Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Logement et bâtiment

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement

M. Philippe Dallier

Mme Annie Guillemot

M. Joël Labbé

Mme Patricia Schillinger

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Franck Menonville

Mme Françoise Férat

Mme Marta de Cidrac

Mme Viviane Artigalas

M. Pierre Louault

M. Stéphane Piednoir

M. Jean-Claude Tissot

M. Philippe Pemezec

M. Jean-Marc Boyer

M. Jérôme Bascher

M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains

Bilan de l'application des lois

Mme Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Éric Bocquet, vice-président de la commission des finances

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Josiane Costes

M. Alain Richard

M. Jean-Pierre Decool

Mme Éliane Assassi

M. Jean-François Longeot

Mme Anne-Marie Bertrand

Conseil européen des 18 et 19 juin 2020

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Mme Mireille Jouve

M. André Gattolin

M. Pierre Laurent

Mme Colette Mélot

M. Claude Kern

Mme Laurence Harribey

M. Pascal Allizard

M. Jean-François Longeot

Mme Pascale Gruny

M. Cyril Pellevat

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Annexes

Ordre du jour du mercredi 24 juin 2020




SÉANCE

du mardi 23 juin 2020

95e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, Mme Patricia Schillinger

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Logement et bâtiment

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation du logement et du bâtiment, à la demande du groupe Les Républicains.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Fin 2020, la France devait avoir construit 100 000 logements de moins qu'en 2019, soit une réduction de 25 % de la production annuelle. Après la crise sanitaire, c'est une crise aiguë du logement qui s'annonce, traduction de l'arrêt de la construction pendant un trimestre.

Cela souligne l'urgence d'apporter des solutions. Mais prenons le temps d'établir le bon diagnostic : le secteur immobilier s'inscrit dans le temps long ; logements neufs et réhabilités ne représentent que 2 % des logements existants.

Le logement est un budget de première nécessité. Le confinement a mis en évidence une grande inégalité entre Français. Ainsi, cinq millions de personnes vivent dans un logement sur-occupé. Avec un million de chômeurs en plus début 2021 par rapport à fin 2019, il faut construire plus abordable. La crise du logement sera d'autant plus grave que la crise sanitaire a laissé place à la crise économique ; plus d'un million de chômeurs supplémentaires sont attendus en 2020 selon la Banque de France.

En raison du télétravail, le marché de l'immobilier professionnel devrait voir la transformation de nombreux logements en bureaux.

Construisons plus, moins cher, mais mieux et plus durable !

La crise sanitaire ne doit pas masquer les enjeux économiques et environnementaux.

Comme le choléra et la tuberculose ont façonné la ville du XIXe siècle, le Covid-19 va modifier la ville de demain : compte tenu de l'objectif de « zéro artificialisation nette », il nous faudra moins proposer une « ville jardin » qu'une ville compacte, qualitative, où la proximité rime avec solidarité et espaces partagés.

De nombreuses entreprises sont fragilisées. Pour que la chaîne du logement ne rompe pas, il faut prendre en compte surcoûts et retards, mais aussi libérer les énergies. Quels remèdes apporter ? Il faut d'abord construire plus et plus abordable, en nous appuyant sur les bailleurs sociaux, prêts à jouer leur rôle de « filet de sécurité », mais aussi sur Action logement, et sur les investisseurs institutionnels.

La réduction du loyer de solidarité (RLS) pèse pour 1,3 milliard d'euros. Il faut revenir sur le moratoire. Il faut aussi diminuer la TVA sur le logement. Une TVA à 5 %, c'est 5 000 euros de moins par logement en moyenne. Action logement doit être replacé au centre. Il est contesté mais doit se recentrer sur sa mission première : loger les salariés. Il faut faire revenir les investisseurs industriels dans le logement, en facilitant la concession des bureaux en logement, soit en jouant sur les délais, soit en diminuant la TVA.

Considérons le logement comme un investissement productif.

Divisons par deux le délai des recours et des précédents. Souvent, il faut plus qu'un mandat de maire pour réviser un plan local d'urbanisme (PLU). C'est beaucoup trop long. Réussissez un « Ségur de la simplification du droit de l'urbanisme » dès cet été, monsieur le ministre.

Deuxième défi : construisons mieux et plus durable, grâce à la massification de la rénovation énergétique. Pourquoi inciter la France à acheter des voitures, y compris étrangères et ne pas faire de même pour le logement ? Incitons les Français à vider leurs bas de laine et massifiez « Ma Prime Renov » !

Préservons l'accès et le maintien dans le logement. Il y a une grande disparité entre les territoires. L'État doit réinvestir dans les fonds de solidarité logement (FSL). Étudions la proposition de la Fondation Abbé Pierre d'une enveloppe de 200 millions d'euros pour l'aide à la quittance.

Il faut aider à l'accession à la propriété sociale, malgré la crise et la hausse du foncier, notamment avec le prêt à taux zéro (PTZ).

Les offices fonciers et solidaires et les chartes promoteurs devront aussi être développés.

J'espère que ces propositions marqueront un nouveau départ pour le secteur du logement et du bâtiment. (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur les travées du groupe Les Indépendants)

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement .  - Je remercie le groupe Les Républicains et Dominique Estrosi Sassone d'avoir été à l'initiative de ce débat, et le rapporteur de la commission des affaires économiques et Jean-Marie Bockel pour son rapport remis en mai 2020.

Le diagnostic est partagé : la crise sanitaire a mis en exergue inégalités sociales et territoriales. Certains ménages ont vécu le confinement dans des résidences secondaires, d'autres dans des logements exigus.

Le télétravail a mis en évidence les mauvaises connexions de certains ; la fracture numérique, trop souvent, a augmenté les inégalités.

Quelles conséquences tirer de cette période ? Il faut aller beaucoup plus loin sur la rénovation du bâtiment. Depuis trois ans, je veux être autant le ministre de la rénovation que de la construction.

Les travaux sénatoriaux ont été précieux. L'action votée contre les marchands de sommeil porte ses fruits, notamment à Pierrefitte, tout comme la lutte contre l'habitat indigne à Marseille.

En deux ans, nous avons multiplié par deux l'action de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), ce qui caractérise une licorne - dirait-on dans les start-up - pour l'ensemble des rénovations.

La crise sanitaire ne masque pas la crise climatique. Nous devons donner la priorité à la rénovation énergétique. « Ma Prime Renov » est une prime très simple d'accès et sociale : ainsi, 67 % des 50 000 dossiers ouverts depuis mai concernaient les 20 % des ménages les plus modestes - à l'inverse du crédit d'impôt.

Il faut aller plus loin. Nous élargirons la base éligible dès 2021 pour les déciles 5 à 8.

La Convention citoyenne sur le climat a souligné que le chemin était bon, mais qu'il fallait aller plus loin.

Deuxième axe, il faut soutenir la construction : le secteur représente deux millions d'emplois. Poursuivons la construction de logements abordables, soutenons les entreprises du BTP, secteur d'activité important d'une chaîne dont tous les maillons doivent être soutenus.

Nous devons éviter un trou d'air à l'automne. Nous abondons la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) lors du prochain projet loi de finances.

J'ai demandé à toutes mes équipes d'être des facilitateurs. Parfois, l'instruction des services de l'État est trop lente. Il faut être dans la rapidité, l'envie, la dynamique de reprise, qui est là, puisque 93 % des chantiers ont repris.

Troisième objectif, le Covid changera l'aménagement du territoire et c'est très bien ainsi. La crise a mis en valeur les « villes de France », de taille moyenne, que nous avions poussées avec l'opération « Coeur de ville ». Il faut aller loin dans cette direction.

Le dispositif fiscal « Denormandie dans l'ancien » concerne 250 villes, et 400 en ont fait la demande.

La réhabilitation de bureaux en logements ou la rénovation de l'habitat sont aussi importantes.

Quatrième objectif, la réponse à la crise sanitaire et économique doit éviter une crise sociale, et le logement y a toute sa part. Il faut accompagner les ménages qui en ont le plus besoin dans le paiement de leur loyer. Les partenaires sociaux ont créé une aide spécifique de 150 euros par mois pendant deux mois pour Action Logement pour les ménages en difficulté.

Nous accompagnons aussi la production de logements sociaux. Nous mettons en oeuvre 10 milliards d'euros de fonds conventionnés de l'ANRU à cette fin. De nombreux appels d'offres sont d'ores et déjà en cours. Cela permet la fluidité dans le logement, qu'il soit social ou intermédiaire, cher à de nombreux sénateurs - je pense à la ministre Lienemann avec qui j'ai inauguré le premier organisme foncier solidaire à Espelette.

Surtout, il faut agir pour les personnes en grande difficulté, qu'il faut mettre à l'abri puis orienter vers « Le logement d'abord ». Hier soir, 178 000 personnes ont été mises à l'abri ; en deux ans, 150 000 personnes ont été sorties de leur logement insalubre ou de la rue vers le logement.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure. Les questions suivent.

M. Julien Denormandie, ministre.  - C'est avec plaisir que nous travaillons sur la simplification - nous avons entrepris une réécriture du code de la construction, pour passer d'une simplification à une réforme totale, consistant à n'y inscrire que les objectifs et non le chemin à parcourir. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'impact de la crise est important sur les bailleurs sociaux et les communes, notamment celles soumises à l'article 55 de la loi SRU, alors qu'elles sont de plus en plus nombreuses à ne pouvoir atteindre les objectifs !

Les préfets de région n'ont pas pu réunir les commissions qui n'ont donc pu statuer sur le sort des communes concernées. Donnerez-vous des instructions pour prendre en compte la situation actuelle ?

Qu'en sera-t-il pour les ressources des communes dans ces prochaines années ? Certaines devront construire du logement alors qu'elles seront en difficulté. Je ne vous parle pas de celles qui ont les moyens de ne pas faire, mais de toutes les autres. Remettez cela à plat pour ces communes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Nous réunissons régulièrement les bailleurs sociaux pour mettre à plat leurs données financières. Les titres participatifs, défendus par Mme Estrosi Sassone, marchent très bien pour soutenir les fonds propres.

Je n'ai pas donné instruction aux préfets de réunir les exécutifs locaux avant les municipales. Ils se réuniront avant le 30 juin. Le délai est très serré. Des préfets devront prendre en compte les situations locales.

Faut-il rouvrir la loi SRU ? Je me souviens de l'amendement Daubresse, et des réalisations en Ile-de-France. Dès qu'on ouvre trop la loi SRU, le signal est contre-productif.

Conservons le pragmatisme du terrain en donnant des instructions en ce sens aux préfets, sans rouvrir immédiatement la loi. Sinon on enverrait un signal négatif aux communes.

M. Philippe Dallier.  - Je note que les préfets de région prendront en compte les situations des communes. Je plaide depuis longtemps pour la contractualisation ; je ne veux pas qu'on exonère ceux ne voulant rien faire et ne s'en cachant pas. La période 2020-2025 sera un fiasco, nous les avons déjà ! Cherchons à accompagner plutôt qu'à décourager les communes qui avaient peut-être envie de faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Annie Guillemot .  - Il faut un plan de relance ambitieux pour les logements publics et privés. Réinterpellons les politiques publiques, comme la rénovation énergétique, la politique de la ville.

Le logement plombe le pouvoir d'achat, puisqu'il représente 30 % à 40 % des dépenses mensuelles souvent. Une politique du logement doit porter du sens, s'appuyer sur la mixité sociale et la diversité des produits au sein d'un même territoire.

Le défenseur des droits veut inscrire dans la loi la priorité au logement. Le logement d'abord, tout le monde est d'accord, mais cela interroge sur la politique de la ville.

Quelle mixité et solidarité voulons-nous ? Quelles propositions pour la mixité sociale envisagez-vous de retenir ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Merci. Félicitations pour votre rapport à la commission des affaires économiques.

Je partage vos propos en tous points. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont les derniers endroits où il y a encore une possibilité d'ascenseur social. Mais dès qu'une personne en sort, on y remet quelqu'un en grande difficulté. Lorsqu'on évacue porte de la Chapelle, on reloge en Seine-Saint-Denis...

M. Philippe Dallier.  - C'est vrai !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Cela ne doit plus durer ! Dans les Yvelines, c'est toujours aux Mureaux et jamais à Versailles que l'on fait les mises à l'abri...

Mme Sophie Primas.  - Pas toujours !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Tout de même...J'ai trois propositions : être très exigeant sur la loi SRU ; quand on fait des mises à l'abri, on ne doit pas viser toujours les mêmes territoires. (Mme Sophie Primas nie derechef que ce soit le cas.) C'est tout de même beaucoup ce que l'on observe, madame la présidente ! Enfin, il faut aller plus loin que la loi ELAN dans la politique d'attribution.

Mme Annie Guillemot.  - Ce qui compte, c'est l'offre abordable. À Bron, l'accès au logement ne peut pas s'appliquer seulement dans les quartiers en difficulté. Sinon, comme le chantait Francis Cabrel : « ça continue, encore et encore »... (L'oratrice fredonne ce refrain ; on apprécie sur certaines travées du groupe SOCR.)

M. Joël Labbé .  - Le bâtiment compte pour plus d'un quart de nos émissions de gaz à effet de serre. Après la crise qui a condamné des millions de Français à se confiner dans des logements indignes, la Convention citoyenne pour le climat a proposé d'interdire à la location les passoirs énergétiques notamment.

Le Gouvernement a multiplié des annonces en faveur de la rénovation énergétique pour allier relance et écologie. C'est louable mais la seule incitation n'a jamais fonctionné. Il faut de la continuité.

Comment votre ministère accueille-t-il ces propositions citoyennes ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Le travail de la Convention citoyenne pour le climat est remarquable. L'équilibre trouvé par nos concitoyens est très pertinent, reposant sur de l'incitatif, et si cela ne suffit pas, sur du coercitif.

Le chemin engagé par « Ma Prime Renov », par exemple, était le bon. Nous avons décidé d'élargir le nombre de déciles pour ce dernier dispositif.

La loi interdira déjà bientôt la location des passoires thermiques, qui sont prises en compte dans le décret « décence ».

Je laisserai le Président de la République dire ce qu'il compte faire de ces propositions, mais l'esprit me convient tout à fait.

M. Joël Labbé.  - C'est du type de mesures proposées par la Convention que nous avons besoin, non seulement pour le climat mais aussi pour réconcilier nos concitoyens avec le monde politique. (On le conteste sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Schillinger .  - Le Gouvernement a réagi à la crise en mettant en place le chômage partiel, des aides exceptionnelles pour les entreprises et auto-entrepreneurs, mais aussi en allongeant de plus de trois mois la trêve hivernale, jusqu'au 10 juillet. Or l'agence nationale d'information sur le logement (ANIL) enregistre depuis début avril un doublement des appels vers la ligne « SOS impayés », venant notamment de salariés du privé.

Les bailleurs ont prévu des mesures d'accompagnement. Pour poursuivre les efforts du Gouvernement, la Fondation Abbé Pierre plaide pour un moratoire des loyers et un fonds national d'urgence d'aide à la quittance ou des cellules d'urgence au sein des fonds de solidarité pour le logement (FSL).

Qu'envisagez-vous pour répondre aux grandes difficultés des locataires et accédants, ainsi qu'aux inquiétudes des bailleurs privés et sociaux face aux risques d'impayés ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Oui, il est essentiel que l'accompagnement aux difficultés de payer son loyer soit inclus dans un ensemble d'accompagnement beaucoup plus vaste. C'est pourquoi, nous avons versé la prime de 150 euros, plus 100 euros par enfant, à tous les bénéficiaires des APL.

Nous avons ouvert une ligne de trésorerie de plusieurs milliards pour les bailleurs sociaux. Nous avons créé une plateforme territorialisée pour l'aide au paiement des loyers, qui oriente vers les solutions dont le fonds de solidarité pour le logement.

Tout le monde me demande de l'abonder, mais le problème est surtout son utilisation. Les modalités d'accès au FSL sont variables selon les départements ; dans certains cas, il faut deux ou trois mois d'impayés pour en bénéficier ! C'est pourquoi nous avons créé une aide exceptionnelle, avec les partenaires sociaux, de 150 euros par mois pendant deux mois pour pallier ces difficultés.

Mme Patricia Schillinger.  - Merci de votre réponse ; il faudra dresser un bilan des réponses à la crise.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Merci au groupe Les Républicains pour ce débat et à la commission pour son rapport. Les professionnels qui ont été mobilisés en première ligne dans la crise, ou appelés « salariés essentiels », sont souvent logés loin de leur lieu de travail. Comment pourrait-on réintroduire des attributions en proximité des infirmières par exemple ? Il faut faciliter l'accession des plus modestes à la propriété, surtout dans les territoires ruraux ou périphériques. Mme Guillemot a raison ; il faut être attentif à la mixité sociale.

Les surcoûts de chantier ne peuvent entrer dans le plan de financement des acquisitions ; c'est pourquoi, avec Action Logement, nous proposons de verser jusqu'à 15 000 euros pour ces surcoûts aux personnes gagnant moins de 2,5 ou 3 fois le Smic, afin de les aider à passer le cap. Cela permettra de rouvrir l'accession sociale à la propriété et enfin de soutenir le bâtiment, dans des territoires, le plus souvent situés en dehors des métropoles, où les PME souffrent beaucoup.

M. Julien Denormandie, ministre.  - L'État a déjà un contingent de 5 %, qui n'est pas toujours respecté, mais j'y veille.

Grâce à la loi ELAN, le contingent destiné aux salariés, même sans preneur, ne tombe plus dans la main du préfet, qui jusqu'à présent l'utilisait pour les personnes en très grande difficulté, mais dans celle du maire, qui peut attendre ou l'utiliser pour la mixité sociale.

M. Franck Menonville .  - La France est en retard sur la rénovation énergétique. Nous sommes loin des objectifs du Grenelle. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat à cet égard sont intéressantes, pour renforcer l'efficacité de la rénovation énergétique et des aspects environnementaux mais aussi sociaux, économiques et sanitaires.

C'est une opportunité pour la relance ; un levier pour le pouvoir d'achat des Français et une impulsion notamment pour l'Europe qui s'empare de ces sujets. Nous avons besoin d'une vraie accélération. Simplifions, rendons nos dispositifs plus lisibles ! Quelle est votre vision sur le sujet, et quelle place voyez-vous pour les bailleurs sociaux ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Quels sont nos acquis ? L'ANAH a multiplié par deux son action. Les 10 milliards d'euros de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) pour la rénovation sont engagés et nous en sommes à la passation des marchés.

Les grues reviennent dans ces quartiers, notamment après le drame d'Aubagne. Trois millions d'euros seront consacrés aux copropriétés dégradées.

Le parc social a tout son rôle à jouer. En avril 2019, nous nous sommes engagés à augmenter de 25 % les rénovations dans le parc social. Il faut s'appuyer là-dessus, mais aussi aller plus loin, grâce à « Ma Prime Renov » pour l'accompagnement des propriétaires bailleurs. Ceux qui voudraient défiscaliser devraient investir dans les territoires qu'ils connaissent et qu'ils aiment, en utilisant le « Denormandie » dans l'ancien, pour les redynamiser.

M. Franck Menonville.  - Restons dans le domaine de l'incitation et laissons-là coercition et taxes !

La rénovation est un vrai projet - contrairement aux propositions sur la limitation à 110 km/h de vitesse sur autoroute ou concernant la viande et le lait. (Marques d'approbation sur plusieurs travées à droite)

Mme Françoise Férat .  - Quand le bâtiment va, tout va, dit la sagesse populaire. D'après l'Ademe, 75 % des rénovations n'ont pas permis aux logements de changer de classe. Combien cela a-t-il coûté aux finances publiques, pour un résultat inefficace ?

Il faut renforcer les procédures de contrôle, pour un gain financier à moyen et long terme. Les plateformes de rénovation sont des outils fiables. Il faut du temps pour recruter des conseillers et regagner la confiance des habitants.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Oui, la confiance est cruciale. Lorsque, retraité, vous recevez dix appels par jour, ou qu'après des travaux, vous n'êtes pas satisfaits, elle est compromise. Nos artisans font un boulot formidable, nous avons mis en place les protocoles sanitaires, notre message est donc : faites-leur confiance, faites-les travailler ! Mais la confiance n'exclut pas le contrôle. Le label RGE, « reconnu garant de l'environnement », existe. Mais les labellisateurs demandent aux entreprises les chantiers qu'ils doivent contrôler... Cela ne peut pas marcher ainsi ! Avec Emmanuelle Wargon et Agnès Pannier-Runacher, juste avant le confinement, nous portions tout un plan d'amélioration du contrôle, avec nos artisans, dont l'immense majorité font un travail formidable.

Mme Françoise Férat.  - Je vois quatre mots clés : conseil, accompagnement, contrôle, mais aussi qualité plutôt que quantité.

Mme Marta de Cidrac .  - Il faut soutenir le secteur du bâtiment, qui subit de plein fouet les conséquences de la crise. Il représente également 20% des émissions de gaz à effet de serre.

Différents textes ont défini le logement décent. Une rénovation permettrait de faire baisser de 25 % la dépense en énergie des ménages. La rénovation doit être partie prenante de tout plan de transition. Un logement doit compter au moins une pièce principale de 9 mètres carrés et 2,20 mètres de hauteur sous plafond.

Ce type de logement ressemble plus à un dortoir qu'à un logement digne de la France du XXIe siècle !

Surtout en cas de télétravail ! Nous devons nous atteler à un travail plus global. Ne faudrait-il pas redéfinir le logement décent et obliger à la rénovation énergétique des logements ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je partage votre analyse. Dans la loi Énergie climat, nous avons incorporé le volet thermique dans la définition de la décence. Cela exclut de la location les 400 000 logements en catégorie F et G à compter de janvier 2023.

La Convention citoyenne sur le climat dit : il faut aller plus loin. Nous aurons ce débat. Quant à la rénovation, le principal problème est celui des trous dans la raquette, à commencer par celui des propriétaires bailleurs. L'incitation ne suffit pas - faut-il passer à la coercition, et jusqu'où ? Un logement sur deux dans le parc privé est une passoire thermique. L'équilibre incitation-coercition est à trouver.

Mme Marta de Cidrac.  - Merci. Le débat n'est pas forcément entre coercition et incitation. Il faut accompagner les classes moyennes car les aides au logement sont ciblées pour les plus modestes qui font peu de travaux dans leur logement. Profitons-en : la crise a donné aux Français l'envie d'améliorer leur logement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le confinement a montré l'importance de la qualité des logements : globalement, elle dépend beaucoup des bailleurs sociaux, qui ont accumulé trois mois de retard dans leurs programmes de travaux.

En effet seulement 69 % des chantiers sont revenus à la normale, et les bailleurs sont déjà très fragilisés par les décisions gouvernementales, RLS, baisse des APL. Cela représente par exemple un prélèvement de 1,5 million d'euros par an pour l'Office public de l'habitat (OPH) des Hautes-Pyrénées.

Par conséquent, les bailleurs sociaux ne pourront participer à la relance de la commande publique.

Il est temps de revenir sur les mesures qui les ont mis en difficulté, notamment mettre en place la TVA réduite à 5,5 % pour le logement public, considérer le logement comme un bien d'utilité publique, revaloriser les APL et bloquer la RLS en abandonnant la hausse prévue en 2022.

Qu'en pensez-vous ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Le logement social nous est envié par beaucoup de pays. Il est essentiel que les bailleurs sociaux jouent leur rôle dans la relance de l'activité comme donneurs d'ordre. Vous avez parlé de la RLS, mais pas des 900 millions d'euros à 1 milliard d'euros des titres participatifs qui sont des quasi-fonds propres pour les bailleurs sociaux.

Le président de la principale fédération des OPH nous a dit qu'il n'aurait pas inventé de meilleur outil. Nous avons aussi ouvert une ligne de trésorerie de 2 milliards d'euros pour les bailleurs sociaux.

Citons aussi les accords entre la Banque des territoires et les bailleurs sociaux, avec des clauses de revoyure qui ont permis d'augmenter de 25 % les rénovations et d'atteindre un taux d'agrément de 110 000 par an, niveau presque atteint avant le confinement - 109 000 en 2019.

Mme Viviane Artigalas.  - Je vous le redis, l'État doit redevenir financeur en abondant le Fonds national d'aide à la pierre et le FSL ; mais aussi en rétablissant l'APL Accession et le PTZ dans les zones détendues. Appuyez-vous sur l'excellent rapport du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Pierre Louault .  - Merci à ceux qui ont initié ce débat, où il convient tout de même d'évoquer le devenir du bâti rural et du logement, oublié voire condamné par la loi. C'est 80 % du territoire, mais 20 % de la population...

On ne peut construire des logements ni réhabiliter l'habitat rural ancien. Les paysans ont peur des néo-ruraux. (Sourires sur plusieurs travées du groupe SOCR) Mesdames et messieurs de la ville, respectez les espaces ruraux, respectez le travail agricole de leurs habitants !

Il faut supprimer ou adapter un certain nombre de règles d'urbanisme. Il faut aussi donner aux communes la possibilité d'acquérir des territoires pour construire.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je suis ingénieur agronome de formation et ministre de la Ville, la vie est bien faite ! (Sourires) La question fondamentale derrière la vôtre est l'aménagement du territoire. Songez aux dents creuses, qui ont suscité maint débat endiablé - que je ne voudrais pas rouvrir cet après-midi ! Aménager, ce n'est pas figer. Depuis trois ans, je me bats pour revitaliser les villes moyennes ; Jacqueline Gourault prépare un plan Villes de demain pour les plus petites.

Oui, il faut prendre en compte la spécificité des territoires en conciliant aménagement du territoire et impératif écologique, en réhabilitant plutôt qu'en artificialisant. Mon rôle, en tant que ministre, est de préférer la réhabilitation des centres-villes à l'extension des zones pavillonnaires.

M. Stéphane Piednoir .  - Les obstacles financiers et opérationnels sont nombreux face à nos objectifs environnementaux. Il faut privilégier l'efficience en la matière.

Le logement privé concentre l'attention des pouvoirs publics, mais il faut aussi prendre en compte les structures publiques. Le groupe de travail sur l'enseignement supérieur de la commission de la culture a recommandé un plan de rénovation du bâti universitaire - qui compte 18,6 millions de mètres carrés dont 30 % classés comme passoires énergétiques. C'est une piste d'action, pour créer des emplois dans le BTP, réduire les émissions de CO2 des établissements. Les universités y sont prêtes.

Votre Gouvernement est-il prêt à passer des contrats de plan État-Universités pour la rénovation des bâtiments ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je n'ai pas pris connaissance de cette proposition - veuillez m'en excuser - et je lirai votre rapport au plus vite.

Je partage votre constat : la rénovation des universités, mais aussi des écoles, est une nécessité. Un plan a du reste été lancé en ce sens par mon collègue Blanquer. La valorisation du foncier universitaire est une piste pour financer la rénovation. J'évoquerai le sujet avec la ministre Vidal.

M. Stéphane Piednoir.  - On peut imaginer une période expérimentale de trois mois pour mesurer l'efficacité d'un plan de rénovation des campus sur une dizaine d'universités, avant une généralisation. Voilà une solution pragmatique, réaliste, loin des incantations idéologiques.

M. Jean-Claude Tissot .  - La rénovation énergétique des logements répond à un enjeu environnemental - le bâtiment présente 43 % des consommations énergétiques, et émet 25 % des gaz à effet de serre. Il y a également un enjeu social - 12 millions de Français sont en précarité énergétique et les impayés augmentent - et économique - 7,5 millions de passoires énergétiques sont à rénover.

L'ambition affichée par le Gouvernement, un vrai Green Deal de la rénovation, ne s'est pas concrétisée.

Le groupe socialiste et républicain propose une prime unique pour le climat qui financerait jusqu'à 100 % des coûts de rénovation thermique.

Il faut un accompagnement renforcé de l'ANRU ; et une fusion des dispositifs pour les rendre plus lisibles et accessibles.

Ce serait une simplification bienvenue, construite avec les principaux acteurs du logement. Vous en saisirez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Votre approche concorde avec la mienne : accompagnement par les collectivités territoriales, le tissu associatif et les agences de l'État, et diminution du reste à charge.

Si je voulais être taquin, je soulignerais que le groupe socialiste et républicain n'a pas toujours préféré la prime au crédit d'impôt. Je vous renvoie à l'indignation de Ségolène Royal lorsque j'ai créé la prime Renov.

Avec le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), il y avait un décalage d'un an ou un an et demi dans le versement ; la prime est versée tout de suite, pas besoin d'avancer la trésorerie lorsque l'on entreprend des travaux.

M. Philippe Pemezec .  - Devenir propriétaire de son logement est un moyen de se prémunir contre les aléas de la vie, de se constituer un patrimoine et de laisser un héritage.

L'autorisation de vente du patrimoine social est une excellente initiative, qui m'a permis dans ma commune de créer de la mixité dans le parc social.

Malheureusement, la loi ELAN est une vraie usine à gaz. Telles que les procédures de vente sont conçus, les premiers arrivés sont les premiers servis, sans analyse de dossier, sans considération des situations.

Allez-vous simplifier ce système qui entre bientôt en vigueur ? Allez-vous remettre le maire au coeur du dispositif décisionnaire et rendre le système plus juste ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - J'ai porté ce dispositif contre vents et marées. L'objectif de la loi est de rendre les procédures plus simples pour les gestionnaires, plus accessible pour les bénéficiaires.

Il a été très délicat de rédiger le décret réglant les modalités de la vente, pour prévoir que, dans une période de transition, la gestion de la copropriété est laissée au bailleur social - et ce pour éviter l'apparition de copropriétés dégradées. Mais je suis preneur de toutes les propositions de simplification.

M. Jean-Marc Boyer .  - Perte d'activité, de productivité, surcoûts, décalage des plannings, bouleversement des chantiers... La baisse de l'activité du BTP a été de 88 %, comme dans l'hôtellerie-restauration, et pourtant il n'y a pas eu de fermeture administrative !

Une entreprise sur trois n'est pas revenue à son activité normale. Le secteur attend un vrai soutien à l'investissement local.

L'augmentation d'un milliard d'euros de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) fléchée sur la transition énergétique est insuffisante et ne compensera pas les 9 milliards d'euros de baisse des recettes fiscales locales attendus. Une valorisation du FCTVA est primordiale pour inciter à l'investissement local.

Comment allez-vous restaurer la confiance dans le secteur du bâtiment ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - La priorité, c'est l'emploi, l'emploi, l'emploi. Nous voulons protéger les entreprises en difficulté : trois textes juridiques sur le logement ont été rédigés - il y avait des questions sanitaires mais pas seulement.

Deuxième objectif : éviter un trou d'air de la commande publique à l'automne, pour ne pas remettre à demain les projets. En 2020, il y a eu deux tours de municipales, avec le confinement entre les deux. La situation est particulière !

Troisième objectif : la relance devra porter sur la rénovation énergétique et la construction. Ces trois axes doivent être réussis. Si l'on passe directement de la protection à la relance, sans le soutien à la commande, on ira à la catastrophe. Nous continuons en ce sens.

M. Jean-Marc Boyer.  - Pour éviter le trou d'air, il faudra annuler les charges sociales patronales, car si la filière peut supporter un quart du surcoût, les annulations de charges doivent s'étaler sur plusieurs mois, huit pour le bâtiment, dix pour les travaux publics. Il y a aussi une réelle attente de simplification des normes, en particulier dans l'instruction des permis de construire.

M. Jérôme Bascher .  - (M. Loïc Hervé se réjouit.) La relance dans le BTP est une urgence. Le délai d'instruction est trop important, et découpé en séquences, qui sont autant d'opportunités de recours pour les grincheux. Certains en font même leur métier, menaçant de déposer un recours pour toucher un peu d'argent. C'est une réalité bien connue des bailleurs et des promoteurs en certains endroits. Réduisons le temps d'instruction.

Beaucoup de propriétaires sont prêts à rénover leurs maisons. Les commerciaux ont leurs carnets de rendez-vous pleins. Les ouvriers patientent, l'arme au pied. Car tout le monde attend les futures mesures fiscales en loi de finances pour 2021. Mais c'est maintenant qu'il faut agir. Décentralisez certaines aides et évitez trop de reste à charge.

M. Julien Denormandie, ministre.  - M. Daubresse s'en souvient, nous avons débattu des recours pendant la loi ELAN - il y a eu des éléments très importants dans cette loi et dans le décret pris pour cristalliser les moyens et changer directement de juridiction. Tout ce qui peut être fait contre les recours abusifs, je le ferai. Je suis prêt à examiner toutes les propositions.

Ce décret est insuffisamment connu par les acteurs de l'immobilier sur le terrain, il y a sans doute un effort de communication à faire.

Toujours préempter de nouvelles aides pose problème. Je suis attaché à la stabilité fiscale - c'est un peu l'ancien monde. (Sourires)

M. Philippe Dallier.  - Attention à vous !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Restons sur des acquis et capitalisons sur l'existant. « Ma Prime Renov » est notre fondement. Utilisez-la. Même la Convention citoyenne pour le climat salue cet outil.

La décentralisation, autrement dit la contractualisation territoriale sur le logement est un sujet important mais compliqué. Le Denormandie de l'ancien est le premier dispositif fiscal non zoné : il part de l'initiative locale.

Un dernier mot, pour vous remercier de ce beau débat.

M. Jérôme Bascher.  - Certaines entreprises de rénovation font des montages financiers d'ingénierie qui sont des arnaques. Il faut que la Banque publique d'investissement (BPI) et la Banque des territoires puissent faire l'avance de trésorerie aux entreprises sérieuses, et se remboursent directement quand le crédit d'impôt ou la prime sont accordés.

M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains .  - Je salue ce débat. C'est au Sénat, hier comme aujourd'hui, que nous avons la meilleure qualité des débats - j'en ai vécu plusieurs ici.

L'immobilier est dans une situation très grave - selon les chiffres du privé, seuls disponibles. Les crédits immobiliers ont reculé de 40 %, les achats dans l'ancien de 62 %, la construction de logements individuels a chuté de moitié.

Mme Lienemann pourrait le dire aussi, il est très difficile pour un ministre d'agir sans disposer de chiffres à jour. En 2008 cependant, sous l'impulsion de François Fillon, nous avions mis en place, pour réagir à la crise, à la fois un plan de primo-accession à la propriété dans le neuf, avec des ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA), des ventes de HLM, la mise en place du Scellier, une relance du logement social. Tout cela en quatre mois ; le décret avait été signé en décembre 2008. Cela fut un vrai plan de relance pour le logement puis le bâtiment.

Aujourd'hui, cela fait quatre mois qu'on est en crise. Il y a de quoi s'inquiéter. Bercy est à la manoeuvre. L'inertie ajoute de la crise à la crise ; l'administration des finances risque de venir raboter toutes nos propositions, dans notre État hyper-centralisé. La situation actuelle va devenir ingérable.

Et pourtant un plan de relance est incontournable pour construire plus, plus durable et plus abordable.

Il faut plus de rapidité d'exécution, renforcer la solvabilité des ménages, promouvoir l'accès au confort des logements dans tous les territoires, et faire revenir les institutionnels dans le secteur du logement.

Si rien ne repart, ce serait à cause des banques, dites-vous ? Un peu facile ! En 2018, si mes souvenirs sont bons, c'est bien le ministre de l'Économie qui a limité les prêts aux jeunes ménages pour l'accession à la propriété.

Nous proposons un Ségur du logement. On ne pourra pas se borner à rafistoler l'existant.

Il faut accélérer la relance par la numérisation, revoir les procédures de travail par des contrôles posteriori et non priori : les bailleurs sociaux ont pignon sur rue ! Cela raccourcirait les délais d'agréments pour les bailleurs sociaux et les autorisations d'urbanisme.

Nous voulons un moratoire de cinq ans sur les contraintes normatives. Gagner un mois pour construire 100 000 logements neufs, c'est 50 millions de gains pour les bailleurs, et autant de pouvoir d'achat pour les locataires. Mon dispositif CQFD pourrait être repris.

Il faut élargir la garantie de l'État pour l'accession à la propriété, aller beaucoup plus loin pour les actions Coeur de ville, et établir une fiscalité verte pour les logements privés.

Reprenez le dispositif Devedjian qui avait bien fonctionné : 1 000 chantiers, c'est la jauge !

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Voilà ce qui serait un vrai plan. Les sénateurs sont prêts à y contribuer. (Applaudissements)

La séance est suspendue à 16 h 15.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 17 h 30.

Bilan de l'application des lois

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le bilan de l'application des lois.

Nous voici réunis pour ce rendez-vous annuel du bilan de l'application des lois. Cela fait près d'un demi-siècle que le Sénat fait de ce contrôle une priorité. Chaque année, il en affine le périmètre.

Les commissions suivent la parution des décrets d'application, mais aussi d'autres sujets tels que les ordonnances sur lesquelles nous vous avons interpellés l'an dernier. Elles ont été replacées au coeur de l'actualité par la crise sanitaire puisque nous avons voté, dans les mois qui viennent de s'écouler, des dizaines d'habilitations dont certaines n'étaient pas dictées par l'urgence. Le Parlement a prouvé en supprimant certaines de ces habilitations, finalement inscrites directement dans la loi, qu'il pouvait légiférer vite.

Le délai est en moyenne plus long pour la publication d'ordonnances que pour l'application d'une loi ! L'argument de la célérité ne se vérifie donc pas toujours dans les faits.

Mme la présidente Létard va nous présenter son excellent rapport sur les 49 lois votées pendant la période.

Mme Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle .  - Le bilan de l'application des lois est un temps fort du contrôle du Gouvernement. Il permet de s'assurer que les textes d'application sont pris en temps et en heure et respectent la volonté du législateur.

Tout au long de l'année, les commissions permanentes mènent un travail approfondi de veille règlementaire pour les textes d'application relevant de leur compétence. Ce suivi a dû cette année être effectué dans des conditions délicates du fait de la crise sanitaire. Je remercie vivement les commissions de leur mobilisation.

La résolution du 6 juin 2019 modifie le Règlement du Sénat en confiant au rapporteur d'un projet ou d'une proposition de loi la responsabilité du suivi de son application. La mesure est trop récente pour être évaluée. L'efficacité du bilan de l'application des lois découle également d'un dialogue nourri avec les administrations et le secrétariat général du Gouvernement, comme en témoigne le nombre de décrets d'application parus seulement quelques jours après la communication des commissions en la matière.

Au cours de la session 2018-2019, soit du 1er octobre 2018 au 30 septembre 2019, 49 lois ont été votées, dont 22 d'application directe. Près de la moitié des lois votées cette année sont d'initiative parlementaire.

Le taux global d'application est de 72 %, en baisse par rapport à l'année dernière où il était de 78 %. Sur les 918 mesures règlementaires attendues, seules 660 ont été publiées. Je le regrette d'autant plus que les perturbations liées à la crise sanitaire ne concernent que peu les textes prévus par les lois adoptées au cours de la dernière session. En effet, le Gouvernement s'engage depuis 2008 à prendre les décrets d'application six mois au plus après la parution des lois. Ce délai était déjà écoulé au début de la crise sanitaire.

Il y a un an, je me félicitais de la réduction du délai nécessaire à la prise des mesures d'application. Cette année, le délai a été d'un mois de plus que lors de l'année précédente, à cinq mois et douze jours après la promulgation de la loi. Les raisons de ce retard sont parfois liées à des difficultés juridiques apparues notamment lors des consultations obligatoires, de la notification à la Commission européenne, ou éventuellement du passage en Conseil d'État.

Le recours à la procédure accélérée est généralisé et concernait 31 lois sur la session 2018-2019. Il est essentiel que la mise en application complète des lois soit à la hauteur de la rapidité exigée du législateur.

Le taux de remise de rapports demandés par le Parlement au Gouvernement est très faible, à 12 % contre 35 % l'an passé. C'est d'autant moins compréhensible pour les rapports demandés par le Gouvernement lui-même, pour lesquels le taux était de 8 % en 2017. C'est à croire que ce type de disposition avait pour seule vocation de donner une satisfaction de principe à une demande sans réelle volonté d'aboutir. Le Sénat s'est efforcé de son côté de limiter les demandes de rapport aux seuls cas où ils sont indispensables à l'information du Parlement.

Les raisons pour lesquelles certains décrets ne sont pas publiés sont parfois confuses. Ainsi, on attend toujours le décret approuvant les nouveaux statuts d'Action Logement. L'arrêté nécessaire à la mise en place du comité des partenaires réunissant élus et opérateurs du logement social n'est pas paru. J'ai peine à croire que ce retard soit dû à de simples raisons techniques. Cet exemple illustre également les différences d'interprétation dans nos méthodes de décompte des textes d'application. Il en est de la gouvernance d'Action Logement comme de l'ensemble des rapports dits de l'article 67 : le bilan ne peut être dressé qu'en prenant en compte les arrêtés.

Plus d'une cinquantaine d'ordonnances a été prise pendant la crise sanitaire. Il y a un an, vous nous aviez indiqué, monsieur le ministre, qu'au cours des six dernières années, le nombre d'habilitations à légiférer par ordonnance était supérieur au nombre de lois adoptées par le Parlement. Pour autant, encore une fois, l'argument de la rapidité ne tient pas. Le délai moyen entre la promulgation de la loi d'habilitation et la publication des ordonnances est de près d'un an, soit un délai supérieur au temps moyen d'adoption de la loi.

De nombreuses habilitations restent sans suite. Par exemple, l'ordonnance prévue à l'article 17 de la loi pour un État au service d'une société de confiance devait être publiée avant avril 2019 mais le Gouvernement a depuis indiqué y avoir renoncé.

Par ailleurs, la ratification des ordonnances n'est pas toujours effective, faute d'inscription des projets de loi de ratification à l'ordre du jour des Assemblées. Depuis de longues années, cela prive le Parlement d'un débat sur la conformité de l'ordonnance à la volonté du législateur. Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel « Force 5 » du 28 mai dernier, une ordonnance non ratifiée acquiert valeur législative à compter de la fin du délai d'habilitation, dès lors qu'elle intervient dans le domaine de la loi.

En d'autres termes, l'ordonnance devient la loi, avec deux conclusions à tirer : il est plus que jamais nécessaire de veiller, en amont, à la définition du périmètre de l'habilitation consentie au Gouvernement, et il faut s'interroger sur la portée exacte de la ratification par le Parlement.

À l'heure actuelle, les projets de lois de ratification, une fois déposés, ne sont que rarement examinés, faute d'inscription à l'ordre du jour dans un agenda parlementaire extrêmement dense. Monsieur le ministre, comment comptez-vous organiser cette inscription, indispensable à la poursuite du débat parlementaire et au plein exercice de la fonction de contrôle ?

En application de l'article 38 de la Constitution, les ordonnances deviennent caduques si un projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Mais rien ne contraint le Gouvernement à inscrire son projet à l'ordre du jour des assemblées. Le Gouvernement compte-t-il désormais indiquer, dès la demande d'habilitation, à quelle date il entend inscrire le projet de loi de ratification à l'ordre du jour ?

Les expérimentations peuvent être des outils remarquables pour garantir une loi plus souple et mieux adaptée aux circonstances locales. Plus d'un quart d'entre elles sont abandonnées en cours de mise en oeuvre. D'autres sont généralisées trop vite, comme celle sur le relèvement du seuil de revente à perte prévue par la loi EGalim. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Josiane Costes applaudit aussi.)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Merci à Mme Létard et aux présidents de commissions pour leur travail minutieux.

Cette année, les calculs du Sénat et du Gouvernement font apparaître des résultats plus divergents que l'an dernier en raison de différences méthodologiques. Ainsi le taux d'application est de 82 % pour le Gouvernement, 72 % pour le Sénat. Le Gouvernement ne retient que les mesures immédiatement applicables, le Sénat intègre les mesures d'application différée, d'où un écart d'environ 150 mesures. De plus, nous ne prenons pas en compte les arrêtés.

Le Premier ministre est le titulaire du pouvoir réglementaire. Il est donc naturel qu'il assure un suivi général de l'application des lois et que nous venions en débattre chaque année avec vous. Cela permet d'avoir une vision panoramique des quelques 1 600 décrets qui sortent chaque année.

En revanche, il revient à chaque ministre d'assurer un suivi continu des arrêtés qu'il signe, parmi les 8 000 qui sont pris chaque année. La modification du Règlement du Sénat du 6 juin 2019 doit permettre ce suivi fin.

Le taux d'application de la loi s'est légèrement tassé à 82 % au 31 mars 2020 contre 85 % un an plus tôt. Il convient toutefois de souligner que le nombre de mesures à prendre a significativement augmenté, de 461 pour 2017-2018 à 715 pour 2018-2019.

Sur la procédure accélérée, la révision constitutionnelle de 2008 semble avoir favorisé un recours plus systématique sous cette législature et la précédente que sous la treizième. Les conditions d'examen exceptionnelles que nous avons connues au cours des trois derniers mois ne sont pas représentatives de la situation depuis 2017, le Gouvernement s'efforçant de ménager des conditions d'examen raisonnables entre le dépôt ou la transmission et l'examen d'un texte.

Pour ce qui est des rapports, l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 avait été introduit dans un contexte de très faible application de la loi. La situation a radicalement changé : entre 80 % et 90 % des mesures sont prises avant six mois. Le Gouvernement vous transmettra bientôt 100 % des tableaux faisant le point sur l'application des lois. Pour autant, la transmission de ces tableaux vaut-elle transmission du rapport au sens de l'article 67 de la loi de 2004 ? La question mérite d'être posée.

Par ailleurs, certaines lois présentent des mécanismes complexes à mettre en oeuvre avec pour effet une date différée d'entrée en vigueur, qui peut retarder la remise des rapports.

S'agissant des rapports demandés spécifiquement par le Parlement, je regrette comme vous la situation, qui n'est pas satisfaisante.

En ce qui concerne les expérimentations, je partage votre souci de mieux les suivre, pour mieux les évaluer et ensuite envisager une éventuelle pérennisation. La solution qui a été retenue par la commission mixte paritaire et définitivement adoptée par le Parlement au sujet de l'expérimentation de relèvement du seuil de revente à perte me paraît conforme à cet objectif.

Quelque 59 ordonnances ont été prises en 2019 contre 27 en 2018 et 81 pour la session 2016-2017. Depuis 2007, la moyenne annuelle s'établit à 43. C'est bien une « banalisation » que nous constatons, pour reprendre le mot de Jean-Marc Sauvé lors d'un colloque de 2014 sur la législation déléguée. Évitons d'y voir une forme de facilité à laquelle céderaient les gouvernements. Je partage, de façon empirique, l'analyse de l'ancien vice-président du Conseil d'État : « L'inflation législative (...) a trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d'abord pour répondre à l'urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l'adoption de textes techniques (...), ensuite pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi ».

Je ne peux pas commenter la décision du Conseil constitutionnel sur le caractère législatif d'une ordonnance non ratifiée après l'expiration du délai d'habilitation. Je me contenterai de remarquer que le calendrier parlementaire est contraint et ne peut accueillir l'examen d'une quarantaine de projets de loi supplémentaires chaque année, sauf à considérer cette ratification comme une simple formalité.

Le Gouvernement envisage une évolution de la gouvernance d'Action logement. Il a demandé un rapport à l'Inspection générale des finances. D'où la suspension de toute nouvelle disposition réglementaire relative à la gouvernance du groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - À la date de la rédaction du rapport, la loi portant organisation et transformation du système de santé (OTSS) du 24 juillet 2019, tant attendue par les acteurs, n'était applicable qu'à hauteur de 30 %. Aucune des onze ordonnances prévues par le texte n'avait été publiée, alors qu'elles portaient sur des sujets aussi lourds que l'autorisation sanitaire et les hôpitaux de proximité.

La crise sanitaire ne l'explique qu'en partie. Il faut que le Gouvernement cesse de solliciter du Parlement des habilitations à légiférer par ordonnances sur des projets de réformes à l'état d'ébauche. Qu'il nous donne un nouvel échéancier des mesures d'application de ce texte, en nous indiquant, le cas échéant, les dispositions dont la pertinence lui paraît remise en cause par la crise actuelle.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Oui, les délais n'ont pas été tenus, notamment en raison de la crise sanitaire. Plusieurs décrets sont en cours d'examen par le Conseil d'État. C'est toute l'utilité de cet exercice que d'inciter les ministères à accélérer un certain nombre de processus.

Certains textes seront publiés avec retard. La loi du 23 mars 2020 a reporté de quatre mois le terme de toutes les habilitations en cours prévues par la loi OTSS. Le récent projet de loi portant diverses dispositions sur l'état d'urgence prévoit également le report de la réforme du deuxième cycle des études médicales, ainsi que d'autres ordonnances portant sur la certification périodique des médecins.

Le Ségur de la Santé doit tirer toutes les conséquences de la crise sanitaire. Il faut transformer et revaloriser les métiers de la santé, définir une nouvelle politique d'investissement et de financement au service des soins, simplifier l'organisation et le quotidien des équipes, fédérer les acteurs de la santé dans les territoires. Les textes à prendre en application de la loi OTSS seront revus rapidement. C'est d'ailleurs ce que vous nous invitez à faire : prendre des décrets en les faisant évoluer à l'aune de la crise. Nous le faisons par exemple pour l'ordonnance sur les groupements hospitaliers des territoires (GHT), l'emploi médical de proximité et les télésoins.

Ces textes seront publiés dès la rentrée, mais je ne puis vous donner d'échéancier précis.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques .  - Six mois après sa promulgation, la loi Énergie-Climat connaît un début d'application difficile : une dizaine de mesures réglementaires publiées sur environ soixante-dix décrets ou arrêtés prévus, une ordonnance prise sur cinq articles et quinze habilitations, aucun rapport formellement remis au Parlement sur les six attendus du Gouvernement. S'agissant des ordonnances, un quart aurait déjà dû être publié.

Il y a pire que le retard. Pour ce qui concerne la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), certains objectifs, sur le biogaz, l'hydrogène ou l'éolien en mer, sont en retrait par rapport à ceux adoptés par le législateur. C'est inacceptable.

La lenteur dans l'application de la loi contraste avec les délais particulièrement contraints qui nous avaient été imposés par le Gouvernement lors de son examen l'été dernier. À quelle échéance paraîtront les ordonnances prévues dans la loi Énergie-Climat ? Qu'en est-il des décrets prévus ?

Nous sommes toujours en attente du décret et de l'arrêté permettant de réorganiser la gouvernance d'Action Logement. C'est la pérennité et la mission du groupe paritaire qui est en jeu. Notre pays fait face à une crise économique majeure, alimentée par une crise du logement. Continuer d'empêcher Action Logement de fonctionner normalement, c'est tout simplement condamner de nombreux Français à vivre dans un logement suroccupé ou insalubre. Action logement doit avoir les moyens d'agir, et il vous incombe de lever le blocage.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Vingt-six mesures sont à prendre pour appliquer la loi Énergie Climat, dont six ont été publiées, pour un taux d'application de 23 %. La majorité des textes à prendre sont des décrets en Conseil d'État avec consultation préalable. C'est faible, mais le confinement a décalé le calendrier.

Le décret sur l'autorité environnementale a été visé par le Conseil d'État le 16 juin 2020 et sera prochainement publié. Celui sur les aides pour l'électrification rurale est en cours de transmission. Les travaux se poursuivent sur les textes qui concernent les garanties d'origine du biogaz.

Quatre ordonnances sur seize ont été prises, les autres ont vu le terme de leur habilitation prorogé de quatre mois. Six habilitations feront l'objet d'ordonnances qui devraient être examinées en Conseil des ministres au cours du mois de juillet. Elles concernent, entre autres sujets, l'adaptation du droit de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie et du climat, ou encore la fermeture des centrales à charbon.

Concernant Action Logement, le Gouvernement souhaite une évolution de la gouvernance, ce qui suspend de fait l'application des textes ; mais rien n'interdit à Action Logement de réunir les acteurs de façon informelle.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères .  - Le bilan est satisfaisant pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : dix-neuf conventions internationales adoptées, mise en oeuvre quasi complète de la loi de programmation militaire du 13 juillet 2018, à 92 %.

Seuls deux arrêtés mineurs manquent. Le décret de la loi du 23 juillet 2010 sur l'allocation au conjoint d'un agent de l'État en service à l'étranger est toujours attendu, mais globalement nous sommes à un taux d'application de 83 %, ce qui est satisfaisant.

Élément de satisfaction supplémentaire, nous constatons un net progrès dans la transmission des rapports, notamment pour tout ce qui relève des opérations extérieures et intérieures. Nous vous en remercions.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Merci de ces encouragements. Le fameux décret attendu depuis 2010 avait vocation à remplacer le supplément familial mais sa mise en oeuvre se heurte à une difficulté technique et à des interprétations divergentes des différentes directives ministérielles sur le régime social à appliquer à une telle allocation.

La crise ne remet pas en cause la trajectoire financière de la loi de programmation militaire, la ministre des Armées l'a rappelé le 4 juin dernier devant votre commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture .  - Cinq textes ont été promulgués dans les domaines de compétence de la culture. Seule la loi sur l'école de la confiance devait faire l'objet de décrets d'application. Au 31 mars 2020, elle présentait un taux d'application acceptable - de l'ordre de 60 %, les décrets ou arrêtés en question ayant été publiés dans un délai raisonnable.

La mise en oeuvre des deux lois d'initiative parlementaire s'avère particulièrement difficile. Celle relative à la lutte contre la manipulation de l'information n'a démontré ni son efficacité, ni sa pertinence. Le Sénat s'était fermement opposé à son adoption, tout comme à celle de la loi contre la haine en ligne, justement censurée par le Conseil Constitutionnel.

La loi sur les plateformes en ligne n'est pas appliquée, car les plateformes refusent de s'y conformer. Cela montre les limites de l'action législative nationale. Nous suggérons la réouverture de la directive e-commerce consacrant l'irresponsabilité des plateformes.

La loi relative à la reconstruction de Notre-Dame de Paris est applicable dans son intégralité. À quelle date le rapport annuel faisant état du montant des fonds recueillis pour cette reconstruction, de leur provenance, de leur affectation et de leur consommation sera-t-il transmis au Parlement ?

L'application complète du texte créant l'Agence nationale du sport (ANS) dépend de trois textes. Où en sommes-nous ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - En effet, le périmètre européen est le plus approprié pour le texte sur les plateformes en ligne.

L'article 5 de la loi du 29 juillet 2019 sur la reconstruction de Notre-Dame de Paris prévoit un rapport avant le 30 septembre 2020. Ce délai sera respecté. L'article 8 de cette même loi prévoit que l'établissement public chargé de la restauration de la cathédrale publie également chaque année un rapport. Il le fera avant la fin de l'année 2020.

Pour ce qui est des ordonnances, le délai d'habilitation a été prolongé de quatre mois jusqu'au 29 novembre 2020. Un projet d'ordonnance prévoyant certaines dérogations aux dispositions applicables au chantier est encore à l'étude qui devrait donner lieu à une saisine du Conseil d'État fin août 2020 et à une présentation en Conseil des ministres à la mi-octobre.

Concernant l'ANS, la publication des deux textes prévus devra intervenir avant fin juillet.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - La loi pour un nouveau pacte ferroviaire a fait l'objet d'habilitations portant sur quatre ordonnances. Aucune n'a été ratifiée par le Parlement, leur examen n'étant même pas inscrit à l'ordre du jour des assemblées. Cela méritait un débat de fond, d'autant que l'ordonnance sur la gouvernance de la SNCF, entrée en vigueur au 1er janvier 2020, est contraire à la volonté du législateur : les parlementaires ne sont pas représentés au conseil de surveillance.

Le Gouvernement n'a toujours pas tiré les conséquences de l'échec des accords collectifs alors que M. Djebbari avait promis une ordonnance.

Qu'en est-il, enfin, du décret sur les modalités de transfert de certaines petites lignes aux régions, prévu par la loi d'orientation des mobilités (LOM) ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - La ratification des quatre ordonnances que vous évoquez n'est pas inscrite à l'ordre du jour. Pour ce qui est des décrets manquant de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, le premier porte sur la composition et les moyens de fonctionnement d'une instance commune. Il était subordonné à la signature d'un accord relatif aux conditions d'exercice social entre les entreprises issues du groupe public ferroviaire. Le projet de décret a été finalisé et doit maintenant être examiné par le Conseil d'État.

Quant au décret sur la portabilité garantie de l'affiliation au régime général de la retraite de la SNCF en cas de changement d'employeur, il est en attente du vote de la réforme des retraites.

Le décret relatif aux modalités d'attribution directe des contrats de service publics de transport ferroviaire de voyageurs a été publié le 17 juin dernier.

Le délai d'adoption de l'ordonnance relative à la négociation collective au sein de la branche ferroviaire a été décalé de quatre mois, au 23 janvier 2021, en vertu de la loi du 23 mars, à la suite de l'échec de la négociation collective sur les classifications et rémunérations. Le Gouvernement a décidé qu'il pourrait utiliser cette ordonnance afin d'établir un cadre commun en matière de classification et de rémunération pour les salariés de la branche ferroviaire. Des analyses juridiques sont en cours.

Sur les petites lignes, le décret est en cours de rédaction. Le Conseil d'État sera saisi en octobre 2020, et le décret publié fin 2020.

M. Éric Bocquet, vice-président de la commission des finances .  - La commission des finances a constaté un taux d'application en progrès pour les lois de finances, mais les délais de publication s'allongent : moins d'un tiers en six mois. Sept mesures d'application de la loi de finances initiale 2019 sont en attente, en raison des exigences européennes en matière d'aides d'État.

Nous suivons attentivement la mise en oeuvre du texte sur la lutte contre la fraude. Une question préjudicielle posée par l'Estonie doit être examinée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Quand les mesures d'application seront-elles prises ?

L'entrée en vigueur de l'article 134 de la loi de finances pour 2012 sur le régime de licence de vente du tabac dans les départements d'outre- mer a été repoussée au 30 juin 2019, sans pour autant que la mesure entre en application. Ne faut-il pas reconnaître que ce dispositif n'est pas applicable ? Ou bien comptez-vous le mettre en oeuvre rapidement ?

Le Sénat a adopté le 21 avril un taux réduit de TVA pour les tenues de protection. (M. Jean Bizet approuve.) Bruno Le Maire nous a annoncé un arrêté « en cours de signature » ; pourquoi n'a-t-il toujours pas été pris ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - J'ai saisi les services de Bercy pour obtenir un état des lieux des demandes introduites auprès de la Commission européenne sur les aides d'État.

S'agissant de l'application des articles 14 et 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude, un arrêt de la CJUE est attendu pour juillet. Le ministère s'engage à prendre les mesures d'application une fois cet arrêt rendu.

Concernant le dispositif d'encadrement de la vente du tabac dans les outre-mer, les assemblées délibérantes de ces collectivités estiment qu'elles n'ont pas les moyens humains et financiers de le mettre en oeuvre. Une réflexion est en cours pour assouplir les modalités de la mesure.

L'arrêté sur le taux réduit de TVA pour les tenues de protection est à la signature des ministres compétents et il paraîtra cette semaine. (Marques de satisfaction sur toutes les travées)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Monsieur le ministre, il y a eu du relâchement cette année. La commission des lois a examiné plus de 40 % des textes soumis au Sénat, mais n'a obtenu que la moitié des mesures d'application.

Quant aux divergences de calcul, elles ne remettent pas en cause les tendances. Certains décrets ont été pris quelques jours avant une réunion avec le secrétaire général du Gouvernement, dont ceux sur les apprentis en situation de handicap et le télétravail. Il faudrait faire plus de réunions...

Le décret sur l'open data des décisions de justice s'est perdu dans le labyrinthe administratif.

Enfin, la récente décision du Conseil constitutionnel ne risque-t-elle pas de vous dissuader d'inscrire à l'ordre du jour les textes de ratification des ordonnances ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Le Gouvernement a mesuré un taux d'application de 68 % au 31 mars, de 82 % au 23 juin 2020.

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique appelle 94 mesures actives : 77 sont appliquées au 23 juin 2020, ce qui porte le taux d'application de la loi à 82 %. Ce taux était de 57 % au 31 mars 2020. Parmi les 17 mesures actives restant à appliquer, 8 seront publiées dans les prochains jours pour un taux d'application de 90 %. La parution tardive de deux mesures d'application est liée à la crise sanitaire.

Le décret sur les apprentis en situation de handicap a été transmis au Conseil d'État début février. Son examen a été différé à avril à cause de la crise sanitaire. Le décret a ensuite été publié au Journal officiel du 7 mai 2020.

S'agissant du décret d'application de l'article 49 sur les conditions de recours ponctuel au télétravail, le Conseil d'État a été saisi en février. Son examen a dû être reporté, en raison des mesures de confinement prises dans le cadre de la crise sanitaire. Il s'est tenu en avril dans le cadre d'une visio-conférence. Le décret a ensuite pu être publié le 6 mai 2020.

La publication du décret relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives le 19 mars 2020 a été suspendue à cause de l'épidémie de Covid-19. Cette suspension vient d'être levée pour publication d'ici la fin du mois de juin ou le début du mois de juillet 2020.

Quant aux ordonnances non ratifiées, la décision du Conseil constitutionnel est « inédite », selon le commentaire de la décision, qui invite toutefois à la prudence dans l'interprétation. Il n'y a jamais eu, toutefois, de ratification systématique : des années 1960 à 1990, sur les 68 ordonnances, seule une trentaine avait été ratifiée.

En 2008, lors de l'examen de la révision constitutionnelle, certains avaient proposé une ratification obligatoire. La majorité des chambres en avait décidé autrement.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Les résolutions européennes de la commission des affaires européennes sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution donnent au Gouvernement des orientations pour les négociations avec les États membres et les institutions européennes.

Mon rapport de février montre la réelle influence de ces propositions de résolutions européennes sur les directives et règlements : dans 87 % des cas, nos résolutions ont été prises en compte au cours des négociations. Un dialogue étroit et fructueux avec la secrétaire d'État aux Affaires européennes et le secrétaire général aux affaires européennes a été noué.

Le contrôle de la commission des affaires européennes a été étendu en février 2018 avec une mission d'alerte sur les surtranspositions - je remercie le président - consacrée en juin 2019 dans le Règlement du Sénat. En mai dernier, le secrétaire général du Gouvernement m'avait assuré de l'engagement du Gouvernement à lutter contre les surtranspositions, notamment dans les ordonnances. C'est un point important de l'action normative de l'exécutif. Qu'a-t-il fait pour progresser dans cette voie, et avec quel calendrier ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - La surtransposition peut être assumée dans certains domaines comme l'environnement, le social ou la santé.

Le paquet neutre de cigarettes comme la durée du congé maternité en France constituent, par exemple, des surtranspositions voulues comme telles.

Le Gouvernement considère donc que ne constituent des surtranspositions à proscrire que celles qui induisent des contraintes plus importantes pour les entreprises et les citoyens et qui ne sont pas justifiées. Afin de lutter contre ces surtranspositions, le Premier ministre a publié le 26 juillet 2017 une circulaire qui proscrit, par principe, toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive.

Parallèlement à ces règles visant à prévenir de nouvelles surtranspositions, cette circulaire entendait réduire le stock en s'appuyant sur un travail d'inventaire confié à une mission d'inspection. Sur cette base, le Gouvernement a présenté un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes, dont l'examen n'a pas été conduit jusqu'à son terme. La « désurtransposition » est en effet un exercice délicat.

Le Gouvernement a cependant veillé à ce que les mesures qu'il comportait soient reprises dans le cadre d'autres vecteurs législatifs tels que la loi d'orientation des mobilités qui supprime les surtranspositions de la directive 2012/34 établissant un espace ferroviaire européen.

Dès qu'un vecteur législatif approprié sera disponible, nous supprimerons les surtranspositions notamment la suppression de l'obligation de déclaration des nouveaux opérateurs à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep).

M. le président.  - La parole va maintenant être donnée aux orateurs des groupes.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Monsieur le ministre, après les déclarations du président Larcher, de Mme Létard et de M. Bas, vous n'ignorez pas qu'il y a un profond malaise sur les ordonnances. Vous ne pouvez pas le contourner par vos explications confuses et embarrassées.

La ratification d'une ordonnance est-elle superfétatoire ? Le Gouvernement peut-il s'en dispenser ? Dans le cas contraire, revenez sur l'ordonnance relative à la justice des mineurs ou, sinon, prévoyez un « vaste débat », comme l'avait promis quatre fois Mme Belloubet.

Dans les lois du 23 mars et suivantes, les ordonnances ne seront-elles pas ratifiées, faute de temps ? Cessez de demander des habilitations puisque Mme Létard a montré qu'il fallait en moyenne 539 jours entre l'habilitation et sa mise en oeuvre. Nous devons avoir une réponse claire du Gouvernement. Vous ne pouvez pas vous défausser sur une question aussi importante puisqu'il s'agit des droits du Parlement.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Marc Fesneau, ministre.  - Pas question de se défausser ! Reprenons les faits.

La question de la ratification des ordonnances ne concerne pas que ce Gouvernement. Globalement, la majorité des textes pris par ordonnances n'ont pas été ratifiés par le Parlement. Ce n'est donc pas une nouveauté.

Nous devons examiner les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Oui, il y a un problème de calendrier parlementaire. Nous devons donc être vigilants sur les recours aux ordonnances.

Sur la justice des mineurs, la ministre s'est engagée à venir en débattre au Parlement, avant un vote. Ce débat aura donc lieu, c'est un engagement ferme et définitif du Gouvernement, même si je n'en connais pas encore le calendrier.

Mme Josiane Costes .  - L'école occupe une place singulière au sein des institutions de notre pays, gage de promesse républicaine.

Si la réforme de l'école figurait déjà au coeur de l'action du Gouvernement, elle apparaît aussi comme l'un des points névralgiques de la gestion de la crise inédite que traverse notre pays.

C'est pourquoi je souhaite vous interroger sur l'application de cette loi, notamment sur les dispositions relatives à l'inclusion des enfants handicapés.

Cette épidémie a-t-elle modifié l'application de la loi pour une école de la confiance ?

Pouvez-vous garantir que les diverses dispositions réglementaires qui concernent les élèves en situation de handicap, et ceux qui souffrent de troubles du langage ou de difficultés psychologiques seront prises d'ici la rentrée 2020 ? Je pense notamment aux articles 13, 30 et 31 qui traitent du dépistage des troubles du langage et des apprentissages chez les enfants de moins de six ans, de la coopération entre établissements médico-sociaux et scolaires pour la prise en charge des élèves en situation de handicap, et de l'accompagnement des jeunes qui présentent des difficultés psychologiques.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Plusieurs mesures restent à prendre pour l'application de l'article 30. Un groupe de travail a été constitué mais il a dû interrompre ses réunions avec la crise sanitaire, et les reprendra incessamment. Le projet de décret devrait être publié en octobre, après deux consultations, l'une obligatoire du comité national de l'organisation sanitaire et sociale, l'autre non obligatoire mais incontournable du Conseil national consultatif des personnes handicapées.

Un groupe de travail a été constitué sur l'intégration des élèves en situation de handicap, prévu à l'article 31. Le projet de décret paraîtra là encore en octobre.

Pour les accompagnants d'élèves en situation de handicap, les textes seront présentés lors du comité technique ministériel du 8 juillet.

Sur l'article 46, le groupe de travail poursuit ses travaux. Une quatrième réunion est prévue jeudi 25 juin pour valider le cahier des charges ; 30 heures de formation seraient notamment dédiées à la scolarisation des enfants en situation de handicap. Un arrêté sera ensuite publié en septembre 2020.

M. Alain Richard .  - Je souhaite évoquer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai, qui n'a fait que lire la Constitution. Depuis le 4 octobre 1958, les termes sont les mêmes. Une fois franchi le délai de dépôt du texte de ratification, l'ordonnance ne peut être modifiée que par la loi ; l'ordonnance a donc une valeur législative : c'est la Constitution.

Nous regrettons tous que les projets d'habilitation ne soient pas débattus.

Pourtant, je n'ai pas vu beaucoup de rapports indiquant que la Conférence des présidents s'était émue de la non-inscription à l'ordre du jour des ratifications d'ordonnances.

Je fais remarquer aussi que le Conseil constitutionnel se prononce à l'occasion de questions prioritaires de constitutionnalité sur le respect des droits et libertés garanties par la Constitution par ces ordonnances ; en outre, dès le lendemain, le Parlement peut modifier l'ordonnance ainsi pérennisée. Nous ne le faisons jamais, alors que les opportunités seraient multiples vu le nombre de textes débattus en séance. On peut aussi procéder par amendement ; nous l'avons d'ailleurs fait grâce à un amendement du président Bas pour corriger la réduction malencontreuse du quorum des assemblées locales par une ordonnance prise pendant la crise.

Pourquoi ne le faisons-nous pas plus souvent ? Il faudrait un bilan en Conférence des présidents des projets en retard. Pourquoi ne pas les soumettre à la législation en commission ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Vous avez dit le droit, rappelé votre lecture de la décision du Conseil constitutionnel. J'ai du mal à vous répondre ; surtout sous le regard de juristes éminents dont le président Bas.

Il y a un problème de calendrier pour ratifier dans les temps les ordonnances. La Conférence des présidents des assemblées devrait se saisir du sujet. Au fond, quel usage voulons-nous faire des ordonnances ? Cet outil se développe, mais n'est pas propre à cette législature. Continuons à nous interroger sur la manière dont on légifère par ordonnance et dont on les ratifie.

M. Jean-Pierre Decool .  - L'application rapide d'une loi est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit de juger les expérimentations. Depuis 2008, les décrets d'application doivent être pris, au plus tard, six mois après la parution des lois.

La loi du 3 août 2018 sur les caméras mobiles a étendu à titre expérimental, pour trois ans, l'usage des caméras pour les sapeurs-pompiers et les surveillants pénitentiaires.

Utilisées depuis 2013 par les forces de la police et de la gendarmerie, les caméras mobiles ont pour objectif de sécuriser les interventions de ces agents publics confrontés, dans l'exercice de leurs missions, à une agressivité croissante. Les évènements récents témoignent, si besoin est, de la pertinence de ce dispositif.

La loi du 3 août 2018 pérennise également l'utilisation des caméras mobiles par les agents de police municipale. Trois décrets en Conseil d'État étaient nécessaires, après avis de la CNIL. Ils ont été pris au-delà des six mois : février, juillet et décembre 2019 ! L'application de la loi a pris seize mois pour la mise en place d'une expérimentation censée durer trois ans !

Avons-nous l'assurance de l'utilisation de ces caméras ? Posséder les outils ne suffit pas, il faut les utiliser. Cela pourrait éviter bien des débats aujourd'hui...

M. Marc Fesneau, ministre.  - Tous les professionnels le disent : la présence de la caméra incite certaines personnes à davantage maîtriser leurs actes et leurs propos. Elles renforcent donc par conséquent la sécurité de nos policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers et surveillants pénitentiaires. Les enregistrements facilitent l'identification, et sont utiles pour l'exercice de la justice.

Depuis 2013, cet équipement utilisé par les forces de l'ordre a su démontrer son efficacité. Nous avons largement échangé avec le Conseil d'État et la CNIL. Les retours sont prometteurs. Entre 2016 et 2018, ces caméras ont été expérimentées dans plusieurs polices municipales avec succès.

Les délais importants que vous avez évoqués sont dus à l'entrée en vigueur concomitante du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la directive police-justice, qui a occasionné des échanges nombreux entre la CNIL et le Conseil d'État.

Mme Éliane Assassi .  - Je remercie Mme Létard pour son rapport qui nous éclaire sur le déséquilibre entre le Parlement et le Gouvernement. Trop de textes restent examinés en urgence - deux tiers des projets de loi et propositions de loi.

Nous regrettons le recours trop important aux ordonnances, plus nombreuses que les lois ordinaires entre 2012 et 2018. Nous sommes très inquiets de la récente décision du Conseil constitutionnel permettant de donner force législative à une ordonnance non ratifiée. Cela renforce le glissement vers le pouvoir exécutif.

Concernant les rapports du Gouvernement au Parlement, Mme Létard a rappelé que seuls 12 % des rapports prévus lors de cette session ont été remis et seuls 11 % des rapports demandés par le Sénat ont été déposés, contre 69 % pour l'Assemblée nationale.

Le Sénat a obtenu qu'un rapport sur la relance des trains de nuit prévu dans la loi pour l'orientation des mobilités soit remis avant le 30 juin. Qu'en est-il ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Ce débat est utile ; le Gouvernement peut ainsi rendre des comptes sur l'application des lois.

J'ai noté la différence des taux de rendus des rapports entre Assemblée nationale et Sénat. J'en ferai part aux ministres.

Le rapport sur les trains de nuit prévu par la LOM devait être remis avant le 30 juin. Une étude sur les trains d'équilibre des territoires (TET) est en cours ; elle comprend les trains de jour et de nuit. Concernant la nuit, l'étude a pris la forme d'une comparaison internationale avec les réseaux - Norvège, Suède et surtout Autriche - qui sont en pointe sur ce secteur. Il a fallu également consulter les constructeurs.

Le rapport de l'étude technique devrait être remis dans les prochains jours. Mais il faudra procéder aux auditions des exécutifs régionaux et des associations cet automne, auditions qui ont été annulées en raison du Covid.

M. Jean-François Longeot .  - Le taux d'application des lois est dans l'ensemble satisfaisant, bien qu'en léger retrait. Il est cependant décevant pour la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé ou les articles relatifs à la privatisation d'Aéroports de Paris contenus dans la loi Pacte.

Depuis le début de la crise sanitaire, le Parlement s'est attelé à adopter dans les plus brefs délais des textes prioritaires ; il est temps que l'État en fasse de même afin d'apporter de la visibilité aux différents acteurs parfois mis à rude épreuve. Je pense ainsi à la loi portant nouveau pacte ferroviaire.

L'augmentation du recours aux ordonnances pose un problème démocratique, surtout quand le délai entre la demande d'habilitation et la rédaction de l'ordonnance est supérieur au délai moyen d'adoption d'une loi.

Le taux de remise des rapports est de 12 %, contre 35 % l'an passé. Il y a une forme de discrimination entre les deux chambres, comme dit précédemment.

Quelle est la ligne du Gouvernement sur le recours aux ordonnances et le retard pris pour la remise des rapports au Parlement ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Je ne reviens pas sur la question des ordonnances qui a été évoquée à plusieurs reprises.

Le taux de dépôt des rapports prévus dans le texte de la loi est de 12 % ; ce qui n'est pas acceptable. Je m'engage à en faire part à mes collègues. Les rapporteurs peuvent aussi saisir le Gouvernement lorsqu'ils dressent le bilan d'application des lois.

Le taux de remise des rapports étant en baisse, il faudra que le Gouvernement soit vigilant. Vous avez raison de souligner les distorsions entre les deux assemblées. Les assemblées seront systématiquement destinataires des échéanciers d'application régulièrement mis à jour. Un dialogue fructueux entre le Gouvernement et le Parlement pourra améliorer la situation.

Mme Anne-Marie Bertrand .  - Rédiger un texte de loi est gratifiant et réserver des points techniques au pouvoir réglementaire peut être confortable... Nous avons donc tous une part de responsabilité.

Néanmoins, la difficulté de l'État à prendre, en temps et en heure, les mesures règlementaires nécessaire à l'application des lois, contraste avec les délais toujours plus courts qui sont imposés au Parlement. La procédure accélérée semble être devenue la norme et les ordonnances se multiplient.

Le Gouvernement ne joue-t-il pas la montre pour anesthésier la représentation nationale, voire la censurer ? Une loi ne doit pas être un voeu, mais un texte applicable et appliqué. Rien n'est pire pour la démocratie qu'une loi réduite à du bavardage : le citoyen ne l'écoute plus. Souvenons-nous de ces milliers de gilets jaunes, qui ne croyaient plus à rien.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Comme vous le dites, la question de l'application des lois n'est pas un sujet technique mais politique. Le Sénat est vigilant, je le sais, à ce que les lois ne soient pas trop bavardes.

Il est vrai que le taux d'application des lois a légèrement baissé depuis l'an passé. Les administrations ont été très sollicitées par la crise, mais le taux a augmenté depuis le 31 mars.

Les délais nécessaires à la prise d'un décret ont plusieurs explications : un certain nombre de consultations doivent être menées, d'abord en interministériel, puis par un certain nombre d'organismes dont la saisine est obligatoire, avant l'intervention du Conseil d'État. Ces consultations et les délais qui en découlent sont la contrepartie de la qualité et de la stabilité des textes règlementaires publiés.

Il devient de plus en plus difficile d'anticiper les textes d'application à prendre : entre la version initiale et le vote définitif, le nombre d'articles a augmenté de près de 135 % lors de la session 2018-2019.

Le droit doit être intelligible : le caractère technique des textes publiés est regrettable. Mais le droit est un reflet de la société, qui est de plus en plus complexe. Faire plus simple est possible mais pourrait relever de l'incompétence négative.

Je ne vous suis pas sur la censure du Parlement : la non-application d'une loi peut faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. De plus, le Gouvernement est pleinement responsable devant le Parlement : c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis cette année encore avec vous aujourd'hui.

M. le président.  - Je salue Stéphane Cardenes, sénateur du Gard, qui remplace Pascale Bories. (Applaudissements) Je lui souhaite la bienvenue.

Je souhaite remercier la présidente Valérie Létard pour la qualité de son rapport. Deux sujets d'actualité ont animé nos débats : les ordonnances et les expérimentations. J'écrirai au président Fabius pour lui demander des éclaircissements - même si le débat a été riche et a permis de faire avancer la réflexion. La Conférence des présidents a d'ailleurs déjà évoqué ces sujets à plusieurs reprises.

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation.  - Merci à l'ensemble des présidents de commission pour leur travail intense, et au Secrétaire général du Gouvernement ; ce débat a pour origine une réunion le 12 mai dernier. Depuis cette date, un tiers des demandes de décret ont été satisfaites.

Le Parlement peut ainsi servir d'aiguillon, qui fait avancer les choses dans l'intérêt général. Cet exercice, année après année, améliore le travail du Gouvernement et du Parlement. (Applaudissements)

M. Marc Fesneau, ministre.  - Merci à la présidente Létard pour son travail d'aiguillon, utile au Gouvernement.

Je remercie moi aussi les services du Secrétaire général du Gouvernement qui m'ont aidé à préparer cette séance. Faire appliquer la loi n'est pas le moindre des exercices. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC, RDSE et sur diverses travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - L'un des rôles du Parlement est le contrôle, même si cet exercice peut sembler plus aride que d'autres débats ; le Sénat l'a renforcé et le renforcera encore.

La séance est suspendue à 19 h 10.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Conseil européen des 18 et 19 juin 2020

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020, à la demande de la commission des affaires européennes.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Merci de votre invitation pour un point d'étape sur les discussions autour du plan de relance et du budget européen pour 2021-2027. Je salue l'engagement du Sénat, dès le début de la crise, pour promouvoir une réponse européenne ambitieuse. Le moment est crucial pour l'Europe. Si l'épidémie n'a pas disparu, ses conséquences économiques et sociales viennent à nous.

La réunion de vendredi a permis de constater combien nous avions avancé ensemble en quelques semaines. Plus personne ne conteste le principe d'un plan de relance européen ambitieux. Personne ne conteste que nul ne peut sortir seul de la plus grave crise économique depuis 1945, qu'il faut en étaler le coût sur le temps long, que cela suppose un emprunt commun.

Cette réunion a permis de voir où chacun se situait. Il faudra une réunion présentielle, les 17 et 18 juillet, pour voir si un accord est possible. Il y a urgence, ont rappelé le président de la République et la chancelière, alors que l'Allemagne prendra la présidence du Conseil au 1er juillet. Si nous n'agissons pas vite et ensemble, nous irons vers une récession durable, un creusement des inégalités, une fragmentation du marché intérieur, un risque de déclassement économique de l'Europe et une aggravation de la crise sociale.

Un mot sur la méthode du président de la République car, en diplomatie, la méthode compte parfois plus que le contenu. Le 28 mai, la France et l'Allemagne ont proposé un outil de relance fondé sur la solidarité visant la souveraineté européenne, aboutissement d'un long travail de négociation. Sans cette main tendue à l'Allemagne depuis 2017, sans le discours de la Sorbonne, sans le conseil des ministres franco-allemand de Toulouse, nous n'aurions pas pu arriver à cette compréhension commune. C'est la victoire de la persévérance française pour une souveraineté européenne.

Le 27  mai, la Commission européenne a proposé un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) à la hauteur de l'enjeu existentiel auquel est confrontée l'Union. Il faut créer les conditions d'un accord qui tienne compte des besoins de chacun. La France détient une responsabilité particulière : la proposition franco-allemande nous oblige. Nous multiplions les échanges ; le président de la République est à La Haye, j'étais en Autriche et aux Pays-Bas, je serai la semaine prochaine en Suède et dans les pays baltes.

Il faut sortir d'une logique de bloc. Trop souvent, par facilité, on divise l'Europe en bloc : Nord contre Sud, Est contre Ouest. Or il y a des nuances, la réalité politique de l'Autriche n'est pas celle de la Suède. Chacun a ses besoins, ses attentes. Il n'y a pas de petits ou de grands pays, il faut un accord à l'unanimité.

Les premiers concernés par la crise sont les salariés, les entrepreneurs, ceux qui vont perdre leur emploi. Le marché intérieur nous a rendus interdépendants. C'est pourquoi je rencontre dans chaque pays les partenaires sociaux, les représentants d'entreprises qui souvent mènent ce combat en avant de leur Gouvernement.

C'est dans leur intérêt que nous devons agir.

Pour cela, nous devons convaincre, et faire passer quelques messages. L'urgence, d'abord. Nous avons une obligation de résultats, ce plan doit être opérationnel au 1er janvier 2021.

La crédibilité, ensuite. Le plan doit inclure une part significative de dotations budgétaires : 500 milliards d'euros, pas moins, ce qui correspond aux besoins en investissement calculés par la Commission européenne, secteur par secteur, pour protéger l'emploi et atteindre les objectifs en matière de transition écologique et numérique.

La solidarité, également. Si nous réduisions la relance à des prêts, nous alourdirions la charge pesant sur les pays les plus touchés. Il n'est pas question de mutualiser les dettes du passé mais d'investir ensemble dans les régions et les filières les plus touchées.

L'efficacité ensuite, car le plan de relance doit être cohérent avec les réformes et les plans de relance nationaux. Il faut articuler plan de relance et semestre européen, synchroniser nos réformes. Évitons une configuration de type troïka ; il en va de l'efficacité de l'action collective et de la confiance mutuelle. Nous voulons un plan condensé, consommé rapidement, en 2021 et 2022. Cela suppose de mobiliser tous les acteurs, y compris locaux, et de simplifier l'accès aux fonds européens.

La cohérence, enfin. Le plan de relance doit être un levier d'investissement en faveur d'une Europe plus forte, solidaire et souveraine, autour de la transition énergétique et numérique, de l'autonomie sanitaire, industrielle et agricole. N'opposons pas reconstruire et investir. Le budget européen doit être à la hauteur des enjeux de long terme - je pense notamment au premier pilier de la PAC, au fonds européen de la défense et à l'espace.

Nous devons renforcer les ressources propres de l'Union pour rendre son financement plus lisible et réduire le poids du remboursement de l'emprunt commun. Nous demandons la fin des rabais et, dès 2021, une contribution de type ETS sur le carbone, sur les plastiques, un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, sur le modèle de ce qu'a proposé le Sénat. Nous explorons également d'autres pistes, taxe numérique ou taxe sur les transactions financières.

Ce plan n'est pas fait en catimini, il n'est pas antidémocratique, bien au contraire. Vous aurez à vous prononcer sur les ressources propres. Le Parlement européen aura aussi un rôle crucial dans l'élaboration du plan de relance national.

J'ajoute qu'ont été abordées la question des négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit et celle des sanctions envers la Russie. Vous le voyez, l'Europe avance. Je sais pouvoir compter sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC, ainsi que sur le banc de la commission)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères .  - Je rends hommage à votre opiniâtreté, madame la ministre, dans un contexte difficile. Le Conseil européen n'a pas permis d'aboutir à un accord. Nous adhérons à la conception d'une Europe plus forte et plus souveraine, mais il y a loin des mots à la réalité.

L'Europe a une fois de plus fait l'étalage de ses divisions. Les discussions durent depuis mars, or le temps presse ! Après les annonces du mois dernier portant sur 750 milliards d'euros, la déception serait immense si les États membres échouaient à trouver un accord. La crédibilité de l'Union européenne est en jeu.

Le Président de la République est aux Pays-Bas pour convaincre l'un des « frugaux ». Quelles sont à votre avis les chances d'aboutir lors du prochain Conseil européen ?

Les travaux ont enfin démarré pour donner une boussole stratégique à l'Union ; mais quelle en sera la crédibilité, sans moyens ambitieux ?

Avec 9,5 milliards d'euros, dont 8 milliards pour le Fonds européen de la défense, la défense européenne ne bénéficie pas du plan de relance. Quel contresens stratégique ! Où sont les 17 milliards d'euros proposés par la Commission, il y a deux ans ?

Enfin, les négociations sur la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sont dans l'impasse. La conférence de haut niveau entre les dirigeants européens et Boris Johnson fait elle naître un espoir ? Le 2 novembre, nous fêterons les dix ans des accords de Lancaster House. J'appelle le Gouvernement à relancer la coopération franco-britannique en matière de défense. Le Sénat va s'y employer au plan parlementaire. Cette coopération doit rester l'un des moteurs de la construction d'une défense européenne, à laquelle le Royaume-Uni a vocation à participer. Nous doutons de la volonté d'aboutir de certains, même si nous espérons encore. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi que sur le banc de la commission)

M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances .  - En dépit des attentes élevées, les États membres n'ont pas progressé sur le CFP ni sur le plan de relance. La commission des finances a adopté une proposition de résolution européenne sur ce sujet, devenue hier résolution du Sénat, à l'initiative de Jean Bizet et Simon Sutour.

La proposition de la Commission européenne repose sur un CFP socle et un fonds de relance. Cela permet d'augmenter significativement la puissance de feu sans peser à court terme sur les contributions nationales et réconcilie plusieurs visions en associant subventions, pour 500 milliards d'euros, et prêts, pour 250 milliards d'euros. C'est une première forme de solidarité européenne.

Toutefois, la commission des finances n'a pas donné de satisfecit, tant les inquiétudes demeurent nombreuses.

Le temps presse : les négociations pour le CFP ont été ouvertes en 2018 avec pour objectif d'éviter les retards connus en 2014. Un accord en juillet est-il à portée de main ? Quelle continuité sinon ?

L'articulation avec les plans de relance nationaux est cruciale. Le calendrier de décaissement des crédits de paiement est inadéquat : le financement de la reprise doit intervenir dès le début du CPF. Quels secteurs bénéficieront en priorité du fonds européen ?

Quelles seront les modalités de remboursement de l'emprunt ? Nouvelles ressources propres ou hausse des contributions nationales, rien n'est acquis. Difficile, dès lors, de déterminer le taux de retour pour la France.

L'Union européenne sera-t-elle capable de se doter de nouvelles ressources propres d'ici 2028, eu égard aux réticences historiques d'États membres, notamment pour la taxe sur le numérique ou sur les grandes entreprises. En outre, certaines recettes baissent à mesure que les pratiques de consommation et de production évoluent, comme celles tirées de la taxe sur les déchets plastiques ou des quotas carbone.

La dernière inquiétude porte sur la progression de notre contribution nationale à compter de 2021, et plus encore, de 2028. Les propositions initiales de la Commission européenne se seraient traduites par un ressaut de 6,9 milliards d'euros par an. En l'absence de ressources propres, quelle sera la contribution de la France ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Le Conseil européen du 19 juin ouvre la voie à un tournant fondateur. Quoique sans résultat, il n'a donné lieu à aucune remise en cause de l'architecture de la proposition de la Commission européenne qui articule cadre financier pluriannuel révisé et instrument de relance temporaire.

Se confondent l'urgence de la crise et le temps long de la construction européenne. L'ampleur de la crise exige un plan de relance pour aujourd'hui, mais engage l'Union sur trente ans, horizon du remboursement de l'emprunt proposé.

On conçoit le défi qu'affrontent les chefs d'État et de gouvernement. Ce moment n'est pas hamiltonien -  il n'est pas question de reprendre les dettes des États membres dans un grand saut fédéral - mais il est historique : les 27 envisagent de s'endetter ensemble pour le bien de l'Union. Il appartiendra aux Parlements nationaux d'y consentir ou non.

L'essentiel est d'optimiser cet effort financier pour qu'il fortifie l'Union et lui garantisse une autonomie stratégique. Cela passe par la souveraineté agricole - en soutenant nos agriculteurs via la PAC et en accompagnant le verdissement des pratiques ; par la souveraineté industrielle, en relocalisant les chaînes de production stratégiques et en protégeant contre les investissements directs étrangers ; par la souveraineté spatiale, énergétique, aux frontières et en matière de défense. Tout ceci figure dans la résolution européenne que le Sénat a adoptée. L'effort budgétaire envisagé devra bien bénéficier à l'Union, ce qui suppose de moderniser la politique de concurrence et d'optimiser nos outils de protection contre la concurrence déloyale.

Les modalités de mise en oeuvre du plan de relance restent un sujet de discorde - prêts ou subventions ? - comme les modalités de remboursement de l'emprunt, qui impliquent de nouvelles ressources propres. Comment s'accorder sur un budget sans savoir comment il sera financé ? On peut comprendre la frilosité des pays dits frugaux, même si des considérations de politique intérieure peuvent expliquer certaines postures. Aux Pays-Bas comme en Autriche, pensez-vous pouvoir vaincre les réticences ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE)

Mme Mireille Jouve .  - Le Covid impacte durement l'économie du continent : une récession attendue de 8,7 % pour la zone euro, une baisse des exportations entre 9 % et 15 %, des millions d'emplois menacés - la pire crise en temps de paix.

La solidarité est, en théorie, au coeur de la construction européenne. Doit-on rappeler aux pays frugaux l'article 3 du Traité sur l'Union européenne, selon lequel : « L'Union européenne promeut la cohésion économique, sociale et territoriale et la solidarité entre les États membres » ?

Ambitieuses, les propositions de la Commission européenne suscitent des crispations. Nous sommes sur la voie d'une dette européenne mutualisée. Le groupe RDSE salue cette avancée. L'heure n'est plus aux tergiversations. Plus vite le paquet sera adopté, mieux ce sera, a estimé la présidente de la BCE.

La répartition entre subventions et prêts préoccupe les pays dits frugaux. Il faut malgré tout soutenir la proposition franco-allemande de 500 milliards d'euros sous forme de subventions ; ajouter des prêts aux prêts ne ferait que surendetter les pays les plus exposés à la crise. Les frugaux mettront dans la balance la conditionnalité des aides et le maintien des rabais. Si c'est le prix d'un accord rapide, soit.

Quelle est la marge de manoeuvre sur le prochain CFP, auquel est adossé l'instrument de relance ? Les 1 100 milliards d'euros proposés sont déjà le fruit d'un compromis ; difficile de les raboter encore.

L'agriculture comme la défense sont les parents pauvres de ce budget : malgré une augmentation de 20 milliards d'euros pour la PAC et le développement rural, nous restons en deçà du CFP en cours, alors que la viticulture ou l'horticulture sont à la peine. Avec 8 milliards d'euros, le Fonds européen de défense est sacrifié sur l'autel des économies.

Enfin, l'épidémie a imposé comme priorité l'ébauche d'une Europe de la santé. Je salue les 9,4 milliards d'euros engagés en faveur de ce secteur, en espérant que cela réduira notre dépendance à l'Asie pour le matériel médical et les médicaments.

Tous ces engagements, avec la transition verte en toile de fond, nécessiteront de nouvelles recettes propres si l'on ne veut pas alourdir les contributions nationales. Il faut aboutir rapidement sur ce point.

La commission des budgets du Parlement européen l'a encore demandé. La taxe sur le numérique avance, mais ne rapporterait que 5 milliards d'euros, comme celle sur les déchets plastiques. Un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières est aussi attendu.

Il est fondamental de protéger les marchés européens. Le mécanisme de filtrage des investissements émergera-t-il avant la fin de l'année ? La stratégie de l'Union face à la Chine peine à se concrétiser...

Robert Schuman disait : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ». À l'aube d'une crise inédite, l'Union européenne a plus que jamais besoin d'unité et de solidarité. J'espère que les États membres seront au rendez-vous de ces deux principes fondateurs du pacte européen. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission)

M. André Gattolin .  - La vie en distanciel n'est pas la vie en présentiel. Difficile de faire une campagne électorale de proximité, de tenir une réunion de commission dynamique en visioconférence, de garder toute son attention lors de marathons virtuels.

Finis la spontanéité des échanges, les apartés informels qui permettent d'esquisser un rapprochement. Ce « cadre particulier de l'expérience », comme disait le sociologue Erwing Goffman, n'est pas propice à une relation interactionnelle et authentiquement dialogique. Que signifie un silence médiaté par les nouvelles technologies : approbation, désaccord, ou simple problème de connexion ?

Cette délicate expérience, c'est celle qu'on put vivre des chefs d'État et de Gouvernement lors du sommet virtuel de vendredi dernier.

Les maigres résultats ne sauraient toutefois être uniquement imputés à la technologie employée. Les négociations sur le prochain CFP durent depuis deux ans ; la majeure partie s'est faite en présentiel.

Ce Conseil européen ne pouvait être qu'un tour de chauffe, l'occasion pour les dirigeants des 27 de donner leur avis sur cet audacieux projet de paquet budgétaire.

Au-delà de cet étrange sommet « pour voir », les diplomaties n'ont pas chômé. C'est déjà un point positif. La France et l'Allemagne ont présenté une position commune, la Commission l'a faite sienne, une majorité d'États membres s'y est ralliée : c'est un petit miracle. Le groupe de Visegrad n'est plus opposé à un processus d'approfondissement et de renforcement de l'Union européenne : c'est un exploit !

L'Allemagne prendra la présidence du Conseil en juillet prochain et sera donc à la manoeuvre lors des négociations finales. Son annonce d'une réunion unique fin juillet réduit le risque de procrastination de certains États membres !

Les grands accords se sont toujours faits sous l'égide de l'un des grands pays européens.

Pourtant, des points de tension demeurent. Les pays dits frugaux refusent de faire appel à l'impôt européen pour financer le plan, ils insistent pour imposer aux bénéficiaires des conditions strictes de réformes structurelles. La question des ressources propres est la clé de voûte d'un accord, car sans elles, le remboursement de la dette sera à la charge des contributeurs nets du budget européens. Or les décisions sur les ressources, adoptées en fin de cadre pluriannuel, passent par l'unanimité du Conseil et la ratification par le Parlement européen et les parlements nationaux.

La Suède et le Danemark pourraient néanmoins être plus conciliants que l'Autriche et les Pays-Bas. Pour la première, l'Allemagne pourrait trouver les mots justes.

Aux Pays-Bas, l'euroscepticisme est puissant et le Premier ministre Mark Rutte est à la tête d'une coalition hétérogène qui ne dispose que d'une majorité d'un siège dans la deuxième chambre des États généraux. Un grand journal du soir donne toutefois de bonnes nouvelles : le déplacement du Président de la République français à La Haye n'est sans doute pas étranger à une évolution soudaine et il pourrait y avoir des concessions réciproques.

Madame la ministre, vous êtes indubitablement combative, mais êtes-vous indubitablement optimiste : pensez-vous qu'un accord sera obtenu avant la fin du mois prochain ? Quelles concessions seront nécessaires... et acceptables ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées UC)

M. Pierre Laurent .  - Les résultats du Conseil sont loin de correspondre aux élans d'enthousiasme exprimés ici et là. Étape historique pour l'Union européenne ? Certes, l'ampleur de la crise impose aux États, au Conseil et à la BCE une réaction inédite, faisant voler en éclats des tabous budgétaires et monétaires jugés indépassables il y a peu encore.

Mais engluée dans ses dogmes, l'Union européenne est toujours aussi divisée, aussi incapable de se projeter dans un modèle solidaire, garantissant la sécurité humaine et la protection de la planète.

Aucun accord n'a été trouvé au Conseil européen. Nous aurons cet été un marathon de négociations, avec des compromis successifs... Quel sera le point d'arrivée ?

L'addition du CFP et du plan de relance masque les évolutions structurelles du cadre pluriannuel ; globalement, c'est un recul, sur la PAC, sur les fonds de cohésion. Le plan de relance ferait plus que compenser les baisses de ces budgets. Mais le maquis des procédures pour accéder aux nouvelles lignes peut en faire douter.

Quelles que soient les déclarations ronflantes, on voit l'écart entre ce plan de relance et les besoins. Le président Macron a affirmé que 500 milliards d'euros étaient déjà engagés. Or il est ici question de 750 milliards... pour toute l'Union européenne.

Les mécanismes mis en oeuvre restent dépendants de la dette. Le problème du remboursement est devant nous. Si Angela Merkel a cédé sur la mutualisation de la dette, elle n'a rien lâché sur une conditionnalité qui a pourtant mis à bas la santé publique et la recherche des pays qui ont dû s'y plier. Il serait temps de parler d'effacement progressif de la dette et de révision des politiques monétaires de la BCE !

Qui maîtrisera les critères de distribution de ces fonds ? Nous imposera-t-on leur destination selon des critères d'avant crise ?

L'enveloppe pour la santé est modeste : 9,4 milliards d'euros pour le fonds santé, sur la période, soit moins que les besoins de la seule France durant la crise ! Comment développera-t-on les investissements publics dans l'énergie, les transports, le logement ?

Et quels critères d'aides pour les entreprises ? L'exemple scandaleux de Nokia ne plaide pas pour des aides seulement déterminées par la compétitivité. Ce groupe naguère présenté comme la solution européenne au défi de la 5G, gavé d'exonérations sociales et fiscales, vient d'annoncer la destruction de 1 000 emplois sur la R&D. Sera-t-il bénéficiaire du plan de relance ? Conditionnalité drastique des dépenses publiques, inconditionnalité pour les grands groupes qui mangent aux deux râteliers, les aides publiques et l'évasion fiscale...

L'enjeu est de choisir entre le modèle compétitif du monde d'avant ou un modèle solidaire. J'ai l'impression, hélas que tout cela est très mal parti. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Rémi Féraud applaudit également.)

Mme Colette Mélot .  - J'ai fait le rêve qu'aujourd'hui je prononçais ces mots : « Enfin, nous avons trouvé une solution au sein de l'Union européenne. C'est une victoire des peuples et du destin européens. Nous avons fait le choix de sortir vite et ensemble de la crise, et l'Histoire jugera à sa juste valeur cet accomplissement. Nous nous sommes mis d'accord sur un budget européen puissant, finançant équitablement les politiques historiques et les nouvelles priorités. Les citoyens européens auront ainsi accès à une alimentation de qualité, nous créerons ensemble un tissu industriel innovant, nous agirons pour notre protection commune, nous bénéficierons enfin d'un numérique simple et encadré et nous réduirons notre impact sur la planète. »

Madame la ministre, comme j'aurais aimé tenir ce discours ce soir. Bien sûr, nous savions tous que le Conseil européen n'aurait pas de résultat.

Je souhaite toutefois murmurer mon rêve d'Europe. Le Conseil européen laisse espérer une issue favorable en juillet. Devoir surmonter des difficultés... c'est le quotidien des Européens !

Le groupe Les Indépendants soutient un plan de relance juste et solidaire, grâce à des ressources propres assises sur la taxation du numérique, du plastique et du carbone.

Le temps presse néanmoins pour que l'accord soit applicable dès le début de l'année prochaine. Des questions subsistent : mutualisation de la dette, subventions, répartition, rabais, ressources propres. Nous comprenons les résistances et appelons à dépasser certaines d'entre elles. Personne ne devra rester en arrière, personne ne pourra sortir grandi de cette crise seul.

Nous avons besoin d'une Europe forte, souveraine, juste et prospère, pour que les Européens puissent vivre ensemble. Je connais votre engagement, madame la ministre, et souhaite une réussite européenne.

Dans cette négociation, quelles sont les lignes rouges pour la France ? Selon les Pays-Bas et la Suède, un accord avant l'été n'est pas probable ni forcément souhaitable. Quelles sont les chances de ratification ?

Nous avons pris acte de la volonté de Boris Johnson d'évacuer le sujet du Brexit pour la fin de l'année. Je salue l'action de Michel Barnier et de ses équipes. Un accord a minima comme un no deal ne sont pas envisageables. Il faut un accord sur la pêche, sur la libre concurrence, sur la situation des citoyens et des entreprises européennes et britanniques.

Nous devons faire de cette séparation une force de coopération et de lutte conjointe pour nos valeurs communes. Le Royaume-Uni reste notre ami et notre allié. Tissons de nouveaux liens. Les relations avec le Royaume-Uni sont essentielles. Quelles actions sont engagées dans les prochains mois sur ce dossier ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM)

M. Claude Kern .  - Le dernier Conseil européen étudiait la proposition de relance économique présenté par la Commission européenne. Il n'a pas abouti à un accord, mais il a montré que le dialogue est possible.

Le maintien d'un dialogue constructif est essentiel sur le fond comme sur la forme. Comme l'a dit le Président de la République, il serait catastrophique de présenter au coeur de la crise l'image d'une Europe désunie, voire en conflit.

La fracture Nord-Sud est la plus importante. Les pays du Nord, frugaux en tête, campent sur la position d'un CFP limité à 1 % maximum du PIB de l'Union européenne. Au contraire, les pays du Sud, dont la France et l'Italie au premier chef, plaident pour une politique de solidarité au bénéfice de l'ensemble du continent.

La position commune de Berlin et Paris est un événement, elle fait bouger les lignes et ouvre la voie à un accord. Pour l'Alsacien et l'Européen que je suis, c'est une excellente nouvelle de retrouver un couple franco-allemand ambitieux !

Il nous appartient de convaincre nos 25 partenaires du bien-fondé de la proposition de la Commission européenne. Nous espérons un prochain accord, pour nos entreprises et pour nos territoires. Mais nous serons attentifs à ce que le CFP ne délaisse pas les politiques traditionnelles, comme la PAC. Les agriculteurs ont montré leur rôle essentiel durant cette crise ; il n'y a pas eu de pénuries malgré le confinement. Je salue leur engagement.

L'Europe doit sortir plus forte de la crise. La France est dans un moment crucial. Gageons que ses propositions seront entendues à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM)

Mme Laurence Harribey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Pour certains, tout est merveilleux ; pour d'autres, rien n'a changé. Quant à moi, loin de tout manichéisme, sans être eurobéate ni eurosceptique, je suis euroréaliste.

Nous saluons la proposition de la Commission, dans la lignée du plan franco-allemand, même si elle est en deçà des besoins.

Elle est, reconnaissons-le, innovante dans sa conception et ses modalités. Elle comprend non seulement des prêts mais des subventions, à hauteur des deux tiers. Ce serait une première expérience significative de mutualisation de la dette ; elle ouvrirait la voie à de nouvelles ressources propres, sujet trop longtemps négligé dans les négociations budgétaires européennes.

Ce plan marque donc un pas qualitatif dans l'approche budgétaire. Il entérine le principe de solidarité financière européenne et il acte la nécessaire cohésion sociale et la lutte contre les inégalités. La relance européenne, appuyée sur le pacte vert et le numérique, doit selon nous s'accompagner d'un projet social et inclusif.

Trois éléments sont intéressants : le régime européen de réassurance chômage (Support to mitigate Unemployment Roistas in an Emergency), le fait de viser des salaires minimum équitables et une transparence salariale, et l'intensification de la lutte contre l'évasion fiscale, qui produira des recettes supplémentaires.

Reste les points de vigilance : le Conseil européen est-il réellement capable de faire jouer la solidarité européenne ? Nous avons apprécié votre pugnacité éclairée, madame la ministre ; nous nous en réjouissons, car les négociations se font dans la durée.

La Commission, selon les États frugaux, pourrait recourir à l'emprunt, cependant ils sont réticents à ce que ce soit non pour des États, mais pour la communauté.

Deuxième alerte, la condition de réformes structurelles mise à l'accès au fonds. Certains sont enchaînés au dogme de la dette alors que le pacte de stabilité a été suspendu.

Attention, enfin, aux incantations sur la souveraineté industrielle, nationale ou européenne.

Nous souscrivons à la réforme de la PAC, mais qu'est-ce qu'une « autonomie stratégique ouverte » ? C'est une injonction contradictoire...

Je rejoins à ce titre l'obsession du président Bizet sur la section 232 et sur l'articulation entre politique de concurrence et politique commerciale.

La souveraineté technologique a fait irruption dans le débat. La pandémie a fait voler en éclat la distinction public-privé.

Et la France a choisi un chemin bien solitaire avec sa solution de tracking.

Pour la souveraineté alimentaire, un nouveau modèle agricole est affirmé, le Feader est renforcé, au bénéfice de la mutation écologique du milieu rural, mais le soutien aux mutations n'est guère visible au sein du cadre financier pluriannuel.

La refonte d'une politique industrielle et de recherche est nécessaire. Nous avons auditionné la Commissaire de la concurrence ; il y a une ambiguïté, une hésitation entre l'attrait d'un nouveau modèle et le retour à une politique des années cinquante. Notre interlocutrice n'a pas pu nous dire, en matière de santé, si le patient est un consommateur ou quelque chose d'autre...

Il faudra rester vigilant sur la territorialisation de la politique industrielle, car l'innovation vient des territoires.

Toutes les crises ont fait avancer l'Europe. La politique régionale et les fonds structurels sont dus aux Britanniques, qui les avaient obtenus dans les années soixante-dix en échange de la PAC. La politique sociale a été apportée par les pays nordiques. Chaque crise a produit des changements, mais cette crise économique est plus grave que jamais.

Nous vous demandons de reprendre à votre compte les points de vigilance que je vous ai exposés. Conservez cette pugnacité éclairée, et mettez un peu d'humanité dans la position française. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Pascal Allizard .  - La crise sanitaire a pris l'Europe de court. Il faudra retenir certaines leçons, sinon le plan de relance ne fera que prolonger artificiellement la vie du malade européen.

L'Union européenne n'est pas une bulle prospère protégée du monde ; elle est interdépendante des crises du monde. Nous ne vivons pas dans le monde des bisounours, comme dirait Hubert Védrine. Les frontières sont perméables, il ne faut pas tergiverser pour les fermer lorsque nécessaire. La probabilité d'évènements graves sera plus récurrente dans l'avenir. La résurgence de l'épidémie en Chine doit nous alerter.

Intégrons le durcissement des relations internationales, y compris avec nos alliés extra-communautaires. La relance massive de l'Union européenne doit s'accompagner d'un changement d'état d'esprit. Les autres États privilégient leurs entreprises et leurs citoyens. L'Union européenne, elle, promeut encore l'ouverture.

Pourtant, le partenariat transatlantique, les accords avec Mercosur, la Nouvelle-Zélande, l'Australie ont fini par susciter l'inquiétude. Il ne faut pas que l'accord franco-allemand bénéficie aux seuls grands groupes industriels allemands. Protégeons les entreprises françaises contre la prédation étrangère. Ne nous enfermons pas dans une alternative entre les éoliennes chinoises et allemandes ! Il faut investir dans la santé et limiter notre dépendance par rapport à la Chine, sur les molécules ou les équipements sanitaires.

Avec les États-Unis, l'économie de la défense, pendant cette pandémie, n'a pas arrêté de fonctionner, elle a continué à bénéficier de budgets importants. Pendant ce temps, que d'atermoiements sur le budget de la défense en Europe...

M. Christian Cambon.  - Oui !

M. Jean Bizet, président de la commission.  - C'est vrai !

M. Pascal Allizard.  - Résultat, la défiance augmente à l'égard de l'Europe. Pourtant nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'échouer ; ce serait déplorable et dangereux. L'Europe n'est pas parfaite, mais elle doit être adaptée aux nouveaux paradigmes ; c'est aux États qu'il revient de la définir, non pas aux hauts-fonctionnaires de Bruxelles. Si la crise peut conduire à un progrès, c'est sans doute celui-là. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

M. Jean-François Longeot .  - Le sommet a donné lieu à des réactions ambivalentes : première étape ou échec ? La réalité est entre les deux...

C'est le retour d'un couple franco-allemand à l'initiative, pour faire pièce aux lignes de fractures apparues en mars dernier entre le Nord et le Sud de l'Europe.

Si le plan de relance est loin de faire l'unanimité, il témoigne d'une avancée majeure : une dette mutualisée, pour répondre à une crise qui n'est imputable à personne mais affecte tout le monde, marque une souveraineté commune et casse la logique des blocs.

Je partage la position du Parlement européen : de nouvelles ressources fiscales propres à l'Union permettraient de ne pas faire peser le financement des mesures sur les contributions nationales. Des pistes existent, telle la taxe sur le numérique ou celle sur les transactions financières, soutenue par le Sénat depuis 2013.

Le maintien des rabais sera-t-il une solution, pour aboutir à un accord avant la fin de l'année ?

Pendant la crise, l'Union européenne a choisi de se mettre en retrait par la suspension des règles budgétaires, le rétablissement des frontières, la restriction des libertés.

Les États ont ainsi retrouvé leur souveraineté pour réagir face à la crise économique. Investissons au niveau européen une souveraineté nouvelle, industrielle et stratégique. Alors que les États-Unis et la Chine veulent un accord bilatéral sur les investissements, quelle est votre position ? (Applaudissements à droite et sur le banc de la commission)

Mme Pascale Gruny .  - Les chefs d'État et de Gouvernement étaient réunis pour sortir le vieux continent d'une récession historique. Comme prévu, des divergences profondes ont été mises au jour, sur le montant des aides, leur nature, leur répartition.

Sur le CFP non plus, ils n'ont pas beaucoup avancé. Les frugaux veulent garder leurs rabais tandis que les autres un budget plus important.

Nous saluons l'abondement de 4 milliards d'euros du premier pilier de la PAC, de 5 milliards d'euros du deuxième pilier, auxquels s'ajoutent 15 milliards d'euros du plan de relance. Mais cela ne compense pas la diminution de 8 % à 10 % du budget de la PAC en euros constants. On n'a toujours pas pris conscience de l'importance stratégique de notre agriculture européenne, qui a pourtant nourri 500 millions de personnes pendant la crise...

La Commission veut baisser de 10 % la surface agricole utile (SAU) ; c'est incompréhensible.

Le nouveau programme de santé « EU4Health », doté de 7,5 milliards d'euros, est à saluer, tout comme la concentration des dépenses sur une période courte, entre 2021-2024 est à saluer. Mais quelle est la capacité de mise en oeuvre ? Évitons une complexité source de sous-consommation...

Enfin, la question des ressources propres de l'Union est un sujet majeur. La Commission souhaite les développer pour soulager les budgets nationaux et rendre le budget européen moins dépendant des contributions des États membres. Mais elle doit encore clarifier ses propositions et ne pas ajouter à l'overdose fiscale qui touche beaucoup de pays européens, à commencer par la France.

L'Europe doit s'atteler rapidement au projet de barrière écologique à ses frontières, comme l'a réclamé le Sénat dans une récente résolution. En taxant les produits provenant de pays qui s'affranchissent de toute réglementation environnementale, nous renforcerons la compétitivité de nos entreprises et de nos agriculteurs, soumis à des normes beaucoup plus exigeantes que leurs partenaires commerciaux.

En juillet, les chefs d'État et de Gouvernement se réuniront pour trouver un accord. Un échec aggraverait les tendances nationalistes, les tensions sociales et les problèmes économiques. Il est donc nécessaire de réussir sous peine de discréditer le projet européen. L'Europe traverse depuis dix ans une succession de crises économiques, sécuritaires, migratoires et sanitaires. Nos pays étant interdépendants, chacun doit prendre conscience que la bonne santé économique de tous est dans l'intérêt de chacun. Le prochain Conseil européen devra incarner la nécessaire solidarité de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cyril Pellevat .  - Voilà près de 70 ans que l'intégration européenne se poursuit, mais non sans crises. Mais l'Union a jusqu'ici réussi à les dépasser.

Le Covid provoque une crise majeure qui appelle une réponse forte et coordonnée. Cette collaboration a permis de faire de l'Union la deuxième puissance économique mondiale, et il faut tout mettre en oeuvre pour la maintenir à ce niveau, pour le bien de l'Union comme de la France. Le respect des valeurs démocratiques, de l'entraide et de la solidarité, sera essentiel : il n'est pas possible de s'en sortir sans compter sur nos partenaires européens.

Aussi, la proposition de la Commission d'un plan de relance de 750 milliards d'euros reflète les principes sur lesquels l'Union est bâtie.

Des divergences se font pourtant sentir. Les pays frugaux préféreraient des prêts ou des subventions conditionnées à des réformes, comme ce fut le cas lors de la crise des dettes souveraines. Émettre uniquement des prêts ne me semble cependant pas envisageable.

Assortir la distribution des subventions de conditions relatives au respect des priorités de la Commission, qu'il s'agisse du numérique, de l'écologie ou de l'amélioration de la compétitivité économique, rappelle cependant de mauvais souvenirs aux pays ayant dû par le passé se plier à de nombreuses exigences afin d'obtenir des prêts.

Aucune proposition ne pourra pleinement satisfaire tous les États membres. Mais il faut arriver à un résultat si nous voulons garder la confiance des marchés financiers et éviter un rejet massif du modèle européen par nos concitoyens.

Le plan de relance américain est trois fois plus important que le nôtre. Si nous ne parvenons pas rapidement à un accord, de grands groupes américains pourraient alors en profiter pour acquérir de larges parts de marché en Europe.

Nous pourrions consentir à des conditionnalités pour les subventions moins lourdes que par le passé. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

J'en viens à la défense. Seize projets de défense viennent d'être retenus par l'Union européenne, dont trois projets consacrés aux technologies de rupture.

La défense bénéficiera de 205 millions d'euros. Mais le fonds européen pour la défense apparaît toujours comme une variable d'ajustement. En février, avec ma collègue Gisèle Jourda, nous avions proposé une résolution européenne qui soulignait la nécessité de doter ce fonds à la hauteur initialement prévue. La nouvelle proposition présentée par la Commission est à cet égard décevante. Pensez-vous qu'on puisse espérer mieux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État .  - Il y a quelque chose d'étrange dans ce débat. À droite ou à gauche, chacun a oscillé entre déception et pessimisme. Certains ont parlé à notre égard de pugnacité, avec raison. Il en fallait, de la persévérance et du courage pour convaincre la chancelière, la Commission, une majorité d'États membres, le Parlement européen pour parvenir à ce plan de relance ambitieux et solidaire. Trois mois après le début d'une crise inédite, le chemin parcouru est immense : il y a quelque temps, l'acceptation du principe de l'endettement en commun n'était même pas sur la table.

L'Europe n'a jamais avancé aussi vite, même si c'est encore trop lentement.

Vous parlez de défiance des Français à l'égard de l'Union européenne. Le remède, c'est la clarté. Or, à droite, j'observe François-Xavier Bellamy et Geoffroy Didier dire qu'ils ont beaucoup de doutes, qu'ils craignent l'arrivée de fédéralisme. Oui ou non, la délégation PPE française au Parlement européen soutient-elle le plan de relance ?

Oui ou non, soutiendrez-vous l'idée de s'endetter en commun pour aider l'Italie ou l'Espagne ?

À gauche, j'entends que ce n'est pas assez et surtout que le plan ne doit bénéficier qu'à certaines entreprises ou à certains secteurs. Mais estimez-vous que c'est une bonne mesure ? Pouvez-vous concéder que 500 milliards d'euros, c'est déjà beaucoup ?

Sans parler de vous individuellement, je crois que dans vos familles politiques, la clarté est nécessaire.

Aux Pays-Bas et en Autriche, le débat sur le fonds européen est hautement politique : certains ne sont pas prêts à adosser leur souveraineté sur une souveraineté européenne.

Vous le voyez, le Président de la République, le Gouvernement et moi-même sommes à la bataille. J'ai besoin de vous, que vous nous aidiez à aider les Français.

Monsieur le sénateur Rapin, des discussions bilatérales sont menées par Charles Michel pour préparer la rencontre du 17 et 18 juillet ; la France, l'Italie, l'Allemagne se consultent sans cesse pour comprendre, entre autres, les attentes de leurs Parlements nationaux. La chancelière, prenant la présidence tournante le 1er juillet, aura un rôle d'entraînement très fort.

Vous voterez les ressources propres d'ici la fin de l'année. Au 1er janvier 2021, nous aurons à la fois le plan de relance et le budget 2021-2027. Y aura-t-il un plan de contingence s'il n'y a pas d'accord ? Plus personne en Europe ne croît qu'on peut se payer le luxe d'avoir un budget transitoire.

Espérant que nous aurons ce plan européen en octobre, les plans de relance nationaux pourront être établis afin qu'en janvier 2021, l'ensemble de la machine se mette en marche. Nous paierons les intérêts de l'emprunt jusqu'en 2027 : 20 milliards d'euros pour un plan de 500 milliards d'euros. L'argent en ce moment ne coûte pas bien cher. À partir de 2028, on remboursera le principal grâce aux ressources propres, aux rabais, à la TVA...

Monsieur le président Cambon, nous sommes passés de 13 à 6, puis à 7, puis à 9 milliards d'euros pour le fonds européen de défense. Si nous avons fait remonter ces chiffres, c'est que nous nous sommes mobilisés et entendus.

Je suis d'accord : la défense ne peut pas être une variable d'ajustement.

Le Président est allé à Londres pour le 18 juin. Notre relation bilatérale peut se développer. L'idée est d'organiser un sommet bilatéral pour mettre Lancaster House à jour.

Vous m'avez demandé, président Bizet, ce que je retenais de mes voyages en Autriche et au Pays-Bas. Le sujet du plan de relance y est hautement politique, comme je l'ai dit. Dans ces deux pays, les représentants des salariés et des entreprises soutiennent ce plan. Les forces politiques ne sont pas dans une logique de juste retour, mais elles craignent que leur contribution nette ne devienne vertigineuse. Ils s'intéressent donc de près aux ressources propres : taxe numérique et taxe carbone aux frontières.

L'excédent commercial des Pays-Bas vers l'Italie, c'est 12 milliards d'euros ! C'est beaucoup plus que la contribution qu'ils pourraient consentir au plan de relance.

Vous m'avez interrogé sur les outils de protection à l'égard de la concurrence. Le livre blanc publié la semaine dernière par Thierry Breton et Mme Verstagen fait le point sur la protection des actifs stratégiques : marchés publics, prises de participation dans les entreprises, y compris dans les grosses PME, contrôle des subventions dans les pays hors de l'Union.

Nous devons en effet nous montrer vigilants sur les aides d'État, non plus seulement sur les entreprises européennes, mais aussi sur les entreprises étrangères. Cette crise nous a ouvert les yeux sur nos fragilités.

Mme Jouve m'a demandé si le plan Santé européen allait réduire notre dépendance à l'égard de l'Asie ? Oui, il faut faire à l'échelon européen ce qui y et pertinent - on ne gérera pas les hôpitaux depuis Bruxelles.

M. Gattolin m'a interrogé sur les concessions. Je ne veux pas proposer de réduire, mais d'ajouter des garanties pour convaincre les réticents. Que peut-on dire aux Néerlandais pour les assurer que les 500 milliards d'euros ne sont pas un cadeau mais un investissement ?

Monsieur Laurent, nous ne sommes pas là pour recréer des troïkas ou des diktats. L'architecture de ce plan est originale. Chaque pays choisira ce qu'il veut financer avec les aides européennes.

En France, cela pourra être le secteur hospitalier, ailleurs, la reconstruction du secteur du tourisme. Ce n'est pas de Bruxelles que partiront les injonctions.

M. Pierre Laurent.  - Et le semestre européen ?

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Nous faisons les réformes pour nous-mêmes. Mais il est intéressant de réfléchir à un cadre commun pour avancer.

Madame Mélot, nous ne cherchons pas un accord a minima pour le Brexit. Dans certains secteurs, comme la pêche, il s'agit de plus de la moitié des emplois.

Nos objectifs sont la préservation des droits coutumiers de pêche, la gestion en commun pour protéger les ressources, la prévisibilité : on ne peut tous les six mois changer de politique.

Nous étudions ce que les Britanniques appellent l'attachement au zonal. Nous leur rappelons que 70 % du poisson pêché dans les eaux britanniques est vendu sur le continent. S'il n'y a pas d'accord, les perdants risquent de ne pas être ceux qu'on pensait.

M. Jean-François Rapin.  - Et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) ?

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Ce fonds dispose d'un budget de base, et de fonds de contingence pour parer à toutes les éventualités.

La PAC n'est pas has been, monsieur Kern ; les instances européennes en ont pris conscience.

Mme Harribey, nous n'avons pas oublié l'humanité. Si ce plan s'appelle « nouvelle génération », c'est qu'il se préoccupe notamment des jeunes qui arriveront dans un monde du travail avec un chômage en hausse. J'ai bien noté votre attachement à une territorialisation.

Monsieur Allizard, je crois que les Français ont vécu durement pendant la crise ce que signifient des frontières fermées, combien leur ouverture apportait des richesses. Je n'ai pas bien compris ce que vous prôniez avec la fermeture des frontières en Europe.

M. Pascal Allizard.  - Je parlais des frontières extérieures.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Je comprends mieux. J'en profite d'ailleurs pour remercier les Allemands qui ont accueilli des malades français chez eux.

Monsieur Longeot, le sommet prévu entre l'Union européenne et la Chine à Leipzig qui devait se tenir en septembre a été repoussé. La réciprocité doit être respectée ainsi que l'environnement et la biodiversité - la Chine accueillera la COP -, la santé pour une action multilatérale et les droits de l'homme. Nous réaffirmons notre préoccupation quant à la situation au Xinjiang.

Je vous remercie de ce débat. Nous avons besoin d'avoir une classe politique qui sache se situer. L'Union européenne bénéficiera de ce débat clarifié. (MM. Jean Bizet, président de la commission, et André Gattolin applaudissent.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Merci pour la qualité de ces échanges. Je partage votre analyse sur les progrès accomplis ces derniers mois. Nous sommes tous impatients. L'Union européenne a hâte de passer ce cap de l'après du Covid-19. Nous redoutons la crise sociale qui pourrait découler de la crise économique.

Le couple franco-allemand - dont nous commencions à douter - a pris la mesure de la crise. L'Allemagne a pris le pari de la solidarité avec les États les plus vulnérables et elle s'emploie désormais à convaincre les États du Nord de la nécessité d'un plan de relance. L'Allemagne est courageuse, car elle abandonne aussi ses revendications sur les rabais, avec le départ de nos amis britanniques. Nous le devons beaucoup à Angela Merkel, qui a eu le courage de s'opposer devant le Bundestag à la décision du 5 mai du tribunal constitutionnel de Karlsruhe qui remettait en cause la primauté du droit de l'Union et la légalité de la politique monétaire menée par la BCE.

L'Allemagne s'apprête à prendre la tête du Conseil de l'Union. Elle entend porter le plan de relance et à l'appui de cette motivation, il y a sans doute une double motivation : l'esprit de responsabilité à l'égard de la construction européenne et son intérêt bien compris : sa santé économique dépend de celle de ses clients et fournisseurs. Mais pour combien de temps ? À quinze mois des élections outre-Rhin, aucun successeur évident de la Chancellerie ne s'inscrit dans cet avenir du couple franco-allemand.

La rencontre entre les présidents du Conseil et de la Commission et Boris Johnson n'a pas été fructueuse. Londres refuse d'étendre la période de transition. Nous butons sur la concurrence équitable, la pêche, la gouvernance future de l'accord et la coopération judiciaire.

Nous recevrons Michel Barnier la semaine prochaine dont je salue la pugnacité, même si nous constatons une certaine lassitude bien compréhensible. Espérons que les Britanniques reviendront sur leurs positions, sinon nous reviendrons aux règles de l'OMC autorisant des barrières tarifaires en cas de contingentements non tarifaires non justifiés.

Merci madame la ministre pour votre pugnacité éclairée. Malgré nos divergences, nous saurons appuyer la politique européenne du Gouvernement.

M. Christian Cambon.  - Tout à fait !

Prochaine séance demain, mercredi 24 juin 2020, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mercredi 24 juin 2020

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président Secrétaires de séance : Mmes Jacky Deromedi et Annie Guillemot

1. Questions d'actualité au Gouvernement

De 16 h 30 à 20 h 30

Présidence : M. David Assouline, vice-président

2. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à encourager le développement de l'assurance récolte

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d'indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (texte de la commission, n°520, 2019-2020)

À 21 h 30

Présidence : M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

4. Débat sur le thème : « Quelle réponse de la France au projet d'annexion de la vallée du Jourdain par l'État d'Israël ? » (demande du groupe CRCE)