Déclaration du Gouvernement
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
M. Jean Castex, Premier ministre . - (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants ; M. Pierre Louault applaudit également.) Permettez-moi de vous dire l'immense honneur et l'émotion que j'ai à m'exprimer devant votre Haute Assemblée. Si j'ai tenu à présenter la politique du Gouvernement devant le Sénat, c'est avant tout pour marquer mon attachement personnel, familial, au bicamérisme et à l'équilibre démocratique qu'il garantit. Je veux témoigner de mon profond attachement à notre système représentatif.
M. Yvon Collin. - Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Je m'exprime dans un contexte national, européen et international particulier. Je mesure que je dirige un Gouvernement de crise, donc de combat.
La crise est encore et toujours la crise sanitaire. La période actuelle est marquée par une forte activité de l'épidémie dans certaines parties du monde et une situation nationale plutôt favorablement orientée, même si certaines zones appellent à la plus grande vigilance, comme la Guyane, où j'ai tenu à me rendre dès ma prise de fonctions.
En conséquence, les dispositions que je vais prendre, annoncées par le chef de l'État, ne visent pas tant à répondre, ici en métropole, à une situation d'urgence qu'à nous inscrire dans une logique préventive.
Nous allons agir dans trois directions. D'abord, nous renforçons les dispositifs de contrôle à l'entrée du territoire pour les voyageurs, y compris les ressortissants français, en provenance des pays où la circulation virale est forte. Idéalement, ces contrôles devraient être réalisés dans les pays de départ. Mais nous devons être pragmatiques, nous les renforcerons donc à l'arrivée sur le territoire national, dans les ports et les aéroports.
Ensuite, nous entendons développer encore les tests de dépistage, en constante augmentation, et dont le résultat demeure largement favorable. Le nombre de tests positifs est inférieur aux modélisations du mois de mai, ce qui témoigne de l'efficacité de la politique conduite. Mais le nombre de tests demeure insuffisant. Non que nous manquions d'équipement ou de personnel, mais parce que nos concitoyens ne se font pas suffisamment tester. (Mouvements à droite comme à gauche ; Mme Éliane Assassi s'amuse.)
M. Pierre Cuypers. - C'est la meilleure !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Il faut donc lever les obstacles, y compris psychologiques. Le Président de la République a annoncé la fin des prescriptions médicales obligatoires. J'ai demandé qu'on accélère l'évaluation scientifique de la fiabilité des tests salivaires, plus simples et moins douloureux, et qu'on intensifie les actions proactives invitant les habitants de certaines communes à se faire tester.
Enfin, le port du masque constitue, avec le respect des gestes dits barrières, une mesure de prévention et de protection efficace. (Exclamations à droite)
M. Jean-François Husson. - Vous ne l'avez pas toujours dit !
M. Jean Castex, Premier ministre. - J'ai donc proposé de rendre son port obligatoire dans tous les lieux publics clos, en particulier les commerces. Cela nécessite un décret. Pour ce qui est des locaux professionnels, cela suppose une évolution des protocoles sanitaires.
Nous envisagions une entrée en vigueur au 1er août, car nous agissons dans une logique préventive, non sous l'empire de l'urgence.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Même pas de l'urgence sanitaire.
M. Jean Castex, Premier ministre. - Mais j'ai compris que cette échéance pouvait paraître tardive et suscitait des interrogations. Le décret entrera donc en vigueur la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur quelques travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. - J'ai demandé aux ministres de la Santé, de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur de préciser les conditions de la rentrée de septembre dans les établissements.
Dans la gestion de la crise, les élus ont été remarquables d'implication et de dévouement, à commencer par les maires, combattants de la première ligne et de la première heure. (Marques d'approbation à droite) Chargé par le précédent Gouvernement de préparer le déconfinement, j'avais recommandé que le couple maire-préfet de département soit au coeur du dispositif et que l'État soutienne les collectivités dans leur politique d'acquisition de masques.
Au-delà de la crise sanitaire, c'est un enseignement structurel qu'il nous faudra tirer pour la conduite de l'action publique.
Nous affrontons une crise économique et sociale sans précédent. Depuis plusieurs mois, notre économie est durement frappée. La crise accentue la vulnérabilité des plus démunis et risque de creuser les inégalités, y compris face à la maladie ; elle dégrade fortement nos finances publiques et sociales, fragilise notre modèle et rappelle l'ampleur du défi écologique.
Il est des heures où l'ensemble des forces vives d'un pays doivent se rassembler. Ma conviction est que nous sommes dans un tel moment. Je sais que l'esprit de dialogue, la volonté de dépasser les postures et les clivages sont des principes qui vous sont chers. Les Français, résilients et solidaires face à la crise, nous montrent l'exemple. Nous devons prendre collectivement la mesure de la situation. Si nous ne réagissons pas, cela pourrait accentuer les fractures, notamment territoriales, et menacer l'unité, déjà mise à mal, de notre pays.
Prendre cette crise à bras-le-corps, protéger les Français, reconstruire notre économie, conforter notre pacte républicain, tels sont les défis devant moi.
Mon discours de politique générale a été lu hier devant vous, je n'en reprendrai donc pas le détail.
Pour réussir, nous devons changer nos façons de faire. L'État joue un rôle majeur mais ne pourra agir seul. Il devra fédérer les énergies mais aussi faire confiance à ses partenaires, à commencer par les collectivités que vous représentez.
Devant la chambre des territoires, je me revendique comme un Premier ministre des territoires et de la vie quotidienne. (Mme Laurence Rossignol ironise.) L'exercice de la responsabilité politique ne peut s'arrêter aux intentions, si louables soient-elles. Rien ne vaut sans l'obsession du résultat et de l'impact sur la vie de nos concitoyens.
J'ai cité hier cette phrase célèbre : « l'intendance suivra ». Non, elle ne suit pas toujours, et même de moins de moins, alors qu'elle devrait être une priorité. Les conditions de l'exécution doivent entrer dans le champ de la politique : ce ne sont pas des sujets triviaux et techniques.
Dans notre pays où, depuis les Lumières, les grands principes, le maniement des concepts monopolisent le débat public, c'est un choc culturel. Mais c'est sur l'exécution que nos concitoyens nous attendent, et sont fondés à nous juger. C'est par la charge de la preuve que se reconstruira la confiance qui s'est altérée.
Fixer un cadre juridique au niveau national n'est pas suffisant ; nous devons nous impliquer dans la mise en oeuvre des politiques publiques, les adapter à la vie des gens, dans les régions, les départements, les cantons, les communes, les quartiers. Pour cela, il faut faire confiance aux territoires qui détiennent la solution au rebond collectif. Nous devons libérer les territoires et nous appuyer sur eux ! (Marques d'ironie à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur. - Lapalissade !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Libérer les territoires, c'est libérer les énergies. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, tandis qu'on ironise à droite comme à gauche.)
M. Jean-Pierre Sueur. - Et concrètement ?
M. Vincent Éblé. - Aux actes !
M. Jean Castex, Premier ministre. - La République territoriale, c'est l'unité dans la diversité.
Je compte sur vous pour nous aider dans un esprit de concorde, car si la défiance progresse, elle nous emportera tous.
La bataille de l'emploi sera notre première priorité. En 2020, nous prévoyons un repli du PIB de 11 % - la récession la plus sévère depuis la création des comptes nationaux. Derrière les données comptables, il y a des drames humains, des territoires meurtris. Il faut se saisir de cette situation pour reconvertir notre économie, rendre nos travailleurs plus forts, plus compétitifs, aller vers une croissance durable et respectueuse de l'environnement. Tels sont les objectifs du plan de relance.
Il sera présenté fin août après une phase de concertation. Il constituera la prochaine étape du processus de soutien à l'activité, caractérisé par son ampleur et sa précocité, initié sous l'égide de mon prédécesseur : chômage partiel, prêts garantis par l'État et fonds de solidarité, soit un effort massif de 500 milliards d'euros qui a permis à notre économie de ne pas s'effondrer.
Cette politique, la plus ambitieuse de tous les pays européens, a porté ses fruits. Nous avons mis en place des politiques sectorielles ambitieuses. Les chiffres de l'Insee et de la Banque de France font état d'une reprise plus rapide que prévu. La consommation des ménages reprend depuis le déconfinement ; nous n'excluons pas qu'elle revienne dès le mois de juin à son niveau normal, avec un effet rattrapage pour les biens d'équipement. Dans le secteur automobile, les ventes de véhicules aux particuliers dépassent de 30 % leur niveau de février.
Tout ne commence pas avec le plan de relance, c'est une étape nouvelle, mais la philosophie reste inchangée : protéger les Français, reconstruire et moderniser la France. Nous prolongeons le dispositif d'activité partielle afin de préserver l'emploi et les salaires dans les entreprises les plus touchées par la crise. Nous en parlerons demain avec les partenaires sociaux ; le Gouvernement a pris acte du contexte économique bouleversé en décidant d'aménager la - bonne - réforme de l'assurance chômage.
Les premiers à être touchés par la crise sont les 700 000 à 800 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Ils sont une force - l'Allemagne aimerait en avoir autant. Mais ils nous obligent. Beaucoup ont vu leur stage et leurs études interrompues, leur vie sociale perturbée. La Nation ne saurait accepter l'idée d'une génération sacrifiée par la crise, ayant le chômage pour seul horizon. Aussi, le Gouvernement va engager des mesures fortes, encore susceptibles d'être améliorées à l'issue de la conférence sociale de demain.
Nous allons réduire très fortement le coût du travail pour faciliter l'embauche des jeunes, développer massivement les dispositifs d'insertion, notamment le service civique, ce qui permettra aussi de soutenir les associations et leurs vingt millions de bénévoles, atout majeur pour la cohésion sociale.
La crise a révélé les difficultés de trop nombreux étudiants. Nous avons donc décidé de geler les droits d'inscription et porté, au 1er septembre, le prix des repas dans les restaurants universitaires à un euro pour les boursiers.
La crise vient impacter notre modèle social qu'il convient de consolider pour améliorer son fonctionnement et mieux en garantir les équilibres dans la durée.
Notre système de santé a démontré sa robustesse dans un contexte de tension extrême qui préexistait à la crise du covid. Cette situation appelait une réponse urgente. Le Ségur de la santé, lancé en mai dernier, s'achèvera dans les prochains jours. Un accord majoritaire, historique, a été conclu lundi dernier. C'est d'abord le témoignage de la reconnaissance de la Nation tout entière à l'endroit des soignants. Ce sont 8 milliards d'euros consacrés à la revalorisation des salaires et la création d'emplois ; 6 milliards dédiés à l'investissement en ville et à l'hôpital, notamment dans le champ de la e-santé ; 13 milliards de reprise de dettes hospitalières pour redonner de l'oxygène aux établissements, car l'investissement est un levier essentiel de la relance.
Au-delà des moyens financiers, il faut améliorer le fonctionnement quotidien des structures en donnant davantage de souplesse, en permettant de déroger à certains cadres nationaux sur des sujets de gouvernance interne, en décloisonnant ville et hôpital et en permettant aux collectivités d'être davantage partie prenante tant au niveau des agences régionales de santé (ARS) que des établissements. Régions, départements, intercommunalités doivent, s'ils le souhaitent, pouvoir s'associer aux investissements. (On ironise sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Bien sûr, pour payer !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Cela doit se faire sur la base de contrats territoriaux conclus avec l'État et les structures de soins, et en contrepartie d'une participation accrue des élus à la gouvernance.
L'autre préoccupation majeure, c'est la difficulté à trouver un médecin de ville, sachant qu'il faut dix ans pour former de nouveaux. Nous devons être pragmatiques et efficaces à court terme. D'où la nécessité de favoriser des conditions d'exercice plus collectives, les délégations de tâches, de doter les médecins d'assistants médicaux, en les allégeant des charges administratives chronophages. (Mouvements sur les travées du groupe Les Républicains) Il faut aussi recourir davantage à la télémédecine, dont j'ai constaté dans mon territoire l'essor spectaculaire, inattendu, qu'il faut désormais consolider. (M. Vincent Segouin ironise.)
Nous ne retrouverons pas l'unité sans une attention accrue aux plus vulnérables, qui seront les plus affectés par la crise économique, à commencer par les personnes en situation de handicap. Nous réunirons une Conférence nationale du handicap.
Consolider notre modèle de protection sociale, c'est aussi en assurer la pérennité. La crise nous invite plus que jamais à rendre notre système de retraite plus juste et plus équitable, notamment pour les femmes et pour les travailleurs modestes. Cela passe par la création d'un régime universel et la disparition à terme des régimes spéciaux, comme nous l'avions engagé en 2008, tout en prenant en compte la situation des bénéficiaires actuels.
Je suis déterminé à ce que cette réforme aille à son terme d'ici la fin de la législature, mais nous devons entendre aussi les inquiétudes et les incompréhensions de nos concitoyens sur certaines modalités.
Mme Éliane Assassi. - Ils ont très bien compris.
M. Jean Castex, Premier ministre. - Je souhaite donc reprendre la concertation afin d'améliorer le contenu et la lisibilité de la réforme, en la distinguant de tout enjeu d'ajustement paramétrique. Cela s'inscrit dans la continuité de la réforme des régimes spéciaux décidée en 2007.
Nous devons aussi répondre à la question du grand âge et de la dépendance, via un projet de loi dont vous serez saisis au premier semestre de l'année prochaine.
Je demanderai demain aux partenaires sociaux de se saisir de la question de l'équilibre des régimes de protection sociale, impactés par la crise.
L'unité suppose aussi que l'État demeure le garant de l'ordre républicain. L'État doit être le même pour tous. Nous ne tolérerons aucune zone de non-droit.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Chiche !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Notre détermination est totale. Nous ne montrerons aucune faiblesse envers ceux qui tentent de fracturer le pays entre communautés et portent atteinte aux valeurs cardinales de la laïcité.
À nos policiers et gendarmes, je veux exprimer, au nom de la Nation, mon respect et ma gratitude. Ils sont l'ordre républicain et exercent leur mission dans des circonstances parfois extrêmement délicates. Je veillerai, avec le ministre de l'Intérieur, à ce qu'ils disposent des moyens nécessaires pour assurer leur mission sur le terrain et soient déchargés de tâches administratives chronophages.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Cela fait trente ans qu'on le dit.
M. Jean Castex, Premier ministre. - Sous cette mandature, un effort exceptionnel de la Nation a été décidé pour rendre nos armées - qui portent haut les couleurs de la France - plus efficaces. (Mouvements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Bascher. - Ce sera jugé après !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Pour que l'ordre républicain soit effectif, que la sécurité soit assurée, il faut aussi, et surtout, que les moyens d'action de la justice soient renforcés pour la rendre plus accessible, compréhensible, et efficace. Les comparaisons internationales le démontrent, l'État ne donne pas à la justice des moyens suffisants. Or la justice, c'est l'État, et l'État, c'est la justice.
M. Jean-Pierre Sueur. - Et qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. - Il en résulte que l'action des forces de l'ordre reste parfois sans suite, et que se développe un sentiment d'impunité insupportable pour nos concitoyens et nos maires. J'entends accélérer la mise en oeuvre de la loi de programmation et de réforme de la justice en redéployant, dès 2021, les moyens pour rendre plus rapide et plus efficace la réponse judiciaire, améliorer la politique des peines, garantir la dignité et la réinsertion des prisonniers, moderniser le fonctionnement des juridictions. Si la réponse judiciaire ne suit pas, il ne se passera rien. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Chiche !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Le garde des Sceaux est attaché à ce que la justice soit rendue dans des conditions d'écoute et de dialogue exemplaires. Aucune forme de violence ne peut être tolérée.
La lutte contre les violences conjugales sera l'une des grandes priorités de la politique pénale de mon Gouvernement. (On ironise à gauche.)
Mme Laurence Rossignol. - Il a coché la case, dit le mot ; c'est bon.
M. Jean Castex, Premier ministre. - Je veux dire mon attachement à l'école de la République. Fils d'institutrice, je sais ce que je dois à la méritocratie républicaine. (Mouvements à gauche ; applaudissements sur plusieurs travées des groupes LaREM et RDSE) Je veux d'ailleurs dire toute mon admiration au corps enseignant.
Nous poursuivrons la refondation de l'école engagée depuis trois ans, en ciblant notre action sur les enfants qui ont décroché durant le confinement. À la rentrée, des évaluations nationales identifieront les besoins et chaque enfant pourra bénéficier d'un soutien personnalisé au premier trimestre.
Pour mener ces chantiers, mon Gouvernement s'appuiera sur les territoires. C'est une question de respect et d'efficacité. Pour les grandes transitions écologiques, économiques et sociales, les acteurs territoriaux devront être à la manoeuvre.
L'État et les collectivités ont la République en partage. Elles sont les partenaires indispensables de la réussite de nos politiques publiques.
Dès ma prise de fonctions, j'ai rencontré l'ensemble des associations de collectivités. Nous devons régler avec celles-ci les problèmes liés à l'impact de la crise sur leurs finances, et celui des impôts de production qu'il faudra alléger pour reconquérir notre souveraineté économique.
Mme Sophie Taillé-Polian. - C'est le contraire !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Les collectivités doivent pouvoir investir, former, agir en cohérence avec l'État, car nos concitoyens ne nous pardonneraient ni dispersion, ni divisions stériles. Elles ne seront jamais de mon fait - et je sais que le Sénat partage cette façon de voir.
Le plan de relance soutiendra les interventions des collectivités dans leur champ de compétences. Il faut redonner du sens et de la chair aux futurs contrats de plan et de territoire.
Deux chantiers majeurs illustreront cet engagement partagé. D'abord, la formation professionnelle : pour permettre à ceux qui perdent leur emploi d'en retrouver un plus vite, nous investissons 1,5 milliard d'euros en plus et fixons un objectif de 200 000 places supplémentaires. Comment construire ce plan sans les régions ? (Marques d'approbation sur les travées du groupe LaREM)
Nous devons également poursuivre la reconquête industrielle à travers le programme Territoires d'industrie. Enfin, la transition écologique exige une mise en oeuvre partagée et territorialisée. Le plan de relance y consacrera au moins un tiers de ses crédits.
M. Jean-François Husson. - Deux tiers !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Nous investirons dans le bâtiment et les transports, dans les technologies vertes comme l'hydrogène, dans une alimentation saine et durable, dans la préservation des terres agricoles. J'ai ainsi annoncé un moratoire sur toute construction de centres commerciaux dans des zones périurbaines. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jérôme Bignon applaudit également.) Nous allons donner davantage de liberté aux collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
Je tiens à remercier le président Larcher pour les cinquante propositions du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et LaREM) Je salue les deux rapporteurs, Philippe Bas et Jean-Marie Bockel. (Mêmes applaudissements) Elles feront l'objet d'un examen attentif et bienveillant de ma part.
Dès aujourd'hui, Jacqueline Gourault reprend les concertations sur le projet de loi dit 3D (décentralisation, déconcentration, différenciation) avec toutes les associations de collectivités. Cette concertation aboutira à une nouvelle conférence nationale des territoires. (Exclamations à droite) Nous consacrerons le droit à la différenciation dans une loi organique, d'abord pour faciliter l'expérimentation. Dans notre pays construit depuis plus de deux siècles sur l'uniformisation, c'est une révolution.
Donner plus de liberté aux collectivités, c'est aussi faire évoluer profondément l'organisation interne de l'État. Il faut revoir l'organisation territoriale de l'État pour le rendre plus proche de nos concitoyens. Je le dis pour l'avoir vécu : l'État s'est trop éloigné, on a favorisé l'État régional, par souci d'économie. Mais quand les régions sont devenues immenses, cette intention louable s'est retournée contre la proximité et l'efficacité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Les moyens de l'État seront renforcés dans leur action quotidienne au service de nos concitoyens et ce, dès le projet de loi de finances 2021 puisque toutes les créations d'emplois, sauf exception justifiée, seront au bénéfice de l'échelon déconcentré et non en administration centrale. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE)
MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier. - Très bien !
M. Jean Castex, Premier ministre. - C'est une révolution dont je vous prie de mesurer les soucis qu'elle va m'occasionner !
La crise économique sera sans doute au moins aussi forte que la crise sanitaire. Il faudra pérenniser certains dispositifs dérogatoires, et aller plus loin dans la simplification administrative, notamment dans le droit de la commande publique. Je sais que le Sénat sera une mine de propositions en la matière. (On le confirme au centre et à droite.) Nous voulons rééquilibrer les territoires.
M. Roger Karoutchi. - Allons bon !
M. Jean Castex, Premier ministre. - La priorité, c'est de trouver le chemin d'un développement économique du monde rural. Si les services publics y ont fermé, c'est que la population a diminué, car l'activité et l'emploi se concentrent dans les très grandes agglomérations. Il faut revitaliser par l'économie, le service public suivra. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM)
Il faut pour cela embarquer les territoires ruraux dans la révolution numérique. Il faut renforcer la couverture du territoire en très haut débit pour faciliter le télétravail et la télémédecine. Les réseaux, c'est aussi la conservation des lignes ferroviaires, c'est peut-être réinvestir dans les routes, qui sont parfois le seul moyen de désenclaver un territoire. (M. Jean-François Husson s'exclame.)
Cela rejoint les débats que nous aurons sur la décentralisation : doit-on conserver des routes nationales que l'État a bien du mal à entretenir ? Doit-on pour autant renvoyer cette responsabilité aux départements ? N'est-il pas temps de conforter les régions dans leur rôle de responsables de toutes les mobilités, en envisageant des routes structurantes d'intérêt régional ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Je soumets cette réflexion à la sagacité du Sénat.
Le plan de relance portera une attention particulière aux pistes cyclables. On m'a moqué quand j'ai fait cette annonce, et on a dénoncé un gadget. Mais le vélo, c'est bon pour l'environnement et c'est bon pour la santé. Nous connaissons la révolution du vélo électrique qui va multiplier les usages et raccourcir les distances. (Marques d'ironie sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR) On pourra aller à vélo de Prades à Perpignan pour travailler : c'est concret ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Les jeunes générations attendent cela. Tout cela vous paraît secondaire, mais c'est un sujet essentiel et concret pour les Français ! C'est une bonne façon de faire de l'écologie et du développement durable à la portée de tous. (Brouhaha)
M. le président. - Poursuivez, Monsieur le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. - Nous continuerons également à déployer le programme Action coeur de ville qui s'adresse déjà à 234 villes, petites et moyennes.
Et surtout, nous déploierons le programme Petites villes de demain pour 1 000 villes supplémentaires sur le territoire, afin que toutes nos villes deviennent des lieux attractifs, exemplaires, dotés de services essentiels et où il fait bon vivre. J'ai fixé des objectifs précis et quantifiés au Gouvernement.
Le plan de rénovation urbaine concerne 450 quartiers de la ville. L'intention est louable, car en restaurant la République dans ces quartiers, on favorisera l'émancipation de leurs habitants. Mais une fois encore, tout est dans l'art de l'exécution.
Mme Éliane Assassi. - Avec quels moyens ?
M. Jean Castex, Premier ministre. - Ce sont des dépenses d'investissement et non de fonctionnement qui figureront au plan de relance.
M. Jean-Pierre Sueur. - Qui va payer ?
M. Jean Castex, Premier ministre. - Très peu de ces 450 quartiers ont fait l'objet d'une mise en oeuvre effective. Veillons à ce que la situation ait évolué pour au moins 300 d'entre eux d'ici la fin de l'année, plutôt que de promettre que 800 quartiers seront rénovés.
La France ne serait rien sans les territoires qui la composent. (MM. Martin Lévrier et Jean-Claude Requier applaudissent.) Et je connais bien l'insondable richesse de leur diversité. Fils du Gers, territoire rural, élu des Pyrénées orientales, territoire éloigné, je suis surtout un enfant de la République que j'essaie de servir avec passion.
Cette diversité de la France qu'exprimait avec admiration Fernand Braudel, au soir de sa vie, est plus que jamais un chemin d'espérance. C'est en tout cas le sens de l'action que j'entends porter à la tête du Gouvernement. C'est le sens de l'engagement que j'ai porté dans mes responsabilités politiques et mes mandats démocratiques. C'est le sens de la mobilisation collective qui doit être la nôtre dans les circonstances très difficiles, que notre pays traverse.
Nous devons nous unir pour agir, pour réussir ensemble, pour notre pays. Nous n'avons pas d'autre choix. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. le président. - Je salue M. Adnot, sénateur depuis 1989, dont c'est le dernier discours dans cet hémicycle... (Applaudissements)
M. Philippe Adnot . - Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous féliciter pour votre nomination et vous souhaiter bonne chance.
Je vous félicite d'avoir accepté une tâche difficile. Je vous souhaite bonne chance car notre pays va être confronté à une situation inédite. L'argent a coulé à flots pendant plusieurs mois, et pourtant notre économie et l'emploi risque d'être au coeur d'une crise explosive.
Je souhaite que vous trouviez les bonnes solutions pour traiter le secteur de la santé avec efficacité et humanité. L'enjeu est double : il faut nous préparer à un retour de l'épidémie et ne pas laisser de côté ceux qui ont un droit légitime à être soignés.
Rapporteur du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, j'espère que Mme Vidal saura trouver les moyens d'une loi dynamique dont nous attendons beaucoup car l'avenir de la France dépend de notre capacité à mobiliser les énergies créatrices et surtout à transformer en réalité économique le formidable réservoir de notre excellence scientifique.
Sénateur depuis trente et un ans, j'ai entendu beaucoup de discours, de bonnes intentions, d'analyses pertinentes. Rien ne vaut la réalité des faits. C'est par les actes que l'on juge une politique. Comme dans l'art de la guerre, tout dépend de l'exécution, et une bonne exécution exige de la cohérence et suppose que l'on se concentre sur l'essentiel.
La priorité des priorités, c'est l'économie, l'emploi et l'avenir des jeunes.
Vous proposez des allégements de charges, mais les entreprises n'ont plus de trésorerie. Ce n'est pas à la hauteur. Il faudrait que les entreprises puissent embaucher un ou deux jeunes avec un financement de l'État pendant un an. (Mme Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l'emploi et de l'insertion s'exclame.) Vous auriez ainsi réglé le problème du chômage des jeunes et amélioré la compétitivité des entreprises. Madame la ministre, vous vous exclamez. Mais si les jeunes n'entrent pas dans les entreprises, ils risquent de coûter beaucoup plus cher.
Ce que vous proposez sur la rénovation énergétique n'aura aucun effet sur les entreprises avant deux ans, le temps que les marchés soient mis en place. Il faut accélérer. La situation demande de la réactivité. Ne faites rien de complexe, libérez les heures supplémentaires, sans les défiscaliser, donnez de la flexibilité aux entreprises qui ont des carnets de commandes.
L'avenir de notre pays dépend de ce que vous ferez à la rentrée. Ne polluez pas la situation par des actions qui divisent. Il est de votre responsabilité d'écouter même les anciens qui tirent leur révérence. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur quelques travées du groupe SOCR ; M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme Éliane Assassi . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Le 12 mars dernier, une prise de conscience transparaissait dans les propos d'Emmanuel Macron : s'opposer à la loi du marché qui domine tous les secteurs de la vie, y compris la santé, faire sauter les verrous budgétaires libéraux qui, jusqu'à la dernière loi de finances et à la présentation du projet de loi sur les retraites, étaient les marqueurs du discours présidentiel.
La crise sanitaire violente a mis cruellement en évidence le grand désordre généré par la mondialisation financière. Le capitalisme dans une fuite en avant cupide et inhumaine a porté une lourde part de responsabilité dans les difficultés de notre pays à faire face à l'épidémie. Les Français ont découvert avec stupeur la délocalisation massive de la production de masques et médicaments. L'impact terrible de cette absurdité sociale au service du profit des actionnaires a convaincu qu'il fallait changer le logiciel de notre économie et sans doute de notre société.
Ni le Président de la République, qui voulait se réinventer, ni vous ne nous avez convaincus de votre volonté de rompre avec ce système où l'argent roi passe avant l'humain.
La crise économique est là. Bien sûr, vous mettez entre parenthèses l'orthodoxie budgétaire imposée par l'Europe, mais vous gardez le cap de l'adaptation de notre pays à cette mondialisation financière qui fonde le système auquel vous adhérez, en dépit de vos références à un gaullisme social désuet.
La puissance publique a été dévorée par le marché année après année, privatisation après privatisation. J'ai cette impression fugace, mais somme toute bien détestable pour vous, qu'il faut que tout change pour que rien ne change. L'atterrissage du Ségur de la santé en est la preuve. (M. Julien Bargeton proteste.)
M. Macron dans un exercice de repentance bien appuyé reconnaissait s'être trompé, avoir porté des mesures injustes. Mais en même temps, il a vanté les mérites de sa politique dus selon lui au projet qui a dressé le peuple contre lui. La réforme de la SNCF, celle du droit du travail, la politique fiscale sont les bons points qu'il s'est distribués le 14 juillet dernier. Le cap, c'est le libéralisme sans frein.
Vous exhumez à nouveau la réforme des retraites. Mais nos concitoyens ont bien compris que le système par points c'est la soumission aux marchés financiers contrôlés par des vautours comme Black Rock. Votre ambition n'est pas de trouver de nouveaux financements mais de faire travailler plus longtemps les salariés.
Votre label, c'est l'État et les territoires, soit. Mais je ne vous ai pas entendu dénoncer les raisons profondes de la détresse de nombre de nos communes, départements et régions : la disparition, l'effondrement du service public et l'étranglement financier.
Vous évoquez le retour du commissariat au plan. Il y a du Cervantès dans cette conviction. Comment planifier alors que tout a été cédé aux actionnaires ?
Pour planifier la reconstruction de notre économie et de notre industrie, il faudra plus d'État, certes au plus près du peuple, de ses agents et des élus, mais il faudra plus d'État.
Le Président de la République a évoqué le fret ferroviaire, les trains de nuit et les petites lignes, qu'il voulait supprimer il y a cinq ans avec ses bus éponymes. Mais avec quel outil agira-t-il ? Avec le privé, en cédant demain la SNCF au plus offrant comme ce fut le cas pour Alstom?
Nous voulons une nouvelle transition écologique solidaire et une souveraineté nationale industrielle qui permette à notre peuple de retrouver confiance en l'avenir.
Les collectivités territoriales ont un rôle essentiel. Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales dans la République mais il n'est pas la chambre des territoires. C'est pourquoi nous refusons ce concept de différenciation, source de fracturation et d'émiettement de notre République.
Qui sont ces collectivités territoriales, sans écoles, sans hôpitaux, ni services publics ? M. le Premier ministre, c'est là que le bât blesse. Vous affichez un verbe digne des trente Glorieuses, mais les acteurs ont disparu.
Le cap est en effet maintenu lorsque M. Macron justifie la baisse des salaires contre la préservation de l'emploi, tout en demandant du bout des lèvres aux entreprises de baisser les dividendes... On prive les citoyens de l'essentiel, alors que les plus riches voient une part marginale de leurs revenus baisser un peu.
Il n'y aura pas de reconstruction sans répartition des richesses et sans un nouveau partage du travail. L'appellation de Président des riches qui colle à M. Macron tel un sparadrap, est liée au péché originel de la suppression de l'ISF sur les revenus financiers, à l'instauration de la flat tax, à la paralysie continuelle de la lutte contre l'évasion fiscale.
Comment pouvez-vous affirmer sans sourciller que 800 000 à 1 million de chômeurs supplémentaires sont attendus d'ici la fin de l'année, qu'il faut travailler davantage, qu'il faut user et abuser des heures supplémentaires, qu'il faut rallonger l'âge de la retraite ?
La crise mais aussi les évolutions technologiques et la recherche fondamentale de l'épanouissement humain exigent de changer de logiciel, de cesser l'exploitation à outrance du travailleur en laissant sur le côté celui qui n'a pas d'emploi. Nous portons bien au contraire le projet de la retraite à 60 ans et de la semaine à 32 heures.
Il faut sanctionner les entreprises qui licencient alors qu'elles touchent des aides massives ou qu'elles réalisent des profits boursiers. Allez-vous sanctionner celles qui ont fraudé ? Pourquoi donner toujours aux entreprises ?
C'est toujours et encore le coût du travail qui est votre unique boussole, jamais le coût du capital ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Un nouveau monde est possible, mais certainement pas avec les vieilles recettes d'un ancien monde détenues par une infinie minorité et au détriment de l'intérêt général. Avec M. Macron, vous avez d'emblée rebroussé chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Pendant la guerre du Vietnam, le monde entier s'est moqué d'un commandant américain qui s'était justifié d'avoir rasé un village en expliquant que l'ennemi était déjà là à leur arrivée et que pour sauver le village, il fallait le détruire.
Aujourd'hui, pour sauver le monde de la pandémie, il a fallu sacrifier l'économie. Voilà la situation redoutable dans laquelle vous entamez votre mandat. Autant dire qu'on vous a confié un job à 100 000 aspirines, monsieur le Premier ministre. Mais il faut toujours regarder le bon côté des choses, surtout quand il n'y en a pas. (Sourires)
Je ferai trois réflexions. D'abord, je dénoncerai le mythe de l'État Père Noël... La France va sortir essorée de la crise. Les démagogues vont se déchaîner. Et d'abord les marchands d'illusion de la dépense publique illimitée qui promeuvent l'idée ringarde de rembourser ses dettes.
Les rois d'autrefois coupaient la tête de leurs créanciers. Le monde étant devenu plus doux, on nous propose seulement de les ruiner. (Sourires à droite)
Les économistes s'affrontent désormais là-dessus comme les médecins sur la chloroquine, le principal intérêt de ces débats étant de redonner des lettres de noblesse aux astrologues.
Il n'y aurait plus de limites au financement à crédit et à l'infini de toutes les politiques publiques. L'argent public serait comme l'eau bénite, chacun peut se servir. (Rires à droite)
Bien sûr, pour l'heure il n'y a pas d'autre solution que le keynésianisme sous stéroïdes adopté par le monde entier et qui nous a tellement manqué en 2009 de la part d'une Banque Centrale Européenne plus proche d'un club sado masochiste que de la bouée de sauvetage qui nous aurait remis à flot. (Rires à droite)
Gardons-nous cependant de confondre plan de relance et financement de déficits incontrôlés. Sinon, vu la dette que nous laisserons à nos enfants, nous ne devrons plus être surpris que les bébés crient à la naissance. (Sourires)
On ne parle à juste titre que de l'emploi et pourtant certains de nos concitoyens éprouvent quelque peine à envisager la reprise du travail. La France possède le seul syndicat au monde qui a déposé un préavis de grève le jour du déconfinement et traîné en justice les entreprises qui redémarraient à grand peine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, LaREM et Les Indépendants)
Depuis les élections municipales, nous sommes tous écologistes : le bonheur est dans le pré. C'est une bonne nouvelle, mais quelle écologie ? Car il y a deux écologies, celle de la croissance et celle de la décroissance.
La convention citoyenne a accouché de mesures techniques déjà entreprises comme la rénovation des logements, mais aussi de solutions à la française qui ne coûtent rien, proclament des bons sentiments et rendent les lois bavardes, et enfin d'un catalogue de contraintes qui sont le fonds de commerce des ONG décroissantes.
La décroissance est l'opium des bobos, comme nous l'ont prouvé récemment avec éclat en Une du Monde, dans une proclamation aussi subversive que du fromage à tartiner, une brochette de stars-kérosène au bilan carbone le plus élevé de la planète. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, Les Indépendants et LaREM)
Ce qui est ennuyeux c'est que la convention s'est gardée de répondre aux questions essentielles : comment se passer du nucléaire ?
M. Jean Bizet. - Impossible.
M. Claude Malhuret. - Comment se passer d'OGM importés ? Quelles solutions pour le défi climatique ?
La France a sabordé son industrie avec une méthode simple : tout ce qui bouge, on le taxe ou on le réglemente ; tout ce qui ne bouge plus, on le subventionne. (Rires et applaudissements depuis les travées du groupe Les Républicains jusqu'à celles du groupe LaREM)
L'Europe a raté le virage numérique. L'avenir est là, pas dans la logique du gentil avec les arbres, méchant avec les hommes, qui ne fait que faire croître les ronds-points.
Alors que les soignants et les premiers de corvée ont été admirables, les droits de retrait dans l'administration ont atteint des sommets. La justice a quasiment suspendu son activité pendant trois mois, les greffiers n'ayant pas les moyens de télétravailler.
Mais le dossier le plus alarmant est celui de la police. Sa crise touche sa légitimité, ses doctrines d'intervention, son organisation et ses fonctionnaires. Pas de chance pour nos policiers, après le chewing-gum, le McDo, les westerns et le rock'n roll, on importe désormais d'Amérique les névroses sur la race qui n'ont rien à faire sur nos terres universalistes. Le pauvre policier de banlieue est traité de porc, comme à Chicago.
Le racisme n'est pas du côté de ceux qu'on accuse aujourd'hui mais du côté des faux antiracistes que sont les racialistes, les indigénistes et les décoloniaux. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et LaREM)
Écoutons la leçon de lucidité d'Abnousse Shalmani : « Reprocher à un homme noir d'être un policier équivaut exactement à interdire à un homme noir l'accès à la députation, à un bar ou à un mariage mixte sous prétexte de sa couleur. C'est immonde. Ce qui résonne dans ce discours, c'est la prison de la victimisation et l'essentialisation ».
Votre Gouvernement doit trouver les mots pour s'opposer à cette tragi-comédie burlesque. Il faut dire à ceux qui menacent la police et discréditent l'État, que le risque est dans les bandes armées de kalachnikovs, pas dans la police. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains et UC)
Il ne faut jamais gâcher une crise, disait le président Obama. Je salue l'immense et paradoxale opportunité que nous offre celle-ci, à savoir l'accord franco-allemand sur le plan de relance européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Ce premier pas est essentiel.
Nietzsche disait que l'Europe ne se ferait qu'au bord du tombeau. Sa prophétie vaut aussi pour notre temps. Chaque crise depuis le traité de Rome a failli emporter l'Europe et chaque crise l'a renforcée. Celle-ci est sans doute la plus grave et c'est peut-être celle qui lui fera faire le plus grand pas. C'est le défi qui nous attend. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains ; M. Gabriel Attal et Mme Roxana Maracineanu, ministres, applaudissent également.)
M. Hervé Marseille . - Il vous revient de fixer les nouvelles priorités du Gouvernement. Je salue au nom de mon groupe l'action menée par Édouard Philippe. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants)
La période qui s'ouvre ne s'annonce pas des plus sereines. II va nous falloir mettre les bouchées doubles. De la même manière qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, une pandémie ne fait pas le ménage.
Depuis le déconfinement, on ne parle plus que du monde d'après. Oubliés les gilets jaunes, les problèmes de laïcité, de sécurité, d'immigration ou de communautarisation de la société. Sous le voile de la covid, la violence, l'incivisme, la radicalité, tout ce qui sape le lien social depuis des décennies. Tôt ou tard, ces sujets referont surface. Et plutôt tôt que tard.
L'actualité montre combien l'autorité de l'État doit être rétablie. La pandémie est toujours là et nous devons demeurer prêts à la combattre.
La crise économique s'annonce dramatique. Une relance s'impose, mais ouvrir les vannes de la dépense serait inutile tant les ménages ont épargné pendant le confinement. S'ils ne dépensent pas, c'est qu'ils craignent, avec raison, la crise économique et le chômage.
Rétablir la confiance, c'est maintenir les salariés dans l'entreprise contre modération salariale, à condition qu'ils aient plus d'intéressement et de participation.
Rétablir la confiance, c'est aussi renoncer à une hausse d'impôt. Espérons que le Gouvernement tienne son engagement.
Rétablir la confiance, c'est aider les secteurs d'avenir et le tourisme.
Quant à la transition écologique, nous peinons à voir une ligne directrice. Il y en a pour tous les goûts dans les conclusions de la Convention citoyenne. De même, il ne suffira pas de modifier la Constitution pour repeindre la France en vert. À cet égard, vous n'avez pas mentionné ce projet, laissant à penser qu'il aurait été écarté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
Vous n'avez rien dit de nos choix énergétiques. La fermeture de Fessenheim, de même que le maintien d'une baisse du nucléaire dans le mix énergétique entretiennent le doute. Or les acteurs sérieux savent qu'il ne peut pas y avoir de transition écologique sans le nucléaire. Nous sommes leaders dans ce domaine. Plutôt que de vouloir le rester, nous amorçons un repli. C'est difficilement compréhensible.
À moins de démontrer que la France pourra atteindre la neutralité carbone en 2050 en se dégageant de l'atome. Quoi qu'il en soit, pour être décarboné, l'hydrogène doit être produit avec de l'éolien ou du solaire. En aurons-nous la capacité et la volonté ?
La meilleure énergie, c'est bien sûr celle que l'on ne consomme pas. Votre politique de rénovation thermique va dans le bon sens.
Il faut aussi développer le fret et le transport fluvial. Je pense au Lyon-Turin et au canal Seine-Nord.
Il n'y aura pas de relance sans solidarité. À cet égard, la réforme des retraites devra être juste.
Je salue la priorité donnée aux territoires et l'association des collectivités territoriales à la relance. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas entendu un Premier ministre parler de ruralité. Depuis des années, les territoires sont les grands oubliés de la République.
Vous avez qualifié de révolutionnaire la déconcentration de l'État que vous voulez conduire. Chiche ! Du coup, l'attente est forte, celle d'un État capable de se réformer, d'un État svelte, agile et réactif.
La différenciation est une nouvelle étape indispensable de la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent pouvoir adapter les normes en fonction de leurs particularités et des priorités locales. Mais, monsieur le Premier ministre, « réarmer les territoires » impose aussi de leur redonner de l'autonomie fiscale. Tous les volets du plan de relance doivent se tenir.
Le plan de relance ne pourra jamais être mis en oeuvre sans deux acteurs majeurs : l'Europe et le Parlement. Pas de relance économique sans plan de relance européen. Pas de transition environnementale sans Green New Deal européen. Nous devons aussi revoir la PAC et accorder de nouvelles recettes à l'Europe - TVA sociale européenne et taxe Gafam.
Nous notons avec satisfaction que le Président de la République compte désormais sur les corps intermédiaires, notamment les partenaires sociaux, mais étonnamment pas le Parlement. Vous écoutez des citoyens tirés au sort plutôt que la Représentation nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants)
Malgré des interrogations qui demeurent, nous saluons un changement d'attitude et d'orientation vers plus de proximité. Vous tendez la main, et vous souhaitez travailler avec les élus, en partant du local. Je vois plus de régalien, de keynésien et de républicain. Oubliez la start-up Nation : bienvenue en France ! Avec mon groupe, nous sommes prêts à vous soutenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants ; MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Président de la République vous a choisi pour gouverner la France. Il a même eu la délicatesse de choisir vos principaux collaborateurs. (Rires à droite...)
N'oubliez jamais qu'il n'y a qu'un seul souverain en France, le peuple français, que le Premier ministre de la France doit servir.
Nous sommes sensibles à votre éloge du bicamérisme. Victor Hugo le disait : « La France gouvernée par une assemblée unique, ce serait la mer gouvernée par l'ouragan ».
Votre tâche est lourde, à l'image de la lourde épreuve qui accable notre pays. Elle exige de la hauteur. De nombreux commentateurs s'interrogent pour déterminer quel Premier ministre vous serez. L'important n'est pas là, mais dans ce que vous ferez.
Votre accent chantant, agréable à entendre est « le reflet du sol sur les âmes » disait le poète. Ce qui compte, ce sera la partition de vos décisions, des actes que vous poserez alors que s'emboîtent comme des poupées russes la crise sanitaire, la crise économique et la crise civique.
Il vous faudra beaucoup d'énergie pour résorber la crise sanitaire. Il a fallu cinq mois pour obliger les Français à porter les masques dans les endroits publics clos. Il faut développer les tests ! Il n'y a pas de stratégie dans ce domaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.)
La France est à la croisée des chemins entre le relèvement et le décrochage. Les décisions que vous prendrez détermineront son avenir pour les dix ou quinze prochaines années. Les autres nations européennes agissent et la France n'est pas bien placée, avec un recul de 11 %.
Il faudra lutter contre le chômage, notamment des jeunes, en finançant des dépenses actives d'investissement en compétences. Vous ne bâtirez pas l'avenir avec de vieilles solutions : préférez les contrats d'apprentissage aux contrats aidés. Nous vous ferons des propositions.
La solution, c'est la croissance ! C'est elle qui paiera nos dettes et qui protégera les Français du déclassement. Il faut pour cela travailler davantage. Je ne connais aucune grande épreuve surmontée dans la facilité. Il faut dire la vérité aux Français !
Notre compétitivité est en berne. Il faudra baisser les impôts de production et les charges dans le PLFR 3, sinon vous désavantagerez l'industrie. Annulez le forfait social, y compris dans les ETI, si vous êtes le gaulliste social que vous dites être !
Sans compétitivité, il n'y aura pas de souveraineté économique, ni de relocalisation, ni de réindustrialisation. Il n'y aura pas non plus de mobilité sociale.
De tous les pays européens, la France s'est le plus tertiarisée. Il faut déployer les voiles, avec le glaive de la compétitivité et le bouclier européen. Nos liens avec l'Allemagne se sont rétablis. Renforçons-les encore. Pour avoir des champions européens capables de faire face aux Chinois, il faut changer le logiciel de la concurrence et du libre-échange. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.)
Nous attendons avec impatience que le CETA arrive au Sénat. Nous voterons contre cet accord qui n'est bon ni pour l'agriculture ni pour la planète. (Acclamations sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.) Nous devons exiger une frontière verte, une frontière carbone, favorable à l'emploi et à l'écologie.
Monsieur le Premier ministre, vous avez la sincérité ; il vous faudra le courage ! Hannah Arendt écrivait que les crises ne deviennent catastrophiques que lorsqu'on y répond par des préjugés. Il vous faut déboulonner les statues, pas celles de Saint Louis, Portalis et Colbert qui nous surplombent, (M. Victorin Lurel proteste.) mais les idoles virtuelles de l'argent magique (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) et de la dépense publique comme seul levier d'une action de l'État efficace.
C'est à ces idoles que vous cédez encore une fois avec le Ségur de la santé ! Faire un chèque de 8 milliards d'euros sans rien dire de la tarification et de l'organisation de l'hôpital, c'est Sisyphe ou le tonneau des Danaïdes !
Vous vous disiez taiseux ; eh bien, faites !
Je terminerai par la crise civique. Pour redresser l'économie d'un pays, les ressorts sont avant tout immatériels : la confiance est indispensable à la croissance. Or les Français sont le peuple qui a le moins confiance, à raison peut-être.
Que dire lorsque la République est défiée à Dijon, où les différends sont réglés non à la préfecture, mais à la mosquée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Que dire lorsque la démocratie est fragilisée par l'abstention et le tirage au sort ? C'est la dérive de la courte paille ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Claude Kern et Vincent Capo-Canellas, ainsi que Mme Françoise Férat, applaudissent.)
La décentralisation permet de renouer le fil de la confiance, car elle encourage la proximité, donc l'efficacité. Le lieu, c'est le lien. Posez un cadre général puis différenciez, mais pas l'inverse.
Il faut aussi sauver l'État-nation, trop fragilisé. Notre façon d'être au monde, notre figure collective ont été ébranlées à l'aune de l'effritement de l'État régalien. À Aiguillon comme à Bayonne, la loi de la violence ordinaire a prévalu.
La France est le pays d'Europe où le taux d'homicides rapporté à la densité de population est le plus élevé. Le numerus clausus carcéral peut-il encore tenir lieu de politique pénale ?
Le tissu déchiré de la nation française par l'effet du communautarisme et du séparatisme n'a face à lui qu'une pensée molle et des actes faibles. Reprendrez-vous les propositions du Sénat sur le port des signes ostentatoires lors des sorties scolaires ?
Certains voient la Nation comme éternellement coupable, « coupable de culpabilité », comme le disait un personnage des Fraises sauvages de Bergman. Comment nous projeter dans l'avenir avec une vision aussi lacrymale de notre histoire ?
Vous ne pourrez pas répondre à la dépression économique et sociale sans répondre à la défiance civique qu'aucun artifice de communication ne peut masquer. La politique crève de cette obsession de crever l'écran. Les Français sont perdus. Ils ne veulent pas d'un nouveau chemin mais retrouver la France avec son audace, sa fierté et sa destinée. Ils veulent être un peuple libre, uni autour d'un idéal français qui nous rassemble et qui doit dessiner le seul chemin possible. Si vous empruntez ce chemin, nous vous suivrons. Si vous vous en écartez, nous nous opposerons à votre politique. Vive la République ! Et vive la France ! (Applaudissements nourris et acclamations sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Philippe Pemezec, Jérôme Bascher et Mme Jacky Deromedi se lèvent.)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Votre responsabilité est lourde, monsieur Castex, voire écrasante. Dans la crise que nous traversons, elle revêt un caractère historique. Votre rôle est de veiller à protéger les Français, d'un virus mortel, des conséquences d'une maladie qui mine nos habitudes mais aussi de l'effondrement économique et social qui menace.
Alors que les signes avant-coureurs d'une nouvelle vague se multiplient, après l'annonce des « jours heureux » par le Président de la République, à l'écoute de votre discours, quelle déception, monsieur le Premier ministre ! On nous dit à chaque texte : vous allez voir ce que vous allez voir au prochain projet de loi de finances rectificative.
Je crois que nous devons attendre septembre et le projet de loi de finances 2021. Pourquoi, alors qu'il faut agir rapidement face à la crise ? Chaque jour qui passe accroît la facture et la fracture.
Les réactions rapides que vous avez eues avec le chômage partiel et les reports de charges étaient nécessaires mais conjoncturelles.
Le pouvoir d'achat - sauf pour les soignants - est totalement absent de vos annonces. Or celui des plus modestes sera amputé par la crise. Il aurait fallu pourtant réorienter vers la consommation et l'investissement l'épargne de 55 milliards d'euros accumulée pendant deux mois de confinement. Et la culture - qui manifestement vous intéresse peu...
M. David Assouline. - C'est clair : pas un mot, rien ! (M. Julien Bargeton le conteste.)
M. Patrick Kanner. - Vous préférez ne pas revenir sur la baisse des APL alors qu'il est urgent de réaffirmer leur rôle fondamental de redistribution, de cohésion sociale et d'amortisseur de la crise.
Dans les crises, ce sont toujours les plus fragiles qui finissent par payer l'addition. C'est bien de redécouvrir l'intérêt des emplois aidés - mais ce n'est pas encore suffisant pour les jeunes sans emploi.
Vous annoncez 100 000 services civiques - on ne les crée pas d'un claquement de doigts. La pauvreté n'est jamais un choix : il faut la combattre. Vous voulez des propositions : chiche ! Nous avons une proposition : le revenu de base, que 19 départements de gauche proposent d'expérimenter. Dans les quartiers de la politique de la ville où ce revenu serait bien utile, les populations sont confrontées à une perte voire à un effondrement de leurs ressources. L'aide alimentaire est devenue incontournable. Vous avez annoncé la relance des chantiers ANRU, c'est nécessaire, mais la rénovation urbaine ne doit pas être isolée d'une politique plus globale.
Donnez les moyens aux travailleurs sociaux avec 30 000 emplois aidés ciblant les jeunes et les étudiants dans les quartiers.
Autre absent de taille : l'Europe, alors que se jouent aujourd'hui les négociations sur le plan de relance européen et le cadre financier pluriannuel, et que la France sera le pays le plus impacté par la chute du PIB. Pourquoi attendre septembre pour le plan de relance ?
Pour Emmanuel Macron, la seule rupture, ce fut de changer de Premier ministre. De l'art du « en même temps », nous sommes passés à l'art du contretemps. La grande priorité du quinquennat, l'égalité femmes-hommes a cédé le pas.
Votre rôle est de rassembler les Français, pas de relancer la réforme des retraites, qui a fait descendre des centaines de milliers de Français dans la rue, et qui a recueilli l'opposition des syndicats ouvriers comme patronaux. Le chiffon rouge de l'âge pivot pourrait être retiré, mais la cicatrice du 49-3 persiste.
Vous allez remobiliser les forces vives de la Nation contre un projet inique que vous auriez dû abandonner. Idem sur la réforme de l'assurance chômage, très dure pour les Français les plus modestes.
L'environnement doit être un axe fort du plan de relance. Le bâtiment compte pour 43 % de la consommation finale d'énergie en France et près du quart des émissions de gaz à effet de serre. Il faut démocratiser la rénovation thermique au lieu de prévoir comme vous le faites une avance que ne pourront pas se permettre de nombreux Français.
Cette crise est également l'occasion de repenser notre modèle et d'aller vers plus d'indépendance. Manque de respirateurs, d'équipements de protection, de médicaments : elle a été un révélateur de la désindustrialisation, notamment dans le secteur médical. Mais quid de Luxfer, quid de Famar ? Vos déclarations d'intention ne suffisent pas, monsieur le Premier ministre, il faut des actes !
Vous favorisez toujours les mêmes, suppression de l'ISF et mise en place de la flat tax, suppression de l'exit tax, suppression de la taxe d'habitation pour les contribuables les plus aisés - sur lesquels des doutes subsistent, semble-t-il. Le besoin d'équité fiscale est si criant dans notre pays ! La liste est longue... Si j'ai bien entendu le Président de la République, un peu recadré par vous-même et par Mme Gourault ce matin, sur Public Sénat, je ne suis pas certain que sa volonté sera exaucée par vos décisions, même si nous comprenons que, finalement, la taxe d'habitation pourrait être un outil utile pour l'ensemble des Français, afin de financer le service public local.
La vraie question est : qui va payer ? Quelle redistribution ? La solidarité doit être territoriale. Il faut porter secours aux territoires les plus fragiles, en Guyane où vous étiez il y a quelques jours, en outre-mer ou dans l'Hexagone. Nous ne voulons pas d'un Big Bang territorial : servez-vous de nos propositions, adoptées pour la plupart ici au Sénat, elles sont libres de droit !
Vous parlez beaucoup de territoires. On peut répéter ce mot, que vous avez prononcé une cinquantaine de fois depuis hier dans votre déclaration, en sautant sur sa chaise comme un cabri...
Le groupe socialiste et républicain a fait des propositions : clarifier la répartition des compétences, réorganiser l'administration territoriale de l'État, autonomie fiscale - et non financière, préférée par le Président de la République et qui aboutit aux contrats scélérats de Cahors - je le dis haut et fort. L'autonomie fiscale consiste à permettre aux collectivités locales de décider librement ce qu'elles ont envie de faire pour leurs concitoyens, sous le contrôle démocratique qui a lieu tous les six ans pour les communes ! La liberté des collectivités est clairement définie par l'article 72 de la Constitution.
Il faut urgemment prolonger le plan de soutien aux collectivités territoriales par un « plan de rebond territorial », sans tabou, qui passe par plus de subsidiarité, d'expérimentation, de différenciation, d'interterritorialité, face à un État en quête de partenaires.
Vous avez eu la bonne idée de ne pas demander la confiance au Sénat.
Vous appelez à la concorde nationale, mais celle-ci ne se décrète pas plus qu'elle ne se trouve dans l'amnésie et l'anesthésie générales de vos discours, ni dans l'amnistie générale des années qui ont précédé.
Nous serons dans une opposition vigilante, exigeante et constructive, en espérant que de temps en temps vous écouterez nos propositions au service des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Jean-Claude Requier . - Acte III du quinquennat, nouveau souffle, dépassement du politique, troisième acte du quinquennat, peu importe les qualificatifs : votre nomination intervient au moment de la pire crise sanitaire qui nous ait frappés en un siècle. Nouvelle illustration, s'il en fallait, que la Ve République doit être profondément repensée, pour en casser la verticalité, pour réhabiliter les corps intermédiaires ou donner plus de souffle à la démocratie locale.
L'accélération des cycles politiques, le prêt à penser en 280 signes, le diktat médiatique rendent la vision de long terme de plus en plus difficile.
Notre société est psychologiquement épuisée après une succession de crises majeures. La jeunesse perd espoir, la récession arrive, les fractures identitaires gangrènent de plus en plus de zones et les territoires excentrés se sentent oubliés. Mais nous ne devons pas céder au défaitisme, car la République, notre bien commun, doit être défendue chaque jour et nous devons reconstruire une confiance durable entre nos concitoyens au nom du seul intérêt général, d'abord par des mesures simples et concrètes.
Le RDSE soutiendra tout ce qui contribuera à ce redressement sans céder aux pressions de la rue ou des réseaux sociaux, en attendant que la promesse républicaine d'égalité soit une réalité.
La crise a montré que notre système sanitaire a tenu, n'en déplaise à ceux qui n'en voient que le coût.
La crise des gilets jaunes l'a souligné, nos concitoyens attendent la justice sociale - qu'on ne peut réduire à l'assistanat. Mon groupe y attache une importance fondamentale. Il est temps que le plan Pauvreté, qui s'est fait tant attendre, se concrétise !
La crise sanitaire a révélé les formidables initiatives des élus locaux et des préfets, le plus souvent attentifs à les soutenir.
L'approche par les territoires, que vous voulez promouvoir, a trouvé ici une écoute attentive. Il faut aller plus loin, avec une déconcentration soucieuse des spécificités locales et une décentralisation qui permettent la confiance des élus et une vraie différenciation, dans le respect des libertés locales et des valeurs de la République.
Dans les zones rurales, urbaines ou périurbaines - toisées par des métropoles devenues inaccessibles, l'absence de l'État est un problème.
Il ne saurait exister des citoyens de seconde zone du fait de leur lieu de résidence. C'est la raison de la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), malheureusement transformée en machine obèse et technocratique.
Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé le maintien des petites lignes ferroviaires - il y va de la survie de nos territoires. (M. Marc Laménie applaudit.)
Idem pour le numérique : mon groupe travaille pour que le Très Haut Débit soit accessible partout et que la lutte contre l'illectronisme devienne une priorité.
Attention, de même, face aux défis immenses qu'elle doit affronter, à ne pas cantonner l'écologie dans une démarche punitive.
Mon groupe cultive la liberté de vote mais ne transigera jamais sur la défense de la laïcité - valeur cardinale, facteur d'émancipation garantissant le droit de croire et de ne pas croire, rendant les citoyens égaux. Nous serons à vos côtés pour faire respecter l'ordre public et l'autorité de l'État, contre ceux qui revendiquent de s'extraire de la loi commune, et pour que la République reste une et indivisible.
La situation est grave mais nous sommes réunis pour que la République demeure une et indivisible.
Dans sa liberté et sa diversité, le RDSE continuera à placer l'intérêt général de notre pays au-dessus des contingences partisanes.
C'est à cette aune, comme l'on dit à Paris - mais pas avec notre accent du terroir (Sourires) - que nous jugerons votre politique. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. François Patriat . - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Dans cette dramatique crise sanitaire, vous avez rappelé le rôle crucial des soignants. Nous, législateurs, avons su être à la hauteur des enjeux.
Je tiens à rendre hommage à votre prédécesseur, Édouard Philippe, pour le travail considérable qu'il a mené, avec méthode, pédagogie et détermination sur les fronts de la lutte contre le virus, de la sauvegarde de l'emploi, du soutien aux plus vulnérables.
Dès le début de la crise, 430 milliards d'euros ont été déployés, dans le cadre d'un ambitieux plan d'urgence, comportant une panoplie de mesures générales - prêts garantis par l'État, chômage partiel, fonds de soutien - et sectorielles - aéronautique, automobile, hôtellerie, restauration, culture - sans lesquelles des pans entiers de notre économie auraient été réduits à néant.
Je tiens à féliciter nos élus locaux qui n'ont jamais ménagé leurs efforts. Les collectivités territoriales sont les maillons essentiels de la reprise.
Alors que, grâce à des réformes ambitieuses, le chômage avait atteint son plus bas niveau depuis dix ans, que le pouvoir d'achat connaissait sa plus forte progression, que la France devenait un des pays les plus attractifs, nous avons su faire face.
La crise a révélé nos forces mais aussi nos faiblesses et nos fragilités.
Monsieur le Premier ministre, vous avez reçu la mission de réussir le déconfinement, avec un sérieux qui a été aussi celui des Français - ce sens de l'intérêt général doit nous inspirer.
Vous avez permis une reprise progressive du vivre ensemble à la française auquel nous sommes attachés.
La crise a attisé la peur du déclassement. Elle doit être l'occasion de rétablir la confiance. La République, une et indivisible, est la solution. Soit nous agissons, soit nous sombrons dans les divisions mortifères.
Nous devons faire preuve d'humilité, faire le point sur nos actions sans craindre le jugement hâtif de ceux qui croient toujours faire mieux.
Le président Larcher le dit souvent : nous représentons les territoires, auxquels certains vous reprochent aujourd'hui de trop faire appel ! Quand on parle aux territoires - que n'eussions-nous pas entendus si vous n'en aviez dit mot ! - on s'adresse non pas seulement au Parlement, mais surtout aux Français qui rencontrent des difficultés de déplacements, de santé et d'emploi, en leur donnant des réponses concrètes. Je les ai entendues aujourd'hui.
Je ne crois pas à l'uniformité des politiques publiques, sorte de maladie qui a frappé notre pays tout au long de son histoire récente. Vous avez apporté votre soutien à la différenciation qui évite d'apporter les mêmes réponses monolithiques de Brest à Strasbourg, du Havre à Prades.
Nous devons entamer une nouvelle étape de la décentralisation. Vous avez tracé un chemin ambitieux. Votre politique doit s'inscrire dans le temps long, comme l'a dit le Président de la République lors de son interview du 14 juillet.
Cela fait trente ans que nous reculons sur la réforme des retraites...
M. Jérôme Bascher. - Comme si rien n'avait été fait avant !
M. François Patriat. - Le Gouvernement a raison de mener cette réforme ambitieuse et équitable !
Nous nous réjouissons que tous - élus locaux, partenaires sociaux, citoyens - soient associés à cette reconstruction. La reconstruction sera le fruit d'un travail collectif ou ne sera pas.
Je ne reviendrai pas sur les mesures annoncées : lutte contre le décrochage scolaire, financement de la formation, extension du chômage partiel, rénovation énergétique...
Dès votre arrivée, vous avez conclu le Ségur de la santé dont vous avez voulu qu'il obtienne des avancées sans précédent. Quel gouvernement a autant fait pour l'hôpital et pour le personnel soignant ? Ceux qui doutent de l'action du Gouvernement devraient voir ce qu'il fait pour la santé.
Investissement et transformation seront les maîtres mots de votre Gouvernement. Nous nous en réjouissons.
Votre ambition claire et votre volonté d'agir nous permettront de relever les immenses défis qui se présentent à nous...
M. le président. - Il faut conclure.
M. François Patriat. - Monsieur le Premier ministre, après avoir entendu vos propositions concrètes, pragmatiques et proximales, séquencées dans la durée dans les 600 jours qui nous restent, le groupe LaREM vous apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Jean Castex, Premier ministre . - Je vous remercie de la qualité de vos propos, qui ne me surprend pas, bien entendu.
Ne doutez pas de notre détermination très forte, dans ce contexte si particulier, de poursuivre et d'accélérer la relance de notre économie : c'est notre premier objectif.
Je n'ai pas perçu de divergence fondamentale entre nous, ni sur les principes - une croissance la plus riche en emplois - ni sur le contenu ni sur la méthode : le pragmatisme...
Mme Sophie Taillé-Polian. - Vous ne nous avez pas bien entendus, alors !
M. Jean Castex, Premier ministre. - J'ai entendu des réserves sur le financement de ce plan.
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Ces remarques légitimes ont été exprimées de manière traditionnelle : une fois que nous nous accordons pour dire « pas de dette pour les générations futures, respect des équilibres », les uns proposent des baisses d'impôts ; les autres, d'ajouter dans le même propos, « vous n'en faites pas assez »... Je crains qu'à l'arrivée, le solde ne s'en trouve guère amélioré !
M. Jean-Pierre Sueur. - Quelle est donc votre réponse ? Comment allez-vous financer tout cela ?
M. Jean Castex, Premier ministre. - Il s'agit d'un plan d'investissement, et non pas de dépenses de fonctionnement, orienté vers la croissance et l'amélioration de la compétitivité de notre économie, ainsi que la formation des hommes et des femmes de notre pays.
Une exception toutefois porte sur le Ségur de la santé. Au profit des soignants mobilisés pendant la crise, nous faisons oeuvre de rattrapage et notre système de santé est notre bien le plus précieux pour notre cohésion sociale et notre protection nationale.
M. François Patriat. - Absolument !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Ne pas le faire eût été une erreur profonde ! Cela doit s'accompagner bien entendu d'une amélioration de l'organisation de notre système de santé.
Vous me donnez aussi l'occasion de parler d'Europe.
J'ai eu l'honneur d'apporter modestement ma contribution à la gestion de la précédente crise, en 2008. Elle était difficile, mais celle d'aujourd'hui sera, nous le savons, beaucoup plus forte. Il y a une différence que le président Malhuret a soulignée à juste titre : en 2008, il n'y a pas eu de véritable solidarité européenne.
Quelque 35 milliards d'euros du plan de relance seront financés par l'Europe : c'est une différence majeure ! La France et le Président de la République y ont apporté une contribution décisive. Nous devons amplifier cette démarche européenne en matière de politique industrielle. Les grands champions doivent être européens. La France ne pourra agir seule.
La politique écologique doit aussi être européenne : taxe carbone, réforme de la politique de la concurrence. Beaucoup l'ont dit : il faut utiliser cette crise comme une opportunité. C'est également vrai pour l'Europe qui doit retrouver de la crédibilité auprès de nos citoyens. La crédibilité, en effet, permet la confiance.
Nous ne réussirons que si les Françaises et les Français s'imprègnent aussi de la nécessité de lutter avec nous contre la crise et de se mobiliser. Il faut retrouver à cette occasion les bases de la confiance.
Les valeurs d'autorité de l'État, de respect, de laïcité républicaine, d'écoute, de sens des responsabilités, de courage dans la conduite des réformes nécessaires, doivent être portées et incarnées pour nous permettre de sortir plus forts de ce moment des plus difficiles.
Je ne perds jamais de vue l'immensité de la responsabilité qui pèse sur mes épaules. Mais je sais au fond de moi-même que je ne pourrai m'en affranchir qu'en mobilisant, en partageant, en impliquant non seulement la Représentation nationale, mais l'ensemble de notre pays, sous l'autorité du Président de la République, au service de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées des groupes RDSE et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 12 h 45.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.