions très diverses : Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), protection des consommateurs, lutte contre le blanchiment, transposition des directives services, médias et audiovisuels (SMA) et droit d'auteur. Illustrant l'importante activité normative de l'Union européenne, elles auront un impact considérable.
Quelques exemples : le projet de loi élargit le champ d'action des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ce qui représente une avancée importante pour les consommateurs.
Le projet de loi transpose également les directives SMA et droit d'auteur, présentées ici récemment par Roselyne Bachelot. Il assujettit les plateformes installées à l'étranger à des obligations de financement de la production audiovisuelle et cinématographique. Cela permettra à notre pays d'être exemplaire en matière d'application du droit communautaire, alors que se profile notre présidence du Conseil de l'Union européenne en 2022.
Ce projet de loi comporte des dispositions issues de vos travaux, par exemple pour résorber les déserts vétérinaires. Il est dommage que la commission mixte paritaire (CMP) n'ait pu aboutir, faute d'accord sur l'article 4 bis qui reprenait la proposition de loi de Sophie Primas sur la protection du consommateur dans le cyberespace. Je rappellerai pourquoi le Gouvernement n'est pas favorable à l'introduction de cette mesure dans le droit français, afin de ne pas desservir la négociation européenne en cours.
Les avancées de ce projet de loi complexe renforceront la protection du consommateur et c'est dans ce cadre que seront conduites les négociations de l'Union européenne sur la régulation du numérique, qui ne doivent pas éclipser l'ampleur du travail accompli sur ce texte.
M. André Gattolin. - Très bien !
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des finances . - Le 22 octobre dernier, la CMP n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun en dépit de nos efforts et de nos concessions, notamment sur la gestion des crédits Feader. L'article 4 bis fut le point d'achoppement, les députés ayant estimé inopportune une initiative française en la matière. J'en reste très surpris. Quand on veut envoyer un message à l'Union européenne, il y a trois modes d'action : une proposition de résolution, comme Colette Mélot en eut l'initiative, un avis politique, comme André Gattolin en a inspiré plusieurs, ou, comme c'est le cas ici, un texte législatif.
Il est vrai qu'en matière numérique, le niveau européen est le niveau pertinent, mais l'Europe c'est le temps long...un accord risque de prendre du temps.
En CMP, nous avons eu un accord large sur la plupart des dispositions du texte mais un désaccord profond sur l'article 4 bis. J'espère que ce refus n'est pas une posture du Gouvernement. Il me semble qu'entre posture et incohérence vous avez franchi un pas... (Marques d'appréciation sur les travées du groupe Les Républicains)
Je signale en outre que la proposition de loi Primas avait été signée par la moitié des sénateurs et votée à l'unanimité par le Sénat. Ce dispositif clés en main que nous avons intégré au texte, consacre le principe de neutralité des terminaux, favorise l'interopérabilité des plateformes, renforce les contrôles et consacre un article du code de la consommation à la lutte contre les interfaces trompeuses qui manipulent nos choix, dont l'exemple le plus connu est celui des cases pré-cochées.
Le Gouvernement refuse cette initiative au motif que la Commission européenne doit présenter un texte début décembre. Mais, je le redis, l'Europe, c'est le temps long. Souvenez-vous du Règlement général pour la protection des données (RGPD) qui a mis sept ans à être publié ! Le Digital Services Act risque de prendre autant de temps...Voter ce texte ne présente donc aucun risque !
Pour la taxation des géants du numérique, vous nous aviez proposé d'agir tout autrement et les Allemands ont commencé à faire évoluer leur législation.
Nous restons donc assez « braqués » sur ce texte et je ne suis pas certain que vous réussirez à nous convaincre. Nous appréhendons la position du Gouvernement comme une posture politique que nous ne comprenons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Colette Mélot . - Comme l'iceberg, la majeure partie de l'Union européenne n'est pas dans la lumière. Outre le Brexit, c'est surtout le cas du marché unique dont bénéficient chaque jour nos concitoyens, si présent qu'il finit par ne plus être remarqué.
En première lecture, le groupe Les Indépendants avait souligné l'intérêt des mesures de ce texte. Mais la CMP a échoué : la discorde s'est cristallisée sur l'article 4 bis.
L'Union européenne apporte beaucoup aux Européens pour la protection des consommateurs dans le cyberespace, qui est encore incomplète. « Ce que Paris conseille, l'Europe le médite ; ce que Paris commence, l'Europe le continue » écrivait Victor Hugo...
M. Jérôme Bascher. - Ah !
M. Jean Bizet, rapporteur. - Très bien !
Mme Colette Mélot. - La France doit assumer sa place et son rôle de moteur dans l'Europe. La proposition de loi de Sophie Primas est de qualité et mon groupe l'a votée, comme les autres groupes.
La protection du consommateur en ligne doit être une priorité et l'Union européenne apporte beaucoup en la matière, mais pas tout. Nous espérons donc que cet article 4 bis soit maintenu pour protéger les Français. Quitte, le moment venu, à faire évoluer le dispositif au vu des règles européennes à venir.
Mon groupe votera ce texte et la protection du libre choix du consommateur dans le cyberespace. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jacques Fernique . - Nous avons travaillé dans l'urgence un texte dense et très technique. La France présidera le Conseil européen au premier semestre 2022 : nous devons donc être à jour. La période post-Brexit nous impose aussi des adaptations nécessaires.
Mais cette méthode de liste à la Prévert étonne le jeune sénateur que je suis. Avec cette liste de courses gouvernementale sans cohérence, notre travail parlementaire perd en consistance.
Ce texte reflète aussi la fâcheuse tendance du Gouvernement à recourir aux ordonnances. La CMP a acté le désaccord avec l'Assemblée nationale.
Le GEST approuve les dispositions sur le secteur vétérinaire, sur le droit de la consommation à l'ère numérique, la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, la protection de la santé animale, notamment.
En revanche, nous avons un problème avec l'article 24 sur la gestion du Feader : nous doutons que l'ordonnance soit un moyen adapté pour revoir la répartition des compétences entre État et régions.
Nous regrettons la suppression de l'article 4 bis par l'Assemblée nationale : cet article proposait une maîtrise de l'action des fameux Gafam. L'argument relatif à la gêne des négociations futures n'est pas recevable, comme l'a montré le sujet de la taxation des Gafam.
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
M. Jacques Fernique. - Nous sommes donc réticents à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Bascher. - Très bien !
M. André Gattolin . - Nous y revoici. Jean Bizet a rappelé les différentes façons d'intervenir sur le droit européen.
À mon tour de me livrer à un peu de pédagogie européenne !
Les projets de loi « portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne », dits « Ddadue » ont pris la suite des « DDAC » - textes portant « diverses dispositions d'adaptation » de notre législation au droit communautaire. Cela a commencé au milieu des années quatre-vingt-dix, à l'image de la pratique italienne. C'est en effet le Parlement italien, que l'on critique souvent, qui a eu l'idée heureuse de transposer ainsi, de manière groupée, des dispositions éparses.
La France accusait auparavant des retards colossaux de transposition et était en conséquence régulièrement sanctionnée. Nous avons dû créer cet objet législatif pour éviter de telles sanctions récurrentes.
Par exemple, nous sommes en limite de transposition de la directive SMA et nous perdons chaque année des millions d'euros de contributions non perçues.
À la faveur du confinement, Netflix aura deux cents millions d'abonnés dans le monde à la fin de l'année, dont sept millions en France.
Je soutiens l'article 4 bis sur le fond et j'avais voté la proposition de loi Primas. Mais cette disposition n'a rien à faire dans un projet de loi Ddadue. Il faut raison garder. J'apprécie beaucoup le travail de Sophie Primas, mais ce texte est très franco-français dans sa conception. On évoque une loi allemande, mais elle n'est à ce stade qu'un projet destiné à faire pression sur l'état de l'art et pousse la Commission à avancer.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte, sans pour autant voter contre, car 95 % de celui-ci nous convient et il est temps de voter les transpositions d'urgence.
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ces dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne sont désormais des marronniers parlementaires. Celui-ci permet la transposition de dix-huit directives et quatorze règlements.
Par la voix de Josiane Costes, le RDSE avait souligné l'importance des dispositions sur le blanchiment, sur le Feader en matière d'octroi des aides, mais aussi sur la protection du consommateur. Cela est d'autant plus important dans cette période où nos petits commerces sont menacés.
L'interopérabilité est essentielle, comme nous l'avions souligné à l'occasion de l'examen de la proposition de loi sur les contenus haineux en ligne. Les arguments de l'Assemblée nationale sur le caractère de cavalier de l'article 4 bis ne me convainquent pas. Dans le projet de loi ASAP, ce sont 81 articles qui auraient été concernés...
Malgré ses interrogations, n'ayant pas de grands désaccords de fond avec l'Assemblée nationale, le groupe RDSE dans sa grande majorité votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et Les Républicains)
M. Jérémy Bacchi . - L'examen des projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière est un exercice que nous n'apprécions guère : trop de sujets - pourtant essentiels - dans un même texte - droit de la consommation, règles financières, douanières, santé animale, droit de la concurrence, lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme...
Cependant, la mesure de lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans les chaînes agricoles et alimentaires est bienvenue.
Le Sénat a adopté une proposition de loi sur le sujet du libre choix dans le cyberespace. Mais il aurait fallu une transposition spécifique sur ce point.
La lutte contre les flux d'argent liquide est elle aussi à saluer, mais attention à ne pas créer une Union européenne des capitaux qui invisibiliserait les États membres. Ne leur liez pas les mains au nom de la concurrence ! C'est pourquoi nous n'approuvons pas la transposition de la directive sur la transparence des aides fiscales. Les crises nous montrent l'importance de la régulation.
Nous ne comprenons pas non plus la suppression de l'article 4 bis contre les abus des géants du numérique. Après avoir rejeté tout moratoire contre l'installation d'entrepôts d'Amazon, vous refusez à présent de porter le fer contre les géants du numérique, en servant des intérêts qui ne sont, de notre point de vue, pas conformes à l'intérêt général.
Le groupe CRCE votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Michel Canevet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Très attaché à l'Europe, le groupe UC apprécie les mesures que porte ce texte mais déplore un excès d'ordonnances.
Ce texte reste très attendu dans son volet de transposition de la directive SMA et sur les droits d'auteur, qu'il est important de traduire dans notre droit.
Les aspects vétérinaires du texte portés par la commission des affaires économiques du Sénat sont eux aussi bienvenus, comme les dispositions sur la gestion du Feader qui doit être aussi déconcentrée que possible, pourquoi pas au niveau des régions si celles-ci le souhaitent ?
Le texte aborde aussi la question du service universel, notamment pour le déploiement des réseaux. Selon le plan France Très haut débit que vous portez, nos concitoyens doivent avoir une connexion d'au moins 8 mégabits à la fin de l'année. Nous n'y serons pas : c'est encore 1,5 mégabit dans ma commune !
L'universalité consiste en ce que chacun puisse recourir à l'outil numérique. La question de la régulation des plateformes numériques est là aussi cruciale. Il faut avancer dans ce domaine, comme nous l'avons fait pour la taxe GAFA. Il faut savoir être précurseur comme nous le fûmes alors, car le marché précède souvent la régulation.
Dans le domaine numérique, les usages ne pourront évoluer que si nous y mettons une ambition forte, comme en intéressant les autres entreprises à utiliser le crédit impôt recherche pour déployer des dispositifs digitaux. Il faut une impulsion au plus haut niveau.
Comme mes collègues, je déplore que le Gouvernement ait manqué l'occasion de marquer une orientation claire.
Le groupe Union centriste votera néanmoins ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Patrice Joly . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER regrette qu'un accord n'ait pas été trouvé mais nous ne sommes pas surpris : le Gouvernement et sa majorité ont du mal avec le fonctionnement de la démocratie parlementaire.
Le recours aux ordonnances privilégié par le Gouvernement ne renforcera pas les liens indispensables entre instances européennes et nationales ni la coordination de leurs travaux. Nous avions néanmoins accepté l'essentiel des habilitations, au vu de l'urgence.
Le texte sorti du Sénat était globalement positif, au-delà même des transpositions attendues, notamment contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Je pense aussi aux pratiques des entreprises de vente en ligne qui gênent la fluidité du marché, en créant des blocages injustifiés. Malheureusement, l'Assemblée nationale a rétabli l'habilitation de l'article 24, dont nous ne voulions pas, sur la répartition des compétences entre État et régions sur la gestion du Feader. Nous n'en voulions pas.
Le groupe SER était prêt à s'y résigner en échange du maintien de l'article 4 bis, adopté à l'unanimité du Sénat, reprenant une proposition de loi de Sophie Primas, sur l'encadrement des géants du numérique.
L'enjeu est décisif pour la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et le renforcement du contrôle des concentrations afin d'appréhender les acquisitions dites « prédatrices » des géants du numérique, mais aussi protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses, et le Gouvernement avait confirmé qu'il était en cours de réflexion - tout en rejetant l'article - au prétexte de distorsions possibles du marché. C'était pourtant l'occasion de mettre en oeuvre une régulation plus agile et efficace, comme semblent s'y engager l'Allemagne et les États-Unis.
On ne peut que regretter que l'Assemblée nationale ait suivi le Gouvernement dans le rejet de l'article 4.
Les États-Unis s'engagent dans une régulation plus ferme du numérique. Il est essentiel que la France ouvre la voie en Europe. Car oui, il faut agir au niveau européen. La Commission européenne fait preuve de volontarisme dans ce domaine, avec le futur Digital Services Act. Il fallait fixer un cap au niveau français afin de peser dans la négociation européenne et de donner du pouvoir aux consommateurs et aux entreprises impuissantes face aux géants du numérique.
Bref, ce texte est un nouveau rendez-vous manqué. Monsieur le ministre, n'ayez pas peur du Parlement ni des corps intermédiaires ! Sachez vous y appuyer.
Le groupe SER votera le texte de la commission rétablissant celui du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc de la commission)
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La CMP a failli être conclusive. Les députés, y compris certains de la majorité, y étaient prêts, n'imaginant pas que nos discussions achoppent sur un sujet aussi consensuel que la régulation des géants du numérique. Mais le Gouvernement a tranché : c'est non !
Non, le consommateur ne pourra pas changer de plateforme en ligne ni être protégé contre les interfaces trompeuses. Pourquoi ce non ? Il n'y a pas de débat sur la nécessité d'agir au niveau européen ; mais dans l'attente d'un texte européen, faut-il se faire hara-kiri, faut-il que les parlements nationaux renoncent à leurs prérogatives sous prétexte que la Commission européenne va proposer une première version ? Ce serait dangereux pour la démocratie. En outre, les négociations européennes, on le sait, prendront beaucoup de temps.
La bataille sera longue et intense : la presse a révélé fin octobre les intentions de Google qui utilisera tous les moyens pour torpiller le texte - sollicitation du gouvernement américain, exploitation des divisions européennes.
Or, du temps, nous n'en avons pas. Pour mettre fin à l'hégémonie, il faut un texte applicable dès maintenant.
Sur la haine en ligne, monsieur le ministre, vous avez déclaré que le processus européen étant long, il était indispensable d'agir dans l'intervalle. Vous rallieriez-vous à notre méthode ? Si tel est le cas, retirez votre amendement de suppression ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains ; le ministre rit aussi.)
D'un côté, il faut avancer sans attendre l'Europe, de l'autre, il ne faut pas avancer... Comment voulez-vous que les Français vous suivent si vous dites tout et son contraire ? Pourtant, vous dites que vous êtes d'accord sur le fond.
Comment pouvez-vous assumer une telle position alors que l'Allemagne avance au niveau national ? À l'occasion de son Ddadue, elle instaurera une régulation des géants du numérique, c'est-à-dire exactement ce que nous voulons. Ce n'est pas encore voté, certes, mais déjà proposé - alors que le Gouvernement français s'y refuse. L'Allemagne va plus loin que ce que souhaiterait le Sénat : nous étions dans l'optique du consensus, retirant des articles en CMP.
L'initiative présentée en Allemagne le 9 septembre fait consensus, avez-vous reconnu.
Sur la fiscalité, les fausses informations, la haine en ligne, il y a une prise de conscience et vous avez accepté d'agir au niveau national. Pourquoi pas sur la régulation ?
Nous proposerons simplement que la France soit précurseur afin de pouvoir présenter au monde un premier retour d'expérience. C'est votre dernière chance de faire mentir ceux qui fustigent le renoncement des élites françaises en matière numérique. Les Français nous regardent. Ils ne comprendraient pas.
Monsieur le ministre, vous auriez pu éviter les propos vexatoires que vous avez tenus devant les députés - qualifiant le texte sur les dark patterns de Mme Primas « d'écrit avec les pieds ». (Le ministre proteste.) Oui, vous l'avez dit. Ce n'était pas très correct.
Notre proposition était honnête, dans le sens de la société. Vous ne nous avez pas écoutés car vous avez préféré la politique au concret. C'est un cadeau aux géants du numérique.
Nous étions parvenus à un texte globalement consensuel, dans de nombreux domaines, insérant certaines dispositions de notre propre fait - ainsi sur les déserts vétérinaires : nous n'avons pas attendu l'Europe !
Monsieur le ministre, dans un élan de générosité, après avoir reconnu votre aveu et vos propos à l'égard de madame Primas...
Mme Sophie Primas. - Et de ses pieds !
M. Laurent Duplomb. - ... faites oeuvre de charité pour les Français, retirez vos amendements ! Vous vous honorerez. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article premier est adopté, de même que les articles 3 et 4.
ARTICLE 4 BIS
Mme Sophie Primas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Laurent Duplomb de ses propos, ainsi que mes collègues de leur soutien à la proposition de loi de la commission des affaires économiques, soumise au Conseil d'État et votée par deux fois.
Oui, l'Europe est la bonne échelle, comme pour la taxe GAFA et la lutte contre la haine en ligne.
Nous partageons le même avis sur les dispositifs de régulation proposés et attendons le Digital Services Act et le Digital Market Act, repoussés de quelques jours. Mais le travail ne fait que commencer - ce ne sont que des documents d'orientation - et il faudra attendre des mois et des années pour aboutir à une régulation.
Nous avons déjà perdu dix mois depuis le vote du Sénat ; ne prenons pas davantage de temps, même si je comprends que la France veut aboutir au premier semestre 2022 lors de sa présidence de l'Union européenne.
Thierry Breton ne semble pas gêné par nos propositions : il ne m'a même pas rappelée... (Sourires)
M. Laurent Duplomb . - L'article 4 bis porte sur l'interopérabilité, la neutralité des opérateurs, les dark patterns et les acquisitions prédatrices. Dans nos négociations de CMP, nous n'avons conservé, par esprit de compromis, que l'interopérabilité et les dark patterns.
Sur mon téléphone, Google me demande d'accepter une clause, sinon je ne peux pas aller plus loin. Sans acceptation, on arrive sur une interface trompeuse. En tant que Français, agriculteur de base, pas très intelligent, je me dis que c'est inadmissible ! Le Gouvernement me dit qu'il est tellement intelligent qu'il va attendre l'Europe, comme si elle était la planche de salut.
Ma grand-mère disait : « Mieux vaut un je te tiens que deux tu l'auras ». Appliquons ce bon principe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Bien sûr, je n'ai pas voulu évoquer à l'Assemblée nationale les pieds de la présidente Primas ; je me suis probablement laissé emporter.
M. Laurent Duplomb. - C'est bien de le reconnaître.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je regrette mes propos à l'emporte-pièce.
Nous avons examiné il y a quelques jours une proposition de loi centriste sur la cybersécurité que nous avons amendée de concert. Nous savons travailler avec la Chambre haute.
Je transmettrai le message de Mme Primas à Thierry Breton, avec lequel je me suis entretenu récemment. Je n'ai pas la même lecture de son absence de rappel.
Les textes européens devraient être présentés début décembre. Le Gouvernement s'est abstenu de nouveaux textes, y compris après le tragique événement de Conflans-Sainte-Honorine, pour attendre l'action européenne.
Thierry Breton estime que nous desservons la cause française à prendre des initiatives sans attendre le Digital Services Act, qui sera fondateur pour les prochaines années.
Si les propositions européennes n'étaient pas à la hauteur de nos espérances, je m'engage à ce que nous remettions le travail sur le métier.
Il n'était peut-être pas souhaitable de reporter l'application de ces dispositions en 2023 ou 2024 : cela n'est pas une bonne façon de régler nos désaccords et cela n'aurait pas été très respectueux du Parlement.
La sunset clause n'existe pas hors d'un engagement politique. Retirer une législation nationale lorsqu'apparaît une législation européenne, cela n'existe pas légalement.
Sur les dark patterns et la lutte contre les interfaces trompeuses, la disposition envisagée est redondante avec le code de la consommation qui interdit les pratiques commerciales trompeuses et les sanctionne jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel. C'est seulement 4 % dans le RGPD.
J'étais prêt à retirer l'amendement du Gouvernement, mais je me suis rappelé un grand auteur : Bruno Retailleau - que je remercie pour son soutien à TousAntiCovid - qui, lors de l'examen de la loi Avia, avait indiqué qu'il aurait été plus sage d'attendre l'initiative de la Commission européenne, plutôt que de se précipiter. (Sourires)
M. André Gattolin. - Du grand Retailleau !
M. Jean Bizet, rapporteur. - Avis défavorable, le niveau pertinent est bien le niveau européen, mais rien n'empêche les initiatives nationales.
J'ai entendu votre engagement s'agissant du Digital Services Act. Quand il viendra, il faudra le transposer en droit national - cela demande a minima deux ans si c'est une directive - et le comparer à cette occasion à la proposition de loi de Mme Primas. Nous aurions gagné du temps en adoptant cet article sans votre amendement.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Ce pourrait être un règlement et non une directive.
M. Jean Bizet, rapporteur. - Pour l'instant, c'est une directive. Le règlement est plus simple mais pas très démocratique.
M. Jérôme Bascher. - Nous sommes d'accord sur le fond, moins sur le calendrier et la méthode qui sont la preuve de l'entêtement du Gouvernement.
Vous avez tort de ne servir qu'une seule personne et de faire de la technique au lieu d'écouter la volonté générale exprimée par le Sénat à plusieurs reprises.
En 2017, nous avons tous cru que le Président de la République voulait redonner un élan à la France dans l'Europe. Hélas, c'est à l'Allemagne que l'on redonne un élan.
Vous dites que l'affaire sera réglée dans trois semaines. Mais que faisons-nous là ? Vous préférez servir une personne plutôt que la France.
Mme Sophie Primas. - Si la France dérange M. Breton, l'Allemagne, elle, avance. Son projet de loi a été déposé le 9 septembre et il devrait être adopté le 4 février prochain dans le cadre de la dixième réforme du droit de la concurrence. Pourtant, le Digital Services Act sera publié en décembre. Pourquoi deux poids deux mesures ?
La sunset clause, par ailleurs, n'est pas une demande du Sénat, mais une initiative d'un député de votre majorité.
Vous avez cité le grand auteur vendéen, mais nous avons voté la loi Avia malgré nos réserves. Retirez votre amendement !
Enfin, sur les dark patterns, y a-t-il des saisines de la DFCCRF ? Sinon, c'est que quelque chose coince.
M. Laurent Duplomb. - La sunset clause est apparue dans la recherche de consensus, à l'initiative d'une députée de votre majorité.
Votons cette disposition ! Il sera toujours temps d'évoluer en fonction des propositions européennes.
Nous avons voté la loi Avia, vous ne pouvez pas nous l'opposer.
Votre majorité s'est abstenue en CMP. Une majorité se dessinait en faveur du texte, car tous les sénateurs, à l'exception peut-être de M. Gattolin, y étaient favorables. C'est démocratiquement un peu bancal.
Si la DGCCRF nous prouvait qu'elle règle le problème des dark patterns, nous pourrions changer d'avis, mais ce n'est pas le cas !
Monsieur le ministre, faites ce qu'il faut pour qu'entre aujourd'hui et après-après-demain, quand l'Union européenne aura agi, il se soit passé quelque chose.
Supprimez votre amendement de suppression : vous vous sentirez mieux ce soir et nous aussi ! (Sourires)
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je n'ai pas la réponse sur la DGCCRF.
Il est faux de dire que l'Allemagne mène la danse sur la régulation des grandes plateformes. Lisez la presse anglo-saxonne qui mentionne l'action de la France et des Pays-Bas.
Le texte allemand est plus large que la seule interopérabilité. Il est actuellement au milieu du gué. Nous verrons comment il évolue.
Comme la Commission, nous sommes plutôt en faveur d'un règlement, afin de permettre une application uniforme de la régulation sur le territoire européen et d'éviter tout dumping.
M. Jean Bizet, rapporteur. - Notre avis reste défavorable et le ministre campe sur ses positions : il faut conclure.
Un règlement, avouons-le, est moins démocratique mais plus efficace. Nous l'avons vu avec le règlement IDE.
Je vous demanderai seulement que les quatre sujets de la proposition de loi Primas y soient intégrés.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Bien sûr.
M. André Gattolin. - On marche sur la tête. Ce n'est pas le bon véhicule législatif ! Ce Ddadue a pour objectif de transposer des textes en urgence comme la directive SMA et rattraper le temps perdu pendant le confinement.
Si les Allemands examinent un texte, c'est aussi pour se mettre en conformité avec la position de la Commission européenne. Je n'imagine pas autre chose d'Angela Merkel.
J'ajoute que la symétrie entre le texte de Mme Primas et le texte allemand n'est pas absolue. Dans la proposition de loi Primas, tout tourne autour du Conseil d'État.
Revenons sur ce sujet en février si le Digital Services Act ne va pas assez loin. Attendons d'ici là. Nous serons plus efficaces à Vingt-Sept qu'avec un texte franco-français.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article 4 bis est adopté.
Les articles 5, 5 bis, 6 bis, 7, 9, 10,11, 12, 13, 14, 15, 16, 16 ter, 17, 18, 19 bis, 21, 22 bis, 22 quater, 22 quinquies, 22 sexies, 24, 24 bis, 24 ter A, 24 ter, 25, 26 et 27 sont successivement adoptés.
ARTICLE 27 BIS
M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 3
Après les mots :
qu'elle détermine
supprimer la fin de cet alinéa.
II. - Après l'alinéa 3
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« À cette fin, les opérateurs de communications électroniques sont tenus de fournir à l'autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse des informations relatives à la couverture actuelle de leurs réseaux, ainsi que des prévisions de couverture de leurs réseaux pour une durée qu'elle détermine dès lors que les données susceptibles d'être utilisées pour l'élaboration de ces prévisions sont disponibles. Ces prévisions comprennent notamment et, le cas échéant, des informations sur les déploiements de réseaux à très haute capacité et les mises à niveau ainsi que sur les extensions de réseaux visant à offrir un débit descendant d'au moins 100 mégabits par seconde.
« L'Autorité précise les modalités de restitution de ces informations et les modalités selon lesquelles les opérateurs fournissent, moyennant des efforts raisonnables, les prévisions de couverture de leurs réseaux.
« Les collectivités territoriales et leurs groupements agissant dans le cadre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, qui n'interviendraient pas en tant qu'opérateur de communications électroniques, et les personnes publiques chargées d'élaborer le schéma directeur territorial d'aménagement numérique du territoire conformément à l'article L. 1425-2 du même code, font leurs meilleurs efforts pour fournir à l'Autorité les informations disponibles relatives aux projets de déploiements de réseaux à très haut capacité et aux prévisions de couverture des réseaux sur leurs territoires qui en résultent.
III. - Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
IV. - Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. - Le présent article entre en vigueur le 21 décembre 2023, à l'exception du I de l'article L. 33-12-1 du code des postes et des communications électroniques, qui entre en vigueur le lendemain de la publication de la présente loi au Journal officiel.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Cet amendement autorise l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) à recueillir un certain nombre d'informations. Il s'inscrit dans la transposition de l'article 22 de la directive européenne du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen. L'Arcep pourra demander aux personnes publiques qui exploitent un réseau d'initiative publique ou qui ont élaboré un schéma directeur territorial d'aménagement numérique des informations sur la couverture et le déploiement des réseaux de leur territoire. C'est un sujet extrêmement important.
On a évoqué la lutte contre la fracture numérique un peu plus tôt. L'amendement ne modifie pas le régime applicable aux opérateurs figurant à l'article 27 bis, qui devront transmettre à l'Arcep leurs prévisions de déploiement. Enfin l'Arcep pourra lancer ses travaux sur la mise en place du relevé géographique des déploiements.
M. Jean Bizet, rapporteur. - Cet amendement va dans le bon sens : avis favorable.
L'amendement n°2 est adopté.
L'article 27 bis, modifié, est adopté.
Les articles 28 et 29 sont successivement adoptés.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean Bizet, rapporteur . - Si les Digital Services Act et Digital Market Act devaient être pris par règlement, cela irait beaucoup plus vite. Si nos quatre propositions pouvaient être remontées à Bruxelles, nous n'aurions pas perdu notre soirée...
M. Laurent Duplomb . - C'est dommage de finir ainsi. Ce texte aurait pu nous permettre de nous retrouver, sur des sujets qui concernent les Français : garanties sur le numérique, stocks stratégiques pétroliers, déserts vétérinaires, encadrement des pratiques de concurrence. Cela aurait pu être un texte consensuel, mais malgré nos appels du pied, vous n'avez pas retiré vos amendements, monsieur le ministre. Cela me désole un peu, mais c'est le travail parlementaire...
C'est dommage pour les Français, alors que nous avons encore, de toute évidence, du mal à endiguer les géants du numérique...
M. Cédric O, secrétaire d'État . - Je m'engage à faire remonter les propositions qui forment le contenu de la proposition de loi Primas.
Ces sujets sont au coeur de ce que la France porte depuis longtemps : cela est sans ambiguïté. Ces plateformes sont en position monopolistique ou oligopolistique sur certains marchés et doivent donc faire l'objet d'une régulation. Nous nous rejoignons sur ces sujets. C'est ce que la France portera dans le débat dont nous espérons qu'il aboutira, effectivement, à un règlement.
Les premières propositions de la Commission européenne vont dans le bon sens. Nous sommes en plein monitoring, avec la DG Connect et la DG Comp...Les négociations font actuellement rage et j'espère qu'elles se traduiront rapidement dans un règlement qui permettra une application uniforme.
Le projet de loi est adopté.
Prochaine séance demain, mercredi 18 novembre 2020, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 5.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mercredi 18 novembre 2020
Séance publique
À 15 heures
Présidence : M. Gérard Larcher, président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Pierre Cuypers
- Questions d'actualité au Gouvernement
De 16 h 30 à 20 h 30
Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente
- Débat portant sur l'Agence nationale de la cohésion des territoires, un an après sa création
- Débat sur le thème : « La France peut-elle devenir un champion de l'énergie hydrogène ? »