Violences faites aux femmes en situation de handicap
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution . - Cette proposition de résolution, cosignée par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et moi, est l'aboutissement des travaux de la délégation aux droits des femmes sur un fléau longtemps resté un impensé des politiques publiques : la violence faite aux femmes en situation de handicap.
Nous l'avons déposée le 25 janvier 2019, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, jour de la présentation par le Gouvernement des conclusions du Grenelle contre les violences conjugales.
Cette proposition de résolution est largement partagée puisqu'elle rassemble 158 cosignataires de tous les groupes. Cela témoigne de l'indéniable progrès de la prise de conscience de la gravité d'un phénomène longtemps tabou. Pendant trop longtemps, les violences faites aux femmes en situation de handicap ont été banalisées et qualifiées de « maltraitance », terme plus acceptable socialement.
Les victimes sont invisibles, oubliées des politiques publiques, estime l'association France handicap. « Nos soeurs oubliées » ou « Forgotten sisters » est d'ailleurs le titre du rapport de Michelle Bachelet pour l'ONU Femmes en 2012.
Grâce au combat des associations, la parole de femmes commence à être entendue. En 2006, l'ONU a adopté la convention relative aux droits des personnes handicapées, qui reconnait explicitement que les femmes handicapées courent un risque plus élevé d'abus. Le Conseil de l'Europe a également souligné leurs besoins spécifiques.
Le handicap accroît le risque de subir des violences, mais peut aussi être le résultat de la violence sexiste. Il était donc temps que soient pris en compte les besoins particuliers de ces victimes. Elles ne connaissent aucun répit. Les violences peuvent être le fait de l'entourage institutionnel et familial ; 60 % des violences ont lieu au domicile, les victimes ne sont à l'abri nulle part.
L'incapacité à dire non peut être perçue comme un signe de consentement, et les femmes autistes sont particulièrement exposées aux violences sexuelles - on songe à l'exemple de Marie Rabatel. Le risque de subir des violences sexuelles est six fois supérieur pour les femmes en situation de handicap mental : c'est intolérable.
Il est positif qu'un groupe de travail dédié se soit constitué lors du Grenelle. Il ne faut pas cependant limiter le sujet aux violences conjugales : le Grenelle n'est qu'une étape du processus et les annonces du 25 novembre n'épuisent pas le sujet.
Il faut déployer des moyens humains et financiers sur l'ensemble du territoire pour prévenir, informer, former, soigner, accompagner. Les violences ne connaissent pas de frontières.
Le regard doit aussi changer sur le handicap : les femmes en situation de handicap veulent être considérées comme des citoyennes à part entière dont la parole ne doit pas être mise en doute. Les professionnels qui les reçoivent doivent être formés - je doute qu'une simple formation en ligne y suffise.
Pour lutter efficacement contre ce fléau, il nous faut aussi des chiffres fiables. (Applaudissements)
Mme Michelle Gréaume . - Je vous prie d'excuser l'absence de Christine Prunaud et salue l'initiative de la délégation.
Ces femmes sont les victimes toutes désignées pour différents types de violence. C'est ce que montrent les chiffres de l'Observatoire national de la délinquance ou les appels aux numéros d'écoute mis en place par les associations : quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences et 35 % des violences signalées sont commises par le conjoint. Or beaucoup de victimes n'appellent pas, notamment en cas de handicap mental.
La proposition de résolution formule quatorze propositions, dont l'individualisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui permettra de sortir de la dépendance économique vis-à-vis d'un conjoint violent.
Notre groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens, hélas rejetée en octobre 2018, suscitant l'incompréhension des associations. C'est d'autant plus important que 49 % des femmes handicapées sont inactives et 13 % au chômage.
La formation des professionnels de justice et de santé est un impératif, tout comme l'éducation dès le plus jeune âge et la promotion de l'égalité entre femmes et hommes. Plusieurs initiatives en ce sens ont été menées dans les Côtes d'Armor. L'association Athéol propose ainsi un hébergement et un accompagnement spécifique pour les femmes handicapées. Notre groupe regrette par ailleurs le report de l'obligation d'accessibilité des bâtiments publics, voté ici même en 2015.
Le Gouvernement annonce une politique d'inclusion, mais sans budget dédié à l'hébergement adapté, à la formation des professionnels ou aux subventions aux associations. Faute d'effectifs, celles-ci ne peuvent traiter tous les appels reçus.
Les associations féministes espéraient que le Grenelle se traduirait par un véritable plan Marshall, doté de 500 millions, voire 1 milliard d'euros, bien loin des 79 millions d'euros alloués.
Nous voterons sans réserve ce texte qui traduit l'engagement du Sénat en faveur des droits des femmes. (Mme Michèle Vullien et M. Marc Laménie applaudissent.)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le sujet m'est apparu grave et sous-estimé lors de nos travaux. Les données sont insuffisantes et anciennes. Le chiffre de 80 % de femmes en situation de handicap victimes de violences provient d'un rapport du Parlement européen de 2007.
Il nous faut mieux connaître le phénomène. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) mènera une grande enquête sur les personnes en situation de handicap entre 2021 et 2023 : c'est bien, mais tardif.
Dans les établissements spécialisés, des jeunes femmes en situation de handicap se voient prescrire la pilule contraceptive, sans consentement ni suivi médical. Serait-ce pour se prémunir des conséquences d'un viol ? N'oublions pas non plus les stérilisations imposées par le passé dans les institutions françaises, déjà dénoncées par une commission d'enquête du Sénat en 2003. Elles sont aujourd'hui heureusement interdites sur les handicapés mentaux sous tutelle ou curatelle. Aucune femme handicapée ne devrait être ainsi traitée. Ce sont les femmes et non les violences sexuelles qui doivent être protégées.
Tout aussi sous-estimée, la culture de la soumission des familles vis-à-vis des établissements spécialisés. Les familles peuvent être dissuadées de révéler les violences par crainte d'une exclusion de l'établissement ou d'un signalement à l'aide sociale à l'enfance. Hors l'Association des paralysés de France (APF), aucune association gestionnaire d'établissements n'a accepté d'être auditionnée.
Nous avions proposé que le fichier des auteurs d'infractions sexuelles soit obligatoirement consulté pour l'embauche de tout professionnel ou bénévole ayant à travailler dans ces institutions.
Le manque de signalement est évident, alors que le secret professionnel ne s'applique pas lorsque la victime est handicapée. J'espère que le débat sur l'obligation de signaler, qui fait l'objet d'une mission d'information du Sénat, aboutira.
Je vous invite à voter cette proposition de résolution que j'ai cosignée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution met en lumière un sujet grave mais encore tabou. Elle prolonge les travaux de la délégation aux droits des femmes.
Les violences dont sont victimes les femmes handicapées sont multiples. Elles peuvent être commises par des proches ou des professionnels, au domicile ou au sein d'une institution. Pourtant, rares sont les campagnes de sensibilisation ou de prévention.
Les femmes en situation de handicap sont d'autant plus vulnérables qu'elles sont souvent en situation de dépendance économique. C'est un facteur aggravant.
Victimes de préjugés liés à la fois à leur sexe et à leur handicap, ces femmes peinent à poursuivre des études et à trouver un emploi. Ainsi, le nombre de personnes sourdes ne sachant ni lire ni écrire est alarmant. Nous recommandons d'améliorer l'accès aux études des jeunes filles en situation de handicap, enjeu de leur autonomisation.
La surdiscrimination dont sont victimes les femmes en situation de handicap a des conséquences sur leur capacité à échapper à leurs agresseurs. Un rapport de 2016 du Défenseur des droits analyse en détail cette situation et son constat est édifiant. Un rapport de 2018 du Défenseur des droits et de l'OIT montre que les femmes en situation de handicap sont plus discriminées dans l'emploi : elles sont 54 % à avoir subi une discrimination ces dernières années contre 34 % pour l'ensemble de la population active. Elles sont victimes d'une double exclusion car femmes et handicapées. Les femmes en situation de handicap sont considérées comme moins aptes à surmonter leur handicap que les hommes. Aussi, elles occupent souvent des emplois de niveau inférieur ou à temps partiel. Seul 1 % sont cadre, contre 10% chez les hommes. Nous proposons de mieux prendre en compte le critère d'égalité femme-homme dans la politique en faveur de l'emploi des personnes handicapées.
Enfin, lorsque leur seule ressource est l'AAH, la dépendance vis-à-vis du conjoint est intolérable car le calcul de l'AAH intègre les revenus de ce dernier. Il faut réfléchir aux contours de cette prestation dans un contexte de violence au sein du couple.
Pour mieux lutter contre les violences, le renforcement de l'autonomie professionnelle est clé. Je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. Roland Courteau . - J'interviens cet après-midi avec une émotion particulière. Ce texte est l'aboutissement d'un travail de plusieurs mois, suivi d'un rapport d'information adopté à l'unanimité par notre délégation aux droits des femmes. Le nombre de cosignataires illustre l'implication de toute notre Assemblée.
Il est de notre devoir de protéger ces femmes contre les prédateurs. C'est le fil rouge de mon parcours d'élu, comme législateur et sur le terrain.
Malgré des avancées, les violences contre les femmes handicapées sont mal connues. Les victimes sont oubliées et invisibles ; il faudrait ajouter inaudibles, car leur parole est toujours mise en doute en raison de leur handicap - comme si leur identité se réduisait à cela.
Les deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes contiennent des mesures intéressantes ; espérons qu'ils aboutiront à des résultats concrets, notamment en matière de formation des professionnels et des agents du service public. Des clips de sensibilisation adaptés ont été sous-titrés et traduits en langue des signes. C'est une bonne pratique. Saluons également la convention entre le 3919, destiné aux femmes victimes de violences, et le 3977, contre la maltraitance, afin d'orienter les femmes en situation de handicap vers des structures spécialisées.
La feuille de route issue du comité interministériel du handicap intitulée « Gardons le cap, changeons le quotidien » prend en compte les violences faites aux femmes. Cette démarche devra être amplifiée à l'avenir. Les femmes en situation de handicap doivent cesser d'être invisibles.
Pour révéler les violences qu'elles subissent, les femmes en situation de handicap doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés, leur parole encouragée et crédibilisée. Tous les professionnels et bénévoles en contact avec elles doivent être formés à repérer les violences. Cela suppose de savoir tenir compte du psycho-trauma.
Nous comptons sur le Gouvernement pour que le sixième plan interministériel amplifie les efforts entamés il y a quelques années.
Enfin, je regrette que la stratégie nationale pour l'autisme ne mentionne pas explicitement la lutte contre ces violences.
La formation en ligne des professionnels du médico-social manque d'ambition. Compte tenu de la complexité du sujet, elle ne saurait se substituer à un réel apprentissage. J'exprime aussi des doutes sur les centres de ressources visant à accompagner les femmes en situation de handicap à la sexualité et à la parentalité. Notre rapport souligne la nécessité d'une éducation à la sexualité pour les jeunes filles en situation de handicap, dans une perspective de prévention des violences. Or les centres de ressources sont insuffisants.
La dimension du handicap doit systématiquement être prise en compte dans les politiques publiques visant à lutter contre les violences faites aux femmes. Cela suppose une approche transversale. Nous voterons sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Françoise Laborde . - (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.) Je suis heureuse de défendre cette proposition de résolution qui fait suite à un rapport de la délégation aux droits des femmes.
Les personnes auditionnées nous ont rappelé l'importance de traiter les femmes en situation de handicap non comme des objets de soins, mais comme des sujets de droit. L'accès au droit est la clé de la réussite dans la lutte contre les violences. Or d'énormes progrès dans la prise en charge par la police et la justice restent à faire. La démarche de se rendre dans un commissariat est éprouvante pour une victime de violences ; pour une femme en situation de handicap, elle peut être insurmontable, notamment en raison du manque de formation des professionnels et de l'inadaptation des procédures.
Une formation particulière est nécessaire. Or elle fait trop souvent défaut aux professionnels de police et de justice. Manque d'empathie, attitude condescendante, inadaptation des questions... Cela ne s'apprend pas en ligne. Les femmes en situation de handicap sont trop souvent infantilisées, présumées incapables.
Nous plaidons pour le développement d'outils et de procédures adaptées aux personnes autistes et malentendantes notamment. Ainsi, le nombre de permanences juridiques équipées d'un accueil en langue des signes reste très limité - les victimes sont de fait exclues.
Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir mener une démarche judiciaire. Aussi, il faut une adaptation au handicap. Construire des rampes d'accès ou des ascenseurs adaptés ne suffit pas.
Le Parlement européen, en mars 2017 et novembre 2018, a dénoncé l'inadaptation des infrastructures médicales au handicap, notamment en gynécologie. La prise en charge gynécologique et obstétricale des femmes en situation de handicap est très insuffisante : 85 % d'entre elles n'ont jamais passé de mammographie. Le suivi régulier est indispensable, a fortiori en cas de contraception. Les équipements de dépistage du cancer du sein doivent être adaptés.
Brigitte Bricout, présidente de l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, a déclaré : « Ce n'est pas notre handicap qui nous définit, mais d'être femme. Les femmes sont des citoyens comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyennes est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile mais à l'intérieur. » Il est de notre devoir de garantir cette citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement. Je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements)
M. Xavier Iacovelli . - Je salue cette initiative transpartisane. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences de leur conjoint ou ex-conjoint ; 12 % de Françaises ont été victimes de viols et 43 % subi des gestes sexuels sans consentement. Selon l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de violences. C'est un cercle vicieux : le handicap accroît le risque de violences et les violences accroissent le handicap.
Une meilleure connaissance du phénomène est nécessaire, tout comme un travail avec les acteurs associatifs. Commençons par faciliter les démarches administratives et judiciaires des victimes. La prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap a fait l'objet d'un groupe de travail dédié dans le cadre du Grenelle. Certaines propositions seront mises en oeuvre en 2020, comme la formation des professionnels de santé intervenant dans les établissements et services médico-sociaux. Il convient de mieux faire connaître les dispositifs existants. Ainsi le numéro d'écoute téléphonique 3919 sera accessible aux personnes sourdes et malentendantes.
Nous sommes favorables à une société plus inclusive qui intègre chaque personne, qui lutte contre les inégalités de destin. L'égalité entre femmes et hommes est la grande cause du quinquennat, a fortiori quand il s'agit des femmes les plus vulnérables. Nous soutenons cette proposition de résolution. L'adopter à l'unanimité serait un geste fort. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR)
M. Loïc Hervé . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le nombre de femmes décédées sous les coups de leur conjoint en 2019 atteint 149. Ouvert le 3 septembre, le Grenelle des violences conjugales a porté une attention particulière à la question des féminicides.
Notre délégation aux droits des femmes a voulu mettre l'accent sur le fléau des violences faites aux femmes en situation de handicap, souvent oublié des politiques publiques.
Mme Ribes, vice-présidente de l'association France handicap, a déclaré lors de la table ronde du 6 décembre 2018 que les femmes handicapées étaient invisibles et oubliées des politiques publiques.
Premiers interlocuteurs des victimes, les forces de police n'adoptent pas la bonne attitude. Elles doivent les accueillir avec plus de bienveillance. Les personnes en situation de handicap, notamment sourdes et malentendantes, sont exclues des dispositifs d'aide aux victimes. Idem pour les autistes. La formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire sont à renforcer. La prise de conscience est indispensable.
Je vous invite à adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SOCR)
Mme Nicole Duranton . - Négligées, humiliées, frappées, violées, parfois tuées : 80 % des femmes handicapées subissent des violences. Nous ne pouvons plus tolérer l'intolérable.
Je salue l'excellente initiative des auteurs de la proposition de résolution. Les femmes en situation de handicap sont les premières victimes d'abus, compte tenu de leur vulnérabilité. Le consentement est l'angle mort des politiques d'accompagnement du handicap. Il n'est pourtant jamais acquis par défaut !
Nous devons obtenir de meilleures statistiques pour quantifier et qualifier les faits.
Quelque 31 % des femmes en situation de handicap sont ou ont été victimes de violences physiques ou sexuelles ; 3,9 % sont victimes de violences dans le couple, contre 1,87 % des femmes en moyenne. Selon Maudy Piot, présidente de l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences. Les agresseurs sont les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 10 %, les parents à 9 %, les aidants extérieurs à 18 %.
Elles sont aussi victimes d'agressions sexuelles dans les institutions spécialisées qui les accueillent. Cependant, les abus de faiblesse ont lieu à 60 % au domicile.
Beaucoup de femmes n'appellent pas les numéros d'urgence. Les violences perdurent souvent malgré l'action des associations. Il faut alors porter plainte.
Mais la dépendance financière, quand le proche maltraitant gère l'AAH, matérielle ou affective peut être forte, tout comme la peur des représailles. Il faut donc sécuriser un parcours de plainte autonome et accessible. Mais le parcours de la combattante ne s'arrête pas au dépôt de plainte. Les commissariats, les gendarmeries sont parfois inadaptés, le personnel insuffisamment formé. Pédagogie et formation sont indispensables pour prendre conscience de la réalité de ces violences et mieux accompagner les victimes.
Je voterai bien entendu cette proposition de résolution que j'ai cosignée. Nous sommes les porte-parole de ces femmes. Il faut absolument que la peur change de camp. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et UC)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les violences faites aux femmes en situation de handicap sont un angle mort des politiques publiques.
Le rapport de la délégation a pointé le manque criant de données sur le sujet. Quelque 80 % des femmes en situation de handicap sont victimes de violences de toute sorte. Elles sont quatre fois plus susceptibles de subir des violences sexuelles que l'ensemble de la population féminine. Elles sont en outre plus souvent dépendantes économiquement et émotionnellement vis-à-vis de leur agresseur. Beaucoup n'osent pas porter plainte par peur des représailles, d'autres sont dans l'incapacité d'appeler les numéros d'urgence. Celles qui franchissent le pas sont confrontées à d'autres violences psychologiques : c'est le cas de cette femme autiste qu'on ne croit pas parce qu'elle a du mal à s'exprimer et ne manifeste pas ses émotions, ou de cette femme malentendante à qui les policiers demandent de mimer le viol dont elle a été victime, qu'elle ne peut raconter. Il est primordial de mieux former les professionnels de police et de justice à la spécificité de ces violences.
Il convient d'améliorer l'information des femmes handicapées sur leurs droits, avec des outils de communication dans des formats accessibles.
Il est urgent également de briser l'omerta dans certains établissements spécialisés. Dans l'Aisne, une professionnelle de santé m'a dit qu'elle soupçonnait un père d'inceste sur ses deux filles placées ; tout le monde savait, personne ne parlait.
Les violences aux femmes en situation de handicap sont invisibles, mal connues et trop peu prises en compte. Nous voterons ce texte qui invite à un changement de regard de la société. Aidons ces femmes à sortir du silence, faisons entendre leur voix et agissons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur plusieurs travées au centre) Longtemps les violences ont été taboues, surtout celles commises sur les enfants et les femmes. L'année 2019 a marqué la fin du silence, avec une mobilisation sans précédent de la société civile dont le point d'orgue a été la marche organisée par le collectif Nous Toutes en novembre dernier. La prise de conscience est là : c'est une première étape. Les noms de celles qui ont péri, placardés dans nos rues, impriment une trace indélébile dans notre quotidien. Le Grenelle des violences conjugales a débouché sur trente mesures de prévention et de protection que nous soutenons.
Les violences au sein de la famille sont désormais audibles. La délégation aux droits des femmes dont je salue le travail sans relâche a produit un rapport d'information, avec des chiffres glaçants. Une discussion s'ouvre ; elle doit déboucher sur des réponses adaptées. Les femmes en situation de handicap sont confrontées à des violences dans la famille et les institutions. Il faut des données fiables et actualisées.
Les mesures du Grenelle sont des avancées. Tous les maillons du dispositif de prise en charge doivent être formés et sensibilisés. L'accès à la police, à la justice, à l'hébergement d'urgence doit être amélioré.
Le Grenelle prévoit l'ouverture 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 d'un numéro d'urgence : 39 19. C'est essentiel.
Les difficultés d'accès se retrouvent dans les soins, le dépistage et le diagnostic, en particulier pour le cancer du sein.
La délégation aux droits des femmes a soulevé un autre point : l'autonomie économique des femmes en situation de handicap.
M. Roland Courteau. - C'est essentiel !
M. Claude Malhuret. - L'accès à l'éducation est un pilier de notre République ; l'accès à l'emploi fonde l'égalité des chances. Il faut une meilleure intégration des personnes autistes dans le milieu du travail.
L'État doit prendre des mesures de lutte, mais aussi de prévention contre les violences faites aux femmes en situation de handicap dans les politiques publiques ; mais c'est aussi à nous, citoyens, de changer notre regard.
Le groupe votera cette proposition de résolution, étape essentielle dans le travail qui reste à accomplir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées . - Je tiens à saluer votre initiative transpartisane et consensuelle. Être femme en situation de handicap expose plus que tout aux violences physiques et sexuelles. Pour la première fois, un gouvernement a deux secrétariats d'État, sur le handicap et sur l'égalité femme-homme, rattachés tous deux au Premier ministre. C'est dire la volonté du Président de la République et du Premier ministre sur ces sujets prioritaires.
Selon l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq sont victimes de violences. Dans une étude de mars 2016, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales montre que les femmes de moins de 25 ans en situation de handicap sont celles qui courent le plus de risque de violences conjugales.
Maudy Piot, fondatrice hélas disparue de l'association Femmes pour le dire, femmes pour agir, m'alertait sur l'augmentation forte des appels reçus au numéro d'écoute créé en 2015 : 86 % des appelants sont des victimes ; 38 % ont entre 45 ans et 65 ans, 16 % entre 26 ans et 45 ans. Les moins de 25 ans n'appellent pas ou peu. Les femmes atteintes de déficience intellectuelle non plus.
L'Assemblée francophone des femmes autistes indique que 90 % des femmes souffrant de troubles autistiques sont victimes de violences. Une femme faisait part de la crainte de son conjoint qu'elle « ponde un handicapé ». Elle l'a quitté, avec son fils de cinq ans, après des années de maltraitance.
Malgré de tels témoignages, la société est longtemps restée indifférente. Elle ne doit pas détourner le regard ; les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap doivent être pris en compte dans tous les aspects de l'action publique. Les engagements du Comité interministériel du handicap de 2018 ont été repris en décembre 2019. La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, le Conseil national consultatif des personnes handicapées et un certain nombre d'associations se sont engagés dans la rédaction de fiches-réflexe pour aider les femmes en situation de handicap à repérer les violences. Le travail est achevé, nous nous consacrons à présent aux déclinaisons opérationnelles. Le 114 est en accès total pour les femmes sourdes et malentendantes.
Il faut aussi faire de la prévention, notamment en éduquant les enfants contre ces violences. Une adolescente fait part de ses souffrances au collège où on la traitait de légume. « Ils essayaient de me rouler des pelles sans me demander mon avis »...
Dans toutes nos actions, je le répète, il faut penser aux femmes en situation de handicap. Le 3919 sera prochainement en accessibilité pour les femmes sourdes et malentendantes.
Le Gouvernement mettra aussi en oeuvre des centres de ressources dans chaque région, pour accompagner la vie intime, sexuelle et parentale des femmes en situation de handicap. Ils constitueront un réseau de proximité et seront des points d'entrée unique pour accéder aux différents acteurs concernés. Dans cette organisation, les femmes pourront échanger avec leurs paires, faire remonter des retours d'expérience.
Les aidants familiaux et professionnels du secteur médico-social seront sensibilisés. Ces centres de ressources, qui s'inspirent d'une expérience réussie en Nouvelle-Aquitaine, seront généralisés.
Nous allons plus largement capitaliser sur les initiatives qui fonctionnent. Depuis mai 2018, le projet HandiGynéco permet de faire intervenir des sages-femmes pour un suivi gynécologique spécifique en Île-de-France, ce qui contribuera à libérer la parole.
Les items de la mesure de satisfaction diffusés dans les établissements médicaux-sociaux intégreront la vie affective et sexuelle. Le parcours de santé sera fluidifié, la prévention renforcée. Il conviendra de faciliter le libre choix ; la charte Jacob est un excellent outil de formation.
La formation en ligne certifiante ne se substituera pas aux formations existantes, monsieur Courteau, elle sera complémentaire. L'accessibilité, la formation des policiers à la réception des plaintes seront renforcées. Les enquêtes sur les violences seront étoffées pour prendre en compte toutes les dimensions. L'emprise économique est un frein pour celles qui pensent à quitter leur domicile. Les solutions de logement d'urgence, en cas de maltraitance, doivent être adaptées au handicap.
Chaque action en faveur du handicap s'intéresse à l'égalité femmes-hommes, et la réciproque est vraie. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour, aux côtés de la Chambre haute, faire avancer la cause des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière. (Applaudissements)
À la demande du groupe UC, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°63 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur toutes les travées)
La séance est suspendue quelques instants.