Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

Discussion générale

M. Franck Riester, ministre de la culture .  - J'ai bien connu le sénateur Gélard et je suis ému d'apprendre cette triste nouvelle. J'ai une pensée pour toute sa famille.

Le numérique apporte son lot d'opportunités nouvelles. Cela s'est vérifié au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture, à l'éducation, nos modes de travail. Le numérique nous a permis de continuer à vivre !

Mais il apporte également son lot de risques : on l'a vu par exemple avec la recrudescence, pendant la crise, de la pornodivulgation sur Snapchat. Nous avons la responsabilité de faire respecter les règles par tous, avec pragmatisme, ambition et résolution, au besoin en les adaptant.

Internet n'est pas un espace de non droit. Nous ne pouvons pas ne rien faire alors que notre société est accaparée par certains acteurs étrangers. C'était l'ambition des lois sur les fausses informations, sur les droits voisins. Sur ce sujet, vous avez anticipé la directive européenne qui sera bientôt entièrement transposée.

Cette proposition de loi étend au numérique une protection déjà existante pour les enfants du spectacle et les enfants mannequins. Le Président de la République avait du reste évoqué la protection des enfants dans l'espace numérique lors de son discours à l'Unesco le 20 novembre 2019. C'est une priorité du Gouvernement. La directive Services des médias audiovisuels, qui impose aux plateformes des mesures contre l'accès des mineurs aux contenus qui leur sont préjudiciables, sera transposée rapidement.

La proposition de loi de Bérangère Couillard, que vous avez adoptée voici deux semaines à l'unanimité, et qui a le soutien du Gouvernement, va dans ce sens : elle précise dans le droit que déclarer son âge en ligne n'est pas suffisant pour protéger les mineurs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) devra contrôler que les plateformes vérifient l'âge des mineurs ; un comité de suivi a été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux - avec une obligation de résultat dans les six mois.

Je salue l'engagement de Roch-Olivier Maistre et Sébastien Soriano, présidents du CSA et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Cette coopération entre régulateurs est indispensable. Pour protéger, il faut s'unir.

Il faut s'unir au niveau européen. Face aux géants du numérique, nous ne sommes crédibles qu'à l'échelle européenne. La Commission européenne vient de lancer une consultation sur le Digital services Act. C'est l'opportunité de porter la vision française ambitieuse sur la régulation des plateformes. Je suis mobilisé avec Cédric O sur le sujet.

Je remercie Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, pour son engagement personnel sur la souveraineté numérique. Il nous sera utile, pour garantir la régulation européenne de demain - souple mais exigeante.

Nous nous sommes fixés des objectifs. Le monde numérique change très rapidement, nous laissons les opérateurs déterminer les bonnes solutions, tout en donnant aux régulateurs les moyens de contrôle et de sanction appropriés.

Le présent texte porte sur une autre question : il ne protège pas les enfants spectateurs mais les enfants acteurs. Ces vidéos se sont multipliées, sur TikTok, Twitch ou Vine par exemple. Ce sont des espaces de liberté, d'expression des talents, mais aussi de monétisation des contenus et une source de rémunération pour ceux que l'on appelle les influenceurs.

Sur un nombre croissant de chaînes, on trouve les enfants mis en scène, avec leurs parents à la manoeuvre qui imposent le rythme de tournage et qui récupèrent la rémunération. Le risque pour l'enfant est évident.

Cette proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, vise à mieux protéger les enfants influenceurs, et à mieux encadrer, en faisant entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, et, quand il ne s'agit pas de salariat, en créant un régime déclaratif lorsque les vidéos sont nombreuses et le revenu important. Il faut associer les plateformes à ce combat, mobiliser les parents sur la réglementation et lutter contre les abus.

Il faut aussi faire valoir le droit à l'oubli de l'enfant, sans qu'il soit besoin de l'autorisation des parents.

Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur au Sénat. C'est pur plaisir de travailler avec vous, monsieur Hugonet, comme nous l'avons fait sur le projet de loi de création du Centre national de la musique.

C'est un texte nécessaire et même indispensable.

Le Gouvernement a déposé deux amendements, un rédactionnel, un relatif aux annonceurs.

Cette proposition de loi cependant n'est pas suffisante. Il faut lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, et mobiliser les services de l'État sur la protection de l'enfance. Tout le Gouvernement est mobilisé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Cette proposition de loi est à la convergence de deux sujets, dont la protection des mineurs. Le travail des enfants est interdit depuis 1874. L'oeuvre de Victor Hugo ou celle de Charles Dickens ont contribué à l'éveil des consciences.

Par dérogation, les enfants du spectacle et du mannequinat peuvent travailler - de manière soigneusement encadrée, l'enfance devant rester le temps de l'insouciance.

Si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de créativité ou de liberté, elle a aussi engendré des formes d'exploitations insidieuses, tant elles semblent innocentes et ludiques.

Les chaînes se multiplient où les enfants sont mis en scène par leurs parents dans des vidéos partagées en ligne. Certains ont plusieurs millions d'abonnés et des dizaines de millions de vues, ce qui peut constituer une source importante de revenus. Comment croire à la fiction de vidéos tournées sur le vif, sans pression des parents ? Parfois, elles rapportent plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois. Comment croire que l'équilibre des enfants est préservé ?

Or il n'existe aucun cadre pour protéger les enfants youtubers quant au temps de tournage et au partage des bénéfices.

La proposition de loi du député Studer, présent aujourd'hui en tribune et que je salue, a été adoptée à l'unanimité par les députés. Internet ne saurait être un espace sans foi ni loi. Mais le législateur doit concilier sauvegarde des libertés publiques, dont la liberté de communication, et la protection du vivre ensemble, et la protection des plus vulnérables.

La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia pour lutter contre la haine en ligne a montré que nous cheminons sur une ligne de crête et que nous avons intérêt à écouter les sages préconisations du président de notre commission des lois, Philippe Bas, en cette matière comme bien d'autres. (Marques d'assentiment sur les travées du groupe Les Républicains)

Cette proposition de loi prend en compte la nature mouvante de l'espace numérique, la diversité des pratiques, et distingue vidéos professionnelles, vidéos amateurs et celles qui se trouvent dans une zone grise entre travail et loisir. Plusieurs régimes juridiques sont donc définis.

Les mineurs pourront exercer le droit à l'oubli sans l'accord de leurs représentants légaux.

Chaque acteur est placé devant ses responsabilités. Les parents sont les premiers responsables de la sauvegarde et du bien-être de leurs enfants. Or ils sont trop nombreux à ne pas être encore conscients des risques pour leurs enfants. Il convient de mieux éduquer la société et je salue l'excellente initiative de Sylvie Robert qui propose par un amendement d'élargir l'obligation de sensibilisation des plateformes aux mineurs eux-mêmes.

Mme Catherine Deroche et M. Stéphane Piednoir.  - Très bien.

M. Franck Riester, ministre.  - Les plateformes auront l'obligation d'adopter des chartes sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour mettre en place des procédures de signalement des contenus portant atteinte à la dignité ou l'intégrité d'un mineur.

Si ce texte concerne peu d'enfants, il a une portée symbolique : car combien de parents ou d'enfants rêvent au succès des auteurs et acteurs de ces vidéos ?

La commission de la culture a veillé à la qualité rédactionnelle du texte et à mieux protéger les mineurs. Il nous a semblé important de veiller à la transparence financière des revenus acquis. Je remercie M. Laurent Lafon de ses amendements.

Cette proposition de loi n'est pas parfaite, et ne répond pas totalement au problème. Des interrogations se sont exprimées sur l'effectivité des nouvelles dispositions : la jurisprudence affinera au fur et à mesure les distinctions entre les différents régimes juridiques.

Mais cette proposition de loi est la solution la plus convaincante. Là où régnaient le vide et le silence, elle installe un cadre pionnier, qui se veut équilibré et protecteur. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains)

Mme Sylvie Robert .  - Depuis plusieurs années, le Parlement réfléchit et légifère sur le rapport entre mineurs et exposition aux écrans. Ce fut le cas lors du vote des propositions de loi relatives à la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse ou à l'exposition précoce aux écrans sur les plateformes comme YouTube.

Les différents textes se rejoignent pour mieux protéger les enfants et réguler les usages.

L'entrée dans la troisième révolution industrielle est allée de pair avec de nouveaux enjeux : protection des données, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique. La protection des mineurs est également un défi, et l'arsenal juridique est encore modeste.

L'ordre juridique interne évolue cependant, octroyant des lois aux mineurs, comme l'article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique. L'article 5 de la proposition de loi confère aux mineurs un droit à l'oubli sans consultation des parents. Nous sommes ainsi entrés dans une phase de régulation pour renforcer les droits des personnes.

Cette proposition de loi comble un vide juridique concernant une pratique de plus en plus courante. En créant deux régimes, en distinguant pratique professionnelle et pratique semi-professionnelle, nous réservons à l'enfant un juste retour des bénéfices.

Ce texte porte aussi sur l'information des parents et du public. Ils prendront conscience des risques psychologiques et de l'attention à porter à la dignité physique et morale des enfants.

Cette responsabilisation essentielle, étrangement, ne s'adresse pas aux premiers concernés, les mineurs. C'est pourquoi nous voulons les alerter sur leurs droits et sur les risques, en les accompagnant directement. Certains mineurs sont eux-mêmes auteurs et producteurs de vidéos, sans avoir une réelle appréhension des risques. L'article 5 porte sur l'effacement des données personnelles. Sur les plateformes avec des vidéos temporaires comme TikTok, l'absence de visibilité des contenus ne signifie pas leur effacement.

Nous devons porter l'accent sur la pédagogie. Elle doit être une priorité à l'école. Cette proposition de loi va dans le bon sens ; le groupe socialiste et républicain sera heureux de la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Mireille Jouve .  - Depuis la diffusion d'internet au début des années 2000, son usage soulève de nouvelles problématiques. Une réponse concertée et coordonnée à l'échelle internationale ou au moins européenne est incontournable pour répondre aux dérives d'un phénomène qui se joue des frontières.

La majorité présidentielle a déjà entrepris d'y répondre, notamment sur la manipulation de l'information et la diffusion de contenus haineux.

Dans le premier cas, le Sénat a considéré que les ajouts de l'Assemblée nationale pouvaient avoir des effets pernicieux ; dans le second, c'est le Conseil constitutionnel qui a jugé la réponse ni adaptée ni proportionnée.

Avec ce texte, nous sommes invités à réfléchir à l'exploitation commerciale des enfants de moins de 16 ans, en général par leur famille, avec des ambitions artistiques limitées mais des revenus significatifs.

Les conséquences psychologiques peuvent être lourdes à long terme. Le groupe RDSE partage l'ambition de ce texte : la prévention et l'éducation pour encourager une utilisation plus modérée d'internet. Nous saluons donc l'initiative du président Studer qui opère un distinguo entre vidéos professionnelles, semi-professionnelles et amateurs, avec des régimes juridiques différents.

Notre rapporteur, par des précisions opportunes, a renforcé l'opérabilité de cette proposition de loi. Dans l'attente d'une réponse internationale concertée, on peut être réservé sur la portée de ce texte qui est néanmoins équilibré, au contraire d'autres initiatives du groupe LaREM en la matière.

Le groupe RDSE votera cette proposition de loi.

M. André Gattolin .  - Je salue la présence de Bruno Studer, auteur de cette proposition de loi, et je remercie notre collègue et ami Hugonet, qui a conduit un travail très constructif. C'est la preuve du caractère transpartisan de ce texte.

La soumission à la mode d'un jour - qui perdure jusqu'à devenir le symbole d'une génération - ne saurait nous faire oublier la « cause des enfants », pour reprendre l'expression de Françoise Dolto.

Il y a quelques années des chaînes de vidéos d'enfants filmés presque quotidiennement par leurs parents, dont le célèbre Ryan Kaji, sont apparues sur internet.

Des vidéos de parents jetant du fromage à la tête de bébés sont devenues virales. Cela, d'ailleurs, n'était qu'une mise au - mauvais - goût du jour de l'émission américaine transposée en France sous le nom de Vidéo Gag.

« Ce qui fut sera, ce qui a été fait se refera, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil », dit l'Ecclésiaste. J'aurais pu citer les principes d'éducation de Krishnamurti, mais j'aurais eu moins de succès dans cet hémicycle.

Le législateur est dans son rôle en mettant en lumière des situations de travail inconnues de nos concitoyens, en plaçant les plateformes face à leurs responsabilités, en instaurant un droit à l'oubli pour ces enfants, en votant en 2016 ma proposition de loi contre la publicité dans les programmes jeunesse.

Il est dans l'esprit de la République de protéger les plus fragiles et de montrer la voie à suivre aux autres pays. La France est le premier pays du monde, en effet, à s'emparer du sujet.

J'entends dire que ce n'est pas assez, que les sanctions sont insuffisantes ; mais nous ne réglerons pas tous les problèmes liés au numérique d'un coup. Soyons fiers de ce texte innovant, première pierre, espérons-le, d'un édifice à bâtir ensemble.

Mon groupe et moi-même vous invitons à voter l'ensemble des amendements et cette proposition de loi dans sa totalité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)

Mme Christine Herzog .  - En légiférant sur les enfants youtubers ou influenceurs, le Parlement comble un vide juridique qui les expose à des abus, y compris de la part de leurs parents qui n'en mesurent pas la portée.

Les cas de cyber harcèlements, de suicides d'adolescents causés par la puissance des réseaux sociaux se multiplient ; le contrôle parental devient un combat quotidien, alors que de plus en plus de jeunes sont en décrochage scolaire du fait des excès d'exposition aux écrans. Les parents d'adolescents y sont tous confrontés, et bien démunis...

Je souscris donc à cette proposition de loi et à l'adaptation du droit à l'oubli pour les enfants, précisée par le Sénat. Je voterai ce texte.

Mme Céline Brulin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Ce texte comble le vide juridique autour de l'exploitation commerciale des enfants sur les plateformes. Nous saluons ce premier pas.

La transposition de la directive Services médias audiovisuels et le projet de loi -  rétréci - sur l'audiovisuel nous mèneront plus loin, à la fois sur la protection des enfants et la rémunération des créateurs. Cela implique de redéfinir la fiscalité des Gafa et de YouTube pour alimenter le financement de la création.

Ce texte a pour ambition de défendre les droits de l'enfant en luttant contre l'exploitation - selon votre mot juste, monsieur le rapporteur - des enfants et en débusquant le travail déguisé dans des activités en apparence ludique comme le déballage de cadeaux ou la visite d'un parc d'attractions.

Il est légitime d'étendre le statut des enfants du spectacle aux enfants des plateformes, comme le fait l'article premier ; de mieux les protéger contre les conséquences psychologiques, comme le fait l'article 2.

Désociabilisation, déscolarisation, surmenage, voire dépression, impact des commentaires sur un esprit en formation, les effets peuvent être graves dans un monde où le succès repart aussi vite qu'il est arrivé. Cela aurait été un sujet pour cette délégation sénatoriale aux droits de l'enfant dont notre groupe souhaitait la création.

Certes, les contenus peuvent être ludiques ou éducatifs, mais en général c'est loin d'être le cas. C'est pourquoi, il est essentiel que le service public développe cette alternative ludique et culturelle. La disparition programmée de France 4 nous en éloigne malheureusement.

Le groupe CRCE votera ce texte, car il soutient pleinement l'effort que notre pays est le premier à consentir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et LaREM)

Mme Colette Mélot .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée des efforts d'adaptation de notre législation à notre société : loi Avia, loi sur les droits voisins, sur la presse, toutes ajustent le cadre législatif à l'importance croissante du monde numérique.

Ces vidéos d'enfants youtubers se multiplient alors que leurs protagonistes ne peuvent y donner un consentement éclairé. Des pratiques de promotion de marques et de placement de produits pourraient être assimilées à du travail illicite d'enfants, voire à de la maltraitance.

Le Club des Cinq, Le Petite Prince, Matilda et Sophie sont supplantés par Swan et Néo, Kalys et Athena ou encore Josh et Jen. « La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté », disait François Mauriac. Des chercheurs voient émerger une génération sans repères ni discernement.

Ce texte, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, marque trois avancées importantes. L'article premier applique le régime juridique des enfants du spectacle aux enfants filmés sur ces plateformes. L'article 3 crée un statut intermédiaire, qui correspond à un cadre semi-professionnel, partageant les revenus au-delà d'une certaine durée d'activité. L'article 5 relatif au droit à l'oubli des mineurs est bienvenu.

Je remercie le président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale pour sa présence. Je remercie le rapporteur de son travail, notamment sur l'article 2, avec la possibilité d'un déréférencement des vidéos illégales par le juge, sur demande de l'administration.

Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements à droite et au banc de la commission)

Mme Dominique Vérien .  - La chaîne YouTube Gabin et Lili, qui met en scène un frère et une soeur de moins de dix ans, compte plus de huit millions de vues et 800 000 abonnés, ce qui donne une idée des revenus générés. Huit millions, c'est autant que le nombre d'entrées du film ET.

Il s'agit bien, pour ces enfants, de prestations. Les dispositions dont bénéficient les enfants du cinéma, du théâtre, de la danse ou du mannequinat doivent être étendues à ces enfants qui, de surcroît, interagissent avec leurs followers.

Une jeune fille qui diffusait des chorégraphies sur TikTok a ainsi dû arrêter car elle était victime de harcèlement. Rappelons que les pédocriminels raffolent de ces vidéos et regardent Gulli en prison. YouTube s'est montré disposé, dans les auditions, à signaler le statut des mineurs filmés mais il faut un pouvoir d'injonction confié au CSA pour ceux qui renâclent.

Bien sûr, il faut agir au niveau européen pour être efficace. La route est longue, mais il faut l'emprunter. Pour autant, il y a beaucoup de dispositions utiles dans ce texte : statut semi-professionnel pour les enfants, système de déclaration, sécurisation des revenus pour les enfants qui les touchent à leur majorité, amélioration de l'information des parents.

Un enfant acteur ou danseur sera reconnu comme tel quel que soit le média où il se produit.

Le groupe UC votera sans réserve ce texte.

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - Parfois la loi anticipe, parfois elle s'adapte. Dans le domaine du numérique, la législation a un grand retard sur l'innovation. YouTube, créé en 2005, a atteint le milliard d'utilisateurs en 2010, 2 milliards en 2020. Chaque minute, plus de 300 heures de vidéos sont mises en ligne et 6 milliards d'heures de vidéos sont vues chaque mois. Parmi les chaînes ayant généré le plus de revenus figurent celles de deux enfants de moins de huit ans : 44 millions de dollars sur un an à eux deux. Il s'agit donc bien d'une activité professionnelle à part entière.

Cette proposition de loi est donc une avancée indispensable pour encadrer l'exploitation commerciale de l'image des mineurs. Je salue le travail de Jean-Raymond Hugonet et de la commission.

L'article premier crée pour les moins de 16 ans un cadre légal à l'exercice de la profession d'influenceur sur l'ensemble des plateformes de diffusion. C'est une avancée dans la lutte contre le travail dissimulé des mineurs.

Les dispositions relatives à l'information des parents sur les droits de l'enfant, les modalités de réalisation des vidéos et les conséquences de l'exposition de son image sont essentielles et leur impact sera, je l'espère, appuyé par la nouvelle mission attribuée au CSA par l'article 4.

L'article 3 différencie l'usage professionnel et l'usage récréatif des plateformes.

L'article 5 précise que le droit à l'oubli s'applique même sans le consentement des titulaires de l'autorité parentale.

Ce texte est une avancée, mais il faudra aller plus loin. Avec Philippe Bas, j'ai déposé dès 2017 une proposition de loi définissant la notion de vie privée des mineurs, rendant responsables les parents en cas d'atteinte à la vie privée de leur enfant ou à celle d'un autre mineur commise par leur enfant.

Alors que la dictature de l'image devient omniprésente, que les troubles comportementaux et d'anxiété se multiplient avec le cyberharcèlement, la législation doit évoluer. Ce texte est bienvenu et nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Catherine Deroche .  - Les chaînes mettant en scène des enfants sur les plateformes de partage de vidéos rencontrent un succès grandissant. Se pose la question du contenu, des heures de tournage, des revenus générés. La proposition de loi de Bruno Studer, que je salue, comble un vide juridique et crée un cadre légal protecteur pour les moins de 16 ans.

Je félicite Jean-Raymond Hugonet pour son rapport. L'article premier encadre la durée du travail des enfants et protège leurs revenus. L'article 2 oblige les plateformes à coopérer avec les autorités publiques.

L'article 5 autorise les mineurs à exercer eux-mêmes le droit à l'effacement, même en cas d'opposition de leurs représentants légaux.

L'article 4 oblige les plateformes à adopter des chartes favorisant le signalement par les utilisateurs de contenus qui porteraient atteinte à la dignité ou à l'intégrité physique ou morale des enfants et de travailler avec des associations de protection de l'enfance sur leur détection.

En 2019, notre mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs a proposé plusieurs mesures, dont la création d'un observatoire des violences sexuelles et des campagnes de communication sur les risques et les canaux de signalements.

Poster sur internet une image d'un enfant - qu'on en soit le parent ou non - est engageant et peut s'avérer dangereux. Des millions de photos se retrouvent sur de sinistres sites à caractère pédophile. On connaît le rôle des réseaux sociaux dans le drame qu'est le suicide des jeunes.

Pour protéger nos enfants, il faut les sensibiliser aux dangers d'internet dès que possible. C'est aussi de la responsabilité des parents.

Ce texte, largement amélioré par la commission de la culture, va dans le bon sens, notre groupe le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 28

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Est puni de la même peine le fait pour toute personne employant des enfants mentionnés au 5° de l'article L. 7124-1 de ne pas respecter l'obligation mentionnée au second alinéa de l'article L. 7124-9. »

M. Franck Riester, ministre.  - Cet amendement rédactionnel précise que la sanction s'applique à toute personne qui ne respecterait pas l'obligation de versement des fonds à la Caisse des dépôts.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur.  - Avis favorable à cet amendement qui précise le volet répressif.

L'amendement n°5 rectifié est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 9, première phrase

1° Remplacer les mots :

La part des

par les mots :

Lorsque les 

2° Remplacer les mots :

qui excède

par les mots :

excèdent, sur une période de temps donnée,

3° Remplacer les mots :

est versée

par les mots :

, les revenus perçus à compter de la date à laquelle ce seuil est dépassé sont versés sans délai

4° Remplacer les mots :

gérée

par le mot :

gérés

M. Franck Riester, ministre.  - Cet amendement prévoit que, lorsque le seuil de revenus est dépassé sur une période donnée, les revenus directs et indirects tirés de la diffusion des vidéos perçus au-delà de ce seuil sont versés à la Caisse des dépôts.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°3 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

IV.  -  Tout annonceur qui effectue un placement de produit dans un programme audiovisuel diffusé sur une plateforme de partage de vidéos dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans est tenu de vérifier auprès de la personne responsable de la diffusion si celle-ci déclare être soumise à l'obligation mentionnée au III du présent article. En pareil cas, l'annonceur verse la somme due en contrepartie du placement de produit, minorée, le cas échéant, de la part déterminée en application de la troisième phrase du même III, à la Caisse des dépôts et consignations, qui est chargée de la gérer jusqu'à la majorité de l'enfant ou, le cas échéant, jusqu'à la date de son émancipation. Les dispositions de la deuxième phrase dudit III sont applicables. Le non-respect de l'obligation fixée à la deuxième phrase du présent IV est puni de 3 750 euros d'amende.

M. Franck Riester, ministre.  - Cet amendement prévoit que les annonceurs doivent vérifier auprès des parents si, au regard de l'ensemble des revenus directs et indirects liés à la diffusion des vidéos, ce seuil est dépassé. C'est au regard de la déclaration des parents qu'ils seront ou non tenus de verser les fonds. Le montant de l'amende en cas de non-respect est aligné sur celui prévu dans le code du travail pour l'infraction correspondante.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur.  - C'est une bonne chose de se calquer sur le code du travail. Les annonceurs sont responsabilisés. Avis favorable.

Mme Céline Brulin.  - Cette mesure ne s'applique qu'aux plateformes de vidéo, non de photos. En outre, l'amende passe de 75 000 euros à 3 500 euros. S'agissant d'enfants, je ne vois pas l'intérêt de se calquer sur le code du travail. Il me semble que nous manquons une occasion de cadrer les choses.

M. Franck Riester, ministre.  - Ce texte concerne les vidéos. Le dispositif voté par l'Assemblée nationale, qui couvre un grand nombre de problématiques, est une réponse adaptée. Continuons à travailler ensemble sur le sujet des photos.

L'amendement n°4 est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

ARTICLE 4

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° De favoriser l'information et la sensibilisation, en lien avec des associations de protection de l'enfance, des mineurs de moins de seize ans sur les conséquences de la diffusion de leur image sur une plateforme de partage de vidéos, sur leur vie privée et en termes de risques psychologiques et juridiques et sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique ;

Mme Sylvie Robert.  - L'information et la sensibilisation des mineurs eux-mêmes sur les conséquences de la diffusion de leur image demeurent un angle mort. Il est proposé que les chartes éditées par les plateformes abordent cette problématique essentielle.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur.  - Cet amendement, qui tient compte de nos échanges en commission, comporte une dimension pédagogique. Il ne faut pas que ces enfants considèrent ces vidéos comme le nirvana professionnel. Avis favorable.

M. Franck Riester, ministre.  - Nous sommes en phase. Il est important de sensibiliser les mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image. Avis favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

L'article 4 bis est adopté, ainsi que les articles 5, 7 et 8.

Interventions sur l'ensemble

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture .  - Je salue le travail du rapporteur. Ce texte, comme d'autres propositions de loi émanant tant du Sénat que de l'Assemblée nationale, contribue à faire progresser la nécessaire régulation du numérique pour laquelle je milite depuis 2011. Mais c'est une ambition européenne qui permettra de résoudre structurellement la question. Je me réjouis que Thierry Breton s'en empare.

Le modèle économique du clic rémunérateur est pervers car il repose sur l'économie de l'attention : les plateformes ne font que capter les jeunes et les entraîner dans une voie délétère alors que leur responsabilité n'est toujours pas établie.

Comme mon homologue à l'Assemblée nationale, Bruno Studer, que je salue en tribunes, j'ai commis des rapports sur l'éducation au numérique. J'espère que l'Assemblée nationale adoptera rapidement notre proposition de loi visant à lutter contre la surexposition des enfants aux écrans : la boucle sera alors bouclée.

Mme Michelle Meunier .  - J'avais pointé dès juin 2018 le vide juridique que ce texte vient combler. Il apporte une réponse adaptée au risque d'exploitation et de travail dissimulé des enfants. Je me réjouis donc de sa future adoption.

La proposition de loi modifiée est adoptée.

M. le président.  - Belle unanimité. (Applaudissements)

La séance est suspendue pour quelques instants.