SÉANCE
du mercredi 5 février 2020
56e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Françoise Gatel, M. Michel Raison.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. J'appelle chacun à respecter son temps de parole et la courtoisie mutuelle.
Situation financière des communes d'outre-mer
M. Georges Patient . - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Yvon Collin applaudit également.) Les finances des communes des cinq départements et régions d'outre-mer sont dans le rouge : sur 129 communes, elles sont 46 à voir leurs délais de paiement dépasser trente jours, 84 sont inscrites au réseau d'alerte des finances locales, 26 font l'objet d'un plan de redressement, 24 ont vu leur budget arrêté par le préfet en 2018. Tout l'inverse de l'Hexagone, où les collectivités locales connaissent une embellie.
Votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, a su réagir. Le député M. Cazeneuve et moi-même, à qui vous aviez confié une mission, avons remis un rapport où figurent 46 recommandations. Un rattrapage du niveau des dotations de péréquation a été inscrit dans la loi de finances pour 2020, une dynamique d'ajustement des recettes a été enclenchée.
Mais pour parvenir à un véritable assainissement, il faut mettre en application les autres recommandations, notamment sur la gestion des communes et leur accompagnement, car certaines ne pourront redresser leur situation financière sans soutien extérieur.
Y aura-t-il un vrai service après-vente à la suite de ce rapport ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales . - Oui, la situation est grave. Votre rapport a établi un diagnostic cru, mais il a également proposé des mesures opérationnelles.
Le Gouvernement a présenté - et le Sénat a adopté à l'unanimité - un rattrapage de 85 millions d'euros sur cinq ans, dont 18 millions d'euros cette année.
Deuxième réponse, l'accompagnement en matière d'ingénierie financière : une cellule sera créée, associant à Paris les directions générales de l'outre-mer, des collectivités territoriales et des finances publiques.
Mais les dépenses de fonctionnement - et en particulier de personnel - exigent une contractualisation. Les discussions sont en cours avec les collectivités concernées. Nous ferons des propositions dans la future loi de programmation des finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Yvon Collin et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
Prime de feu des sapeurs-pompiers (I)
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Le 28 janvier, après l'annonce de la réévaluation de leur prime de feu de 19 à 25 % d'ici l'été prochain, l'intersyndicale des sapeurs-pompiers professionnels a mis un terme à un mouvement social débuté il y a plus de sept mois.
Les financeurs des Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), départements, municipalités et intercommunalités, estiment la charge nouvelle à 80 millions d'euros.
La fraction de la taxe spéciale sur les cotisations d'assurance (TSCA) allouée aux départements pour le financement des SDIS ne sera pas suffisante. Il faut envisager de nouvelles pistes, augmentation de la fraction de TSCA, modulation de la surcotisation des employeurs perçue par la caisse nationale de retraite des collectivités locales pour l'intégration de la prime dans le calcul des pensions.
La revalorisation de la prime de feu - la première depuis 1990 - est légitime mais l'État doit accompagner les employeurs pour sa prise en charge. Dans les Bouches-du-Rhône, le directeur du SDIS, également président de la fédération des sapeurs-pompiers, appelle à la préservation de notre modèle de sécurité civile.
Le rôle des soldats du feu est essentiel. Que compte faire l'État pour aider les SDIS ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; Mme Catherine Troendlé, M. Yves Bouloux et Mme Frédérique Puissat applaudissent également.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Le combat des sapeurs-pompiers pour leur prime de feu a conduit à des grèves parfois dures dans les départements. Le 28 janvier, l'intersyndicale a mis fin au mouvement.
Les discussions au ministère de l'Intérieur ont associé les départements et les communes. Elles se sont engagées en novembre dernier, en présence de MM. Bussereau et Baroin, et ont abouti à la décision de revaloriser la prime de feu jusqu'à 25 % de la rémunération, en laissant toute latitude locale pour fixer les conditions de la revalorisation, dans le respect de l'organisation décentralisée de la République.
Pour financer les SDIS, les départements bénéficient d'une part de TSCA, ressource dynamique puisqu'elle a augmenté de 41 % en quinze ans.
Mme Catherine Troendlé. - Mais cela ne suffit pas !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - En 2020, la loi de finances accorde en outre 53 millions d'euros supplémentaires pour ce poste. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe LaREM)
Réforme du baccalauréat (I)
Mme Céline Brulin . - Des élèves séquestrés, cadenassés, passés à tabac, interdits d'épreuves, poursuivis en justice, des examens surveillés par les policiers : le bac version nouveau monde donne lieu à des scènes surréalistes. Ce naufrage aurait pu être évité si vous aviez écouté les propositions du Sénat sur le contrôle continu, si vous aviez entendu les enseignants, les élèves et les familles qui vous ont alerté sur les difficultés de mise en oeuvre de la réforme. Par votre attitude, vous avez déplacé le conflit au coeur des établissements. Comment retrouver la sérénité nécessaire aux examens ? Entendrez-vous nos concitoyens qui redoutent un accroissement des inégalités ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Votre question est multiple. Il n'y aurait pas eu de concertation sur cette réforme ? Je viens de passer deux heures à la commission de la culture avec vous, vous avez déjà toutes les réponses à vos questions et vous connaissez parfaitement le sens du contrôle continu. La réforme a été réalisée sur dix-huit mois, 40 000 lycéens ont été consultés, ainsi que les professeurs et les syndicats. Faites attention à ce que vous affirmez, car de nombreuses organisations syndicales sont favorables au contrôle continu.
À ce jour, un million de copies ont déjà été corrigées. Il n'y a de problème que là où certains causent des troubles en bloquant les lycées. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR) Êtes-vous pour le blocage des lycées ? Êtes-vous contre le contrôle continu ? Si tel est le cas, il faut expliquer pourquoi.
Le but de cette réforme est l'élévation du niveau général (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE), l'amélioration de la justice sociale. Nous avons conservé le meilleur de notre tradition, observé les systèmes en vigueur dans des pays que vous admirez, et introduit certaines innovations. Veillons à ne pas politiser le sujet. (Rires sur les travées du groupe CRCE ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme Céline Brulin. - Qui voudrait apaiser la situation tiendrait un tout autre discours. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Heureusement, la communauté éducative trouve des solutions pour restaurer la sérénité ; il y a en son sein plus d'intelligence qu'au ministère... L'avenir de nos jeunes est ce que nos concitoyens ont de plus précieux. Il ne faut pas asséner mais convaincre. Or, s'agissant de la justice sociale, on est loin du compte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR)
Réforme du baccalauréat (II)
M. Jacques-Bernard Magner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les E3C comptent pour 30 % dans la note finale du baccalauréat. Les premiers examens se déroulent actuellement en classe de première. Les épreuves hybrides entre contrôle continu et examen final sont critiquées et les chefs d'établissement, les parents, les lycéens ont dénoncé le risque de rupture d'égalité. Le risque est d'aboutir à des bacs locaux plutôt qu'à un examen national tel qu'il existe depuis deux siècles. Les E3C seraient contraires aux principes de simplification de la réforme du bac d'après le comité de suivi du nouveau bac.
Dans de nombreux lycées, la désorganisation engendre un climat de contestation préoccupant. De nombreux établissements ont dû reporter les épreuves.
Il ne faut pas minimiser les difficultés, mais bien plutôt corriger les errements de la réforme : que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Vous savez très bien que le contrôle continu a été prôné par les acteurs auxquels vous vous référez, pour éviter le bachotage, favoriser l'approfondissement et réduire les inégalités. Si la situation d'hier était satisfaisante, cela se saurait ! Les élèves étaient présélectionnés en fonction de leurs notes et de leurs établissements, de façon beaucoup moins objective ! Et prétendez-vous que les diplômes de telle université ne sont pas des diplômes nationaux ?
Aujourd'hui, dans l'enseignement supérieur, les notes sont données en contrôle continu. La réforme serait verticale et autoritaire ? C'est faux. Le comité de suivi et moi-même avons écouté les organisations syndicales. Il n'y a aucune justification aux violences exercées par une petite minorité qui a intérêt au désordre pour faire croire à l'impréparation de la réforme. Là où personne ne crée de désordre, tout se passe bien. Un million de copies sont déjà numérisées pour être corrigées plus facilement - par un professeur extérieur.
Les élèves de première sont très satisfaits, car ils ont beaucoup plus de liberté pour choisir leurs enseignements. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Jacques-Bernard Magner. - Je ne suis pas contre une dose de contrôle continu. Mais la communauté éducative n'était pas prête pour une mise en oeuvre satisfaisante. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Retraites agricoles à La Réunion
M. Jean-Louis Lagourgue . - La politique des retraites agricoles est source d'inégalités. À La Réunion, la pension est en moyenne de 350 euros. Certains touchent moins de 100 euros. L'écart avec la métropole et au moins de 200 euros. Peu d'agriculteurs peuvent faire état d'une carrière complète : ils ne bénéficieront donc pas de la garantie prévue par le projet de loi en discussion.
En 2018, la proposition de loi visant à revaloriser les carrières agricoles a été bloquée au Sénat par le Gouvernement au motif qu'elle serait intégrée à la réforme des retraites. Rien n'est pourtant moins certain...
Le Gouvernement entend-il remédier à ces inégalités ? Le projet de loi sur les retraites apportera-t-il des réponses ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Votre constat est juste. La situation des retraités agricoles, partout en France mais plus encore outre-mer, est difficile. Dans vos territoires, une durée de carrière différente conduit à de moindres cotisations ; le niveau inférieur des cotisations induit dès le début des disparités.
Le futur système s'appliquera de plein droit en outre-mer, y compris le filet de sécurité à 1 000 euros dès 2022 et à 85 % du SMIC en 2025. Une ordonnance sera prise pour tenir compte des contraintes particulières de La Réunion. Avec Annick Girardin et Laurent Pietraszewski, nous travaillons sur la détermination des cotisations. Un euro cotisé ouvrant les mêmes droits à tous, le principe s'appliquera aux agriculteurs comme aux autres professions, outre-mer comme ailleurs.
S'agissant des retraites actuelles, les agriculteurs doivent bénéficier de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). L'allocation existe outre-mer et il n'y a pas de recours sur succession en dessous de 100 000 euros dans ces territoires, contre 39 000 euros dans l'Hexagone. C'est un point positif. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)
M. Jean-Louis Lagourgue. - Permettez-moi de citer un proverbe créole : Nou lé pas plus, nou lé pas moins : respect à nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
Politique générale du Gouvernement
M. Philippe Mouiller . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation de notre pays est grave et le Gouvernement fait preuve de légèreté. Je songe au rejet par Mme Pénicaud de la proposition de loi portant à douze jours le congé en cas de deuil d'un enfant - quel manque spontané d'inhumanité ! Je songe à l'avis très sévère, inédit, du Conseil d'État sur le projet de loi sur les retraites, qui a pointé le risque juridique, l'absence de visibilité et un financement flou. Le même Conseil d'État a pris le Gouvernement la main dans le pot de confiture s'agissant de la circulaire Castaner sur les élections municipales. Enfin, dans l'affaire Mila, la garde des Sceaux confond liberté d'expression et délit de blasphème, le parquet allant jusqu'à ouvrir une enquête contre la victime. On n'a pas entendu le Gouvernement condamner les propos du président du Conseil national du culte musulman...
Le Président de la République contribue au flottement, se laissant photographier tout sourire dans un tee-shirt dénonçant les policiers, ce qui est humiliant pour ces derniers. Monsieur le ministre, nous attendons des explications. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Votre réquisitoire contre l'action du Gouvernement est cruel. Vous mentionnez un certain nombre d'éléments...
Une voix à gauche. - Des couacs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - ... en omettant soigneusement de citer les indicateurs satisfaisants, comme la baisse continue du chômage ou les bons chiffres de l'apprentissage. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)
M. François Patriat. - Ça ne les intéresse pas !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Vous avez parlé de Mila, notre compatriote confrontée à des menaces de mort après ses propos critiques contre l'islam. Elle a dû faire l'objet d'une protection particulière et a subi une déscolarisation forcée. Nous suivons avec attention sa situation. M. Blanquer est en contact permanent avec sa famille pour la scolariser à nouveau. Monsieur le sénateur, le délit de blasphème n'existe pas en France, vous le savez. La liberté de croire ou de ne pas croire est garantie. (On s'exclame sur les travées du groupe Les Républicains.) Certains responsables de votre famille politique, y compris des présidents de groupe, tiennent des propos qui entrent parfaitement en écho avec ceux de Mme Belloubet. La liberté d'expression existe en France, et c'est très bien ainsi. C'est ce qu'a affirmé le Gouvernement et je le redis.
Votre jeu qui consiste à pointer tel ou tel incident est bien connu. Ce qui m'intéresse, moi, c'est ce que nous faisons pour construire et réparer la France : chômage, industrialisation, attractivité, mais aussi lutte contre une épidémie menaçante. (On se gausse sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Mais oui ! La France peut s'honorer d'avoir organisé efficacement le rapatriement des Français expatriés Chine. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; protestations sur les travées du groupe SOCR) Vous auriez pu aussi mentionner tout cela. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Jean-Marc Gabouty, Yvon Collin et Loïc Hervé applaudissent également.)
M. Philippe Mouiller. - L'essentiel, c'est la confiance. Les Français ne doivent pas nourrir le sentiment qu'il existe un fossé entre eux et ceux qui les gouvernent. Sans la confiance, vous n'arriverez à rien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Prime de feu des sapeurs-pompiers (II)
Mme Nadia Sollogoub . - La revalorisation de la prime de feu des sapeurs-pompiers est une revendication ancienne, mais dans le passé, le ministre de l'Intérieur ne décidait pas à la place des financeurs. Cette fois, il décide et envoie la facture aux collègues ! C'est une fausse bonne idée. Vous citez M. Richefou, le président des SDIS de France, mais son communiqué de presse estime que la hausse des charges n'est pas supportable.
Comment financerez-vous cette mesure ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Veuillez excuser le ministre de l'Intérieur, qui est parti sur les lieux des incendies de Corse.
La hausse à 25 % est un plafond. La décision a été prise en parfaite coordination avec les associations d'élus. C'est M. Richefou lui-même qui m'a annoncé cette revalorisation, en la qualifiant de bonne nouvelle.
Comme je l'ai dit, une partie de la TSCA, et 53 millions d'euros de crédits supplémentaires en loi de finances 2020, ont été prévus à cet effet.
Les départements ont été associés, ainsi que les communes, qui participent jusqu'à 40 % du financement des SDIS. (MM. Georges Patient, Martin Lévrier et François Patriat applaudissent.)
Mme Nadia Sollogoub. - C'est une bonne nouvelle pour M. Richefou, soit. Mais où trouverez-vous les 80 millions d'euros manquants ? (MM. Jean-Pierre Sueur et Loïc Hervé applaudissent ; applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) La TSCA rapporte entre 8 et 9 milliards d'euros dont seuls 2,8 milliards d'euros sont fléchés vers les départements. Il vous est facile de trouver les 80 millions d'euros qui manquent sans plonger dans la poche des collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
Photo polémique du Président de la République
M. Philippe Pemezec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, vous ne répondez pas aux questions posées. Jeudi, à Angoulême, le Président de la République a posé de façon ostentatoire avec un tee-shirt anti-LBD, représentant un chat à l'oeil crevé.
Il y a une différence entre la liberté absolue de caricature et la caution que l'on y apporte. Un Président de la République, garant des institutions et de l'ordre public, ne doit pas se livrer à un tel exercice. (M. Ladislas Poniatowski approuve.) C'est un abandon des forces de l'ordre, derniers gardiens de la République quand la France, fracturée, vit dans la peur.
Soit le Président de la République agit légèrement, et c'est inquiétant, soit il est conscient et transgressif, et c'est gravissime car cela traduit un mépris des forces de police qui assurent notre sécurité - et la sienne.
Pourriez-vous exprimer des regrets en son nom et rappeler votre soutien aux forces de l'ordre, sur le pont depuis les attaques de 2015 pour protéger la démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Ladislas Poniatowski. - Très bien !
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Le Président de la République a déjeuné avec des dessinateurs de bandes dessinées à Angoulême, et le sujet des violences policières, expression que je récuse, a été abordé.
Le Président de la République a défendu avec conviction les forces de l'ordre et rappelé leur rôle essentiel, notamment lors de manifestations où elles sont la cible de personnes cagoulées et armées de pavés.
Dans le même temps, nous devons avoir une grande exigence envers nos policiers et gendarmes, seuls à pouvoir user de la force légitime. Lorsque des fautes sont avérées, elles doivent être sanctionnées. La justice s'y attache. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Quel rapport avec le tee-shirt ?
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État. - Le Président de la République est extrêmement attaché à la liberté de caricaturer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Dallier. - Ce n'est pas la question !
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État. - Il est parfaitement légitime que le Président de la République, garant de l'État de droit, soutienne cette liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Philippe Pemezec. - Je tiens à la disposition du Président de la République un tee-shirt de soutien aux forces de l'ordre. J'espère qu'il le portera lors d'une prochaine sortie publique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Apprentissage des langues régionales
M. Maurice Antiste . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les langues régionales sont une richesse pour la France. La délégation générale à la langue française et aux langues de France encourage leur préservation et leur valorisation. Quelque 92 000 élèves suivent un enseignement en langue régionale.
Or la réforme du bac a eu pour effet de fermer des classes ; les enseignants, démunis, se retrouvent avec moitié moins d'élèves. Dorénavant, le coefficient appliqué aux langues régionales, lorsqu'elles constituent une option facultative, est trois fois inférieur à celui des langues anciennes et représente moins de 1 % de la note finale. C'est un rude coup porté à l'enseignement des langues régionales.
Pourtant, le Président de la République s'engageait, le 21 juin 2018, à pérenniser leur enseignement. Quelle place entendez-vous donner aux langues minoritaires et régionales, que vous qualifiez par ailleurs de richesse culturelle ? Ratifierez-vous la charte européenne des langues régionales et l'article 30 de la Convention internationale des droits de l'enfant protégeant le droit humain à pouvoir vivre dans sa langue ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Joseph Castelli applaudit également.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - L'apprentissage des langues régionales est encouragé dans le système scolaire français. Autrefois, ces langues se parlaient à la maison et peu à l'école ; désormais, c'est l'inverse et nous menons, à l'école, une politique volontariste d'apprentissage.
La réforme du lycée ne se fait pas au détriment de ces langues, bien au contraire. Un enseignement de spécialité en langue régionale est désormais possible, qui représente quatre heures en première et six en terminale. Des options ferment, d'autres ouvrent. Le système est vivant et dépend beaucoup de la demande des familles, que nous encourageons dès le primaire.
Lorsque j'étais recteur d'outre-mer, j'ai beaucoup encouragé l'apprentissage du créole et des langues amérindiennes. Je poursuis cette politique volontariste, avec un médiateur. La loi pour une école de la confiance a consacré l'importance des langues régionales. La langue française est la langue de la République, mais ce n'est pas contradictoire avec la vitalité des langues régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Maurice Antiste. - Selon l'Unesco, 21 langues régionales sont en danger en France, notamment aux Antilles, en Guyane et en Polynésie. Porter atteinte à ces langues, c'est porter atteinte à l'être culturel. La bête acculée n'acceptera pas d'être une victime expiatoire, elle se battra pour survivre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur plusieurs travées du groupe CRCE)
Numerus clausus
M. René Danesi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La difficulté d'accès aux soins inquiète une partie de la population rurale et périurbaine. Il est courant d'attendre six mois un rendez-vous de spécialiste.
Certes, la santé est presque gratuite grâce à la sécurité sociale et aux complémentaires, mais un problème d'équité se pose dans les territoires.
Les plans contre les déserts médicaux se multiplient mais ils sont sans effet car ils ne traitent pas les causes du mal. Les incitations financières - souvent à la charge des collectivités - se traduisent par une fonctionnarisation et une bureaucratisation rampante de la médecine.
La suppression du numerus clausus a été présentée comme une solution mais les facultés n'ont pas les moyens d'accueillir davantage d'étudiants en médecine.
Êtes-vous prête à abandonner les fausses solutions et à revaloriser l'exercice libéral de la médecine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Le mal est ancien. La démographie médicale n'a pas été pensée pendant vingt ans, nous en subissons les conséquences. La fin du numerus clausus n'a pas seulement pour but d'augmenter le nombre d'étudiants mais surtout de diversifier les profils et les territoires dont ils sont issus.
Mon plan valorise l'exercice libéral de la médecine en favorisant l'exercice coordonné avec d'autres professions de santé. Nous doublons les maisons pluri-professionnelles de santé. Les médecins pourront s'organiser à l'échelon d'un territoire en communautés professionnelles territoriales de santé, accompagnés par l'assurance maladie et les agences régionales de santé. Cela facilitera la délégation de certaines tâches à d'autres professionnels, notamment pour le suivi des maladies chroniques. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Rapprochement entre Alstom et Bombardier
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ma question, à laquelle j'associe Valérie Létard, s'adressait à M. Bruno Le Maire.
Le 6 février dernier, la Commission européenne rejetait la fusion entre Alstom et Siemens en invoquant une réduction de la pression concurrentielle. Vous aviez qualifié cette décision d'erreur économique et de faute politique.
Alstom envisage désormais l'acquisition des activités ferroviaires du canadien Bombardier. Cela ferait de notre entreprise nationale un champion du ferroviaire pesant 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires et offrant une gamme complète de produits.
Alors que la nouvelle Commission européenne a annoncé vouloir réviser les règles de concurrence, une telle opération stratégique risque-t-elle de subir elle aussi un veto au nom du droit de la concurrence ? Comment faire valoir les intérêts industriels de la France ? Quelles garanties pour nos emplois industriels dans les territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique . - Veuillez excuser Bruno Le Maire, en déplacement à l'étranger.
Le Gouvernement ne peut commenter ce type d'information concernant des entreprises cotées. Il avait toutefois fait valoir, lors du projet de fusion Alstom-Siemens, que face à la montée en puissance des concurrents chinois, telle la CRRC qui pèse autant qu'Alstom, Siemens et Bombardier réunis, il souhaitait une consolidation dans le secteur ferroviaire. Il s'agit, tout en protégeant l'emploi, de permettre des investissements afin de tenir tête aux compétiteurs.
Nous avons eu une divergence avec la Commission européenne sur la criticité et la faisabilité de la fusion Alstom-Siemens, mais les choses ont évolué à Bruxelles depuis. Je rencontrais hier Margrethe Vestager. Nous sentons une ouverture possible. Les discussions doivent se poursuivre ; nous serons vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Michèle Vullien et M. Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
Vente d'entreprises stratégiques de défense
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nos armées sont engagées dans des opérations inscrites dans la durée. Elles doivent disposer des meilleures technologies. Vous souhaitez promouvoir les technologies françaises, fruits de nos grands groupes comme de nos start-up, et les coopérations européennes ; c'est une bonne chose.
Mais la compétition fait rage et nous constatons avec inquiétude l'intérêt que suscitent à l'étranger, notamment aux États-Unis, certaines entreprises françaises de technologies sensibles. C'est le cas de Photonis, l'un des leaders mondiaux dans les intensificateurs de lumière, utilisés par les forces spéciales. En commission, le directeur général de l'Armement s'était montré rassurant, mais, depuis, aucune solution industrielle française ne semble se dégager pour protéger cette entreprise des convoitises non européennes.
Que comptez-vous faire pour protéger nos pépites industrielles du secteur de la défense ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Bockel et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées . - L'autonomie de notre industrie de défense est essentielle pour notre pays et pour notre armée. Nos forces doivent pouvoir faire usage de matériels innovants.
Certaines entreprises en difficulté sont aidées et épaulées par la DGA. Je n'ai pas de renseignements particuliers concernant Photonis. (On s'en désole sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vous communiquerai une réponse dès que possible.
En tout état de cause, nous serons vigilants. Il est important de préserver une autonomie stratégique européenne. Le fonds européen de défense sera un atout majeur avec 13 milliards d'euros dévolus à la recherche et à l'innovation entre 2020 et 2027. Notre action doit être et française et européenne. (M. François Patriat applaudit.)
M. Pascal Allizard. - Votre réponse m'attriste et me déçoit. Pas moins de cinq sociétés américaines lorgnent sur le rachat de Photonis. Le fonds de l'Agence de l'innovation de défense ne sera pas prêt avant le second semestre 2020. Nous sommes totalement démunis. C'est scandaleux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Avenir de la presse papier outre-mer
M. Guillaume Arnell . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Samedi dernier, le quotidien France-Antilles a publié son dernier numéro, après 56 ans d'existence. Le tribunal de commerce de Fort-de-France a en effet prononcé la liquidation judiciaire du journal sans poursuite d'activité.
Je pense aux 235 salariés, dont 112 en Martinique, 99 en Guadeloupe et 24 en Guyane qui s'inquiètent légitimement pour leur avenir. À l'échelle des Antilles, c'est l'équivalent de mille emplois supprimés dans l'indifférence générale.
France-Antilles, fondé en 1964, était diffusé à 35 000 exemplaires en Martinique, 25 000 en Guadeloupe, et possédait une déclinaison en Guyane. Le journal était aussi lu par les Guadeloupéens et Martiniquais de Saint-Martin.
Pourquoi les aides à la presse ne s'appliquent-elles pas aux outre-mer alors même que le 16 janvier dernier, le Président de la République s'était engagé à soutenir la presse ultramarine en difficulté ?
France-Antilles a été liquidé en dix minutes chrono. Comment garantir l'avenir de la presse écrite ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées du groupe SOCR)
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique . - Le Gouvernement a pris acte du jugement du tribunal de commerce de Fort-de-France. Je pense aux 235 salariés qui ont perdu leur emploi. Le Gouvernement était pourtant mobilisé pour accompagner l'éditeur dans la recherche d'une solution pour maintenir les trois publications ; fin novembre, une participation de 3 millions d'euros au plan de reprise avait été actée, la constitution dérogatoire d'un passif avait été autorisée, et la loi de financement de la sécurité sociale avait accordé une baisse de cotisations exceptionnelle pour la presse outre-mer. Cela n'a pas suffi pour trouver un repreneur.
Les services de l'État sont mobilisés pour accompagner les salariés vers une reconversion. Le ministère de la Culture déploiera différentes aides pour favoriser l'émergence de nouveaux médias dans les Antilles.
Certes, l'outre-mer bénéficie un peu moins des aides à la presse que l'Hexagone, mais le ministère de la Culture va modifier les conditions d'attribution de plusieurs aides pour rétablir une équité de traitement. Le Gouvernement est attaché au maintien du pluralisme. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Situation de l'enseignement en Guadeloupe
Mme Victoire Jasmin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je souhaite relayer les craintes des enseignants et des familles sur l'avenir de l'enseignement public en Guadeloupe.
L'ensemble du système scolaire y est en danger. Les annonces de suppression de postes comme les déclarations d'un ancien ministre concernant les mutations discrètes d'enseignants supposés pédophiles en outre-mer suscitent l'émoi et la consternation.
À ce jour, 90 % de nos établissements sont bloqués par un mouvement de grève contre la réforme des retraites mais aussi contre la baisse des moyens accordés aux politiques éducatives sur le territoire.
Les conditions d'enseignement se dégradent. L'accompagnement des enfants en situation de handicap n'est pas assuré. Quelque 72 postes d'enseignants doivent être supprimés à la rentrée, alors qu'il y en a déjà eu 86 en 2019 et 44 en 2018. Une rencontre a eu lieu avec le recteur mais l'inquiétude demeure.
Quelles mesures envisagez-vous pour les enfants en situation de handicap, pour les enseignants et pour garantir la qualité de l'enseignement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Guillaume Gontard applaudit également.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Merci pour votre question. J'aurai le plaisir de vous recevoir avec les autres parlementaires de Guadeloupe tout à l'heure pour faire un point sur la situation de votre territoire.
Je commence par l'aspect le plus émotionnel : la déclaration de Mme Royal sur les supposées mutations outre-mer d'enseignants présumés pédophiles. Je n'ai aucun élément pour corroborer de tels propos. Je suis tout à fait ouvert à vérifier ses dires, mais doute fort de la réalité d'une telle assertion. Je comprends toutefois l'émotion suscitée. Soyez assurée qu'une telle pratique n'a aucunement cours aujourd'hui.
Les suppressions de postes en Guadeloupe ne sont pas proportionnelles à la baisse du nombre d'élèves : ainsi le taux d'encadrement s'améliorera encore à la rentrée. Il est de 17,6 dans l'éducation prioritaire, contre plus de 20 à l'échelle nationale. Les classes comptent en moyenne moins de 22 élèves.
Nous aborderons ces sujets, mais aussi des sujets plus qualitatifs. Tout sera fait pour assurer un retour à la normale, dans l'intérêt des élèves. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Réforme du baccalauréat (III)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les épreuves communes de contrôle continu du baccalauréat commencées le 20 janvier suscitent des manifestations et des blocages. Des élèves n'ont pas pu composer et quelque 166 épreuves ont été annulées ou reportées. La Haute-Savoie n'a pas été épargnée, et des épreuves ont été annulées à Annecy et ailleurs. Les lycéens qui souhaitaient ardemment passer leurs épreuves n'ont pu accéder à la salle d'examen, ou ont été perturbés pendant qu'ils composaient par des fumigènes, des pétards et de la musique tonitruante. Personne ne sait si d'autres épreuves seront organisées, si le barème sera adapté ou s'ils se verront attribuer un zéro, ce qui suscite incompréhension et angoisse, d'autant que l'appréciation de la situation est laissée aux chefs d'établissement.
Allez-vous donner des consignes pour homogénéiser ces épreuves au niveau national ? Comment assurer que la suite des épreuves se déroule sereinement ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Un million de copies ont été composées sur les 1,7 millions attendues et les choses se passent bien dans 85 % des établissements. Les troubles constatés sont le fait d'éléments souvent extérieurs.
Quelle que soit l'opinion que l'on porte sur la réforme, on ne peut pas violer le principe sacré selon lequel on ne perturbe pas un examen. Les élèves ne doivent pas être pris en otage. Nous ferons preuve de bienveillance à leur égard et regarderons la situation établissement par établissement. Des reports d'épreuves seront prévus. Aucun élève ne sera sanctionné pour avoir été empêché de composer.
J'appelle chacun au calme et à la sérénité. Notre objectif est que chaque élève soit noté avant la fin du mois de février. Les associations de parents d'élèves et le comité de suivi sont sur cette même ligne. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
La séance est suspendue à 16 h 15.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.