Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.
Discussion générale
Mme Sophie Primas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Je suis heureuse de vous proposer le texte issu de la CMP du 29 octobre, qui, après des débats animés, a été adopté à une large majorité grâce au travail de compromis avec le rapporteur de l'Assemblée nationale et à la volonté du ministre de faire aboutir le texte « quoi qu'il en coûte » médiatiquement (sourires). Il y avait urgence.
Le texte est très clair : l'usage des néonicotinoïdes demeure interdit en France. La filière betteravière bénéficie seule d'une dérogation jusqu'au 1er juillet 2023 pour ses semences.
Les équilibres du texte ont été préservés grâce au plan national de recherche et d'innovation, au plan de prévention de la filière, et au conseil de surveillance dont le rôle a même été consolidé : le texte précise que les acteurs concernés y siègeront avec le ministre de la Santé et que les parlementaires seront nommés par les présidents des assemblées et non plus par les commissions permanentes, en garantissant la représentation de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (Opecst), mais aussi des oppositions. La procédure sur l'arrêté de dérogation a été simplifiée.
La CMP a supprimé l'article 3 prévoyant l'obligation de produire une étude d'impact sur les alternatives avant toute interdiction d'un produit phytosanitaire.
La CMP a adopté à l'unanimité un amendement essentiel rappelant au ministre de l'Agriculture qu'il dispose, en cas de danger sanitaire, du pouvoir de suspendre les importations de denrées ne respectant pas les normes européennes. C'est un signal fort, notamment pour les instances européennes.
La CMP a conservé le renforcement de l'article 44 de la loi EGalim.
Le travail ne s'arrête pas là : les textes réglementaires doivent être rapidement publiés, les betteraviers et les industriels attendent un plan d'aide pour être en mesure de semer l'année prochaine.
D'autres filières orphelines sont inquiètes. Le conseil de surveillance pourra étudier les avancées de la recherche sur les autres filières, comme la noisette, sans toutefois leur accorder de dérogation.
Nous avons insisté sur la nécessité d'adopter une stratégie de recherche pour toutes les filières en impasse technique et attendons des actes concrets.
Ce texte est équilibré et apporte une réponse pragmatique, tout en posant la question plus globale de la stratégie française sur les produits importés. Je vous invite donc à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Pierre Louault et Frédéric Marchand applaudissent également.)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Je veux d'abord rappeler notre engagement résolu pour la transition agro-écologique et une agriculture moins dépendante des intrants. Mais la betterave sucrière et ses 46 000 emplois sont dans une impasse.
Il ne s'agit pas d'opposer économie et écologie, mais de se demander : acceptons-nous la disparition de cette filière ou non ? Souhaitons-nous ne plus consommer que du sucre importé ?
La faute à ce puceron vert dont nous avons tant parlé. Cette crainte est réelle, de très nombreuses parcelles ont été touchées, parfois plus que ce que nous le craignions.
Nous sommes tous favorables à la transition agro-écologique. Les premiers à l'être sont les agriculteurs eux-mêmes. Mais cette transition est confrontée au temps. Comment s'assurer qu'elle pourra se faire avec une filière d'excellence française plutôt que d'importer de pays souvent moins-disants écologiquement ?
Ce texte n'est pas un texte de renoncement, mais un texte volontaire.
Ce projet de loi réintroduit, comme de nombreux États membres, les néonicotinoïdes dans la filière betteravière en vertu de l'article 53 du règlement européen, jusqu'en septembre 2023. Il s'insère dans un plan global avec 7 millions d'euros supplémentaires dans les programmes de recherche publique et privée pour des alternatives en conditions réelles ; il comprend un plan d'action et de prévention de la filière. Ce suivi des engagements est l'un des rôles dévolus au conseil de surveillance, dont sont membres des parlementaires.
Nous avons beaucoup échangé sur le fait que la mention de la « betterave sucrière » non seulement dans le titre du projet de loi mais aussi dans le corps du texte puisse induire une rupture du principe d'égalité. Nous avons des arguments solides pour justifier la différence de traitement au profit de cette filière : l'impact des semences enrobées est plus limité sur les pollinisateurs que dans d'autres filières ; l'impact économique de l'interdiction des néonicotinoïdes est particulièrement grave pour la betterave sucrière, dépendante de l'outil de production que sont les sucreries.
Le risque, c'est que les pertes de rendement induisent une baisse des surfaces plantées et de la mise à l'arrêt des sucreries.
(M. Jean-Claude Tissot proteste.) Dans ce cas, il suffirait d'une à deux saisons pour que toute la filière soit mise à plat. Nous devrions alors importer du sucre de l'étranger.
Vous avez adopté trois amendements concernant la composition du Conseil de surveillance, le délai dans lequel il doit rendre un avis et l'entrée en vigueur de la loi au 15 décembre. La CMP a battu tous les records de durée pour être conclusive in fine. Je remercie la présidente Sophie Primas. Elle a su concilier les positions pour clarifier la mise en oeuvre. (M. Laurent Duplomb renchérit.)
Je souscris pleinement aux précisions apportées par la CMP sur la composition du Conseil de surveillance et prends acte du rappel de la faculté du ministre de l'Agriculture et de la Consommation de prendre des mesures conservatoires pour suspendre l'importation de produits non conformes à nos normes.
C'est un texte difficile, extrêmement important, qui en appelle à la souveraineté agricole et agroalimentaire de la France, but principal de mon ministère, dans la période actuelle. Il n'y a jamais eu à travers l'histoire un pays fort sans une agriculture forte.
M. Daniel Gueret. - Bravo !
M. Julien Denormandie, ministre. - Je veux pour finir rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui se lèvent tôt, qui se couchent tard, grâce à qui le pays a tenu durant le premier confinement, et tiendra durant ce deuxième confinement pour faire vivre toute la chaîne agroalimentaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains)
M. Joël Labbé . - La grandeur de la démocratie réside dans le débat contradictoire. Aussi réaffirmons-nous notre opposition à ce texte qui réautorise un véritable poison sur plus de 400 000 hectares. Quatre ans après la loi Biodiversité, ni l'État ni la filière n'ont pris leurs responsabilités pour trouver des alternatives aux néonicotinoïdes, à la différence de l'Italie, par exemple.
La France aurait aussi pu s'opposer à la possibilité de dérogations pour les États membres de l'Union européenne. La Commission européenne elle-même a déclaré que ces dérogations étaient problématiques.
À cause d'une erreur de vote, nos amendements n'ont pas pu être examinés, notamment celui maintenant a minima une interdiction sur les zones Natura 2000, les parcs naturels et les réserves naturelles.
Cela s'ajoute à une longue liste de renoncements. Mardi 3 novembre, pour les deux ans de la loi EGalim, dont le bilan est bien amer, trente syndicats et associations faisaient un constat d'échec. Sur le revenu des agriculteurs, la réduction des importations et la sortie des pesticides, nous ne sommes pas à la hauteur.
La PAC est elle aussi décevante, sans garantie d'articulation avec le pacte vert européen. L'agriculture biologique manque cruellement de moyens, notamment en matière de recherche. Or le temps presse : une Europe entièrement agro-écologique nous permettrait pourtant de nourrir 530 millions d'Européens en 2050, selon un rapport de 2018.
Certains agriculteurs croient encore à ce modèle d'industrialisation de l'agriculture, et c'est leur droit. Mais de plus en plus d'agriculteurs n'y croient plus du tout ! Dernière précision sur mon intervention de la semaine dernière : ma conclusion faisait référence à une chanson de Georges Brassens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)
M. Frédéric Marchand . - Notre CMP a trouvé jeudi dernier un accord sur ce texte. Nous nous en félicitons. Il fallait agir sans tarder pour sauver la filière. Notre choix, le 27 octobre, d'autoriser cette dérogation avait pour but de préserver notre souveraineté alimentaire, premier impératif, et d'assurer la transition écologique, second impératif.
Non, ce texte ne réintroduit pas une autorisation des néonicotinoïdes, puisque 92 % des usages préalables resteront interdits. Non, il n'est pas une porte ouverte à de nouvelles dérogations. La dérogation sera circonscrite à la betterave sucrière jusqu'en 2023, seulement pour l'enrobage.
Des propos récents minimisent l'impact de la jaunisse sur la betterave, alors que la préservation de champions nationaux est essentielle. (M. Laurent Duplomb renchérit.) Les pertes atteignent 70 % à 80 %. Certes, la situation n'est pas homogène selon le territoire.
L'introduction à l'initiative de Mme Primas d'une possibilité de suspendre les importations de denrées ne respectant pas nos normes est dans le droit fil de la loi EGalim.
Les agriculteurs n'utilisent pas les pesticides pour le plaisir (M. Laurent Duplomb le confirme.), mais pour protéger leurs cultures !
L'article 4 de cette loi doit devenir incontournable pour toutes les filières. Il faut harmoniser les normes de production au niveau européen. C'est pour préserver notre souveraineté alimentaire et pour accompagner la transition écologique pour nos agriculteurs que le groupe RDPI votera ce texte dans sa majorité.
M. Henri Cabanel . - Je regrette la méthode : revenir sur une loi est incompréhensible. Cela n'arriverait pas si nous bénéficions de véritables études d'impact. (M. Laurent Duplomb le concède.)
Il y a un décalage avec les attentes de la société qui veut une agriculture plus verte. Je regrette que la filière n'ait pas changé de paradigme depuis 2006.
Nous aurions pu coconstruire des propositions pour protéger notre filière autrement que par des dérogations qui ne font que conforter la même stratégie. Celles-ci nous rendent-elles plus compétitifs dans un contexte mondial très concurrentiel ? Elles lancent la filière contre le mur. Je regrette le choix de la France de tout traiter préventivement, alors que l'Allemagne, elle, a fait le choix de la lutte ciblée par pulvérisation. Une attaque sanitaire, c'est comme un incendie : si vous l'attaquez aux premières fumées, vous le maîtriser, mais si vous attendez qu'il prenne de l'ampleur, ce sera une véritable catastrophe écologique.
Cerisiers, noisetiers, vignes restent sans réelle alternative. La seule solution, c'est de produire autrement alors que notre production sera toujours moins intensive que celle de nos concurrents.
Inscrivons-nous dans l'avenir, monsieur le ministre : il faut demander à la filière un vrai plan stratégique pour aller au-delà des dérogations et éviter tout néonicotinoïde. Nous sommes prêts à y travailler à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER)
M. Fabien Gay . - Une majorité du Parlement vient de réautoriser les néonicotinoïdes pour trois ans pour la filière betteravière. Nous y restons opposés.
Personne, pourtant, pas même vous, monsieur le ministre, n'a remis en cause leur toxicité. Nous remettons donc en circulation un produit que nous savons toxique pour les abeilles - à la grande inquiétude de nos 54 000 apiculteurs - toxique aussi pour nos sols et pour les humains.
C'est une violation du principe de non-régression qui revient sur un conquis environnemental, mais aussi un retour sur la parole publique et politique. Comment comprendre que Barbara Pompili, cheville ouvrière de la loi de 2016 lorsqu'elle était députée, participe à un gouvernement qui présente ce texte ? Elle aurait dû l'assumer ici avec vous, monsieur le ministre. (Mme Cathy Apourceau-Poly le confirme.)
Serons-nous capables en trois ans de trouver l'alternative que nous n'avons pas su trouver en quatre ans depuis 2016 ? Quels moyens y seront consacrés ? Vous parlez de 50 millions d'euros pour les haies dans le plan de relance ; ce n'est pas suffisant.
Il y a aussi un problème constitutionnel. La présidente Assassi l'a posé en première lecture. Les noisettes, les noix, le maïs, les lentilles...
M. Laurent Duplomb. - ...vertes du Puy !
M. Fabien Gay. - Comment justifierez-vous un refus à leur égard, monsieur le ministre ? Certes, la libéralisation du marché n'est pas de votre fait, mais c'est la véritable source du problème : la fin des quotas sucriers en 2017 a fait baisser les prix et les revenus des agriculteurs.
M. Laurent Duplomb. - Cela n'a rien à voir !
M. Fabien Gay. - Le groupe CRCE votera contre ce texte et continuera à proposer des solutions pour une agriculture qui maintienne le revenu agricole et respecte l'environnement et les humains. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST)
M. Pierre Louault . - Nous avons trouvé en CMP un accord de sagesse. Comment conserver une production menacée par un virus, dans un contexte de concurrence exacerbée ?
La solution trouvée est bonne. Le conseil de surveillance représente tous les intervenants. Des garanties limitent la durée de la dérogation et restreignent cette dernière à la betterave sucrière. La France ne peut se passer d'une agriculture qui sache faire face à la concurrence internationale. Nous ne pouvons ignorer le marché européen et les accords commerciaux signés par l'Union européenne.
Un amendement dans la loi de 2016 a supprimé les néonicotinoïdes sans étude sur la possibilité de méthodes ou produits de substitution. C'est l'origine de nos difficultés.
Nous avons réussi à conforter l'article 44 de la loi EGalim en interdisant l'importation de produits utilisant des données interdites en Europe. La graine de sésame en est un exemple scandaleux. Elle contient des produits à la concentration mille fois plus grande qu'en Europe !
M. Laurent Duplomb. - Elle était bio !
M. Pierre Louault. - On ne peut pas laisser entrer n'importe quoi sur le marché ; sinon, l'agriculture française est condamnée à mourir. (M. Laurent Duplomb le confirme.)
Ainsi, on importe 40 % du poulet consommé en France, alors qu'à l'étranger il est élevé dans des conditions qui sont interdites en France.
Allons de l'avant. Toute l'agriculture est concernée, y compris l'agriculture bio, qui utilise deux insecticides dont l'un, certes sans rémanence, détruit tout. (On le conteste à gauche.) Le cuivre et le soufre sont utilisés en quantité industrielle. Il n'y a pas un maraîcher bio qui n'utilise pas les sacs plastiques et les filets de protection.
M. Laurent Duplomb. - Ils ont les mêmes problèmes que les autres !
M. Pierre Louault. - Ne nous butons pas sur des doctrines dépassées et travaillons ensemble.
Autour d'une zone Natura 2000 de 10 000 hectares, j'ai eu l'occasion de mettre tous les acteurs autour de la table. Cela a permis notamment de protéger de manière exemplaire les voies d'eau, en trouvant une solution bonne pour les agriculteurs et bonne pour les habitants.
Nous ne ferons pas avancer le schmilblick en racontant des choses fausses. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Claude Tissot . - Cher monsieur Louault, nous ne sommes pas d'accord mais je ne pense pas dire des choses fausses.
Il faut mesurer l'étendue de la brèche que ce texte ouvre. C'est un précédent redoutable. Quel message envoyons-nous aux nombreuses filières qui se sont engagées dans la recherche d'alternatives ?
Avec ce texte, nous tournons le dos à la loi pour la biodiversité, à la Charte de l'environnement également, selon laquelle les choix du présent ne doivent pas compromettre l'avenir.
Chaque année, 300 000 ruches sont anéanties. Quelque 85 % des insectes et un tiers des oiseaux des champs ont disparu depuis l'introduction des néonicotinoïdes.
La réponse à la crise de la filière n'est pas la réintroduction des néonicotinoïdes pour la saison prochaine, mais un plan de soutien de 100 millions d'euros. Et les licenciements dans la filière ont commencé alors que les néonicotinoïdes étaient toujours autorisés...
Une réponse à la hauteur aurait accompagné la filière dans une montée en gamme. Ce projet de loi ne répond donc pas aux besoins de la filière. La préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les intérêts fondamentaux de la Nation, dit notre Constitution...
Le groupe socialiste, écologiste et républicain, à une exception, votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Je suis élu de l'Aisne, premier département producteur de betteraves sucrières en France. J'aggrave mon cas : mon père est agriculteur et betteravier de surcroît !
M. Laurent Duplomb. - Ce n'est pas un défaut !
M. Pierre-Jean Verzelen. - Il y a deux ans, le tracteur sortait une fois pour semer. Cette année, il est sorti quatre fois : une fois pour semer, trois fois pour traiter avec des pesticides et des insecticides. Je ne sais pas quel est le bilan en matière de biodiversité, mais le bilan carbone est certainement négatif.
La profession agricole connaît la nocivité des résidus, mais il n'y a pas d'autre option sur la table. Il y a aussi une dimension économique. La production s'effondre. Derrière ces agriculteurs, il y a toute une filière économique. On va importer du sucre de pays utilisant les néonicotinoïdes. Cela n'a pas de sens.
La solution transitoire est responsable, juste et équilibrée.
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. - L'article 4, qui permettrait de fixer des conditions de suspension des importations, met un pied dans la porte.
Il ne faut pas la refermer, car c'est plein de bon sens, et c'est le sujet majeur pour que l'agriculture réussisse dans ce pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Laurent Duplomb . - Bien entendu, notre groupe votera ce texte, comme il a voté le projet de loi du Gouvernement.
Dans « bien entendu », il y a « entendu ». C'est important, monsieur le ministre, car depuis de nombreuses années, l'agriculture n'a pas été entendue, confrontée à des oppositions que les agriculteurs ne pouvaient pas comprendre.
Comment expliquer à un agriculteur qui travaille dur, 80 heures par semaine, que ce qu'il a fait ne convient pas ?
Cela crée un sentiment d'incompréhension, d'injustice et de mauvais traitement qui va au-delà de ce que l'on refuse aux animaux pour leur bien-être ! (Exclamations et rires sur les travées du groupe GEST)
C'est l'agri-bashing ! On a poussé une idée dans une loi et maintenant on doit revenir dessus. Pourquoi ? Parce qu'on a constaté la réalité sur le terrain. Merci, monsieur le ministre, de vous êtes déplacé, comme la présidente de la commission !
Ceux qui ne connaissent pas le terrain, qui ne passent pas leur vie dans les champs, ne peuvent pas comprendre à quel point il est insupportable pour les agriculteurs d'entendre certaines choses.
Nous semons toutes les années sans jamais être sûrs de récolter parce que des événements extérieurs s'imposent à nous, comme le climat. Mais se voir refuser l'utilisation d'un produit et regarder ses concurrents l'utiliser puis nous concurrencer sur nos propres marchés, c'est insupportable !
MM. Pierre Cuypers, Jean-Raymond Hugonet et Rémy Pointereau - Très bien !
M. Laurent Duplomb. - La seule alternative serait de revenir à la pioche ?
M. Jean-Claude Tissot. - Il ne s'agit pas de cela !
M. Laurent Duplomb. - C'est pourtant ce qu'a bien montré un rapport transpartisan de l'Assemblée nationale : sans glyphosate, on est dans une impasse totale !
Pour le charbon, la réalité c'est le binage à la main. Pourquoi, dans cette enceinte, entre gens de bon sens, s'affronter sur des idéologies plutôt qu'être pragmatique ?
Qui peut dire que la filière betterave peut survivre sans néonicotinoïdes ? (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER)
M. François Bonhomme. - Et la noisette ?
M. Laurent Duplomb. - Revenons à un débat posé, raisonné et raisonnable. Qu'on arrête les procès d'intention ! Les agriculteurs n'utilisent pas de néonicotinoïdes par plaisir.
À force de critiquer notre propre agriculture, on envoie le message à ceux qui rêveraient d'avoir une agriculture comme la nôtre et de pouvoir manger nos produits que nous sommes à tel point des enfants gâtés que nous renvoyons l'image que ces derniers sont les plus dégueulasses du monde ! (Bravos et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; protestations sur les travées des groupes GEST et SER) C'est vrai pour toutes les filières : la pomme, la cerise...
M. François Bonhomme. - La noisette ! (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER)
M. Laurent Duplomb. - Oui, la cerise n'est plus française, parce qu'on a supprimé tous les moyens de lutter. On mange des cerises turques qui sont bourrées de tout ce qu'on interdit chez nous. (Marques d'approbation à droite)
M. François Bonhomme. - Idem pour la noisette turque !
M. Laurent Duplomb. - Les agriculteurs savent évoluer. Donnez-en leur le temps et les moyens. Faut-il rester dogmatiquement fixé à quatre ans ? (Mouvements) Peut-être que dans trois ans, on aura trouvé un moyen d'utiliser les produits à des quantités infimes, très précises...(On en doute sur les travées du GEST.) Peut-être que ceux qui en doutent aujourd'hui auront eux-mêmes évolué ! (Même mouvement)
M. Jean-Claude Tissot. - Nous sommes en désaccord, c'est tout ! (M. Guillaume Gontard le confirme.)
M. Laurent Duplomb. - Beaucoup d'entre vous voudraient la suppression totale des néonicotinoïdes. Nous, nous voulons les conserver quand il y en a besoin, à la quantité la plus précise et la plus basse possible. Entendez le cri d'alarme de ceux sur qui on tape alors qu'ils font vivre la France !
À force de les critiquer, on découragera ceux qui devront prendre leur suite. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir permis d'avoir ces débats fondamentaux que nous devons porter avec la plus grande objectivité.
Rien n'est pire qu'une politique qui cède à la tentation du populisme !
Relevons le débat,
Donnons à chacun les éléments pour cesser les décisions à l'emporte-pièce. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Angèle Préville . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST) « C'est une triste chose de constater que la nature parle et que le genre humain n'écoute pas » : Victor Hugo ! Ce projet de loi est une défaite magistrale, environnementale et sanitaire. Laissons opérer les artisans minuscules de la biodiversité que la nature nous offre dans les écosystèmes... (MM. François Bonhomme et Rémy Pointereau protestent.)
C'est avec regret, monsieur le ministre, que je repense à votre souhait d'une écologie de l'action et du réel. Une telle écologie ne proposerait pas de revenir en arrière. Elle écouterait la nature, les véritables besoins des agriculteurs, la communauté scientifique.
Or celle-ci est unanime : la nocivité des néonicotinoïdes est établie, avérée. Une récente étude du CNRS a montré qu'ils se retrouvent hors des parcelles traitées à des taux très élevés dans les vers de terre et donc chez leurs prédateurs, les oiseaux.
Les sols, sous les assauts des néonicotinoïdes, ne sont plus vivants. Nos concitoyens sont de plus en plus préoccupés de leur santé et les scientifiques s'inquiètent de ne pas être écoutés.
Nous n'avons pas le monopole de l'écologie, vous n'avez pas celui de la clairvoyance ! Vous faites le choix d'une solution court-termiste. Nous n'entérinerons pas cette réintroduction d'un poison dans nos sols, menace pour la chaîne du vivant.
Jean-Marie Pelt et Gilles-Éric Séralini l'ont écrit : « nous sommes en train d'ôter les briques, les unes après les autres en ignorant les conséquences de ce démontage à l'aveuglette, qui brisent un à un les liens unissant la chaine des êtres vivants ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)
La discussion générale est close.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Mme la présidente. - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
M. Daniel Salmon . - Je ne reviens pas sur les risques constitutionnels de ce texte. Les conséquences de cette régression environnementale seront lourdes et avérées. Les abeilles meurent, je suis apiculteur amateur, je le sais ! La défense de la biodiversité et de la santé des agriculteurs, des consommateurs, ne fait pas le poids contre quelques tonnes de betteraves à l'hectare ! C'est une reculade lourde de sens et de conséquences. La boîte à dérogations est ouverte.
Monsieur le ministre, vous enverrez vos drones polliniser les cerisiers...
Votre responsabilité devrait être de vous attaquer aux racines du problème.
Monsieur le ministre, vos intentions environnementales sont à la dérive. C'est soit le statu quo, soit la régression. Or des solutions existent ! Le monde que vous proposez est un monde désenchanté, un monde sans le vivant. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)
M. François Bonhomme . - La noisette est une filière d'avenir sur le plan nutritionnel, (Sourires sur les travées du groupe GEST) alors que nos collègues Verts ici mettent en cause le sucre. Elle compte 45 000 salariés. On en importe 25 000 tonnes notamment d'Italie et de Turquie où des produits phytosanitaires sont autorisés alors qu'ils sont interdits en France depuis le 1er juillet...
M. Laurent Duplomb. - Bien sûr !
M. François Bonhomme. - Que va-t-il se passer pour la noisette ? Quelque 3 500 producteurs vont être impactés de plein fouet. Je prends date : on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas !
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
Mme Sophie Primas, rapporteur . - Je remercie l'ensemble des collègues mobilisés sur ce texte - avec nos convictions, parfois différentes, que nous exprimons dans le cadre du débat démocratique - ainsi que le ministre pour son écoute constante au cours de la coconstruction de ce texte.
Si tout en allait toujours ainsi entre le Gouvernement et le Parlement, ce serait un bonheur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Julien Denormandie, ministre . - Je m'associe aux remerciements de la présidente-rapporteur. C'est le propre de la démocratie de ne pas être d'accord sur tout, mais aussi de mener des débats de fond, comme nous l'avons fait, de qualité, dans le respect mutuel - à l'image de la Haute Assemblée.
Je veux m'adresser à tous les agriculteurs et agricultrices de France, qui font partie du ciment de la République, en dépit de toutes les difficultés. Pas un seul agriculteur ne s'est posé la question de ne pas retourner cultiver, au début du confinement...
M. Laurent Duplomb. - Exactement !
M. Julien Denormandie, ministre. - Les agriculteurs et agricultrices sont les entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple français. (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite) Ils assument des risques, qu'ils essaient de minimiser. Le vivant, c'est ce qu'il y a de plus compliqué. Les agriculteurs et agricultrices sont pétris de convictions, notamment celle de la transition agro-écologique, mais jamais de certitudes. Cela est si précieux, au temps de l'émotion et de l'opinion qui se répand sur les réseaux sociaux.
Qu'ils soient vraiment honorés dans cette Haute Assemblée cet après-midi ! (Applaudissements au centre et à droite)
Le projet de loi, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la CMP, est mis aux voix par scrutin public :
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°15 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Pour l'adoption | 183 |
Contre | 130 |
Le Sénat a définitivement adopté.
(Bravos et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.